Chicoine-Joubert c. R. | 2024 QCCA 488 | ||||
COUR D’APPEL | |||||
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CANADA | |||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||
GREFFE DE
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N° : | |||||
(500-01-193181-192) | |||||
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DATE : | 23 avril 2024 | ||||
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MAXIME CHICOINE-JOUBERT | |||||
APPELANT – accusé | |||||
c. | |||||
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SA MAJESTÉ LE ROI | |||||
INTIMÉ – poursuivant | |||||
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[1] L’appelant se pourvoit contre un verdict rendu le 18 octobre 2021 par un jury au terme d’un procès présidé par l’honorable Marc-André Blanchard de la Cour supérieure, district de Montréal. Le jury a déclaré l’appelant coupable d’un chef de meurtre au deuxième degré et d’un chef de voies de fait armé.
[2] Pour les motifs du juge Vauclair, auxquels souscrit le juge Hamilton, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel;
[4] Le juge Bachand aurait accueilli l’appel et ordonné un nouveau procès aux motifs que le juge n’a pas répondu adéquatement aux questions du jury et qu’il existe une possibilité raisonnable que les jurés se soient mépris sur la mens rea requise en matière de meurtre au deuxième degré.
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| MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. | |
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| STEPHEN W. HAMILTON, J.C.A. | |
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| FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. | |
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Me Marie-Hélène Giroux | ||
MARIE-HÉLÈNE GIROUX AVOCATS | ||
Pour l’appelant | ||
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Me Richard Audet | ||
DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES | ||
Pour l’intimé | ||
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Date d’audience : | 24 octobre 2023 | |
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MOTIFS DU JUGE VAUCLAIR |
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[5] Compte tenu des moyens d’appel, il n’est pas nécessaire d’entrer dans la preuve. Essentiellement, dans une rue de Montréal, l’appelant a été capté par des caméras de surveillance lorsqu’il a poignardé un inconnu dans le dos. La victime est décédée de ses blessures. L’appelant a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré.
[6] L’appelant formule quatre griefs qu’il traite comme deux sujets.
*
[7] Le premier sujet concerne la mens rea de l’homicide involontaire, et ce, sous deux rapports. D’abord, l’appelant avance que le juge « a erré dans ses directives relatives à l’homicide involontaire coupable en omettant de mentionner la mens rea nécessaire pour qu’il y ait homicide involontaire, soit la prévision objective du risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère ». Par la suite, il est d’avis que le juge a erré « en omettant de mentionner [cette] mens rea » dans sa réponse à la question du jury portant sur cette infraction.
[8] Le second sujet concerne la plaidoirie du ministère public. L’appelant lui reproche d’abord d’avoir illégalement attaqué la crédibilité des témoins en ne respectant pas l’arrêt Browne v. Dunn, (1894) 6 R. 67 (H.L.). Ensuite, le juge a erré en ne donnant pas suite à sa demande de corriger la plaidoirie.
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Si vous en arrivez à la conclusion que Maxime Chicoine-Joubert n’avait pas l’intention de causer la mort, ni des blessures de nature à causer la mort, Maxime Chicoine-Joubert aura commis un homicide involontaire.
[10] L’appelant écrit ensuite :
31. Or, un coup de couteau peut occasionner des blessures de nature à causer la mort sans que l’accusé ait nécessairement l’intention de tuer.
32. Le juge ne précise pas que, pour qu’il y ait homicide involontaire coupable, l’acte illégal doit être objectivement dangereux dans les circonstances et qu’une personne raisonnable, placée dans le même contexte, se serait rendu compte qu’elle exposait une autre personne à un risque de lésions corporelles.
[11] J’ouvre ici une parenthèse. Malgré ce que l’extrait des directives identifié par l’appelant et le paragraphe 31 de son mémoire peuvent suggérer, la directive sur l’intention du meurtre n’est pas véritablement contestée en appel. Il s’agit plutôt de l’absence de directive sur l’homicide involontaire coupable qui aurait induit le jury en erreur.
[12] Dans son mémoire, il énonce son reproche de la manière suivante :
L’appelant est d’avis que le juge de première instance a erré en omettant d’instruire le jury sur la mens rea minimale requise en matière d’homicide involontaire coupable et la prévisibilité objective de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère.
[13] Cet extrait est incomplet. Dans ses directives, immédiatement avant l’extrait cité, le juge explique bien l’intention de l’infraction de meurtre :
Afin de conclure qu'une mort causée de façon illégitime constitue un meurtre, la poursuite doit prouver que Maxime Chicoine-Joubert avait soit l'intention de causer la mort de Simon-Olivier Bendwell ou qu'il avait l'intention de lui infliger des lésions corporelles qu'il savait de nature à causer la mort de Simon-Olivier Bendwell et qu'il comprenait la probabilité que Simon-Olivier Bendwell meure de ces blessures, mais a décidé de courir ce risque et lui infliger ces blessures quand même.
[14] Je ferme la parenthèse.
[15] La proposition de l’appelant, précisée à l’audience, est que le juge devait donner une directive complète sur l’homicide involontaire et encore plus après que le jury lui a demandé :
« Ce n’est pas clair pour nous la question d’homicide pour la sorte
(4) L’homicide involontaire coupable, ça veut dire quoi, avec un exemple svp.
Merci. »
[16] L’objectif des directives est d’« exposer aux jurés, dans un langage simple et compréhensible, les règles de droit qu’ils doivent appliquer en appréciant les faits » de l’affaire afin d’être outillés avec une compréhension exacte du droit : R. c. Daley,
[17] Lorsqu’il s’adresse au jury, le juge conserve toujours la possibilité de « donner son opinion sur des faits, avec parcimonie et prudence, sans se prononcer sur le verdict à venir, aussi fortement que les circonstances l’exigent, tout en avisant clairement les jurés qu’il s’agit non pas d’une directive, mais d’une opinion qui ne les lie d’aucune manière : R. c. Gunning,
[18] Toutefois, sans l’approbation des parties, un juge ne peut pas décider qu’en raison des faits, un jury n’a pas besoin d’une directive spécifique sur des éléments essentiels des infractions, aussi clairs que puissent paraître les faits. Dans un autre contexte certes, la Cour suprême rappelle ces principes, entièrement transposables :
[30] […] Dans tous les procès où il n’y a pas de plaidoyer de culpabilité ni aucun aveu de la part de l’accusé relativement à l’un ou à plusieurs des éléments essentiels de l’infraction, la question de savoir si le ministère public s’est acquitté de son fardeau se pose nécessairement et doit être soumise au jury pour qu’il la tranche. […]
[31] Ainsi, dans un procès avec jury, il n’appartient jamais au juge d’apprécier la preuve et de décider si le ministère public a prouvé l’un ou plusieurs éléments essentiels de l’infraction, pour ensuite donner des directives en conséquence au jury. Il n’importe pas de savoir jusqu’à quel point la réponse peut paraître évidente au juge. Il est également sans importance que le juge puisse être d’avis que toute autre conclusion serait contraire à la preuve. Le juge du procès peut exprimer une opinion sur la question lorsque cela est justifié, mais il ne peut jamais donner des directives à cet égard.
R. c. Gunning,
[19] Néanmoins, je rappelle que lorsqu’il est admis ou concédé par l’accusé que les faits à la base d’une accusation de meurtre donnent ouverture à l’homicide involontaire et écartent l’acquittement, il est inutile pour le juge de donner des directives sur l’infraction d’homicide involontaire : R. c. Miljevic,
[20] En l’espèce, il ne faisait aucun doute que l’appelant concédait le verdict d’homicide involontaire, ce qu’il a d’ailleurs fait à bon droit. Sa position contraire exprimée à l’audience est, avec égards, intenable. Clairement, je constate qu’il ne s’agissait pas d’un aveu de culpabilité. Plus précisément, le verdict pour l’homicide involontaire coupable n’était concédé en droit que si les faits conduisaient le jury à conclure que, d’une part, l’appelant avait porté le coup fatal et, d’autre part, qu’il n’avait pas l’intention requise pour un meurtre. Cette position, partagée par les parties et le juge au procès, ressort de manière non équivoque du dossier d’appel.
[21] En plaidoirie, l’avocate de l’appelant au procès, Me Giroux, a conclu sa plaidoirie sur « l’intention de tuer » de la manière suivante :
D’accord. Donc, en conclusion, est-ce que la Poursuite vous a prouvé hors de tout doute raisonnable que Maxime Chicoine-Joubert avait l’intention de tuer? Je vous soumettrai que non, parce qu’il était dans un état d’intoxication telle qu’il y a un doute raisonnable quant à l’intention requise pour qu’il y ait meurtre.
Donc, si ça devait être votre conclusion, vous devriez donc ne pas le déclarer coupable de meurtre, mais plutôt d’homicide involontaire.
[22] Cela n’est pas surprenant, car non seulement cette position était raisonnable et adoptée à bon droit, mais elle est confirmée par les échanges au procès.
[23] D’abord, au moment des discussions à propos de l’effet de l’intoxication, ainsi que sur les verdicts et sur le désistement de l’appelant de sa requête contestant la constitutionnalité de l’article 33.1 C.cr., un échange à trois se tient dans lequel Me Giroux approuve la manière d’envisager le verdict :
Me LOUIS BOUTHILLIER: Oui. Donc, simplement pour résumer ce qui a été mentionné, là, ça veut donc dire que la... la seule façon pour le jury d'en arriver à un acquittement dans cette cause-ci, c'est s'ils ont un doute raisonnable quant à l'auteur.
LE TRIBUNAL: Oui.
Me LOUIS BOUTHILLIER: S'ils en viennent à la conclusion que l'accusé est l'auteur, l'acquittement n'est pas possible.
LE TRIBUNAL: C'est ça. Et on en discutera ultérieurement, mais, de ce que je comprends, c'est qu'il y aura trois possibilités de verdict.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX: Hum hum. Exactement.
Me LOUIS BOUTHILLIER: Bien, c'est-à-dire, quatre.
LE TRIBUNAL: Bien, non, là, je veux dire, hormis la non-culpabilité, là.
Me LOUIS BOUTHILLIER: Oui.
LE TRIBUNAL: C'est homicide involontaire, meurtre deux, meurtre premier.
Me LOUIS BOUTHILLIER: Oui.
LE TRIBUNAL: On s'entend avec...
Me LOUIS BOUTHILLIER: Hormis la non-culpabilité sur la question de l'auteur.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX: Oui.
LE TRIBUNAL: C'est ça. Oui, absolument.
Me LOUIS BOUTHILLIER: Mais pas sur la question de l'intoxication. Parfait.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX: Oui oui, c'est ça.
[24] Par la suite, il n’y aura jamais de manifestation contraire à cette position. Lors de la conférence pré-directive, aucun commentaire n’a été formulé. Rien non plus, lorsque l’arbre décisionnel a été présenté aux parties, lequel reflète les possibilités des verdicts discutés. Voici d’ailleurs l’échange :
LA COUR: Oui, oui, il y a aucun souci, c’est parce que je vous fais grâce d’attendre. Alors, ensuite ça va être l’arbre décisionnel sur le meurtre, Madame, T-7. Et T-8 ça va être l’arbre décisionnel sur les voies de faits armés. Alors, avez-vous des commentaires sur la feuille de verdicts?
Me LOUIS BOUTHILLIER: Non.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX: Non, ça convient.
[25] Ainsi, je suis d’avis que le juge était dispensé de donner des directives au jury sur l’homicide involontaire coupable parce que l’accusé lui-même concédait sa culpabilité à cette infraction.
[26] Les directives et l’arbre décisionnel sont conformes à la concession de l’appelant formulée au procès à propos du verdict d’homicide involontaire.
[27] Le juge a eu raison d’aborder les directives comme il le fait.
[28] La question du jury exigeait-elle que le juge aborde cette infraction? À mon avis, la réponse du juge s’accorde avec les plaidoiries et les directives.
[29] L’argument monté par l’appelant, repris dans son mémoire et à l’audience, repose sur une confusion du jury entre la mens rea du meurtre et celle de l’homicide involontaire. Il impute cette confusion à la lecture parcellaire des directives et plus particulièrement en se fondant sur le passage repris plus haut au paragraphe [9] de mes motifs.
[30] Évidemment, une lecture d’un passage isolé des directives est un exercice qu’on ne peut pas faire; les directives doivent être lues comme un tout : R. c. Daley,
[31] Quoi qu’il en soit, la question du jury ne portait pas sur la mens rea, mais sur l’infraction d’homicide involontaire elle-même. Cela n’est pas étonnant. Les parties, le juge et l’arbre décisionnel leur enjoignaient de considérer l’homicide involontaire sans qu’ils aient reçu beaucoup d’explications sur l’infraction. Ce détail n’est donc pas passé inaperçu, ce qui témoigne du travail minutieux du jury.
[32] Dans sa réponse, le juge a brossé un portrait général des différents types d’homicides pour rapidement ramener le jury à l’arbre décisionnel et à la manière d’arriver au verdict pour le crime d’homicide involontaire coupable, c’est-à-dire après avoir conclu que l’appelant était l’auteur du coup de couteau et avoir écarté la mens rea du meurtre. Vu la concession en droit de l’appelant au procès, je ne suis pas d’avis que le juge avait à faire plus dans les circonstances de cette affaire où, encore une fois, tous s’entendaient.
[33] Dans le contexte de ce procès, il n’existe aucun motif d’intervention.
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[34] Quant à la plaidoirie du ministère public, soit le deuxième sujet abordé par l’appel, à l’audience, les parties s’en sont remises à leur argumentation écrite. L’appelant se plaint de certains commentaires concernant les témoignages de deux témoins et ensuite, de la réponse du juge au reproche qu’avait formulé l’appelant au procès. Je propose de rejeter ce moyen d’appel.
[35] L’appelant prétend que la poursuite a attaqué la crédibilité de deux témoins, M. Éric Pierre-Louis et Dr Louis Morissette, sans leur avoir offert, au préalable, la possibilité de répondre pleinement aux inférences défavorables portant sur leur crédibilité qui allaient être plaidées par le ministère public.
[36] Le contexte est le suivant concernant M. Pierre-Louis. Il est l’ami de l’appelant et le ministère public lui a posé des questions en relation avec la vidéo de surveillance sur laquelle il apparaît. Il est alors très près de l’appelant puisqu’il tente de le contenir. On y voit l’appelant qui est manifestement agressif. Plus précisément, immédiatement après que l’appelant bouscule un premier jeune homme, on y voit M. Pierre-Louis qui regarde en direction des mains de l’appelant. Puis, rapidement, le coup fatal est porté à la victime, bien que les images ne soient pas claires à ce moment précis.
[37] En interrogatoire, M. Pierre-Louis a nié avoir vu une arme dans la main de l’appelant. Or, les images peuvent laisser penser le contraire. En plaidoirie, le ministère public a invité le jury à ne pas croire le témoin sur cet aspect précis.
[38] Dans l’arrêt R. c. Lambert,
[24] L’appelant argue que, en l’absence de déclaration d’hostilité, la poursuite ne pouvait « attaquer son témoin » lors de sa plaidoirie.
[25] Au cours de la présentation de ses arguments aux jurés, l’avocat de la poursuite leur a demandé de s’interroger sur la véracité de certains aspects du témoignage d’Elias Fattouch, notamment lorsqu’il contredisait le témoin Guy sur sa connaissance de l’appelant, sur la couleur du véhicule que son frère et lui utilisaient et sur sa participation à des crimes. Selon l’appelant, l’avocat ne pouvait agir de la sorte.
[26] L’appelant fait fausse route. Il confond la prohibition de présenter une preuve dans le but de contredire son propre témoin et le droit d’un avocat de rappeler aux jurés que, selon une règle bien établie, ils peuvent croire un témoignage en partie seulement. L’art 9 de la Loi sur la preuve n’interdit pas une telle plaidoirie, d’autant qu’en l’espèce l’avocat prend soin de ne pas donner son opinion ferme, se limitant à identifier des pistes d’analyse sur certains aspects particuliers du témoignage. C’est d’ailleurs l’opinion des auteurs Béliveau et Vauclair dans leur Traité général de preuve et de procédure pénale, paragr. 1202, note 3401, se référant aux paragr. 9 et 11 de R. v. Biniaris (1998), 124 C.C.C. (3d) 58 (C.A.C.-B.), infirmé pour d’autres motifs à
[Soulignement ajouté]
[39] C’est précisément le cas ici. Le reproche concernant le témoignage de
M. Pierre-Louis est sans fondement.
[40] Quant au Dr Morissette, expert en psychiatrie, son témoignage devait expliquer au jury les capacités d’analyse, de réflexion et d’action de l’appelant, lesquelles étaient perturbées par des substances intoxicantes. Le ministère public l’a donc contre-interrogé sur les images captées.
[41] Toutefois, ce sujet a été précédé de quelques questions sur le travail de préparation de son rapport ainsi que sur son emploi du temps qu’il disait chargé à cette époque. L’expert a convenu qu’il n’avait pas assisté au procès. Questionné ensuite sur les documents consultés pour formuler son opinion, les images de la preuve vidéo ont été abordées.
[42] L’expert a répondu qu’en principe, il ne regarde pas les vidéos, puisqu’il est d’avis que cela est peu utile. Par conséquent, il n’avait pas vu les images en cause avant l’heure du midi, le jour même de son témoignage. Il les a regardées à la demande de l’avocate de l’appelant. Néanmoins, il a expliqué n’avoir « rien de plus intéressant ou intelligent à dire là-dessus » et ne pas avoir l’expertise pour les interpréter.
[43] Il faut savoir que le ministère avait préalablement contre-interrogé un toxicologue judiciaire, M. Dion, sur la compatibilité entre les images de la vidéo et le niveau d’intoxication de l’appelant. Des réponses avaient été obtenues. Également, en contre-preuve après le témoignage du Dr Morissette, il a interrogé un autre expert en psychiatrie, le Dr Chamberland, qui, lui, avait jugé utile de visionner la vidéo avant de rédiger son rapport. Ce témoin a donc nuancé l’affirmation de son collègue quant à la pertinence des images tout en convenant que, parfois, cela ajoute peu à l’analyse. Cela dit, dans les circonstances, le Dr Chamberland était d’avis que la vidéo suppléait utilement à l’absence de mémoire de l’appelant à propos des événements.
[44] Finalement, en plaidoirie, l’avocat du ministère public a dit ceci :
Bien, le docteur Morissette vous a dit que, avant la journée de son témoignage, lui il n’a pas jugé nécessaire de voir ces vidéos-là. Qu’est-ce que vous pensez, vous, de cette affirmation-là? Que le vidéo, que ce n’était pas nécessaire de les voir. N’oubliez pas que le docteur Morissette devait évaluer l’état mental de l’accusé au moment du crime. Or, le crime, il est pratiquement sur vidéo, sauf les moments où ça gèle, le crime est pratiquement sur vidéo. Donc, je vous pose une question. Vous est-il permis de penser que les vidéos allaient à l’encontre de son opinion et qu’il a préféré les écarter? Ça, ce sera à vous de le décider.
[45] Cette remarque était inutile et, de plus, elle est contraire à la preuve. Le Dr Morissette a expliqué qu’il ne visionne jamais les vidéos, certes, mais qu’il l’avait fait sur l’heure du midi. Il a ensuite précisé qu’il n’avait rien à ajouter d’intéressant ou d’intelligent sur celles-ci. Bref, la preuve ne révèle pas qu’il « aurait préféré écarter » la vidéo; plutôt, il ne se préoccupe jamais de ce type de preuve. De toute façon, il n’avait rien à dire sur les images qu’il a vues.
[46] Quoi qu’il en soit, au procès, le problème discuté fut essentiellement que le ministère public avait enfreint un principe d’équité en omettant de donner la chance au témoin de s’expliquer. Encore une fois, je ne vois pas d’emblée cette omission par le ministère public, mais le juge s’est rangé à l’opinion de l’appelant. Une directive correctrice a donc été donnée au jury. Cette directive était la réparation suggérée que l’appelant avait approuvée. Il n’y a pas lieu d’intervenir.
[47] En appel, pour la première fois, l’appelant ajoute que le ministère public a invité le jury à spéculer. Voilà peut-être le bon reproche, mais à l’évidence, le juge n’a pas eu l’occasion d’y répondre ou de le corriger. Je note cependant que les directives faisaient comprendre au jury, comme il se doit, que les conjectures ou la spéculation ne devaient pas faire partie de son analyse. Cette directive a semblé satisfaire l’appelant au procès, avec raison, et rien ne justifie une intervention en appel.
[48] Je suis d’avis qu’avec ou sans la directive, l’appelant ne démontre pas que la plaidoirie du ministère public était fautive au point où cela a eu un impact sur l’équité du procès.
[49] Ainsi, le reproche concernant le témoignage du Dr Morissette est également sans fondement.
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[50] Pour tous ces motifs, je propose de rejeter l’appel.
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MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE BACHAND |
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[51] Avec beaucoup d’égards pour l’opinion contraire, j’estime que le juge de première instance n’a pas répondu de manière adéquate aux questions que le jury lui a posées durant ses délibérations. Étant également d’avis qu’il existe une possibilité raisonnable que les jurés se soient mépris sur la mens rea requise en matière de meurtre au deuxième degré, je conclus que l’appel devrait être accueilli et un nouveau procès ordonné relativement au premier chef d’accusation.
* * *
[52] L’affaire a pour origine une altercation au cours de laquelle un jeune homme de 18 ans, Simon-Olivier Bendwell, a été poignardé à mort alors qu’il se promenait avec un ami au centre-ville de Montréal.
[53] Au procès, l’appelant soutenait que la preuve n’établissait pas qu’il était la personne ayant porté le coup fatal à M. Bendwell. Il prétendait au surplus qu’au moment de l’incident, il était intoxiqué au point de ne pas pouvoir former l’intention de tuer, et encore moins d’agir de manière préméditée. Il reconnaissait toutefois que, dans l’éventualité où la preuve établirait qu’il avait porté le coup fatal, il devait à tout le moins être déclaré coupable d’homicide involontaire (paragraphe 222(5) C.cr.). Ainsi, l’homicide involontaire coupable était concédé, mais seulement dans l’hypothèse où l’argument de l’appelant quant à l’identité du meurtrier de M. Bendwell ne serait pas retenu par le jury.
[54] Dans ses directives, dont les jurés ont reçu copie, le juge a commencé son exposé relatif aux infractions en cause en citant les extraits pertinents des articles 222, 229 et 231(1) C.cr. Il a enchaîné en fournissant les explications suivantes :
[125] L’article 222(1) nous dit simplement en quoi consiste un homicide. L’homicide consiste à causer la mort d’un être humain.
[126] L’article 222(2) nous dit qu’il y a deux sortes d’homicides : coupable ou non coupable. Coupable veut dire simplement ce à quoi on peut attacher une responsabilité criminelle. Je suis sûr que vous pouvez tous imaginer des situations où une personne cause la mort d’un autre être humain, dans des circonstances qui n’impliquent pas une responsabilité criminelle. Un exemple est : si une personne conduit son auto sur une rue, en respectant toutes les consignes, et elle frappe et tue quelqu’un qui sortait entre deux camions stationnés en courant. Dans ce cas, la personne qui conduit l’auto a commis un homicide, parce qu’elle a causé la mort d’un être humain, mais l’homicide n’est pas coupable, parce que le conducteur ne pouvait rien faire pour éviter de frapper le piéton.
[127] En d’autres mots, le décès est le résultat d’un accident. C’est un homicide, mais ce n’est pas un homicide coupable. Pour devenir un homicide coupable, le sous-paragraphe (5) de l’article 222 nécessite que la mort soit causée par un acte illégal. Le sous-paragraphe (4) de l’article 222 dit qu’il y a trois sortes d’homicides coupables : le meurtre, l’homicide involontaire coupable et l’infanticide.
[128] Dans ce cas-ci, ce qui nous concerne, c’est le meurtre tel que défini à l’article 229, sous paragraphe (a) et l’homicide involontaire coupable.
[129] L’article 231(1) nous dit que le meurtre est soit de premier degré ou de deuxième degré.
[Caractères gras dans l’original; soulignements ajoutés]
[55] Dans la section suivante de ses directives, le juge s’est employé à instruire les jurés sur la première question qu’ils devaient se poser, soit celle de savoir si l’appelant était la personne ayant poignardé à mort M. Bendwell. Après avoir résumé les éléments de preuve pertinents, il leur a expliqué que, dans l’éventualité où ils répondraient à cette première question par la négative, ils n’auraient d’autre choix que de prononcer un verdict d’acquittement.
[56] Puis, le juge a expliqué que, dans le cas contraire — c’est-à-dire, si les jurés concluaient que l’appelant avait bel et bien poignardé à mort M. Bendwell —, se poserait alors une deuxième question, soit celle de savoir si l’appelant avait, ce faisant, posé un geste illégitime. Le juge a alors indiqué aux jurés qu’ils n’auraient pas à pousser l’analyse plus loin, car il ne faisait aucun doute que poignarder quelqu’un constituait un geste illégal et donc illégitime.
[57] Le juge a ensuite discuté de la troisième question qui se poserait alors, soit celle de savoir si, en poignardant à mort M. Bendwell, l’appelant avait l’état d’esprit requis pour commettre un meurtre. Voici ce qui leur a dit :
[188] Si vous en arrivez à la conclusion que M. C.-J. n’avait pas l’intention de causer la mort ni des blessures de nature à causer la mort, M. C.-J. aura commis un homicide involontaire.
[58] Par la suite, le juge a résumé la preuve pertinente quant à l’état d’esprit de l’appelant au moment de l’incident, y compris celle relative à son niveau d’intoxication. Au terme de son analyse, il a expliqué aux jurés que, dans l’éventualité où ils concluraient que la preuve n’établissait pas que l’appelant avait l’intention requise au moment de l’incident, ils devaient le déclarer coupable d’homicide involontaire.
[59] Le juge a poursuivi en expliquant que, dans le cas contraire, les jurés auraient à poursuivre l’analyse en se posant une quatrième question, soit celle de savoir si l’appelant avait non seulement l’état d’esprit requis pour commettre un meurtre, mais également celui requis pour commettre un meurtre au premier degré. Puis, il a pris soin d’instruire le jury sur l’infraction de meurtre au premier degré. Voici ce qu’il leur a dit avant de revenir sur certains éléments de la preuve administrée lors du procès :
[236] Tous les meurtres ne sont pas nécessairement du premier degré. Afin d’établir que le meurtre commis par [sic] en est un du premier degré, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable que M. C.-J. a non seulement commis le meurtre de S.-O. B., mais que ce meurtre était à la fois prémédité et, qu’il a été commis de propos délibéré. Il ne suffit pas que la poursuite prouve que le meurtre était soit délibéré ou qu’il a été commis de propos délibéré. Afin d’établir que le meurtre de S.-O. B. en était au premier degré, la poursuite doit prouver chacun de ces deux éléments.
[237] C’est le meurtre lui-même qui doit avoir fait l’objet de préméditation et qui doit avoir été commis de propos délibéré.
[238] Par « préméditation » on entend que l’acte a été planifié. On utilise le terme « planifier » couramment dans la vie de tous les jours. Sa signification est la même ici. C’est-à-dire un projet soigneusement réfléchi et dont les conséquences ont été considérées et comprises.
[239] La préméditation n’a pas besoin d’être un plan complexe ni même raisonnable. Il pourrait s’agir d’un plan tout simple et facile à accomplir. Le facteur important ici est le temps mis à développer ce plan et non le temps écoulé entre la préméditation et l’accomplissement de l’acte prémédité. On peut préméditer un acte et l’accomplir immédiatement. Mais on peut tout aussi bien préméditer un acte et puis attendre, et même attendre longtemps avant d’accomplir l’acte prémédité.
[240] Un meurtre prémédité en est un qui résulte de l’accomplissement d’un acte planifié d’avance. Un meurtre commis sous l’emprise d’une pulsion soudaine et irréfléchie ne constitue pas un meurtre au premier degré, même si la personne agit avec l’intention de tuer sa victime.
[241] L’expression « de propos délibéré » n’est pas couramment utilisée dans la vie de tous les jours. Cette expression signifie que l’acte était réfléchi et non impulsif, soupesé et non improvisé ou précipité, « de propos délibéré » signifie que l’acte a été mûri.
[242] Un acte accompli de propos délibéré en est un pour lequel on a pris le temps d’examiner les pour et les contres. Cette réflexion doit avoir eu lieu avant que l’accomplissement de l’acte de poignarder S.-O. B. ne commence. Un meurtre commis sous l’emprise d’une pulsion soudaine et irréfléchie ne constitue pas un meurtre au premier degré, même si la personne a agi avec l’intention de tuer sa victime.
[60] Le juge a terminé son exposé en abordant diverses questions qui ne sont pas pertinentes dans le cadre du présent pourvoi.
[61] À la lecture des directives du juge, quatre éléments retiennent tout particulièrement l’attention :
* * *
[62] Alors qu’il délibérait depuis une journée, le jury a transmis au juge la note suivante :
Bonjour,
P. 17 et 18
Ce n’est pas clair pour nous la question
d’homicide pour la sorte
(4) L’homicide involontaire coupable
ça veut dire quoi, avec un exemple svp
Merci
[63] Après avoir reçu cette note, le juge s’est entretenu durant une trentaine de minutes avec les avocats des parties, hors la présence du jury.
[64] Les discussions ont notamment porté sur l’opportunité de répondre à la seconde question des jurés, soit celle demandant qu’on leur donne un exemple d’homicide involontaire coupable. Le juge a évoqué la possibilité de donner l’exemple d’une personne nettoyant une arme qu’elle pense ne pas être chargée et qui, en la manipulant, tire accidentellement sur une autre personne et, ce faisant, lui inflige des blessures mortelles. Il a cependant convenu, lors d’échanges subséquents avec l’avocate de l’appelant, que l’exemple était mal choisi étant donné qu’il s’agissait en réalité d’un cas d’homicide involontaire non coupable — un simple accident —, plutôt que d’un cas d’homicide involontaire coupable. Il a finalement décidé qu’il serait préférable de ne donner aux jurés aucun exemple d’homicide involontaire coupable.
[65] Les discussions ont également porté sur la première question posée par les jurés. L’avocat de l’intimé a insisté sur l’importance de bien leur expliquer que la distinction entre l’infraction de meurtre et celle d’homicide involontaire coupable réside dans l’intention. Puis, lorsque le juge a évoqué la possibilité de reprendre l’arbre décisionnel remis préalablement aux jurés, l’avocat de l’intimé a indiqué que, selon sa compréhension de la jurisprudence pertinente, il fallait éviter de répondre à une question du jury en répétant simplement ce qui leur avait été dit lors de l’exposé initial. L’avocate de l’appelant a alors indiqué qu’elle était d’accord avec son confrère sur ce point.
[66] Le juge a ensuite indiqué qu’il envisageait de répondre aux jurés en répétant les paragraphes 126 et 187 de ses directives ainsi que l’arbre décisionnel relatif au chef de meurtre. L’avocate de l’appelant est alors intervenue en insistant sur le fait que le juge ne devrait pas s’en tenir à l’arbre décisionnel et devrait plutôt expliquer davantage la différence entre la mens rea requise en cas de meurtre et celle requise en cas d’homicide involontaire coupable. Le juge a répondu que, selon lui, le paragraphe 187 de ses directives fournissait déjà toutes les précisions nécessaires.
[67] Quelques minutes plus tard, le juge a répété son intention de s’en tenir aux paragraphes 126 et 187 de ses directives. S’en est suivi un échange lors duquel tant l’avocat de l’intimé que l’avocate de l’appelant ont réitéré au juge leur suggestion de répondre de manière plus complète à la note transmise par le jury, notamment en donnant un exemple d’homicide involontaire coupable. Le juge a toutefois conclu qu’il considérait inopportun de le faire et qu’il préférait s’en tenir aux paragraphes 126 et 187 de ses directives ainsi qu’à l’arbre décisionnel relatif au chef de meurtre. Il a également noté au passage qu’il estimait inapproprié d’inviter les jurés à lui poser des questions supplémentaires dans l’éventualité où ces derniers ressentiraient le besoin d’obtenir d’autres explications. Les extraits pertinents sont les suivants[1] :
LE TRIBUNAL:
Avec égard, là, je comprends... et, quand on lit 186... 126 lié à 187...
Me LOUIS BOUTHILLIER:
Oui, mais ça, c’est... vous, vous l’avez écrit puis vous l’avez pensé puis... mais, eux, ils sont... t’sais, ils sont probablement mélangés là-dedans, mais ce que vous pouvez faire, peut-être, c’est justement ce que vous venez de dire, relier 126 à...
LE TRIBUNAL:
À 187.
[…]
Me LOUIS BOUTHILLIER:
Et, ensuite, en les invitant de poser d’autres questions si ce n’est pas clair.
LE TRIBUNAL:
Non, je ne les inviterai pas à poser d’autres questions. Ça aussi, la jurisprudence nous dit de ne pas susciter nécessairement des questions au jury.
Me LOUIS BOUTHILLIER:
Mais c’est parce que, là, vous n’allez pas répondre complètement à leur question parce que vous ne donnerez pas d’exemple. Ils vous demandent des exemples.
LE TRIBUNAL:
Mais il y en a un exemple à 126, je vais leur relire l’accident d’auto.
[…]
LE TRIBUNAL:
Oui, mais c’est pour ça que la troisième question, c’est: « Avait-il l’état d’esprit requis pour l’infraction de meurtre? ». Donc, avait-il l’intention. C’est ce qu’on dit, l’état d’esprit, l’intention de.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX:
Oui, mais, moi... c’est ça, mais je pense qu’il faut vraiment que le jury... avec cette question là, le jury doit vraiment comprendre que c’est l’intention de tuer et non pas seulement l’intention de blesser ou de poser un geste illégal à l’égard de la personne.
LE TRIBUNAL:
Mais c’est l’intention de tuer ou de lui causer des blessures...
[…]
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX:
[…] Ce que je voudrais que les jurés comprennent, je pense, c’est le sens de leur question, c’est qu’il peut avoir l’intention de poser le geste illégal sans nécessairement avoir l’intention de causer la mort. Et, ça, c’est un homicide.
Me LOUIS BOUTHILLIER:
Pourquoi vous ne donnez pas le même exemple qu’à 126?
LE TRIBUNAL:
Ce n’est pas nécessairement de l’intention de lui causer la mort, c’est des... aussi de lui infliger des blessures qu’il savait être susceptibles de causer la mort.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX:
Oui, mais, ça, c’est... tout ça, c’est pour le meurtre. Maintenant, pour l’homicide involontaire, ce n’est pas les blessures susceptibles de nature à causer la mort, c’est d’autre chose. C’est l’intention... si j’ai l’intention de frapper quelqu’un, je suis fâché, je vais lui donner un coup de poing au visage, il fait un anévrisme cérébral puis il meurt, c’est un homicide, ce n’est pas un meurtre. Mon intention, ce n’était pas de le tuer, c’était de le frapper.
LE TRIBUNAL:
Oui.
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX:
Mais, oui, mais ça, c’est une blessure que je ne savais pas, moi, qui était de nature à lui causer la mort. Vous voyez? Donc, l’intention de tuer, c’est deux façons. C’est soit que tu veux vraiment tuer puis tu prends les moyens pour ou tu t’en fous que tu vas le tuer, tu sais que la blessure est grave à un point que ça va entraîner sa mort et que tu en es complètement insouciant. Ça, c’est l’intention du meurtre. Ce n’est pas l’intention de l’homicide. L’intention de l’homicide, c’est autre chose, c’est de poser le geste illégal.
LE TRIBUNAL:
Maître Bouthillier?
Me LOUIS BOUTHILLIER:
Oui, je pense que la façon dont l’arbre décisionnel est fait, vous pouvez relier 126 à 187 et y juxtaposer l’arbre décisionnel et je pense qu’à ce moment-là, ça risque de faciliter la compréhension du jury.
L’autre façon, ce serait de donner un exemple à 126. Un exemple supplémentaire qui serait si, par exemple, je conduis ma voiture et que je conduis à cent kilomètres/heure (100 km/h) dans une zone de trente (30) où il y a un parc et que, en même temps, je texte à mon ami et que je change de poste de radio et que je conduis à cent kilomètres/heure (100 km/h) et que je frappe un enfant. Bien, là, c’est sûr que j’ai commis un acte illégal et j’ai tué quelqu’un. […]
[…]
Me MARIE-HÉLÈNE GIROUX:
Moi, je trouve qu’on est trop loin du cas aussi. Parce que ça laisse penser que c’est des gestes plus ou moins inoffensifs. Là, texter au volant, ça peut être une infraction à un Code de sécurité routière. C’est sûr que c’est négligent de le faire, mais on reste dans la négligence, donc on n’est plus dans le geste illégal.
Parce que l’exemple classique qu’on donne normalement dans le... normalement, qu’on voit en jurisprudence, l’exemple classique d’un homicide involontaire, c’est la bagarre. Tu as l’intention de te bagarrer, tu te bats, tu te bats, donc tu lui donnes coup de poing, tu le frappes, tu as un échange de coups puis la personne tombe puis va se frapper la tête au sol. Donc, elle est morte, mais ton geste illégal, c’est de l’avoir frappée. Tu ne voulais pas la tuer en la frappant, tu voulais juste... lui casser la gueule, pardonnez-moi l’expression, mais tu ne voulais pas la tuer. Mais elle est morte. Donc, ça, c’est vraiment le geste illégal.
Parce que si on donne des gestes illégaux, il y a des gestes illégaux innocents, genre, je texte au volant et puis je mets la voiture... la musique trop forte, ils vont exclure immédiatement un coup de poing, un coup de poignard, là.
LE TRIBUNAL:
Mais, avec égard, je n’ai pas l’intention de donner d’exemple, je pense que ce n’est pas... c’est dangereux. Je pense que... pour l’instant puis s’ils ont des problèmes ils reviendront, mais je vais revoir avec eux la page 18, je vais revoir avec eux 126 et le lier avec 187, et je vais m’en remettre à cela. Et avec l’arbre décisionnel. Je pense que c’est la meilleure façon, a priori, de régler la situation. On peut demander au jury de venir, Monsieur Bachand. Et 127.
[Soulignements ajoutés]
[68] Le juge s’est adressé aux jurés immédiatement après avoir échangé avec les avocats des parties. Il a débuté en attirant leur attention sur les paragraphes de ses directives initiales reproduisant les extraits pertinents des articles 222, 229 et 231(1) C.cr. Il a ensuite relu les paragraphes 126 et 127 de ses directives et, ce faisant, il a répété l’exemple d’homicide involontaire non coupable qu’il leur avait préalablement donné. Puis, il a repris l’arbre décisionnel relatif au chef de meurtre ainsi que le paragraphe 187 de ses directives, tout en répétant que, si la preuve n’établissait pas que l’appelant avait l’état d’esprit requis pour commettre un meurtre en poignardant M. Bendwell, il devait être déclaré coupable d’homicide involontaire. Voici ce qu’il a dit aux jurés dans la dernière partie de son exposé[2] :
LE TRIBUNAL :
[…] [V]ous posez une question sur l’homicide involontaire et on retrouve l’homicide involontaire seulement au niveau de la troisième question. D’accord? Pourquoi on retrouve ça? C’est parce qu’il y a le (inaudible) qu’il y ait préalablement la commission d’un geste illégal. Qui en l’occurrence, ici, serait le fait d’avoir donné un coup de couteau. D’accord?
Mais pour trouver monsieur Chicoine-Joubert coupable d’autre chose qu’un homicide involontaire, si vous êtes rendus à la troisième question, là, il y a la question de l’intention. D’accord? Et vous retrouvez ces éléments-là aux paragraphes 186 et suivants de mes directives. Euh, 187. D’accord? L’infraction de meurtre... alors, c’est se demander, la troisième question que vous avez à vous poser, c’est Maxime Chicoine-Joubert avait-il l’état d’esprit... l’un des états d’esprit requis par l’infraction de meurtre?
S’il n’a pas l’état d’esprit, s’il n’a pas l’intention, ça va être un homicide involontaire, appelons-le coupable ou pas pour les fins de l’exercice, c’est la même chose parce que vous êtes rendus à répondre à la troisième question, si jamais vous en êtes rendus à répondre à cette troisième question. D’accord?
Et, là, si vous répondez négativement à cette troisième question, monsieur Maxime Chicoine-Joubert aura commis un homicide involontaire, appelons-le coupable ou homicide involontaire, tout court, c’est la même chose. D’accord? C’est la même chose.
Si vous êtes rendus à cette troisième question-là et que vous vous posez la question de l’intention de monsieur. Là, ensuite, vous avez mes directives à 187 pour savoir s’il avait l’intention requise pour commettre un meurtre, soit au deuxième degré ou au premier degré.
Au deuxième degré, je vous ai expliqué qu’il avait l’intention de lui causer la mort ou de lui infliger des blessures...
« ... des lésions corporelles qu’il savait de nature à causer la mort de monsieur Bendwell et il comprenait la probabilité que monsieur Bendwell meure de ses blessures, mais a décidé de courir ce risque et de lui infliger ces blessures quand même. »
O.K.? Alors, encore une fois, comme le veut l’arbre décisionnel, si jamais vous répondez affirmativement à cette question-là, ça veut dire que monsieur Chicoine-Joubert aura commis un meurtre au deuxième degré.
Ensuite, vous devez vous poser l’ultime question, si vous êtes rendus là dans vos délibérations, est ce que ces gestes... le fait que ce soit monsieur Maxime Chicoine-Joubert qui a commis un geste illégal avec l’intention requise, ici, que vous retrouvez à 187 et suivants.
Là, ensuite, pour le meurtre au premier degré, il faut que vous vous posiez la question, est-ce que, tout ça, ça a été commis de façon préméditée et de propos délibéré? Et, si vous répondez affirmativement à cette question-là, ce sera un meurtre au premier degré. Si vous répondez négativement à cette question-là, ce sera un meurtre au deuxième degré. Voilà. Alors, c’est de la façon à laquelle je réponds à votre question. D’accord? Je vous souhaite une bonne suite de délibérations. Merci.
[Soulignements ajoutés]
[69] Immédiatement après la sortie du jury de la salle d’audience, l’avocate de l’appelant a exprimé son désaccord avec la réponse du juge. Son objection, qu’elle a répétée à plusieurs reprises lors d’un long échange avec le juge, tenait essentiellement au fait que ce dernier n’avait pas expliqué aux jurés qu’un constat selon lequel l’appelant savait qu’il infligeait à M. Bendwell des blessures de nature à lui causer la mort ne suffirait pas pour le déclarer coupable de meurtre.
[70] La discussion a repris le surlendemain. L’avocate de l’appelant a alors indiqué que l’omission sur laquelle elle avait insisté l’avant-veille lui paraissait d’autant plus importante que, après relu les directives initiales, elle avait réalisé que le paragraphe 188 laissait entendre qu’un verdict de meurtre devait être prononcé dans l’éventualité où les jurés concluraient que l’appelant avait eu l’intention d’infliger à M. Bendwell des blessures de nature à lui causer la mort. Elle a donc demandé au juge de rappeler le jury afin de lui donner des explications précises et détaillées sur la mens rea relative à l’infraction d’homicide involontaire.
[71] Étant d’avis que des explications supplémentaires n’étaient pas nécessaires, le juge a refusé de donner suite à cette demande. Il a également mentionné que les jurés auraient la possibilité de lui poser d’autres questions s’ils en ressentaient le besoin.
[72] Le lendemain, l’appelant a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré et de voies de fait armées.
* * *
[73] Je suis d’accord avec mon collègue le juge Vauclair que les directives initiales ne sont entachées d’aucune erreur justifiant l’intervention de la Cour.
[74] On pourrait penser que le juge a commis une erreur révisable en omettant d’instruire initialement le jury sur l’infraction d’homicide involontaire coupable. Comme la Cour suprême l’a récemment rappelé, les « directives obligatoires qui doivent être données dans chaque affaire » comprennent notamment « les éléments constitutifs de chaque infraction devant être soumise à l’appréciation du jury »[3] et, en l’espèce, l’infraction d’homicide involontaire coupable faisait partie des infractions soumises à l’appréciation du jury. Toutefois, puisque l’appelant avait concédé sa culpabilité dans l’éventualité où l’intimé prouverait qu’il était bien la personne ayant poignardé M. Bendwell, je conviens qu’il n’était pas nécessaire que le juge instruise le jury sur tous les éléments de l’infraction d’homicide involontaire dans son exposé initial. Les enseignements suivants de la Cour d’appel de l’Ontario sont applicables ici[4] :
[34] A charge to a jury is aimed at ensuring that “the jurors would adequately understand the issues involved, the law relating to the charge the accused is facing, and the evidence they should consider in resolving the issues”: R. v. Cooper, 1993 CanLII 147 (SCC),
[35] However, jury charges are meant to give jurors a functional understanding of what is required to adjudicate the actual issues in the specific case: R. v. Rodgerson,
Instructions on subjects that are not in issue should be avoided. To go where instruction is not required deflects the attention of the jury from the real issues, blurs the focus of the trial and risks jury confusion. The judge’s role is to decant and simplify, as much with reference to legal principles as to a review of the salient features of the evidence. Jury charges are not lectures to law students. Every chapter and every verse of an instruction may not be necessary because some elements or aspects of it are not in issue. The purpose of jury instructions is to inform the decision-maker to make an informed decision in the case they are trying. Nothing more. And nothing less.
[75] On pourrait aussi penser que l’incohérence entre les paragraphes 187 et 188 de ses directives constitue une erreur entachant, à elle seule, la validité du verdict de culpabilité. Cela est d’autant plus vrai que l’intimé reconnaît que le paragraphe 188 pose problème en ce qu’il laisse entendre, contrairement au paragraphe 187, qu’il suffisait à l’intimé de prouver que l’appelant avait eu l’intention d’infliger à M. Bendwell des blessures de nature à causer la mort pour prouver la mens rea requise en matière de meurtre au deuxième degré[5]. Toutefois, il est bien établi que les directives n’ont pas à être parfaites[6], et je suis d’accord qu’au terme d’une analyse contextuelle et fonctionnelle des directives, il y a lieu de conclure que l’imperfection entachant le paragraphe 188 ne suffit pas pour conclure à l’existence d’une erreur justifiant l’intervention de la Cour.
* * *
[76] Comme je l’ai indiqué en introduction, j’estime que c’est du point de vue de la réaction du juge aux questions posées par les jurés que le bât blesse.
[77] Il est bien établi qu’il incombe au juge du procès de répondre de manière claire, correcte et complète aux questions du jury[7], à condition — évidemment — qu’elles soient pertinentes[8]. Il est également acquis qu’il s’agit d’une obligation fondamentale. Comme l’expliquait la Cour suprême dans l’arrêt Naglik, sous la plume du juge en chef Lamer, « [l]es réponses aux questions du jury revêtent une importance capitale, et leur effet dépasse de loin celui des directives principales »[9]. Peu de temps après, dans S. (W.D.), la Cour suprême, cette fois sous la plume du juge Cory, s’exprimait en des termes tout aussi forts : « [t]outes les questions émanant du jury sont extrêmement importantes »[10].
[78] La Cour suprême s’est également prononcée sur ce que l’on doit inférer des questions posées par les jurés. Si le juge reçoit une question à propos d’un point qu’il a abordé initialement, « il est évident que les jurés n’ont pas compris ou qu’ils ont oublié cette partie des directives principales »[11]. Les jurés doivent alors « compter exclusivement sur la réponse donnée par le juge du procès pour dissiper toute confusion ou régler tout débat sur ce point »[12], et c’est « ce qui rend encore plus dommageable toute erreur que le juge peut faire en […] répondant [à la question posée] »[13].
[79] Par ailleurs, la teneur et l’intensité de l’obligation incombant au juge de répondre de manière claire, correcte et complète aux questions du jury ne varient pas en fonction de la qualité des directives initiales : « [q]uelque exemplaire qu’ait pu être l’exposé original, il est essentiel que l’exposé supplémentaire sur le point soulevé par la question soit correct et complet »[14]. En outre, bien que le principe selon lequel les directives d’un juge au jury n’ont pas à être parfaites s’applique aussi aux réponses que le juge donne aux questions du jury, il « ne réduit cependant pas l’attention toute particulière que l’on doit accorder au caractère adéquat de ces réponses, dont l’influence ne peut être
sous-estimée »[15].
[80] Récemment, dans l’affaire Lehoux, la Cour a insisté tout particulièrement sur « l’impérative nécessité » que toute réponse à une question du jury soit préparée avec soin et non improvisée. L’extrait suivant de l’arrêt, dont les motifs ont été rédigés par mon collègue le juge Cournoyer, mérite d’être cité au long[16] :
[44] Par ailleurs, comme le souligne le juge Watt dans l’arrêt Cudjoe14, la nécessité de fournir au jury une réponse complète et correcte à une question ne justifie pas de succomber à une précipitation indue pour y répondre :
[134] Although I have found the trial judge’s response to the jury’s question caused no prejudice in the circumstances of this case, the need for a clear, correct, careful and comprehensive response to all jury questions warrants emphasis. Jury trials, especially the composition of jury instructions, are challenging work for all concerned. It makes little sense to sacrifice accuracy and completeness for immediacy of response. Questions from jurors that arise late in the evening, especially after a full day or longer of deliberations, may be better answered the following morning when everyone returns to their task more refreshed: R. v. Chahal, (2008)
[Les soulignements sont ajoutés]
[45] De plus, lorsque la question du jury est ambiguë, le juge du procès a le devoir de la faire clarifier par le jury avant d’y répondre; l’omission de le faire peut constituer une erreur révisable15. Une préoccupation particulièrement marquée dans la présente affaire.
[46] Par ailleurs, un élément indispensable, la réponse communiquée au jury doit non seulement être correcte et complète, mais elle ne doit pas être improvisée, car il convient qu’elle soit soigneusement rédigée.
[47] Dans son ouvrage, le juge Watt expose la raison d’être de cette impérative nécessité :
A final point is of crucial importance. Response to juror questions is no place for judicial extemporaneity. The consequences of error in further instructions, especially those on legal principle, should convince even the most self-assured and sure-footed trial judge of the absolute necessity of a fully-scripted response. Written out. Read aloud. Copy provided. No ad-libbing16.
[48] Puisque les questions d’un jury s’avèrent toutes importantes, le juge ne doit pas y répondre avec empressement ou à brûle-pourpoint. La réponse à ces questions appelle une rédaction attentive et rigoureuse qui n’est pas brusquée par une urgence inutile.
________
14 R. v. Cudjoe,
15 R. v. Mohamed (1991), 1991 CanLII 862 (BC CA), 64 C.C.C. (3d) 1 (C.A. C.-B.); R. v. Fleiner (1985), 1985 CanLII 3633 (ON CA), 23 C.C.C. (3d) 415 (C.A. Ont.); R. v. Bradshaw,
16 D. Watt, Helping Jurors Understand, Thomson Carswell, 2007, p. 260.
[Caractères gras ajoutés]
[81] Le rappel du cadre juridique applicable étant complété, revenons aux circonstances de la présente affaire.
[82] Le premier élément qui retient l’attention est que l’interrogation des jurés quant à l’infraction d’homicide involontaire coupable était certainement compréhensible et pertinente. Comme je l’ai souligné plus haut, le juge leur avait indiqué que les infractions en cause en l’espèce étaient celles de meurtre et d’homicide involontaire coupable. De plus, il leur avait expliqué — exemple à l’appui — ce que constitue un homicide involontaire non coupable et il les avait instruits sur la mens rea de l’infraction de meurtre, mais sans toutefois jamais les instruire sur celle requise en matière d’homicide involontaire coupable ni illustrer les éléments constitutifs de cette infraction à l’aide d’un exemple. Enfin — et comme le reconnaît l’intimé —, le juge s’était initialement exprimé de manière incohérente sur la mens rea requise pour un meurtre au deuxième degré, un élément qu’il est crucial de maîtriser pour distinguer correctement le comportement relevant de l’homicide de celui relevant du meurtre. Bref, il ne s’agit manifestement pas d’un cas où les questions posées par le jury étaient sans pertinence. Dans les circonstances, le juge se devait d’y répondre de manière claire, correcte et complète.
[83] Le deuxième élément qui retient l’attention est que le juge n’a jamais répondu directement aux questions des jurés. Il ne les a pas instruits sur l’homicide involontaire coupable et il ne leur a donné aucun exemple d’un tel homicide. Il s’est contenté de répéter certains aspects de ses directives initiales — dont l’exemple d’homicide involontaire non coupable —, et ce, sans expliquer pourquoi il estimait préférable de ne pas aborder davantage l’infraction d’homicide involontaire coupable et d’éviter d’en illustrer les éléments constitutifs à l’aide d’un exemple. Ces circonstances sont analogues à celles de l’affaire Layton[17], où, avant de conclure que le « juge du procès n’a[vait] pas répondu de façon concrète à la question posée par le jury »[18] et s’était contenté de « renvoy[er] les jurés à leurs délibérations sans leur donner aucun autre élément susceptible de les aider à saisir » les notions sur lesquelles ils semblaient embrouillés[19], la Cour suprême a constaté ce qui suit :
[23] En l’espèce, la juge du procès a pour l’essentiel répété textuellement son exposé initial. Dans certains cas, cette seule mesure peut s’avérer suffisante pour aider le jury. Par exemple, lorsque le texte de l’exposé initial n’a pas été remis aux jurés et que celui‑ci indique, dans sa question, qu’il a oublié cet exposé, il pourra suffire de répéter les directives. Ainsi, dans R. c. Desveaux (1986), 1986 CanLII 153 (ON CA), 26 C.C.C. (3d) 88 (C.A. Ont.), le jury avait demandé qu’on lui [TRADUCTION] « rappelle la différence entre le meurtre au premier degré, le meurtre au second degré et l’homicide involontaire coupable ». Dans R. c. M. (M.C.) (2003), 2003 CanLII 23732 (ON CA), 176 C.C.C. (3d) 263 (C.A. Ont.), le jury avait demandé au juge du procès de [TRADUCTION] « revenir sur la définition du doute raisonnable » (par. 27). La juge d’appel Cronk a déclaré que les directives par ailleurs correctes sur ce point données dans l’exposé principal [TRADUCTION] « n’étaient probablement pas fraîches dans l’esprit des jurés au moment de la reprise de l’exposé » (par. 45). Dans de tels cas, répéter les directives initiales constitue une réponse adéquate.
[24] Cependant, dans l’affaire qui nous occupe, le jury disposait du texte de l’exposé initial. Les délibérations duraient depuis une journée entière et la question du jury reprenait non seulement des termes figurant dans l’exposé initial mais mentionnait également une page précise de l’exposé. Il fait peu de doute qu’il existait une certaine confusion chez un ou plusieurs jurés au sujet de la norme de preuve à laquelle le ministère public doit satisfaire pour obtenir un verdict de culpabilité, et que le jury avait relu l’exposé.
[Soulignements ajoutés]
[84] Troisièmement, le juge s’est adressé aux jurés immédiatement après avoir discuté avec les avocats des parties de la suite à donner aux deux questions reçues quelques minutes plus tôt. Il ne s’est pas retiré pour réfléchir davantage à ces questions et consigner sa réponse dans un document dont une copie aurait ensuite pu être remise aux jurés. Il s’est exprimé immédiatement, à brûle-pourpoint, ce qui est problématique au regard des enseignements rappelés dans l’arrêt Lehoux.
[85] Par ailleurs, il est difficile de comprendre pourquoi, le surlendemain, alors que l’avocate de l’appelant venait d’attirer clairement son attention sur l’incohérence entre les paragraphes 187 et 188 de ses directives, le juge a refusé de rappeler les jurés afin de s’adresser à eux de nouveau. Cela est d’autant plus étonnant que cette incohérence permettait de comprendre la source probable de la confusion ressentie par les jurés. Alors qu’il aurait pu facilement éliminer tout risque que les jurés demeurent embrouillés sur ce point, le juge a préféré ne pas intervenir et s’en remettre à leur bon sens pour résoudre toute ambiguïté. Or, comme le soulignent mes collègues les juges Bich et Hamilton dans Primeau[20] :
Le juge peut certes compter sur l’intelligence, la bonne foi et la volonté de bien faire qui animent les jurés, mais ces derniers doivent pouvoir compter à leur tour sur une formation adéquate, car, ainsi que l’écrit le juge Rothstein dans Layton, « on ne saurait présumer qu’il est possible de s’en remettre au bon sens du jury à l’égard de notions juridiques telles la norme de preuve » ou, pourrait-on ajouter, telles les notions d’actus reus et de mens rea d’une infraction ou la définition de l’homicide involontaire coupable. De cette formation adéquate du jury dépend l’équité du procès, valeur fondamentale consacrée par la Charte canadienne des droits et libertés.
[Renvois omis; soulignements ajoutés]
[86] J’aurais été moins préoccupé par le refus du juge de rappeler les jurés s’il les avait préalablement invités à lui poser des questions supplémentaires dans l’éventualité où ils estimeraient, à la réflexion, que leur confusion n’avait pas été pleinement dissipée par son intervention. Or, il ne l’a jamais fait. À cet égard, on peut tracer un parallèle avec l’affaire Layton, où la Cour suprême a souligné la pertinence, aux fins de son analyse, du fait que la juge du procès s’en était tenue à reprendre certains éléments de ses directives initiales sans jamais inviter les jurés à lui poser d’autres questions au besoin[21].
[87] Je termine avec quelques observations sur l’affaire Miljevic[22], sur laquelle l’intimé a beaucoup insisté. Il est vrai qu’elle présente des similitudes avec la présente affaire et que celles-ci, au premier coup d’œil, sont frappantes : i) M. Miljevic était accusé de meurtre au deuxième degré; ii) l’infraction d’homicide involontaire coupable était concédée, à la différence toutefois que, contrairement à l’appelant, M. Miljevic reconnaissait avoir asséné le coup fatal; iii) le juge du procès n’avait pas instruit le jury sur l’infraction d’homicide involontaire coupable; iv) durant ses délibérations, le jury avait posé deux questions pratiquement identiques à celles posées en l’espèce[23]; v) dans sa réponse, le juge n’avait pas abordé en détail l’homicide involontaire coupable et il avait refusé d’en illustrer les éléments constitutifs à l’aide d’un exemple, préférant plutôt s’en tenir à un réexamen de la mens rea requise pour le meurtre au deuxième degré[24].
[88] Dans un arrêt très partagé, la Cour suprême a conclu que le juge du procès s’était acquitté de son obligation de répondre de manière claire, correcte et complète aux questions des jurés. Toutefois — et contrairement à l’intimé —, je suis d’avis que l’arrêt Miljevic ne scelle pas le sort de la présente affaire. La raison tient au fait que les deux affaires se distinguent en réalité de manière importante, et ce, à plusieurs égards.
[89] D’abord, rien ne donne à penser que les directives initiales dans Miljevic étaient entachées d’une imperfection comparable à l’incohérence entre les paragraphes 187 et 188 des directives initiales dans la présente affaire. Ce point me semble crucial, car, bien qu’elle n’entache pas à elle seule la régularité des directives initiales, cette incohérence rend d’autant plus probable que les jurés aient été réellement embrouillés quant à la distinction entre l’homicide involontaire coupable et le meurtre.
[90] Deuxièmement, dans Miljevic, le juge a répondu aux questions des jurés en leur expliquant, premièrement, que le Code criminel ne contient aucune définition de l’homicide involontaire coupable et, deuxièmement, pourquoi il estimait inopportun de leur donner un exemple[25]. On ne saurait donc dire que le « juge du procès n’a pas répondu de façon concrète à la question posée par le jury »[26] et s’est contenté de « renvoy[er] les jurés à leurs délibérations sans leur donner aucun autre élément susceptible de les aider »[27].
[91] Enfin, alors que, dans la présente affaire, le juge n’a jamais invité les jurés à lui poser des questions supplémentaires s’ils en ressentaient le besoin, dans Miljevic, la Cour suprême a pris soin de souligner que le juge avait non seulement invité, mais encouragé les jurés à lui poser des questions supplémentaires si ses réponses leur paraissaient insatisfaisantes[28].
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[92] Au terme de l’analyse du cadre juridique applicable et des circonstances de la présente affaire, j’arrive à la conclusion que le juge de première instance ne s’est pas acquitté de son obligation de répondre de manière claire, correcte et complète aux questions des jurés. Je suis également d’avis qu’il existe une possibilité raisonnable[29] que ces derniers se soient mépris sur la mens rea requise en matière de meurtre au deuxième degré.
[93] Pour ces motifs, j’estime qu’il y a lieu d’accueillir l’appel et d’ordonner un nouveau procès relativement au premier chef d’accusation.
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FRÉDÉRIC BACHAND, J.C.A. |
[1] M.A., vol. 11, p. 3319 et s.
[2] M.A., vol. 11, p. 3333 et s.
[3] R. c. Abdullahi,
[4] R. v. H.W.,
[5] A.I., paragr. 37.
[6] R. c. Abdullahi,
[7] R. c. S. (W.D.),
[8] Martin Vauclair, Tristan Desjardins et Pauline Lachance, Béliveau-Vauclair : Traité général de preuve et de procédure pénales, 30e éd., Montréal, Yvon Blais, 2023, p. 903 (no 33.33) : « le juge n’a pas à répondre aux questions non pertinentes ».
[9] R. c. Naglik,
[10] R. c. S. (W.D.),
[11] R. c. Naglik,
[12] R. c. Naglik,
[13] R. c. Pétel,
[14] R. c. S. (W.D.),
[15] Primeau c. R.,
[16] Lehoux c. R.,
[17] R. c. Layton,
[18] Id., paragr. 33.
[19] Id., paragr. 31.
[20] Primeau c. R.,
[21] R. c. Layton,
[22] R. c. Miljevic,
[23] « [TRADUCTION] En “langage courant”, quelle est la différence entre un meurtre au deuxième degré et un homicide involontaire coupable? Des exemples? […] Une définition précise de l’homicide involontaire coupable?” » (R. c. Miljevic,
[24] R. c. Miljevic,
[25] Ibid.
[26] R. c. Layton,
[27] Id., paragr. 31.
[28] R. c. Miljevic,
[29] R. c. Gunning,
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