Logis-Aide des Basques et D'Amours

2015 QCCLP 1579

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

Gaspé

19 mars 2015

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte - Nord

 

Dossier :

535546-01A-1403

 

Dossier CSST :

139530315

 

Commissaire :

Louise Desbois, juge administrative

 

Membres :

Gabriel Litalien, associations d’employeurs

 

Gérard Thériault, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

Logis-Aide des Basques

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Esther D’Amours

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 5 mars 2014, Logis-Aide des Basques (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 18 février 2014 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du 8 janvier 2014 de la décision rendue par la CSST le 20 décembre 2013 par laquelle cette dernière refuse de reconsidérer sa position quant à la base salariale retenue pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu de madame Esther D’Amours (la travailleuse) à la suite de la lésion professionnelle subie par cette dernière le 29 novembre 2013.

[3]           L’employeur a renoncé à la tenue de l’audience prévue le 2 octobre 2014 et a soumis ses représentations écrites, demandant qu’une décision soit rendue sur dossier. La travailleuse ne s’est pas présentée à l’audience bien qu’elle ait été dûment convoquée et elle n’a pas non plus demandé à produire une réplique à l’argumentation soumise par la procureure de l’employeur. Le dossier a conséquemment été mis en délibéré sur dossier comme le permettent les articles 429.14 et 429.15 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande au tribunal de conclure que la base salariale devant servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée à la travailleuse par la CSST doit être établie sur la base de la disponibilité au travail de la travailleuse qui n’est que de 20 heures par semaine et non sur la base d’un travail à temps complet.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête de l’employeur devrait être rejetée. Ils considèrent plus particulièrement que l’article 65 de la loi est clair et incontournable puisqu’il ne fait pas partie des articles énoncés à l’article 75 invoqué par l’employeur comme pouvant être contourné pour tenir compte de circonstances particulières et que la loi vise à protéger la capacité de gains d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle, ce qui implique notamment l’exercice éventuel d’un emploi à temps complet.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]           Le 29 novembre 2013, la travailleuse est victime d’une lésion professionnelle dans l’exercice de son emploi de préposée à domicile pour l’employeur.

[7]           Il n’est pas remis en question que la travailleuse travaillait alors chez l’employeur tout au plus vingt heures par semaine et même plutôt en moyenne treize heures par semaine. La travailleuse avait d’ailleurs signé un « formulaire de disponibilité » le 25 mars 2013 dans lequel elle indiquait que le nombre d’heures de travail désirées par semaine était de « 20 heures maximum ».

[8]           Ces faits sont signalés à l’agent d’indemnisation de la CSST le 19 décembre 2013 et rapportés comme suit par cette dernière dans les notes évolutives au dossier :

Titre : Appel de la mutuelle : Base de salaire

 

[…]

 

Mme nous indique que la T [travailleuse] a signé un formulaire de disponibilité qui confirme qu’elle n’est pas disponible plus que 20h par semaine. Mme indique donc que de ce fait, la CSST ne devrait pas indemnisé sur la base du salaire minimum puisque la T n’est pas disponible à temps plein.

 

Indiquons à Mme que les 3 seuls critères qui permettent à la CSST d’indemniser sous la base de salaire minimum sont : Travailleur incarcéré, étudiant temps plein ou travailleur ayant 2 emploi et capable d’en exercer un.

 

Mme demande une révision. Demandons qu’elle produise une demande de reconsidération de base de salaire, nous pourrons lui envoyer une lettre de refus et elle pourra la contester à ce moment.

 

[sic]

 

 

[9]           Ainsi, il s’avère que l’employeur déclare demander la révision de la position de la CSST, mais que cette dernière lui demande de plutôt en demander la reconsidération, qu’elle refusera, ce dont il pourra ensuite demander la révision.

[10]        Or, au stade de la révision, l’employeur se fait opposer le fait qu’il ne pouvait demander la révision du refus de reconsidération de la CSST!

[11]        La procureure de l’employeur n’évoque aucunement l’irrecevabilité de sa demande dans le cadre de ses représentations et ne soumet aucun argument à ce sujet.

[12]        Dans le contexte précité, le tribunal n’entend cependant pas s’étendre sur cette question : l’employeur a exprimé son désaccord avec la base de salaire retenue par la CSST dès qu’il l’a connue, moins de 30 jours après la survenance de la lésion professionnelle, et même s’il n’avait, selon la preuve, pas reçu de décision en ce sens, la CSST lui a indiqué la façon de procéder pour contester sa position et il a agi en ce sens le jour même. Il a en outre demandé la révision de la décision rendue le 20 décembre 2013 à l’intérieur du délai de 30 jours qui lui était accordé pour ce faire.

[13]        La demande de révision de l’employeur est dès lors jugée recevable.

[14]        Sur le fond, sa demande ne peut cependant être accueillie.

[15]        Il est ainsi prévu par la loi qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s’il ne peut, du fait de cette lésion, exercer son travail :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

[16]        Il est en outre prévu ce qui suit à l’article 45 quant à ce que doit représenter l’indemnité de remplacement du revenu :

45.  L'indemnité de remplacement du revenu est égale à 90 % du revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 45.

 

 

[17]        Le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est cependant prévu aux articles 63 à 82 de la loi.

[18]        La CSST appuie sa décision de retenir le salaire minimum d’un emploi exercé à temps plein comme base de salaire pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse sur l’article 65 de la loi :

65.  Aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d'emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.

__________

1985, c. 6, a. 65.

 

 

[19]        Le tribunal souligne que cette approche de la CSST selon laquelle l’article 65 de la loi réfère à un emploi exercé à temps plein sur la base du salaire minimum, et que l’indemnité de remplacement du revenu d’un travailleur ne peut en aucun cas être inférieure à celle calculée sur cette base, est conforme à ce que prévoit l’article 6 de la loi et s’appuie par ailleurs sur une abondante jurisprudence[2] correspondant au courant très largement majoritaire au sein du tribunal.

[20]        L’article 6 de la loi se lit comme suit :

6. Aux fins de la présente loi, la Commission détermine le salaire minimum d'un travailleur d'après celui auquel il peut avoir droit pour une semaine normale de travail en vertu de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1) et ses règlements.

 

Lorsqu'il s'agit d'un travailleur qui n'occupe aucun emploi rémunéré ou pour lequel aucun salaire minimum n'est fixé par règlement, la Commission applique le salaire minimum prévu par l'article 3 du Règlement sur les normes du travail (R.R.Q., 1981, chapitre N-1.1, r. 3) et la semaine normale de travail mentionnée à l'article 52 de la Loi sur les normes du travail, tels qu'ils se lisent au jour où ils doivent être appliqués.

__________

1985, c. 6, a. 6.

 

 

[21]        Or, la semaine de travail normale selon l’article 52 de la Loi sur les normes du travail[3] auquel réfère l’article 6 précité est de 40 heures par semaine :

52. Aux fins du calcul des heures supplémentaires, la semaine normale de travail est de 40 heures, sauf dans les cas où elle est fixée par règlement du gouvernement.

__________

1979, c. 45, a. 52; 1997, c. 45, a. 1; 2002, c. 80, a. 13.

 

[22]        La procureure de l’employeur demande quant à elle au tribunal de plutôt établir le revenu brut annuel d’emploi de la travailleuse en application de l’article 75 de la loi et de retenir dans ce contexte le salaire horaire de la travailleuse sur une base de 20 heures par semaine comme correspondant à son revenu aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu :

75.  Le revenu brut d'un travailleur peut être déterminé d'une manière autre que celle que prévoient les articles 67 à 74, si cela peut être plus équitable en raison de la nature particulière du travail de ce travailleur.

 

Cependant, le revenu brut ainsi déterminé ne peut servir de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu s'il est inférieur à celui qui résulte de l'application de ces articles.

__________

1985, c. 6, a. 75.

 

 

[23]        Or, force est pour le tribunal de constater que l’article 75 réfère précisément au fait que ce n’est que le calcul du revenu effectué en vertu des articles 67 à 74 qui peut être écarté en vertu de l’exception qu’il énonce, soit l’équité en raison de la nature particulière du travail d’un travailleur. L’article 65 ne fait indubitablement pas partie des dispositions pouvant être écartées en vertu de l’article 75.

[24]        La procureure de l’employeur dépose la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Correia et Au Dragon Forgé inc.[4] au soutien de ses prétentions.

[25]        Or, dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles écarte l’application de l’article 71 de la loi pour plutôt retenir un autre mode de calcul conformément à ce que prévoit l’article 75 de la loi. Il s’agissait dans ce cas d’une disposition (l’article 71) visée par l’article 75 (soit les articles 67 à 74), et non d’un cas, comme en l’instance, visé par l’article 65.

[26]        En outre, il est spécifiquement prévu à l’article 75 que celui-ci ne peut être utilisé que si le résultat du calcul effectué en vertu de celui-ci est supérieur à celui obtenu par l’application des articles auxquels il réfère. Ainsi, même si l’article 65 avait été visé par l’exception prévue à l’article 75, le tribunal n’aurait pu faire droit à la demande de l’employeur puisqu’il suggère un calcul du revenu brut dont le résultat est inférieur à celui qui résulte de l’application de l’article 65.

[27]        Incidemment, le tribunal souligne qu’il est bien établi dans la jurisprudence que les dispositions de la loi relatives au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu visent à protéger la capacité de gains d’un travailleur et non uniquement le revenu qu’il tirait de l’emploi exercé au moment de la survenance de sa lésion professionnelle. C’est d’ailleurs ce qui ressort notamment de la lecture de l’article 70 :

70.  Le revenu brut d'un travailleur qui subit une récidive, une rechute ou une aggravation est le plus élevé de celui qu'il tire de l'emploi qu'il occupe lors de cette récidive, rechute ou aggravation et du revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente.

 

Aux fins de l'application du premier alinéa, si la récidive, la rechute ou l'aggravation survient plus d'un an après le début de l'incapacité du travailleur, le revenu brut qui a servi de base au calcul de son indemnité précédente est revalorisé.

__________

1985, c. 6, a. 70.

 

 

[28]        Ainsi, un travailleur ayant travaillé au salaire minimum pendant des années, mais ayant subi une lésion professionnelle en 1985 alors que son revenu brut était élevé, pour ensuite reprendre un tel emploi pendant quelques années et finalement ne plus occuper d’emploi à compter de 2005, sera, s’il subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion de 1985 en 2015, indemnisé sur la base, revalorisée, du revenu qu’il tirait de son emploi en 1985 lorsqu’il a subi une lésion professionnelle.

[29]        Il va de soi que le travailleur reçoit alors une indemnité de remplacement du revenu annuelle plus élevée que son revenu annuel depuis 20 ans. Or, même l’article 75 ne permettrait pas de contourner cette situation puisque celle-ci n’a rien à voir avec « la nature particulière du travail du travailleur » et que, par ailleurs, cette disposition ne peut être utilisée pour réduire le revenu brut utilisé pour le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu d’un travailleur.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de l’employeur, Logis-Aide des Basques;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 18 février 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE recevable la demande de révision de l’employeur du 8 janvier 2014;

DÉCLARE que le revenu brut annuel d’emploi devant être retenu aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse, madame Esther D’Amours, correspond au salaire minimum annuel en vigueur le 29 novembre 2013.

 

 

 

 

Louise Desbois

 

 

 

 

Me Lyne Gaudreault

DUNTON RAINVILLE

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Voir notamment : Coulombe et Crawley McCraken ltée, [1986] C.A.L.P. 257, requête en évocation accueillie sur un autre point, [1987] C.A.L.P. 425 (C.S.), appel accueilli, [1994] C.A.L.P. 1810 (C.A.); Succession Ménard et Arcon Canada, [1986] C.A.L.P. 69, requête en évocation rejetée, [1987] C.A.L.P. 454, (C.S.), appel rejeté, [1994] C.A.L.P. 1809 (C.A.); Commission scolaire des Affluents et Clément, [2005] C.L.P. 756; Restaurant MacDonald's et Larin, [2005] C.L.P. 864; Paroisse de Saint-Élie et Casabon, C.L.P. 268564-04-0508, 15 mars 2006, D. Lajoie; Communauté des Soeurs de l'Assomption de la Sainte-Vierge et Paradis, C.L.P. 285214-04-0603, 31 juillet 2006, J.-F. Clément; Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, C.L.P. 273138-64-0509, 17 janvier 2007, M. Montplaisir;  Coopérative de solidarité en soutien et aide domestique des Moulins et Parenteau, C.L.P. 395867-63-0911, 2 juin 2010, S. Sylvestre.

[3]           RLRQ, c. N-1.1.

[4]           C.L.P. 315759-64-0704, 18 février 2009, D. Armand.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.