[1] L’appelante porte en appel un jugement du 6 avril 2015 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Carol Cohen), qui accueille une requête en révision judiciaire d’un jugement du 16 avril 2013 de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec.
[2] Pour les motifs du juge Mainville, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Émond, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel, avec frais de justice.
|
|
MOTIFS DU JUGE MAINVILLE |
|
|
[4] La procureure générale du Québec (« PGQ ») porte en appel un jugement du 6 avril 2015 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Carol Cohen)[1], qui accueille un pourvoi en contrôle judiciaire[2] d’un jugement du 16 avril 2013 de la division administrative et d’appel de la Cour du Québec[3].
[5] La Cour du Québec a rejeté l’appel de l’intimée, la Fondation internationale Azzahra inc. (« Fondation Azzahra »), portant sur une décision du 25 novembre 2011 de la section des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (« TAQ »)[4], qui a accueilli le recours introduit par le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire (« MAMROT ») en révision de certificats de modification émis pour 2008, 2009 et 2010 par un évaluateur de la mise en cause Ville de Montréal (« Montréal »).
[6] L’évaluateur de Montréal a décidé qu’un immeuble appartenant à la Fondation Azzahra situé au 12 192, avenue Brunet de l’arrondissement de Montréal-Nord était exempt de toutes taxes foncières sous le par. 204 (17) de la Loi sur la fiscalité municipale[5] (« LFM ») puisqu’il était inscrit au nom d’une institution religieuse et mis à la disposition d’une personne morale sans but lucratif titulaire d’un permis d’enseignement privé pour une école primaire et secondaire.
[7] Je propose de rejeter l’appel et confirmer la décision de l’évaluateur.
CONTEXTE
[8] La Fondation Azzahra est constituée en société à but non lucratif depuis 1989. En février 2008, elle acquiert l’immeuble de l’avenue Brunet afin d’abriter l’école secondaire de l’Académie Ibn Sina (« l’Académie »), un établissement scolaire privé de confession musulmane qui détient un permis d’enseignement du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. L’Académie, qui est opérée par la Fondation Azzahra, comprend une école primaire dans l’est de Montréal et une école secondaire sur l’avenue Brunet.
[9]
À la suite de cette acquisition, l’évaluateur de Montréal procède à la
mise à jour du rôle d’évaluation. Il émet deux certificats en date du 8 février
2010, l’un pour la période du 18 février 2008 au 31 décembre 2008, l’autre pour
la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2010. Le rôle
d’évaluation est ainsi modifié afin de déclarer l’immeuble visé par le par.
[10]
Cette modification n’a pas seulement pour effet d’exempter l’immeuble de
taxes foncières; elle oblige aussi le MAMROT à verser à la municipalité un
montant en lieu de taxes foncières municipales conformément aux articles
[11] Il y a lieu de reproduire d’emblée les dispositions pertinentes de la LFM (soulignement ajouté) :
204. Sont exempts de toute taxe foncière, municipale ou scolaire:
[…]
8° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une corporation épiscopale, d’une fabrique, d’une institution religieuse ou d’une Église constituée en personne morale, et qui sert principalement soit à l’exercice du culte public, soit comme palais épiscopal, soit comme presbytère, à raison d’un seul par église, de même que ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins;
9° un immeuble qui sert de cimetière pour les êtres humains, sauf s’il est exploité dans un but lucratif;
[…]
12° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une institution religieuse ou d’une fabrique, utilisé par elle ou gratuitement par une autre institution religieuse ou une autre fabrique, non en vue d’un revenu mais dans la poursuite immédiate de ses objets constitutifs de nature religieuse ou charitable, de même que ses dépendances immédiates utilisées aux mêmes fins;
13° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une commission scolaire, d’un collège d’enseignement général et professionnel, d’un établissement universitaire au sens de la Loi sur les investissements universitaires (chapitre I-17) ou du Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec;
[…]
15° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une personne morale sans but lucratif titulaire d’un permis de tenir un établissement d’enseignement privé délivré en vertu de la Loi sur l’enseignement privé (chapitre E-9.1) et qui est mis à la disposition de cet établissement;
16° un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’un établissement agréé aux fins de subvention en vertu de la Loi sur l’enseignement privé et qui est mis à la disposition de cet établissement et un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’un établissement dont le régime d’enseignement est l’objet d’une entente internationale au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales (chapitre M-25.1.1);
17° un immeuble qui est compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une institution religieuse et qui est utilisé par une personne visée au paragraphe 13°, 14°, 15° ou 16°, si l’activité qui y est exercée par cette personne fait partie de ses activités normales;
[…]
204.1 Un immeuble qui est compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une personne mentionnée à un paragraphe de l’article 204 et qui est utilisé par une autre personne mentionnée à cet article demeure non imposable et visé à ce paragraphe. Il en est de même, si ce paragraphe exige que l’immeuble soit utilisé à une certaine fin, lorsqu’il est utilisé à une autre fin mentionnée à cet article.
Toutefois, un immeuble compris dans une unité d’évaluation inscrite au nom d’une institution religieuse n’est visé par le paragraphe 17° de l’article 204 que s’il est utilisé conformément à ce paragraphe.
254. Le gouvernement verse à une municipalité locale une somme d’argent à l’égard de chaque immeuble situé dans le territoire de cette dernière et visé à l’article 255, pour un montant calculé en vertu de cet article, sous réserve des articles 255.1 et 255.2.
[…]
255.
[…]
Est égal au produit que l’on obtient, en multipliant par 25% du taux global de taxation de la municipalité locale la valeur non imposable de l’immeuble, le montant de la somme qui doit être versée en vertu du premier alinéa de l’article 254 à l’égard:
1° d’un immeuble dont le propriétaire est une commission scolaire;
2° d’un immeuble dont le propriétaire est une personne morale à but non lucratif, titulaire d’un permis de tenir un établissement d’enseignement privé délivré en vertu de la Loi sur l’enseignement privé, et qui est mis à la disposition de cet établissement, lorsque le propriétaire a compétence en matière d’éducation préscolaire ou d’enseignement primaire ou secondaire;
3° d’un immeuble dont le propriétaire est un établissement d’enseignement privé agréé aux fins de subventions, en vertu de la Loi sur l’enseignement privé, et qui est mis à la disposition de cet établissement, lorsque le propriétaire a compétence en matière d’éducation préscolaire ou d’enseignement primaire ou secondaire;
4° d’un immeuble dont le propriétaire est un établissement dont le régime d’enseignement est l’objet d’une entente internationale au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales, lorsque le titulaire a compétence en matière d’éducation préscolaire ou d’enseignement primaire ou secondaire;
5° d’un immeuble dont le propriétaire est une institution religieuse et qui est utilisé, à des fins d’éducation préscolaire ou d’enseignement primaire ou secondaire, par une commission scolaire, une personne morale visée au paragraphe 2° ou un établissement visé à l’un ou l’autre des paragraphes 3° et 4°.
[…] |
204. The following are exempt from all municipal or school property taxes:
(…)
(8) an immovable included in a unit of assessment entered on the roll in the name of an episcopal corporation, a fabrique, a religious institution or a Church constituted as a legal person, and principally used for the exercise of public worship, either as an episcopal palace or as a presbytery, to the extent of only one for each church, and its immediate dependencies used for the same purposes;
(9) an immovable used as a cemetery for human beings, unless it is operated for pecuniary gain;
(…)
(12) an immovable included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a religious institution or fabrique and used by it or gratuitously by another religious institution or fabrique not to derive income but in the immediate pursuit of the religious or charitable objects for which it was established, and its immediate dependencies used for the same purposes;
(13) an immovable included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a school board, a general and vocational college, a university establishment within the meaning of the University Investments Act (chapter I-17) or the Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec;
(…)
(15) an immovable that is included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a non-profit legal person holding a permit to operate a private educational institution issued under the Act respecting private education (chapter E-9.1) and that is at the disposal of that institution;
(16) an immovable that is included in a unit of assessment entered on the roll in the name of an institution accredited for purposes of subsidy under the Act respecting private education and that is at the disposal of that institution and an immovable belonging to an institution whose instructional program is the subject of an international agreement within the meaning of the Act respecting the Ministère des Relations internationales (chapter M-25.1.1);
(17) an immovable that is included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a religious institution and that is used by a person contemplated in paragraph 13, 14, 15 or 16, if the activity carried on by such person therein is part of his ordinary activities;
(…)
204.1 An immovable that is included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a person referred to in any paragraph of section 204 and that is used by another person referred to in that section remains exempt from taxation and contemplated in the paragraph. The same rule applies if the paragraph requires the immovable to be used for a certain purpose and it is used for another purpose mentioned in that section.
However, an immovable included in a unit of assessment entered on the roll in the name of a religious institution is considered contemplated by paragraph 17 of section 204 only if used in conformity with that paragraph.
254. The Government shall pay to a local municipality an amount of money in respect of each immovable situated in the territory of the latter and contemplated in section 255 in the amount computed in accordance with that section, subject to sections 255.1 and 255.2.
(…)
255.
(…)
The amount payable under the first paragraph of section 254 for each of the following immovables is equal to the product obtained by multiplying the non-taxable value of the immovable by 25% of the aggregate taxation rate of the local municipality:
(1) an immovable whose owner is a school board;
(2) an immovable whose owner is a non-profit legal person holding a permit to operate a private educational institution issued under the Act respecting private education and that is at the disposal of that institution, when the owner is competent in matters of preschool, elementary or secondary education;
(3) an immovable whose owner is a private educational institution accredited for purposes of subsidies under the Act respecting private education and that is at the disposal of that institution, when the owner is competent in matters of preschool, elementary or secondary education;
(4) an immovable whose owner is an institution whose instructional program is the subject of an international agreement within the meaning of the Act respecting the Ministère des Relations internationales, when the owner is competent in matters of preschool, elementary or secondary education;
(5) an immovable whose owner is a religious institution and that is used by a school board, a legal person referred to in paragraph 2 or an institution referred to in paragraph 3 or 4, for the purposes of preschool, elementary or secondary education.
(…) |
LA DÉCISION DU TAQ
[12]
La seule question devant le TAQ est de savoir si la Fondation Azzahra se
qualifie comme institution religieuse aux fins du par.
[13] Les objets religieux sont les suivants :
-Provide various Social, Cultural and Athletic activities in Canada and abroad; such as organization of meetings and conferences for spiritual, charitable, educational and humanitarian purposes advocating Islamic culture and the religion of Islam as a way of life.
-Preach inter-faith tolerance and understanding and cultivate constructive relationships with members of non-Islamic faiths, stressing harmony, peace and mutual acceptance.
-Assist Muslims to assimilate in the Quebec and Canadian environments and adapt as new immigrants to the North American way of life, not forsaking own Islamic culture and Identity.
[14] Les objets de charité et de bienfaisance comprennent :
-Contribute funds to the needy and poor and provide monthly grants to widows and orphans who have no source of income abroad.
-Collect clothing, blankets, household used and new items etc… and arrange proper distribution for needy people abroad.
-Help orphanages financially and set up vocational schools and provide education for orphans abroad.
-Provide medical care for the ill or handicapped in remote areas and where no medical facilities are available abroad.
-Establish schools to educate the poor and disadvantaged and support existing schools abroad, to improve their conditions and to spread their services at large.
-Collect funds and donations including clothes, food, books, medical supplies & services etc… from individual persons, charitable bodies, humanitarian organizations, private corporations and government authorities.
[15] La preuve révèle aussi que les grands projets de la Fondation Azzahra sont :
- un centre social, communautaire et culturel qui, notamment, organise des conférences et des séminaires culturels, sociaux, communautaires et religieux;
- la mosquée Fatima Azzahra, située sur la rue Fleury à Montréal avec une capacité d’accueil de plus de 400 croyants;
- l’Association Al Mortadha, qui se spécialise dans les contrats de mariage officiels et religieux musulmans, qui suit les démarches nécessaires pour célébrer les deux types de mariage, et qui offre un service de médiation de disputes familiales;
- l’Académie Ibn Sina, qui offre l’enseignement élémentaire et secondaire afin, notamment, de permettre aux membres de la communauté musulmane de faire rayonner leur identité culturelle et religieuse tout en s’intégrant à la société canadienne et québécoise;
- le camp de loisir et de plein air Azzahra, aménagé dans les Laurentides au nord de Montréal; et
- un salon funéraire, qui offre les rites d’inhumation musulmans, et le cimetière islamique Hamza, d’une capacité de 8 000 tombes.
[16] Dans son témoignage, le directeur de la Fondation Azzahra décrit le rôle de cette dernière comme celle d’une fondation charitable et religieuse islamique (« charitable and islamic foundation »).
[17]
Si le TAQ reconnaît que la Fondation Azzahra poursuit effectivement des
activités religieuses, telles la mosquée et le cimetière musulman, il conclut
qu’elle poursuit aussi et surtout des activités charitables. Le TAQ reconnaît
que les objets religieux de la Fondation Azzahra teintent ses activités
charitables, mais il estime cela insuffisant. Il est plutôt d’avis que pour se
qualifier comme institution religieuse aux fins du par.
[18]
Le TAQ refuse donc de reconnaitre la Fondation Azzahra comme institution
religieuse aux fins du par.
LE JUGEMENT DE LA COUR DU QUÉBEC PORTANT SUR LA PERMISSION D’APPELER
[19] La Fondation Azzahra cherche à porter l’affaire en appel à la Cour du Québec. Le 16 octobre 2012, le juge Gilles Lareau accueille la requête pour permission d’appeler[6]. Il cerne les questions en litige comme suit :
[20] Le T.A.Q. semble s’être limité à une analyse quantitative des activités basées sur les descriptions apparaissant aux documents susmentionnés [les lettres patentes et la brochure corporative de la Fondation Azzahra]. On ne retrouve pas, dans la décision, d’analyse qualitative qui permet de comprendre l’importance attachée à chaque activité et qui validerait la conclusion selon laquelle « l’activité principale apparaît plus communautaire que religieuse ».
[21] Selon AZZAHRA, les statuts et les objets de cet organisme ne traduisent pas la réalité de ses activités. Ils ne permettent pas la gradation qu’en fait le T.A.Q. ni la conclusion selon laquelle trop d’activités charitables deviennent incompatibles avec les objectifs d’une institution religieuse, particulièrement dans le contexte de la religion musulmane.
[22] Il faut également souligner que c’est la
première fois qu’un organisme exploitant une mosquée et un cimetière se voit
refuser le statut d’institution religieuse au sens de l’article
LE JUGEMENT EN APPEL DE LA COUR DU QUÉBEC
[20] Le jugement porte largement sur la question de la norme de contrôle applicable à l’appel. Contrairement aux prétentions de la PGQ, laquelle soutenait alors que les articles 159 à 164 de la Loi sur la justice administrative[7] créent un véritable droit d’appel, le juge applique la norme de la décision raisonnable, s’appuyant à cet égard sur les motifs du juge Dalphond siégeant comme juge unique dans Montréal (Ville de) c. Crystal de la montagne, s.e.c.[8].
[21] L’analyse portant sur le fond de l’appel se limite à quelques courts paragraphes qui ne traitent pas des questions de droit soulevées par la Fondation Azzahra ni ne tiennent compte des questions identifiées par le juge Lareau :
[40] Le Tribunal n’estime pas nécessaire de commenter chacune des décisions jurisprudentielles soumises par les parties avant l’introduction du critère de la norme de la décision raisonnable. Son rôle actuel est dicté par l’application des principes énumérés par la Cour suprême et appliqués par la Cour d’appel dans l’arrêt Crystal de la Montagne […].
[41] La décision du TAQ se situe au cœur de sa compétence spécialisée. De l’avis de tous, le TAQ résume correctement l’origine du litige et les faits mis en preuve.
[42] Le raisonnement est clair, logique et cohérent. Tous les éléments pertinents ont été considérés, y compris ceux sur lesquels la Fondation et la Ville mettent beaucoup d’emphase, comme le Tribunal l’a déjà signalé aux paragraphes 33 et 27 de ce jugement.
[43] Le TAQ a tout simplement accordé une importance différente aux éléments mis en évidence par la Ville et la Fondation en les pondérant à la lumière de l’ensemble de la preuve, des objets et des activités de la Fondation, comme cela apparaît aux paragraphes 46 à 59 de sa décision.
LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
[22] Tenant compte de l’arrêt de la Cour dans Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de)[9] (« Frères Maristes »), la juge de la Cour supérieure conclut que la norme d’intervention applicable à l’appel devant la Cour du Québec est celle de la décision raisonnable. Elle est cependant d’avis que cette dernière a mal appliqué cette norme à la décision du TAQ.
[23] La juge souligne que la décision de la Cour du Québec ne contient aucune analyse des questions importantes que soulevait l’appel, ne tient pas compte de la preuve retenue par le TAQ, et ne répond pas à la question identifiée par le juge Lareau dans son jugement autorisant l’appel[10].
[24] Procédant à l’analyse qui, selon elle, aurait dû être entreprise par la Cour du Québec, la juge conclut qu’il y a deux motifs principaux qui permettent de conclure au caractère déraisonnable de la décision du TAQ.
[25]
En premier lieu, elle souligne que le TAQ n’a pas tenu compte de la
reconnaissance de la Fondation Azzahra comme institution religieuse aux fins de
l’exemption de taxes foncières pour l’immeuble abritant sa mosquée, laquelle
exemption est prévue au par.
[68] Tel que
noté plus haut, le TAQ savait très bien que la Fondation bénéficiait de l'exemption
de l'article
[71] La seule
conclusion logique, rationnelle et possible à tirer de la preuve retenue par le
TAQ, est la conclusion contraire à celle qui se retrouve dans la Décision. La
preuve nous amène nécessairement à la conclusion que la Fondation, déjà
qualifiée d'institution religieuse pour l'immeuble sur Fleury, est également
une institution religieuse quant à l'immeuble sur Brunet et donc, que la Fondation doit bénéficier de l'exemption de
l'article
[73] Toutefois, ceci n'indique aucunement que la Fondation n'est
pas une institution religieuse, tel que semble conclure le TAQ. Au contraire,
le TAQ a constaté ailleurs dans sa Décision (paragraphe 44, à titre d'exemple)
que la partie de l'immeuble sur la rue Fleury utilisée pour la mosquée était
exempte de taxes foncières et cela, en vertu de l'exemption d'un lieu de culte,
prévue à l'article
[74] Comment réconcilier cette preuve avec la
décision du TAQ, soit que la Fondation n'est pas une institution religieuse aux
fins de l'article
[26] En second lieu, la juge est d’avis que la conclusion du TAQ voulant que les activités principales d’une institution religieuse doivent se rapporter à la religion plutôt qu’aux activités charitables est en soi déraisonnable :
[96] Tel que noté par la Fondation dans son mémoire, la Décision du TAQ, qui « suggère donc qu'une institution ne peut être religieuse si elle est très charitable », (paragraphe 32), va à l'encontre de l'article 204(12) de la Loi précitée, qui inclut dans les activités d'une institution religieuse « la poursuite immédiate de ses objets constitutifs de nature religieuse ou charitable ». La Fondation soumet avec raison que selon la logique du TAQ, « plus une institution religieuse fait des activités charitables, moins elle est religieuse, et plus il y aurait de chances qu'elle perde son exemption fiscale » (mémoire, paragraphe 33).
[27]
La juge infirme donc le jugement de la Cour du Québec et du TAQ. Elle
déclare que la Fondation Azzahra est une institution religieuse aux fins du
par.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[28] La PGQ appelante identifie trois questions que je reformulerais ainsi : la Cour supérieure a-t-elle erré :
1) en identifiant la norme de contrôle applicable?
2) en concluant qu’il était
déraisonnable pour le TAQ de ne pas tenir compte de l’exemption accordée sous
le par.
3) en
concluant qu’il était déraisonnable pour le TAQ de ne pas reconnaître la
Fondation Azzahra comme institution religieuse aux fins du par.
ANALYSE
La norme de contrôle
[29] La Cour doit déterminer si la juge de la Cour supérieure a identifié la bonne norme de contrôle et si elle l’a appliquée correctement[11].
[30] Selon les enseignements de la Cour suprême du Canada, l’appel d’une décision d’un tribunal administratif spécialisé à une cour de justice est soumis, en principe, aux normes d’intervention applicables au contrôle judiciaire[12]. Se référant notamment à ACAIQ c. Proprio Direct inc.[13], l’arrêt de la Cour dans Frères Maristes[14] applique ces enseignements et confirme ainsi que la norme de contrôle applicable à un appel devant la Cour du Québec d’une décision de la Section des affaires immobilières du TAQ est celle de la décision raisonnable, hormis les rares cas d’ultra vires ou de questions de compétence[15]. À la lumière de cet arrêt, la juge de la Cour supérieure devait conclure, comme elle l’a fait, que la Cour du Québec avait correctement identifié la norme de contrôle de la décision raisonnable comme celle devant s'appliquer à l’appel de la décision du TAQ dont elle était saisie.
[31] Cela étant, l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable à deux niveaux soulève plusieurs interrogations qu’il n’y a pas lieu de traiter dans le cadre de cet appel.[16]
Était-il déraisonnable
pour le TAQ de ne pas tenir compte de l’exemption sous le par.
[32]
La PGQ reproche à la juge d’avoir fondé en partie sa décision sur
l’exemption dont bénéficiait la Fondation Azzahra sous le par.
[33] Je reconnais que le TAQ ne peut être lié par la décision de l’évaluateur municipal de reconnaître la Fondation Azzahra comme institution religieuse aux fins du par. 204 LFM. Cependant, ce n’est pas là le problème. Le TAQ ne pouvait ignorer qu’une exemption avait été accordée pour l’immeuble abritant la mosquée, ni qu’une telle exemption n’est possible que si la Fondation Azzahra est une institution religieuse au sens de la LFM. Pourtant, le TAQ ne fournit aucune explication afin de résoudre cette contradiction évidente.
[34]
Comme le soulignaient les juges Bastarache et LeBel dans Dunsmuir c.
Nouveau-Brunswick[17],
le caractère raisonnable d’une décision administrative tient principalement à
la justification de celle-ci, à la transparence et à l’appartenance de la
décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des
faits et du droit. Il incombait donc au TAQ d’expliquer comment la Fondation
Azzahra pouvait gérer une mosquée et obtenir une exemption sous la LFM pour
l’immeuble l’abritant sans qu’elle soit aussi reconnue comme une
institution religieuse aux fins du par.
[35] La juge de la Cour supérieure avait donc raison de conclure que le défaut pour le TAQ de traiter de cette question rendait sa décision déraisonnable. D’autant plus que le juge Lareau avait déjà noté, dans son jugement accordant la permission d’appeler, qu’il s’agissait de la première fois qu’un organisme exploitant une mosquée et un cimetière religieux se voyait refuser le statut d’institution religieuse sous la LFM.
Était-il déraisonnable
pour le TAQ de refuser à la Fondation Azzahra le statut d’institution
religieuse aux fins du par.
[36] La PGQ ne conteste pas que la Fondation Azzahra exerce des activités qui sont religieuses, ni que la plupart de ses activités sont teintées par une mission religieuse liée à la foi islamique. Ce qu’elle soutient, comme le TAQ, c’est que la Fondation ne se voue pas principalement à l’exercice de la foi. Le raisonnement du TAQ est d’ailleurs repris par la PGQ dans son exposé (soulignement ajouté) :
93. Une lecture attentive de la jurisprudence permet de conclure qu’une organisation souhaitant se faire reconnaître le statut d’institution religieuse au sens de la LFM devra démontrer qu’elle se voue directement à l’exercice de la foi, d’une manière principale et non accessoire, aussi bien en vertu de ses lettres patentes, de ses objets constitutifs qu’en raison de ses activités à la lumière de la preuve testimoniale et documentaire.
[37]
Cette approche est déraisonnable parce qu’elle est contraire aux termes
mêmes de la LFM, à la jurisprudence portant sur les institutions
religieuses et aux objets de l’art.
Les termes de la LFM
[38]
Le par.
[39]
Le par. 4 de l’art.
236. La taxe d’affaires ne peut être imposée en raison:
[…]
4° de l’activité exercée dans un but non lucratif dans la poursuite immédiate de ses objets constitutifs de nature religieuse ou charitable par une institution religieuse ou une fabrique; |
236. No business tax may be imposed by reason of
(…)
(4) an activity carried on without pecuniary gain by a religious institution or a fabrique in the immediate pursuit of the religious or charitable objects for which it was established; |
[40] Une institution religieuse peut donc poursuivre des fins charitables sans pour autant perdre son statut sous la LFM, cette dernière loi ne comportant d’ailleurs aucune règle ou exigence voulant que les objets religieux ou les activités religieuses soient plus importants que les objets ou activités charitables[18].
[41] La jurisprudence retient d’ailleurs une approche flexible et contextuelle à la reconnaissance comme institution religieuse d’une entité qui poursuit à la fois des objets religieux et des objets autres que religieux. Il suffit que les objets religieux teintent l’ensemble de l’œuvre pour conclure que l’institution est religieuse, et ce, peu importe que les activités non religieuses soient prédominantes ou non.
La jurisprudence
[42] Dans Hofer et al. c. Hofer et al.[19], la Cour suprême du Canada devait se pencher sur la validité de l’expulsion de membres dissidents d’une colonie huttérite au motif qu’ils avaient embrassé une secte religieuse distincte. Le litige soulevait notamment la question de la nature juridique de la colonie huttérite comme institution religieuse. Les statuts de cette colonie renfermaient des dispositions permettant à la colonie de poursuivre des activités agricoles et industrielles et, de fait, la colonie et ses membres exerçaient d’importantes activités agricoles florissantes. Le juge Ritchie, au nom des juges majoritaires, a conclu que la colonie était néanmoins une institution religieuse malgré que ses activités agricoles prédominaient puisque, selon la preuve, la foi et la doctrine de la religion huttérite imprégnaient toutes les colonies huttérites et tous leurs membres.
[43] Une organisation religieuse peut donc se livrer à une activité autre que religieuse sans nécessairement perdre son statut d’institution religieuse. Tout dépend du contexte dans lequel l’activité s’inscrit.
[44] Dans Untel c. Bennett, la juge en chef McLachlin a aussi reconnu qu’une église constituée en personne morale se livre couramment à des activités séculières[20] :
Les corporations ecclésiastiques comme St. George’s sont créées pour servir, à l’échelle du diocèse, d’interface juridique entre l’Église catholique romaine et la communauté. L’Église constitue à la fois une présence spirituelle et un intervenant séculier dans la communauté. La personne morale simple sert de pont entre ces deux aspects. Comme intervenant séculier, l’Église interagit de multiples façons avec les membres de la communauté diocésaine. Elle accomplit de nombreuses activités religieuses, sociales et éducatives. Elle conclut des contrats avec ses employés. Elle transporte des paroissiens. Elle parraine des activités de bienfaisance. Elle achète et vend des biens meubles et immeubles. Pour faire tout cela, il lui faut la personnalité juridique. C’est la personne morale simple qui est dotée de cette personnalité.
[45] De façon similaire, la juge en chef McLachlin et le juge Moldaver, avec l’accord du juge Rothstein, dans leur opinion concurrente dans École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général)[21], ont qualifié de corporation religieuse une école catholique privée constituée en société à but non lucratif[22]. Dans cette affaire, Loyola contestait une décision ministérielle refusant de l’exempter de l’obligation d’enseigner les religions du monde de façon neutre. Loyola soutenait bénéficier, en tant qu’organisation religieuse, de la protection accordée à la liberté de religion garantie par les chartes des droits. Les juges majoritaires n’ont pas cru bon de répondre à cette question mais, à tout le moins, pour les juges McLachlin, Moldaver et Rothstein la notion d’organisation religieuse comprend celle d’un établissement d’enseignement à caractère religieux comme Loyola, et ce, même si l’activité principale de l’établissement en est une d’enseignement[23].
[46]
Dans Amos (Ville d’) c. Centre chrétien d’Amos Inc.[24], une affaire
portant sur le par.
[47] Ainsi, dans la mesure où une institution poursuit des objets de nature religieuse, le fait qu’elle poursuive aussi des objets charitables ou éducatifs ne peut lui faire perdre son statut d’institution religieuse si les croyances religieuses teintent son œuvre.
[48] Par contre, une société à but non lucratif qui exerce des activités charitables n’est pas nécessairement une institution religieuse. Tout dépend du contexte. Ainsi, dans Fondation du troisième âge (Québec) inc. c. St-Donat[26], la Cour a conclu qu’une institution fondée par les Sœurs de la Charité de Sainte-Marie n’était pas religieuse parce que les objets de celle-ci ne faisaient pas voir qu’elle exerçait des activités religieuses. Le seul objet constitutif de celle-ci était de consacrer toutes ses ressources au mieux-être des personnes âgées, sans plus. Cela étant, il n’est pas acquis que le résultat aurait été le même si l’institution en cause avait aussi poursuivi des objets religieux.
Les objets de
l’art.
[49]
L’art.
[50] Dans La Reine c. Golden et autres[28], le juge Estey a énoncé qu’à la lumière de l’arrêt Stubart Investments Ltd. c. La Reine[29] les règles applicables à l’interprétation d’une loi fiscale ne se limitent pas à une interprétation littérale lorsque, selon une interprétation plus large, les mots permettent d’arriver à une conclusion compatible avec les objectifs de la loi.
[51] Cette approche a été reprise dans Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours[30] où le juge Gonthier souligne que la primauté doit être accordée à la recherche de la finalité de la loi, que ce soit dans son ensemble ou à l’égard d’une disposition précise de celle-ci. Ainsi, une exemption de taxes ne doit pas recevoir une interprétation nécessairement restrictive, mais plutôt une interprétation téléologique qui tient compte à la fois du but recherché par une politique de levée de fonds et du but recherché par une politique d’exemption des œuvres sociales décrites à la loi, l’un de ces buts ne devant pas primer l’autre.
[52]
Appliquant cette approche dans Buanderie centrale de Montréal Inc.[31], le juge Gonthier
a étendu les exemptions des par.
[53]
Si on applique cette même approche au par.
[54] Le caractère raisonnable d’une décision d’un tribunal administratif tient principalement à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit[33]. Le caractère raisonnable constitue une norme unique qui s’adapte au contexte[34]. En l’espèce, la décision du TAQ est déraisonnable parce qu’elle menace la réalisation des objets de la LFM, laquelle poursuit une politique générale d'imposition foncière assujettie à une politique secondaire d’exemption d’œuvres sociales énumérées à l’art. 204, notamment à l’égard des immeubles abritant des institutions d’enseignement. Une conclusion d’un tribunal administratif qui compromet la réalisation de l’objectif social d’une loi est déraisonnable[35].
CONCLUSIONS
[55]
En l’occurrence, les objets constitutifs de la Fondation Azzahra
révèlent clairement la nature religieuse de l’institution. La mosquée, le salon
funéraire de rite islamique, le cimetière islamique et les mariages de rite
islamique le démontrent incontestablement. Le fait que celle-ci se livre aussi
à plusieurs activités charitables ne peut lui faire perdre son statut
d’institution religieuse aux fins du par.
[56] Comme la juge de la Cour supérieure, je suis d’avis qu’une seule conclusion raisonnable s’imposait au TAQ, soit celle de confirmer la décision de l’évaluateur de Montréal.
[57] Ainsi, pour les motifs énoncés, je rejetterais l’appel et j’accorderais les frais de justice à la Fondation Azzahra.
|
|
|
|
ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A. |
[1] 2015 QCCS 1307.
[2] La requête fut prise en révision judiciaire sous l’ancien Code de procédure civile. Aux fins de l’appel, j’utiliserai la terminologie du nouveau code.
[3] 2013 QCCQ 3324 (le juge Jean-F. Keable).
[4] 2011 QCTAQ 11746 (les juges administratifs Véronique Pelletier et Manon Goyer).
[5] Loi sur la fiscalité municipale, RLRQ, c. F-2.1.
[6] 2012 QCCQ 3307.
[7] Loi sur la justice administrative, RLRQ, c. J-3.
[8]
Montréal (Ville de) c. Crystal de la montagne, s.e.c.,
[9]
Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de),
[10] Jugement de la Cour supérieure, par. 54.
[11]
Unifor, section locale 174 c. Cascades Groupe Papiers fins inc., division
Rolland,
[12]
Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville),
[13]
ACAIQ c. Proprio Direct inc.,
[14] Frères Maristes (Iberville) c. Laval (Ville de), supra, note 9.
[15] Ibid., par. 10.
[16]
Procureure générale du Québec c. Ville de Montréal,
[17]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[18]
D’une façon analogue, l’article
[19]
Hofer et al. c. Hofer et al.,
[20]
Untel c. Bennett,
[21]
École secondaire Loyola c. Québec (Procureur général),
[22] Ibid., par. 89.
[23] Ibid., par. 91.
[24]
Amos (Ville d’) c. Centre chrétien d’Amos Inc.,
[25] Ibid., p. 2662.
[26]
Fondation du troisième âge (Québec) inc. c. St-Donat (Corp. municipale
de),
[27] Loi sur l’enseignement privé, RLRQ, c. E-9.1.
[28]
La Reine c. Golden et autres,
[29]
Stubart Investments Ltd. c. La Reine,
[30]
Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours,
[31]
Buanderie centrale de Montréal Inc. c. Montréal (Ville); Conseil de la
santé et des services sociaux de la région de Montréal métropolitain c.
Montréal (Ville),
[32] Ibid., p. 52-53.
[33] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, supra, note 17, par. 47.
[34]
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa,
[35]
Dionne c. Commission scolaire des Patriotes,