Gil et Winners Merchants |
2008 QCCLP 5669 |
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[1] Le 30 avril 2008, Madame Carmen-Rosa Gil (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 mars 2008 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 décembre 2007 et déclare que les indemnités de remplacement du revenu doivent être suspendues du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008.
[3] La CSST confirme également la décision rendue le 14 janvier 2008 et déclare qu’elle était justifiée de suspendre les indemnités de la travailleuse à compter du 11 janvier 2008.
[4] L’audience s’est tenue le 26 août 2008 en présence de la travailleuse et de son représentant. L’employeur est absent à l’audience et il a transmis au tribunal des argumentations écrites la journée de l’audience.
[5] Un délai a été accordé afin de permettre une réplique au représentant de la travailleuse. L’employeur a également bénéficié d’un délai afin d’émettre des commentaires complémentaires. Le dossier est pris en délibéré le 2 octobre 2008.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[6] La travailleuse demande de reconnaître qu’elle a droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008 ainsi qu’à compter du 11 janvier 2008.
L’AVIS DES MEMBRES
[7] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête de la travailleuse puisque la preuve confirme qu’elle a fait preuve d’un motif valable pour s’absenter à l’extérieur du pays et qu’en conséquence, la CSST ne pouvait suspendre les indemnités de remplacement du revenu pour les périodes en cause.
LA PREUVE ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider du bien-fondé de la décision de la CSST de suspendre les indemnités de remplacement du revenu de la travailleuse selon l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1].
[9] A cet effet, l’article 142 édicte les conditions suivantes :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1° si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2° si le travailleur, sans raison valable :
a) entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b) pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d) omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180 ;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274 .
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1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[10] Après une revue de la preuve testimoniale et documentaire, le tribunal conclut que la décision de la CSST de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu pour la période du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008 ainsi qu’à compter du 11 janvier 2008 était mal fondée en faits et en droit.
[11] La preuve démontre qu’au mois de juillet 2007, la travailleuse demande la permission à son employeur de s’absenter afin de faire un voyage en Colombie pour une période de six semaines. La travailleuse qui est d’origine colombienne achète un billet d’avion le 1er octobre 2007 afin de rendre visite à sa sœur affligée d’une maladie grave. La travailleuse qui est très attachée à sa sœur n’a pas plus de père ni mère et souhaite voir sa sœur avant que sa maladie n’ait trop progressé. L’employeur consent à cette demande.
[12] Le 11 novembre 2007, la travailleuse subit un accident du travail et se blesse au cou et à la colonne dorsale et lombaire lorsque l’échelle, dans laquelle elle est installée, se déplace.
[13] Le 14 novembre 2007, le docteur Élyson recommande un arrêt de travail pour un dérangement intervertébral mineur (DIM) lombaire, un syndrome d’accrochage de l’épaule gauche et un DIM cervical et dorsal.
[14] Le 4 décembre 2007, l’agent de la CSST relate une discussion avec la travailleuse concernant son voyage en Colombie et s’interroge sur l’évolution des traitements de la lésion. Il rapporte que les traitements prescrits, à savoir les séances de physiothérapie, visent à améliorer la condition de la travailleuse puisque cette dernière n’est pas capable de travailler ou de faire de l’assignation temporaire.
[15] Le 5 décembre 2007, la CSST avise la travailleuse de la suspension des indemnités pour la durée du voyage à l’étranger.
[16] Le 6 décembre 2007, la CSST accepte la lésion cervicale, dorsale et lombaire et refuse la lésion à l’épaule gauche. Lors de cette même journée, le docteur Elyson, médecin qui fait le suivi de la travailleuse, communique avec la CSST afin d’informer la CSST de la condition de la travailleuse et s’assurer qu’elle ne sera pas pénalisée pour son voyage en Colombie.
[17] À ce sujet, la travailleuse confirme que son médecin l’a autorisée à se rendre à l’extérieur du pays en tenant compte de l’évolution de sa condition physique et du fait que la travailleuse proposait de continuer de faire ses traitements de physiothérapie puisque sa nièce est physiothérapeute en Colombie.
[18] Le 7 décembre 2007, l’agent rapporte que la travailleuse reviendra le 3 janvier 2008 plutôt que le 23 janvier 2008. Il informe à ce moment le fils de la travailleuse que les indemnités de remplacement du revenu ne seront pas autorisées pour sa période d’absence à l’extérieur du pays.
[19] Le 10 décembre 2007, le docteur Elyson n’autorise pas l’assignation proposée par l’employeur à compter du 8 décembre 2007. Une description des tâches est annexée au formulaire d’assignation temporaire.
[20] Un rapport de physiothérapie du 12 décembre 2007 confirme que les traitements sont suspendus pendant le voyage de la travailleuse à l’extérieur du pays.
[21] Finalement, la CSST rend les décisions du 12 décembre 2007 et du 14 janvier 2008 pour confirmer une suspension des indemnités de remplacement du revenu pour les périodes respectives du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008 et celle débutant le 11 janvier 2008.
[22] Dans sa décision en révision administrative, le réviseur indique que la travailleuse n’a pu changer sa date de retour, car elle aurait dû débourser 1 000 $.
[23] Il est confirmé que la travailleuse est revenue au Québec le 23 janvier 2008 et s’est présentée chez son médecin le lendemain.
[24] Le tribunal considère que selon les faits présentés ainsi que les explications fournies à l’audience, la travailleuse a démontré un motif valable qui aurait dû être pris en compte pour ne pas suspendre les indemnités de remplacement du revenu selon les dispositions de l’article 142 de la loi.
[25] À l’instar d’autres affaires[2], le tribunal retient qu’une absence de courte durée afin de se rendre auprès d’un parent malade lorsque cette absence est justifiée et que la CSST en est avisée constitue un motif valable au sens de l’article 142 de la loi.
[26] Dans notre affaire, l’employeur a autorisé la travailleuse à s’absenter bien avant que ne survienne la lésion et la CSST a été avisée de l’absence de la travailleuse avant son départ. Bien que l’absence se soit échelonnée sur six semaines, la travailleuse a pris des mesures pour poursuivre ses traitements à l’extérieur du pays. Ces mesures ont eu un impact favorable sur l’évolution de la lésion et l’on ne peut prétendre, comme le précise le représentant de l’employeur dans son argumentaire écrit, que l’absence de traitements prodigués au Québec ait retardé la guérison de la lésion.
[27] D’ailleurs, la pièce T1 déposée lors de l’audience confirme que la condition de la travailleuse n’a pas véritablement changé durant son absence, ce qui peut aussi survenir, que les traitements soient prodigués au Québec où à l’extérieur du Québec. Il n’y a donc pas eu une détérioration de la condition attribuable au voyage prolongeant ainsi la période de consolidation.
[28] Il est aussi inexact de prétendre que la travailleuse a fait preuve de mauvaise foi en choisissant de faire son voyage malgré la survenance d’une lésion professionnelle. La travailleuse a bien souligné le tiraillement auquel elle était confrontée eu égard à la condition de sa sœur affligée d’un problème de santé compte tenu de la proximité des liens familiaux entretenus et, d’autre part, les demandes des autorités concernant l’évolution de son dossier à la CSST.
[29] De plus, la travailleuse a entrepris sans succès des démarches dès son arrivée en Colombie afin de faire modifier la date de son retour, ce qui démontre sa préoccupation de concilier la durée de son voyage avec les informations obtenues de la part de la CSST.
[30] Quant à l’impossibilité pour l’employeur d’assigner la travailleuse, ce dernier devait certainement s’attendre à ne pouvoir rejoindre la travailleuse dans la semaine du 8 janvier 2008, sachant depuis l’été la durée prévue du voyage à l’étranger de la travailleuse.
[31] Le médecin avait aussi refusé la première assignation proposée le 10 décembre 2007, c'est-à-dire quelques jours avant le départ de la travailleuse.
[32] Le tribunal conclut donc que la travailleuse avait un motif non seulement valable pour ne pas se faire suspendre l’indemnité de remplacement du revenu, mais en plus, elle avait pris toutes les mesures pour informer les autorités concernées de cette absence qui était fondée sur des considérations raisonnables et non exagérées.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Carmen-Rosa Gil;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 mars 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail est mal fondée en faits et en droit et que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008 ainsi qu’à compter du 11 janvier 2008.
DÉCLARE que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour la période pendant laquelle elle a été suspendue, c'est-à-dire du 13 décembre 2007 au 3 janvier 2008 ainsi qu’à compter du 11 janvier 2008.
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Michel-Claude Gagnon |
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Monsieur Diego Angarita |
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Représentant de la partie requérante |
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Madame Sabrina Sportelli |
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WINNERS MERCHANTS |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L .R.Q., c. A-3.001.
[2] Akacha Elhouari et Pneus André Touchette inc., C.L.P. 343732-71-0803, le 3 juin 2008, D. Gruffy; Sedigheh Ghasemkhani et Hôpital général Juif Mortimer B. Davis, C.L.P. 299469-71-0609, le 23 mars 2007, S. Arcand; Altomare et Industrie Comfort Design inc., C.L.P. 256739-71-0503, 15 juillet 2005, D. Gruffy; Grondin et Entreprise Dominique Grondin, C.L.P. 115085-63-9904, 13 juillet 2000, D. Beauregard; Hendipour et 3377181 Canada Inc., C.L.P. 164597-71-0107, 26 mars 2002, D. Gruffy; Montreuil et Auberge de la fontaine, C.L.P. 229174-72-0403, 14 septembre 2004, F. Juteau.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.