Décision

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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Beaudoin et autres) c. Gaz métropolitain inc.

2008 QCTDP 24

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-53-000204-030

 

 

DATE :

 18 septembre 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHÈLE RIVET

 

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

Me Yeong-Gin Jean Yoon

Madame Ginette Bouffard

______________________________________________________________________

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q., c. C-12], ayant son siège au 360, rue Saint-Jacques Ouest, Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de LINE BEAUDOIN, JOHANNE BOLDUC, MARIE-CLAUDE CÔTÉ, JOHANNE (JOAN) DUPONT, TANIA PLOURDE, SHIRLEY THOMAS ET NICOLE TRUDEL

Partie demanderesse

c.

GAZ MÉTROPOLITAIN INC, personne morale de droit privé, ayant son siège au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

et

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE GAZ MÉTROPOLITAIN, société ayant son siège au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

Parties défenderesses

et

 

 

JR 0330

 
LINE BEAUDOIN, JOHANNE BOLDUC, MARIE-CLAUDE CÔTÉ, JOHANNE (JOAN)

DUPONT, TANIA PLOURDE, SHIRLEY THOMAS ET NICOLE TRUDEL, ayant élu domicile au 360, rue Saint-Jacques Ouest, Montréal (Québec) H2Y 1P5

Parties victimes

et

ACTION TRAVAIL DES FEMMES DU QUÉBEC INC., personne morale de droit privé ayant sa place d'affaires au 911, rue Jean-Talon Est, local 224, Montréal (Québec)
H2R 1V5

Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

et

 

SYNDICAT DES EMPLOYÉS DE GAZ MÉTROPOLITAIN INC. (CSN), association de salariés dûment accréditée, ayant une place d'affaires au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

Partie intéressée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFICATIF

______________________________________________________________________

 

 

[1]        VU le jugement prononcé en l’instance le 11 septembre 2008;

[2]        VU qu’une erreur d’écriture s’est glissée dans les conclusions du jugement, le prénom de madame Bolduc, plaignante, étant Johanne et non Line;

[3]        VU les dispositions de l’article 127 de la Charte des droits et libertés de la personne en cas d’erreur matérielle;

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[4]        RECTIFIE le jugement rendu le 11 septembre 2008;

[5]        CORRIGE les conclusions suivantes pour qu’elles se lisent dorénavant comme suit :

DE VERSER à mesdames Shirley Thomas, Johanne Bolduc, Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel un montant de 7 500,00 $ en raison du caractère intentionnel de l'atteinte illicite portée à leur droit de ne pas subir de discrimination à l'embauche fondée sur le sexe;

 

DE RÉINTÉGRER dans un processus de sélection exempt de discrimination mesdames Shirley Thomas, Johanne Bolduc, Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel, et ce, à l'étape où elles se seraient trouvées n'eût été de la discrimination exercée à leur égard et, dans l'éventualité où elles réussissent, de leur OFFRIR un poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou son équivalent actuel, dès que de tels postes seront ouverts;

[6]        LE TOUT sans frais.

 

 

 

__________________________________

MICHÈLE RIVET, présidente

 

 

Me Béatrice Vizkelety

Me Athanassia Bitzakidis

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

360, rue St-Jacques, 3ème

Montréal, Qc  H2Y 1P5

Pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse-partie demanderesse

 

Me Pierre-L. Baribeau

Me Véronique Morin

Lavery, de Billy

1, Place Ville-Marie, # 4000

Montréal, H3B 4M4

Pour Gaz Métropolitain Inc et

Société en commandite Gaz Métropolitain-Parties défenderesses

 

Me Annick Desjardins

Syndicat Canadien de la Fonction Publique

565, Boul. Crémazie est, #7100

Montréal, Qc  H2M 2N9

Pour Action Travail Des Femmes du Québec Inc-Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Me Suzanne P. Boivin

200, avenue Laurier ouest, #475

Montréal, Qc.   H2T 2N8

Pour Me Rachel Cox et avocate conseil pour Action Travail Des Femmes du Québec Inc-Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Me Lise Lanno

Pépin & Roy

2100, de Maisonneuve Est, #501

Montréal, Qc   H2K 4S1

Pour le syndicat des employés de Gaz Métropolitain Inc (CSN)-Partie intéressée

 

 

 

 


Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc.

2008 QCTDP 24

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-53-000204-030

 

 

DATE :

11 septembre 2008

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHÈLE RIVET

 

AVEC L’ASSISTANCE DES ASSESSEURES :

Me Yeong-Gin Jean Yoon

Madame Ginette Bouffard

______________________________________________________________________

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, organisme public constitué en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne [L.R.Q., c. C-12], ayant son siège au 360, rue Saint-Jacques Ouest, Montréal (Québec) H2Y 1P5, agissant en faveur de LINE BEAUDOIN, JOHANNE BOLDUC, MARIE-CLAUDE CÔTÉ, JOHANNE (JOAN) DUPONT, TANIA PLOURDE, SHIRLEY THOMAS ET NICOLE TRUDEL

Partie demanderesse

c.

GAZ MÉTROPOLITAIN INC, personne morale de droit privé, ayant son siège au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

Et

SOCIÉTÉ EN COMMANDITE GAZ MÉTROPOLITAIN, société ayant son siège au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

Parties défenderesses

 

Et

LINE BEAUDOIN, JOHANNE BOLDUC, MARIE-CLAUDE CÔTÉ, JOHANNE (JOAN)

DUPONT, TANIA PLOURDE, SHIRLEY THOMAS ET NICOLE TRUDEL, ayant élu domicile au 360, rue Saint-Jacques Ouest, Montréal (Québec) H2Y 1P5

Parties victimes

 

Et

 

 

 

ACTION TRAVAIL DES FEMMES DU QUÉBEC INC., personne morale de droit privé ayant sa place d'affaires au 911, rue Jean-Talon Est, local 224, Montréal (Québec)
H2R 1V5

Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Et

SYNDICAT DES EMPLOYÉS DE GAZ MÉTROPOLITAIN INC. (CSN), association de salariés dûment accréditée, ayant une place d'affaires au 1717, rue du Havre, Montréal (Québec) H2K 2X3

Partie intéressée

_____________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

PLAN DE LA DÉCISION

 

SECTION 1.   LA NATURE DU LITIGE    4

1.1       L’origine du litige    8

1.2       L’historique des procédures        9

 

SECTION 2.     LE DROIT APPLICABLE 11

2.1       La nature et les fondements de la discrimination systémique         12

2.2       Les particularités de la preuve en matière de discrimination systémique             17

2.2.1    Quelques manifestations de discrimination systémique      18

2.2.2    L'utilité de la preuve statistique   22

2.3       Les moyens de défense en cas de discrimination systémique       26

2.3.1    Les exigences essentielles à l'exécution sûre et efficace de   l'emploi      27

2.3.2    Les exigences minimales non susceptibles d'accommodement raisonnable… 29

 

SECTION 3.   L'ANALYSE DE LA PREUVE       32

3.1 La présence des femmes dans les emplois manuels chez Gaz Métro            32

3.1.1 Une mise en contexte du concours de recrutement spécial  33

3.1.2   La question de la sous-représentation  35

3.2       La description du poste de préposé / stagiaire réseau et ses  exigences préalables    43

3.2.1 La description des tâches   43

3.2.2 Les exigences préalables selon le profil d’emploi         46

3.2.2.1 Le permis de conduire de classe 3        48

3.2.2.2 Le Secondaire V     55

3.2.2.3 L’expérience non traditionnelle  56

3.3 Le processus de sélection à l’externe         58

3.3.1 Les séances d’information 59

3.3.2 La gestion des curriculum vitæ     60

3.3.3 L’entrevue préalable 62

3.3.3.1 Les personnes assujetties, les intervieweurs et le déroulement général de l’entrevue……………………………………………………………………    62              

3.3.3.2 Les outils d’entrevue         64

3.3.3.3 Les questions et les thèmes particuliers de l’entrevue         66

3.3.3.4 La nature et l’appréciation de l’entrevue          72

3.3.3.5 Conclusions eu égard à l’entrevue préalable  80

3.3.4  Le test théorique      84

3.3.4.1 Le déroulement du test théorique          84

3.3.4.2 L’appréciation du test théorique            87

3.3.4.3. Le test Bennett      91

3.3.4.4 Les conclusions eu égard au test théorique   94

3.3.5  Le test pratique         94

3.3.5.1 Le déroulement du test pratique            94

3.3.5.2 L’appréciation du test pratique   97

3.3.5.3 Les conclusions eu égard au test pratique     102

3.3.6 L’examen médical     109

3.3.7 Le projet-pilote           112

3.3.8 Les conclusions eu égard au processus de sélection             115

3.3.8.1 L’adéquation entre les tâches, les exigences et les moyens de sélection           115

3.3.8.2 L'absence de validation critériée            116

3.3.8.3 Les conclusions finales quant au processus de sélection  119

3.4   La culture institutionnelle chez Gaz Métro           119

3.4.1 Les modèles en présence   120

3.4.2 Le profil des candidates recherché          123

3.4.3    La dimension organisationnelle du concours de recrutement spécial      125

SECTION 4.   LES MESURES DE RÉPARATION         132

4.1       Les ordonnances de type systémique  132

4.1.1    L'imposition d'un programme d'accès à l'égalité        133

4.1.2    La modification de politiques et de pratiques institutionnelles       141

4.2       Les mesures individuelles            144

4.2.1    Les mesures relatives au préjudice matériel    144

4.2.2    Les mesures relatives au préjudice moral        148

4.2.3 Les dommages punitifs       154

4.2.4    L’intégration en emploi et autres mesures       156

 

SECTION 5.   LE DISPOSITIF           159
SECTION 1.   LA NATURE DU LITIGE

[1]           Le Tribunal est saisi d’une demande introductive d’instance dans laquelle la demanderesse Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la « Commission ») allègue que les défenderesses Gaz Métropolitain inc. -désormais Gaz Métro inc. - et Société en commandite Gaz Métropolitain - désormais Société en commandite Gaz Métro - (ci-après « Gaz Métro ») ont porté atteinte au droit à l’égalité des victimes Line Beaudoin, Johanne Bolduc, Marie-Claude Côté, Joan Dupont, Tania Plourde, Shirley Thomas et Nicole Trudel en appliquant un système d’embauche discriminatoire à l’endroit des candidates de sexe féminin, ce qui résulte en leur exclusion de manière disproportionnée des postes de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau (ci-après « préposé réseau »), traditionnellement occupés par des employés de sexe masculin, le tout contrairement aux articles 10, 16 et 86 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

[2]           En bref, la Commission reproche à Gaz Métro des pratiques de discrimination systémique à l'embauche. Compte tenu de la longueur des conclusions recherchées et pour plus de clarté, nous les reproduisons ci-après de manière exhaustive telles qu’elles apparaissent dans sa plaidoirie écrite :

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DEMANDERESSE, AGISSANT DANS L’INTÉRÊT DU PUBLIC ET EN FAVEUR DES PLAIGNANTES, DEMANDE AU TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE DE :

ACCUEILLIR la présente demande.

CONSTATER que le système d’embauche utilisé par les parties défenderesses pour combler les postes de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau engendre des effets discriminatoires contraires aux articles 10, 16 et 86 de la Charte.

CONSTATER que les parties défenderesses ont, à plusieurs reprises depuis 1995 et par le système de recrutement et de sélection utilisé pour combler les postes de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, porté atteinte au droit à l’égalité en emploi des plaignantes contrairement aux articles 10, 16 et 86 de la Charte.

ORDONNER aux parties défenderesses de :

RÉVISER le processus de sélection ainsi que les critères d’embauche et de sélection pour le poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, afin d’éliminer les biais discriminatoires à l’égard des femmes;

VALIDER le contenu ainsi que la notation des tests d’embauche et de sélection de l’entreprise afin d’éliminer tous les biais discriminatoires à l’égard des femmes et d’assurer qu’ils permettent le recrutement et l’embauche de candidates ayant les qualités et aptitudes essentielles requises pour exercer le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

CESSER d’utiliser les tests d’embauche et de sélection qui ont un impact négatif à l’égard des femmes sans être justifiés par les qualités et aptitudes requises pour l’emploi de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

MODIFIER le système d’entrevue des candidats afin d’éliminer les questions ayant un effet discriminatoire à l’égard des femmes et prendre les mesures nécessaires pour que les responsables des entrevues aient des instructions claires et précises visant à traiter tous les candidats et candidates sans discrimination fondée sur le sexe;

CESSER de placer les candidatures par ordre de résultats aux tests pour le poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, sauf en cas de validation permettant d’établir la corrélation entre l’obtention d’une note plus élevée aux tests d’embauche et un meilleur rendement à titre de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau;

DRESSER, lors de la sélection pour le poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, deux listes de candidatures, soit une liste de candidatures de femmes ayant les qualités et aptitudes essentielles pour l’emploi et une autre liste de candidatures d’hommes qualifiés;

EMBAUCHER prioritairement les femmes ayant les qualités et aptitudes essentielles requises pour exercer le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, lors de toute embauche externe et interne et ce, conformément aux modalités établies dans le Programme d’accès à l’égalité, le taux de nomination préférentielle étant fixé à 40 %;

FACILITER l’intégration des femmes au niveau du Programme de formation technique réseau en examinant notamment la possibilité de suivre et de participer au programme, et d’exécuter le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau de différentes manières tout en assurant que le travail soit effectué de manière sûre et efficace;

FACILITER l’intégration des femmes au niveau des emplois manuels notamment en mettant sur pied un comité pour contrer le harcèlement sexuel et sexiste au travail avec une représentation des Préposées réseau/Stagiaires réseau ainsi que de la direction de l’entreprise;

ADOPTER des outils et méthodes de travail favorisant l’intégration des femmes dans les emplois non traditionnels en examinant notamment la possibilité d’exécuter le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau (ou poste équivalent) de différentes manières tout en assurant que le travail soit effectué de manière sûre et efficace.

LE TOUT dans le cadre d’un Programme d’accès à l’égalité. Et, à ces fins,

ORDONNER aux parties défenderesses de déposer, dans un délai de trois (3) mois, un Programme d’accès à l’égalité élaboré en consultation avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et conformément au Règlement sur les programmes d’accès à l’égalité;

ET, DE PLUS,

ORDONNER aux parties défenderesses d’EMBAUCHER Marie-Claude Côté, Johanne Bolduc et Shirley Thomas à un poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, dès que de tels postes seront ouverts, avec reconnaissance rétroactive au mois d’avril 1996 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris l’ancienneté non concurrentielle et droits au fonds de pension, le paiement de dommages pour perte salariale encourue, plus un montant additionnel pour compenser le préjudice fiscal résultant du paiement des dommages réclamés pendant une année d’imposition;

ORDONNER aux parties défenderesses de RÉINTÉGRER Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel dans le processus de sélection à l’étape où elles se seraient trouvées n’eût été la discrimination exercée à leur égard et, dans l’éventualité où lesdites plaignantes réussissent les étapes subséquentes du processus d’embauche, de leur OFFRIR un poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau dès que de tels postes seront ouverts;

CONDAMNER les parties défenderesses à VERSER à chacune des plaignantes, soit mesdames Line Beaudoin, Johanne Bolduc, Marie-Claude Côté, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde, Shirley Thomas et Nicole Trudel, une somme de 20 000 $ (vingt mille dollars) à titre de dommages moraux découlant de la discrimination dont elles ont été victimes en raison du sexe et pour atteinte à leur droit à la sauvegarde de leur dignité;

CONDAMNER les parties défenderesses à VERSER à mesdames Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel, respectivement, des dommages supplémentaires au montant de 10 000 $ (dix mille dollars), pour insultes, humiliation et frustration résultant de la perte de chance et de l’impossibilité de faire valoir leurs aptitudes et qualités pour occuper un emploi de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau au moment de leur candidature à ce poste, sans être assujetties à un processus de sélection comportant des biais discriminatoires;

CONDAMNER les parties défenderesses à VERSER à chacune des plaignantes, soit à mesdames Line Beaudoin, Johanne Bolduc, Marie-Claude Côté, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde, Shirley Thomas et Nicole Trudel, un montant additionnel de 10 000 $ (dix mille dollars) à titre de dommages punitifs, compte tenu du caractère illicite et intentionnel de la discrimination dont elles ont été victimes;

LE TOUT avec les intérêts et l’indemnité additionnelle, conformément à l’article 1619 C.c.Q., à compter de la signification de la proposition de mesures de redressement ainsi que les entiers dépens, incluant les frais d’experts, le cas échéant, tant pour leur présence à la Cour que la préparation de leur rapport[2].

[3]           Quant à la plaignante Action Travail des femmes du Québec inc. (ci-après « ATF »), elle souscrit aux prétentions de la Commission et c’est à titre complémentaire qu’elle a choisi de produire une plaidoirie. En fait, elle appuie les conclusions recherchées par la Commission et demande de plus que le Programme d’accès à l’égalité (ci-après « PAE ») élaboré par Gaz Métro et la Commission lui soit présenté afin qu’elle puisse formuler des commentaires et recommandations relativement à celui-ci.

[4]           Gaz Métro soutient principalement que la Commission ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer prima facie l’existence d’éléments discriminatoires dans le processus d’embauche de l’entreprise. Gaz Métro allègue par ailleurs qu’une sous-représentation féminine au sein de l’entreprise ne constitue pas en soi une preuve prima facie de discrimination. Les défenderesses expliquent que chaque étape du processus d’embauche est dénuée de discrimination et qu’en tout état de cause, l’échec des victimes à l’une ou l’autre de ces étapes n’est pas la conséquence d’un système discriminatoire. Elles soutiennent que la preuve de la Commission n’est composée que de soupçons et d’hypothèses et qu’à défaut d’être parfait, le processus de recrutement en place n’est certainement pas discriminatoire. En outre, Gaz Métro s’oppose aux prétentions de la Commission selon lesquelles la non-discrimination se définit en référence à la norme de l’égalité réelle. Gaz Métro conteste finalement le bien-fondé des réclamations individuelles en faveur des victimes.

[5]           En ce qui concerne le Syndicat des employés de Gaz Métropolitain inc. (CSN) (ci-après « le Syndicat »), il a uniquement été mis en cause parce qu’il était signataire d’une lettre d’entente (P-2) avec l’employeur prévoyant que des postes de préposé réseau seraient réservés en priorité aux femmes et aux minorités visibles, et ce, afin d’accroître la représentation de ces groupes au sein de certains postes chez Gaz Métro. Le Syndicat précise que son implication dans le litige se limite à cette lettre d’entente P-2, puisqu’il n’a jamais été associé au processus d’embauche. Il n’a effectué aucune représentation quant au bien-fondé de la demande, ni par rapport à la preuve, et il insiste seulement sur l’importance de la compétence des employé(e)s recruté(e)s.

 

[6]           Il rappelle aussi qu'il a été décidé, au cours de l’audience, que le débat ne devait pas être élargi en vue d'examiner si la convention collective[3] elle-même est discriminatoire, le Tribunal ayant alors indiqué qu'il ne remettait aucunement en question la convention CSN, ni le processus d'embauche (ou recrutement «à l'interne») convenu avec l'unité de négociation accréditée à la CSN[4]. En conséquence, le Syndicat demande au Tribunal de ne pas accéder aux conclusions de la Commission qui nécessiteraient une quelconque ingérence dans les affaires qui relèvent de la Centrale et, plus précisément, de rayer les mots « et interne » de la conclusion suivante dans l’éventualité où elle serait accueillie :

EMBAUCHER prioritairement les femmes ayant les qualités et aptitudes essentielles requises pour exercer le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau ou poste équivalent, lors de toute embauche externe et interne et ce, conformément aux modalités établies dans le Programme d’accès à l’égalité, le taux de nomination préférentielle étant fixé à 40 %[5].

[7]           Pour les mêmes raisons, le Syndicat demande aussi au Tribunal de rejeter la conclusion suivante :

FACILITER l’intégration des femmes au niveau des emplois manuels notamment en mettant sur pied un comité pour contrer le harcèlement sexuel et sexiste au travail avec une représentation des Préposés réseau/Stagiaires réseau (ou poste équivalent) ainsi que de la direction de l’entreprise[6].

1.1          L’origine du litige

[8]           Le litige découle d'une plainte déposée par ATF à la Commission le 18 décembre 1996, à la suite du rejet, par Gaz Métro, des candidatures de plusieurs femmes[7] lors de concours d'embauche spéciaux tenus à compter de 1995. Cette plainte alléguait notamment que les exigences, critères et façons de procéder de Gaz Métro rendaient le processus de sélection de l'entreprise discriminatoire dans son ensemble à l'égard des femmes.

[9]           En août 2002, après plusieurs mois d'enquête, la Commission recommande à Gaz Métro d'adopter diverses mesures de redressement visant à corriger les situations discriminatoires qu'elle a constatées[8]. Gaz Métro n'accède pas à ces demandes, d'où l'introduction de procédures judiciaires par la demanderesse.

[10]        Ainsi, le 16 décembre 2003, la Commission dépose au Tribunal une demande introductive d'instance en faveur de huit victimes, à savoir Line Beaudoin, Johanne Bolduc, Marie-Claude Côté, Joan Dupont, Tania Plourde, Shirley Thomas, Nicole Trudel et Danielle Varin. Madame Varin s'est par la suite désistée de sa plainte[9].

1.2          L’historique des procédures

[11]        L'audition de la preuve a commencé le 25 octobre 2004 et a duré 52 jours, répartis sur plusieurs mois, pour se terminer le 12 janvier 2007. Au total, le Tribunal a entendu 38 témoins, dont 10 témoins experts. À ce titre, la Commission a présenté mesdames Chantale Jeanrie[10] et Erika Boukamp Bosch[11], ainsi que messieurs Claude Yelle[12] et Marc Fortier.[13]  Elle avait également l'intention de faire témoigner monsieur Jean Renaud à titre de témoin expert lors de sa contre-preuve, mais le Tribunal a accueilli la requête en rejet du rapport de cet expert présentée par Gaz Métro[14]. ATF a présenté madame Karen Messing comme témoin expert[15]. Finalement, madame Denise Perron[16] et messieurs François Boulard[17], Normand Pettersen[18], Louis Laurencelle[19] et Richard Joly[20] ont été appelés par Gaz Métro.

[12]        Le Tribunal ayant rendu plusieurs décisions interlocutoires au cours de la présente instance, nous nous limitons ici à rappeler celles ayant donné lieu à des motifs écrits.

[13]        Le Tribunal a d'abord accueilli une requête de Gaz Métro en déclaration d'inhabilité de Me Rachel Cox, procureure d'ATF[21]. En effet, Gaz Métro entendait l'assigner comme témoin en tant qu'employée d'ATF et le Tribunal a jugé que les fins de la justice rendaient incompatibles les fonctions de procureure et de témoin. Me Annick Desjardins a finalement comparu pour ATF le 29 juin 2005, en remplacement de Me Cox.

[14]        Puis, en date du 18 janvier 2006, le Tribunal a accueilli une requête conjointe d'ATF et de Me Rachel Cox en cassation de subpoenas duces tecum, jugeant que les documents que Gaz Métro demandait d'apporter à deux témoins, Me Cox et madame Lise Gauthier, avaient une trop large portée[22].

[15]        Le Tribunal a également accueilli, le 3 mars 2006, une requête conjointe de la Commission et d'ATF en adjudication de frais de sténographie de l'audition[23]. Le Tribunal a alors décidé que Gaz Métro devait seul acquitter les frais de son sténographe privé et que les autres parties pouvaient obtenir copie des notes sténographiques en acquittant les frais prévus par règlement.

[16]        Le 1er août 2006, le Tribunal accueillait la requête, présentée par Gaz Métro, qui contestait la mention « frais à suivre » inscrite à la déclaration de désistement de madame Danielle Varin[24]. Considérant l'article 264 du Code de procédure civile[25], il décidait alors que la Commission devait supporter les frais reliés à ce désistement.

[17]        Vu les nombreux témoins entendus à l'audience, l'étendue de la preuve présentée par les parties et la complexité factuelle et juridique du présent litige, le Tribunal a demandé aux parties de plaider par écrit. À l'origine, le Tribunal avait ordonné aux parties de lui faire parvenir les dernières répliques le ou avant le 5 juin 2007[26]. Néanmoins, à la demande des parties, le Tribunal a accordé plusieurs extensions de délais pour la remise des plaidoiries, répliques et notes complémentaires. La Commission a produit sa plaidoirie écrite le 5 avril 2007, ATF l'a produite le 10 avril 2007, le Syndicat a fait de même le 1er juin 2007 et Gaz Métro le 4 juin 2007. Par la suite, ATF a produit une réplique le 28 juin 2007 et la Commission a déposé la sienne le 29 juin 2007. Gaz Métro a finalement produit des notes complémentaires le 3 juillet 2007. Par conséquent, le Tribunal a pris l'affaire en délibéré le 6 juillet 2007.

[18]        Dans le but d'assurer une cohérence et une clarté optimales, le Tribunal structure sa décision en présentant un exposé et une analyse du droit applicable (section 2), suivi de l'analyse de la preuve (section 3), des mesures de réparation (section 4) et du dispositif (section 5).

 

SECTION 2.     LE DROIT APPLICABLE

[19]        Dans la mesure où des allégations de discrimination systémique font appel à une preuve factuelle habituellement assez élaborée, le Tribunal estime opportun de présenter d'abord les principales règles juridiques applicables en la matière afin d'être mieux à même d'exposer ensuite les éléments pertinents de la preuve produite par chacune des parties. Par ailleurs, dans la mesure où les développements jurisprudentiels plus récents en la matière sont essentiellement survenus dans d'autres juridictions au Canada, le Tribunal juge utile d'examiner ici certaines décisions qui émanent de tribunaux de première instance spécialisés en la matière et apportent un éclairage utile sur le contexte factuel propre aux situations de discrimination systémique.

[20]        Pour mener à bien cet exercice, nous abordons donc successivement: la nature de la discrimination systémique et ses fondements (2.1); les particularités de la preuve pertinente à ce type d'allégations (2.2); les moyens de défense opposables à la preuve de discrimination systémique (2.3).

[21]        Les principales dispositions de la Charte pertinentes à ce litige se lisent comme suit:

10.  Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

16.  Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

20.  Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualité requises par un emploi […] est réputée non discriminatoire.

49.  Une atteinte illicite à une liberté ou à un droit reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite ou intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

80.  Lorsque les parties refusent la négociation d'un règlement ou l'arbitrage du différend, ou lorsque la proposition de la Commission n'a pas été, à sa satisfaction, mise en oeuvre dans le délai imparti, la Commission peut s'adresser à un tribunal en vue d'obtenir, compte tenu de l'intérêt public, toute mesure appropriée contre la personne en défaut ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure de redressement qu'elle juge alors adéquate.

86. Un programme d'accès à l'égalité a pour objet de corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination dans l'emploi, ainsi que dans les secteurs de l'éducation ou de la santé et dans tout autre service ordinairement offert au public.

Un tel programme est réputé non discriminatoire s'il est établi conformément à la Charte. […]

88.  La Commission peut, après enquête, si elle constate une situation de discrimination prévue par l'article 86, proposer l'implantation, dans un délai qu'elle fixe, d'un programme d'accès à l'égalité.

La Commission peut, lorsque sa proposition n'a pas été suivie, s'adresser à un tribunal et, sur preuve d'une situation visée dans l'article 86, obtenir dans le délai fixé par ce tribunal l'élaboration et l'implantation d'un programme. Le programme ainsi élaboré est déposé devant ce tribunal qui peut, en conformité avec la Charte, y apporter les modifications qu'il juge adéquates.

90.  Lorsque la Commission constate qu'un programme d'accès à l'égalité n'est pas implanté dans le délai imparti ou n'est pas observé, elle peut, s'il s'agit d'un programme qu'elle a approuvé, retirer son approbation ou, s'il s'agit d'un programme dont elle a proposé l'implantation, s'adresser à un tribunal conformément au deuxième alinéa de l'article 88.

 

2.1       La nature et les fondements de la discrimination systémique

[22]        Au fil des ans, les tribunaux canadiens ont graduellement précisé la nature de la discrimination systémique et les circonstances particulières dans lesquelles elle s'est développée. Dans l'arrêt de principe rendu en la matière par la Cour suprême,[27], le juge en chef Dickson définit et précise cette notion tout en soulignant son caractère involontaire :

[L]a discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces "naturelles", par exemple que les femmes "ne peuvent tout simplement pas faire le travail".

[L]a discrimination systémique est souvent involontaire. Elle résulte de pratiques et de politiques établies qui, en fait, ont une incidence négative sur les perspectives d'embauche et d'avancement d'un groupe particulier. À cela s'ajoutent les attitudes des administrateurs et des collègues de travail qui acceptent une vision stéréotypée des compétences et du "rôle approprié" du groupe touché, laquelle vision conduit à la conviction ferme que les membres de ce groupe sont incapables de faire un certain travail, même si cette conclusion est objectivement fausse.[28]

[23]        Dans l'une des affaires impliquant le Conseil du trésor fédéral, le Tribunal canadien des droits de la personne (ci-après «le Tribunal canadien») explique en ces termes les inégalités ou écarts rencontrés dans les salaires respectivement versés aux femmes et aux hommes pour des tâches similaires:

Selon l'opinion des experts, la discrimination systémique n'a pas d'origine ni d'objet précis: elle se développe simplement avec le temps. Il s'agit d'un phénomène tenant de l'attitude qui tend à sous-estimer le travail des femmes et qui établit donc des distinctions fondées sur le sexe au détriment d'un individu ou groupe.  La recherche a montré que le groupe le plus touché par ce genre de discrimination était les femmes et que leurs salaires, par rapport à ceux des hommes, étaient inférieurs.  Ce qui est à l'origine de ce genre de discrimination, ce sont les attitudes, les croyances et les mentalités concernant le travail traditionnellement accompli par les hommes et le travail traditionnellement accompli par les femmes.[29]

[24]        Dans l’affaire Brome v. Ontario[30], la majorité de la Cour décrit à son tour les fondements sociétaux de la discrimination systémique:

Systemic discrimination is a complex underlying social process which is revealed by incidents, acts and consequences and is recognized by its impact on specific classes of people. Policy and procedures underlie the system and personnel visibly represent it. The current challenge for the Commission and the Courts is to identify and grapple with the dimensions of systemic discrimination.[31] 

[25]        Mentionnons également les remarques au même effet de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Alliance de la fonction publique du Canada:

[L]e concept de la discrimination systémique est axé sur les formes de discrimination les plus subtiles, comme l'a dit le juge en chef Dickson […]. Il est fondé sur la reconnaissance du fait que les mœurs sociales et culturelles de longue date transmettent des présomptions de valeur qui contribuent à créer de la discrimination sous des formes totalement ou presque entièrement voilées et inconscientes.[32]

[26]        Selon une compréhension largement partagée de ce phénomène, il est établi que les diverses manifestations de la discrimination systémique renvoient en fait à:

[…] un phénomène continu qui a des origines profondes dans l'histoire et dans les attitudes sociétales. Elle ne peut être isolée sous forme d'acte ou de déclaration unique. Par sa nature même, elle s'étend sur une certaine période.[33]

[27]        Le caractère intangible de la discrimination systémique, dont les formes sont totalement ou presque entièrement voilées et inconscientes, est évoqué dans ces termes par le juge MacFarland dans l’affaire Brome v. Ontario:

Systemic discrimination is insidious and by its very nature as difficult to define as it is to pinpoint. It can include direct or overt discrimination as well as the more subtle forms of discrimination such as adverse impact discrimination and entrenched and long held discriminatory attitudes and beliefs.[34]

[28]        À la différence des cas de discrimination dite «indirecte», où une mesure d'apparence neutre entraîne habituellement l'exclusion de tous les membres du groupe auquel appartient la victime, l’une des caractéristiques de la discrimination systémique est plutôt l’effet disproportionné d'exclusion qui, pour les membres d’un groupe visé par un motif interdit de discrimination, résulte d’un ensemble de pratiques, de politiques et d'attitudes. Ainsi, des pratiques engendrant de la discrimination systémique n'ont pas nécessairement pour effet d'exclure tous les membres d'un groupe protégé dans la mesure où certains d'entre eux peuvent y être assujettis sans pour autant en subir tous les effets.

[29]        Cette exclusion alimente à son tour les préjugés qui fondent aussi ces mêmes pratiques d'exclusion. Les faits soumis au Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire Action-Travail des femmes[35] sont d'ailleurs à cet effet, la preuve ayant établi divers types de perceptions et d'attitudes négatives au sujet de la capacité des femmes d'effectuer un travail manuel, voire de l'opportunité même qu'elles pénètrent un milieu de travail traditionnellement réservé aux hommes.

[30]        Or cette absence marquée des femmes et, plus largement, de groupes de personnes visées par l'interdiction de la discrimination de certaines sphères de l'activité sociale a engendré à son tour l'absence de prise en compte de leur point de vue, de leur expérience et de certaines de leurs caractéristiques lors de l'élaboration de normes ou de standards institutionnels.

[31]        Dès 1984, le rapport Abella sur l'égalité en emploi[36] identifie ainsi deux situations classiques à l'origine de la discrimination systémique. La première renvoie à «des systèmes conçus pour un milieu homogène et ayant des répercussions néfastes et disparates»[37] pour les personnes extérieures à ce dernier et qui ne peuvent se conformer à des exigences pré-établies modelées en fonction des caractéristiques de ce même milieu. Selon le Rapport, la solution à cet égard consiste à :

[…] supprimer systématiquement ce qui empêche les membres de ces groupes de donner suite à leurs aspirations, en tenant compte de leurs besoins réels et non des besoins que nous leur prêtons. Qui plus est, il nous faut donner à ces personnes l'occasion d'utiliser leurs capacités à la mesure de leur potentiel, et non à ce que nous croyons être leur potentiel. […] Le principe d'égalité doit avoir pour objet de corriger le plus rapidement possible une situation engendrée par un état d'esprit et un mode de pensée qui limitent de façon arbitraire les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles.[38]

[32]        L’affaire Syme c. Canada[39] illustre aussi l'impact de pratiques adoptées en fonction de milieux homogènes. La Cour suprême doit y décider si les frais qu'une professionnelle avait déboursés pour la garde de ses enfants constituent une dépense d'entreprise déductible d'un revenu brut au sens où le prévoit la loi fédérale de l'impôt sur le revenu. Or la jurisprudence «classique», qui a été élaborée dans un contexte où la présence des femmes dans certains secteurs d'activités était très restreinte, voire inexistante, repose sur une conception traditionnelle de l'entreprise envisagée en fonction des besoins des hommes d'affaires uniquement. Dans une opinion dissidente, la juge L'Heureux-Dubé en explique les conséquences en ces termes:

[L]orsque les membres d'un seul sexe définissent les idées, les règles et les valeurs dans un domaine particulier, on en vient à considérer ce point de vue unilatéral comme naturel, évident et général.  En conséquence, ce sont actuellement des critères établis par des hommes qui forment la toile de fond des prémisses en vertu desquelles on détermine si une dépense donnée constitue ou non une dépense légitime d'entreprise.  Compte tenu de cette toile de fond, il est peu étonnant que les frais de garde d'enfants aient été considérés comme non pertinents pour ce qui est de tirer un revenu de l'entreprise ou de faire produire un revenu à l'entreprise, et plutôt comme une dépense personnelle non déductible.[40]

[33]        Dans la même optique, l'étude sur l'égalité des sexes dans la profession juridique[41], présidée par madame la juge Bertha Wilson alors qu'elle siégeait à la Cour suprême, identifiait les valeurs culturelles au sein de cette dernière comme l'une des principales causes de la discrimination vécue par les avocates, et ce, parce que

[c]es valeurs culturelles ont été déterminées par et pour des avocats.  Elles sont fondées sur des modèles historiques de travail qui présument que les avocats n'ont pas de responsabilités familiales importantes.  Le «sexisme caché» qui existe dans l'organisation actuelle du travail juridique se manifeste de plusieurs manières, notamment:  les heures de travail extrêmement longues et irrégulières, l'idée selon laquelle l'avocat peut faire son travail au bureau parce qu'il est libéré des charges domestiques qui sont assumées par une tierce personne; la promotion dans les cabinets d'avocats qui est incompatible avec les cycles de maternité et d'éducation des enfants dans la vie de la plupart des femmes; et le conflit qui est perçu entre les fidélités dues au travail et à la famille. [42]

[34]        Nous trouvons une autre illustration intéressante de cette situation dans la décision rendue, en première instance, dans l’affaire Ayangama [43]. Celle-ci concerne le refus d’embaucher un candidat, issu d’une minorité visible, à un poste-conseil en matière de relations interraciales, et ce, au profit d’une candidate blanche moins qualifiée mais plus familière avec l'environnement de travail. Après avoir noté la composition inéquitable du comité de sélection, dont on avait délibérément exclu un candidat issu d’une minorité raciale, et le manque de planification dans le processus suivi, le Tribunal constate que les actions du comité démontrent à tout le moins un biais inconscient en faveur des personnes déjà dans ce milieu et, en conséquence, vraisemblablement non issues de minorités visibles. Il conclut qu'une telle approche engendre nécessairement de la discrimination envers les membres de ce groupe:

Systemic discrimination refers to a process problem as opposed to an attitudinal problem.  […].  The manner in which the Committee went about reviewing the applicants for the Race Relations Consultant position — focussed as it was upon “inside” experience — made it highly unlikely that any racial minority would be able to win the competition.  […] in a single hiring process systemic discrimination can often be found when people look at personal suitability, ie. how a person would “fit in”.  This usually means that an analysis is being made of how much the person is like the people already there.  That is part of the problem in the instant case, with its focus on someone who already knew the system.

Those requirements may not be phrased in discriminatory terms but they are very exclusive — excluding almost anyone who is different and specifically excluding anyone who had not already had an opportunity to work in the system.  Since there were virtually no visible minorities in the system, the potential impact upon them was much greater than upon Caucasians.[44]

[35]        Ces exemples démontrent bien que malgré des motivations tout à fait légitimes, le critère de compatibilité (personal suitability) d'une personne par rapport à un milieu de travail donné peut en fait contribuer à l'exclusion disproportionnée de candidats appartenant à des groupes, aujourd'hui visés par l'interdiction de la discrimination, qui sont demeurés dans le passé à l'extérieur de milieux où divers standards et normes institutionnels, voire des cultures organisationnelles, ont été élaborés sans tenir compte de leurs caractéristiques et de leurs besoins.

[36]        Aussi, le Tribunal juge opportun de définir aujourd'hui la discrimination systémique comme la somme d'effets d'exclusion disproportionnés qui résultent de l'effet conjugué d'attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination.

2.2       Les particularités de la preuve en matière de discrimination systémique

[37]        Les fondements sociétaux de la discrimination systémique, ses manifestations subtiles et le fait qu'elle découle de motivations habituellement inconscientes ne sont pas sans conséquence sur les difficultés, pour la partie en demande, d'en établir par prépondérance de preuve l'existence à travers ses diverses manifestations.

[38]        À ce propos, la Cour d’appel fédérale invalide, dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada,[45] la conclusion du tribunal de première instance selon lequel un degré de preuve de l’ordre de la certitude et de la conviction était requis pour octroyer la réparation demandée en raison de la discrimination systémique exercée. Selon le juge Hugessen :

Le fardeau qui incombe à un plaignant devant un Tribunal des droits de la personne ne peut, à mon avis, être plus exigeant que la norme de la prépondérance des probabilités appliquée habituellement dans les affaires civiles. Cette norme se situe loin de la certitude et signifie simplement que le plaignant doit démontrer que ses prétentions sont plus probables qu'improbables. La partie opposée ne peut faire valoir valablement en défense que les choses pourraient avoir été différentes, car il en est presque toujours ainsi lorsque le fardeau de la preuve en matière civile s'applique. S'il est probable qu'une chose s'est produite d'une certaine façon, par définition, il demeure possible qu'elle se soit produite d'une façon complètement différente. Le Tribunal a fait erreur lorsqu'il a rejeté la preuve simplement parce qu'elle n'excluait pas d'autres possibilités défavorables au plaignant. Non seulement le juge n'a-t-il pas repéré cette erreur, mais encore l'a-t-il aggravée en insistant de façon répétée sur la nécessité d'établir avec "certitude" l'ampleur de l'écart salarial.[46]

[39]        Dans le rapport ayant contribué à la reconnaissance de la discrimination systémique par les tribunaux et dont le contenu demeure aujourd'hui encore utile en la matière, la juge Abella, alors commissaire, indiquait que:

La question n'est pas de savoir si la discrimination [systémique] est intentionnelle ou si elle est simplement involontaire, c'est-à-dire découlant du système lui-même. Si des pratiques occasionnent des répercussions néfastes pour certains groupes, c'est une indication qu'elles sont peut-être discriminatoires. Voilà pourquoi il est important d'analyser les conséquences des pratiques et des systèmes d'emploi.[47]

                         2.2.1    Quelques manifestations de discrimination systémique

[40]        À l'échelle des entreprises, la preuve d'une exclusion disproportionnée des membres de groupes protégés de la discrimination en emploi requiert donc l'examen des politiques, des attitudes et des pratiques concrètes ayant cours en matière de recrutement, de sélection, d'embauche, de promotion et de conditions de travail afin de déterminer dans quelle mesure ces dernières y contribuent ou non pour éventuellement apporter les correctifs requis de manière à en supprimer les effets. Lorsqu'ils sont saisis d'allégations de discrimination systémique en emploi, les tribunaux canadiens examinent donc l'ensemble des processus d'embauche ou de dotation appliqués par l'employeur intimé en vue de trouver les éléments pouvant expliquer cet effet disproportionné d'exclusion.

[41]        Dans l'affaire Action-Travail des femmes, l'examen des conséquences des pratiques et des systèmes d'emploi conduit le Tribunal canadien des droits de la personne à analyser l'ensemble du processus suivi

[…] pour déterminer si les pratiques qu'il contient peuvent ou non justifier le nombre infime de femmes dans les postes de cols bleus […].

En ce faisant, le tribunal considère qu'il faut examiner l'ensemble du processus et non prendre un élément isolément. C'est de l'ensemble que l'on pourra se faire un portrait global du système de filtrage des demandes d'emploi au Canadien National.[48]

[42]        Dans cette affaire, l'obligation de réussir certains tests de mécanique et celle de posséder des connaissances en soudure excluaient de manière disproportionnée les femmes candidates à certains emplois manuels non spécialisés. Ces dernières ayant un taux d'échec significativement plus élevé que celui des hommes, le Tribunal canadien a conclu à une preuve de discrimination prima facie nécessitant une justification de l'employeur.

[43]        Une conclusion de discrimination systémique a également été rendue par le Tribunal canadien dans l'affaire Green[49]. Celle-ci concerne plus particulièrement l'obligation, pour les candidats à l'obtention d'un poste de gestionnaire, de réussir un test qui mesurait leur aptitude à apprendre une autre langue et avait pour effet d'exclure les candidats qui, à l'instar de la plaignante, souffraient de dyslexie dans le traitement d'informations auditives.

[44]        Selon le Tribunal canadien, un manque de compréhension de la nature des troubles d'apprentissage, et des mesures à prendre pour en tenir compte, conjugué à des lacunes dans la formation du personnel expliquent l'incapacité générale d'adapter les théories véhiculées officiellement, par rapport à l'équité en emploi, aux pratiques instaurées, à tous les paliers, pour les mettre en oeuvre:

[L]es employés intéressés, bien qu'ayant de bonnes intentions, avaient reçu peu de formation, s'ils en avaient reçu, sur la théorie de l'accommodement. […] ils n'avaient pas le pouvoir de faire des recommandations et de prendre une décision concernant la nécessité de tenir compte des besoins d'une personne atteinte d'un trouble d'apprentissage dans les cas où la méthode habituelle, savoir le processus d'orientation, ne permettait pas d'établir sa capacité de suivre un cours de langue seconde.[50]

[45]        Comme la Commission fédérale de la fonction publique, intimée dans cette affaire, invoquait l'impossibilité, pour des raisons administratives, de tenir compte du handicap de madame Green découvert après le test, le Tribunal canadien considère aussi que les attitudes institutionnelles et les pratiques existantes ont empêché la Commission d'appliquer ses propres directives en matière de droits de la personne. Une fois le cas de madame Green connu, on n'a pas davantage tenu compte de la possibilité que le test constitue un obstacle systémique pour d'autres personnes atteintes de troubles d'apprentissage. Le Tribunal en conclut que ce sont les actes et les attitudes des employeurs qui ont engendré une discrimination de type systémique à l'endroit des employés atteints de ce handicap.

[46]        L'affaire Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social)[51] porte sur des allégations de discrimination systémique, dans les pratiques de dotation en vigueur à Santé Canada (ci-après «SC»), envers les personnes issues de minorités visibles souhaitant accéder à des postes de direction, et ce, dans un contexte marqué par la volonté déclarée d’augmenter le nombre d’employés issus de ces minorités dans l’administration publique fédérale.

[47]        La preuve a démontré qu'en 1993, un seul des 118 postes de cadre supérieur était occupé par une personne de ce groupe, soit un ratio de 0,8%[52]. Les experts de chaque partie ne s'entendaient pas sur le taux de représentation des personnes issues de minorités, celui de la demande l'évaluant à moins de 10% de leur disponibilité et celui de la défense à 30% de celle-ci. Le Tribunal canadien n'en conclut pas moins que quelles que soient les données retenues, «il est manifeste […] qu’il y a une importante sous-représentation des minorités visibles au sein de la gestion supérieure à SC».[53]

[48]        Examinant ensuite les pratiques de dotation en vigueur, le Tribunal canadien note que le recrutement pour ces postes était très faible dans les groupes professionnels de relève comptant une forte représentation du groupe exclu (i.e. les personnes issues de minorités visibles), ce qui l'amène à constater l’existence d’un goulot d’étranglement. À l’opposé, le recrutement était très élevé dans les groupes ne comptant aucune représentation des minorités visibles.

[49]        De plus, 65% des mesures de dotation appliquées au cours de la période étudiée avaient procédé par voie de nominations intérimaires généralement effectuées selon un processus officieux, sans avis ni concours, et sans que tous les employés en soient systématiquement informés. Les Blancs obtenaient davantage ces nominations que les membres des minorités raciales (45% par rapport à 34%), cet écart étant par ailleurs plus prononcé chez les employés plus âgés, plus scolarisés et ayant cumulé davantage d’ancienneté et de responsabilités de supervision.

[50]        La preuve a permis d'expliquer ce phénomène en révélant que les gestionnaires des employés blancs leur demandaient plus souvent de poser leur candidature, alors que les membres des minorités raciales devaient davantage compter sur leurs propres démarches pour être informés à ce sujet. Plus concrètement, 42% des répondants blancs avaient exercé des fonctions de supervision, ce nombre passant à 32% chez ceux issus de minorités raciales. En participant à un jury de sélection, les Blancs étaient en outre près de deux fois plus susceptibles d’être associés à des processus décisionnels d’embauche et de promotion.

[51]        Selon le Tribunal canadien, les processus officieux utilisés pour les nominations intérimaires avaient également eu un effet dissuasif (chilling effect) sur les membres des minorités, qui craignaient de ne pas être évalués en fonction de leurs qualités ni traités équitablement compte tenu du risque accru de préjugés dans un processus non standardisé.

[52]        Enfin, l’un des experts de la demande avait identifié, à partir des témoignages de certaines victimes et d’une note de service rédigée par le chef des relations de travail, une perception marquée, chez certains hauts dirigeants, selon laquelle les membres des minorités visibles étaient culturellement inaptes à occuper des postes de gestion (unfit for management): «La haute direction considère les membres des minorités visibles comme culturellement différents au sein de SC et comme ne convenant pas pour les postes de direction».[54] Selon cet expert, une telle situation alimente le stéréotype selon lequel il n’existe qu’une seule façon d’accomplir avec succès les fonctions d’un emploi et la croyance qu’un seul ensemble de personnes, issues d’une culture plus homogène, peut agir adéquatement.

[53]        Au terme de son analyse des pratiques d'emploi, le Tribunal canadien conclut que :

Le fait que les membres des minorités visibles n’accèdent pas aux postes de direction ne peut pas s’expliquer par un manque d’intérêt ni un manque de compétence technique ou professionnelle de leur part. […]  

Il y a diverses pratiques de dotation à SC qui ont des répercussions néfastes disproportionnées (disproportionately négative effect) sur les minorités visibles à ce ministère et que le Tribunal juge discriminatoires.[55]

[54]        Nous exposerons bientôt la comment la sous-représentation des membres d'un groupe visé par l'interdiction de la discrimination peut constituer l'une des manifestations de la discrimination systémique en emploi. Au préalable, quelques observations s'imposent sur le rôle de la preuve statistique à cet égard.

                         2.2.2    L'utilité de la preuve statistique

[55]        Le Tribunal mentionnait plus tôt que dans la jurisprudence relative à l'effet discriminatoire de normes d'emploi neutres, la totalité (100%) des personnes pratiquant la même religion ou atteintes du même handicap que la victime sont aussi affectées; l'effet discriminatoire est alors absolu. Il en va cependant différemment dans le cas de femmes ou d'autres membres de groupes protégés, qui sont plutôt exclus de manière disproportionnée de certains emplois ou d'opportunités professionnelles. Dans ce contexte, existe-t-il un pourcentage minimal d'écart ou de sous-représentation en deçà duquel on ne saurait conclure à l’existence de discrimination systémique? En d'autres termes, quelle importance faut-il donner à la preuve de nature statistique?

[56]        La jurisprudence en la matière conclut à l'utilité de la preuve statistique, en autant qu'elle soit disponible et pertinente aux allégations à prouver, mais non à sa nécessité. En effet, en indiquant des disparités ou des écarts entre le nombre (ou taux d'utilisation) de femmes ou de membres de groupes protégés embauchés pour un travail particulier et le nombre de femmes ou de membres de ces groupes qualifiés sur le marché du travail (ou taux de disponibilité), la preuve statistique peut indiquer la nécessité d'évaluer certains modes de gestion ou types de pratiques (patterns of conduct), incluant des décisions subjectives et discrétionnaires, à l'origine d'effets d’exclusion disproportionnés. Ce faisant, ce type de preuve peut permettre d'établir le caractère discriminatoire, par rapport à ces personnes, des méthodes ou systèmes d'embauche utilisés.

[57]        L'arrêt Meiorin [56] concerne la validité d'une exigence consistant à réussir un test de capacité aérobique qui excluait de manière disproportionnée les candidates à un emploi de pompier forestier en Colombie-Britannique. Sans préciser si un pourcentage d'écart précis est requis ou non, la Cour suprême conclut à une preuve prima facie de discrimination alors que le taux d'échec au test s’élève à 30-35% chez les hommes et à 65% chez les femmes.

[58]        Dans un jugement unanime rendu en 2005 relativement à une demande de contrôle judiciaire,[57] la Cour d'appel fédérale annule pour sa part la décision d'un enquêteur de la Commission canadienne des droits de la personne qui avait ignoré une preuve statistique, à première vue fiable et pertinente, soumise par le plaignant au cours de l'enquête.

[59]        Il s'agissait, dans cette affaire, d'allégations de discrimination systémique en emploi exercée, par la Gendarmerie royale du Canada, envers les membres de minorités visibles. À partir des données contenues dans les rapports produits par l'employeur, le plaignant avait évalué à 7%, de 1996 à 2000, le taux moyen de départ des candidats admis au programme de formation destiné à l'ensemble des cadets. Lorsque les candidats issus de minorités visibles étaient exclus des données concernant l'ensemble du groupe, la proportion des départs diminuait à 5,8%. Or le taux de départ chez les cadets issus de ces minorités s'élevait à près de 16%. De plus, même s'ils ne représentaient que 12% des effectifs au cours de cette période, ces derniers représentaient près de 28% du total des départs.

[60]        Rappelant que l'examen d'une plainte doit reposer sur une enquête rigoureuse de la Commission, la Cour d'appel fédérale note que même si le rapport d'enquête référait à certaines des statistiques fournies par M. Tahmourpour, il excluait celles qui, selon ce dernier, démontraient un taux de départ beaucoup plus élevé chez les cadets minoritaires. Selon le juge Evans, qui écrit au nom de la Cour:

[L]es statistiques fournies par M. Tahmourpour pour illustrer les différents taux de départ […] avaient trait à une allégation s'inscrivant dans la portée de la plainte.

[…]

[U]ne preuve de taux de départs différents peut établir l'existence de lignes directrices ou de pratiques au sein de la G.R.C. en matière de formation et d'embauchage de cadets, qui annihilent ou sont susceptibles d'annihiler les chances d'emploi des membres des minorités visibles.[58]

[61]        La Cour d'appel fédérale conclut donc que le refus de la Commission d'analyser ces données numériques équivaut à une violation des règles de l'équité procédurale et lui retourne en conséquence le dossier afin qu'elle reprenne l'enquête.

[62]        Dans la décision rendue en 2005 dans l’affaire Radek[59], le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique examine différents aspects de la preuve produite au soutien d'allégations de discrimination systémique envers des personnes d’origine autochtone et/ou atteintes d'un handicap cherchant à obtenir un service normalement offert au public, soit l'accès à un centre commercial. Le Tribunal commente en ces termes l’inexistence de données statistiques dans l’affaire dont il est saisi et les conséquences à en tirer:

In this case, for example, there was absolutely no evidence of the racial makeup of the people entering International Village. We do not know if 5% or 25% of the people attempting to enter the mall were Aboriginal. In the absence of this information, it would, even with the best and most reliable information about the racial makeup of persons ejected from the mall (which we did not have), be impossible to determine if Aboriginal people were ejected from the mall in numbers disproportionate to the rate at which they visited the mall. Such evidence would be useful, and would strongly tend to suggest discrimination, if it was available, but for the reasons I have given it is not. […] A discriminatory effect can also be proven in other ways. If, for example, the effect of the respondents' policies and practices was that Aboriginal people tended to be wrongly viewed as suspicious, and thus discriminated against, then that would be sufficient to establish a negative or discriminatory effect, regardless of the proportion of Aboriginal people so viewed in relation to the population as a whole. If that was the effect of the respondents' practices, it would not matter how many Aboriginal people were affected, or what proportion they made up of the whole population of visitors to the mall.

[…]

The evidence as a whole should be considered to determine if practices or attitudes are present which have the effect of limiting persons' opportunities due to their membership in one or more protected groups. In this regard, evidence about the attitudes of the respondents and their employees, evidence of the written and unwritten policies of the respondents, and evidence of the respondents' actual practices, both generally and in particular circumstances, may all be relevant to, and probative of, the question of whether systemic discrimination is present.[60] 

[63]        Plus facile à obtenir dans le contexte de l'emploi, en raison des obligations légales de l'employeur, que dans celui de la fourniture de services, la preuve statistique peut aussi être difficile à recueillir, sinon être inaccessible pour une ou des victime(s) présumée(s) qui dépendent largement, à cet égard, des politiques de collecte et d’archivage de données de la défense. Aussi, afin qu’une loi sur les droits de la personne atteigne sa finalité réparatrice, la nature de la preuve requise aux fins d’établir une situation de discrimination systémique peut donc varier selon la nature et le contexte de chaque affaire.

[64]        En l'absence de preuve statistique dans l'affaire Radek, le Tribunal de la Colombie-Britannique analyse de manière détaillée des politiques internes (site post orders)[61] du centre commercial destinées à orienter et à encadrer les surveillants lors d'interventions menant à l’expulsion d’individus. Ce faisant, le Tribunal vérifie si, malgré leur neutralité apparente, certains éléments seraient susceptibles d’engendrer, sur la base de préjugés et de stéréotypes, un traitement discriminatoire et défavorable envers les personnes d’origine autochtone et celles atteintes d'un handicap (tel que la surconsommation de stupéfiants ou d'alcool)[62].

[65]        Ce faisant, le Tribunal rappelle que ces éléments doivent être analysés en tenant compte du fait qu’ils se conjuguent les uns aux autres de manière à produire un effet cumulatif:

I discuss the effects on Aboriginal and disabled people of each of the significant aspects of the site post order below. While I have separated out the various elements of the site post order for ease of analysis, it must be remembered that in practice the criteria listed in the site post order did not exist in hermetically sealed compartments. In practice, guards would make decisions about people entering the mall on the basis of a global assessment, in which these criteria would play interrelated roles.[63] 

[66]        Le Tribunal de la Colombie-Britannique met également en relation l'application des éléments de la politique du centre commercial avec les stéréotypes fréquemment attribués aux membres des populations autochtones[64]. Ce faisant, il se livre à un examen global de la preuve qui le conduit à conclure que l’application d’une politique comportant des termes vagues et imprécis laisse place à une grande part d'arbitraire et de subjectivité. Il en va notamment ainsi des termes « suspect » et « vagrant » (vagabond) qui, à son avis, impliquent un risque élevé que les gardes, en raison de leurs préjugés et de leur manque de formation en droits de la personne, appliquent trop facilement ces qualificatifs aux personnes d’origine autochtone privées, en conséquence, de l’accès au centre. À la lumière de l'ensemble de la preuve, le Tribunal conclut à la discrimination dans ces termes:

The opportunity to walk into a shopping mall and buy a cup of coffee, go for an inexpensive meal, use a bank machine, or simply pass through on the way to public transportation, is one which the majority of Canadians take for granted. The practices of the respondents had the effect of systematically denying the Aboriginal and disabled people of the Downtown Eastside that opportunity. It made them strangers in their own community. [65]

[67]        La preuve de discrimination systémique repose donc essentiellement sur un ensemble de faits tels que des politiques institutionnelles, des processus décisionnels, des comportements et des attitudes qui, souvent inconscients et anodins en apparence, produisent et maintiennent, lorsque conjugués les uns aux autres, des effets disproportionnés d'exclusion pour les membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination; malgré son utilité lorsqu'elle est disponible et pertinente, la preuve statistique n'est pas pour autant indispensable à sa démonstration.

2.3       Les moyens de défense en cas de discrimination systémique

[68]        Après l'établissement, par la partie en demande, d'une preuve de discrimination dans le domaine de l'emploi, l'employeur peut échapper à sa responsabilité en démontrant que conformément aux exigences de l'article 20 de la Charte, l'exclusion contestée est «fondée sur les aptitudes ou qualité requises par un emploi».

[69]        La démonstration requise à cette fin exige de l'employeur qu'il démontre:

(1)        qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à
                         l'exécution  du travail en cause;

(2)        […];

(3)        que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.  Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.[66]

[70]        Le Tribunal rappelle ici la non-pertinence du second critère énoncé dans l'arrêt Meiorin relativement à la croyance sincère, chez l'employeur, que la norme contestée était nécessaire à la réalisation du but lié à l'exécution du travail. En droit québécois en effet, les deux exigences ci-haut mentionnées sont les seules à s'appliquer depuis la suppression de la composante subjective de la défense d'exigence professionnelle justifiée lors d'amendements apportés, en 1982, à l'article 20:

En substituant alors aux aptitudes et qualités «exigées de bonne foi pour» un emploi les aptitudes ou qualités «requises par» un emploi, le législateur a renforcé le critère objectif qui se dégageait déjà de la version antérieure de l'article 20 et, ce faisant, il a indiqué la rigueur avec laquelle la justification invoquée doit désormais être examinée. De plus, la modification législative de 1982 a également pour effet de supprimer toute référence à l'exigence de bonne foi prévalant antérieurement.[67]

[71]        Au nombre des motifs expliquant l'approche établie dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême mentionne son efficacité accrue pour combattre la discrimination systémique. Rappelons qu'à l'instar du présent dossier, cette affaire concerne aussi une exigence d'emploi (un test mesurant la capacité aérobique) produisant un effet d'exclusion disproportionné pour des femmes désireuses d'exercer un emploi non traditionnel (pompier forestier) en Colombie-Britannique. Aussi, nous reprenons maintenant l'examen des deux exigences applicables en droit québécois en examinant plus particulièrement leur effets dans un contexte de discrimination systémique envers les femmes.

             2.3.1    Les exigences essentielles à l'exécution sûre et efficace de                       l'emploi

[72]        La discrimination systémique en emploi se caractérise entre autres par les effets disproportionnés d'exclusion découlant de politiques et de pratiques institutionnelles de recrutement, d'embauche et de promotion généralement neutres en apparence. Aussi, l'examen de justification prévu dans l'arrêt Meiorin soumet-il d'abord ces dernières à un test de rationalité que n'exigeait pas l'approche conventionnelle appliquée avant cette affaire. En effet, selon celle-ci:

[S]i une norme est qualifiée de «neutre» à l’étape préliminaire de l’examen, sa légitimité n’est jamais mise en doute.  Il s’agit alors de savoir si on peut composer avec le demandeur, et la norme formelle elle-même demeure toujours intacte.  L’analyse conventionnelle porte donc non plus sur les principes qui sous-tendent la norme, mais sur la façon dont des personnes «différentes» peuvent cadrer dans le «courant dominant» que représente la norme.[68]

[73]        La Cour suprême mentionne la critique de certains auteurs à l'endroit des limites de cette approche:

Sous cet angle, l’accommodement paraît ancré dans le modèle de l’égalité formelle.  […]. L’accommodement ne touche pas le cœur de la question de l’égalité, le but de la transformation ni l’examen de la façon dont les institutions et les rapports doivent être modifiés pour les rendre disponibles, accessibles, significatifs et gratifiants pour la multitude de groupes qui composent notre société.  L’accommodement semble signifier que nous ne modifions ni les procédures ni les services; nous nous contentons de «composer» avec ceux qui ne cadrent pas tout à fait.  […] [69]

[74]        Souscrivant à cette analyse, la Cour suprême souligne les désavantages découlant de son application à l'affaire devant elle:

La présente affaire, où Mme Meiorin cherche à conserver son poste dans un métier à prédominance masculine, est un bon exemple de la manière dont l’analyse conventionnelle met la discrimination systémique à l’abri de tout examen.  Cette analyse empêche la Cour d’évaluer rigoureusement une norme qui, en régissant l’accès à un emploi à prédominance masculine, lèse les femmes en tant que groupe.  Bien que le gouvernement puisse avoir l’obligation de composer avec un demandeur, l’analyse conventionnelle fait concrètement en sorte que l’ensemble complexe d’obstacles systémiques et apparemment neutres aux emplois traditionnellement à prédominance masculine échappe à la portée directe de la loi.  Le droit de ne pas faire l’objet de discrimination est ramené à la question de savoir si le «courant dominant» peut, dans le cadre de sa norme formelle existante, se permettre d’accorder un traitement approprié aux personnes lésées.  Dans la négative, l’institution de la discrimination systémique reçoit l’approbation de la loi.  Cela n’est pas acceptable.[70]

[75]        Pour éviter le maintien, voire le renforcement de normes produisant un effet d'exclusion systémique, une application stricte de l'exigence de rationalité prévue à la première étape du test de l'arrêt Meiorin s'impose donc. En effet, c'est à cette première étape qu'un tribunal détermine si l'objet d'une norme discriminatoire est rationnellement lié aux exigences objectives de l'emploi concerné. Ainsi, une norme qui ne satisfait pas à cette exigence ne peut tout simplement pas être maintenue et aucune mesure ne peut, a posteriori, en rétablir la validité au sens de la Charte. Selon la professeure Colleen Sheppard, cette approche:

[…] emphasizes the need to change the institutional status quo, rather than simply according to special or exceptional treatment to individuals otherwise excluded or disadvantaged by institutional norms, policies, or practices.[71]

[76]        En somme, cette démarche implique une évaluation rigoureuse de l'utilité réelle de règles discriminatoires dans leurs effets; au cas contraire, elle exige leur reformulation, voire leur transformation de manière à ce qu'elles favorisent l'atteinte d'une véritable égalité substantielle ou réelle (par opposition à une égalité purement formelle).

[77]        Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême note à ce propos que la norme aérobique imposée à tous les candidats et excluant de manière disproportionnée les femmes avait pour but d'identifier les employés ou les candidats en mesure d'effectuer le travail de pompier forestier de manière sûre et efficace. À ce titre, elle conclut qu'il existait de manière évidente «un lien rationnel entre cette caractéristique générale et l'exécution des tâches particulièrement ardues qu'un pompier forestier est censé accomplir».[72]

[78]        À l'opposé, les politiques de surveillance de la clientèle d'un centre commercial n'ont toutefois pas satisfait à l'exigence de rationalité dans l'affaire Radek [73] examinée plus tôt. Selon le Tribunal de la Colombie-Britannique, il n'y avait aucun lien rationnel entre l'exclusion de personnes qui sentent mauvais ou portent des vêtements déchirés et la sécurité dans le mail. Notant que des efforts étaient déployés pour exclure spécifiquement deux sous-groupes de personnes handicapées, soit les consommateurs de stupéfiants et les personnes atteintes du VIH, le Tribunal a jugé qu'une telle exclusion discriminatoire n'était pas liée au maintien d'un environnement sécuritaire.

             2.3.2    Les exigences minimales non susceptibles d'accommodement raisonnable

[79]        Tout aussi importante, la seconde étape, en droit québécois, du test de l'arrêt Meiorin vise à évaluer si l'employeur peut, sans subir de contrainte excessive, accommoder raisonnablement la personne ou le groupe de personnes exclues en adoptant une norme ne produisant pas cet effet. À cette fin:

Les employeurs qui conçoivent des normes pour le milieu de travail doivent être conscients des différences entre les personnes et des différences qui caractérisent des groupes de personnes.  Ils doivent intégrer des notions d’égalité dans les normes du milieu de travail.  En adoptant des lois sur les droits de la personne et en prévoyant leur application au milieu de travail, les législatures ont décidé que les normes régissant l’exécution du travail devraient tenir compte de tous les membres de la société, dans la mesure où il est raisonnablement possible de le faire.  […] La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l’encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée.  La norme elle-même doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu’il est raisonnablement possible de le faire.  Il se peut que la norme qui permet un tel accommodement ne soit que légèrement différente de la norme existante, mais il reste qu’elle constitue une norme différente.[74]

[80]        Afin d'être la plus inclusive possible (ou la moins discriminatoire) et de composer avec l'apport potentiel de tous les candidats ayant la capacité d'effectuer le travail de manière sûre et efficace, la norme permettant de mesurer cette capacité doit, à moins que l'employeur n'en subisse une contrainte excessive: 1) être établie à un niveau minimal permettant de satisfaire à ces exigences; 2) être modulée en fonction des différentes façons dont les candidats de certains groupes (telles les femmes ou les personnes atteintes d'un handicap) peuvent y satisfaire.

[81]        En d'autres termes, la démarche consiste donc à évaluer d'abord la validité intrinsèque de certaines exigences professionnelles pour s'assurer qu'elles correspondent aux qualifications minimales requises pour exercer l'emploi concerné. Dans l'affirmative, il faut ensuite vérifier si des adaptations ou modifications permettant l'inclusion de personnes autrement exclues peuvent encore être apportées sans entraîner une contrainte excessive pour l'employeur.

[82]        Reprenant chacune de ces exigences, il s'ensuit que l'employeur doit d'abord adopter une norme «bien conçue pour que le niveau de compétence requis soit atteint sans qu’un fardeau excessif ne soit imposé à ceux qui sont visés par la norme».[75] Dans l'arrêt Meiorin, après avoir noté que la norme relative à la capacité aérobique des candidats correspondait à la capacité moyenne des employés et des aspirants pompiers forestiers, la Cour suprême constate que cette performance moyenne ne permet pas pour autant de savoir si ladite norme constituait «la qualification minimale requise pour exécuter le travail de manière sûre et efficace»[76]. Selon la Cour:

La performance aérobique moyenne du groupe polymorphe n’a rien à voir avec la question de savoir si la norme aérobique constitue un seuil minimal qui ne peut pas être modifié sans imposer une contrainte excessive à l’employeur. 

En fait, dans les rapports d’expert déposés en l’espèce par le gouvernement, on se contente d’affirmer que la norme aérobique établie en 1992 et en 1994 est une norme minimale à laquelle les femmes peuvent satisfaire grâce à un entraînement approprié.  Aucune étude n’a été faite pour établir le bien-fondé de cette affirmation, et l’arbitre l’a rejetée pour le motif qu’elle n’était pas étayée par la preuve.[77]

[83]        L'employeur qui a rempli son obligation d'imposer une exigence professionnelle permettant d'assurer minimalement l'exécution sûre et efficace du travail doit ensuite vérifier s'il est possible, sans encourir de contrainte excessive, de satisfaire à cette norme en exécutant le travail de différentes manières ou en ayant recours à des méthodes de rechange n'entraînant pas d'effets discriminatoires. Il s'agit alors «d’évaluer si les membres de tous les groupes ont besoin de la même capacité […] minimale pour exécuter le travail de façon sûre et efficace et, dans la négative, de refléter cette disparité dans les qualifications requises pour l'emploi».[78] Les questions qu'un tribunal examinera à cette fin incluent les suivantes:

b) Si des normes différentes ont été étudiées et jugées susceptibles de réaliser l’objet visé par l’employeur, pourquoi n’ont-elles pas été appliquées?

c) Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l’employeur puisse réaliser l’objet légitime qu’il vise, ou est-il possible d’établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?

d) Y a-t-il une manière moins discriminatoire d’effectuer le travail tout en réalisant l’objet légitime de l’employeur?[79]

[84]        Cette double obligation, pour l'employeur, d'adopter une norme à la fois minimalement nécessaire à l'exécution sûre et efficace du travail et susceptible d'accommodements raisonnables, sans contrainte excessive, suscite ce commentaire de la professeure Sheppard à l'endroit de l'approche établie par la Cour suprême:

It is absolutely critical for McLachlin J. that institutional norms, policies, and practices be scrutinized and revised whenever possible as part of the project of securing greater substantive equality. Nevertheless, individual accommodation remains essential as well. […] It should not be an excuse to avoid scrutinizing the underlying validity of institutional norms, but rather a mechanism to ensure inclusion when revision of the underlying practices is not possible. Both components are necessary and important.[80]

[85]        En ce qui concerne la preuve de contrainte excessive, rappelons que l'employeur peut notamment invoquer:

Le coût financier, l'atteinte à la convention collective, le moral du personnel et l'interchangeabilité des effectifs et des installations.  L'importance de l'exploitation de l'employeur peut jouer sur l'évaluation de ce qui représente un coût excessif ou sur la facilité avec laquelle les effectifs et les installations peuvent s'adapter au gré des circonstances.  Lorsque la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents.  Cette énumération ne se veut pas exhaustive et les résultats qu'on obtiendra en mesurant ces facteurs par rapport au droit de l'employé de ne pas faire l'objet de discrimination varieront nécessairement selon le cas.[81]

[86]        Notant l'absence de preuve de l'employeur, en première instance, sur la contrainte excessive qui aurait pu découler d'une norme reflétant les capacités et l'apport potentiel de Mme Meiorin tout en permettant d'identifier les femmes en mesure d'exécuter le travail de manière sûre et efficace, la Cour suprême conclut que ce dernier n'a pas établi que la norme aérobique constitue une exigence professionnelle justifiée au sens du Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique.

[87]        Dans l'affaire Green mentionnée plus tôt, la Commission canadienne de la fonction publique soumettait, à titre d'intimée, qu'il avait été impossible d'accommoder la plaignante après la tenue du test d'aptitude linguistique, au moment où son handicap avait été découvert. Le Tribunal canadien des droits de la personne commente en ces termes l'écart entre la politique officielle de l'organisme en matière d'accommodement raisonnable et son refus de l'appliquer au cas de la plaignante:

[S]elon la théorie exprimée par Mme Ward, la Commission est un ardent défenseur des droits de la personne et prendra toutes les mesures voulues. Toutes ses directives sont constamment révisées pour éliminer toute possibilité de discrimination. La question de l'équité en matière d'emploi dans son ensemble est prise en considération dans l'établissement de toute nouvelle politique. […]

La preuve semble indiquer qu'aucune mesure n'a été prise pour tenir compte des besoins de Mme Green parce que la découverte, après coup, d'un trouble d'apprentissage ne concorde pas parfaitement avec les politiques et procédures établies par la Commission de la fonction publique pour gérer la politique du Conseil du Trésor. Personne à la Commission […] ne semblait savoir comment procéder pour s'écarter des pratiques et méthodes rigoureuses afin de tenir compte de cette situation exceptionnelle.[82]

[88]        Dans l'affaire Radek [83], le Tribunal a conclu qu'un accommodement raisonnable envers les personnes handicapées et celles d'origine autochtone impliquait que le centre adopte une politique reconnaissant explicitement les normes en matière de droits de la personne et qu'il forme en conséquence les employés chargés de son application.

[89]        Au terme de cet exposé sur les différentes règles relatives à la nature, aux fondements, à la preuve et aux moyens de défense en matière de discrimination systémique, nous entamons sans plus tarder l'analyse de la preuve telle que soumise par les parties à l'audience.

SECTION 3.   L'ANALYSE DE LA PREUVE

[90]        À la lumière des prescriptions applicables relativement à la preuve et à la défense en matière de discrimination systémique, nous entreprenons maintenant l'examen de la preuve produite à l'audience par rapport à l'ensemble du processus d'embauche suivi chez Gaz Métro de 1995 à 1997[84]. À cette fin, nous examinerons successivement la présence des femmes dans les emplois manuels au sein de cette entreprise (3.1); la description et les exigences préalables du poste de préposé réseau (3.2); le processus de recrutement à l'externe (3.3); la culture institutionnelle chez Gaz Métro (3.4).

3.1 La présence des femmes dans les emplois manuels chez Gaz Métro

[91]        Après un bref exposé des circonstances ayant conduit à la mise sur pied du concours de recrutement spécial, nous présentons les aspects essentiels de la preuve relative à la question de la sous-représentation des femmes dans le poste de préposé réseau.

3.1.1 Une mise en contexte du concours de recrutement spécial

[92]        De 1974 à 1976, Gaz Métro compte en moyenne quelque 200 employés manuels, tous de sexe masculin. La majorité de ces derniers travaillent en usine à la liquéfaction du gaz. Madame Carole Magnan, gestionnaire du Bureau d'emploi de 1992 à 1997 et directrice des ressources humaines chez Gaz Métro lors de son témoignage, les décrit comme peu scolarisés et sans formation technique. Monsieur Jean-Pierre Raymond, conseiller en développement technique et responsable de la formation des stagiaires réseau au moment de la période en litige, confirme le manque de scolarité de ces employés au moment de leur intégration dans les emplois d’exploitation du réseau. Il fallait en effet les jumeler en équipes, l’un sachant lire, l’autre souder et un troisième conduire. Beaucoup d’ajustements ont été apportés afin que ces hommes puissent effectuer leur travail.

[93]        Entre 1987 et 1995, Gaz Métro entreprend diverses démarches relatives à l'équité en matière d'emploi. Ainsi, à titre de fournisseur bénéficiant de contrats fédéraux, Gaz Métro doit légalement adhérer, en 1990, au Programme de contrats fédéraux créé, en 1986, dans la foulée du rapport (1984) de la Commission Abella sur l’équité en emploi[85]. Le programme vise les entreprises qui emploient un minimum de 100 personnes et contractent avec le gouvernement fédéral pour des montants atteignant 200 000$ et plus. Il a pour objectif d’imposer à ces dernières des mesures d’équité en emploi pour différents groupes cibles, soit les femmes, les autochtones, les personnes handicapées et les minorités visibles.

[94]        Parallèlement, en 1993, dans le cadre d’un plan de relève, le poste de préposé réseau prend forme chez Gaz Métro en remplacement de plusieurs postes abolis ou fusionnés[86]; seuls des employés déjà à l'emploi de Gaz Métro y sont «recrutés»[87]. Le Syndicat est associé à cette démarche[88] et le poste est régi par la convention collective[89].

[95]        Les aspirants préposés réseau sont formés à l’interne de Gaz Métro, notamment par messieurs Robert Bédard et Serge Charbonneau. Au départ, en 1992, lorsque la formation de préposé réseau est élaborée par Robert Bédard et Jean-Pierre Raymond, entre autres, elle est conçue pour durer trois ans. À compter de 1994, cette formation est condensée en deux ans. Une probation d’une durée de trois mois s’applique aux employés recrutés à l’extérieur de chez Gaz Métro[90].

[96]        Durant les six premiers mois de sa formation, l’employé est stagiaire réseau[91]. En compagnonnage avec un préposé expérimenté, il chemine à travers quatre différents blocs qui comprennent chacun une formation théorique et une formation pratique en entretien et réparation, en raccordements, en surveillance et en régulation de pression[92]. Dans les six mois suivants, le stagiaire devient apprenti réseau. Puis, la dernière année, il est préposé réseau junior et approfondit ses connaissances des quatre blocs vus durant les six premiers mois. Ce n’est qu’au terme de ces deux années et après avoir réussi chaque bloc de formation qu'un stagiaire obtient le titre de préposé réseau. S'il échoue à l’une de ces étapes, il est licencié[93].

[97]        Gaz Métro n’exige pas des candidats au poste de préposé réseau une quelconque expérience préalable dans ce domaine. Au contraire, l’entreprise considère que la formation dispensée à l'interne permet aux employés de développer les compétences nécessaires à l'exécution sécuritaire et efficace de leurs tâches[94].

[98]        De 1992 jusqu'à 1995, une seule femme occupe le poste de préposé alors que le nombre d'hommes passe de 143 à 132 au cours de la même période. Lors d'une session d’information destinée aux femmes candidates pendant le concours de recrutement spécial, monsieur Jean-Pierre Raymond mentionnera les difficultés éprouvées par cette dernière dans un milieu exclusivement masculin. Quant à madame Carole Magnan, elle indique que la faible proportion de femmes préoccupe alors les dirigeants de l'entreprise qui souhaitent en recruter davantage: « En 1995, le nombre de candidates était jugé insuffisant ».

[99]        Le 2 juin 1995, Gaz Métro et le Syndicat signent une lettre d'entente[95] visant à permettre aux femmes et aux personnes issues des minorités visibles d’accéder de façon préférentielle à des postes de préposé réseau, rattachés à la division de l’exploitation des réseaux, à la condition qu'elles détiennent les compétences requises. L’entente prévoit que 10 des quatorze 14 prochains postes de stagiaire-réseau à combler (soit 71% des nouveaux postes) seront réservés aux personnes issues de l'un ou l'autre des deux groupes-cibles. Le recrutement sera effectué en consultant des organismes intervenant auprès des femmes en recherche d'emploi. Les parties précisent dans l'entente que « cette mesure de redressement à l’embauche ne remet aucunement en question le critère de compétence qui est primordial et n’aura pas pour effet d’abaisser les exigences pour qui que ce soit ».

[100]     C’est dans ce contexte que Gaz Métro amorce, en 1995, ses opérations visant à embaucher de manière préférentielle des femmes et des membres des minorités visibles pour des emplois de stagiaires. Le recrutement externe visant ces deux groupes cibles sera appelé le «recrutement spécial». C'est à travers celui-ci que les sept plaignantes représentées par la Commission allèguent avoir subi de la discrimination systémique fondée sur le sexe.

            3.1.2   La question de la sous-représentation

[101]     Tel qu'expliqué dans le rapport[96] de madame Denise Perron, témoin expert en matière d'équité en emploi présenté par Gaz Métro, tant le gouvernement fédéral que celui du Québec ont mis en place une réglementation visant à contrer la discrimination systémique en emploi. Aussi, indépendamment du régime spécifique auquel un employeur peut être assujetti à cet égard, les programmes d'équité en emploi ou d'accès à l'égalité comportent généralement diverses étapes. Celles-ci incluent notamment: l'évaluation des effectifs aux fins de déterminer s'il y a ou non sous-représentation de certains groupes d'employés; l'examen des systèmes (politiques et pratiques) d'emploi; la fixation d'objectifs assortis de mesures positives ou d'adaptation raisonnables; l'adoption de mesures de suivi. Les entreprises où de tels programmes sont implantés doivent en outre adopter une approche favorisant l'acceptation, par le personnel, des mesures entreprises et le succès de celles-ci. Mentionnons, à cette fin, l'information à donner aux employés sur l'équité en matière d'emploi, la désignation d'un cadre supérieur responsable du programme et la création d'un climat favorable à l'intégration des employés issus des groupes-cibles. Dans cette section, nous nous limitons toutefois à l'analyse de la preuve qui nous permettra de déterminer si les femmes étaient ou non sous-représentées dans le poste de préposé réseau chez Gaz Métro au moment des faits pertinents au présent litige.

[102]     Selon les experts ayant témoigné à ce sujet, la sous-représentation de personnes appartenant à un groupe cible s'évalue en comparant la proportion de personnes de ce groupe au sein d'une entreprise avec la proportion de celles qualifiées pour le même poste à l’extérieur de cette dernière. À cette fin, il faut d'abord établir le pourcentage de femmes occupant le poste de préposé chez Gaz Métro par rapport au nombre total d'employés dans ce poste. Ce résultat est ensuite comparé au pourcentage de femmes qualifiées pour le même poste sur le marché régional de l'emploi et connu comme le « taux de disponibilité » des femmes qualifiées pour le poste dans la main-d'œuvre externe. Ce taux constitue un guide utile à l'employeur pour fixer des objectifs quantitatifs (quotas d'embauche) de représentation de travailleurs issus des groupes cibles[97].

[103]     Madame Érika Boukamp Bosch était le témoin expert présenté par la Commission en ce qui concerne l'analyse et l'évaluation d'effectifs et de systèmes d'emploi pour fins d'équité en emploi selon la législation fédérale. Elle oeuvre dans ce domaine depuis plusieurs années et a notamment assuré la transition entre différents systèmes de catégorisation d’emplois dans les provinces canadiennes.

[104]     À l'audience, le procureur de Gaz Métro a formulé une objection, que le Tribunal a prise sous réserve, relativement à l'admissibilité de la preuve fournie par madame Boukamp Bosch au sujet du régime fédéral d'équité en emploi.  découlant de la législation fédérale. À l'instar de madame Denise Perron[98], le Tribunal considère que les nuances rencontrées dans les démarches d'équité en emploi ou d'accès à l'égalité respectivement proposées par un pallier gouvernemental ou un autre ne compromettent pas leur objectif commun. Le Tribunal rejette en conséquence l'objection.

[105]     Selon madame Boukamp Bosch, la description du poste de préposé-réseau[99] et, tout particulièrement, l'exigence de ne posséder qu'un Secondaire V et de l'expérience font davantage du poste de préposé réseau un emploi semi-spécialisé qu'un emploi spécialisé requérant, à l'embauche, des titres de compétence tels ceux exigés dans différents métiers de la construction. De même, le fait que ce poste comporte une formation en emploi de deux ans contribue à élargir le bassin de travailleurs manuels susceptibles d'être qualifiés, ce qui n'est pas le cas lorsqu'une spécialisation est requise avant l'embauche. À son avis, le fait que la formation soit dispensée par l'employeur correspond au type d'actions favorisant l'équité en emploi.

[106]     Afin d'étoffer davantage sa démarche, madame Boukamp Bosch analyse la situation chez Gaz Métro en fonction de données tirées des recensements tenus en 1991, en 1996 et en 2001, et ce, en examinant plus particulièrement deux catégories d'emploi comprises dans la Classification nationale des professions applicable aux fournisseurs visés par le Programme de contrats fédéraux. La première catégorie («EEOG 12») concerne les travailleurs manuels semi-spécialisés alors que la seconde («EEOG 14») inclut les travailleurs manuels autres[100].

[107]     Pour chacune des périodes comprises entre ces années, la table de données officielles relative à la représentation des femmes sur le marché du travail indique, pour ces deux catégories de travailleurs, des taux de disponibilité variant entre 21% et 27%. Lorsque madame Bosch restreint son analyse à la représentation des femmes dans les emplois de travailleurs manuels semi-spécialisés à compter de 1991 jusqu’en 1999, leur taux de disponibilité se situe à 23,5%. Après 1999, ce taux passe à 21,5%[101].

[108]     À partir des données contenues dans les rapports annuels produits par Gaz Métro relativement au programme d'équité en emploi[102], Madame Bosch constate qu'en 1995, on retrouve 9 femmes sur un total de 378 travailleurs manuels semi-spécialisés. Ce taux de représentation (2.4%) est largement en deçà du taux de disponibilité (23.5%) des femmes dans cette catégorie d'emploi au Québec à la même période; en effet, 89 de ces 378 travailleurs auraient dû être de sexe féminin pour correspondre au taux de disponibilité des femmes. Cet écart de 80 femmes était, en appliquant le même raisonnement, de 76 en 1996 et de 71 en 1997[103].

[109]     Le tableau suivant[104] illustre plus particulièrement la représentation des femmes, au fil des ans, dans le poste de préposé réseau chez Gaz Métro:

Tableau 1

Représentation des femmes dans le poste de préposé réseau

 

 

1976

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

Femmes

0

1

5

7

6

5

4

4

7

7

Hommes

200

132

110

110

96

99

92

119

127

129

F/Total

0%

<1%

4,3%

6,0%

5,9%

4,8%

4,2%

3.2%

5.2%

5,1%

1% : Inférieur à 1%.

[110]     Madame Boukamp Bosch note que la présence d'une femme sur un total 133 employés occupant ce poste en 1995 chez Gaz Métro correspond à un taux de représentation de moins de 1% (soit 0,8%). Or pour satisfaire au taux de disponibilité (23.5%) des travailleuses manuelles semi-spécialisées sur le marché du travail à cette époque, Gaz Métro aurait alors dû compter 31 femmes dans ce poste. Elle conclut à une sous-représentation à ce point importante que, pour y remédier, il aurait fallu que Gaz Métro embauche quelque 30 femmes en 1995, 22 en 1996, 20 en 1997, et 18 en 1998[105]. Pour chacune des années 1999 et 2000, l'écart à combler par rapport au taux de disponibilité (21.5%) était de 17 femmes[106]. Comme nous le verrons bientôt, il s'agit, dans tous les cas, de nombres qui excèdent largement les résultats obtenus en vertu du programme de recrutement spécial.

[111]     Le tableau suivant, extrait du rapport de madame Boukamp Bosch[107], présente l'ensemble des données colligées par celle-ci à ce sujet:

 

Tableau 2

 

Représentation et disponibilité des femmes

dans le poste de préposé réseau (1995-2000)

 

 

Année

# Total

d'employés

Représentation

des femmes

   #             %

Disponibilité

des femmes

   #        %

Différence

Source

(Disponibilité)

1995

 

133

 

1

 

0.8

 

31

23.5

-30

Recensement 1991

1996

115

5

 

4.3

27

23.5

-22

Recensement 1991

1997

117

7

6.0

27

23.5

-20

Recensement 1991

1998

102

6

5.9

24

23.5

-18

Recensement 1991

1999

104

5

4.8

22

21.5

-17

Recensement 1996

2000

96

4

4.2

21

21.5

-17

Recensement 1996

 

[112]     Madame Denise Perron, témoin expert de Gaz Métro, recourt à une méthode différente pour déterminer le taux de disponibilité des femmes sur le marché du travail dans une catégorie de postes comparables à celui de préposé-réseau. À l'instar de Gaz Métro, elle retient en effet pour son analyse l'une des occupations génériques comprises dans la catégorie des travailleurs manuels semi-spécialisés (EEOG 12). L'occupation générique retenue à cette fin par madame Perron est désignée par le code 7442. Celui-ci comprend plus spécifiquement le personnel d'entretien des canalisations d'eau (sous-groupe 7442.1) et de gaz (sous-groupe 7442.2) auquel correspond le poste de préposé réseau.

[113]     Selon les données de Statistique Canada, le taux de disponibilité des femmes dans cette occupation comprise dans la catégorie des travailleurs manuels semi-spécialisés s'évalue à 5.2%, ce taux pouvant même être abaissé, selon madame Perron, pour tenir compte du fait qu'il inclut une proportion non pertinente de femmes affectées à l'entretien des canalisations d'eau. Elle note que 5 femmes, par rapport à 110 hommes, occupaient le poste de préposé-réseau en 1996 (soit 4,3% des effectifs) et qu'elles étaient au nombre de 7, comparativement à 110 hommes, en 1997 (soit 5,9% des effectifs). Elle conclut que leur très faible sous-représentation chez Gaz Métro en 1996 (comparativement à un taux de disponibilité de 5,2% sur le marché du travail) est complètement résorbée en 1997. À son avis, il n'y a donc pas de sous-représentation généralisée des femmes dans le poste de préposé-réseau chez Gaz Métro. En conséquence, madame Perron n'a pas jugé essentiel de procéder à un examen systématique des effets du processus de sélection sur l'embauche de stagiaires réseau de sexe féminin[108].

[114]     Confronté à deux opinions d'expert divergeant de manière significative, le Tribunal rappelle d'abord ce principe énoncé par la Cour d'appel:

[L]e juge a le devoir d'examiner toute la preuve pour former son opinion et […], dans le cadre de son analyse, il peut retenir ou rejeter tout témoignage, qu'il soit scientifique ou ordinaire, et doit déterminer l'importance relative des preuves qu'il retient pour dégager sa conclusion.  Il n'y a donc aucune preuve qui soit, par définition, prioritaire ou qui doit être privilégiée.[109]  

[115]     Aussi, dans l'appréciation de la valeur probante du rapport et du témoignage d'un expert, le Tribunal doit prendre en considération le sérieux des démarches faites par celui-ci à l'étape de la cueillette des données, le lien entre son opinion et la preuve factuelle recueillie à l'audience, de même que sa qualification et son impartialité. Comme l'écrit Jean-Claude Royer:

Le tribunal doit apprécier la crédibilité des témoins experts, ainsi que la valeur scientifique ou technique des faits qu'ils relatent ou des opinions qu'ils émettent.  Les critères généraux relatifs à l'évaluation d'une preuve ordinaire s'appliquent à l'expertise.  Le juge tient compte, de plus, de la nature et de l'objet de l'expertise, de la qualification et de l'impartialité de l'expert, de l'ampleur et du sérieux de ses recherches, ainsi que du lien entre les opinions proposées et la preuve.»[110]  

[116]     En ce qui concerne les méthodes d'analyse respectivement adoptées par mesdames Boukamp Bosch et Perron par rapport à la question de la sous-représentation, le Tribunal retient davantage les explications documentées, rigoureuses et essentiellement objectives de la première.

[117]     Dans son rapport, madame Boukamp Bosch explique ainsi que le taux de disponibilité par rapport auquel la représentation des femmes chez Gaz Métro doit être mesurée peut tantôt être établi de manière plus large, i.e. en fonction d'une catégorie d'emploi (telle EEOG 12), tantôt plus circonscrite, i.e. par rapport à une occupation générique particulière (telle celle désignée par le code 7442). Or selon les manuels d'instructions préparés afin de fournir des indications uniformes et adéquates aux employeurs qui adoptent des mesures d'équité en emploi, le taux de disponibilité établi en fonction d'une catégorie d'emploi doit notamment être utilisé pour le personnel clérical (EEOG 10), les travailleurs manuels semi-spécialisés (EEOG 12) et les autres travailleurs manuels (EEOG 14). Il en est ainsi car ces catégories regroupent des emplois qui, d'une part, requièrent des qualifications plus générales (broad occupational requirements), voire des habiletés pouvant être transposées d'un emploi à un autre au sein de la même catégorie et, d'autre part, comportent parfois des formations en cours d'emploi[111].

[118]     À l'opposé, les taux de disponibilité spécifiques à certaines occupations génériques seront utilisés adéquatement pour les catégories d'emploi regroupant respectivement les travailleurs professionnels (EEOG 3)[112], les travailleurs semi-professionnels et les techniciens (EEOG 4)[113], et les travailleurs de métiers et de commerce spécialisés (EEOG 9)[114] dans la mesure où ces derniers doivent posséder des qualifications spécifiques, voire adhérer à un ordre professionnel pour pouvoir exercer leur métier ou leur profession[115]. Cette approche est par ailleurs celle retenue par madame Perron, selon laquelle «la disponibilité des femmes pour l'emploi de préposée/préposé réseau sera ainsi plus significative que si elle est analysée à partir d'un grand regroupement d'emplois» tel l'une ou l'autre des catégories EEOG 12 et EEOG-14[116].

[119]     Aussi, le Tribunal se doit de constater que la méthode d'analyse retenue par madame Boukamp Bosch dans ce domaine complexe est davantage conforme aux prescriptions et aux normes imposées aux employeurs afin qu'ils établissent adéquatement le taux réel de représentation de différents groupes-cibles au sein de leur personnel.

[120]     À l'appui de sa démarche, madame Perron considère en outre que le poste de préposé ne constitue pas un emploi d'entrée au sein de l'entreprise. Madame Sylvie Richard, conseillère en dotation chez Gaz Métro ayant participé de façon importante au programme de recrutement spécial, contredit toutefois cette affirmation[117]. Contre-interrogée par la procureure de la Commission, madame Perron reconnaît d'ailleurs qu'elle n'a pas examiné le poste de préposé au moment de la préparation de son rapport. De plus, en 1996, elle avait écrit le contraire dans un document où elle avait notamment analysé l'expérience de Gaz Métro en matière d'emplois non traditionnels:

Le poste de préposé au réseau est la fonction d'entrée pour les emplois manuels et techniques. Depuis quelques années, les postes de préposé étaient comblés par du personnel chez les cols bleus ou encore par du personnel chez les cols blancs de l'entreprise.[118]

[121]     En conséquence, le Tribunal souscrit davantage aux conclusions de madame Boukamp Bosch relativement à une importante sous-représentation des femmes dans le poste de préposé-réseau chez Gaz Métro, et ce, d'autant plus que son opinion est confortée par les témoignages d'autres experts.

[122]     En effet, monsieur Claude Yelle, analyste-conseil au gouvernement fédéral et reconnu témoin expert de la Commission par le Tribunal, apporte un point de vue complémentaire sur la question de la sous-représentation. Expliquant l’utilisation des tableaux affichés sur le site électronique de Statistique Canada, celui-ci considère l'exigence de détenir un diplôme de Secondaire V ou son équivalent pour établir le taux de disponibilité des femmes sur le marché du travail. Pour la région de Montréal, le bassin de personnes répondant au critère de base de l’emploi en litige est rencontré par 999 200 personnes, dont 55% sont des femmes, et ce, sans compter celles ayant atteint un niveau supérieur au secondaire V. L'évaluation de monsieur Yelle conforte le constat d’une sous-représentation de ces dernières dans l’emploi de préposé-réseau chez Gaz Métro.

[123]     Monsieur Louis Laurencelle, témoin expert de Gaz Métro à titre de méthodologue statisticien, a été interrogé sur les conclusions de madame Boukamp Bosch à partir des notes sténographiques du 18 février 2006. Bien qu’il précise que les taux de disponibilité établis par rapport au marché du travail ne relèvent pas son expertise, il constate des imprécisions dans certaines utilisations qui en sont faites. Il explique que le jugement subjectif de l‘employeur peut intervenir, qu’il peut manipuler les données pour diminuer le nombre de postes à combler par des femmes. Il confirme l’opinion de l’expert Yelle selon lequel environ 50% de la population, dont une majorité de femmes, détient au moins un diplôme de secondaire V. En conséquence, on retrouve selon lui plus de femmes que d'hommes pour satisfaire à ce critère d’emploi du poste de stagiaire réseau[119]. (Pièce D-93)

[124]     Comme le démontre en outre le tableau qui suit, le processus de recrutement spécial entrepris entre juin 1995 et octobre 1997 n'a pas permis d'atteindre les objectifs d'embauche visés quant à l'accroissement des préposés réseau de sexe féminin.

[125]     Mentionnons d'abord que le concours de juin 1995, au terme duquel deux (2) candidates avaient complété avec succès l'ensemble du processus de sélection, est annulé par la direction de Gaz Métro, et ce, sans écrit ni autre formalité. En fait, de juin 1995 à octobre 1997, six (6) femmes sur un total de vingt-huit 28 nouveaux préposés sont embauchées (soit 21% des nouveaux effectifs). Neuf (9) de ces 28 employés, incluant une femme, sont recrutés via l'unité de négociation CSN alors que les 19 autres candidats proviennent soit d'autres unités («à l'interne») de Gaz Métro, soit de l'extérieur (ou «à l'externe») de l'entreprise[120]. Lorsque l'on prend aussi en compte l'année 1998, 11 nouveaux préposés de sexe masculin s'ajoutent, de telle sorte que le taux d'embauche des femmes chute alors à 15%, soit six (6) femmes sur les 39 nouveaux préposés embauchés au total, et ce, toutes provenances confondues.

Tableau 3

 

Provenance des candidats embauchés dans le poste de préposé

 

 

1995

1996

1997

1998

Total

Femmes

de l’interne

0

1

1

0

2

Hommes de l’interne

0

9

1

6

16

Femmes de l’externe

0

3

1

0

4

Hommes de l’externe

0

2

10

5

17

Total selon le sexe

0

 

F 4

H 11

F 2

H 11

F 0

H 11

F 6

H 33

 

[126]     Aussi, malgré la lettre d’entente du 2 juin 1995 qui visait à permettre aux femmes et aux minorités visibles d’accéder de façon préférentielle à des postes de préposé réseau, la preuve démontre que l’employeur n’a pas comblé les 10 postes sur 14 réservés, avec l’accord du Syndicat, à cette clientèle.

[127]     Le Tribunal émet toutefois quelques réserves sur l'utilité réelle de cette preuve statistique en l'espèce en raison du faible nombre de candidats recrutés au cours de cet exercice et de la difficulté voire de l'impossibilité, à certains égards, d'obtenir des données précises sur le nombre exact et le sexe des personnes ayant soumis leur candidature. En contre-interrogatoire, madame Sylvie Richard affirme ainsi que même si ses données à cet égard sont fiables, «je ne peux pas vous garantir qu'il ne manque pas (sic) aucune donnée. Je serais pas correcte de vous dire que ça se peut absolument pas »[121].

[128]     Le Tribunal retient donc à ce propos les observations formulées par l'expert Louis Laurencelle sur l'utilité relative de la preuve statistique dans les dossiers qui ne s'y prêtent pas. Comme nous l'écrivions plus tôt:

[…] la preuve de discrimination systémique repose largement sur un ensemble de faits tels que des politiques institutionnelles, des processus décisionnels, des comportements et des attitudes qui, souvent inconscients et anodins en apparence, produisent et maintiennent, lorsque conjugués les uns aux autres, des effets disproportionnés d'exclusion pour les membres de groupes visés par l'interdiction de la discrimination. Dans ce contexte, si utile soit-elle lorsque disponible et pertinente, la preuve statistique n'est pas pour autant indispensable à la démonstration de discrimination systémique.[122]

[129]     Aussi, afin de déterminer si la sous-représentation des femmes dans l'emploi de préposé réseau est imputable au phénomène de la discrimination systémique, le Tribunal examine à partir de maintenant l'ensemble du processus de sélection appliqué et ce, en s'attardant notamment à l'expérience de chacune des plaignantes par rapport à ce dernier.

            3.2       La description du poste de préposé / stagiaire réseau et ses  exigences préalables

[130]     La présente section consiste en l’examen des documents en amont du recrutement spécial chez Gaz Métro, d’une part, et des pré-requis nécessaires à l’emploi de préposé réseau, d’autre part. Ainsi, nous aborderons successivement la description des tâches de préposé réseau (3.2.1) et les exigences préalables selon le profil d’emploi (3.2.2), nommément le permis de conduire de classe 3 (3.2.2.1), le diplôme d’études secondaires (3.2.2.2) et l’expérience non traditionnelle (3.2.2.3).

3.2.1 La description des tâches

[131]     Pour les raisons dont nous avons fait état précédemment[123], le poste de préposé réseau est un poste d’entrée entrant dans la catégorie des emplois manuels. Avant même de procéder à l’examen des exigences préalables à l’emploi et autres pré-requis, il importe de vérifier l’adéquation entre la description des tâches reliées à l’emploi de préposé réseau et le profil d’emploi utilisé aux fins du recrutement.

[132]     Monsieur Normand Pettersen, témoin expert en matière de sélection présenté par Gaz Métro, explique à cet égard que la liste des tâches essentielles à un emploi doit d’abord présenter un lien « critique » avec l’emploi même[124]. Ce n’est qu’ensuite que le profil d’employé recherché pourra être établi et que les exigences requises pour le poste pourront être déterminées. Puis, en se basant sur ces exigences, les instruments de sélection appropriés seront élaborés.

[133]     Madame Chantale Jeanrie, experte en psychométrie et en psychologie industrielle, explique sensiblement la même chose, à savoir qu’on doit généralement se servir étroitement de la description du poste en cause afin d’évaluer le processus de sélection. Elle poursuit en disant que chaque tâche comprise dans la description du poste doit faire l’objet d’une analyse des KSAO (knowledge, skills, ability, others) pertinents à cette tâche[125]. S’il y a un manque de corrélation entre ces différents éléments, c’est-à-dire la description des tâches, le profil d’emploi et les instruments de sélection, c’est le processus de recrutement en entier qui risque d’être, au minimum, inefficace.

[134]     Selon messieurs Jean-Pierre Raymond et Robert Bédard, respectivement conseiller au développement technique - entretien réseaux et conseiller en développement de la formation chez Gaz Métro, la description des tâches relatives à l’emploi qui a été utilisée dans le cadre des recrutements pour les années en litige figure à la pièce D-11, qui énumère différentes tâches que doivent effectuer les préposés réseau[126]. Chaque tâche y est bien détaillée et est associée à l’une des quatre grandes fonctions du poste de préposé réseau : intervention d’urgence, amélioration et raccordement, régulation de pression, surveillance du réseau.

[135]     La pièce D-11 est toutefois datée de juin 1998. Le document semble ainsi avoir été confectionné postérieurement aux recrutements de 1995 à 1997 et il est peu plausible que Gaz Métro s’en soit servi durant cette période. Quant à la pièce D-11A, identique à D-11 à la seule différence qu’elle s’accompagne de photographies illustrant les tâches, Jean-Pierre Raymond l’a confectionnée en 2005 pour les fins du présent litige[127].

[136]     Un témoin de Gaz Métro, monsieur Lucien Aubé, a été approché par l’entreprise, en 1997, pour réviser son processus d’embauche relativement aux postes de préposé réseau et préposé service. Dans son offre de services (P-74), il mentionne qu’aucun profil des compétences ne semblait clairement établi pour ces postes.

[137]     De plus, madame Sylvie Richard, conseillère en dotation chez Gaz Métro, confirme qu’aucune description d’emploi formelle n’existait au moment des concours spéciaux[128]. Quant à messieurs Robert Bédard et Jean-Pierre Raymond, ils affirment que le document D-11 était en préparation depuis 1992, qu’il était évolutif et qu’il existait avant 1998 sous une forme ou une autre[129].

[138]     L’expert Pettersen explique que personne, chez Gaz Métro, ne lui a démontré que la pièce D-11 était réellement utilisée à titre de description de tâches durant la période en litige. Il souligne toutefois que si D-11 reflète réellement les tâches de préposé réseau et si ce document a fait l’objet d’une utilisation systématique lors des faits en litige, alors celui-ci est capital - la « pierre angulaire du dossier » -, car il est extrêmement détaillé[130]. Toutefois, il déclare par la suite qu’il n’est pas en mesure d’affirmer que les tâches énumérées à la pièce D-11 constituent des tâches importantes ou critiques pour le poste de préposé réseau[131].

[139]     De plus, il appert que le document D-11 recense des tâches manuelles qui incombent à plusieurs postes confondus, sans qu’on y retrouve toutes les tâches propres à celui de préposé réseau. Par exemple, le calcul et la cartographie devant être effectués sur le terrain préalablement à l’installation d’une section de tuyau n’y figurent pas, alors même que Gaz Métro a fait état de l’importance de l’application de calculs sur le terrain pour les préposés réseau. Jean-Pierre Raymond, pour sa part, estime que D-11 représente davantage ce qu'effectue un préposé réseau polyvalent au terme de sa formation, et non ce qui est attendu du stagiaire réseau lorsqu’il entre en poste[132], ce que confirme l’expert Pettersen.

[140]     Or même en tenant pour acquis que les gestionnaires et formateurs de Gaz Métro connaissaient bien, en 1995 et ensuite, la description de tâches du poste de préposé réseau malgré l’inexistence de D-11, il demeure qu’aucun témoin n’a été en mesure d’identifier clairement les compétences essentielles au poste de stagiaire réseau. En effet, les témoins de Gaz Métro, notamment Jean-Pierre Raymond, Sylvie Richard, Robert Bédard et Lucien Aubé, semblent eux-mêmes confus quant aux compétences essentielles au poste en litige et au moment où la pièce D-11 a été préparée.

[141]     Rappelons d’ailleurs à ce titre que madame Richard et monsieur Aubé confirment l’absence d’une réelle description d’emploi de 1995 à 1997. Au demeurant, il ressort du témoignage de monsieur Bédard que le document D-11 a été élaboré dans une optique de santé et de sécurité au travail plutôt que de recrutement[133]. Le Tribunal rappelle aussi les explications des experts Chantale Jeanrie et Normand Pettersen, selon lesquels la description des tâches essentielles à un emploi doit d’abord être étroitement liée à cet emploi avant qu’un profil d’emploi et un processus de sélection puissent être adéquatement élaborés.  À cet égard, madame Jeanrie explique qu’une analyse de poste élaborée eu égard à la sélection sert « davantage à déterminer quels sont les gestes effectués, […] les gestes qui sont discriminants en emploi, c’est-à-dire ceux qui permettent de déterminer qui est un bon employé - donc, qui fait sa tâche adéquatement - de [sic] qui ne la fait pas bien »[134]. Aussi, la pièce D-11 ne saurait ainsi servir de base au recrutement pour le poste de préposé réseau.

[142]     En l’espèce, il a donc été établi qu’aucune description des tâches n’existait au moment des faits en litige et que, quoi qu’il en soit, le document D-11 souffre de lacunes ne lui permettant pas d’être considéré comme une description des tâches appropriée. Puisque, selon les experts, tout le reste du processus de sélection doit logiquement découler d'un tel document et que ce dernier n'existait pas chez Gaz Métro de 1995 à 1997, certains doutes se soulèvent déjà quant aux étapes suivantes du processus de sélection, à commencer par le profil d’emploi.

3.2.2 Les exigences préalables selon le profil d’emploi

[143]     Ce qu’on nomme le profil d’emploi correspond en fait aux qualifications requises, c’est-à-dire aux exigences du poste de préposé réseau telles qu’indiquées sur les affiches de recrutement (P-3). Nous reproduisons ici ces exigences :

·         Permis de conduire, classe 3;

·         Compétences en mécanique, électricité, pneumatique et hydraulique;

·         Capacité d’effectuer des travaux requérant une certaine force physique;

·         Formation de niveau secondaire V;

·         Une expertise dans des domaines connexes (génie civil, mécanique du bâtiment), acquise dans le cadre d’une formation professionnelle ou par expérience, est pertinente pour ce type d’emploi[135].

[144]     Les affiches de recrutement pour les concours de juillet 1995 (P-3A), de novembre 1996 (P-3B) et d’avril 1997 (P-3D) sont à peu de choses près identiques. Quant à l’affiche P-3C, qui concerne aussi le concours de 1995, il s’agit du profil d’emploi que Gaz Métro a fait parvenir à ATF, à la demande de cette dernière, et aux autres organismes spécialisés devant encourager les candidatures de femmes. On y constate que la dernière des cinq exigences ci-haut énumérées, qui se rapporte à l’expertise dans des domaines connexes, a plutôt été remplacée par l’exigence suivante : « Habiletés manuelles pour travailler des pièces mécaniques de toute[s] dimension[s] ». Toutefois, la différence majeure entre P-3C et les autres affichages réside dans l’énumération d’expériences pertinentes à l’emploi, que voici :

·         Expérience sur les chantiers de construction, en horticulture, sur une ferme, sur une chaîne de montage, aqueduc, raffinerie et autres; tout système sous-terrain;

·         Manipulations d’équipements variés : pelle, souffleuse, système d’arrosage, « gun » à air, pièces mécaniques;

·         Habitudes de vie comme réparation et entretien du véhicule (changer les pneus, l’huile, freins, etc.).

[145]     Selon les témoins de Gaz Métro, notamment Jean-Pierre Raymond et Sylvie Richard, cet ajout avait pour objectif d’accroître la possibilité que les femmes se reconnaissent dans la description des exigences et correspondent plus facilement au profil recherché[136]. Or, comme le reconnait Robert Bédard lors de son témoignage, ces expériences sont habituellement détenues par des hommes[137]. En outre, cette liste d’expériences pertinentes ne figurait pas aux avis de poste vacant affichés à l’interne de Gaz Métro[138].

[146]     De plus, l’affichage P-3C est le seul qui comprend une énumération des qualités de la personne recherchée, nommément :

·         À l’écoute, ouverte;

·         Souplesse, tout en prenant sa place;

·         Esprit d’équipe, aime travailler avec les autres : démontre de l’empathie;

·         Souci de la clientèle;

·         Intérêt marqué (par ses expériences professionnelles et paraprofessionnelles) pour le milieu non traditionnel, le travail manuel, le travail dans des conditions climatiques et physiques difficiles ou différentes (saleté de terre);

·         Goût de se dépasser;

·         Proactive, recherche de solutions;

·         Peut influencer positivement les autres.

[147]     En effet, ces « qualités de la personne » ne se retrouvent ni dans les autres profils d’emploi P-3, ni dans les affichages «à l’interne» de Gaz Métro, soit dans l'unité accréditée à la CSN et dans l'ensemble de l'entreprise. Selon l’experte Chantale Jeanrie, il est difficile de lier les qualités mentionnées à titre d’exigences aux tâches concernées par le poste de préposé réseau[139]. À titre d’exemple, elle remet en question l’exigence « d’empathie », qui constitue selon elle une exigence pertinente pour les postes de psychologues, de conseillers en orientations, de travailleurs sociaux ou d’autres professionnels, mais non pour ceux de cols bleus[140]. Elle exprime l’avis que le nombre de qualités recherchées mentionnées à l’affichage P-3C est largement excessif[141].

[148]     Selon madame Jeanrie, trois types d’exigences peuvent être requis par une entreprise lors d’un recrutement : une exigence exigible dès l’entrée en poste; une exigence absolument essentielle au poste et qui ne relève pas d’une préférence; et une exigence rattachée à une caractéristique se retrouvant parmi le bassin de candidats naturels au poste[142].

[149]     Quant à l’expert Normand Pettersen, il remarque qu’aucune définition de ces « qualités de la personne » n’existe chez l’employeur et considère que cela est contraire à une pratique rigoureuse[143]. En effet, il appert que le seul document qui pourrait s’apparenter à un lexique détaillant les termes utilisés sous le regroupement « qualités de la personne » est la pièce D-57, qui appartenait vraisemblablement à monsieur François Messier, un collègue de Sylvie Richard chez Gaz Métro. Toutefois, monsieur Messier ne menait pas les entrevues pour le poste de préposé réseau et Sylvie Richard, qui s’en chargeait, n’a jamais utilisé le lexique D-57[144].

[150]     Le Tribunal s’interroge quant à la pertinence, à cette étape de l’affichage du poste lors du concours spécial de 1995, d’ajouter l’exigence de l’expérience non traditionnelle et d’énumérer les « qualités de la personne » recherchées. En effet, constatant la sous-représentation des femmes au sein du poste de préposé réseau dans son entreprise et se déclarant désireuse de redresser la situation, comment expliquer que Gaz Métro ait choisi de dresser une liste de qualités requises non pertinentes pour le poste, d’une part, et d’ajouter une exigence majoritairement détenue par des hommes, d’autre part?

[151]     Finalement, les avis de poste vacant avaient d’une durée d’affichage très variable selon qu’ils s’adressaient à l’interne de Gaz Métro ou à l’externe. Par exemple, en ce qui concerne le recrutement de 1995, l’affichage interne durait plus longtemps que l’affichage externe afin de permettre au maximum de gens d’en prendre connaissance malgré les vacances estivales. Ainsi, la date limite affichée pour les candidatures externes est le 12 juin 1995 (D-36), tandis que pour les candidatures internes, la date butoir indiquée est le 30 août 1995 (D-56). Comme les femmes peuvent essentiellement être recrutées à l’externe et puisque l’entreprise dit vouloir encourager le dépôt de candidatures féminines, cette mesure surprend.

3.2.2.1 Le permis de conduire de classe 3

[152]     Le permis de conduire de classe 3 permet à ses détenteurs de conduire un camion porteur, c’est-à-dire un camion de trois essieux et plus ou un camion avec deux essieux et dont la masse nette est supérieure à 4 500 kilogrammes[145]. C’est l’un des types de camions qu’utilise Gaz Métro et que ses employés sont appelés à conduire. Par ailleurs, le permis de classe 1, qui permet de conduire de gros camions tirant des semi-remorques, et le permis de classe 2, qui permet de conduire des autobus destinés au transport de plus de 24 passagers, « englobent » en quelque sorte la classe 3, à telle enseigne que les permis de classe 1 ou 2 autorisent leur détenteur à conduire les véhicules visés par la classe 3[146]. À cet égard, Gaz Métro semble suggérer que Joan Dupont a choisi à tort d’entreprendre les démarches menant à l’obtention d’une classe 1[147]; le même reproche est adressé à Tania Plourde, qui a choisi la classe 2[148]. Pourtant, ces choix de classe leur permettent simplement de faire plus que ce qui est demandé.

[153]     Pour obtenir un permis de classe 3, il faut d’abord détenir un permis de classe 5 (véhicule de promenade) depuis au moins deux ans. Sur acceptation du dossier médical et réussite du test théorique, un permis d’apprenti conducteur pour la classe 3 est décerné pour une période minimale de trois mois, après quoi le test pratique doit être réussi[149].

[154]     Lors de la réunion d’information sur le poste de préposé réseau à laquelle sont conviées les femmes intéressées en 1995, Jean-Pierre Raymond, Sylvie Richard et Carole Magnan remettent à celles-ci un document[150] détaillant les étapes à suivre pour obtenir un permis de classe 3 et les coûts associés à chacune de ces étapes. Excluant la formation pratique requise pour l’obtention du permis, ces coûts sont de l’ordre de 111 $. La convention collective négociée entre Gaz Métro et le Syndicat en 1998 prévoit le remboursement de ce montant[151], ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne la convention collective de 1994[152] en vigueur lors des concours de recrutement spéciaux. Au coût du permis de conduire s’ajoute le paiement des cours de conduite nécessaires à l’obtention de la classe 3. Lors de la réunion d’information en 1995, les femmes présentes apprennent que le coût de ces cours s’élève à environ 600 $[153]. Monsieur Serge Fortin, chef de la dotation à la Société de transport de Montréal, déclare plutôt lors de son témoignage que les cours coûtaient entre 800 $ et 2 500 $[154]. Quant à monsieur André Gagné, préposé aux permis et à l’immatriculation à la Société de l’assurance automobile du Québec, il estime que le prix de ces cours varie entre 800 $ et 1 500 $[155].

[155]     Il a été mis en preuve qu’en 1995, au Québec, les femmes représentaient 3 % des détenteurs de permis de classe 1, 2, ou 3[156]; le même constat s’applique pour les années 1996[157] et 1997[158]. Des sept parties victimes en l’espèce, seules Marie-Claude Côté et Nicole Trudel possédaient un tel permis de conduire (classe 1) en 1995[159]; les autres candidates détenaient plutôt un permis de classe 5.

[156]     Ordinairement, Gaz Métro exigeait que les candidats aient déjà leur permis de classe 3 lors du dépôt de leur candidature pour le poste de préposé réseau[160]. En effet, ce pré-requis était énuméré aux affichages P-3 et autres[161]. Or dans le cadre du concours spécial de 1995, Gaz Métro a mis en place une mesure particulière permettant aux candidats d’entreprendre le processus de sélection sans avoir le permis de classe 3, et ce, en autant qu’ils l’aient en main au moment de l’embauche.

[157]     Le fait demeure que les candidats potentiels devaient, même en 1995, posséder le permis de classe 3 avant de savoir s’ils étaient retenus pour embauche. Cela implique d’une personne intéressée qu’elle débourse plusieurs centaines de dollars pour la formation menant à l’obtention de la classe 3 du permis de conduire, et ce, tout en n’étant nullement assurée d’avoir un emploi de préposé réseau au final. Puisqu’une infime minorité des détenteurs de permis de conduire de classe 3 sont des femmes, il est plutôt évident que cette exigence leur impose un fardeau certain. Ce pré-requis constitue ainsi un obstacle majeur ayant pour effet de décourager la candidature des femmes.

[158]     Par ailleurs, malgré que la preuve ne permette pas de savoir si les sept parties victimes en l’espèce ont ou non été rejetées sur cette base, il demeure pertinent d’examiner l’effet discriminatoire de l’exigence du permis de classe 3. En effet, nous rappelons que la présente affaire en est d’abord une plus globale de discrimination systémique; c’est dans ce contexte que s’insèrent les cas individuels des victimes, et non le contraire. Il demeure donc pertinent de se pencher sur le caractère discriminatoire de ce pré-requis, même s’il appert que ce n’est pas nécessairement cette exigence qui a fait échouer les victimes dans leur(s) tentative(s) d’accéder à un poste de préposé réseau.

[159]     En l’espèce, il est vrai que le coût des cours menant à l’obtention du permis de classe 3 ainsi que ses conditions d’obtention sont les mêmes pour les hommes et pour les femmes. Ce ne sont d’ailleurs pas ces conditions et ce coût prohibitif que la Commission conteste comme étant discriminatoires. La norme contestée est plutôt l’exigence, telle que formulée par Gaz Métro, de détenir le permis de classe 3 avant l’embauche. À cet égard, l’experte Jeanrie se prononce en ces termes :

Le problème associé, ici, au choix de cette exigence-là n’est pas la pertinence, mais le moment où on le mesure. Dans ce cas-ci, on le mesure avant l’entrée en poste, c’est-à-dire qu’on exige des candidats qu’ils possèdent ce permis-là avant même qu’ils déposent leur candidature.

[…]

[P]armi les gens qui possèdent un permis classe 3, on parle de pourcentages qui sont de trois (3) ou quatre (4), si je me rappelle bien.

Donc, à cet égard-là, c’est une situation qui défavorise les femmes en ce qu’on les empêche de poser leur candidature, alors que, si on attendait un moment ultérieur, elles seraient en mesure d’obtenir ce permis-là, si elles ont rencontré les autres étapes.

Donc, le fait d’en faire une exigence d’entrée est défavorable pour les candidates[162].

[160]     Même si cette norme est neutre en apparence et s’applique également à tous, il est manifeste que ses effets sont discriminatoires envers les femmes. En effet, il faut tenir compte du contexte qui prévalait en 1995 : il existe une sous-représentation des femmes au sein du poste de préposé réseau chez Gaz Métro et l’entreprise instaure des concours spéciaux de recrutement visant à corriger cette situation. Or les femmes sont aussi extrêmement sous-représentées au sein du bassin de personnes détenant un permis de conduire de classe 3, que Gaz Métro exige avant l’embauche. En ce qui concerne cette seule exigence, le bassin de femmes qualifiées est plutôt restreint. Ces dernières ont alors comme seule option de se hâter à obtenir ledit permis avant d’être embauchées ce qui, considérant le coût des cours préparatoires, opère certainement un effet dissuasif (« chilling effect ») sur elles. Cette exigence a donc en soi un effet disproportionné d’exclusion à l’égard des femmes.

[161]     Le Tribunal considère que la Commission s’est déchargée de son fardeau de prouver prima facie que l’exigence de posséder le permis de conduire de classe 3 avant l’embauche est discriminatoire à l’égard des femmes, dans la mesure où cette exigence les exclut de manière disproportionnée du poste de préposé réseau. Il est donc maintenant nécessaire d’examiner, conformément au test élaboré dans l’arrêt Meiorin, si Gaz Métro a satisfait à son obligation de justifier cette norme discriminatoire.

[162]     La première étape de cette analyse exige de l’employeur qu’il démontre un lien rationnel entre l’objectif sous-tendant la norme contestée et l’exécution du travail en cause. Le travail visé en l’espèce est le poste de préposé réseau, dans le cadre duquel les employés sont fréquemment amenés à conduire des camions et à se déplacer pour répondre aux appels d’urgence. Quant à l’exigence de détenir un permis de classe 3 avant l’embauche, elle répond à l’objectif d’assurer que les stagiaires réseau puissent être fonctionnels dès le début de leur stage.

[163]     Or, l’objectif même de la fonctionnalité immédiate des employés réseau, malgré l’étendue et l’importance déjà démontrée de la formation interne de deux ans et le niveau d’entrée du poste, est questionnable. Dans la mesure où Gaz Métro affichait le désir de remédier à la sous-représentation des femmes au sein du poste de préposé réseau, ces deux objectifs, c’est-à-dire celui de permettre la fonctionnalité des stagiaires dès le début de leur stage, d’une part, et celui d'embaucher prioritairement des femmes dans le poste de préposé réseau, d’autre part, semblent non seulement concurrents, mais incompatibles. Et même si l’on ne questionnait pas le bien-fondé de cet objectif de la fonctionnalité immédiate des stagiaires, l’exigence formulée par Gaz Métro selon laquelle le stagiaire réseau doit détenir un permis de classe 3 avant l’embauche ne serait tout de même pas rationnellement liée à cet objectif puisqu’il a été démontré que les premiers six mois du stage s’effectuent en compagnonnage avec un préposé expérimenté, et donc que l’efficacité des stagiaires ne dépend pas du fait qu'ils possèdent ou non un tel permis.

[164]     Pour ces raisons, le Tribunal juge que Gaz Métro n’a pas prouvé la rationalité du lien entre l’exigence de détenir le permis de classe 3 dès l’embauche et l’objectif sous-tendant cette exigence. Par ailleurs, dans l'éventualité où nous aurions conclu au contraire, la preuve ne permet pas davantage de conclure que la défense de contrainte excessive reliée à l’accommodement demandé, qui constitue la seconde étape du test de l’arrêt Meiorin, a été établie par les défenderesses.

[165]     En vertu de cette seconde obligation, Gaz Métro devait aussi chercher à accommoder raisonnablement les femmes afin qu'elles puissent accéder en toute égalité au poste de préposé réseau. En effet, la jurisprudence est très claire sur le fait que les mesures d’accommodement raisonnable nécessaires à la pleine réalisation du droit à l’égalité font partie intégrante de ce droit, à moins qu'il n'en résulte une contrainte excessive[163]. Il revenait donc à Gaz Métro de s’assurer que ses normes de recrutement comportaient des mesures d’accommodement raisonnable, sans contrainte excessive, de manière à permettre l’égalité réelle des femmes à l’embauche[164].

[166]     En l’espèce, la seule mesure d’assouplissement consentie par Gaz Métro en 1995 a été d’accepter que les candidates n’aient pas le permis de classe 3 au moment du dépôt de leur candidature; elles devaient toutefois le détenir au moment de leur embauche. Or cette mesure ne saurait être considérée comme un accommodement raisonnable, dans la mesure où elle ne remédie aucunement au problème identifié en obligeant tout de même les candidates à entreprendre les démarches et à payer les cours pratiques menant à l’obtention du permis de classe 3 avant même de savoir si elles seront embauchées.

[167]     De plus, comme il a été mis en preuve, le stagiaire réseau travaille en compagnonnage durant les six premiers mois de sa formation[165]. Lorsqu’il se déplace en camion, le stagiaire est donc constamment en présence d’un employé senior[166]. Comme nous l’avons précédemment mentionné, le permis d’apprenti conducteur de classe 3, que l’apprenti doit posséder pendant au moins trois mois avant d’obtenir son véritable permis de conduire de classe 3, permet à celui-ci de conduire des véhicules de la classe 3 s’il est accompagné d’un titulaire d’un permis de classe 3. Ainsi, il serait envisageable qu’un stagiaire réseau ait simplement son permis d’apprenti conducteur classe 3 durant les premiers mois de son stage, alors qu'il travaille en compagnonnage. Cet exemple d’accommodement permettrait sans aucun doute aux femmes, qui détiennent ce type de permis dans une très mince proportion, d’accéder en toute égalité au poste de préposé réseau dans la mesure où elles pourraient attendre la confirmation de leur embauche avant de chercher à obtenir leur permis de classe 3. Lorsque interrogés à savoir s’ils avaient même jamais envisagé la possibilité d’un tel accommodement, autant Jean-Pierre Raymond que Sylvie Richard et Carole Magnan ont répondu par la négative[167].

[168]     La lettre d’entente P-2 entre Gaz Métro et le Syndicat stipule clairement que les mêmes compétences allaient être demandées aux femmes cherchant à être recrutées. Or, l’accommodement requis en l’espèce n’équivaut pas à une baisse des standards de qualité. Il s’agit plutôt, dans le contexte de sous-représentation que l’on connaît, de favoriser l’égalité réelle des femmes par rapport aux hommes en apportant aux normes habituelles les adaptations requises afin que les femmes puissent démontrer qu’elles sont en mesure d’exécuter le travail de manière sûre et efficace.

[169]     Qui plus est, jugeant que la mesure spéciale de 1995 n’avait pas porté fruit, Gaz Métro a décidé, dès 1996, de rétablir sa règle habituelle selon laquelle les candidats doivent posséder ce permis dès le dépôt de leur candidature. C’est donc dire que l'entreprise ne s’est pas interrogée davantage quant à l’effet d’exclusion résultant de cette norme, ni quant à l’efficacité réelle de la mesure adoptée en 1995, ni quant à la possibilité d’offrir une véritable mesure d'accommodement raisonnable susceptible de remédier à cet effet d’exclusion.

[170]     Selon Jean-Pierre Raymond, le fait d’accéder à l’accommodement demandé, c’est-à-dire de permettre aux stagiaires réseau d’entreprendre les démarches menant à l’obtention d’un permis de conduire de classe 3 après avoir obtenu confirmation de leur embauche, imposerait une contrainte excessive à Gaz Métro. En effet, lors de son témoignage, monsieur Raymond explique que cette mesure serait trop problématique parce que les stagiaires devraient s’absenter du travail pour suivre les cours pratiques nécessaires à l’obtention du permis, étant donné que les bureaux de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) ne sont ouverts que durant le jour, et que ce serait « ingérable »[168]. Or, il appert que le seul moment où les employés sont réellement obligés de se rendre à la SAAQ est lors de l’examen pratique de conduite; autrement, ils peuvent s'exercer au préalable ailleurs qu’à la SAAQ à l’aide de camions loués[169].

[171]     Monsieur Raymond a aussi mentionné que Gaz Métro a déjà permis, en 1992, à deux stagiaires réseau d’obtenir leur permis de classe 3 durant leur stage, mais que les problèmes alors occasionnés ont convaincu l’entreprise de la nécessité d’exiger à l’avenir le permis dès le début du processus de sélection. En effet, vers la fin de ses six mois de stage réseau, l’une de ces deux personnes avait failli échouer au test pratique menant à l’obtention du permis, ce qui aurait conduit Gaz Métro à la congédier. Monsieur Raymond explique que si tel avait été le cas, Gaz Métro aurait investi six mois en temps et en salaire pour former un préposé réseau qui, n'ayant pas obtenu son permis au terme de son stage de six mois, aurait dû être remercié[170]. Gaz Métro ne voulait donc pas risquer d’encourir inutilement de telles dépenses.

[172]     Le Tribunal reconnaît que ce risque peut représenter une certaine contrainte pour Gaz Métro. Toutefois, selon la jurisprudence pertinente, une « certaine contrainte » est acceptable, tant qu’elle n’est pas excessive[171]. En l’espèce, non seulement Gaz Métro n’a-t-elle pas prouvé que composer avec des stagiaires qui s’engageraient à obtenir leur permis de classe 3 quelques mois après le début de leur stage lui occasionnerait une contrainte excessive, mais il a aussi été mis en preuve que l’entreprise n’a pas même considéré, au plan procédural, la possibilité de proposer un semblable accommodement.

[173]     Par ailleurs, le Tribunal note aussi que des accommodements ou, du moins, des mesures facilitant l’obtention d’un permis de conduire des véhicules lourds ont cours dans des entreprises comparables à Gaz Métro. À ce titre, il ressort notamment du témoignage de Marie-Claude Côté qu’elle a obtenu son permis de classe 1, en 1993, dans le cadre même d’une formation offerte à l’interne, par Hydro-Québec, et dont elle n’a pas eu, au surplus, à défrayer le coût[172]. De plus, monsieur Serge Fortin, conseiller en dotation à la Société de transport de Montréal (STM), a expliqué durant son témoignage que la STM n’exige au départ des candidats au poste de chauffeur d’autobus qu’un permis de conduire de classe 5. Quand un candidat est choisi, il est encouragé à faire les démarches pour obtenir le plus rapidement possible son permis de classe 2. Selon monsieur Fortin, une proportion inférieure à 1 % des candidats échoue aux cours préparatoires à ce type de permis. Notant que le coût élevé de la formation pour le permis de classe 2 avait pour effet de réduire le nombre de femmes qui s’inscrivait, la STM s’est de plus entendue avec une institution financière pour faciliter l’octroi de prêts aux candidats qui en avaient besoin. La STM a également décidé de faire tirer, chaque mois, une bourse d’une valeur de 1 000,00  $ parmi les nouveaux employés devenus chauffeurs au cours du mois[173].

[174]     Bref, d’autres grandes entreprises ont instauré des mesures comportant des adaptations facilitant concrètement l’accès des femmes à un emploi non traditionnel. À l’opposé, Gaz Métro n’a pas même examiné la possibilité d’un accommodement raisonnable du type d’un délai permettant aux femmes d’obtenir leur permis de classe 3 après leur embauche. Finalement, Gaz Métro n’a pas prouvé qu’un tel accommodement constituerait une contrainte excessive pour l’entreprise. Pour l'ensemble de ces raisons, même si le Tribunal avait jugé qu’un lien rationnel unissait l’exigence de détenir un permis de classe 3 avant l’embauche et l’objectif d’assurer rapidement la fonctionnalité des stagiaires, Gaz Métro n'a pas établi à la satisfaction du Tribunal le caractère raisonnablement nécessaire de cette exigence qui exclut, de manière disproportionnée, les candidates au poste de préposé réseau

3.2.2.2 Le Secondaire V

[175]     Tel que mentionné plus tôt, l’un des pré-requis énumérés au profil d’emploi P-3 est le diplôme d’études secondaires. Il appert que parmi le bassin de personnes possédant ce diplôme, les femmes ne sont pas sous-représentées et ne l’étaient pas davantage durant la période en litige[174].

[176]     En l’espèce, la Commission ne conteste aucunement la pertinence d'avoir complété un Secondaire V aux fins d’embauche dans le poste de préposé réseau. Au demeurant, les victimes possédaient toutes un diplôme d’études secondaires lors du dépôt de leur candidature chez Gaz Métro. Il est donc possible d’affirmer qu’aucune de ces femmes n’a été rejetée sur cette base. Or dans la mesure où certains aspects du test théorique visant à évaluer des connaissances de base de niveau Secondaire V étaient apparemment d’un niveau supérieur[175], cette exigence pose potentiellement problème[176].

[177]     En outre, le Tribunal remarque un certain assouplissement de la règle du diplôme d’études secondaires lors du recrutement effectué chez Gaz Métro, à l’interne. En effet, les différents profils d’emploi concernant les gens déjà à l’emploi de Gaz Métro indiquent l’exigence du Secondaire V « ou l’équivalent »[177], ce qui constitue une exigence moins stricte que celle appliquée lors des concours spéciaux visant à recruter des femmes à l’externe.

3.2.2.3 L’expérience non traditionnelle

[178]     Nous rappelons d'abord en rafale les expériences pertinentes énumérées à
P-3C : chantiers de construction, horticulture, ferme, chaîne de montage, aqueduc, raffinerie, système sous-terrain, manipulation d’équipements variés, pelle, souffleuse, système d’arrosage, « gun » à air, pièces mécaniques, habitudes de vie comme réparation et entretien du véhicule, etc.

[179]     Si la mention explicite de l’expérience non traditionnelle apparaît uniquement au profil d’emploi P-3C utilisé pour le recrutement externe de 1995, cette exigence est toujours essentielle lors des recrutements subséquents[178]. Or si le profil P-3C n'indique pas que Gaz Métro considérait l’expérience non traditionnelle comme une exigence stricte pour l’emploi de préposé réseau, et bien que l’expérience non traditionnelle figure plutôt sous la rubrique « expériences pertinentes », Gaz Métro a dans les faits exigé de manière absolue certaines expériences bien particulières et elle a également rejeté des candidates sur la base d'expériences non traditionnelles jugées non pertinentes.

[180]     Line Beaudoin, par exemple, a travaillé dans un abattoir en 1978, à une époque où il y avait très peu de femmes dans ce domaine[179]. Elle fait de la mécanique automobile et aime le travail manuel. Pourtant, on lui dit qu’elle n’a pas « le profil de l’emploi »[180]. À ce sujet, Gaz Métro semble vouloir atténuer la pertinence des expériences non traditionnelles de madame Beaudoin en soulignant qu'elles remontent à 1978[181]. Sur la fiche d’évaluation que Sylvie Richard a remplie lors de l’entrevue de madame Beaudoin, elle a noté que cette dernière n’a « aucune formation ou expérience pertinente »[182].

[181]     Quant à Joan Dupont, elle a obtenu un brevet de pilote d’avion privé en 1982 et a déjà travaillé dans une érablière et dans une ferme laitière[183]. Lors d’une conversation téléphonique avec Carole Magnan, gestionnaire des ressources humaines chez Gaz Métro, cette dernière explique à madame Dupont qu’elle correspond précisément au profil de femmes que l’entreprise recherche et lui conseille d’entreprendre les démarches pour l’obtention du permis de conduire classe 3[184]. Par contre, lors de l’entrevue, Jean-Pierre Raymond lui déclare que si elle avait été pompière dans l’armée ou bûcheronne, il en aurait tenu compte, mais que ses expériences antérieures ne sont pas pertinentes à l’emploi[185]. Monsieur Raymond lui demande plutôt si elle a des connaissances en électricité ou en plomberie, ce à quoi elle répond qu’en tant que mère monoparentale, l’entretien de son logement lui permet de s’y connaître un peu en la matière[186]. Monsieur Raymond ne semble pas noter ce point positif, mais enchaîne plutôt avec des questions sur les disponibilités de madame Dupont, vu son statut familial[187]. Il conclut l’entrevue en déclarant que celle-ci « n’a pas le profil » et que le processus de sélection n’ira pas plus loin dans son cas. Elle ne pourra donc se présenter au test théorique car même si elle le réussissait, elle n’a pas le bon profil[188]. Tout comme pour madame Beaudoin, il est noté sur sa fiche d’évaluation qu’elle n’a « aucune formation et aucune expérience dans le non trad »[189], et ce, malgré les expériences mentionnées plus tôt.

[182]     Une expérience « non traditionnelle » réfère nécessairement, dans le cas d'une femme à tout le moins, à un emploi habituellement occupé par des hommes. Ajoutée en 1995, cette exigence de l’expérience non traditionnelle ne s’applique donc nécessairement qu’aux candidatures féminines. L’énumération des expériences pertinentes à P-3C est non limitative - elle se termine par « etc. » - mais on constate que l’interprétation faite par Gaz Métro de ce critère est hautement subjective : les exemples de Joan Dupont et Line Beaudoin sont éloquents à cet égard. Non seulement s'agit-il d'une exigence supplémentaire imposée exclusivement aux femmes, mais cette exigence est évaluée de façon restrictive, voire arbitraire, comme s’il n’y avait qu’un nombre très restreint de « bonnes réponses ».

[183]     Cette exigence supplémentaire imposée aux femmes s’explique apparemment par le désir de Gaz Métro de vérifier leur motivation réelle pour le poste de préposé réseau, l’entreprise semblant croire que plusieurs d'entre elles ne veulent que se trouver un bon emploi. L’experte Denise Perron a d’ailleurs témoigné en ce sens :

Il y a beaucoup de femmes, et je pense que le marché encore nous le démontre, qui ne sont pas intéressées par des emplois non traditionnels. Elles ne sont pas intéressées par les emplois non traditionnels. Par contre, elles se cherchent un emploi. Alors, je vais vous montrer un peu comment la démarche se fait. Elles vont… elles sont bénéficiaires de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi. On leur dit : vous devriez développer votre employabilité, allez donc dans un groupe qui va vous aider à vous trouver un emploi et à développer tout ça. Les femmes nous arrivent. Elles ne sont pas toutes intéressées à aller vers le non traditionnel, c’est vrai. C’est une porte d’entrée et ce qu’elles veulent comme bien des gens, c’est entrer dans une grande organisation, entrer dans une organisation où, possiblement, elles vont être syndiquées, où il va y avoir des bonnes conditions de salaire et tout ça. Et même, c’était un peu une difficulté et, de là, on a dit : bon, il faut vraiment vérifier la motivation des femmes. C’est un peu une difficulté dans les organismes. C’est qu’on avait des femmes qu’on voulait… écoutez, nous, c’est notre mission de les intégrer dans le non traditionnel. La réussite, c’est qu’on veut qu’elles soient dans le non traditionnel. Et ce qu’on remarquait, c’est que… bien, justement, un coup entrées dans l’organisation, elles bifurquaient vers un emploi traditionnel. Voilà. C’était l’essence de mon affaire[190]. (Reproduit tel quel)

[184]     Comme nous l’avons dit, les hommes ne se voyaient pas imposer cette exigence et Gaz Métro ne mesurait pas leur « motivation », du moins pas dans cette optique. Le Tribunal retient de la preuve que ce traitement différentiel appliqué aux femmes et basé sur l’expérience non traditionnelle a eu pour effet d'exclure des candidates qui n'ont pu démontrer leur véritables qualifications par rapport au poste de préposé réseau. Ce qui découle de cette différenciation entre les candidatures féminines et masculines est donc un plus grand « filtrage » des dossiers de femmes. Il s’agit indéniablement d’un élément discriminatoire fondé sur le sexe.

[185]     Le Tribunal considère que, même prise isolément, cette exigence discriminatoire n’est pas rationnellement liée à l’objectif de Gaz Métro de recruter davantage de femmes dans le poste de préposé réseau[191]. En imposant en effet aux femmes une exigence que peu d'entre elles sont susceptibles de rencontrer alors même que le poste offert comporte déjà une importante sous-représentation féminine, Gaz Métro leur impose en fait une condition qui ne peut qu'alimenter ce phénomène. Dans ce contexte, il est pour le moins difficile de conclure à la rationalité d'une telle exigence.

3.3 Le processus de sélection à l’externe

[186]     Selon les rapports et les témoignages des experts, chaque épreuve de sélection doit répondre aux critères de validité, de pertinence et de pondération[192]. Si tel est le cas, les candidats sont évalués équitablement et la prédiction de leur succès est juste. Plus précisément, un outil de sélection est valide s’il ne comporte pas de lacune quant à sa conception, sa standardisation et son administration. Il est pertinent s’il mesure des connaissances, des habiletés, des aptitudes et des qualités liées à l’emploi ou à la formation à recevoir. Il est adéquatement pondéré si, d’une part, les qualifications les plus importantes, critiques et fréquentes reçoivent une valeur plus élevée que d’autres qualifications souhaitables mais moins essentielles et que, d’autre part, l’employeur évalue correctement le poids à accorder aux qualifications mesurées par cette épreuve en comparaison de celles évaluées par les autres épreuves de sélection.

[187]     Le Tribunal précise que ses conclusions eu égard au processus de sélection chez Gaz Métro seront fonction de l’ensemble de la preuve. En effet, il ne fait pas de doute que la preuve par présomption reconnue en matière civile s’applique de la même manière dans les cas de discrimination[193]. Or en droit civil, il appert que le juge considère, plus souvent qu’autrement, l’entièreté de la preuve, sans égard à la partie dont provient un élément de preuve. À cet égard, rappelons le professeur Royer qui, s’appuyant sur une jurisprudence constante, explique que

[d]ans la réalité concrète, un plaideur prend souvent l’initiative d’alléguer et de prouver des faits qui lui sont favorables, même si l’obligation de convaincre incombe à son adversaire. De plus, les conclusions judiciaires découlent généralement d’une appréciation par la cour de la preuve soumise par les parties, sans qu’il soit nécessaire de décider laquelle a le fardeau de persuasion[194].

[188]     Suivant l’ordre chronologique dans lequel se sont déroulées les étapes du processus de sélection pendant les années en litige, le Tribunal analyse successivement ci-après les séances d’information (3.3.1), la gestion des curriculum vitae (3.3.2), l’entrevue préalable (3.3.3), le test théorique (3.3.4), le test pratique (3.3.5) et l’examen médical (3.3.6), pour ensuite conclure sur l’ensemble du processus (3.3.7). Les principales épreuves de la sélection pour le poste de préposé réseau, soit l’entrevue, le test théorique et le test pratique, seront étudiées à la lumière des trois critères de validité, de pertinence et de pondération ci-haut expliqués.

 

3.3.1 Les séances d’information

[189]     En juin 1995, soit au tout début du concours spécial de recrutement, Gaz Métro organise des séances d’information destinées à renseigner les femmes candidates sur le poste de préposé réseau. Ces séances ont lieu en présence de Jean-Pierre Raymond et de Sylvie Richard, assistés à l’occasion de Carole Magnan. Elles durent environ deux heures et débutent par une projection vidéo; celle-ci met en scène un employé masculin de Gaz Métro, personnifié par un acteur à la voix grave, et du gaz, représenté par une voix féminine aiguë[195]. Tous les autres employés dans la vidéo sont des hommes et il est mentionné « les gars de l’équipe » à deux reprises.

[190]     Puis, Jean-Pierre Raymond explique aux participantes les différentes étapes de la formation interne et mentionne qu’elles seront renvoyées si elles échouent à l’une quelconque de ces étapes. Il leur expose aussi les démarches à faire pour l’obtention du permis de conduire de classe 3, les coûts qui y sont associés et l’obligation de détenir ce dernier préalablement à l’embauche. Deux documents leur sont alors remis : l’un traitant des conditions de travail et du profil d’emploi (D-33), l’autre détaillant les étapes menant à l’acquisition du permis de classe 3 (D-47).

[191]     C’est aussi l’occasion de décrire les vêtements et l’équipement de sécurité fournis par Gaz Métro. À cet égard, monsieur Raymond mentionne à la blague que les femmes n’auront que leurs « bobettes » à apporter et que tout le reste (bottes, pantalons, vestons, chemises, gants et autres) est fourni par l’entreprise[196]. Apparemment, il fait toujours la même plaisanterie depuis qu’il anime les séances d’information, qu’il s’adresse à des femmes ou à des hommes. Madame Line Beaudoin, qui assistait à cette réunion, indique que cette déclaration a créé un silence dans la salle[197]. Monsieur Raymond en profite également pour informer les femmes qu’elles n’auront pas de passe-droit[198]. Il raconte qu’une seule femme occupe le poste de préposé réseau à ce moment et qu’il a été très difficile pour elle de faire sa place. Il souligne l’importance de « faire partie de la gang »[199].

[192]     Le Tribunal constate que les renseignements fournis par Jean-Pierre Raymond lors des séances d’information forment en quelque sorte une addition d’éléments représentant autant de difficultés à surmonter pour les candidates : « ne vous attendez pas à avoir des passe-droits parce que vous êtes des femmes »; la seule femme en poste a trouvé bien difficile de se faire accepter; la vidéo de présentation parle de « nous les gars »; il y aura des blagues « de gars » puisque même le patron en fait; le permis de conduire, pour l’obtention duquel il faut débourser plusieurs centaines de dollars, doit être acquis avant l’embauche; un seul échec pendant la formation de deux ans entraîne le congédiement[200].

[193]     Ces commentaires, pris isolément, peuvent sembler bénins. Formulés toutefois dans le contexte d’une séance d’information visant à faire connaître aux femmes un poste auquel on veut leur donner accès en priorité, ils sous-tendent une certaine perception négative quant à la place des femmes dans le poste. Plutôt que d’encourager les femmes à soumettre leur candidature, ces propos sont indéniablement susceptibles de les en décourager, que telle ait été ou non l’intention de Gaz Métro.

[194]     Au demeurant, il appert que ces séances d’information ont eu lieu à trois occasions, en 1995, et que 20 à 30 personnes ont assisté à chacune d’elles. Dès 1996, jugeant que ces séances n’avaient pas permis un recrutement significatif de femmes, elles sont abandonnées par Gaz Métro. C’est donc dire que l’entreprise ne s’est pas interrogée sur les raisons susceptibles d'expliquer l'inefficacité des séances d’information par rapport à l’objectif recherché, préférant tout simplement les annuler.

3.3.2 La gestion des curriculum vitæ

[195]     Dès la réception des curriculum vitæ (CV), Gaz Métro effectue un tri parmi les candidatures. Madame Danielle Gauthier, préposée au bureau d’emploi sous la supervision de Carole Magnan en 1995, codifie les CV et les transmet à cette dernière[201]. Sylvie Richard en fait ensuite l’analyse. Alors que les exigences relatives aux connaissances, aux habiletés et à la force physique sont évaluées par les tests, celles du Secondaire 5, du permis de classe 3 et de l’expérience dans un emploi non traditionnel sont de type éliminatoire, c’est-à-dire que quelqu’un ne les possédant pas n’est pas convoqué à l’entrevue[202]. Sur cette base, madame Richard prend en effet la décision de convier ou non les candidats à une entrevue[203]. Carole Magnan et Jean-Pierre Raymond interviennent dans ce processus de tri seulement lorsque madame Richard leur demande un avis relativement à un CV, ce qui demeure rare.

[196]     Normand Pettersen, témoin expert présenté par Gaz Métro, admet que la sélection des CV constitue une étape importante d’un processus de sélection. Il ajoute qu’il n’a pas analysé cette étape, même s’il aurait fallu qu’il le fasse, vu qu’il n’avait pas les données nécessaires lorsqu’il a rédigé son rapport initial[204].

[197]     Selon Danielle Gauthier, les CV sont conservés environ six mois, s’ils n’ont pas été retenus, et un an ou deux si les candidats ont été choisis pour l’une des étapes du processus de sélection, après quoi ils sont détruits[205]. Malgré cela, Sylvie Richard a retrouvé dans les archives les dossiers des personnes non embauchées de 1995 à 1997. Des dossiers censés avoir été détruits ont donc été conservés et madame Richard ne peut garantir l’adéquation des données archivées. En outre, il existe une liste des dossiers archivés, mais pas de ceux qui ont été détruits[206]. L’archivage est souvent confié à des étudiants employés chez Gaz Métro pendant l’été[207] et il apparaît que l’identification des boîtes d’archives est déficiente.

[198]     Depuis ce temps, des pertes ou destructions erronées de documents sont survenues. De ce fait, les données fournies par Gaz Métro ont souvent été ajustées et revues au fil de l’audience devant le Tribunal. Ces changements diminuent considérablement leur fiabilité et entachent la crédibilité de l’entreprise, dans la mesure où celle-ci déclare son désir d’attirer des candidatures féminines sans pour autant apporter de soin au classement des dossiers transmis par des candidates.

[199]     À ce stade, le Tribunal ne formule aucune conclusion particulière quant à la gestion des CV, se limitant à constater les lacunes de celle-ci.

3.3.3 L’entrevue préalable

[200]     Dans une perspective logique, nous abordons en premier lieu le déroulement de l’entrevue (3.3.3.1), pour ensuite nous attarder aux outils d’entrevue (3.3.3.2) et à quelques questions et thèmes particuliers de celle-ci (3.3.3.3). Après avoir ainsi décrit l’entrevue, nous traitons de la nature de celle-ci et rappelons les critères de qualité d’une entrevue en tant qu’épreuve de sélection (3.3.3.4). En dernier lieu, nous établissons nos conclusions en ce qui concerne cette étape du processus de sélection (3.3.3.5).

3.3.3.1 Les personnes assujetties, les intervieweurs et le                 déroulement général de l’entrevue

[201]     L’entrevue est une étape éliminatoire au même titre que les tests théorique et pratique[208] dans la mesure où elle entraîne l'exclusion des candidats qui ne rencontrent pas les critères de l’entreprise. Dans le cadre du processus habituel de recrutement chez Gaz Métro, l’entrevue est normalement administrée à la fin du processus de sélection[209], soit après que les candidats aient passé avec succès les examens théorique et pratique, et sert ainsi à confirmer le choix d’un candidat. Or dans le cadre du concours spécial tenu en 1995, l’entrevue devient exceptionnellement préalable aux tests, et ce, pour les femmes seulement[210]. Gaz Métro met cependant fin à cette mesure l'année suivante. Quant aux candidats provenant de l’unité CSN à l’interne de Gaz Métro, ils sont exemptés de l’entrevue car ils sont présumés avoir le profil requis[211].

[202]     Par ailleurs, ce ne sont pas toutes les candidates qui ont été rencontrées en entrevue avant de se présenter aux tests en 1995. Sylvie Richard explique qu’aucun critère ne départageait les candidates qui devaient s’y soumettre de celles qui pouvaient se rendre directement au test théorique. C’est le manque de temps qui a poussé les intervieweurs à agir ainsi relativement à certaines candidates, puisqu’ils étaient contraints de combler les postes disponibles avant le 2 octobre 1995[212].

[203]     Jean-Pierre Raymond justifie le déplacement de l’entrevue au début du processus de sélection en ce qui concerne les femmes par le désir d’accroître le bassin de candidatures féminines. Or selon l’experte Erika Boukamp Bosch, l’entrevue n’est pas le moyen approprié pour élargir un tel bassin de candidatures[213]. Quant à l’expert Pettersen, il ne croit pas que l’entrevue préalable équivaille à un traitement différent à l’égard des femmes. En effet, il est d’avis que l’ordre des étapes de sélection n’influence pas les ratios et que les femmes qui ont échoué à l’entrevue au départ y auraient tout autant échoué à la fin du processus de sélection[214]. Pourtant, les tests théorique et pratique permettent au contraire une familiarisation accrue avec l’emploi de préposé réseau, ce qui ne peut qu’augmenter les chances de réussir l’entrevue, sans compter que des succès préalables aux deux tests sont susceptibles de faire bonne impression sur les intervieweurs.

[204]     Les experts s’entendent sur l’importance de la compétence des intervieweurs, vu surtout qu’ils doivent porter un jugement subjectif sur les candidates[215]. Durant les années en litige, Sylvie Richard mène les entrevues et prend des notes. À moins qu'il ne soit en vacances, elle est assistée de Jean-Pierre Raymond[216]. Or madame Richard est d’abord une secrétaire qui a progressé au sein de l’entreprise pour devenir agente en dotation et finalement conseillère en dotation, mais sans compléter son certificat en ressources humaines[217]. Dans le cadre de cette formation, seuls quelques jours ont été dévolus à l’entrevue de sélection[218]. Quant à monsieur Raymond, qui a vu au développement du poste de préposé réseau au fil des ans, il connaît bien l’emploi et « l’a en tête » lors des entrevues, selon Normand Pettersen[219]. Monsieur Raymond a suivi un seul cours en dotation dans le cadre de son certificat en gestion et marketing[220].

[205]     Toutefois, non seulement monsieur Raymond n’est-il pas toujours présent lors des entrevues[221], mais son rôle est alors plutôt passif. En effet, il se limite à expliquer le poste de préposé réseau et à répondre, le cas échéant, aux questions plus techniques[222]. De plus, certaines entrevues ont été effectuées au téléphone par une agence[223]. À ce sujet, l’expert Pettersen insiste sur l’importance que les mêmes évaluateurs soient toujours chargés de l’entrevue[224].

[206]     De l’avis de madame Richard, l’entrevue préalable a pour but de donner l’occasion aux femmes de faire valoir leur expérience non traditionnelle pertinente[225]. Elle écrit aussi à l’expert Pettersen que l’entrevue vise à vérifier la capacité des candidates de progresser au sein de l’emploi[226]. Or, selon monsieur Raymond, l’entrevue répond plutôt au souhait de Gaz Métro de connaître le nouveau bassin de candidatures que représentent les femmes[227]. Il semble donc que l’objectif sous-tendant l’entrevue n’ait pas été précisé, les deux intervieweurs ayant une compréhension bien différente de cet objectif : d’une part, connaître cette « clientèle », d’autre part, permettre aux femmes de mettre en relief leurs expériences antérieures. De plus, madame Richard et monsieur Raymond ont aussi laissé entendre que l’entrevue devait servir à vérifier si les candidates avaient le profil de l’emploi et si elles pouvaient réussir la formation dispensée à l'interne.

[207]     Dans ce contexte, le Tribunal note que Gaz Métro a décidé d’entreprendre un processus d’entrevue préliminaire à grande échelle sans même que l’objectif motivant celui-ci ait été clairement établi.

3.3.3.2 Les outils d’entrevue

[208]     Sylvie Richard a créé sa propre grille d’entrevue (P-8) qu’elle utilise invariablement depuis 1992, sauf en ce qui concerne la question 6 sur l’intégration des femmes, qui a été ajoutée en 1995[228]. Elle a confectionné la grille P-8 à partir de différents documents utilisés aux fins d’entrevue (D-58 en liasse), auxquels elle a ajouté des questions issues d’une banque de questions élaborée par un collègue, monsieur François Messier. La grille P-8 comprend 18 questions, mais madame Richard admet que d’autres s’y ajoutent selon les réponses obtenues. Le Tribunal juge utile à la compréhension de reproduire ici ces questions :

 

  1. Pouvez-vous nous faire un bref résumé de votre carrière jusqu’à ce jour (formation et expériences)?
  2. Quelle expérience avez-vous le plus aimé et pourquoi?

Quelle expérience avez-vous le moins aimé et pourquoi?

  1. En fonction de ce que vous savez du poste, qu’est-ce qui vous porte à croire que votre candidature est pertinente?
  2. Quels sont les aspects du poste qui vous intéressent le plus?

Quels sont les aspects du poste qui vous intéressent le moins?

  1. De quelle façon ce poste s’inscrit-il dans votre plan de carrière?
  2. Selon vous, comment une femme peut-elle bien s’intégrer dans un milieu non traditionnel (hommes)?

(Attentes particulières par rapport à votre intégration en termes de support.)

  1. Parlez-nous d’une situation que vous avez vécue et que vous qualifieriez de stressante.
  2. Quels sont les attitudes ou comportements que vous tolérez le moins chez les autres?
  3. Est-ce que vous avez déjà vécu un conflit avec un supérieur immédiat ou collègue de travail? (Pouvez-vous nous en parler un peu?)
  4. Donnez-nous un exemple d’une situation où vous avez maintenu une décision même si les autres la contestaient.
  5. Parlez-nous d’une situation où votre attitude positive a motivé les gens autour de vous.
  6. Parlez-nous d’une situation où une autre personne a vraiment mis votre patience à l’épreuve.
  7. Parlez-nous d’une situation au travail où quelqu’un vous a félicité pour avoir mis beaucoup d’efforts dans l’accomplissement d’un travail.
  8. Parlez-nous d’une situation où vous avez contribué à créer autour de vous un esprit d’équipe.
  9. De quelle façon les gens qui vous connaissent bien vous décriraient-ils (qualités, défauts)?
  10. Sur quel aspect de votre personnalité avez-vous particulièrement travaillé depuis les deux dernières années?
  11. À part le bien-être financier, qu’est-ce que vous allez chercher en allant travailler tous les jours?
  12. Pourquoi aimeriez-vous travailler chez Gaz Métro?

 

[209]     Madame Richard a également conçu son propre modèle de résumé d’entrevue (P-47) dont elle se sert pour prendre des notes, préférant utiliser la grille d’évaluation
D-58 comme référence seulement[229]. Outre le nom de la candidate, le titre du poste qu’elle convoite et la date de l’entrevue, la fiche P-47 renferme les renseignements suivants : le type de permis de conduire possédé, l’expérience antérieure, la formation, les forces, les faiblesses et des notes particulières. Une rubrique est également prévue pour inscrire les résultats de la candidate aux tests, si elle s’y rend, et une autre, dans le coin supérieur droit, est destinée à un aide-mémoire permettant de noter quelques éléments caractéristiques de la candidate. À la lecture des fiches complétées par Sylvie Richard pour chacune des parties victimes en l’espèce, le Tribunal constate aussi qu’elle écrit de quel organisme - par exemple ATF - elle provient. De plus, madame Richard attribue à chaque candidate la cote « rejetée », « B », « A » ou « A+ » selon son impression générale et le degré selon lequel, à son avis, la candidate correspond au profil[230]. Elle explique à l’audience que la cote « A » indique que la candidate correspond au profil et qu’un « A+ » signifie que celle-ci correspond « encore plus » au profil. À cet égard, il est permis de s’interroger : encore plus que quoi?

[210]     Madame Richard a déclaré lors de son témoignage qu’elle ne prend pas toujours des notes lors de l’entrevue; parfois, elle le fait par la suite, auquel cas elle se fie à sa mémoire[231]. Pour ce faire, elle est soit seule, soit avec monsieur Raymond[232]. À cet égard, l’experte Jeanrie explique que cette façon de faire, c’est-à-dire la prise de notes différée, est peu souhaitable parce qu’elle fait davantage appel à la mémoire qu’aux faits et qu’ainsi, elle peut introduire certains biais lors de l’évaluation des réponses[233]. En outre, il appert que la fiche P-47 n’est pas toujours utilisée de 1995 à 1997; de simples notes prises lors de l’entrevue la remplacent à l’occasion. Quant à monsieur Raymond, il se réfère simplement au document P-29, une sorte de description de l’emploi qui ressemble beaucoup au profil d’emploi P-3.

[211]     L’experte Jeanrie considère aussi que l’absence d’une grille d’évaluation constitue une lacune, dans la mesure où l’évaluation demeure ainsi trop subjective et imprécise. À son avis, il aurait fallu prévoir quels points attribuer pour tel ou tel aspect et la valeur à accorder à une réponse donnée. Autrement, des biais peuvent influencer l’évaluation et il devient dès lors plus probable que celle-ci soit le reflet de l’application de critères arbitraires sans lien direct avec l’emploi[234]. Elle ajoute aussi que la grille P-8 ne correspond pas à une réelle grille d’entrevue[235].

[212]     L’expert Pettersen juge aussi que la fiche P-47 est déficiente, surtout compte tenu du fait que les questions ne comportent pas de réponses attendues, ce qui augmente le risque d’erreur[236] puisque l’évaluation faite par les intervieweurs est alors seulement globale[237].

[213]     Au surplus, selon l’experte Jeanrie, l’uniformité dans la prise de notes est importante pour évaluer équitablement les candidats[238]. L’évaluateur peut, à son choix, citer des extraits des propos des candidates - ce qui est d’ailleurs le modus operandi favorisé par l’experte - ou noter des qualifications, mais l’alternance des deux modes introduit un biais[239].

[214]     Par ailleurs, madame Jeanrie indique que les commentaires sont notés de façon générale et non pas ordonnés selon chaque question, ce qui favorise la subjectivité. La grille d’évaluation P-47 prévoit aussi une section intitulée « Points forts, points faibles », sans que la grille d’entrevue P-8 ne définisse ce qui constitue un tel point fort ou un tel point faible. À cet égard, il aurait été préférable, selon l’experte Jeanrie, de référer spécifiquement aux exigences du poste[240].

3.3.3.3 Les questions et les thèmes particuliers de l’entrevue

 

- L’évaluation des qualités de la personne

[215]     Il est admis que les examens théorique et pratique tenus par Gaz Métro visent à mesurer des connaissances et habiletés techniques et manuelles. L’entrevue, par les questions qu’elle comporte, vise essentiellement à mesurer des qualités et des intérêts personnels correspondant aux exigences indiquées au profil d’emploi. C’est donc dire que les « qualités de la personne » énumérées précédemment[241] font l’objet d’une évaluation en entrevue. À cet égard, Sylvie Richard explique que le mot « profil » sur sa fiche d’évaluation P-47 réfère à ces qualités[242]. Elle précise aussi que les réponses données par les candidates à ce sujet doivent être liées aux qualités énumérées au profil P-3C.

[216]     Selon madame Richard, l’évaluation des qualités personnelles fait l’objet d’un consensus au sein de Gaz Métro, ces qualités étant jugées requises pour le poste de préposé réseau[243]. Quant à l’expert Boulard, il confirme en partie seulement la pertinence d’exiger ces qualités. D’une part, il considère que l’évaluation de qualités personnelles ne devrait pas être réservée aux postes de « cols blancs » et qu’une telle évaluation a sa place dans le cadre de l’accès au poste de préposé réseau. Par exemple, il explique que la qualité dite de « souplesse tout en prenant sa place » peut constituer une qualité relationnelle recherchée non pas tant pour l’exécution d’une tâche que pour la période de formation[244]. Il admet par ailleurs que les responsables de l’embauche chez Gaz Métro, notamment Sylvie Richard, n’ont jamais formellement vérifié l’existence d’un lien entre les questions posées et les qualités qu’ils désiraient évaluer[245]. Malgré cela, monsieur Boulard dit avoir lui-même mesuré ce lien et avoir constaté son existence.

[217]     De l’avis de l’experte Jeanrie, les thèmes abordés dans l’entrevue ne sont pas cernés en fonction des exigences de l’emploi, ce qui rend l’arrimage d’autant plus complexe à effectuer entre les qualités recherchées et les qualités mesurées en entrevue[246]. Par exemple, en ce qui concerne Line Beaudoin, aucune force n’est notée, pas même à la question 15 « Comment vous décrivent les personnes qui vous connaissent bien? ». Au contraire, il est écrit « malhonnête »; or madame Beaudoin n’a certainement pas fait elle-même cette affirmation[247]. Au surplus, les éléments notés par Sylvie Richard ne sont pas tous liés à des exigences apparaissant au profil d’emploi.

[218]     À la lecture des fiches d’évaluation des candidates (P-68 en liasse), le Tribunal constate que certaines remarques constituent un manque de respect à l’égard des candidates. À titre d’exemple, sur la fiche de Line Beaudoin, madame Richard a aussi ajouté au qualificatif « malhonnête », indiqué dans la section des faiblesses, « insolente » et « prétentieuse ». Plus encore, le Tribunal relève la subjectivité qui se dégage de ces fiches d’évaluation et des éléments et commentaires qui y sont consignés, tels que « vive d’esprit », « souriante », « aime la compétence », « prompte », « organisée », « orgueilleuse », « fierté », « curieuse », « perfectionniste », « caveine », « simple trop », « bonasse », « insolente », « espionne », « prétentieuse », « malhonnête », etc., et qui sont apparemment sans lien avec l’emploi.

 

- L’expérience non traditionnelle

[219]     Durant les concours spéciaux visant à recruter des femmes, l’absence d’expérience non traditionnelle jugée pertinente au sein de leur parcours professionnel conduit au rejet de leur candidature avant les tests théorique et pratique. Comme nous l’avons exposé précédemment, une première sélection est effectuée à partir du CV; en l'absence d'expérience non traditionnelle, le CV est retiré du processus de sélection. Puis, au stade de l’entrevue, l’expérience non traditionnelle des femmes est évaluée de façon subjective et restrictive car lorsque cette expérience est jugée insuffisante ou non pertinente, elle constitue un motif conduisant les intervieweurs à conclure qu’une candidate « n’a pas le profil » et à lui refuser l’accès aux tests.

[220]     Line Beaudoin, par exemple, n’a pas pu faire les examens écrit et pratique parce que Sylvie Richard et Jean-Pierre Raymond ont rejeté sa candidature lors de l’entrevue. Elle a été avisée qu’elle n’avait pas « le profil »[248]. Madame Beaudoin avait pourtant déjà travaillé comme inspectrice dans un abattoir, un milieu non traditionnel à l’époque, où elle était la seule femme embauchée. Malgré cela, sur sa fiche d’évaluation P-68, Sylvie Richard a inscrit « aucune formation ou expérience pertinente » (souligné dans l’original).

[221]     Quant à Joan Dupont, elle a appelé chez Gaz Métro, en 1995, pour avoir de l’information sur le poste. Elle parle alors à Carole Magnan et lui fait part de son parcours professionnel. Madame Dupont a obtenu, en 1982, une licence de pilote privé; elle a aussi travaillé dans une ferme laitière et dans une érablière. Madame Magnan lui confirme alors qu’elle a le profil recherché[249]. Lors de son entrevue, Jean-Pierre Raymond n’accorde cependant aucune pertinence à ses expériences et émet l’opinion que, quoi qu’il en soit, elle n’a pas « le profil » et il n’est donc pas justifié qu’elle passe les tests[250]. Tout comme pour Line Beaudoin, on retrouve la mention « aucune formation et aucune expérience dans le non trad » sur sa fiche d’évaluation P-68. Pour madame Richard et monsieur Raymond, une licence de pilote privé ne correspond pas nécessairement à une expérience dans un domaine non traditionnel[251]. Pourtant, monsieur Umberto Tamboriello, inspecteur de l’aviation civile au ministère des Transports, a déclaré lors de son témoignage qu’en 1982, année où Joan Dupont a obtenu sa licence de pilote privé, il n’y avait que quatre ou cinq femmes sur environ 60 inspecteurs de l’aviation civile[252]. Même si monsieur Tamboriello ne fournit pas de chiffres exacts en ce qui concerne le nombre de femmes pilotes privés à la même époque, le Tribunal n’a aucune difficulté à croire qu’il était peu commun pour une femme de détenir une telle licence en 1982.

[222]     En ce qui concerne les cinq autres victimes en l’espèce, soit Tania Plourde, Marie-Claude Côté, Shirley Thomas, Johanne Bolduc et Nicole Trudel, elles passent l’étape de l’entrevue et se font confirmer qu’elles ont le bon profil. Au plan de l’expérience non traditionnelle, Tania Plourde possède une formation en montage de lignes électriques et a travaillé dans ce domaine chez Hydro-Québec. Marie-Claude Côté a également été monteuse de lignes chez Hydro-Québec, puis y a suivi une formation de jointeur; elle a aussi fait partie des Forces armées canadiennes. Quant à Shirley Thomas, elle détient un diplôme d’études collégiales en pétrochimie et a fait un stage chez Pétro-Canada; de plus, elle a possédé sa propre entreprise d’émondage d’arbres, où elle s’occupait de tout. En ce qui concerne Johanne Bolduc, elle a un baccalauréat en génie civil et a travaillé plusieurs années comme inspectrice de ballast. Nicole Trudel, pour sa part, a été soudeuse, a un diplôme d’études professionnelles (DEP) en conduite de camions lourds et a travaillé comme chauffeuse pour le transport de matières dangereuses au Canadien Pacifique.

[223]     Lors de son témoignage, Jean-Pierre Raymond mentionne l’expérience d’une femme déjà en place pour déclarer que les expériences non traditionnelles recherchées par Gaz Métro concernent la mécanique dans un garage, un emploi comme concierge ou encore au Canadien National[253]. Il ne parle aucunement des autres expériences énumérées au profil P-3 et ne semble pas considérer la possibilité que d’autres expériences soient aussi pertinentes.

[224]     Il appert que l’évaluation faite par Sylvie Richard et Jean-Pierre Raymond de l’expérience non traditionnelle exigée des candidates est hautement subjective et restrictive, et qu'elle a contribué à exclure à tort certaines candidates. Les cas de Line Beaudoin et Joan Dupont montrent effectivement qu’une expérience non traditionnelle particulière peut être perçue différemment selon les individus. Ainsi, le flou entourant la notion d’expérience non traditionnelle pour les responsables de l’administration de l’entrevue et l’imprécision des objectifs visés par cette dernière facilitent l’introduction de préjugés au sein du processus quant aux capacités et aux aptitudes des femmes à occuper le poste de préposé réseau. De plus, comme il s’agit en soi d’une exigence à caractère éliminatoire qui n’est imposée qu’aux femmes, le Tribunal juge, comme il l’a d’ailleurs précédemment expliqué[254], que celle-ci a un effet discriminatoire envers elles. Dès lors, l’évaluation de l’expérience non traditionnelle, en tant qu’élément de l’entrevue préalable, contribue certainement à ce que cette dernière ait, dans son ensemble, un effet d’exclusion disproportionné à l’égard des femmes.

 

 

 

- La capacité d’intégration des femmes

[225]     La sixième question de l’entrevue, dans laquelle on demande aux candidates comment une femme peut s’intégrer à un milieu non traditionnel tel celui du poste de préposé réseau, s’adresse uniquement aux femmes. Selon Sylvie Richard, une question semblable est aussi posée aux candidats membres d’une minorité visible pour savoir comment ils s’intégreraient dans un milieu homogène blanc[255]. Monsieur Raymond ajoute que la question contraire est aussi posée aux hommes blancs, à qui l’on demande ce qu’ils pensent de la possibilité de travailler avec des femmes et des gens issus des minorités visibles[256]; cette affirmation est cependant contredite par le témoignage de Sylvie Richard.

[226]     La question de l’intégration des femmes prend plusieurs formes, dont une vérification de la façon dont la candidate réagit quand les hommes ont des comportements sexistes ou font des blagues grivoises. Johanne Bolduc répond à cette question qu’ayant déjà travaillé sur des chantiers de construction, elle croit qu’il vaut mieux ignorer ces blagues et attitudes[257]. Line Beaudoin considère quant à elle qu’il est préférable d’utiliser l’humour lorsque des situations inconfortables de ce genre surviennent[258].

[227]     Tania Plourde se fait demander comment elle ferait pour faire accepter ses idées par les hommes[259].  À une question semblable, Shirley Thomas répond qu’avec du temps et de la patience, les hommes la respecteraient[260]. Marie-Claude Côté assure que l’intégration ne lui poserait aucun problème, dans la mesure où elle a toujours travaillé dans des milieux masculins[261].

[228]     Sylvie Richard explique qu’il y a de « bonnes réponses » attendues et d’autres d'emblée jugées « mauvaises »[262]. À titre d’exemple, elle considère inadéquate une réponse dans laquelle une candidate dit ne pas devoir s’occuper de l’intégration puisque c’est à l’entreprise d’y voir[263]. Au contraire, une réponse signifiant que le sens de l’humour est nécessaire dans un milieu d’hommes et qu’il ne faut pas s’arrêter aux détails est appréciée positivement[264]. Madame Richard précise que la question 6 voulait justement mesurer le sens de l’humour des femmes. Établissant d’abord que le sens de l’humour ne constitue pas un pré-requis à proprement parler mais plutôt un idéal, elle admet par la suite que cette qualité est nécessaire pour s’intégrer dans un milieu d’hommes puisqu’elle relève de la souplesse exigée des femmes[265]. Pourtant, il apparaît évident que le sens de l’humour des hommes ne pouvait être pareillement évalué.

[229]     À cet égard, l’experte Denise Perron émet dans son rapport l'opinion qu’il n’est pas nécessaire - ou plutôt, qu’il ne devrait pas être nécessaire - que les femmes soient en tous points meilleures que les hommes pour être considérées avec les mêmes égards[266].

[230]     Dans une sous-question à la question 6, les candidates sont invitées à indiquer leurs attentes particulières face à Gaz Métro quant au support à leur intégration. Les femmes sont donc d’abord évaluées en fonction de leur façon de s’intégrer au milieu traditionnellement masculin et, ensuite, elles doivent faire part de la manière dont elles s’attendent à être supportées. Cela devient contradictoire, surtout dans la mesure où Sylvie Richard mentionne qu’une réponse d’une candidate selon laquelle la responsabilité de l’intégration revient à l’employeur est jugée négativement. Les réponses que les intervieweurs attendent des candidates sont dès lors antinomiques et cette contradiction rend pour le moins périlleuse la question de leur intégration.

[231]     Selon Normand Pettersen, la question 6 donne un avertissement réaliste aux femmes, alors que les hommes n’ont pas besoin de se faire servir un tel « désembellissement »[267]. Il juge la question pertinente et ne s’étonne pas qu’elle soit posée, dans la mesure où Gaz Métro doit s’assurer que les femmes candidates sont réellement intéressées par ce milieu auquel elles ne sont prétendument pas habituées[268].

[232]     Quant à Denise Perron, elle considère qu’une telle question est opportune si elle a pour objectif de prévoir un moyen de soutenir les femmes, mais qu’on doit alors la poser après l’embauche seulement[269].

[233]     De l’avis de Chantale Jeanrie, cette question est problématique pour plusieurs raisons. Elle n’est pas posée aux hommes et sous-entend que les nouvelles employées sont les seules responsables de leur propre intégration. Elle peut également donner lieu à un biais de « désirabilité sociale », en ce sens que les candidates sont susceptibles de répondre ce qu’elles perçoivent qu’on attend d’elles afin de plaire, en trafiquant potentiellement la vérité. Madame Jeanrie recommande conséquemment le retrait de cette question[270]. Lors de son témoignage, elle exprime l’avis que, de façon générale, il peut être justifié de procéder à une certaine « description réaliste de l’emploi » lors d’une entrevue afin que les candidats soient pleinement conscients des réalités du poste - y compris négatives - pour lequel ils soumettent leur candidature. Par contre, il est alors très important de procéder ainsi avec l’ensemble des candidats et non pas avec une seule catégorie d’entre eux[271].

[234]     Le Tribunal considère problématique à plusieurs égards la question relative à l'intégration éventuelle des femmes. D’abord, elle n’est posée qu’à celles-ci. Peut-être ce simple fait ne suffit-il pas pour conclure que Gaz Métro fait reposer sur les épaules des femmes le succès de leur propre intégration, mais c’est sans compter les « bonnes réponses » attendues à ce sujet. En effet, le témoignage de Sylvie Richard révèle qu’elle s’attend à ce que les femmes réfèrent à l’humour et que « s’en remettre à l’entreprise » constitue une mauvaise réponse. Se rabattre sur l’humour pour s’intégrer dans un milieu non traditionnel potentiellement hostile à une présence donnée - en l’espèce féminine - équivaut à faire reposer sur les individus, voire sur les victimes d’un tel milieu, le succès de leur intégration.

[235]     Ainsi, le Tribunal constate que Gaz Métro ne cherche pas, par cette question, à connaître les mesures qu’elle doit mettre en place pour favoriser l’intégration des femmes, comme l’entreprise l’a allégué ou, à tout le moins, que cette question ne sert pas un tel objectif. Qui plus est, non seulement le sens de l’humour n’est pas une qualité inscrite au profil P-3, mais la preuve ne démontre pas qu’un tel sens de l’humour est requis des hommes; c’est donc dire que pour être considérées également à ceux-ci, les femmes doivent faire mieux. Puisque les femmes sont susceptibles d’être évaluées négativement par rapport à cet aspect, cette question a un effet d’exclusion discriminatoire basé sur le sexe. Par ailleurs, le fait qu’aucune des sept parties victimes en l’espèce n’ait été rejetée uniquement sur cette base n’est pas probant dans un contexte plus large de discrimination systémique.

3.3.3.4 La nature et l’appréciation de l’entrevue

 

- La nature de l’entrevue

[236]     Les experts Jeanrie, Boulard et Pettersen expliquent tour à tour ce qui caractérise une entrevue structurée, semi-structurée et non structurée et se prononcent sur la nature de celles tenues chez Gaz Métro lors de la période en litige.

[237]     Selon l’experte Jeanrie, le degré de structure d’une entrevue a une influence certaine sur sa valeur de prédiction. Elle énumère les quatre principaux facteurs qui contribuent à ce qu’une entrevue soit structurée : l’entrevue est liée aux éléments essentiels du poste; les questions sont standardisées et davantage orientées vers les mises en situation favorisant l'évaluation des comportements du candidat plutôt que de ses opinions; l’administration de l’entrevue est standardisée; une grille d’entrevue associant les questions, ce qu’elles mesurent, les réponses et la valeur respective à leur accorder est prévue.

[238]     Suivant cela, l’entrevue classique, peu structurée, est beaucoup plus subjective qu’une entrevue situationnelle ou comportementale de type structuré[272]. Selon l’experte Jeanrie, ces deux derniers types d’entrevues sont ceux qui peuvent être considérés comme particulièrement valides[273].

[239]     À son avis, l’entrevue situationnelle est la forme d’entrevue la plus structurée, car elle permet davantage de prédire le comportement futur. Il s’agit habituellement de questions prenant la forme de mises en situation où le candidat fait face à un dilemme et doit indiquer comment il procédera. Une liste de réponses accompagne alors chaque question et un pointage est associé aux différentes réponses possibles[274].

[240]     Quant à l’entrevue comportementale, elle repose sur le postulat selon lequel les comportements antérieurs sont les meilleurs prédicteurs des comportements futurs. À titre d’exemple, si l’une des exigences reliées au poste est le travail d’équipe, une question demandant au candidat de relater une expérience où il a dû travailler en équipe dans une situation d’urgence pourrait lui être posée. Des sous-questions sont ensuite prévues afin d’approfondir le thème principal. Tout comme pour l’entrevue situationnelle, une grille détaillant le nombre de points associés à chaque type de réponse est prévue[275].

[241]     Analysant l’entrevue de Gaz Métro à la lumière des quatre critères de structure ci-haut mentionnés, madame Jeanrie en arrive à la conclusion que celle-ci n’est ni situationnelle ni comportementale, mais plutôt non structurée et de type classique[276]. Elle considère effectivement que la standardisation de l’administration et des questions de l’entrevue est déficiente, que l’absence d’une grille d’évaluation complète fragilise le processus et que l’entrevue n’est pas adéquatement liée à l’emploi[277].

[242]     L’expert Boulard reconnaît également la supériorité de l’entrevue structurée et des questions comportementales. Selon lui, la grille de questions P-8 est structurée mais comme des questions d’approfondissement non prévues d’avance s’ajoutent parfois pour certaines candidates, il qualifie l’entrevue de Gaz Métro de semi-structurée[278]. Il est fréquent, à son avis, de procéder à des entrevues peu structurées en 1995 mais lorsque les intervieweurs maîtrisent bien le type d’entrevue qu’ils administrent, leur bon jugement vient remédier au fait qu’elle soit peu structurée.

[243]     Selon l’expert Pettersen, certains types de questions sont préférables : il en est ainsi des questions comportementales ou portant sur la formation et l’expérience, car elles sont généralement plus structurées et axées sur l’emploi[279]. Quant aux questions sur les intérêts, les opinions et l’auto-évaluation des candidates, elles sont plus contestables car susceptibles d’introduire une certaine part de désirabilité sociale. Utilisées avec circonspection, ces questions, largement répandues, demeurent tout de même acceptables.

[244]     En l’espèce, il considère que l’entrevue menée par Gaz Métro est classique et comprend autant des questions sur la formation et l’expérience, des questions sur les intérêts, les objectifs et les aspirations, des questions d’auto-évaluation, des questions sur les opinions et les attitudes et des questions comportementales[280]. En effet, il qualifie les questions 7, 9, 10, 11, 12, 13 et 14 comme étant comportementales. Il souligne toutefois qu’il est généralement recommandé de prévoir des questions de suivi[281]. À cet égard, il précise que même si de telles questions ne figurent pas à la grille P-8, elles ont été posées, de façon non structurée, dans les faits. De plus, il partage l’avis de madame Jeanrie sur le fait que l’absence d’une grille d’évaluation associant les questions aux réponses attendues témoigne d’une standardisation déficiente[282]. Lors de son témoignage, monsieur Pettersen situe plus précisément l’entrevue en l’espèce en avant-dernière position sur une échelle de structure de 1 à 4, étant donné que les sous-questions ne sont pas prédéterminées et que l’évaluation est faite globalement[283].

[245]     Des rapports et témoignages des experts Jeanrie, Boulard et Pettersen, le Tribunal retient que les entrevues effectuées chez Gaz Métro sont de type peu structuré et que ce manque de structure est très susceptible d’affecter leur qualité et leur valeur de prédiction. Après avoir déterminé la nature de l’entrevue en l’espèce, il nous faut analyser plus précisément les critères de qualité d’une entrevue, c’est-à-dire la validité, la pertinence et la pondération.

 

- La validité de l’entrevue

[246]     Le Tribunal rappelle que, selon les experts, l’entrevue est valide si elle ne comporte pas de lacune quant à sa conception, sa standardisation et son administration. À titre d’exemple, la subjectivité et les erreurs entachent la validité d’une telle étape de sélection.

[247]     En l’espèce, les motifs établissant que la conception, la standardisation et l’administration de l’entrevue sont déficientes ont déjà été exposés dans les pages précédentes. Qu’il suffise ici d’en reprendre brièvement certains éléments. D’abord, les commentaires favorables ou défavorables inscrits aux fiches d’évaluation des candidates sont choisis par Sylvie Richard et introduisent de la subjectivité dans l’évaluation, tout comme les questions de « désirabilité sociale ». Ensuite, la cote « rejetée », « B », « A » ou « A+ » attribuée par Sylvie Richard à chaque candidate selon son impression constitue une source d’erreur systématique. Aussi, les réponses des candidates aux questions posées, particulièrement en ce qui concerne la question 6, mais aussi la question 7, sont évaluées tantôt de manière discrétionnaire, tantôt strictement en fonction des « bonnes réponses » attendues. En effet, Sylvie Richard a admis lors de son témoignage qu’une candidate qui répond à la question 7 - « Parlez-nous d’une situation que vous avez vécue et que vous qualifieriez de stressante. » - en mentionnant qu’elle juge stressant d’être en retard le matin pour aller reconduire ses enfants à l’école ne fournit pas le type de réponse attendue[284]. Selon madame Richard, si une femme qualifie une telle situation de stressante, elle ne pourra faire face au stress - considéré plus important - inhérent au poste de préposé réseau. Or il s’agit là d’une opinion très subjective sur la base de laquelle les candidates sont néanmoins susceptibles d’être plus ou moins sévèrement pénalisées.

[248]     De plus, les questions elles-mêmes varient d’une candidate à l’autre. Ainsi, les questions techniques posées à Joan Dupont concernent surtout la plomberie alors que celles posées à Nicole Trudel et à Marie-Claude Côté concernent principalement l’électricité. Quant à Line Beaudoin, elle fait face à une mise en situation sur les opérations d’urgence en cas d’explosion, alors même que cet apprentissage ne s’acquiert qu’après une année de formation interne.

[249]     Selon l’expert Pettersen, le manque de standardisation ne nuit pas à la validité de l’entrevue, mais signifie seulement que « ça peut fluctuer. Si les intervieweurs ne sont pas sexistes, ça devrait pas être fait en défaveur »[285]. Or comme il serait hautement hasardeux de tenter de déterminer si les intervieweurs - en l’espèce Sylvie Richard et Jean-Pierre Raymond - sont ou non sexistes, il est indéniable qu’une standardisation accrue de l’entrevue aurait assuré une plus grande objectivité.

[250]     De façon générale, rappelons que la prise de notes est aussi gravement déficiente. L’experte Jeanrie considère d’ailleurs que la forme de la grille d’évaluation P-47 entache la validité de l’entrevue[286]. Les commentaires qui y sont notés en ce qui concerne les victimes en l’instance ne permettent pas d’en arriver à une conclusion valide :

Il y a pas moyen d’identifier d’avance pourquoi des questions comme ça ont pu être notées et, encore une fois, dès qu’on note une information qui ne fait pas partie de ce qui est recherché, on fait entrer de l’erreur dans le jugement qui va être posé parce qu’on attribue une importance à une information qui ne fait pas partie de l’information recherchée[287].

[251]     Il est également inquiétant qu’à cause d’une « hésitation sur le profil »[288], plusieurs candidates aient été retirées rétroactivement du processus de sélection après avoir été invitées à se rendre aux tests[289], certaines ayant même déjà réussi le test théorique et parfois aussi le test pratique. À cet égard, madame Richard admet que ce retrait rétroactif est subjectif[290]. Dans son rapport, l’experte Jeanrie explique que cette procédure d’élimination rétroactive démontre le rôle prépondérant accordé à l’entrevue ou plutôt au « profil » évalué en entrevue, alors que cette dernière laisse une grande place à la subjectivité[291].

[252]     Bref, l’ensemble de la preuve fait clairement ressortir les multiples entorses à la validité de l’entrevue et la grande subjectivité avec laquelle elle a été conçue et administrée.

 

-  La pertinence de l’entrevue

[253]     L’entrevue répond au critère de pertinence si ses questions sont orientées de façon à mesurer des connaissances, des habiletés, des aptitudes et des qualités liées à l’emploi de préposé réseau ou à la formation de stagiaire réseau. Comme le résume l’expert Boulard, « [on n’a] pas le droit, en entrevue dans un processus de sélection, d’utiliser des questions ou d’utiliser un contenu qui a pas de lien avec l’emploi »[292].

[254]     Dans un premier temps, avant même d’analyser le lien entre ce que l’entrevue mesure et ce qui est exigé pour le poste de préposé réseau, encore faut-il que ces exigences elles-mêmes soient pertinentes. À ce propos, le Tribunal rappelle ici ses conclusions quant à la description des tâches et au profil d’emploi. En effet, il est déjà établi qu’il n’existait pas de document tel qu'une description des tâches du poste de préposé réseau au moment des faits en litige et que, suivant cela, le profil d’emploi P-3 détaillant les exigences requises pour le poste n’est pas approprié vu que ces exigences ne sont pas liées au poste, surtout en ce qui concerne les qualités de la personne[293]. La pertinence en soi des qualifications demandées est donc mise en doute; l’entrevue étant ainsi basée sur de fausses prémisses, elle peut difficilement mesurer des éléments essentiels à l’emploi.

[255]     Dans un second temps, le Tribunal examine tout de même le lien entre l’entrevue et l’emploi en tenant cette fois pour acquis le bien-fondé des tâches et des exigences qui y sont reliées. Selon l’experte Jeanrie, la démonstration d’un tel lien implique une comparaison et une corrélation entre les qualifications mesurées et les qualifications requises pour occuper le poste et suivre la formation dispensée à l’interne. C’est madame Sylvie Richard qui tente, lors de son témoignage, d’établir les liens entre, d’une part, les questions ou les thèmes sous-jacents à ces questions et, d’autre part, les éléments recherchés que Gaz Métro souhaite mesurer. Puisque madame Richard est l’artisane de cette entrevue, autant en ce qui concerne sa conception que son administration, aucun autre témoin n’est mieux à même de se prononcer sur cette question.

[256]     Le Tribunal constate cependant de multiples divergences entre son témoignage du 15 mars 2005 et ceux des 9 et 17 février 2006. Le 15 mars 2005, madame Richard explique ainsi que les forces et les faiblesses notées sur les fiches d’évaluation P-68 sont liées à l’emploi. Interrogée à ce sujet, elle établit spontanément des liens entre les questions d’entrevue et les éléments du profil recherchés. Pour ce faire, elle utilise alors le lexique D-57 définissant les qualités recherchées en emploi; pourtant, il est en preuve que ce document appartient à son collègue François Messier et qu’elle-même ne s’en est jamais servie. Puis, en février 2006, elle sembler trouver plus difficile de faire les mêmes liens[294]. Quoiqu’il en soit, le témoignage de madame Richard démontre que plusieurs groupes de questions servent apparemment à mesurer les mêmes caractéristiques.

[257]     Constatant que certaines fiches d’évaluation P-68 contiennent une mention relative à la capacité de la candidate de performer dans le poste de préposé réseau, même si cette capacité n’a pas été mesurée en entrevue, l’experte Jeanrie s’interroge quant au manque d’objectivité conduisant à une telle mention. De plus, de nombreux éléments subjectifs, tels les qualités/défauts inscrits sur les fiches d’évaluation P-68, ne sont pas requis par les exigences de l’emploi et ne sont pas davantage contenus dans les questions posées ou inspirés par celles-ci.

[258]     Par ailleurs, madame Jeanrie tente à l’audience de faire l’exercice elle-même, à savoir jumeler les thèmes et les questions de la grille P-8 aux éléments notés sur les fiches d’évaluation P-68. En ce qui concerne par exemple la fiche de Marie-Claude Côté, madame Jeanrie y retrouve les réponses donées à sept des questions abordées, ce qui ne couvre pas l’ensemble des questions liées au profil de l’emploi[295]. Elle doute de l’exhaustivité de l’entrevue et constate que les qualités évaluées ne correspondent pas à celles exigées. À son avis, il y a eu « débordement » des questions; les questions posées ne justifient pas les commentaires écrits sur les fiches[296]. Eu égard aux questions pour lesquelles aucune réponse ne figure à la grille d’évaluation, madame Jeanrie s'interroge et conclut à une lacune dans la standardisation de l’entrevue :

Est-ce que c’est parce qu’on n’a pas pris de notes pour ces réponses-là ou est-ce que c’est parce que les questions n’ont pas été posées? Je peux pas savoir. Mais ça laisse la possibilité que les questions n’aient pas été posées. Auquel cas, on parle définitivement d’une situation de non-standardisation, ce qui, en entrevue, est une source d’erreur importante[297].

[259]     L’experte Jeanrie observe aussi que les thèmes abordés dans l’entrevue ne sont pas circonscrits de façon à s’arrimer avec les exigences de l’emploi, ce qui est susceptible de confondre les intervieweurs. Pour l’ensemble du processus d’entrevue, il n’y a pas, selon elle, de cohérence adéquate entre le profil recherché et les réponses recueillies[298].

[260]     De l’avis de l’expert Pettersen, seuls les éléments critiques et fréquents sont représentatifs de l’emploi et pertinents pour l’entrevue[299]. Cela dit, il croit que les questions d’entrevue sont bel et bien liées à la tâche; quant à savoir si elles mesurent les éléments essentiels du poste de préposé réseau, il considère que c’est à Gaz Métro d’en décider[300]. Il ajoute qu’une entrevue ne peut être absolument parfaite et que si les questions en l’espèce ne sont sans doute pas les meilleures qui soient, elles demeurent tout de même très pertinentes[301].

[261]     De plus, il est en désaccord avec l’affirmation de l’experte Jeanrie selon laquelle les qualités recherchées sont davantage reliées à un poste de col blanc que de col bleu; il s’en remet aux gens responsables à l’interne de Gaz Métro, qui connaissent bien le poste et qui sont donc en mesure, selon lui, de juger de la pertinence d’exiger ces qualités[302]. Au surplus, il explique que les intérêts en eux-mêmes ne sont pas de si mauvais prédicteurs; ce sont plutôt, à son avis, les inventaires d’intérêts qui sont à proscrire. Or, Gaz Métro n’a pas utilisé de tels inventaires d’intérêts, mesurant plutôt ceux-ci par le biais de l’entrevue, ce qui est tout à fait correct[303].

[262]     Quant à l’expert Boulard, il juge que l’entrevue souffre certainement de plusieurs lacunes, mais qu’elle n’en est pas moins pertinente, et que monsieur Pettersen peut le mieux mesurer l’impact de ces lacunes[304]. Or, ce dernier s’en remet à la sagesse de Gaz Métro.

[263]     Bref, l’évaluation de la pertinence ne consiste pas uniquement, comme le fait Gaz Métro, à associer deux mots ou deux combinaisons de mots faisant partie des tâches, des exigences et des épreuves de sélection. En l’espèce, bien que certains liens existent entre le contenu des questions et les éléments du profil d’emploi, ceux-ci apparaissent insuffisants.

 

- La pondération de l’entrevue

[264]     Tel que précédemment défini, le critère de pondération de l’entrevue se rattache à la relativisation du poids à accorder à chaque qualification. Concrètement, il s’agit de déterminer de manière objective quelle valeur accorder à telle compétence ou telle qualité selon que celle-ci est très ou peu essentielle et fréquente dans le poste de préposé réseau. Cet exercice de pondération doit être appliqué aux divers éléments mesurés dans l’entrevue, qu’ils soient considérés séparément ou regroupés par thèmes. Dans un deuxième temps, la pondération implique également une interrelation entre les différentes épreuves du processus de sélection. Par exemple, une valeur différente peut être attribuée à l’entrevue, au test théorique et au test pratique, selon ce qu’ils évaluent respectivement.

[265]     Il n’est pas contesté que Gaz Métro n’a pas préalablement attribué de points à chaque question, ni la valeur de différents types de réponses à chacune d'elles de façon à mesurer adéquatement les caractéristiques les plus importantes. Il est également évident que, comme chaque étape de sélection est éliminatoire, ces étapes n’ont pas été pondérées les unes par rapport aux autres.

[266]     Pour l’expert Pettersen, l’absence de pondération des questions de l’entrevue ne pose pas problème. Quoi qu’il en soit, il est rare que des questions d’entrevue soient pondérées, sauf dans les cas d'entrevue situationnelle ou comportementale[305].

[267]     L’experte Chantale Jeanrie explique que ce sont les compétences techniques qui contribuent, de façon largement supérieure, aux tâches de préposé réseau. Par conséquent, elle considère que la quantité des qualités personnelles mentionnées au profil d’emploi et examinées en entrevue est excessive et introduit beaucoup de subjectivité dans le processus[306]. À ce titre, lors des entrevues de Line Beaudoin et Marie-Claude Côté, les qualités évaluées ne sont pas celles recherchées[307].

[268]     Or en notant des caractéristiques autres que celles recherchées, on leur accorde de l’importance, alors qu’il s’agit d’éléments non mesurés chez les autres candidates. Le fait de tenir compte de qualités différentes ou d’évacuer des qualités pertinentes démontre la subjectivité qui imprègne l’entrevue et qui rend impossible la pondération par thèmes.

[269]     Ainsi, selon les opinions des experts, les qualités pronostiques de l’entrevue diminuent considérablement si une pondération adéquate n’est pas effectuée. En l’espèce, l’entrevue de Gaz Métro n’est pas pondérée, ce qui contribue à attribuer une valeur prépondérante démesurée à la notion de « profil », elle-même ni pondérée ni adéquatement définie.

3.3.3.5 Conclusions eu égard à l’entrevue préalable

[270]     L’entrevue préalable ne permet pas d’évaluer équitablement les candidates, qui ne subissent pas toutes le même processus dans les mêmes conditions, dans la mesure où elles ne se font pas poser les mêmes questions et où leurs réponses ne sont pas pareillement évaluées. L’évaluation au mérite nécessite que les qualifications des candidates soient mesurées par des moyens standardisés qui limitent la subjectivité. Ne respectant pas les critères de validité, de pertinence et de pondération propres à une entrevue de qualité, force est de conclure que les entrevues tenues par Gaz Métro n’ont pas de valeur prédictive significative. Ainsi, certaines candidates éliminées dès l’étape de l’entrevue l’ont été sans égard à leurs qualifications réelles. Cela dit, il ne revient pas au Tribunal de suggérer précisément ce qu’aurait dû être le processus d’entrevue suivi par Gaz Métro. Le Tribunal a fait l’analyse des pratiques reliées à l’entrevue et exposé les lacunes qu’elles comportent pour l’unique raison qu’il s’agit du seul moyen de déterminer si cet outil de sélection a ou non des effets discriminatoires à l’égard des femmes.

[271]     Les experts, principalement Chantale Jeanrie, Normand Pettersen et Louis Laurencelle, se sont employés à prouver, par des statistiques, la présence ou l’absence, selon le cas, de biais discriminatoires.

[272]     L’experte Jeanrie utilise la méthode statistique américaine dite des « 4/5 » tirée des Uniform Guidelines on employee selection procedures[308]. Selon cette règle, il y a effet discriminatoire lorsque le ratio du taux de succès du groupe désavantagé - les femmes - est inférieur à 80 % du taux de succès du groupe majoritaire - les hommes[309].

[273]     L’expert Pettersen désapprouve cette méthode, ajoutant qu’elle ne doit pas être interprétée de façon rigide et absolue et qu’il ne s’agit pas d’une norme professionnelle reconnue en psychométrie[310]. De plus, il reproche également à l’experte Jeanrie d’avoir combiné des échantillons qui ne pouvaient se comparer afin d’obtenir un plus gros échantillon[311]. Il a cependant admis qu'il ignorait si madame Jeanrie avait apporté les ajustements permettant de les comparer adéquatement.

[274]     L’utilisation de la règle des 4/5 a été particulièrement critiquée par l’expert Laurencelle, qui ne la connaissait pas avant l’instance puisqu’elle n’est pas utilisée en statistique. Il qualifie cette méthode de moins rigoureuse et honnête qu’un test statistique[312]. De plus, il constate que madame Jeanrie a mal effectué un certain calcul en statistique et apporte les corrections appropriées[313]. Il considère que madame Jeanrie utilise à tort le terme « effet adverse », qu’elle relie à la discrimination, alors que le terme « biais » est plus approprié en statistique[314].

[275]     Revoyant le travail effectué par monsieur Pettersen, l’expert Laurencelle déclare que son traitement des données est généralement adéquat malgré quelques erreurs de calcul et que si ces données sont vraies, les résultats auxquels il en arrive sont corrects. En corrigeant les calculs de monsieur Pettersen selon un autre test d’hypothèse statistique, monsieur Laurencelle établit qu’il n’y a aucun biais.

[276]     L’expert Laurencelle a aussi revu les analyses et les conclusions des experts Jeanrie et Pettersen en leur apportant les correctifs nécessaires.  Selon lui, le postulat de base sous-tendant la recherche d’un biais est que le contexte est « honnête », c’est-à-dire que « les candidatures des hommes et des femmes sont spontanées, qu’on n’a pas présélectionné des hommes (ou des femmes) relativement plus compétent(e)s et que, a priori, chaque candidat, quel que soit son sexe, a des chances égales d’être qualifié »[315].

[277]     Toutefois, lorsqu’il est informé, en contre-interrogatoire, de l’exigence relative au permis de conduire de classe 3 et du nombre - extrêmement inégal - d’hommes et de femmes qui le détiennent, il considère alors que l’analyse est modifiée :

Q - Si je vous disais qu’il y a huit cent soixante-cinq (865) femmes pour quatre-vingt-dix-sept mille sept cent trente-trois (97 733) hommes…

R - Um-hum.

Q - ... qui détiennent un permis de conduire classe 3, qu’il y ait une exigence pour postuler pour ce poste-là, est-ce que vous êtes d’accord pour dire que le bassin de recrutement est disproportionné ?

R - Bien, dans la mesure où le bassin de recrutement est défini par ces critères-là, c’est certainement pas comparable, là[316].

[278]     En somme, les experts Jeanrie et Pettersen avaient sensiblement le même mandat, soit analyser le processus de sélection du point de vue de la psychométrie et de la sélection du personnel et interpréter le taux d’échec des femmes à ce processus pour les années en litige.

[279]     En ce qui concerne madame Jeanrie, dont l'expertise se rattache davantage à l'évaluation qualitative, le Tribunal considère que malgré l'assurance avec laquelle elle a témoigné, les observations sur lesquelles elle s’appuie au plan statistique ne sont pas d’une grande précision scientifique. En effet, la méthodologie quantitative qu’elle utilise, soit la règle des 4/5, n’est pas convaincante compte tenu du fait, notamment, qu’il s’agit d’une règle américaine qui n’est pas admise en statistique au Québec. De plus, madame Jeanrie a regroupé les données des concours de 1995, 1996 et 1997 afin de grossir la taille de son échantillon, au lieu de les analyser séparément, ce que lui reproche d’ailleurs l’expert Laurencelle[317]. Le Tribunal conclut à un certain manque de rigueur de sa part relativement à l’analyse quantitative du processus de sélection et demeure donc prudent face à ses conclusions à cet égard.

[280]     Quant à l’expert Pettersen, spécialisé dans l'approche quantitative, il n'a pas présenté clairement les différents raisonnements lui ayant permis de conclure à une absence de biais et n’a donc pas vraiment éclairé le Tribunal. Pendant son témoignage, il s'est rétracté et contredit à plusieurs reprises, sans compter que ses remarques dépassaient parfois les limites de ses compétences, notamment en matière de discrimination. Le Tribunal hésite donc à s’appuyer sur les résultats de cet expert.

[281]     Dans le cas de l’expert Laurencelle, il est celui des trois experts qui possède la plus grande compétence et expertise en matière de statistique. Il corrige sans trop de difficulté les erreurs effectuées par Chantale Jeanrie et Normand Pettersen et les expose bien. Son témoignage est clair, précis et articulé et il n’hésite pas, au besoin, à reconnaître les limites de ses compétences et de son mandat. En conséquence, le Tribunal accorde la plus grande crédibilité à son témoignage. Le Tribunal en retient notamment que le bassin étudié - l’échantillon - est trop restreint pour que les analyses soient concluantes. L’expert Laurencelle conclut d’ailleurs ainsi son rapport :

 [L]e jugement d’un phénomène de biais dans l’ensemble de données considérées doit d’abord reposer sur l’examen détaillé des cohortes et des étapes de sélection auxquelles chacune fut soumise. Le caractère en grande partie arbitraire des indices globaux (en mode de moyennes pondérées ou non pondérées) et la présence d’effets « paradoxaux » en font une base peu crédible pour le jugement[318].

[282]     Même si l’échantillon avait été plus grand et avait favorisé des résultats plus probants, les multiples modifications apportées aux données produites par Gaz Métro quant au processus de sélection affaiblissent les conclusions qui pourraient être tirées, en l’espèce, de la preuve statistique.

[283]     Par ailleurs, rappelons que dans l’affaire Radek[319], le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a rendu une décision concluant à l’existence d’un système entaché par la discrimination, sans toutefois s’appuyer sur la preuve statistique et en précisant que celle-ci, bien qu’utile lorsque disponible et fiable, n’en est pas pour autant essentielle à une preuve de discrimination systémique.

[284]     Le Tribunal se fonde donc sur l’analyse qualitative plutôt que quantitative de l’entrevue. En l’espèce, la preuve et les analyses effectuées par les experts démontrent que l’entrevue a été mal conçue, mal standardisée, mal administrée. Pour beaucoup, ces lacunes ont nui aux candidates en permettant que des préjugés tenaces à l’égard des femmes s’insinuent dans le processus d’entrevue; qu’il suffise de songer à l’évaluation des qualités de la personne et du traitement réservé à l’expérience de travail en milieu non traditionnel. En effet, l’analyse du déroulement de l’entrevue et de l’expérience personnelle de chacune des parties victimes démontre que cette dernière était, dès le départ, largement teintée par le préjugé selon lequel les femmes sont inaptes à occuper des postes, tel celui de préposé réseau, traditionnellement réservés aux hommes. Dans ce contexte, la valeur accordée aux expériences passées de certaines d'entre elles était négligeable.

[285]     Ce n’est pas en soi l’utilisation, par Gaz Métro, d’une entrevue comme outil de sélection qui est problématique, mais plutôt le fait que l’outil tel que conçu véhicule des stéréotypes sur les femmes en milieu non traditionnel. Dans ce cadre, l’entrevue constitue un terrain propice à la discrimination fondée sur le sexe, considérant surtout son caractère peu structuré et standardisé.

[286]     Au surplus, Gaz Métro ayant constaté, dès 1996, que cette mesure n’avait pas eu les résultats escomptés[320], l'entreprise a cessé de recourir à l'entrevue préalable sans toutefois se questionner davantage sur les causes à la source de son succès mitigé.

[287]     Le caractère préalable de l’entrevue pour les femmes seulement, qui a eu pour effet d’en éliminer certaines prématurément, conjugué à l’évaluation discrétionnaire de leur performance, à l’imposition d’exigences supplémentaires non requises des hommes et à leur retrait rétroactif du processus de sélection sur la base d’une « hésitation sur le profil », tout ce système a donc contribué à ce que les femmes soient exclues de manière disproportionnée du poste de préposé réseau. Nous sommes donc en présence d’éléments qui, ajoutés les uns aux autres, se renforcent jusqu’à produire un réel effet d’exclusion envers les femmes. Cette situation est indéniablement liée au sexe; en conséquence, cet effet disproportionné d’exclusion est discriminatoire envers les femmes.

[288]     Selon Gaz Métro, même si le Tribunal conclut au caractère discriminatoire de l'entrevue, elle est justifiée aux termes des exigences énoncées dans l’arrêt Meiorin. Par conséquent, nous devons appliquer la première étape du test établi par la Cour suprême et, à cette fin, déterminer si l’entrevue préalable et les questions qu’elle comporte sont rationnellement liées à l’objectif de recruter davantage de femmes qualifiées dans le poste de préposé réseau.

[289]     Les témoins de Gaz Métro, principalement Jean-Pierre Raymond et Sylvie Richard, justifient le déplacement, en 1995, de l’entrevue avant les tests par le désir de connaître davantage les femmes intéressées à occuper le poste de préposé réseau et par la volonté de leur offrir l’opportunité de faire valoir leurs capacités. Tous deux considèrent que les qualités personnelles requises sont pertinentes pour les fonctions de préposé réseau et que leur évaluation chez chaque candidate est justifiée.

[290]     De l’avis du Tribunal, vu le contexte connu de sous-représentation des femmes au sein du poste de préposé réseau chez Gaz Métro et considérant le but avoué de l’entreprise de procéder à une embauche prioritaire de femmes, la décision même de soumettre les candidates à une entrevue préalable comportant un caractère éliminatoire se justifie difficilement. En effet, il est difficile de comprendre comment l’ajout d’une épreuve éliminatoire préalable et applicable uniquement au groupe même que l’on cherche apparemment à encourager dans ses démarches pourrait accroître l'embauche de membres de ce groupe. De plus, si l’on analyse plus spécifiquement le processus intrinsèque de l’entrevue et les questions qui la composent, il est encore plus évident qu'elle n’est pas rationnellement liée à l’objectif d’embaucher prioritairement des femmes. Mentionnons, à titre d'exemple, l’évaluation incorrecte et hautement subjective de l’expérience non traditionnelle des femmes, de leurs qualités, de leur conception de l’intégration en milieu masculin et de leur vision de ce qui constitue une situation stressante, cette évaluation étant effectuée de façon à exclure les femmes qui ne répondaient pas de la seule « bonne » manière voulue.

[291]     Concluant que l’entrevue n’est pas rationnellement liée à l’objectif poursuivi, le Tribunal ne juge pas nécessaire de poursuivre avec l’analyse de la deuxième étape de l’arrêt Meiorin, à savoir la défense de contrainte excessive découlant des mesures d’accommodement recherchées. Par conséquent, l’entrevue en tant qu’étape de sélection est discriminatoire et ne se justifie pas au regard des critères définis dans l’arrêt Meiorin.

3.3.4  Le test théorique

3.3.4.1 Le déroulement du test théorique

[292]     Lorsque l’étape de l’entrevue est franchie avec succès, les candidats se soumettent ensuite à l’épreuve du test théorique. Cet examen écrit est divisé en plusieurs sections et porte à la fois sur les connaissances générales, les mathématiques, la logique, la mécanique, la physique et l’électricité[321]. Il a été confectionné, en 1992, par Robert Bédard, Serge Charbonneau, Boris Sauvé et Jean-Pierre Raymond à partir de questions utilisées chez Gaz Métro depuis 1982[322].

[293]     Lors de son témoignage, Robert Bédard explique que la partie « mesure et évaluation » de son travail correspond à environ 10 % de ses tâches et admet ne pas être un expert en la matière[323]. À cet égard, il a suivi des cours dans le domaine de l’instruction en milieu de travail, sans toutefois compléter son certificat[324].

[294]     Monsieur Bédard affirme avoir apporté des modifications au test de l’ordre d’environ 20 %, entre les différents recrutements, afin de contrer les fuites possibles[325]. Il appert que Gaz Métro n’est plus en possession de l’exacte version du test qui a été utilisée en juin 1995, même si les versions ultérieures (P-9A et P-9B) lui sont très similaires[326].

[295]     Par ailleurs, monsieur Bédard explique qu’en 1997, le nombre de questions a été augmenté sans que la pondération totale de l’examen ne le soit aussi, de façon à avantager les candidats[327]. Il considère par ailleurs que l’examen écrit est un outil évolutif[328]. Il semble toutefois que la grille de correction n’était pas systématiquement adaptée afin de concorder avec le test actualisé. De plus, bien que deux questions soient annulées après coup lors du test théorique de juillet 1995[329], il semble que certains correcteurs les aient tout de même corrigées. C’est ce qui est arrivé à Shirley Thomas, qui a obtenu 7/10 à la question 39[330], qui ne devait pas être corrigée. Comme les points relatifs à cette question corrigée à tort n’ont pas été cumulés dans la note totale[331], on ne peut présumer que ces erreurs ont eu des conséquences significatives.

[296]     Lors du test, la calculatrice est interdite malgré le fait que de nombreux calculs impliquent des fractions et des décimales[332]. Pourtant, l’usage de la calculatrice a toujours été permis dans le cadre des formations à l'interne données chez Gaz Métro[333]. Au surplus, monsieur Bédard mentionne que la calculatrice est permise en ce qui concerne les tests théoriques autres que celui du poste de préposé réseau[334].

[297]     Une autre consigne désavantage les candidats : la correction dite «négative» de l’examen selon laquelle les correcteurs doivent soustraire des points dans le cas d’une mauvaise réponse. Selon les explications de monsieur Bédard, ce type de correction n’était utilisé que pour les questions objectives, afin de contrer le hasard, et ne représente qu’environ 5-6 % de l’examen. Gaz Métro a abandonné la pratique de la correction négative en 1997.

[298]     Certaines candidates expliquent que lorsqu’elles ont été convoquées à l’examen théorique, on leur a conseillé, en prévision de celui-ci, de revoir leurs notions de mathématiques[335]. Il convient de s’interroger sur la raison sous-tendant cette recommandation de Gaz Métro : l’entreprise croyait-elle que les candidates n’avaient pas les connaissances théoriques suffisantes en la matière pour réussir l’examen ou voulait-elle les prévenir que ce dernier se situait à un niveau supérieur aux connaissances de secondaire V ?

[299]     Johanne Bolduc témoigne qu’environ une semaine après avoir passé l’entrevue, Sylvie Richard lui téléphone pour l’informer qu’elle est considérée « avoir le profil » et qu’elle peut passer le test écrit. Madame Bolduc admet avoir trouvé le test difficile, vu surtout les calculs de décimales et de fractions à effectuer sans l’aide d’une calculatrice[336]. Elle échoue à l’examen. Madame Richard l’informe alors que ses principales faiblesses semblent se situer en électricité et lui recommande d’étudier cette matière dans le but de se présenter à nouveau à l’examen écrit. Madame Bolduc a un diplôme d’études secondaires en dessin technique et un diplôme d’études collégiales en génie civil[337]; elle révise donc ses notes de cours du secondaire et du cégep en électricité ainsi qu’en physique et en mathématiques. Elle tente encore sa chance en 1996, mais échoue à nouveau. C’est à sa troisième tentative, en 1997, qu’elle réussit le test sans avoir suivi de cours d’appoint depuis 1995.

[300]     Nicole Trudel détient un diplôme d'études professionnelles (DEP) en conduite de camions lourds, formation durant laquelle elle a notamment suivi des cours de mécanique. Elle échoue elle aussi au test écrit en 1995. Elle réessaie en 1997, sans succès[338].

[301]     Quant à Tania Plourde, elle possède une formation en montage de lignes électriques. Elle échoue au test théorique avec un résultat de 34 %. Sylvie Richard lui réaffirme toutefois qu’elle a un bon profil pour le poste de préposé réseau et lui suggère de prendre des cours en mathématiques et en physique afin d’augmenter ses chances de réussite une prochaine fois. Madame Plourde suit son conseil et s’inscrit à l’école Lakeshore Baldwin Cartier, où elle suit des cours à temps plein, qu’elle réussit très bien[339]. Elle obtient concurremment son permis de conduire de classe 2. De plus, son agent d’assurance-emploi accepte de prolonger la durée de ses prestations afin que les coûts de la formation puissent être couverts. Elle téléphone à Sylvie Richard à plusieurs reprises pour l’informer de ses démarches et de ses efforts, mais cette dernière lui répond chaque fois qu’il n'est pas possible de repasser le test[340].

[302]     En ce qui concerne Shirley Thomas, elle détient un diplôme d’études collégiales en pétrochimie. En 1995, à la suite de l’entrevue préalable, elle se fait dire qu’elle a le profil idéal pour le poste de préposé réseau et elle est admise au test théorique. Sa note est de 52 %. Elle réessaie en 1996 et obtient alors la note de passage. Toutefois, puisqu’elle échoue à l’étape du test pratique, elle doit refaire le test écrit en 1997 pour réintégrer le processus de sélection. Or elle échoue lors de cette troisième tentative[341].

[303]     Marie-Claude Côté a une formation en montage de lignes électriques. Selon Gaz Métro, elle a le profil idéal. À son premier essai, en 1995, elle échoue au test théorique. Comme pour Tania Plourde, madame Richard lui conseille de suivre des cours d’appoint en mathématiques et en physique. Madame Côté s’inscrit alors à l’école Lakeshore Baldwin Cartier et avise son agent d’assurance-emploi de ses efforts pour obtenir un poste de préposé réseau chez Gaz Métro. Cette formation est couronnée de succès[342]. En 1996, elle échoue une seconde fois à l’épreuve de l’examen écrit. Elle le réussit finalement en 1997, lors de sa troisième tentative[343]. Dans son cas, c’est plus tard, à l’étape de l’examen médical, que le processus de sélection achoppe[344].

[304]     Selon le rapport de l’expert Pettersen, il appert que 78 % des femmes et 72 % des hommes ont échoué à l’examen théorique lors des concours de recrutement tenus de 1995 à 1997[345]. Le Tribunal ne peut s’empêcher de s’étonner devant un si fort taux d’échec à un test censé mesurer des connaissances de base de niveau secondaire V, et ce, alors que les personnes examinées détiennent toutes ce diplôme et parfois même une formation plus avancée.

3.3.4.2 L’appréciation du test théorique

 

- La validité du test théorique

[305]     La validité d’une épreuve de sélection, comme nous en avons fait état précédemment, concerne sa conception, sa standardisation et son administration. L’examen théorique a été conçu par Robert Bédard et Serge Charbonneau et, pendant la période en litige, Gaz Métro ne l’a jamais fait valider par des experts à l’externe de l’entreprise. Il semble que les instructions données aux correcteurs - ou alors leur compréhension de celles-ci - aient parfois été déficientes dans la mesure où certains ont corrigé des questions d’examen ne devant pas l’être, monsieur Bédard ayant décidé de les annuler.

[306]     De plus, certaines erreurs se trouvent au sein même des questions et du corrigé du test écrit. À titre d’exemple, à la question 17, une illustration montre un objet d’un poids de 380 kilogrammes, alors qu’il est indiqué dans la question que ce même objet pèse 360 kilogrammes[346], ce qui peut facilement induire les candidats en erreur. Mis au fait de cette irrégularité durant son contre-interrogatoire, Robert Bédard explique qu’il s’agit bien d’une erreur, mais que si les candidats inscrivent systématiquement l’une ou l’autre des deux bonnes réponses possibles - selon le postulat de base choisi, soit 360 ou 380 kilogrammes -, il aurait investigué et constaté la source du problème[347].

[307]     De la même manière, la question 7[348] pose problème car la réponse attendue n’est finalement pas la bonne[349].

[308]     Le Tribunal constate aussi certaines disparités dans la correction de questions identiques. Par exemple, sur les copies d’examen de 1996 et de 1997 de madame Danielle Varin, la notation par rapport à la première question est différente d’une copie à l’autre alors que les réponses sont quasi identiques. Cette question exige que la candidate définisse en quelques mots la fonction de dix pièces énumérées d’un véhicule motorisé[350]. Lors du test de 1996, madame Varin décrit ainsi la fonction de la transmission : « donne pouvoir au [sic] roue [sic] ». Lors de celui de 1997, elle écrit : « fait tourner les roues ». Sa réponse est jugée acceptable en 1996, mais non en 1997. Inversement, elle répond en 1996 que la fonction de la batterie est celle d’un « réservoir d’énergie », et n’obtient pas les points correspondants, alors qu’en 1997 sa réponse « accumule l’énergie » est considérée bonne[351]. C’est par un simple coup d’œil que le Tribunal effectue ces constatations et il ne s’aventure pas plus loin sur le terrain des comparaisons. Toutefois, ces failles toute simples, qui ne sont peut-être pas fatales à elles seules, jettent tout de même un doute sur la validité de la correction des examens et, conséquemment, sur celle du résultat des candidates à cette étape.

[309]     Compte tenu de ces observations, la validité du test théorique est incertaine.

 

- La pertinence du test théorique

[310]     La pertinence de l’examen écrit est établie par la démonstration que celui-ci mesure des connaissances et des aptitudes nécessaires à l’emploi ou à la formation. C’est ici que seront étudiées l’adéquation entre l’exigence du Secondaire V et les questions du test de même que les prétentions de la Commission selon lesquelles le test se situe à un niveau supérieur aux études secondaires.

[311]     Monsieur Lucien Aubé, professeur au département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal, a reçu de Gaz Métro en 1997 le mandat de revoir les pratiques et les outils d’embauche et de commenter les résultats des examens qui se sont déroulés en 1995. Quant à monsieur Yves Ste-Marie, il enseigne les sciences physiques et la chimie à l’école secondaire. Monsieur Aubé lui a demandé son opinion concernant les examens de qualification de Gaz Métro et s’est par la suite fondé sur celle-ci pour remettre son rapport à Gaz Métro.

[312]     Dans ses commentaires destinés à monsieur Aubé, monsieur Ste-Marie écrit que Gaz Métro devrait permettre l’usage de la calculatrice et fournir une liste des formules utiles puisque les élèves du secondaire y ont droit. Il indique aussi les questions pour lesquelles la calculatrice et les formules auraient été plus particulièrement nécessaires. Il commente chaque question, souligne quelquefois que la réponse du corrigé est fausse, suggère des modifications, note les questions trop difficiles et identifie celles dont le niveau est supérieur au Secondaire V de base[352]. Selon son témoignage, certaines questions font référence à des notions apprises au cégep ou à des programmes d’éducation périmés depuis longtemps. Il précise quelles sont les questions qui, à son avis, devraient être retirées et celles qui devraient simplement être mieux ordonnées. Il conclut ainsi :

Après avoir fait des commentaires sur chaque question et avoir décortiqué un peu l’examen, je pense que le problème se situe dans le fait qu’il est difficile de présenter un tel examen à un groupe de personnes hétérogènes ayant des formations à l’école très différente (sic).[353]

[313]     Lors de son examen de la pertinence du test théorique, monsieur Aubé conclut que pour être en mesure de répondre aux questions qui le composent, il faut détenir un diplôme de secondaire V comportant le programme complet des sciences, ce qu’il nomme le « Secondaire V fort »[354]. Selon lui, l’examen se situe au maximum des compétences enseignées en secondaire V. Il procède de façon semblable à monsieur Ste-Marie et commente les questions du test en plus d’accorder à chacune un indice de difficulté et un indice de discrimination. Ses observations rejoignent celles de ce dernier en ce qui concerne l’usage de la calculatrice, les formules à fournir, les erreurs du corrigé et le niveau trop élevé de l’examen. Il conclut néanmoins que l’examen ne présente aucun biais et offre une chance égale de réussite à tous les candidats.

[314]     Au regard des constatations de messieurs Aubé et Ste-Marie, certaines questions de l’examen écrit défavorisent apparemment les jeunes candidats ou ceux qui ont fait leurs études récemment. Notamment, les mesures impériales sont employées alors que les mesures métriques prévalent dans le système scolaire depuis déjà plus de dix ans au moment des faits en litige; de même, une question implique la connaissance d’un carburateur de moteur de 1981. En fait, si l'on effectue la somme de leurs commentaires quant aux questions mal formulées, incompréhensibles ou de niveau supérieur au Secondaire V, il n’en reste, sur une quarantaine à l'origine, que quelques-unes qui sont acceptables et appropriées.

[315]     Les différents experts entendus par le Tribunal ont déclaré que seules des connaissances de base en électricité, en mécanique, en mathématiques, en physique et en logique sont nécessaires afin de passer le test théorique avec succès. Ces experts, qu’il s’agisse de madame Jeanrie ou de messieurs Boulard et Pettersen, n’ont toutefois pas vérifié eux-mêmes la véracité de cette affirmation, rapportant plutôt ce que monsieur Bédard leur avait indiqué[355]. De plus, les experts Jeanrie et Pettersen soulignent qu’ils ne peuvent conclure à la pertinence du test théorique par rapport à l’emploi et à la formation[356].

[316]     Bref, la pertinence du test théorique est compromise autant parce qu'il est d’un niveau supérieur au Secondaire V, alors que l’emploi de préposé réseau est un poste d’entrée, que parce que Gaz Métro n’a pas soumis ce test à une validation critériée. Une telle validation consiste à vérifier, une fois qu’un employé occupe le poste de préposé réseau depuis un certain temps, si ses résultats lors du test théorique ont adéquatement permis de prévoir sa performance en emploi. Puisque cette vérification n’a pas été faite chez Gaz Métro, l’entreprise peut difficilement affirmer que le test est pertinent eu égard aux tâches à accomplir dans l’emploi, surtout lorsque l’on considère l’importance de la formation, dispensée à l'interne, qui permet aux stagiaires de cheminer jusqu’au poste de préposé réseau.

 

- La pondération du test théorique

[317]     Le témoin expert Chantale Jeanrie remarque que les questions ne se voient pas attribuer le même nombre de points. Elle estime qu’il est généralement plus prudent de pondérer également les questions et sections d’un test, sauf si une pondération différente se justifie autrement. Elle avoue ne pas savoir si de telles raisons existent en l’espèce mais explique qu’à défaut, la pondération appliquée par Gaz Métro est une source d’erreur relativement aux habiletés à mesurer[357].

[318]     Comme nous y avons fait allusion précédemment[358], la pondération implique aussi, à plus grande échelle, de relativiser l’importance et le poids d’une épreuve de sélection par rapport à une autre, ce que Gaz Métro n’a pas fait en l’espèce puisque chaque épreuve était éliminatoire.

[319]     En conséquence, la pondération de l’examen théorique est inadéquate.

3.3.4.3. Le test Bennett

[320]     Certaines questions provenant d’un test d’aptitude mécanique, dit « test Bennett »[359], ont été utilisées. En fait, environ 15 % des questions de l’examen théorique administré chez Gaz Métro proviennent de ce test[360]. Or, les femmes sont désavantagées par ce test et le réussissent moins bien, une mise en garde à cet effet figurant d’ailleurs dans le manuel relatif à ce test :

The differences were not only statistically significant, but of such size as to have practical meaning. Moreover, the differences between the means of the sexes increased as grade level increased. Thus, when using the BMCT [Bennett Mechanical Comprehension Test] one should expect differences between the scores of male and female groups. […] With expected differences in test scores due to the sex of the examinee, use of BMCT combined group norms in selection decisions may exacerbate adverse impact on females[361].

[321]     En 1984, le Tribunal canadien des droits de la personne, dans sa décision Action Travail des femmes[362] ultérieurement confirmée par la Cour suprême[363], a relativisé la pertinence du test Bennett. Nous en citons ici les passages pertinents :

[C]eci ne signifie pas que le test Bennett ne soit jamais approprié. […] Or, il apparaît que le test Bennett mesure des aptitudes qui sont ou bien supérieures à ce que les postes d’entrée non qualifiés au Canadien National exigent ou encore des connaissances qui peuvent être acquises sur le terrain. Les tâches accomplies n’ont jamais été clairement définies dans le passé et ainsi le test Bennett n’a pu être validé.

La méthode indiquée par les experts pour valider ce test est le « criterion related validity », c’est-à-dire vérifier dans quelle mesure le résultat obtenu est lié à la performance de l’employé, une fois que celui-ci est habitué à son travail. […]

Le CN n’a jamais validé son test. […] Il est nécessaire d’avoir préalablement fait un « job analysis » afin de dire si le test Bennett est valable pour un travail en particulier. […]

En conclusion, nous croyons que l’utilisation du test Bennett pour les postes d’entrée n’exigeant pas de qualification particulière est discriminatoire prima facie et ne peut se justifier par les exigences des emplois postulés[364].

[322]     Voici l'ordonnance rendue par le Tribunal canadien relativement au test Bennett :

Le CN devra cesser immédiatement l’utilisation du test Bennett pour les postes d’entrée autres que les postes d’apprentis de même que, dans un délai d’un an à compter de la présente décision et à l’endroit des mêmes postes, cesser l’utilisation de tous tests d’aptitude mécanique qui ont un impact négatif pour les femmes sans être justifiés par les aptitudes requises pour les emplois postulés par les candidates[365].

[323]     Selon l’experte Jeanrie, il existe trop peu d’études au sujet du test Bennett pour déterminer si les différences de résultats observées entre les hommes et les femmes révèlent un biais ou, plutôt, une représentation normale de leurs compétences respectives. Toutefois, la seule preuve de ces différences justifie à son avis une réflexion sur le bien-fondé de l’utilisation de ce test. Elle ajoute aussi que l’interprétation d’un tel test demande au minimum que l’évaluateur soit un peu formé en matière d’interprétation de tests psychométriques, ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce[366].

[324]     Quant à l’expert Pettersen, il admet que les femmes obtiennent de moins bons résultats que les hommes au test Bennett. À son avis, ces différences ne représentent pas un biais puisque, d’une part, les femmes sont généralement moins compétentes que les hommes en ce qui concerne les aptitudes mécaniques et spatiales et que, d’autre part, l’aptitude mécanique mesurée par les questions du test Bennett est nécessaire à l’emploi de préposé réseau[367].

[325]     L’expert Boulard considère pour sa part que l’utilisation du test Bennett ne cause aucun problème puisque son contenu a déjà été validé et qu’il mesure l’aptitude mécanique requise par le poste de préposé réseau[368].

[326]     Questionné au sujet du test Bennett, monsieur Aubé a exprimé l’avis que les candidats ayant des connaissances pratiques en mécanique peuvent répondre assez facilement aux questions de ce test[369].

[327]     Dans l'affaire Action Travail des femmes, le Canadien National avait utilisé intégralement le test Bennett sans démontrer qu'il évaluait adéquatement les qualités requises par l’emploi. En l'espèce, bien que Gaz Métro ait puisé dans ce test des questions totalisant environ 15 % des points de l’examen théorique, le nombre de points alloué à ces dernières est suffisamment significatif pour influencer de manière décisive le résultat final d'une candidate, i.e. la réussite ou l'échec.

[328]     En l'espèce, cinq des sept parties victimes se sont rendues à cette étape du processus de sélection[370]. Marie-Claude Côté y échoue deux fois, en 1995 et 1996, et réussit lors de sa troisième tentative. Shirley Thomas y échoue en 1995, réussit l'année suivante mais échoue à nouveau en 1997 alors qu'elle doit repasser le test théorique pour pouvoir subir à nouveau l'examen pratique auquel elle avait échoué en 1996. Johanne Bolduc se présente sans succès à l'examen théorique en 1995 et l'année suivante; elle réussit lors de son troisième essai, en 1997. Quant à Nicole Trudel, elle y échoue à deux occasions, en 1995 et en 1997, alors que Tania Plourde y échoue en 1995 et ne s'y représente pas.

[329]     Bien que cette preuve soit négligeable, au plan statistique, et malgré qu'elle ne permette pas d'inférer un lien de cause à effet entre les questions tirées du test Bennett et les résultats des parties victimes, l'expérience de ces dernières n'en illustre pas moins la difficulté, pour les candidates au poste de préposé réseau, de réussir l'examen théorique administré par Gaz Métro. Considérant par ailleurs que l'ensemble de la preuve établit, de manière prépondérante, que les questions tirées de ce test défavorisent clairement les femmes compte tenu de leurs connaissances en mécanique généralement plus restreintes que celles des hommes, le Tribunal conclut que le recours, dans l'examen théorique, à des questions tirées du test Bennett entraîne pour les femmes un effet d'exclusion disproportionné et qu'à ce titre, il contribue à la discrimination systémique en emploi envers ces dernières.

[330]     Pour justifier le recours à ce test malgré ses effets discriminatoires sur les femmes, il fallait en conséquence que Gaz Métro démontre d'abord que son utilisation permet de mesurer adéquatement des connaissances essentielles aux tâches incluses dans le poste de préposé réseau. À l'instar du Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire Action travail des femmes, nous devons cependant conclure que le recours au test Bennett en l’espèce n’est pas justifié.

[331]     En premier lieu, tel que nous l’avons déjà exposé[371], les tâches de préposé réseau pour les années en litige n’ont jamais été clairement décrites. Dès lors, il devient difficile d’assurer que le test de mécanique Bennett, qui désavantage nettement les femmes, est valable pour sélectionner les candidats possédant les qualifications essentielles au poste de préposé réseau.

[332]     De plus, Gaz Métro n’a jamais eu recours à la validation critériée pour s'assurer que les résultats obtenus au test théorique dans son ensemble et, plus particulièrement, dans la section de celui-ci contenant les questions tirées du test Bennett, soient véritablement liés à la performance des candidats une fois embauchés comme préposés réseau. Le Tribunal considère donc que Gaz Métro a utilisé un test qu’il savait - ou aurait dû savoir - désavantageux à l’égard des femmes, et ce, sans avoir démontré un lien rationnel entre les tâches du poste de préposé réseau et les connaissances mesurées par les questions tirées du test.

[333]     Bien que cette conclusion suffise et qu'il ne soit par conséquent pas nécessaire d'examiner aussi la proportionnalité du test théorique, rappelons que comme dans le cas du Canadien National, le poste de préposé réseau est un poste d’entrée ne requérant pas de qualification particulière. Dans ce contexte, le Tribunal s'interroge quant à savoir si les connaissances en mécanique mesurées par le test Bennett sont supérieures aux exigences minimales requises lors de l'entrée en fonction compte tenu que ces connaissances peuvent vraisemblablement être acquises pendant la formation, d'une durée de deux ans, dispensée à l'interne.

3.3.4.4 Les conclusions eu égard au test théorique

[334]     Le choix d’une analyse qualitative plutôt que quantitative des épreuves de sélection a déjà été explicité[372]. À cet égard, toutes les conditions entourant l’examen écrit pour les années en litige, notamment le niveau de difficulté des questions de l’examen, la correction négative, l’interdiction d’utiliser la calculatrice et l’absence d'une liste de formules, s’appliquent de la même manière aux hommes qu’aux femmes.

[335]     Par ailleurs, les questions de cet examen qui proviennent du test Bennett représentent quelque 15 % des points alloués aux réponses et entraînent pour les femmes, en raison de leurs connaissances moindres que celles des hommes en mécanique, un effet d'exclusion discriminatoire. En l'absence de preuve établissant la rationalité de cette mesure, Gaz Métro devra en conséquence modifier l'examen théorique de manière à en supprimer les questions ayant un effet d'exclusion discriminatoire pour les femmes.

3.3.5  Le test pratique

3.3.5.1 Le déroulement du test pratique

[336]     L’examen pratique se déroule à Boucherville, dans un entrepôt de Gaz Métro situé à proximité du centre de formation de l’entreprise. Il est administré par les formateurs, qui agissent alors comme évaluateurs. De 1995 à 1997, messieurs Robert Bédard, Serge Charbonneau, Raymond Bissonnette et Pierre Bélanger occupent ces fonctions. Quant à monsieur Ronald Maise, technicien de laboratoire au centre de formation pendant cette période, il installe les outils et les instruments nécessaires au bon déroulement des épreuves[373].

[337]     Généralement, les candidats ayant réussi le test théorique subissent ensuite le test pratique. Sont cependant exemptés de ce dernier les candidats qui ont obtenu, auprès d'institutions reconnues par le ministère de l'Éducation, une attestation de spécialisation professionnelle en réparation d’appareils au gaz naturel (ASP)[374].

[338]     Selon le cahier d’instructions destiné à l’évaluateur du test pratique, celui-ci vise à mesurer l’effort physique, l’habileté manuelle, l’habileté mécanique et l’habileté électrique (P-10). Les six épreuves que comporte l’examen sont les suivantes :

1)    Soulever et transporter un marteau-piqueur sur une distance de trois mètres, descendre la pointe du marteau dans un trou puis revenir au point de départ, sans toucher le sol;

2)    Démonter en pièces détachées et remonter, sans pâte à joints, un raccord union 1 ½ ″ préalablement vissé;

3)    Raccorder un chauffe-eau à une tuyauterie verticale non alimentée et fermée à l’aide d’un bouchon;

4)    Couper et évaser un bout de tuyau droit et le raccorder à un contrôle fixe doté d’un adapteur au propane;

5)    Raccorder un circuit électrique respectant une séquence de deux interrupteurs en parallèle (série) commandant deux ampoules en série (parallèle);

6)    Manipuler un multimètre de manière à mesurer le voltage et l’ampérage et à sélectionner les bons fusibles.

 

[339]     Selon Robert Bédard, cette version du test pratique est au moins utilisée depuis 1981[375]. Elle n’aurait pas été modifiée en 1995[376]. Monsieur Bédard précise toutefois que pour les très bons candidats, des questions supplémentaires, plus poussées, pouvaient s’ajouter[377]; dans le même cas, l’évaluateur pouvait aussi interrompre le test[378]. Le cahier d’instructions P-10 mentionne d’ailleurs ces possibilités.

[340]     Ce cahier indique aussi que la note d’un candidat à une épreuve doit davantage être fonction de la façon dont celui-ci procède que du résultat, même excellent, qu’il obtient. De plus, il appert que le temps alloué pour la réussite de chaque épreuve est clairement établi et s’avère déterminant dans la notation. Les candidates ne sont cependant pas informées qu’elles disposent d’une durée de temps restreinte pour compléter les épreuves et ne se préoccupent donc pas d’agir avec rapidité.

[341]     En 1997, Johanne Bolduc tente sa chance au test pratique, sans succès. Au cours du test, elle prend tout son temps pour bien effectuer les épreuves, ne sachant pas que sa lenteur lui nuit. Elle explique que dans le cadre d’un tel examen, elle n’osait pas poser de questions à l’évaluateur et elle croyait que, si le temps était compté, elle en serait informée[379]. Elle échoue avec un résultat de 35 % et, selon les commentaires de l’évaluateur, ses difficultés se situent particulièrement en électricité[380]. Ce dernier lui suggère, en prévision d’un nouvel essai, d’acheter un petit ensemble d’électricité chez Radio Shack afin de se familiariser de façon simple avec les circuits électriques[381].

[342]     Quant à Shirley Thomas, c’est en 1996 qu’elle se rend au test pratique. Or on lui fait subir le mauvais test, soit celui de préposé service plutôt que de préposé réseau[382]. Les épreuves du test pratique pour ces deux postes se recoupent, mais celui de préposé réseau porte sur la mécanique et l’électricité dans une proportion d’environ ⅔ - ⅓ alors que c’est plutôt l’inverse dans le cas du test de préposé service[383].

[343]     Lors du test, elle apporte ses propres gants et son ruban à mesurer, mais s’en voit interdire l’usage au motif que tout l’équipement nécessaire est fourni. Or, elle se rend compte qu’elle n’a pas de gants à sa disposition[384]. Même si elle réussit finalement l’épreuve, l’évaluateur Serge Charbonneau écrit « travail pas précis, manque d’application » sur son évaluation[385]. Pourtant, Robert Bédard explique que l’objectif de cette épreuve n’est pas d’accomplir un beau joint, mais plutôt de produire un assemblage qui fonctionne[386].

[344]     Quant aux clés qu’elle doit utiliser, elle les considère anormalement graisseuses. De plus, elle explique s’être sentie humiliée parce qu’elle devait assembler des tuyaux « à quatre pattes à terre »[387].

[345]     Madame Thomas s’est préparée à l’examen pratique en engageant un maître électricien, pour réviser des notions d’électricité, et en consultant une autre personne relativement à la tuyauterie[388]. Elle échoue finalement au test avec une note de 47,2 %.

[346]     Marie-Claude Côté passe l’examen pratique en 1997 et elle le réussit à 60,4 %. Elle est la seule des sept parties victimes en l’espèce à y parvenir.

[347]     Madame Line St-Onge, candidate au poste de préposé réseau lors du concours de 1995, témoigne elle aussi sur son expérience relativement au test pratique, auquel elle a échoué. Se trouvant seule avec l’évaluateur durant le test, elle est assez intimidée[389]. Elle ne connaît pas la plupart des outils utilisés lors de l’examen. Le défi est donc d’apprivoiser rapidement ces instruments et de comprendre leur fonctionnalité afin de réaliser les exercices dans les meilleurs délais. Elle remarque d'ailleurs qu’elle est chronométrée[390].

[348]     Lors de l’exercice avec le coupe-tuyau, elle s’y prend mal et écrase le tuyau. Puis, en effectuant une autre manœuvre, elle essaie de défaire un nœud avec ses deux mains, alors qu’il faut plutôt appuyer un pied sur l’outil pour être en mesure d’y parvenir. Dans les deux cas, elle ne reçoit aucune instruction de l’évaluateur quant à la façon de procéder, qu’elle ignore. C’est seulement après avoir mal effectué les exercices que celui-ci lui indique la bonne façon de procéder, qui s'avère très simple. Elle demande alors de reprendre ces épreuves, ce qu'on lui refuse. Comme l’explique madame St-Onge :

C’est parce que c’était pas… pour moi, j’allais faire un test avec des choses qu’on connaît, qu’on sait. C’étaient des outils que je connaissais pas, que je savais pas comment me servir. Puis il y a personne qui m’a montré. C’est pas des choses que ça prend trois (3) semaines d’apprentissage, là, c’est des trucs, comme je disais tantôt, un coup qu’on le sait, c’est facile à faire. Puis j’aurais aimé ça pouvoir recommencer pour voir vraiment si c’était parce que j’étais malhabile avec les outils ou si c’était parce que je ne savais pas m’en servir au moment du test[391].

[349]     Il est tout de même étonnant que malgré son ignorance évidente des outils dont elle devait se servir, madame St-Onge n’ait reçu de l'évaluateur aucune indication minimale susceptible de l’aider à accomplir les épreuves. Pourtant, Robert Bédard explique que, dans un tel cas, l’évaluateur fournit habituellement quelques explications au candidat afin que celui-ci chemine, ce qui apparaît d'ailleurs dans le cahier d’instructions P-10.

3.3.5.2 L’appréciation du test pratique

- La validité

[350]     La conception, la standardisation et l’administration du test pratique, caractéristiques de sa validité, méritent ici d’être examinées. En ce qui concerne spécifiquement sa conception, la preuve devant le Tribunal recèle très peu d’informations outre le fait que messieurs Robert Bédard et Serge Charbonneau l’ont élaboré ensemble[392]. Selon l’experte Chantale Jeanrie, cette absence de données quant à l’origine et à l’élaboration de l’examen constitue une lacune considérable. Partant, la validité du test ne peut à son avis être démontrée[393].

[351]     La standardisation et l’administration de l’examen présentent également certains problèmes, notamment quant à l’uniformité des instructions données aux candidats. Selon le cahier P-10, l’évaluateur peut, dans le cas d’un problème majeur, intervenir et fournir quelques indices au candidat sans toutefois dévoiler la solution de l’épreuve. Monsieur Bédard confirme cette information, précisant que des moments sont prévus pour l’intervention de l’évaluateur afin de permettre au candidat de progresser dans l’épreuve. Questionné à cet égard, l'évaluateur Raymond Bissonnette ajoute qu’aucun cahier d’instructions ne contient les types d’indices pouvant être divulgués aux candidats; c’est plutôt par « parrainage », c’est-à-dire en regardant agir des formateurs plus expérimentés, que les évaluateurs comprennent les limites de l’aide qu’ils peuvent apporter aux candidats[394].

[352]     Quant au temps alloué à chaque épreuve, Robert Bédard explique que celui-ci peut être prolongé, « à la discrétion de l’évaluateur »[395].

[353]     Le cahier P-10 mentionne aussi la possibilité que l’évaluateur pose des questions supplémentaires à un très bon candidat. Or, il n’existe non plus aucune liste de questions d’approfondissement pour cette éventualité; monsieur Bissonnette précise ici encore que c’est le « parrainage » et l’expérience qui permettent à un formateur de poser des questions appropriées[396].

[354]     Puisque deux évaluateurs différents ne donneront vraisemblablement pas les mêmes indices ou ne poseront pas les mêmes questions d’approfondissement, l’experte Jeanrie retient que les candidats ne sont pas tous soumis aux mêmes conditions lors de l’examen pratique, ce qui constitue un accroc à la standardisation de ce test et, conséquemment, diminue considérablement la valeur prédictive pouvant y être associée[397].

[355]     L’expert Pettersen note lui aussi que les directives devant être suivies par les examinateurs leur permettent une certaine discrétion. Il mentionne que cette discrétion n’est pas en soi négative, mais qu’elle peut le devenir si les évaluateurs ne l’utilisent pas de la même manière[398].

[356]     À ce propos, Robert Bédard a indiqué qu’un entraînement interne prenant la forme d’un jumelage était administré aux évaluateurs afin qu’ils soient en mesure d’effectuer une évaluation standardisée. Monsieur Bédard précise toutefois que cet « entraînement » n’est prévu nulle part par écrit et qu’il s’agit ni plus ni moins d’une « tradition orale »[399]. De plus, il admet que les interventions auprès des candidats difèrent nécessairement selon les évaluateurs et rappelle la discrétion qui gouverne ces interventions[400].

[357]     Au demeurant, l’expert Pettersen souligne la difficulté de structurer parfaitement les questions et les indices et de prévoir tous les cas de figure susceptibles de demander une intervention de l’évaluateur[401]. Or, lors de son contre-interrogatoire, monsieur Bédard se montre incapable de préciser ce qui peut valoir un pointage de 2/4 :

Q - Puis quand vous dites « avec aide », « réussit l’épreuve avec aide ».

 

R - Avec aide? Bien, là…

 

Q - C’est ça qui donne deux (2) points sur quatre (4)?

 

R - Ça veut dire que… bien là, ça dépend de ce qu’on a observé. O.K.? On peut pas trancher ça au couteau puis dire : « Bon, ça, c’est sûr, c’est deux (2) points ». Ça dépend de ce qu’on a observé. C’est certain que c’est pas quatre (4). Ça, on s’entend. Après ça, en fonction de la… du type d’aide, du nombre de fois où il a fallu intervenir, bien, là, c’est sûr que ça change et on voit quand même que, bien, pour chacune des épreuves, cet aspect-là va… on en tient compte, mais pour chacun des éléments critères.

 

Donc, si ça a bien été avec un, ça va être quatre (4). Et si, sur un morceau, on a passé notre temps à indiquer ou à revenir, c’est sûr qu’il y a une perte de points un moment donné, là, s’il faut faire le travail pour la personne.

 

Q - Ma compréhension du corrigé, c’est que, lorsqu’on réussit avec aide, on a deux (2) sur quatre (4). Je me trompe de dire ça ? Est-ce que c’est pas ça exactement ?

 

R - Pour un item en particulier ? Oui… écoutez, c’est bien difficile répondre… dire… être très… être affirmatif, là, sur « réussir avec aide ». Ce que je peux dire, c’est que s’il y a des indications puis qu’il y en a beaucoup, il y a des points qui disparaissent. C’est quoi, le ratio ? Désolé, je m’en souviens pas, là. Je voudrais bien pouvoir vous donner une réponse plus précise, là, mais c’est… c’est vraiment selon ce qui est observé, là[402].

[358]     De plus, il appert de commentaires inscrits sur la fiche d’évaluation (P-69) de certaines candidates que des exigences non requises pour l’emploi de préposé réseau sont notées lors du test pratique de certaines candidates. Par exemple, en ce qui concerne les épreuves complétées par Shirley Thomas, l’examinateur inscrit qu’elle manque d’initiative. Non seulement ce constat paraît-il étrange, madame Thomas étant entrepreneure, mais surtout, l’initiative n’est pas une caractéristique censée être mesurée par le test pratique et l’on ne peut présumer que les autres candidats sont aussi notés sur cette base. Il s’agit certainement d’une entorse à la validité de l’examen.

[359]     En outre, il semble y avoir une certaine disparité entre les évaluateurs dans la façon de noter les candidats. Le formulaire d’évaluation D-12 énumère, pour chaque épreuve, ses exigences détaillées et prévoit, pour chacune de celles-ci, des cases afin que l’évaluateur coche si l’exigence est atteinte et indique la notation correspondante.

[360]     Or Serge Charbonneau, qui a évalué Shirley Thomas, n’indique nulle part les points reliés à chaque exigence, se contentant d’indiquer elle est ou non rencontrée. Quant à Raymond Bissonnette, l’examinateur de Marie-Claude Côté, il détaille chaque élément en indiquant le nombre de points obtenus. Lors de son témoignage, monsieur Bissonnette admet d’ailleurs qu’il n’aurait pas rempli l’évaluation de Shirley Thomas de la même manière que Serge Charbonneau[403]. En fait, peut-être cette divergence de méthodes n’a-t-elle pas porté préjudice aux candidates, mais le doute est tout de même permis et, à tout le moins, elle démontre une standardisation déficiente.

[361]     Finalement, Gaz Métro n’a jamais soumis le test pratique utilisé durant les années en litige à une validation externe. En effet, même Lucien Aubé et Yves Ste-Marie, qui ont été mandatés en 1997 pour se prononcer quant à la qualité du processus de sélection, se sont limités à l’analyse du test théorique.

[362]     Pour ces motifs, le test pratique ne rencontre pas le critère de validité.

 

- La pertinence

[363]     Le test pratique est destiné à vérifier si un candidat possède deux des exigences mentionnées au profil d’emploi P-3, à savoir des compétences en électricité et en mécanique, d’une part, et la capacité d’effectuer des travaux requérant une certaine force physique, d’autre part.

[364]     Selon Raymond Bissonnette, le test pratique vise principalement à observer chez un candidat sa connaissance et sa manipulation des outils.[404] Robert Bédard expose quant à lui que ce test permet de constater à la fois la logique d’exécution du candidat, sa manipulation des outils, sa capacité à organiser son travail et son résultat final[405]. À cet égard, monsieur Bédard précise qu’un candidat qui organise bien le temps qui lui est imparti lors de chaque épreuve est favorisé[406].

[365]     L’experte Jeanrie ne traite pas, dans son rapport, de la pertinence du test pratique. Elle mentionne néanmoins au cours de son témoignage que la mécanique et l’hydraulique constituent des exigences pertinentes[407], tout comme la force physique[408]. Quant à l’expert Pettersen, il se limite à mentionner, sans plus d’explication, que le contenu de l’examen est lié à l’emploi de préposé réseau[409]. Seul l’expert Boulard dresse un tableau dans lequel il propose certains liens entre les différentes épreuves du test et les exigences du poste[410].

[366]     En ce qui concerne la première épreuve, celle du marteau-piqueur, monsieur Boulard la relie à l’exigence de force physique, selon lui inhérente au poste. Il rattache la seconde épreuve, qui consiste à défaire un tuyau de raccordement, aux habiletés manuelles nécessaires à toutes les tâches de préposé réseau. Il relie les troisième et quatrième épreuves, respectivement le raccord d’un chauffe-eau et l’évasion d’un tuyau, aux habiletés mécaniques requises par l’emploi. Quant aux deux dernières épreuves, portant sur un circuit électrique et la manipulation d’un multimètre, monsieur Boulard les associe aux connaissances et aux habiletés en électricité. Relativement au multimètre, il précise qu’il s’agit d’un instrument que l'on retrouve habituellement dans l’emploi de préposé réseau où son utilisation est très fréquente. Les préposés réseau n’ont pas à réaliser de circuits électriques dans l’exercice de leurs fonctions mais doivent connaître les principes généraux propres à de tels montages.

[367]     À première vue, ces épreuves semblent pertinentes et reliées au poste en l’espèce. Néanmoins, rappelons qu’en l’absence d’une réelle description de tâches, les liens logiques effectués entre les épreuves et les tâches correspondantes demeurent discutables. Qui plus est, le test pratique n’a jamais été soumis à une validation critériée; cet examen aurait permis d’attester de la pertinence de chaque épreuve au regard des performances atteintes par les préposés réseau une fois en poste. Par conséquent, la pertinence de l’examen pratique, a priori évidente, aurait dû être confirmée par une analyse externe.

 

- La pondération

[368]     Le barème de notation du test pratique se décline ainsi : une très bonne maîtrise procure quatre points, l'exécution de la tâche sans aide en vaut trois alors que celle comportant de l'aide ou des explications équivaut à deux points; aucun point n'est accordé en cas d'incapacité de compléter l’épreuve. De plus, la durée de l’exécution de chaque épreuve est comptabilisée dans la notation, mais les candidats ne sont pas informés du temps qui leur est alloué. Par ailleurs, la pondération correspondant au temps utilisé pour effectuer la tâche n’est nulle part indiquée, qu’il s’agisse du nombre de points à soustraire si le délai n’est pas respecté ou, le cas échéant, des points à attribuer pour une tâche effectuée à l’intérieur du temps alloué. Ainsi, il est notamment impossible de savoir à quel point Marie-Claude Côté a été pénalisée lorsqu'elle a manqué de temps pour compléter certaines épreuves lors du test pratique[411].

[369]     Par ailleurs, le Tribunal observe une variation importante dans les notes obtenues par une candidate lors de deux tests pratiques, l’un effectué en 1995 et l’autre en 1996. En effet, pour le même test pratique, madame Sylvie Lafleur a obtenu 75 % la première fois et 61,1 % la seconde[412]. Les fiches d’évaluation de madame Lafleur n’étant pas en preuve, le Tribunal n’a aucune information lui permettant de connaître les raisons de cette disparité dans la notation, par exemple si elle a été évaluée par deux examinateurs différents. Par conséquent, le Tribunal constate tout au plus cette notation surprenante attribuée à deux tests identiques administrés à la même personne, surtout qu’il est permis de penser que la réussite du premier test indique à la candidate qu’elle s’y est bien prise et qu’elle peut reproduire la même façon de faire lors du second.

[370]     Finalement, rappelons encore une fois qu’une épreuve de sélection bien pondérée implique que son poids dans l’ensemble du processus de sélection soit relativisé par rapport aux autres épreuves. Or Gaz Métro n’a jamais attribué un poids respectif à chaque épreuve en comparaison des autres, octroyant plutôt à chacune d’elle un caractère éliminatoire.

[371]     Le Tribunal conclut donc que le test pratique ne satisfait pas à l'exigence de pondération.

3.3.5.3 Les conclusions eu égard au test pratique

[372]     Ayant conclu que le test pratique ne rencontre pas les critères de qualité d’une épreuve de sélection, ce qui diminue sa valeur de prédiction, le Tribunal doit maintenant se prononcer sur son caractère discriminatoire à la lumière de la preuve au soutien de cette allégation.

[373]     L’expert Laurencelle ayant clairement expliqué pourquoi une analyse de petits échantillons - i.e. la taille restreinte des groupes d’hommes et de femmes ayant subi et réussi les épreuves - ne peut conduire à une preuve statistique probante, le Tribunal choisit, tout comme il l’a fait en ce qui concerne l’entrevue et le test théorique, de ne pas s’appuyer sur la preuve statistique principalement fournie par les experts Pettersen et Laurencelle.

[374]     Karen Messing, experte en ergonomie présentée par ATF, avait principalement pour mandat d’analyser le test pratique. Concrètement, son analyse porte plus précisément sur les épreuves de force et d’habiletés manuelles, à l'exclusion des épreuves en électricité. D’un point de vue ergonomique, elle a relevé les différences morphologiques entre les hommes et les femmes et démontré leurs effets quant à leur performance respective lors du test pratique[413]. Le Tribunal juge ce témoin compétent, crédible et objectif. Tout au long de son témoignage, madame Messing demeure dans les limites de son expertise et se fonde sur la preuve, laissant très peu d’espace à l’appréciation subjective. Du reste, son témoignage n’a pas été contredit. Le Tribunal n’hésite donc pas à s'y référer.

[375]     L’experte Messing explique que les segments corporels des femmes sont généralement plus petits que ceux des hommes[414]. La plupart du temps, les hommes sont de taille plus grande, ont un poids supérieur, leurs mains sont plus longues et larges, etc. La proportion des segments corporels entre eux est aussi différente chez les hommes et les femmes respectivement; par exemple, les bras des femmes sont plus courts, proportionnellement à leur taille, que ceux des hommes[415]. De plus, l’axe de la colonne vertébrale se situe davantage vers l’arrière de l’axe des hanches chez les femmes; chez les hommes, les deux axes sont centrés[416]. La grosseur de la poitrine chez la femme constitue aussi une différence morphologique significative[417].

[376]     Madame Messing identifie plusieurs conséquences découlant de ces différences anatomiques. D’abord, la force physique dynamique (en mouvement) des femmes, soit leur capacité de manipuler des charges, est affectée[418]. Puisque leurs bras sont plus courts proportionnellement à leur taille, leurs muscles doivent forcer davantage pour un exercice donné[419]. Aussi, l’alignement de la colonne vertébrale chez la femme entraîne un plus grand impact au bas du dos, lors d’un effort, car elle doit déployer plus de force pour se stabiliser; en moyenne, une charge quelconque lui apparaît conséquemment 15 % plus lourde à manipuler[420].

[377]     Pour ces raisons, les femmes peuvent généralement soulever ou abaisser (mouvement vertical) 65 % du poids maximum moyen manœuvré par les hommes; elles peuvent aussi tirer ou pousser (mouvement horizontal) environ 85 % du poids maximum moyen manipulé par ces derniers. De plus, les femmes possèdent de 50 % à 85 % de la force musculaire des hommes selon qu’il s’agisse des muscles supérieurs ou inférieurs[421].

[378]     L’experte Messing traite ensuite des conséquences concrètes que produisent ces différences dans un milieu de travail traditionnellement investi par des hommes. Elle note à ce sujet que les environnements de travail, les outils et les équipements ont généralement été conçus et ajustés en fonction de l’homme moyen, c’est-à-dire nord-américain et blanc[422]. Lorsque ces instruments de travail ne peuvent être ajustés afin de convenir aux dimensions des femmes, la charge de travail et l'inconfort de ces dernières augmentent, contribuant ainsi à la diminution de leur performance par rapport à leurs vis-à-vis masculins, et ce, parce que les installations ne leur permettent pas de profiter de toute leur force[423]. Par exemple, les femmes peuvent éprouver davantage de difficulté si les tables de travail sont trop hautes pour elles, si le manche des outils est trop gros, si les gants de protection sont trop grands, etc.[424]

[379]     Par ailleurs, les femmes présentent une amélioration proportionnellement plus grande que celle des hommes lorsqu’elles sont entraînées à l’utilisation de la force[425]. Quand elles profitent de conditions (outils, équipements, etc.) de travail adaptées à leur morphologie, elles deviennent même aussi performantes, sinon plus, que les hommes[426]. Au surplus, elles obtiennent de meilleurs résultats lorsqu’on leur permet de trouver l’approche qui leur convient dans une situation donnée[427], ce qui est parfois rendu difficile par l’absence de femmes déjà embauchées dans le poste. Lors de son témoignage, madame Messing donne l’exemple d’un atelier de remontage de moteurs où trois femmes et 1 500 hommes étaient employés. Tous devaient fréquemment serrer et desserrer des boulons. Or à cause de la clé communément utilisée dans l’atelier, une femme présentait des difficultés à effectuer la tâche, sa vitesse d’exécution étant environ la moitié de celle de ses compagnons. Lorsqu’elle a pu utiliser une clé plus longue, mieux adaptée à sa morphologie, elle a réussi la tâche dans un temps inférieur à celui de ses collègues masculins[428].

[380]     Dans un environnement adapté aux travailleurs masculins, tel celui prévalant habituellement dans les emplois manuels, les hommes possèdent toutefois un avantage indéniable quant à leur performance lors de la réalisation d’un test de force physique ou d’habileté manuelle. L’experte Messing conclut ainsi que

[s]i un test pré-embauche, comme le test pratique pour le poste de préposé-e réseau, a été conçu en fonction des caractéristiques et des façons de faire de l’homme moyen, les différences hommes-femmes seront exagérées par ce test, et les femmes performeront [sic] moins bien qu’elles le devraient, et moins bien que les hommes[429].

[381]     Selon une étude effectuée avec une collègue, la valeur de prédiction d’un test pratique est moindre pour les femmes que pour les hommes étant donné que, dans les conditions réelles de l’emploi, les femmes sont en mesure d’utiliser différents trucs et de développer des stratégies afin d’effectuer les mêmes tâches, mais à leur manière. Dans le cadre d’un test, elles se conforment plutôt fidèlement à ce qui leur est demandé, même si les conditions ne sont souvent pas optimales pour elles[430].

[382]     Les évaluateurs du test pratique chez Gaz Métro semblent ignorer l’impact de ces différences entre les hommes et les femmes sur l’exécution, par celles-ci, d’une tâche donnée. À titre d’exemple, Robert Bédard mentionne que le test pratique sert d’abord à observer et à juger la façon dont les candidats organisent leur travail lors d’une épreuve. Or selon ce que nous explique l’experte Messing, les femmes procèdent presque toujours différemment et trouvent une manière d’organiser et d’exécuter la tâche qui leur convient davantage. Partant, une évaluation qui n'a pour standard qu’une seule façon de faire calquée sur celle des hommes est nécessairement entachée de biais qui pénalisent les femmes.

[383]     Madame Messing s’est particulièrement attardée à l’épreuve du marteau-piqueur, en expliquant avec moult détails pourquoi elle n’est pas adaptée aux femmes[431]. Or en l’espèce, non seulement les sept parties victimes ont réussi cette manœuvre, mais les examinateurs Raymond Bissonnette et Robert Bédard ont affirmé qu’aucun candidat n’a jamais échoué à cet exercice[432]. Le Tribunal considère néanmoins qu’il s’agit d’un exemple révélateur des conditions, inadaptées aux caractéristiques des femmes, qui prévalent chez Gaz Métro. En effet, Robert Bédard explique lors de son témoignage qu'en vue d’assurer le caractère équitable du processus, l'uniformité de l’environnement et des circonstances dans lesquels les hommes et les femmes subissent le test pratique est favorisée. Tel que vu précédemment, cette approche correspond bien davantage à la définition de l’égalité formelle qu'à celle de l’égalité réelle, qui tient compte des différentes façons d'exécuter un travail de manière sûre et efficace et des adaptations requises à cette fin.

[384]     Qui plus est, dans le cas précis de Shirley Thomas, certains éléments du test pratique semblent également avoir été directement discriminatoires. En effet, elle a subi le test pratique dans des conditions inhabituelles, à même le sol dans une position humiliante, et avec des outils glissants susceptibles de présenter un risque, sinon de nuire à sa prestation. De plus, elle s’est vu interdire l’utilisation de ses propres gants au motif que tout le matériel nécessaire était prévu sur les lieux du test; pourtant, on ne lui en a pas fourni lors de celui-ci.

[385]     Finalement, l’exemption du test pratique pour les candidats titulaires de l’ASP représente un autre maillon du système qui, chez Gaz Métro, perpétue la discrimination envers les femmes et confine à un niveau marginal leur embauche dans le poste de préposé réseau. Notons que le seul type d’ASP qui conduit à cette exemption concerne la réparation d’appareils au gaz naturel. Aussi, malgré qu'elles détenaient toutes deux une ASP en montage de lignes électriques, Marie-Claude Côté et Tania Plourde n'ont pas bénéficié d’une exemption comparable.

[386]     De plus, selon des données gouvernementales, aucune femme - versus 91 hommes - dans la grande région de Montréal ne détenait cette ASP en réparation d’appareils au gaz naturel de 1994 à 1998[433]. Robert Bédard, qui a enseigné des cours de la formation menant à l’ASP, confirme n’y avoir jamais vu une femme[434]. Par conséquent, il ne fait pas de doute que les seuls candidats à être exemptés de l’examen pratique sont des hommes.

[387]      Précisons que cette exemption n’est pas tout à fait automatique, mais plutôt discrétionnaire. La décision d’exempter ou non un candidat en fonction de ses résultats lors de la formation menant à l’ASP revient au centre de formation, soit principalement à Robert Bédard et à Serge Charbonneau. Selon les données colligées à partir des différents recrutements tenus de 1995 à 1997, il appert aussi qu’un homme détenant l’ASP, monsieur Robeluna, a été dispensé autant du test théorique que du test pratique, en 1995, puisqu’il avait récemment terminé sa formation ASP et qu’on présumait que ses connaissances étaient à jour[435].

[388]     Lors du recrutement d’octobre 1997, Mathieu Belzile a aussi été exempté du test pratique même s'il ne détenait pas une ASP. En effet, le centre de formation a jugé que le bon résultat obtenu à un test pratique subi dans le cadre du recrutement de 1996 le dispensait de subir à nouveau cet examen[436]. Or madame Sylvie Lafleur, qui avait réussi le processus de sélection en 1995, a dû repasser les mêmes tests en 1996[437].

[389]     Considérant l’absence de mesures d'accommodement adaptées aux caractéristiques physiques des candidates lors de l'examen pratique, les conditions différentes imposées à certaines d'entre elles et l’exemption dont seuls les hommes ont bénéficié, le Tribunal conclut que le test pratique entraîne un effet disproportionné d'exclusion discriminatoire à l’égard des femmes. Un examen des arguments soumis par Gaz Métro au soutien de ce test s’impose donc.

[390]     Suivant les étapes de la méthode de l’arrêt Meiorin, il nous faut d’abord vérifier la rationalité du lien entre les tâches réelles de l'emploi de préposé réseau et le but de cette mesure.

[391]     Monsieur Jean-Pierre Raymond mentionne que l’objectif qui sous-tend le test pratique est de recruter des candidats capables de réussir la formation de deux ans et d’exécuter efficacement les tâches de préposé réseau[438].

[392]     Selon monsieur Bédard, principal concepteur et évaluateur du test pratique, et d'après les témoins experts présentés par Gaz Métro, ce test est lié à la réussite de la formation, à l’efficacité du candidat une fois en poste et au respect des règles de sécurité lors des manœuvres. À titre d’exemple, un candidat qui « force » des morceaux pour les raccorder peut causer une distorsion du système, voire une fuite de gaz[439].

[393]     De même, le test pratique doit notamment révéler si le candidat est en mesure d’effectuer des vérifications à l’aide du multimètre. Monsieur Bédard affirme à cet égard qu’on n'exige pas du candidat qu’il démontre des techniques avancées dignes d’un spécialiste. Il doit plutôt sélectionner le bon instrument parmi ceux compris dans le multimètre, interpréter correctement la mesure relevée et vérifier si les piles sont bonnes[440].

[394]     Monsieur Bédard précise aussi que les notions de base, telle la pression atmosphérique, ne seront pas spécifiquement revues lors de la formation dispensée à l'interne, les formateurs se contentant d’un simple rappel de ces concepts. Par conséquent, le candidat doit déjà connaître ces notions afin de comprendre sans trop de mal de quelle manière elles interagissent[441].

[395]     L’expert Boulard confirme la nécessité du test pratique tel qu’administré au motif que la formation interne se déroule à un rythme rapide; à son avis, les candidats ne possédant pas déjà les connaissances de base ne peuvent suivre. Aussi, il serait illogique d’embaucher certains candidats pour constater inévitablement, trois semaines plus tard, qu’ils ne peuvent développer les habiletés requises car ils ne possédaient pas, au départ, les connaissances de base nécessaires[442]. Le Tribunal note toutefois que monsieur Boulard a admis, lors de son témoignage, que ses affirmations relatives au caractère indispensable de l’examen pratique ne découlent pas d’une analyse qu’il a lui-même effectuée à titre d'expert; ces dernières sont simplement calquées sur ce que Robert Bédard lui a mentionné[443].

[396]     La preuve au dossier a cependant démontré que les épreuves du test pratique mesurent des connaissances ne nécessitant toutes pas un long apprentissage, certaines faisant plutôt appel à des trucs du métier qu’il suffit de se faire expliquer pour être en mesure d’effectuer correctement les tâches. Ce raisonnement s’applique entre autres à des consignes de sécurité dans la mesure où une candidate qui ignore, lors de l'examen, comment s’y prendre pour transporter le marteau-piqueur de manière sécuritaire peut s’exécuter d’une manière risquant de lui occasionner des blessures. Or de simples consignes de la part de l'évaluateur lui auraient pourtant permis d'agir adéquatement. Dans ce type de situation auquel les parties victimes, notamment, ont été exposées, le fait de n’avoir pas correctement réussi une manœuvre à l’occasion du test pratique n’augure donc aucunement de l'efficacité de la candidate une fois en poste.

[397]     De manière générale, le Tribunal considère que les aspects invoqués par Gaz Métro confèrent au test pratique une certaine rationalité par rapport à la fonction de préposé réseau. Comme nous l'avons cependant indiqué lors de l'analyse de la pertinence de cet outil de sélection, il demeure sinon difficile, du moins hasardeux en l’absence d’une description adéquate des tâches réelles de l'emploi d'établir une véritable correspondance entre ces dernières et les épreuves de sélection imposées, incluant l'examen pratique.

[398]     Le Tribunal considère cependant que Gaz Métro échoue manifestement à rencontrer sa seconde obligation découlant de l'arrêt Meiorin, soit d'établir la proportionnalité de l'examen pratique. Gaz Métro devait à cette fin démontrer d'abord que les épreuves du test pratique étaient d'un niveau minimal, de manière à permettre l'embauche de tous les candidats capables d'effectuer le travail de manière sûre et efficace. À cette fin, l'entreprise devait également établir que ces exigences étaient modulées en fonction des différentes façons dont les candidats de certains groupes, les femmes en l'occurrence, peuvent y satisfaire. En d'autres termes, Gaz Métro devait démontrer qu'il lui était impossible, sans encourir de contrainte excessive, d'accommoder les femmes candidates en apportant au test les adaptations leur permettant d'être évaluées en fonction de leurs réelles capacités à s'acquitter des tâches essentielles du poste de préposé réseau.

[399]     En premier lieu, le Tribunal retient de la preuve que compte tenu des efforts investis dans la formation de préposé réseau et du double objectif de l’entreprise d’assurer l’efficacité du réseau de distribution et la sécurité des employés et du public, Gaz Métro recherchait, dans les faits, les candidats présentant les meilleures connaissances et habiletés, de telle sorte que les principales capacités mesurées par le test pratique excédaient celles requises à l'entrée en fonction dans un poste de préposé réseau.

[400]     L’expert Pettersen s'est d'ailleurs prononcé favorablement à l'endroit de cette approche selon laquelle le travail sur des réseaux de gaz requiert qu’aucun risque ne soit encouru quant à la compétence des candidats, et ce, dès leur embauche. À son avis, l’emploi de préposé réseau en est un où l’incompétence peut s’avérer déterminante, ce qui justifie que de bons candidats soient rejetés au profit des meilleurs. Commentant le test pratique en tant qu’épreuve de sélection, il affirme : « [O]n n’est pas ici pour donner la chance à tout le monde, là. »[444] Il renchérit en exposant que pour Gaz Métro, il est plus dommageable d’embaucher un candidat incompétent que d'en refuser un malgré sa compétence. Au nom de la prudence, l’entreprise doit ainsi minimiser les risques d’erreur. Monsieur Pettersen ajoute toutefois, concernant le caractère minimal des exigences du test pratique relativement à la sécurité : « Est-ce qu’on a des données pour démontrer que ce niveau-là est essentiel? Moi, j’en ai pas vu. »[445]

[401]     En second lieu, cette situation rappelle aussi la réalité d'environnements de travail marqués par l'absence des femmes[446], là où des normes en apparence neutres sont établies en fonction d'un milieu homogène masculin, sans tenir compte des caractéristiques physiques qui, étant propres aux femmes, sont aussi de nature à influencer leur façon d'exécuter une tâche.

[402]     C'est d'ailleurs dans ce contexte que Gaz Métro impose aux femmes, soi-disant dans un souci d'équité, un test pratique qui exclut toute mesure d'accommodement puisque toute modification est d'emblée associée à une diminution des exigences auxquelles les hommes sont soumis. Ce faisant, l'entreprise applique des exigences «habituelles» qui l'ont bien servie dans le passé, mais ce, aux dépens du droit des femmes à l'égalité en emploi.

[403]     À cet égard, le Tribunal rappelle les conclusions de madame Messing selon laquelle un examen pratique conçu par et pour des hommes, tel celui en l'espèce, ne peut adéquatement évaluer la performance des femmes ni, en conséquence, établir de manière fiable leur efficacité une fois embauchées dans le poste. Comme madame Messing l’a en effet exposé, les femmes ont et développent des façons de faire - « des trucs » - différentes des hommes et exiger d’elles des méthodes identiques à ces derniers revient à leur imposer une exigence supplémentaire.

[404]     Compte tenu de la preuve au dossier, le Tribunal ne peut donc conclure que Gaz Métro a établi de manière prépondérante qu'elle ne pouvait, sans subir de contrainte excessive, accommoder les femmes candidates en apportant à l'examen pratique des modifications adaptées à leurs caractéristiques physiques et en permettant à ces dernières, lors du test, de procéder différemment des hommes en vue d'établir leurs capacités réelles à occuper le poste de préposé réseau de manière sûre et efficace.

3.3.6 L’examen médical

[405]      Après avoir franchi avec succès les différentes étapes du processus de sélection, les candidats sont soumis à un examen médical. Dans le cas des sept parties victimes en l’espèce, seule Marie-Claude Côté a franchi l’ensemble des épreuves de sélection et est parvenue à cette ultime étape.

[406]      Lors de celle-ci, madame Côté est enceinte de 21 semaines[447]. Le médecin lui explique alors qu’il doit aviser le bureau d’emploi de son état[448]. Il émet dans son rapport[449] une opinion d’aptitude au travail avec restrictions temporaires relativement au soulèvement de poids lourds, aux positions corporelles difficiles, à l’effort physique, au temps supplémentaire, etc. Même s’il peut sembler relativement évident, à la lecture de ces restrictions, que celles-ci correspondent à une grossesse, le rapport n’en fait pas explicitement mention. Peu après, Marie-Claude Côté apprend qu’elle n’a pas été retenue pour le poste de préposé réseau[450].

[407]      Jean-Pierre Raymond affirme qu’il n’est jamais mis au courant du bilan médical des candidats et qu’il n’a donc pas été informé de la grossesse de Marie-Claude Côté[451]. Sylvie Richard nuance et précise que même si le bureau médical ne transmet pas d’informations détaillées relativement à l’examen, Gaz Métro reçoit tout de même le rapport médical indiquant le degré d’aptitude médicale d’un candidat[452]. Elle explique aussi que monsieur Raymond avait toute la liberté voulue pour refuser, au final, un candidat dont les restrictions à l’emploi seraient jugées incompatibles avec les tâches à accomplir[453]. Il est donc tout à fait vraisemblable que ce dernier ait pris connaissance du rapport médical relatif à Marie-Claude Côté, qu’il ait aisément déduit de l’ensemble des restrictions indiquées qu’elle était enceinte et qu’il ait décidé sur cette base de ne pas l'embaucher, jugeant que son état ne lui permettrait pas de suivre adéquatement la formation.

[408]     C’est en effet à un moment qui coïncide tout à fait avec le rendez-vous médical que les responsables de Gaz Métro disent avoir des doutes quant aux qualifications de madame Côté et décident de la retirer du processus de sélection, au motif qu’elle ne réussirait pas la formation[454]. À cet égard, Carole Magnan a approuvé la décision initiale de Jean-Pierre Raymond de ne pas embaucher Marie-Claude Côté[455]. Madame Magnan explique qu’ils étaient tout à fait certains que Marie-Claude Côté ne réussirait pas la formation menant au poste de préposé réseau:

Si on avait eu le moindre doute, on lui aurait offert. C’est une personne qui avait un excellent profil mais, qu’on avait la conviction qu’elle ne réussirait pas puis c’est dans cette optique-là que j’ai appuyé la décision de madame Richard et de monsieur Raymond[456].

[409]     Sylvie Richard, Jean-Pierre Raymond et Carole Magnan auraient douté de la candidature de Marie-Claude Côté parce que ses résultats aux tests étaient relativement faibles et car elle a complété avec succès le processus de sélection à sa troisième tentative seulement[457]. Pourtant, Sylvie Richard spécifie qu’il n’existe pas de maximum de reprises possibles chez Gaz Métro et qu’un candidat provenant du secteur syndiqué à la FTQ a essayé cinq fois avant de réussir[458]. Par ailleurs, Robert Bédard confirme qu’il est de pratique courante que des gens de l’interne soumettent leur candidature de nouveau lorsqu’ils essuient d’abord un échec, et ce, sans qu’il n’existe un nombre maximal de tentatives possibles[459].

[410]      De plus, Carole Magnan insiste sur l’importance d’avoir des candidats motivés et sur le souci de l’entreprise de vérifier ce niveau de motivation chez les candidats. Contre-interrogée sur le cas spécifique de Marie-Claude Côté, elle affirme qu’elle semblait « très motivée »[460], ayant tenté à trois reprises de réussir le processus de sélection, possédant le permis de conduire approprié et désirant vraiment participer au projet-pilote.

[411]      Jean-Pierre Raymond déclare aussi que l’examen médical auquel sont conviés les candidats retenus ne constitue habituellement qu’une formalité préalable à l’entrée de ceux-ci dans la formation de stagiaire réseau[461]. L’examen médical ne constitue donc pas à proprement parler une étape éliminatoire supplémentaire s’ajoutant à celles de l’entrevue, du test théorique et du test pratique.

[412]      En effet, l’envoi de candidats à l’examen médical implique tout de même que des coûts doivent être assumés par Gaz Métro à cette fin; il va donc de soi que tous les candidats ne sont pas invités à s'y présenter, mais seulement ceux qui ont réussi les tests et ont été retenus par l’entreprise [462]. À cette étape du processus, les responsables de l’embauche ont déjà vu se dessiner leur décision au fil des épreuves de sélection et ont donc eu l’opportunité de confirmer celle-ci. En d’autres termes, les candidats qui sont conviés à l’examen médical sont officieusement assurés d’obtenir l’emploi.

[413]     En somme, une contradiction majeure demeure dans les témoignages respectifs de Carole Magnan, Jean-Pierre Raymond et Sylvie Richard : au départ, Marie-Claude Côté représente à leurs yeux une excellente candidate. En effet, elle correspond parfaitement au profil recherché et démontre une motivation hors du commun à occuper le poste de préposé réseau. Encouragée par l’entreprise à réussir le processus de sélection, elle y parvient finalement et est envoyée à l’examen médical. Ce n'est qu'après celui-ci que des doutes apparaissent, soi-disant quant à sa capacité de réussir la formation interne, doutes qui culminent jusqu’à devenir une certitude absolue de son futur échec.

[414]      En conséquence, bien qu'il n’existe aucune preuve directe que la décision de rejeter Marie-Claude Côté ait été fondée sur sa grossesse, le Tribunal considère que les présomptions selon lesquelles le rejet de sa candidature est dû à des considérations discriminatoires se révèlent graves, précises et concordantes. Le contexte dans lequel s’insère cette décision; les explications de Sylvie Richard, de Carole Magnan et de Jean-Pierre Raymond selon lesquels le test médical n’est qu’une formalité pour les candidats choisis à la fin du processus de sélection, et la concomitance entre le rapport de l'examen médical de Marie-Claude Côté et la décision de ne pas l’embaucher concourent logiquement à la conclusion d'un refus d'embauche discriminatoire parce que fondé sur l'état de grossesse de madame Côté tel qu'il pouvait s'inférer des informations contenues dans ledit rapport.

[415]      Soulignons par ailleurs que pour en arriver à une telle conclusion, il n'est pas nécessaire que la preuve démontre que la décision a été uniquement motivée par la grossesse de Marie-Claude Côté. Au contraire, il suffit seulement que cet élément ait été pris en considération et ait contribué à son rejet pour que ce dernier soit considéré discriminatoire[463].

[416]      Pour ces raisons, le Tribunal conclut que la preuve établit de façon prépondérante que Marie-Claude Côté a subi un refus d'embauche discriminatoire au motif de sa grossesse, et ce, après avoir réussi l'ensemble des étapes d'un processus entaché de discrimination envers les femmes.

3.3.7 Le projet-pilote

[417]      À l’automne 1995, madame Louise Buzit-Beaulieu effectue un stage chez Gaz Métro dans le cadre de son baccalauréat en psychosociologie. Au terme d'une discussion avec Carole Magnan, il est décidé que son projet de stage portera sur la problématique des femmes que Gaz Métro désire embaucher parce qu’elles ont le profil, mais qui échouent ensuite au test théorique[464]. Madame Buzit-Beaulieu met donc sur pied un projet-pilote devant aider certaines femmes à accéder à un poste de préposé réseau.

[418]      Parmi les femmes ayant échoué à l’examen théorique, seules les cinq candidates ayant obtenu les résultats les plus élevés sont choisies pour participer à cette démarche, notamment Marie-Claude Côté et Shirley Thomas. Lorsque Tania Plourde entend parler du projet-pilote, elle se montre très intéressée à y participer et contacte Sylvie Richard à ce sujet. Cette dernière lui répond toutefois que sa note au test théorique est trop faible pour qu’elle puisse être incluse dans le groupe, constitué seulement des cinq meilleures femmes[465].

[419]      Au départ, le projet-pilote doit se dérouler en trois étapes : d’abord, une évaluation du profil psychologique des candidates; ensuite, des essais pratiques afin d’évaluer leurs lacunes; finalement, une formation d’appoint sur mesure dans le but de corriger ces dernières et d’augmenter leurs chances de réintégrer avec succès le processus de sélection. À ce sujet, madame Buzit-Beaulieu informe les candidates que Gaz Métro négocie avec la Commission des écoles catholiques de Montréal (CECM) et la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (SQDM) afin qu’une telle formation d’appoint puisse voir le jour[466]. Carole Magnan fait d’ailleurs état des démarches qui ont été faites auprès de la SQDM dans cette optique[467].

[420]      Seules deux rencontres ont finalement lieu, les cinq femmes étant d’abord conviées à un essai pratique au centre de formation de Boucherville, en présence de Louise Buzit-Beaulieu et de Robert Bédard. Cet exercice n’est pas noté et il doit servir à identifier les difficultés individuelles des candidates, puis à leur donner des conseils afin qu’elles s’améliorent et réussissent éventuellement le test pratique[468].

[421]      Marie-Claude Côté raconte notamment qu’en ce qui concerne un raccordement de tuyaux qu’elle semble incapable d’effectuer, monsieur Bédard lui souligne qu’elle aurait dû demander un ruban à mesurer pour être en mesure d’exécuter la tâche demandée. À cet égard, madame Côté explique que le coffre d’outils à sa disposition ne contenait pas de ruban à mesurer, mais que monsieur Bédard en tenait un dans ses mains. Toutefois, vu le cadre un peu formel du test, elle n’a pas osé le lui demander[469].

[422]      Puis, lors de l’exercice d’électricité à l’aide du multimètre, elle est induite en erreur. En effet, elle vérifie un fil électrique et note qu’il est bon. Par la suite, Robert Bédard lui dit que son résultat est faussé par le fait qu’elle s'est appuyée sur la table en métal, qui est conductrice.[470]. Toutefois, lors de son témoignage, Raymond Bissonnette explique que s’appuyer ainsi sur une table en métal n’a aucun effet sur le travail d’électricité réalisé lors de l’exercice[471]. Robert Bédard étant un évaluateur aguerri, il est donc possible de se demander si Marie-Claude Côté a ou non été volontairement induite en erreur à ce sujet.

[423]      Madame Côté précise que monsieur Bédard a pris soin, après chaque épreuve, de lui expliquer ses erreurs et de lui montrer la bonne façon de procéder[472]. Selon elle, les exercices n’étaient pas difficiles à comprendre dès que monsieur Bédard les lui expliquait.

[424]      Quant à Shirley Thomas, elle explique avoir dû effectuer des exercices nécessitant un ruban à mesurer et une calculatrice sans toutefois pouvoir utiliser ces outils, qui ne se trouvaient pas dans le coffre à sa disposition[473]. Par la suite, madame Thomas reçoit un appel téléphonique de Gaz Métro lui indiquant qu’elle n’a pas réussi le test[474]. Pourtant, cet essai pratique n’était pas censé être noté.

[425]      La seconde rencontre se veut une séance de quatre heures sur la gestion du stress. Aux dires de Shirley Thomas, il s’agit davantage d’une soirée où les candidates discutent entre elles[475]. Marie-Claude Côté renchérit, indiquant que les cinq femmes ont conversé sur leurs expériences personnelles en milieu non traditionnel et n’ont reçu aucune formation sur la gestion du stress[476]. À cette occasion, madame Buzit-Beaulieu avise à nouveau les candidates qu’elle demeure en attente du résultat des pourparlers entre la CECM, la SQDM et Gaz Métro qui doivent déboucher sur une formation d’appoint conçue à leur attention.

[426]      Or aucune suite n’est donnée à cette rencontre. Lasse d’être sans nouvelles, madame Côté contacte Carole Magnan, qui lui apprend que le projet-pilote a été abandonné[477]. Lors d’une rencontre ultérieure entre notamment madame Côté, madame Magnan et certains représentants d’ATF, un collègue de madame Magnan explique à madame Côté que Louise Buzit-Beaulieu n’est qu’une stagiaire non rémunérée et non une employée de Gaz Métro; à ce titre, le projet-pilote constitue une initiative personnelle dans le cadre de son stage et non une activité dirigée par l’entreprise[478].

[427]      Le Tribunal considère que l’idée à la base de ce projet-pilote avorté est plutôt positive et il aurait pu être couronné de succès s'il avait été mené à terme en incluant, tel que prévu, une formation d’appoint dispensée aux femmes. Le manque d’encadrement de la stagiaire en charge d’un tel projet, la gestion nonchalante de son déroulement général (dont témoignent notamment l’organisation déficiente de l’atelier consacré à la gestion du stress et l’absence d’attention portée à l’annonce de son abandon aux principales intéressées), bref tous ces aspects confèrent à ce projet un caractère de confusion et d'improvisation malgré lequel on a alimenté les espoirs des participantes à qui on avait fait miroiter une possibilité en or de réintégrer le processus de sélection[479].

3.3.8 Les conclusions eu égard au processus de sélection

[428]      Ayant passé en revue chacune des étapes du processus de sélection tenu à l’externe au cours des années en litige, le Tribunal s’attarde maintenant à certains éléments d’ensemble ou qui sont liés au processus de sélection de manière plus générale. Ainsi, nous reviendrons d’abord sur l’adéquation entre les tâches, les exigences et les moyens de sélection (3.3.8.1), puis sur les effets de l'absence de validation critériée (3.3.8.2). Nous livrerons ensuite nos conclusions finales (3.3.8.3).

3.3.8.1 L’adéquation entre les tâches, les exigences et les                            moyens de sélection

[429]      Tel que mentionné au début de cet examen du processus de recrutement externe[480], les instruments de sélection doivent être élaborés en fonction des exigences requises pour l’emploi, celles-ci devant elles-mêmes découler directement des tâches essentielles liées au poste. En effet, les exigences figurant aux avis de recrutement et celles qui sont mesurées tout au long du processus de sélection doivent être justifiées par la nécessité de détenir ces qualifications pour réaliser les tâches essentielles de l’emploi.

[430]      Or selon la preuve en l’espèce, il n’existait aucune description des tâches essentielles reliées au poste de préposé réseau au moment des faits en litige. Partant, il était difficile pour Gaz Métro de justifier les exigences dans le profil d’emploi P-3, et ce d'autant plus que le poste de préposé réseau est un poste d’entrée pour lequel deux années de formation à l'interne sont prévues. À son tour, cette situation a notamment eu pour conséquence que les épreuves de sélection n’ont pu être adéquatement élaborées en fonction des tâches essentielles du poste.

[431]      À l'audience, madame Carole Magnan a mentionné qu'elle-même et ses collègues ont été déçus de constater, après le concours spécial de 1995, que si peu de femmes avaient réussi le processus de sélection. Elle a expliqué cette situation par une grande disparité entre les compétences de base requises pour le poste de préposé réseau et celles que possèdent les femmes disponibles sur le marché[481]. Tout comme ses collègues, elle ne s’est pas interrogée plus avant sur les causes sous-jacentes à ce fort taux d’échec des femmes, ce qui aurait nécessité de poser un regard critique sur le processus de sélection et les façons de faire de Gaz Métro.

[432]      De même, tant Carole Magnan que Jean-Pierre Raymond et Sylvie Richard ont souvent insisté sur la capacité d’apprentissage des candidats, qui se traduit dans le cas présent par leur capacité de réussir la formation donnée à l'interne. Malgré que la réussite de cette longue formation en dépende grandement, les experts Boulard et Pettersen ont toutefois considéré que Gaz Métro n’a pas mesuré la capacité d’apprentissage des candidats[482].

3.3.8.2 L'absence de validation critériée

[433]      Tel que mentionné déjà, la validation critériée est une forme particulière de vérification permettant de s’assurer de la corrélation entre la performance d’un candidat à une épreuve de sélection et son rendement ultérieur lors de la formation et en cours d’emploi. Ce type d'exercice permet ainsi d'évaluer le caractère essentiel des compétences mesurées par les outils de sélection et de confirmer ou non la véritable valeur prédictive associée à ces derniers[483].

[434]      L’expert normand Pettersen formule ainsi l'objet de la validation critériée :

 [L]’idée est toujours la même : il faut que ce qu’on observe à l’instrument, c’est-à-dire les réponses des candidats, constitue un échantillon représentatif de leur réponse qu’ils auraient eu en emploi.

 

[…]

 

[C]’est une validation statistique où on prend les résultats à l’instrument de mesure et, ensuite, une fois que les gens sont embauchés, on prend les résultats au rendement puis on regarde dans quelle mesure ceux qui ont eu des bons résultats à l’instrument sont effectivement performants une fois embauchés[484]. (Reproduit tel quel.)

 

[435]      Monsieur Robert Bédard a soutenu que lui-même et ses collègues ont effectué une telle validation, de sorte que les épreuves de sélection étaient adéquates car elles reflétaient le niveau de réussite lors de la formation[485]. Or dans les faits, cet exercice a consisté à faire passer le test à trois femmes préposées service déjà en poste afin de voir comment elles se débrouilleraient et, selon le cas, si des ajustements étaient nécessaires[486].

[436]      Lors de son témoignage, monsieur Pettersen affirme aussi que Gaz Métro s’est souciée de vérifier la corrélation entre le taux de réussite aux examens et la formation dispensée à l'interne[487]. Sans avoir procédé à une réelle validation critériée par des experts à l’externe, l’entreprise a tout de même administré un « prétest » à des femmes préposées service déjà en place afin de voir, en ce qui concerne le test pratique, si des ajustements s’imposaient avant de l'imposer aux candidates au poste de préposé réseau[488]. Selon lui, ce prétest n’est pas parfait ni même peut-être totalement convenable, mais « c’est mieux que rien » et « c’est pas mauvais »[489].

[437]      L’experte Chantale Jeanrie souligne pour sa part qu’un procédé de validation critériée implique une analyse au-delà des apparences. Il s’agit d’un exercice complexe et rigoureux qui suppose une mise en relation étroite des différents éléments des épreuves de sélection avec les différents éléments du poste de préposé réseau[490].

[438]      Le mandat d’analyser le processus de sélection au regard de la méthode de la validation critériée n’a jamais été confié à l’externe de Gaz Métro. Lorsque l’entreprise a fait appel aux services de Lucien Aubé, en 1997, c’était uniquement pour vérifier la pertinence de l’examen théorique -  les concours spéciaux de recrutement étaient d'ailleurs déjà terminés. Carole Magnan confirme ainsi que Gaz Métro n’a jamais cru bon procéder à une validation critériée de son processus de recrutement puisque celui-ci était entre les mains des « spécialistes » à l’interne, notamment Jean-Pierre Raymond et Robert Bédard[491]. Or, l’obligation de Gaz Métro dans le présent cas était de s’assurer que son processus de sélection se trouvait exempt de discrimination. Informée d'une sous-représentation féminine marquée et chronique, dans le poste de préposé réseau, conjuguée à un rejet disproportionné de candidates, l’entreprise aurait dû procéder à une authentique validation critériée de son processus.

[439]      En conséquence, aucune preuve ne permet en l'espèce de croire qu’une candidate ayant obtenu 60 %, 65 % ou 70 % à un test fournirait nécessairement un rendement supérieur à celle y ayant échoué. Au vu des rares données dont le Tribunal dispose relativement aux résultats des candidates aux épreuves versus ceux obtenus lors de la formation interne, cette corrélation est pour le moins incertaine. En effet, Katia Laliberté a respectivement obtenu 62 % lors du test théorique et 75 % lors du test pratique; or, ses résultats ont atteint 97 % dans le cadre de la formation. Quant à Monique Béland, elle a obtenu 62,9 % au test théorique et 86,1 % au test pratique; pourtant, elle a obtenu plusieurs notes supérieures à 90 % en formation, dont un 99 %, et n’a jamais eu un résultat inférieur à 79,6 %. En ce qui concerne Sylvie Lafleur, elle présente des résultats aux test théorique et pratique de 68 % et 75 % en 1995 et de 70,1 % et 61,1 % en 1996; en formation, ses notes varient de 74,4 % à 97,5 %[492]. Brigitte St-Cyr, pour sa part, a été embauchée, en 1997, en lieu et place de Marie-Claude Côté parce que ses résultats aux tests étaient légèrement meilleurs[493]; elle a malheureusement échoué au quatrième bloc de la formation et a donc été congédiée.

[440]      Ce n’est pas en considérant uniquement les résultats de quelques candidates que le Tribunal apprécie les conséquences l’absence de validation critériée du processus de sélection. En effet, dans la mesure où Gaz Métro n’a pas effectué une telle démarche de validation, le Tribunal a indiqué à différentes occasions qu'il était hasardeux de conclure que son processus de recrutement puisse prédire de manière fiable les capacités des candidates une fois en poste. Compte tenu des autres facteurs déjà explicités faisant en sorte que certaines étapes de sélection participent à l’exclusion disproportionnée des femmes, cette absence de validation a donc renforcé leur élimination discriminatoire, permettant à un processus qui les recalait à tort de se poursuivre.

[441]      Le Tribunal estime en outre que cette situation n'est pas sans lien avec la grande importance que Gaz Métro a accordée au profil des candidates, critère ayant même conduit l'entreprise à retirer rétroactivement certaines d'entre elles du processus de sélection même si elles en avaient complété avec succès les différentes étapes.

[442]      Madame Sylvie Richard a en effet admis qu’une candidate pouvait être exclue du processus de sélection à n’importe quel moment, c’est-à-dire retirée rétroactivement, à la suite d’une réflexion découlant de l’entrevue[494]. En ce qui concerne le concours spécial de juillet 1995, environ une dizaine de femmes ont ainsi été retirées du processus à cause d’une « hésitation sur le profil »[495]. Certaines avaient pourtant réussi le test théorique, parfois même le test pratique, avant de se voir ainsi exclues[496]. À cet égard, madame Richard a reconnu que le fait de se baser sur une « hésitation sur le profil » pour exclure une candidate est en soi beaucoup plus subjectif que de se fier, par exemple, aux résultats du test théorique[497].

[443]      C’est d'ailleurs en invoquant une hésitation au sujet de la capacité d'apprentissage de madame Marie-Claude Côté que Gaz Métro a tenté de justifier le refus de l'embaucher, en 1997, et ce malgré son succès aux différentes épreuves. Le Tribunal a toutefois conclu que la preuve démontrait de manière prépondérante que l'exclusion de madame Côté se fondait plutôt sur sa grossesse, dont l'employeur a été informé à la lumière des restrictions accompagnant sa déclaration médicale d'aptitude à exercer l'emploi de préposé réseau.

3.3.8.3 Les conclusions finales quant au processus de sélection

[444]      Déjà chancelant à cause de l’absence d’adéquation entre les tâches de l’emploi, les exigences formulées et les moyens de sélection, le processus de sélection chez Gaz Métro a aussi été contaminé par la subjectivité, l’arbitraire et un grand pouvoir de discrétion des principaux préposés de l'entreprise qui y étaient affectés. Ces éléments se conjuguent à la sous-représentation des femmes dans les emplois manuels, et plus particulièrement dans le poste de préposé réseau, aux préjugés relatifs à la présence des femmes dans un contexte d’emploi non traditionnel et à l’incompétence des acteurs chargés de procéder au recrutement de femmes durant les concours spéciaux pour à la fois alimenter et reproduire un système de recrutement entaché de discrimination envers les femmes.

[445]      La Charte nous invite à assurer la reconnaissance et l'exercice concret d'un droit à l'égalité réelle des femmes qui s'incarne notamment dans un système d'embauche égalitaire au sein duquel les politiques, les exigences ou les décisions d'un employeur ne se font pas plus durement sentir chez elles et ne les excluent pas de façon disproportionnée. Aussi, afin que ne se perpétue le système discriminatoire de recrutement pour le poste de préposé réseau chez Gaz Métro, la mécanique de ce système, dans laquelle s’imbriquent les politiques, les décisions et les comportements contribuant à son maintien, doit donc être démontée.

3.4   La culture institutionnelle chez Gaz Métro

[446]     Rappelons brièvement que la discrimination systémique en emploi envers les femmes résulte de l'application de méthodes, de pratiques et de politiques établies de recrutement et d'embauche non conçues pour promouvoir la discrimination mais qui, en raison de la sous-représentation des femmes dans certains milieux de travail, se caractérisent par l'absence de prise en compte de leur point de vue, de leur expérience et de caractéristiques qui leur sont propres. La discrimination est alors entretenue par une culture institutionnelle comprenant divers biais, préjugés et stéréotypes inconscients qui sont favorables aux personnes déjà présentes dans le milieu et qui orientent la sélection des candidats en fonction de personnes semblables à celles déjà en poste, perpétuant ainsi l'exclusion de celles qui n'ont pas eu l'occasion de pénétrer dans ce milieu.

[447]     Après avoir conclu que lors du concours de recrutement spécial tenu de 1995 à 1997, Gaz Métro a insuffisamment adapté son processus de sélection essentiellement conçu pour traiter les demandes d'emploi soumises par des candidats de sexe masculin, nous examinons maintenant certaines pratiques en place au cours de cette période afin de déterminer si elles s'inscrivent plus largement dans une culture organisationnelle propice ou non au recrutement de femmes pour le poste de préposé réseau traditionnellement occupé par des hommes.

3.4.1 Les modèles en présence

[448]     La culture organisationnelle chez Gaz Métro, particulièrement en ce qui concerne les préposés réseau, est homogène parce qu'essentiellement masculine. Cette situation s'explique par le très faible nombre de femmes occupant ce poste et se manifeste autant dans les actions que dans les propos des cadres, des stagiaires en compagnonnage ou gradués, des évaluateurs formateurs et du personnel du service des ressources humaines.

[449]     Qu'ils soient hommes ou femmes, tous sont formés par leurs prédécesseurs de façon systématisée et à l’image des employés en place afin de perpétuer les mêmes façons de faire. Très encadrés, ils doivent absorber la culture organisationnelle transmise par leurs supérieurs pour progresser. Monsieur Robert Bédard, examinateur formateur, réfère d'ailleurs à «la tradition orale» et à la «grande famille» de Gaz Métro. Quant à madame Carole Magnan, elle témoigne dans ces termes:

On sait qu'on investit chez ces gens-là pour une période de formation importante pour ce qui est de cet emploi-là, sachant qu'une fois qu'ils sont entrés dans le système, ils vont postuler sur d'autres postes. Puis l'expérience nous le montre, les gens postulent, obtiennent en fonction de leurs qualifications d'autres emplois. Il n'y a pas... chez Gaz Métro, les gens quittent pas. On n'a pas un taux de roulement très élevé. Alors, c'est important pour nous de vérifier... s'assurer que les gens sachent très bien à quoi ils font face quand ils viennent chez nous pour des emplois de type réseau.[498]

[450]     Madame Magnan mentionne d'ailleurs que jusqu'en 1995, «quatre-vingt-dix pour cent (90%) des postes CSN étaient comblés à l'interne»[499]. C'est aussi dans cet esprit que s'inscrit la pratique, prévue dans la convention collective négociée entre Gaz Métro et le Syndicat, selon laquelle les postes vacants de préposé réseau doivent d’abord être offerts «à l'interne» aux employés, en quasi totalité de sexe masculin, membres de l'unité d'accréditation CSN.

[451]     Selon la preuve soumise au Tribunal, le traitement différent réservé à ces candidats potentiels leur procure quelques avantages par rapport à ceux de l'externe. Ainsi, l'affichage, auprès de cette unité, de postes de préposés à combler excède la durée de l'affichage à l'externe.[500] Les candidats de cette unité sont par ailleurs exemptés de l'obligation de réussir une entrevue éliminatoire car ils sont présumés correspondre au profil recherché. Enfin, il est permis de se demander dans quelle mesure ils sont susceptibles de connaître le contenu des examens (pratique et théorique) en communiquant avec d'autres candidats de l'interne les ayant subis et avec les préposés déjà en fonction.

[452]     Le Tribunal retient à ce propos l'opinion de madame Boukamp Bosch qui considère que même si cette pratique négociée entre Gaz Métro et le Syndicat a été adoptée à leur satisfaction mutuelle, elle n'en perpétue pas moins la prédominance masculine dans les emplois de préposés réseau. C'est pourquoi, dans ce contexte, l’employeur doit, selon elle, concentrer ses efforts sur le recrutement externe pour remédier à la faible représentation des femmes.

[453]     En effet, le recrutement à l'interne des préposés réseau s'avère en pratique idéal pour embaucher des personnes semblables à celles déjà en poste et assure le maintien d'un milieu homogène. Cette situation risque d'alimenter à son tour, de manière inconsciente, la croyance qu'il n'existe qu'une seule façon d'exécuter correctement les tâches de cet emploi, et que seuls les candidats issus du groupe dominant et ceux qui réussissent par les mêmes moyens peuvent pleinement satisfaire aux exigences du poste.

[454]     La lettre d’entente conclue avec le Syndicat pour réserver en priorité des postes aux femmes et aux membres de minorités visibles prévoit d'ailleurs que cette pratique «ne remet aucunement en question le critère de compétence qui est primordial et n’aura pas pour effet d’abaisser les exigences pour qui que ce soit». Interrogée sur la portée de cet aspect de l'entente, madame Magnan mentionne:

On l'a appliqué de façon à faire respecter le fait que les candidates ou les candidats qu'on aurait entrés auraient réussi les étapes du processus de sélection tel qu'il était prévu au programme puis aux conventions collectives. Alors, dans ce sens-là, il était pas question pour nous de réduire de quelque façon que ce soit dans le respect de cette entente-là. […]

C'était convenu avec les gens du syndicat qu'il était pas question d'abaisser les exigences. Puis c'est d'ailleurs avec toutes les femmes avec lesquelles on peut discuter, il y a pas personne qui voulait se retrouver dans une situation où on créerait la perception qu'elles auraient obtenu le poste que parce qu'elles sont des femmes et sans considération des compétences.[501]

[455]     Le Tribunal constate en fait l'équation établie, chez Gaz Métro, entre une mesure consistant à adapter une norme d'embauche en fonction des besoins d'un groupe exclu et une diminution des exigences professionnelles requises chez les membres du même groupe. Qu'on en juge par la réponse donnée par madame Carole Magnan lors d'un contre-interrogatoire:

Q-   Est-ce que, pour vous, de permettre que les stagiaires réseau passent leur permis de conduire pendant leur période de formation, ce serait d'abaisser l'exigence?

R-   Oui. Dans un contexte où tous les autres employés ont eu leur permis de conduire en même temps au moment où est-ce qu'ils (sic) ont été nommés. Pour nous, c'est d'abaisser les exigences.[502]

[456]     Cette compréhension erronée de la nature des mesures d'accommodement raisonnable a pour conséquence que l'égalité ici invoquée pour les femmes est en fait une égalité purement formelle, par opposition à une égalité réelle. L'approche retenue consiste à traiter ces personnes de manière identique à celle des membres du groupe dominant et fait obstacle à des pratiques d’accommodement raisonnable qui permettraient à l’employeur de bénéficier de la diversité et de la richesse de compétences complémentaires.

[457]     Le Tribunal retient à ce propos le témoignage du témoin expert Karen Messing, qui a souligné combien l'absence des femmes de certains milieux traditionnellement investis par les hommes rend plus difficile l'identification des mesures d'adaptation à prendre pour favoriser leur intégration. Les femmes sont en effet les mieux placées pour développer des façons d'exécuter une tâche non traditionnelle adaptées à leur physiologie, ce qui permet en retour à l'employeur d'acquérir les connaissances utiles aux fins de les accommoder:

[458]     À cause de différences (d'origine génétique ou environnementale) hommes-femmes, les femmes peuvent développer des façons de faire une tâche qui sont différentes de celles des hommes, et mieux adaptées à leur morphologie et leur psychologie. Plus elles ont la liberté de développer, d'utiliser et de transmettre ces connaissances, mieux les femmes réussiront à accomplir ces tâches.[503]

[459]     Conçus pour sélectionner des candidatures masculines, les examens écrit et pratique du processus de sélection n'ont pas été adaptés pour d'autres groupes susceptibles de présenter des caractéristiques différentes de celles du groupe dominant. Les questions tirées du test Bennett ont été conservées malgré la mise en garde contenue dans le manuel d'instruction relativement à leurs effets négatifs sur les femmes[504]. Les gants et les outils fournis aux femmes lors des examens pratiques étaient les mêmes que ceux utilisés par les hommes, malgré leur morphologie différente de ces derniers. Monsieur Robert Bédard, évaluateur formateur, explique ainsi en toute bonne foi que les examens étaient exactement les mêmes pour tout le monde, par souci d’honnêteté.

[460]     Le vidéo présenté lors des séances d'information tenues en juin 1995 mentionne d'ailleurs, à deux occasions, «les gars de l'équipe», rappelant dès le départ aux femmes la composition homogène de ce milieu de travail. Monsieur Jean-Pierre Raymond ne modifie pas son discours d’accueil et avoue candidement que sa blague sur les «bobettes» demeure intégrale, qu’il s’adresse à des hommes ou à des femmes. Dans ses commentaires, il souligne les difficultés rencontrées par la seule femme ayant occupé le poste de préposé réseau et l'importance de «faire partie de la gang». Dans ce contexte, on s'attend à ce que les femmes se comportent comme des hommes lors de l’évaluation de leurs aptitudes et face aux attitudes du groupe dominant.

[461]     Ces préjugés inconscients et ces attitudes alimentent la conviction que seules les femmes en mesure de reproduire les comportements et façons de faire du groupe masculin dominant peuvent contribuer positivement à la santé de l'entreprise. Cette culture organisationnelle est même communiquée aux intervenants externes qui transigent avec Gaz Métro. Ainsi, malgré que ses propos sur le bassin de disponibilité contredisent ce raisonnement, le consultant et témoin expert Normand Pettersen explique le faible recrutement de femmes par la difficulté, pour l'employeur, de trouver des candidates qualifiées.

[462]     Dans ce contexte, il apparaît donc tout à fait normal de s'assurer que les femmes éventuellement embauchées sauront s’adapter à la culture dominante. La recherche de candidates ayant «le profil de l'emploi» s'inscrit tout à fait dans cette optique.

3.4.2 Le profil des candidates recherché

[463]     La sous-représentation des femmes dans le poste de préposé réseau chez Gaz Métro a aussi influencé le type de candidates recherché lors du processus de recrutement spécial, l'employeur ayant visé essentiellement celles dotées de caractéristiques largement semblables, à première vue, à celles des employés masculins déjà en poste ou, à tout le moins, celles susceptibles de s'intégrer facilement à un environnement de travail masculin. En d'autres termes, comme l'employeur est satisfait du travail accompli par un bassin de main-d'œuvre très homogène, il lui est difficile d'apprécier comment d'autres types d'employés pourraient offrir un rendement similaire. En l'absence d'expérience concrète ou concluante sur l'impact d'une diversification de sa main-d'œuvre, il cherche en conséquence à recruter de nouveaux employés «à l'image» de ceux déjà en poste ou présumés capables de s'adapter aisément aux caractéristiques du milieu dominant.

[464]     Selon la preuve devant le Tribunal, les candidates dont le curriculum vitae ou l'offre d'emploi ne mentionnait aucune expérience dans un secteur d'emploi non traditionnel étaient d'emblée exclues de la suite du processus de recrutement pour le poste de préposé réseau[505]. Il en était ainsi, selon madame Richard car «[l]a personne qui ne démontre aucune expérience ou formation dans le non traditionnel, aussi petite soit-elle, risque d'avoir beaucoup de difficulté à réussir l'examen théorique ou pratique[506]. Pourtant, comme l'a reconnu ce témoin, des candidates qui ont été référées à ces deux examens les ont réussis mais ont quand même vu leur candidature rejetée en raison d'une «hésitation sur le profil». Aussi:

R.   C'est pour ça qu'on disait aux candidates que le choix des candidatures, c'était un mix de tout à la fois de l'entrevue, faut correspondre au profil, et à la fois aux examens théorique et pratique. […]

Q.   Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que l'entrevue, réflexion sur l'entrevue, hésitation sur le profil, est-ce que vous seriez d'accord avec moi que ça a un élément subjectif, cette détermination?

R.   Oui.

Q.   Oui

R.   Oui. Toujours en fonction du profil.

Q.   Toujours en fonction du profil. Et certainement plus subjectif et beaucoup plus subjectif qu'un examen écrit. Est-ce que vous seriez d'accord avec moi?

R.    Ça va de soi.[507]

[465]     De plus, comme le Tribunal l'a constaté plus tôt, lors de l'entrevue préalable notamment, l'expérience non traditionnelle jugée pertinente était interprétée de manière très restrictive, celle-ci se limitant en pratique aux emplois identifiés dans la description d'emploi P-3 ou aux expériences se rapprochant de celles des employés masculins en poste[508].

[466]     Selon madame Sylvie Richard, l'entrevue préalable spécifiquement introduite au début du processus de recrutement tenu en 1995 visait à permettre aux candidates de donner plus d'information sur leur dossier et à vérifier si elles avaient «le profil» pour accéder au poste de préposé réseau. Dans cette optique, la question 6, posée uniquement aux femmes[509], cherchait tout particulièrement à mesurer la capacité de chacune des candidates à composer avec un milieu homogène constitué de travailleurs manuels de sexe masculin. La «bonne» réponse attendue était celle d'une candidate capable d'humour et de souplesse, qualités sur lesquelles madame Richard a insisté, car elle serait plus susceptible de s'insérer et de s'intégrer, voire de «se fondre» sans trop de frictions ni de heurts, dans ce milieu homogène. La «mauvaise», à l'opposé, consistait à faire reposer le succès de son intégration uniquement sur l'employeur[510].

Q.  Je vais demander plus spécifiquement: pourquoi ça prend le sens de l'humour pour s'intégrer dans un milieu d'hommes?

R. Je vous dirais que ça fait partie un petit peu de ce qu'on (sic) parlait ce matin au             niveau de la souplesse. Il faut savoir… Je verrais mal quelqu'un s'intégrer dans un milieu d'hommes qui serait toujours de mauvaise humeur ou qui se choquerait pour tout et rien. Ça prend un sens de l'humour définitivement.[511]

[467]     Considérée par l'expert Normand Pettersen comme un avertissement réaliste par rapport à la situation à laquelle les femmes embauchées seront confrontées, la question 6 aurait plutôt dû, selon Denise Perron, être soulevée au terme du processus de sélection afin de constituer un outil de support pour ces dernières. Quant à Chantale Jeanrie, elle a recommandé son retrait pur et simple en raison des difficultés déjà mentionnées.

[468]     Des réponses précises sont aussi attendues au sujet de situations stressantes et de la présence d’enfants au foyer. L’entreprise croit que les femmes ne pourront respecter l’horaire en raison de contraintes familiales et qu'elles devront par ailleurs prendre avec humour les blagues déplacées et les situations stressantes, et ce, en plus d’être empathiques et souples envers leurs collègues masculins. Ces exigences ne sont cependant pas appliquées aux hommes et il semble exclu de contraindre le groupe dominant à modifier ses comportements. Il s’agit encore ici d’une approche empreinte d'égalité formelle dans la mesure où l'on tente de faire «cadrer» les personnes différentes dans le système existant en se basant, de manière inconsciente, sur la croyance en la supériorité du groupe dominant auquel le groupe minoritaire doit nécessairement s’adapter.

[469]     Cette situation n'est pas sans rappeler l'opinion de madame Denise Perron selon laquelle:

Les femmes qui intègrent un milieu de travail non traditionnel font face à de nombreux apprentissages et trouvent encore difficile de devoir démontrer à certains collègues ou supérieurs immédiats qu'elles ont toutes les compétences requises pour exercer leur travail.

En théorie, cela ne devrait pas être. Les femmes n'ont pas à avoir un plus grand sens de l'humour que les hommes, elles n'ont pas à démontrer jour après jour une meilleure gestion du stress que ne le font leurs collègues masculins. Elles n'ont pas à être plus performantes[512].

[470]     Le Tribunal retient en outre de la preuve les attentes contradictoires des intervieweurs qui s'attendaient à ce que les femmes misent d'abord sur leurs ressources personnelles pour composer avec un milieu de travail masculin et expriment ensuite la façon dont elles souhaitaient être soutenues par l'entreprise en cas de difficulté[513].

3.4.3    La dimension organisationnelle du concours de recrutement                    spécial

[471]     Tel que reconnu dès la fin des années '80, dans la foulée du rapport Abella sur l'égalité en emploi et de l'arrêt Action Travail des femmes, la mise en œuvre de mesures d'embauche visant à contrer la sous-représentation des femmes dans des milieux d'emploi traditionnellement masculins requiert la mobilisation énergique de l'ensemble des acteurs (employeur, syndicat et salariés) concernés, et ce, sans oublier l'apport décisif et la valeur d'exemple découlant de l'implication de la haute direction d'une entreprise. En raison de la complexité et des facteurs multiples contribuant au maintien de la discrimination systémique, sa suppression requiert en effet une ferme volonté de la combattre de la part des dirigeants qui, à cette fin, doivent envoyer un message clair à tous les échelons de l'entreprise et y affecter les ressources professionnelles compétentes en la matière.

[472]     La preuve retenue par le tribunal de première instance dans l'affaire Action Travail des femmes est d'ailleurs éloquente à ce sujet. Le Tribunal canadien des droits de la personne y reproduit des extraits du rapport Boyle/Kirkman, une étude exhaustive sur la sous-représentation des femmes dans les emplois manuels au Canadien National qui avait été réalisée, à la demande de la haute direction de l'entreprise, au début des années '70. Or selon le Rapport, le manque d'engagement ferme des dirigeants («lack of definitive executive management commitment») constituait l'un des domaines spécifiques visés par les recommandations formulées:

The majority of CN managers have established their priorities in the order in which they feel their performance will ultimately be measured, i. e. a reflection of their interpretion of top management’s concerns. Allotting time and energy from their busy schedules to manage their people properly and to provide special attention to eliminate discrimination against women have not been viewed as integral components of their jobs and, therefore, do not receive the necessary attention.

The Executive management of CN is committed to equal opportunity for all people. The commitment alone, however, is not sufficient to accomplish significant results in the area of women. […]

Clearly, top management must recognize that the motivation to change must be created through executive directive.

Specifically, CN executive management needs to:

1.    Get involved in demonstrating their commitment and in measuring their managers on progress against pre- set goals.

2.    Require that each major department define their own specific problems; develop detailed programs for solving them; and set concrete targets for line managers to achieve.[514]

 

[473]     Cet aspect de la preuve a vraisemblablement contribué à la conclusion du Tribunal canadien selon laquelle le Canadien National avait établi les pratiques d'embauche à l'origine de la plainte de discrimination systémique, déposée en décembre 1981, en connaissant leurs effets d'exclusion sur les femmes:

             Nous avons déjà montré au début de ce jugement que le Canadien national connaissait depuis déjà plusieurs années avant le dépôt de la plainte que ses pratiques d'embauche avaient un effet négatif sur l'emploi des femmes et que celles-ci n'avaient pas, au Canadien National, la place qui leur revenait normalement. Le Canadien National a néanmoins perpétué ses pratiques d'embauche en en connaissant les conséquences. L'entrée en vigueur de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui n'a pas pris le Canadien national par surprise comme en font foi les témoignages entendus lors de l'instance, n'a pas entraîné de changements marquants dans ses pratiques d'embauche.

Aussi, nous croyons que le Canadien National «meant what he did» […]. On ne peut certainement pas dire que les pratiques d'embauche qui sont contestées par Action Travail des Femmes étaient purement accidentelles[515].

 

[474]     Dans le présent dossier, madame Denise Perron souligne aussi l'importance de l'engagement de la direction d'une entreprise dans la mise en œuvre de mesures visant à favoriser l'égalité en emploi des femmes dans des postes non traditionnels:

La pratique démontre en effet que, dans les entreprises en général, l'intégration des femmes dans des emplois non traditionnels exige un investissement important de la part des femmes, des employeurs, des syndicats, des superviseurs et des collègues de travail.

Déjà en 1985, les témoignages sont à l'effet que le processus d'intégration des femmes dans des emplois non traditionnels (où se retrouve moins du tiers de titulaires féminins) nécessite des changements de mentalité et d'attitudes chez les différents partenaires socio-économiques et chez les femmes elles-mêmes […].

Il ressort que les femmes qui se dirigent vers des emplois manuels non traditionnels ont souvent besoin d'un soutien spécifique pour les aider à franchir les barrières que ne rencontreront pas leurs collègues masculins.[516]

 

[475]     Chez Gaz Métro, madame Sylvie Richard et monsieur Jean-Pierre Raymond ont joué un rôle très actif voire déterminant dans la mise en application, au niveau des opérations, de l'entente intervenue avec le syndicat pour recruter des femmes en priorité dans le poste de préposé réseau. Madame Carole Magnan, qui a davantage travaillé à la planification de l'intervention et a vu à ce que les mesures soient déployées pour rencontrer, notamment, l'objectif d'embauche de candidates fixé au 2 octobre 1995, précise que

toute l'organisation du processus de dotation était gérée par la conseillère qui était responsable du poste, comme tout processus de recrutement qu'elle avait d'ailleurs à gérer.[517] 

[476]     Or avant le recrutement spécial de 1995, madame Richard effectuait un travail de secrétariat comportant de la statistique. Elle a progressé au sein de l’entreprise pour devenir agente en dotation et, en 1995, conseillère en dotation. Sa formation en sélection de personnel se résume alors à un cours de quelques jours suivi à l'École des hautes études commerciales et à un certificat, non complété, en gestion des ressources humaines[518]. Quant à monsieur Raymond, qui a vu au développement du poste de préposé réseau au fil des ans et en connaît bien les composantes, il n’est pas toujours présent lors des entrevues. Au cas contraire, son rôle est plutôt passif.

[477]     Il appert également qu'en dépit de leur bonne volonté, madame Richard et monsieur Raymond ont une compréhension bien différente de la finalité de l’entrevue qu’ils administrent aux candidates. En résumé, il s'agit, pour l'un, de connaître cette «clientèle » et, pour l'autre, de permettre aux femmes de mettre en relief leurs expériences antérieures[519]. Dans ce contexte, le Tribunal considère pour le moins hasardeux d’entreprendre un processus à grande échelle d’entrevues préalables sans même que l’objectif sous-tendant celles-ci ait été clairement précisé.

[478]     La grille d'entrevue utilisée a été confectionnée en 1992 par madame Richard, qui a aussi conçu sa propre fiche-synthèse[520]. Or le Tribunal a souligné plus tôt l'imprécision, les unes par rapport aux autres, des cotes attribuées à différentes candidates sans compter l'irrégularité des notes prises par rapport à ces dernières[521]. Rappelons aussi que selon Chantale Jeanrie, l'une et l'autre de ces pièces ne correspondent à aucune forme reconnue d'entrevue alors que selon Louis Laurencelle, le risque d'erreur est accru en raison de l'absence de réponse expressément attendue dans le résumé d'entrevue.

[479]     Pendant le recrutement spécial tenu de 1995 à 1997, certaines initiatives ont aussi été mises en place puis retirées, et ce, sans évaluation ni véritable analyse des facteurs susceptibles d'expliquer leur succès mitigé. Il en va ainsi des démarches initiales auprès d'organismes intervenant auprès de femmes en recherche d'emploi et des séances d'information précédant le dépôt des candidatures: malgré leur potentiel, ces mesures ont dans chaque cas été rapidement abandonnées.

[480]     Le Tribunal rappelle aussi le rétablissement, dès 1996, de l'exigence de détenir le permis de conduire de classe 3 au moment même du dépôt d'une candidature. Ici encore, on a tout simplement préféré revenir à cette condition appliquée dans le passé plutôt que d'analyser les facteurs susceptibles d'expliquer la difficulté des candidates de se conformer au délai supplémentaire consenti lors du recrutement de juin 1995[522], et ce, alors qu'une telle évaluation aurait vraisemblablement favorisé la recherche de quelque mesure d'accommodement raisonnable.

[481]     De même, après le recrutement de 1995, on a supprimé l'entrevue préalable aux tests qui, faut-il le rappeler, comportait un caractère éliminatoire[523]. Jugeant que celle-ci n'avait pas été concluante, Gaz Métro a décidé de revenir à «l'ancienne méthode» qui consistait à donner accès aux tests après une analyse préalable du curriculum vitae afin de vérifier «si la personne a un minimum d'expérience ou de formation dans le non traditionnel»[524]. Ici encore, l'employeur est rapidement revenu à la pratique antérieure qui n'était pourtant pas des plus satisfaisantes en ce qui concerne l'embauche de femmes dans le poste de préposé réseau.

[482]     Par ailleurs, comme l'archivage des dossiers était souvent confié à des étudiants embauchés pendant la saison estivale, la preuve a permis au Tribunal de constater une identification déficiente des boîtes d'archives ainsi qu'une gestion bâclée des curriculum vitae reçus pendant le concours de recrutement spécial, accroissant ainsi la difficulté de Gaz Métro de se situer par rapport à ses objectifs tout en conservant une banque de candidates potentielles. Dans son témoignage, madame Magnan a d'ailleurs reconnu que «les personnes qu'on a assignées à ces travaux-là […] avaient un niveau d'encadrement minimum. […] à cet égard-là, on se retrouve dans le système, un système plus ou moins organisé et ordonné»[525].

[483]     Que dire également du déroulement du projet-pilote, sous la supervision de madame Louise Buzit-Beaulieu? En dépit de l'intérêt que présentait la démarche envisagée au départ, le manque d'encadrement de cette stagiaire de passage et l'abandon des activités de formation initialement prévues sans en informer adéquatement les participantes reflètent une certaine improvisation et, somme toute, le faible intérêt de la direction pour une activité qui a néanmoins nourri les espoirs des candidates désireuses de réintégrer le processus de sélection. Plusieurs années plus tard, celles ayant participé à cette expérience demeurent amères. Ainsi, madame Marie-Claude Côté a indiqué qu'après l'atelier de gestion sur le stress, elle a communiqué plusieurs fois sans succès avec Gaz Métro pour savoir quand débuteraient les sessions de formation:

R. Personne m'appelait. Il se passait plus rien, là. Ça fait que j'étais inquiète, là. Ça fait que j'ai appelé, j'ai appelé, j'ai appelé. Puis c'était toujours les mêmes nouvelles: On attend, on attend.

Q. Um-hum.

R. Puis, il y a… la dernière fois que j'ai téléphoné, on m'a passé madame Carole Magnan. Puis madame Magnan elle m'a dit que le projet-pilote aurait pas lieu puis que, de toute façon, il fallait réussir les tests pour être embauchée à Gaz Métropolitain.[526]

 

[484]     Ayant échoué une seconde fois le test théorique après l'annulation du projet-pilote, madame Côté exprime en ces termes pourquoi elle a ensuite participé à une rencontre chez Gaz Métro:

Bien, moi j'avais à cœur d'aller dire qu'on n'était pas des numéros, là, puis que… tu montes pas des projets-pilotes bidon, là, puis, … t'sais? J'avais le goût d'aller leur dire, t'sais, que j'étais humaine puis que… t'sais?[527]

[485]     Aussi, malgré les intentions louables du personnel de Gaz Métro affecté au concours de recrutement spécial, le Tribunal constate son manque de connaissances et, surtout, ses compétences insuffisantes par rapport aux causes et aux moyens à envisager pour contrer une sous-représentation féminine chronique et connue comme telle chez les travailleurs manuels et, plus particulièrement, dans le poste de préposé réseau. De l'avis du Tribunal, ces lacunes dans la compétence du personnel chargé du concours de recrutement expliquent au moins en partie l'amateurisme avec lequel ce dernier a été conduit.

[486]     De plus, malgré les propos de madame Magnan selon laquelle «la haute direction a toujours annuellement reçu une présentation du rapport annuel, nous ont (sic) toujours appuyés dans le développement des résultats associés au programme d'équité»[528], le Tribunal constate plutôt une absence marquée de la haute direction de Gaz Métro dans ce processus, voire lors du procès, ce qui a également contribué aux résultats mitigés du concours de recrutement.

[487]     En effet, les témoins convoqués au Tribunal parmi le personnel de Gaz Métro sont majoritairement des techniciens, des secrétaires, une secrétaire promue conseillère, une ex-stagiaire, un cadre et une directrice. Aucun gestionnaire de haut niveau n’est venu établir la volonté de l'entreprise de remédier à la sous-représentation des femmes dans les emplois manuels, ni confirmer que de telles intentions étaient à l’origine du concours de recrutement spécial.

[488]     Au sein de la haute direction de l'entreprise, la responsabilité de mettre en œuvre le programme a essentiellement reposé sur madame Carole Magnan, du service des ressources humaines. Lors de son témoignage, celle-ci n’a pu indiquer de moyens rigoureux ou systématiques déployés afin de mobiliser d'autres cadres, directeurs et hauts gestionnaires autour du concours de recrutement spécial. Elle a plutôt exprimé un souci d'agir sans faire d'éclat en adoptant une approche «par petits pas»:

[O]n s'était donné comme stratégie d'informer régulièrement sans toutefois faire d'éclat. On avait pris comme approche, je vous dirais, plus [davantage] la théorie des petits pas et on voulait y aller graduellement à travailler sur la problématique de l'accès à l'égalité et les croyances.[529]

[489]     Témoignant sur sa collaboration avec le comité de la condition féminine CSN, madame Magnan précise qu'il fallait procéder «en coulisses» car autrement, les femmes auraient été «pointées», ce qui correspond dans son esprit à des représailles:

C'est avec eux aussi [le comité CSN] qu'on travaillait, je dirais, en coulisse. Parce qu'on se le cachera pas que les femmes dans le non traditionnel sont pas nécessairement, je pense que c'est partout dans d'autres domaines aussi, intéressées à ce qu'elles puissent se faire pointer parce qu'elles dévoilent des situations de travail dans lesquelles elles pourraient subir de l'isolement ou se faire taxer ou quoi que ce soit.[530]

[490]     De plus, bien que le personnel du service des ressources humaines attendait avec impatience les résultats des femmes aux examens de sélection et malgré le témoignage de madame Carole Magnan relativement à la déception ressentie devant leur taux d'échec élevé, la preuve à l'audience a permis de constater que la recherche de correctifs appropriés a été plutôt déficiente. En contre-interrogatoire, madame Magnan a en effet mentionné que la nécessité de procéder à une validation des tests et critères de sélection avait été reconnue par Gaz Métro, dès 1989, comme un correctif à apporter à différentes règles et pratiques d'embauche[531]. Or ce n'est qu'en 1997 que l'employeur recourt à cette fin aux services de monsieur Lucien Aubé dont l'exercice de validation, faut-il le rappeler, ne sera pas effectué en fonction du sexe des candidats. En effet:

R.   en quatre-vingt-quinze ('95), le constat qu'on faisait, c'était que l'exercice qui avait été fait par monsieur Raymond et monsieur Bédard, en quatre-vingt-douze ('92), l'implication de monsieur Charbonneau dans le dossier, l'implication de nos experts à l'interne, la refonte des examens, le sérieux de l'analyse, les mises en garde liées à nos intentions, à la notion de fidélité, la notion de validité faisaient en sorte que nous croyions que nos examens évaluaient vraiment… […] Nous croyions que les examens sont (sic) valides puis qu'on n'avait pas besoin de les valider. Ils n'ont pas été évalués par des gens de l'externe, ils ont été refaits par nos experts à l'interne. Je dirais nos spécialistes plus que nos experts, nos spécialistes.

Q.   Pas besoin d'être validés, donc c'est ça?

R.   C'est ça.[532]

 

[491]     Aussi, malgré une entente écrite et un discours dans lesquels Gaz Métro affirme sa volonté d'accroître de manière significative les effectifs féminins dans le poste de préposé réseau, les lacunes significatives et nombreuses observées lors du concours de recrutement spécial sèment en dernier ressort un doute sur l'importance que, dans les faits, l'entreprise a accordée à cette opération qui a essentiellement contribué à maintenir l'exclusion disproportionnée des femmes du poste de préposé réseau.

 

SECTION 4.   LES MESURES DE RÉPARATION

[492]     Devant le Tribunal, plusieurs candidates ont mentionné avoir vécu le processus de sélection de Gaz Métro comme une épreuve anormalement longue, parsemée d'encouragements et de faux espoirs afin qu’elles entreprennent et poursuivent une démarche à toutes fins utiles vouée à l’échec. Certaines d’entre elles ont ainsi investi des années de préparation et de scolarité additionnelles pour reprendre en vain, année après année, des examens qui ne leur ont jamais permis d'accéder au poste de préposé réseau.

[493]     Ayant conclu au caractère discriminatoire de divers aspects du processus de recrutement utilisé chez Gaz Métro et, plus largement, à la présence d'une culture institutionnelle teintée de biais et de préjugés inconscients et défavorables aux femmes, le Tribunal doit maintenant déterminer les réparations appropriées dans ces circonstances.

[494]     À la différence de plusieurs cas de discrimination dite «directe» ou «indirecte», les mesures de réparation relatives aux situations de discrimination systémique comprennent, en sus des mesures imposées en faveur de chaque victime personnellement, certaines ordonnances visant à corriger les effets d'exclusion disproportionnée d’un groupe en ciblant les aspects structurels et institutionnels à la source de ce type de discrimination. En nous référant à des exemples tirés de la jurisprudence, nous illustrons ci-après les principes applicables en la matière en nous attardant d'abord aux ordonnances de nature systémique (4.1), puis aux mesures de réparation individuelle (4.2).

4.1       Les ordonnances de type systémique

[495]     Les caractéristiques de la discrimination systémique appellent des réparations à la mesure de ses causes multiples et tout à fait particulières. Dans l'arrêt Action Travail des femmes,[533] la Cour suprême établit ainsi que :

Lorsqu'on tente de combattre la discrimination systémique, il est essentiel de s'attaquer aux anciens régimes discriminatoires et de les détruire afin d'empêcher la résurgence de cette même discrimination. […] Le juge MacGuigan [de la Cour fédérale d'appel] souligne, dans ses motifs de dissidence, qu'«on peut raisonnablement s'attendre à ce que la prévention de la discrimination systémique exige des sanctions à caractère systémique» […].[534]

4.1.1    L'imposition d'un programme d'accès à l'égalité

[496]     La preuve d'une situation de discrimination systémique donne ouverture à l'instauration de programmes d’accès à l’égalité (ci-après PAE) permettant l'embauche préférentielle de personnes issues du groupe exclu de manière disproportionnée et poursuivant un double objectif. En effet, s’il est nécessaire d’imposer temporairement une norme favorable au groupe victime pour effacer une situation distinctive[535], il est également primordial que les mesures de redressement ne visent pas uniquement l’élimination de pratiques spécifiques à l’origine des effets discriminatoires mais aussi leurs composantes structurelles, organisationnelles et fonctionnelles.

[497]     Le caractère généralement involontaire de la discrimination systémique a conduit les tribunaux canadiens à reconnaître la nécessité «de se référer à des régimes historiques de discrimination pour concevoir les stratégies appropriées à l’avenir»[536]. Comme l'exprime le juge Dickson :

Pour rendre vaine toute discrimination future, détruire les stéréotypes discriminatoires et créer la «masse critique» requise d'intégration du groupe visé à la main d'oeuvre, il est essentiel de combattre les effets de la discrimination systémique antérieure. Ce faisant, on crée des possibilités d'amélioration permanente des chances d'emploi pour le groupe autrefois exclu. […]. Des objectifs d'embauche précis […] constituent une tentative rationnelle d'imposer un correctif systémique à un problème systémique.[537]

[498]     Au Québec, les règles relatives à l’implantation et au déploiement de PAE sont énoncées dans la Partie III de la Charte, de tels programmes pouvant être instaurés «dans l’emploi, ainsi que dans les secteurs de l’éducation ou de la santé et dans tout autre service ordinairement offert au public»[538].

[499]     Ainsi, sur preuve devant un tribunal de «la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination dans l'emploi»[539], la Commission peut chercher à «obtenir dans le délai fixé par ce tribunal l'élaboration et l'implantation d'un programme [d'accès à l'égalité]. Le programme ainsi élaboré est déposé devant ce tribunal qui peut, en conformité avec la Charte, y apporter les modifications qu'il juge adéquates»[540].

[500]     Les dispositions de la Charte sont par ailleurs complétées par le Règlement sur les programmes d'accès à l'égalité[541] (ci-après «le Règlement») qui prévoit de manière plus détaillée leurs principales composantes dont notamment:

1.    les objectifs poursuivis quant à l'amélioration de la représentation des membres du groupe cible;

2.    les mesures nécessaires pour corriger les effets de la situation de discrimination constatée;

3.    un échéancier pour la réalisation des objectifs à atteindre et pour l'implantation des mesures prévues à cette fin;

4.    les mécanismes de contrôle permettant d'évaluer les progrès réalisés et les difficultés rencontrées dans leur application et de déterminer les ajustements à y apporter.[542]

[501]     Selon le Règlement, les objectifs d'un PAE sont établis en tenant entre autres compte d'une analyse d'effectifs, d'une analyse de disponibilité et, plus largement, du système d'emploi de l'entreprise en vue d'identifier :

Les règles, directives, politiques, décisions, contrats, ententes ou actes de même nature, ainsi que par leur mode d'application, les pratiques même apparemment neutres qui ont un effet discriminatoire dans la gestion de l'entreprise, sans qu'elles soient fondées sur des exigences de sécurité ou d'efficacité administrative.[543]

[502]     C'est plus particulièrement dans ce contexte que sont notamment scrutés: les modes et conditions de recrutement, de promotion et de mutation; les conditions de travail; la formation et le perfectionnement au sein d'une entreprise.

[503]     Les mesures jugées nécessaires pour corriger les effets de la discrimination systémique comprennent, d'une part, les mesures d'égalité des chances destinées à éliminer les pratiques discriminatoires dans la gestion de l'entreprise et, d'autre part, les mesures de redressement qui, en vue d'éliminer les effets de la discrimination subie par un groupe de personnes, «accord[ent] temporairement à ses membres certains avantages préférentiels»[544].

[504]     L'employeur auquel s'applique un PAE doit se soumettre à certaines obligations spécifiques, soit: 1) porter à la connaissance de ses employés les divers types de mesures adoptées; 2) confier la responsabilité de l'implantation du programme à un employé en autorité; 3) faire parvenir annuellement à la Commission un rapport exposant l'ensemble des activités déployées dans ce contexte, les progrès réalisés, les difficultés rencontrées ainsi que les modifications qu'il souhaite apporter au programme[545].

[505]     La Charte investit la Commission du pouvoir de surveiller l'application d'un tel programme[546]. En cas de refus de l'une des parties de s’y conformer ou de faits nouveaux exigeant que des modification soient apportées au programme instauré, cette dernière peut s'adresser à un tribunal afin qu'il rende des ordonnances exécutoires en la matière:

91. Un programme visé dans l'article 88 peut être modifié, reporté ou annulé si des faits nouveaux le justifient.

Lorsque la Commission et la personne requise ou qui a convenu d'implanter le programme s'entendent, l'accord modifiant, reportant ou annulant le programme d'accès à l'égalité est constaté par écrit.

En cas de désaccord, l'une ou l'autre peut s'adresser au tribunal auquel la Commission s'est adressée en vertu du deuxième alinéa de l'article 88, afin qu'il décide si les faits nouveaux justifient la modification, le report ou l'annulation du programme.

             Toute modification doit être établie en conformité avec la Charte.

[506]     Dans l'affaire Commission scolaire des Samares, la Cour d'appel conclut qu'une fois saisi par la Commission d'une demande initiale d'implanter un tel programme, le Tribunal des droits de la personne, dont la compétence en la matière est prévue à l'article 111 de la Charte, est le seul habilité à régler les litiges découlant de son application ou de faits nouveaux nécessitant des modifications:

 [L]a règle et simple: c'est le tribunal initialement saisi qui réglera les difficultés ultérieures. […] Le Tribunal des droits de la personne fut créé en 1990, à une époque où l'implantation des programmes d'accès à l'égalité était permise, même par voie judiciaire. Les tribunaux de droit commun étaient alors les seuls compétents pour disposer des demandes de  redressement requises par la Commission des droits de la personne. Avec la création du Tribunal des droits de la personne, le législateur a ajouté une cour de justice spécialisée qui, règle générale, ne peut être saisie que par la Commission. […] pour trancher un désaccord, l'employeur sera obligé d'accepter le forum choisi par la Commission des droits de la personne à l'occasion de la demande d'implantation du programme d'accès à l'égalité.[547]

 

[507]     La Cour d'appel souligne en ces termes la logique particulière du système prévu par le législateur qui:

[…] a voulu et permis l'ajustement des ordonnances au fil de l'évolution de la situation des employés et des modifications dans l'état ou la condition de l'employeur visé. Ce régime législatif particulier est, on le constate, une forme d'injonction structurelle, ce remède suivant lequel le juge surveille l'application de ses ordonnances et les modifie à l'occasion pour qu'elles atteignent l'objectif ultime de redressement visé.[548]

[508]     Cette habilitation législative permet donc au Tribunal de demeurer saisi d'un dossier dans lequel il a ordonné l'implantation d'un PAE afin qu'il vérifie sa conformité aux exigences de la Charte au moment de son dépôt, ou encore qu'il le modifie, le reporte ou l'annule sur la base de faits nouveaux.

[509]     Dans l’arrêt Action-Travail des femmes, l'unique question devant la Cour suprême concernait la légalité de l'ordonnance du Tribunal canadien des droits de la personne. Selon celui-ci, il était essentiel d’imposer au Canadien National un PAE afin que le pourcentage des femmes détenant des emplois manuels dans cette entreprise reflète au moins approximativement la proportion (13%) de celles détenant des emplois similaires dans l’ensemble du pays. En conséquence, le Tribunal canadien avait ordonné à l'employeur de réserver à des femmes 25% des postes non traditionnels à être comblés à l'avenir, et ce, au cours de chaque période trimestrielle, jusqu'à ce que l'objectif de 13% de femmes soit atteint dans ce type d'emplois.

[510]     La Cour suprême considère que ces mesures préférentielles d'embauche d'une durée temporaire favorisent la création d'une masse critique d'employées issues du groupe dont les membres étaient exclus de manière disproportionnée, contrecarrant du même coup les effets cumulatifs de la discrimination systémique et les préjugés à sa source. Elle conclut donc à la légalité de cette ordonnance.

[511]     Le Tribunal canadien avait aussi ordonné au Canadien National d'implanter d'autres mesures spéciales temporaires accessoires à la mise en oeuvre du PAE, soit: d'entreprendre une campagne publicitaire visant à susciter des candidatures féminines pour les postes non traditionnels; de nommer, dans un délai de deux mois à compter de la décision, «un responsable avec pleins pouvoirs pour assurer la mise en vigueur des mesures spéciales temporaires et réaliser tout autre mandat qui pourrait lui être confié par le CN relativement à la mise en œuvre de la présente décision»[549]. Finalement, le Tribunal imposait à l'employeur de remettre périodiquement à la Commission canadienne des droits de la personne, pendant toute la durée du programme, des rapports détaillés sur les diverses mesures prises et les résultats obtenus dans le cadre de ce dernier.

[512]     Nous trouvons une illustration éloquente de la diversité et de l'étendue des ordonnances susceptibles d'être rendues relativement à l'implantation d'un PAE dans une décision plus récente du Tribunal canadien des droits de la personne accueillant le recours de plaignants, issus de minorités visibles, qui alléguaient la discrimination systémique, de la part des autorités de Santé Canada, dans les processus conduisant à la nomination de cadres supérieurs[550].

[513]     En ce qui a trait aux mesures correctives temporaires, le Tribunal canadien ordonne notamment la nomination, par l'employeur, de membres des minorités visibles à certains postes permanents de gestion supérieure, et ce, «au rythme de 18% par année (soit le double du taux de disponibilité) pendant cinq ans, afin d'atteindre sur cette période une représentation proportionnelle à 80% de ce groupe désigné dans cette catégorie»[551]. De plus, afin que l'objectif visé par ces mesures soit atteint dans les délais prévus, diverses mesures sont imposées dont: la mise sur pied d'une procédure spéciale de reddition de comptes pour les gestionnaires chargés de l'embauche des nouvelles recrues; l'obligation de mentionner expressément l'existence du PAE dans tous les avis de dotation relatifs aux postes à pourvoir; la nomination d'un responsable ayant pleins pouvoirs pour mettre en œuvre l'ensemble des mesures temporaires.

[514]     Le Tribunal canadien ordonne aussi à Santé Canada de recourir à des sources de recrutement externe en faisant notamment appel à des médias s'adressant plus particulièrement aux minorités visibles et en sollicitant leurs réseaux officieux au sein même de Santé Canada et dans d'autres ministères et organismes fédéraux. Divers cours et programmes de perfectionnement devront être plus particulièrement offerts aux membres des minorités visibles afin d'accroître leurs compétences et des programmes de formation relatifs à l'encadrement d'une main-d'œuvre culturellement hétérogène devront être dispensés aux gestionnaires en poste. Enfin, Santé Canada devra périodiquement rendre compte à la Commission canadienne des droits de la personne des résultats de l'opération pendant toute sa durée, et ce, au moyen de rapports quantitatifs détaillés.

[515]     Dans son témoignage devant nous, madame Erika Boukamp Bosch a mentionné que pour corriger l'importante sous-représentation des femmes dans la catégorie des emplois manuels chez Gaz Métro, un PAE comportant des mesures préférentielles d'embauche devait être mis en œuvre dans l'entreprise.

[516]     En complément aux analyses contenues dans son rapport relativement aux taux de représentation des femmes par rapport à leur taux de disponibilité dans le poste de préposé réseau[552], madame Boukamp Bosch a commenté à l'audience[553] le fait qu'en 2003, Gaz Métro ne comptait que 15 femmes parmi ses 287 travailleurs manuels spécialisés[554], ce qui correspondait à un taux de représentation de 5%. Or à cette époque, le taux de disponibilité des femmes dans cette catégorie d'emploi s'élevait à 21.5% selon le recensement fédéral de 1996. Pour combler cet écart de 16.5%, 47 femmes de plus auraient donc dû faire partie des effectifs des travailleurs manuels spécialisés[555]. Cette situation conduit le témoin expert à exprimer l'opinion qui suit:

R.    [B]etween nineteen ninety-seven (1997), […] and two thousand and three (2003), the company has one (1) additional woman in its workforce in this semiskilled manual labour. The representation has gone up somewhat, it's now five per cent (5%) of the workforce, but that's largely a result because the semiskilled manual workforce became smaller. […]

      [S]o whatever they did in terms of hiring and so on has not made a significant impact on the gap because the gap remains substantial. […]

Q.   [I]n light of the data that you have observed and in terms of the representation levels that you have observed both in your report and here before you (sic), what in your opinion would be appropriate hiring objectives?

R.    Now, the Act doesn't define really how… what reasonable progress is, but the Act requires to review your plans every three (3) years. So in that context, I would definitely think that the company would have to step up its hiring rate, they may want to hire at forty per cent (40%) or higher. Theoretically, you would set it higher, theoretically, you would say, well maybe sixty per cent (60%), but that becomes unreasonable under the Act, so[556].

 

[517]     Madame Boukamp Bosch réfère ici aux prescriptions de la législation fédérale en matière d'équité en emploi. Selon celle-ci, les employeurs doivent déployer des efforts raisonnables afin de réaliser des progrès satisfaisants en vue d'atteindre l'équité en emploi qui, en dernier ressort, vise la pleine participation des groupes sous-représentés. Les objectifs d'embauche doivent en conséquence être établis en tenant compte de différents facteurs tels l'équité envers les autres candidats ou groupes à l'embauche, le taux de roulement du personnel et le volume d'embauche[557].

[518]     À la lumière de ces paramètres, madame Boukamp Bosch explique pourquoi il est préférable d'imposer un taux préférentiel d'embauche supérieur au taux de disponibilité des femmes dans les emplois manuels spécialisés afin de réduire l'écart substantiel entre ce dernier (21.5%) et leur taux de représentation (5%):

R.   [I]f you continue to hire at that rate, you're never going to breach that gap because that gap is quite substantial. Yes, you're only going to breach the gap if finally your workforce is zero because the only progress made really by women is because the workforce became smaller, so relatively the percentage of women went up. So, based on that, I would say the company would probably have to hire… four (4) out of every ten (10) hires should be women to make some reasonable progress.

Q.   [A]nd if I put to you that, let's say, in recent years, hypothetically, the hiring rate has perhaps been in this group between ten (10) and thirteen per cent (13%), would that be adequate in your view?

R.   That would be below the minimum availability, for one; and secondly, that would never lead to an acceptable workforce because you hire… you continue to hire under minimum availability rather than, as I suggest, that you would have to hire at an accelerated rate, given the large gap that remains.[558]

 

[519]     Contre-interrogée par le procureur de Gaz Métro, madame Boukamp Bosch reconnaît qu'en l'absence de données scientifiques précises à ce sujet, sa recommandation s'appuie sur l'ensemble des données de Gaz Métro portées à sa connaissance et sur son expérience en la matière[559]. Bien qu'elle se soit engagée à fournir avant la fin du procès des informations émises, à l'intention des employeurs, par Développement et Ressources humaines Canada, cet engagement n'a pas été respecté.

[520]     Madame France Landry, conseillère en PAE à la Commission, a témoigné sur les étapes comprises dans l'implantation de ces derniers. Celles-ci consistent successivement dans l'établissement d'un diagnostic relatif à la sous-représentation, l'élaboration même du programme, son implantation et, finalement, son évaluation[560]. Dans ce contexte, elle a énoncé quatre critères à considérer afin de déterminer un taux préférentiel d'embauche (ou taux de nomination préférentielle), soit: 1) un taux suffisamment élevé pour permettre l'atteinte de résultats; 2) un taux laissant une marge de manœuvre pour d'autres groupes susceptibles de bénéficier de telles mesures; 3) un taux adapté à l'évolution de la représentation du groupe visé; 4) un taux ajusté en fonction du nombre de postes à combler[561]. Elle précise que moins les postes à combler seront nombreux, plus le taux de nomination préférentielle devra être élevé, et vice-versa.

[521]     Madame Denise Perron n'a pour sa part formulé aucun commentaire au sujet de la recommandation émise par madame Boukamp Bosch au sujet d'un taux d'embauche préférentiel d'embauche de 40% de femmes dans le poste de préposé réseau. Elle a essentiellement conclu à l'absence de sous-représentation des femmes dans le poste de préposé réseau. Elle a aussi insisté sur le caractère raisonnable de l'objectif d'embauche numérique auquel un employeur peut être assujetti dans le cadre d'un programme d'accès à l'égalité.

[522]     Pour des raisons mentionnées plus tôt[562], le Tribunal considère que l'analyse effectuée par madame Boukamp Bosch relativement à la sous-représentation des femmes dans le poste de préposé réseau chez Gaz Métro est plus adéquate que celle de madame Perron. Tenant compte des prescriptions législatives pertinentes, de leur réception en droit canadien et de la preuve produite à l'audience, le Tribunal juge nécessaire que Gaz Métro implante un PAE conforme aux prescriptions de la Charte en vue d'assurer, dans des délais raisonnables, une représentation des femmes dans le poste de préposé réseau qui corresponde à leur taux de disponibilité sur le marché du travail.

[523]     À cette fin, le Tribunal retient la logique des arguments, non contredits, invoqués par madame Boukamp Bosch au sujet de la détermination d'un objectif numérique d'embauche approprié. Toutefois, le taux de disponibilité et les données de Gaz Métro sur lesquels cette dernière fonde sa recommandation remontent à l'année 2003. Aussi, le Tribunal juge préférable que Gaz Métro et la Commission déterminent un taux d'embauche préférentiel adéquat à la lumière, d'une part, des informations recueillies lors des analyse d'effectifs et de disponibilité qui devront nécessairement être effectuées et, d'autre part, en fonction des prévisions d'embauche pour le poste de préposé réseau ou son équivalent actuel. Aussi, à moins que les données recueillies ne divergent de manière significative de celles analysées par madame Boukamp Bosch, les parties devront élaborer un PAE comportant un objectif numérique d'embauche comparable à celui recommandé par cet expert.

[524]     Pour être conforme à la Charte et au règlement applicable en la matière, ledit PAE devra également comporter un ensemble de mesures complémentaires. Mentionnons: la préparation d'un échéancier prévoyant les délais dans lesquels les objectifs préalablement déterminés seront atteints; l'identification de mesures de contrôle permettant de mesurer les progrès réalisés et les ajustements à apporter; la désignation d'un employé en autorité responsable de l'application du programme.

[525]     Compte tenu de la preuve de discrimination déjà au dossier et des démarches supplémentaires à compléter avant de pouvoir, de manière réaliste, implanter ce PAE, le Tribunal accorde à Gaz Métro un délai de trois mois pour élaborer ce dernier en collaboration avec la Commission. Au terme de ce délai, Gaz Métro devra soumettre ledit PAE au Tribunal qui pourra, «en conformité avec la Charte, apporter les modifications qu'il juge adéquates»[563]. Le Tribunal ayant par ailleurs décidé, au cours du procès, de ne rendre aucune ordonnance susceptible d'affecter l'application de la convention collective liant l'employeur et le Syndicat, ledit PAE visera les processus de recrutement et d'embauche tenus en dehors de Gaz Métro («à l'externe») ainsi que ceux «à l'interne» de l'entreprise, à l'exclusion toutefois de l'unité de négociation accréditée à la CSN et représentée en l'instance par le Syndicat.

4.1.2    La modification de politiques et de pratiques institutionnelles

[526]     Afin de «rompre le cercle vicieux de la discrimination systémique»[564], les mesures permanentes de neutralisation de politiques et de pratiques institutionnelles visent pour leur part à modifier en profondeur la procédure relative à l'embauche, voire aux conditions de travail des membres d'un groupe exclus de manière disproportionnée. Ces mesures peuvent prendre diverses formes dont la jurisprudence nous fournit quelques exemples.

[527]     Dans l’affaire Action-Travail des femmes[565], le Tribunal canadien des droits de la personne ordonne des mesures permanentes de neutralisation de politiques et de pratiques courantes. L'employeur doit ainsi mettre fin aux tests physiques non imposés aux candidats masculins. Il doit également cesser d'utiliser tout test d’aptitude mécanique qui exclut les femmes de manière disproportionnée s'il n'est pas justifié par les aptitudes requises pour les emplois postulés. Le Canadien National doit de plus: cesser d'exiger des connaissances en soudure pour la quasi-totalité des postes d'entrée; modifier son système de publicité des emplois disponibles, pour en accroître la visibilité, ainsi que les pratiques du bureau d'embauche à l'endroit des femmes candidates et le système d'entrevue des candidats; encadrer davantage le rôle joué par les contremaîtres lors de l'embauche; maintenir l'adoption de mesures visant à contrer toute forme de discrimination et de harcèlement sexuels.

[528]     Dans l’affaire Green,[566] le Tribunal canadien des droits de la personne conclut que la Commission de la fonction publique, le Conseil du trésor et Développement des ressources humaines Canada ont exercé de la discrimination systémique envers leurs employés atteints d'un trouble d'apprentissage de nature auditive. La preuve ayant permis de constater une mauvaise compréhension, par le personnel, de la nature des troubles d'apprentissage et des mesures efficaces à prendre pour en tenir compte, le Tribunal émet diverses ordonnances de réparation relatives aux procédures et pratiques institutionnelles des intimées. Mentionnons la création, à l’attention du personnel, d'un programme de formation sur les mécanismes permettant de tenir compte des besoins des personnes atteintes de troubles d'apprentissage au travail; la mise en œuvre d'une méthode de révision des cas de personnes handicapées dont la situation diffère des paramètres contenus dans les politiques ou procédures déjà établies; l'examen des politiques afin de s'assurer qu'elles tiennent compte des besoins des candidats et qu'elles soient intégrées au programme de formation dispensé aux employés; l'élaboration d'une méthode pour vérifier les aptitudes de chaque individu en tenant compte de sa déficience et de la nature des stratégies compensatoires pour pallier cette dernière.

[529]     L’importance d'implanter une formation destinée aux employés est également reconnue dans l'affaire Radek.[567] Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique constate d'abord que les faits propres à cette affaire ne permettent pas d'imposer un PAE car la discrimination systémique avait été exercée envers la clientèle autochtone d'un centre commercial par les agents d'une compagnie n'y assurant plus les services de sécurité. Soulignant qu'il est essentiel que les mesures destinées à remédier à ce type de discrimination soient adaptées au contexte propre à chaque affaire, le Tribunal impose en conséquence au propriétaire du centre diverses mesures systémiques, dont l'obligation de fournir à tous les gardiens de sécurité une formation sur la discrimination. Ces derniers doivent aussi obtenir des explications adéquates sur les politiques applicables et recevoir du support afin d'accomplir leur travail sans discrimination. Les membres du public inquiets du comportement de certains gardiens doivent avoir accès à un mécanisme efficace de traitement des plaintes à l'interne.

[530]     Le Tribunal de la Colombie-Britannique explique le caractère général des ordonnances émises par le peu d'information dont il dispose sur les pratiques plus récentes en vigueur dans le centre commercial. Il est d'avis que cette situation offre toutefois aux parties l'opportunité de bâtir ensemble de nouvelles politiques, une telle possibilité permettant au propriétaire de mieux connaître les besoins de la clientèle desservie par le centre. À cette fin, le Tribunal ordonne à ce dernier de consulter madame Radek et l'encourage à consulter divers organismes communautaires tels ceux intervenant auprès de personnes handicapées et d'Autochtones. Le Tribunal réserve également sa compétence pour une période de six mois afin de statuer, à la demande des parties, sur toute mésentente nécessitant des ordonnances supplémentaires.

[531]     Une approche beaucoup plus exhaustive est retenue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire opposant l'Alliance de la capitale nationale sur les relations inter raciales au ministère fédéral de la Santé.[568] Ainsi, lorsque les qualités personnelles des membres des minorités visibles seront évaluées par rapport aux postes de gestionnaires à pourvoir, l'employeur devra non seulement évaluer leur expérience mais aussi leurs compétences souhaitables. Sommé de constituer des jurys de sélection composé de membres de différentes communautés en vue de favoriser un processus dépourvu de préjugés, Santé Canada verra aussi à dispenser à tous les gestionnaires et spécialistes des ressources humaines

une formation sur les stratégies de recrutement, de promotion et de maintien en fonction des membres des minorités visibles en établissant des lignes directrices et en assurant une formation sur les pratiques de sélection et de recrutement dépourvues de préjugés. Cette mesure comprendra également la sensibilisation de ces gestionnaires et spécialistes aux enjeux de la diversité et de l'équité en matière d'emploi et, notamment, aux obstacles systémiques.[569]

[532]     Ces administrateurs devront par ailleurs obligatoirement assister à des ateliers relatifs à la législation sur les droits de la personne et aux bienfaits d'un milieu de travail diversifié. Santé Canada devra également définir clairement, au préalable, les qualités des postes de gestionnaires à pourvoir et en publiciser le contenu auprès de tous. Le Ministère devra aussi élaborer à l'avance les composantes du processus de sélection visant à évaluer les compétences requises pour certains postes de gestion et sur lesquelles il se fondera aussi lors de la dotation de postes intérimaires.

[533]     En l'espèce, quelques unes des conclusions recherchées par la Commission, dans le cadre de l'imposition d'un PAE, relèvent de politiques et de mesures d'embauche plus permanentes. Les faits tels que mis en preuve et les règles applicables à ces derniers conduisent donc le Tribunal à ordonner aussi à Gaz Métro de supprimer du processus d'embauche de préposé réseau, ou de son équivalent actuel, des exigences ayant pour effet d'exclure les femmes de manière disproportionnée sans être justifiées par les exigences de ce poste. Il en va ainsi de l'obligation de détenir un permis de conduire classe 3 au moment de l'embauche, de la nécessité pour les femmes candidates d'avoir une expérience préalable dans un emploi non traditionnel et du recours à des questions en mécanique tirées du test Bennett.

[534]     À ce titre, le Tribunal juge essentiel que Gaz Métro adopte des critères et des outils de sélection satisfaisant aux exigences d'une validation critériée pour assurer une meilleure adéquation entre les exigences réelles du poste de préposé réseau, ou son équivalent actuel, et les compétences et habiletés mesurées chez les candidats à ce poste. De plus, afin que les femmes candidates au même poste puissent, en pleine égalité avec les hommes, faire valoir leurs qualifications eu égard aux exigences réelles du poste concerné, Gaz Métro devra adapter à leurs caractéristiques physiques certains tests de sélection ainsi que des outils et de l'équipement utilisés tant lors de ces tests qu'en cours de formation et d'emploi. Gaz Métro devra également voir à ce que les responsables de la conception et de l'administration des outils et tests de sélection traitent de manière égale, sans discrimination fondée sur le sexe, les candidates au poste de préposé réseau, ou son équivalent. Ces derniers devront à cette fin disposer d'instructions comprenant une formation sur les composantes et les mesures correctives de la discrimination systémique en emploi envers les femmes.

[535]     Finalement, dans l'optique de favoriser le développement, chez Gaz Métro, d'une culture institutionnelle plus sensible aux aspects tantôt plus insidieux, tantôt plus apparents de la discrimination systémique en emploi envers les femmes, le Tribunal juge également souhaitable que Gaz Métro mette sur pied un comité mixte, formé de représentants de la direction et de femmes occupant le poste de préposé réseau, ou son équivalent actuel, pour contrer le harcèlement sexuel et sexiste au travail[570].

4.2       Les mesures individuelles

[536]     Aux termes de l'article 49 de la Charte, toute victime d'une atteinte illicite à ses droits ou libertés a le droit d'en obtenir la cessation ainsi que la compensation du préjudice matériel et moral qui en découle, et ce, sans compter l'obtention de dommages-intérêts punitifs en cas d'atteinte à la fois illicite et intentionnelle. Lorsque la Commission agit dans ce contexte au bénéfice d'une victime, elle s'adresse à un tribunal en vue d'obtenir, «compte tenu de l'intérêt public, toute mesure appropriée contre la personne en défaut ou pour réclamer, en faveur de la victime, toute mesure de redressement qu'elle juge alors adéquate»[571]. Au Canada, les tribunaux spécialisés en droits de la personne ont aussi accordé des mesures de réparation de cette nature dans le cadre de recours concluant à une preuve de discrimination systémique.

4.2.1    Les mesures relatives au préjudice matériel

[537]     Après avoir conclu, dans l’affaire Green,[572] au caractère systémique de la discrimination exercée envers des employés atteints d'un trouble d'apprentissage de nature auditive, le Tribunal canadien des droits de la personne rappelle le principe de la réparation intégrale (restitutio in integrum). Il ordonne en conséquence au défendeur de compenser le salaire perdu par la plaignante en lui versant une somme globale de quelque 69 895,25 $, ce montant correspondant à la période échelonnée entre le début de la discrimination exercée et celui des procédures. Le Tribunal canadien ordonne en outre à l’employeur de lui verser une somme totale équivalant à des paiements mensuels de 825,66 $ afin de couvrir la période relative à la durée de l’instance. S’ajoute à ces montants une majoration visant à indemniser la plaignante pour le préjudice fiscal découlant de la réception «en bloc» de ces sommes, majoration dont le service de la rémunération de l'une des intimées déterminera le montant et par rapport à laquelle le Tribunal conserve sa compétence en cas de désaccord entre les parties.

[538]     Pour compléter, le Tribunal canadien ordonne aussi: le rajustement de la pension prévue par l’employeur afin de tenir compte du salaire que la victime aurait reçu dans le poste de gestionnaire qu'elle aurait obtenu n'eut été de la discrimination exercée; le versement, sur toutes les sommes dues à la victime, d'un intérêt composé au taux des obligations d'épargne du Canada et calculé à compter du début de la discrimination subie; le versement d'un montant de 4 057,22 $ pour acquitter les frais liés aux conseils juridiques.

[539]     L'octroi d'une compensation au chapitre de la perte de chance est examiné dans l'affaire Ayangma.[573] Rappelons que le Tribunal des droits de la personne de l'Ile-du-Prince-Édouard y conclut que le refus d’embaucher un candidat, issu d’une minorité visible, à titre de conseiller en matière de relations interraciales s'inscrit plus largement dans un processus d'embauche teinté par des biais inconscients favorables aux personnes déjà présentes dans ce milieu, à l'exclusion des candidats issus de minorités. Favorable, en principe, à l'octroi d'une telle compensation matérielle, le Tribunal conclut toutefois en ces termes à l'absence de preuve au soutien de cette réclamation:

The primary difficulty lies with the total lack of any evidence of any damages suffered by the plaintiff. It would appear that there was a loss of opportunity, but the plaintiff has produced no evidence regarding his efforts in this regard and whether or not his subsequent employment resulted in any actual loss. There is thus no basis upon which to award any type of special damages.[574]

[540]     En droit civil québécois, les auteurs Baudouin et Deslauriers caractérisent en ces termes la compensation matérielle au motif de perte de chance:

La jurisprudence indemnise également pour la perte d’une chance. Dans ce cas, ce n’est pas la perte effective que le tribunal cherche à compenser, mais plutôt la disparition, en raison de la survenance de l’acte fautif, de la chance soit d’éviter une perte, soit de réaliser un profit.

La difficulté théorique est que le préjudice pour lequel on réclame est non seulement futur, mais, par définition même, aléatoire. Si l’acte fautif n’était pas survenu, nul ne peut dire avec certitude si la perte aurait pu être évitée ou le profit réalisé. Toutefois, les tribunaux, reconnaissant que la simple privation d’une possibilité peut constituer un préjudice direct, en font une application exceptionnelle.[575]

 

[541]     L'arrêt Laferrière c. Lawson[576], qui demeure le jugement de principe en la matière, délimite la portée que la théorie de la perte de chance doit plus particulièrement recevoir en matière de responsabilité médicale[577]. Compte tenu des difficultés de la preuve dans ce domaine et, notamment, de la nature du lien de causalité exigé, la Cour suprême y établit que la causalité doit être déterminée selon le régime habituel de la prépondérance des probabilités. En conséquence, la perte d’une simple chance ne peut constituer un préjudice indemnisable et il n'y a pas «lieu d'incorporer dans le droit civil du Québec, en matière de responsabilité médicale, la théorie de la perte de chance […]».[578]

[542]     De manière plus générale cependant, le juge Gonthier prend soin de mentionner certaines situations susceptibles de donner ouverture à ce type de compensation, et ce, même s'il n'est pas certain que la faute alléguée ait causé le préjudice. Au nom de la majorité, il écrit:

 [L]e fait qu'il ne soit pas certain que la faute alléguée ait causé le préjudice ne constitue pas un empêchement à l'obtention d'une indemnité; il suffit que la chose soit rendue réelle et croyable par une combinaison d'éléments de preuve factuelle et statistique.  En conséquence, un juge peut rattacher la faute à un préjudice aléatoire sans violer les règles générales de la causalité, pourvu qu'il soit convaincu que ce lien est établi par suffisamment d'éléments de preuve sur ce qui se produirait normalement ou sur ce qui se produit dans le cours normal des choses. 

Lorsque la faute du défendeur est déjà prouvée et qu'on n'a identifié aucun autre facteur causal concomitant, il peut être loisible au juge d'évaluer les dommages-intérêts en fonction de la chance seulement.[579]

 

[543]     Le Tribunal a ordonné le versement de ce type de dommages dans différentes situations où il ne s'agissait pas de discrimination systémique. Ainsi, dans l'affaire Boucher[580], on avait refusé à une personne atteinte d'un handicap visuel de subir à nouveau un examen écrit comportant des mesures d'adaptation. Selon le Tribunal, même s'il n'était pas certain qu'elle aurait obtenu un poste au terme du processus de sélection, l'éche subi à la suite du refus de lui fournir tout accommodement l'avait privée de la chance de figurer sur une liste de candidats aptes à exercer un emploi dans la fonction publique. Cette privation commandait une réparation évaluée à 1 000,00 $ par le Tribunal compte tenu que la victime avait obtenu un emploi permanent quelques mois plus tard.

[544]     Dans une autre affaire où il conclut à de la discrimination fondée sur l’état civil et le handicap dans le cadre d’un processus d’embauche[581], le Tribunal mentionne que nul ne sait ce qu'il serait advenu de la carrière de la victime si elle avait obtenu le poste qu'elle convoitait. Dans la mesure où la variété des expériences d'une personne est de nature à enrichir son curriculum vitae et à accroître sa valeur potentielle sur le marché du travail, il considère que cette chance aurait pu constituer pour elle un tremplin vers de nouveaux horizons professionnels. Le Tribunal juge donc que la perte de chance alléguée semble réelle et qu'elle doit être indemnisée pour un montant de 2 500,00 $.

[545]     Enfin, le Tribunal a également ordonné le versement d'un montant de 2 500,00 $, au titre de la perte de chance, à un candidat refusé à l'embauche au motif de son âge. Le Tribunal mentionne qu'en sus du préjudice moral, un individu peut également subir un préjudice direct du fait de la privation de possibilité résultant d'un rejet discriminatoire de sa candidature qui lui ferme définitivement les portes d'un poste ou d'un emploi sans qu'il ait pu jouir de la même considération que celle dont ont bénéficié les autres candidats dans l'évaluation de leur dossier. Aussi, bien qu'il ne soit pas certain qu'il aurait obtenu un poste au terme du processus de sélection et malgré que l'employeur n'était pas tenu de lui offrir un poste, le seul fait qu'on ait rejeté sa candidature de façon aussi cavalière et pour un motif discriminatoire entraîne la « privation d'une possibilité » et commande une réparation[582].

[546]     Dans le présent dossier qui oppose Gaz Métro à sept victimes, le Tribunal considère que seule Marie-Claude Côté doit recevoir une compensation pour perte de salaire. En effet, à la différence des autres victimes, cette dernière est la seule ayant complété avec succès, en 1997, toutes les étapes du processus de sélection avant d'être soumise à un examen médical. Or pour des motifs exposés plus tôt[583], le Tribunal n'a pas retenu la version de l'employeur selon lequel le rejet rétroactif, en quelque sorte, de sa candidature s'expliquait par un doute raisonnable sur sa capacité de réussir le processus de formation inhérent au poste de préposé réseau. Le Tribunal a conclu qu'il était davantage probable que le revirement pour le moins étonnant, dans les circonstances, de Gaz Métro s'explique plutôt par l'information contenue dans le bilan médical de madame Côté et, plus précisément, par sa grossesse.

[547]     Aussi, Gaz Métro devra donc verser à madame Côté un montant équivalant au salaire qu'elle aurait reçu, à compter d'octobre 1997, pendant les six premiers mois de sa formation à titre de stagiaire réseau, ce montant devant être établi conformément au rapport[584], non contesté sur ce point, de monsieur Marc Fortier, expert comptable présenté par la Commission. Le Tribunal considère en effet qu'il ne peut accorder davantage à ce titre puisqu'il ne peut savoir de manière certaine si madame Côté aurait réussi l'examen éliminatoire prévu au terme de cette période. Dans l'éventualité où cette situation entraînerait un préjudice fiscal découlant du versement, à titre de perte salariale, de cette somme globale pendant une même année d'imposition, Gaz Métro devrait aussi verser à madame Côté une somme forfaitaire établie conformément à la méthode contenue dans le rapport[585] de monsieur Richard Joly, expert comptable présenté par Gaz Métro.

[548]     Le Tribunal octroie par ailleurs 10 000,00$, soit la totalité de la somme demandée au titre de la perte de chance, à Johanne Bolduc et à Shirley Thomas respectivement qui, après avoir réussi l'examen théorique, n'ont pu compléter le processus de sélection en raison de leur échec à l'examen pratique. Rappelons en effet que le Tribunal a conclu que le second produisait des effets d'exclusion disproportionnés pour les femmes, les empêchant de démontrer leurs compétences et habiletés réelles en vue d'exercer le poste de préposé réseau.

[549]     En ce qui concerne les autres victimes, soit mesdames Line Beaudoin, Joan Dupont, Nicole Trudel et Tania Plourde, le Tribunal évalue à 5 000,00$ leur perte de chance respective. Rappelons que les deux premières ont été exclues à l'étape de l'entrevue préalable, alors que les deux dernières ont échoué à l'examen théorique. En conséquence, le Tribunal considère que ces quatre victimes ont aussi perdu une chance d'être embauchées comme préposées réseau, mais ce dans une mesure moindre que celles ayant réussi ces étapes du processus de sélection.

4.2.2    Les mesures relatives au préjudice moral

[550]     La preuve des dommages moraux subis par une victime de discrimination systémique permet aussi d'obtenir une compensation à cet égard. Dans l'affaire Ayangma[586] ci-haut mentionnée, le tribunal de première instance conclut à l'absence de preuve, par le plaignant, de préjudice de cette nature[587].

[551]     Dans l’affaire Radek,[588] la plaignante se voit personnellement accorder la somme de 15 000,00 $ en compensation du préjudice moral découlant de l’atteinte à sa dignité de femme autochtone ayant subi de la discrimination de la part du personnel de surveillance d'un centre commercial. Le Tribunal souligne à cet égard que les dommages causés à madame Radek se situent dans un contexte social plus large:

When one considers the historical reality of racism suffered by Aboriginal Canadians generally, and in Ms. Radek's case in particular, it is reasonable to conclude that the impact on her of the discrimination she suffered from the repondents may have been especially severe. As in tort law, the perpetrator of discrimination takes its victim as it finds her. If past traumatic experience make a person more vulnerable to the effects of repeated instances of discrimination, it is the discriminator, not the victim, who must bear the compensatory burden.[589]

[552]     Dans le présent dossier, le Tribunal considère que les dommages moraux demandés doivent être individualisés en fonction de la preuve à l'audience. À cet égard, la victime ayant subi le plus grand préjudice moral est Marie-Claude Côté. Rappelons que celle-ci réussit l’entrevue en 1995; on lui dit alors qu’elle a le bon profil. Elle échoue toutefois, la même année, au test théorique. Madame Sylvie Richard lui dit qu’elle est une excellente candidate et qu’elle devrait prendre des cours en mathématiques et en physique en vue de repasser le test. Madame Côté participe au projet-pilote et échoue à nouveau au test théorique en 1996. Elle le réussit en 1997, à la suite de quoi elle subit l'examen médical, dernière étape avant l’embauche. Des restrictions sont inscrites sur son rapport médical. Sa candidature est rejetée. S'étant sentie «complètement démolie»[590] après l'abandon du projet-pilote et son second échec au test théorique, elle témoigne en ces termes par rapport à l'ensemble de sa démarche chez Gaz Métro:

Bien, ça a été comme la démarche la plus longue, là, que j’ai jamais faite, là, en fait de démarche d’emploi. […].

Ça m’a affectée de plein de façons, là. Au niveau surtout du projet-pilote, là. T’sais, j’avais fait tant d’efforts, là, puis, ça, là, ça me… ça m’a vraiment affectée intérieurement puis… t’sais, je me pose… je me pose des questions. […]

Je trouvais ça tellement inconcevable, là, que… c’est ça. Ça fait que ça m’a posé ça comme questionnement puis, suite à ça, j’ai fait un autre processus encore. Mais ce que je me dis aujourd’hui, là, puis ma question puis qu’est-ce qui me fait le plus de peine, là, là-dedans, dans tout ça là, c’est qu’en quatre-vingt-quinze (’95) là, j’étais… j’étais la meilleure puis on était prêt à faire un projet-pilote pour moi. Puis, en quatre-vingt-dix-sept (’97), je réussis sur les notes puis je suis pas prise. Ça, ça me dépasse, là. Ça fait que… je suis assez dépassée que… c’est ça. J’ai de la misère à exprimer ça, là, parce que c’est… En tout cas, ça m’a fait vivre toutes sortes de questionnements. Ça m’a fait vivre beaucoup de démarches, énormément de démarches puis, malgré toutes ces démarches-là, qu’il y ait rien qui se passe, là, c’est très décevant. Beaucoup de déception, là. Puis je trouvais que c’était pas sérieux puis…

[…]

Premièrement, qu’est-ce qui se passe? Il me semble que j’ai fait qu’est-ce que j’avais à faire puis… t’sais, c’est ça. Le questionnement, c’était intérieur, là, puis c’est tout le temps qu’est-ce qui s’est passé, pourquoi, puis c’est pas clair puis il y a personne qui me donne des explications puis je me sens comme un numéro puis… si on m’avait dit d’autre chose, peut-être que ça aurait été différent, mais là, c’est ça qu’on m’a dit, là, moi. Je fais avec, là, puis… t’sais? Des bons employeurs, il y en a pas des tonnes. C’est difficile pour une femme dans le non traditionnel, là, de se trouver une job, là. Dans le privé, ils ont pas de programme d’accès à l’égalité. On est-tu tous conscients de ça que ça… c’est difficile là. Ça, c’est dur à expliquer, mais c’est la réalité pareil, là. T’sais, tu fais un cours de monteur de lignes, où c’est que tu veux aller avec ça, là, à part à Hydro? Les contracteurs, c’est… c’est des gros bras, là. Ils te voient arriver, tu mesures cinq (5) pieds, là. Ils t’engagent pas, ce monde-là. Là, hein. Tu rencontres des barrières partout. Il y a où des programmes d’accès à l’égalité que tu peux t’intégrer? En tout cas, c’est pas mal ça.

[…]

Puis, faire des accroire de même, c’est ça que ça fait, t’sais? Les programmes d’accès à l’égalité, à c’t’heure, bien… je crois plus à ça, là. Excusez.[591]

 

[553]     Le Tribunal considère donc que la somme de 20 000,00$ demandée à titre de dommages moraux est appropriée dans le cas de madame Côté.

[554]     Gaz Métro devra par ailleurs verser respectivement à cinq autres victimes une somme de 15 000,00$.

[555]     Après avoir appris de madame Sylvie Richard qu'elle avait le profil idéal, madame Johanne Bolduc ne réussit le test théorique qu'à sa troisième tentative, en 1997. Elle échoue ensuite au test pratique, avec un résultat de 35%. L’évaluateur lui suggère d’aller acheter un «kit» d’électricité chez Radio Shack pour se préparer si elle veut repasser le test. Voici l'essentiel de son témoignage quant aux dommages subis:

En fait, je trouvais ça, bien, l’examen écrit, j’ai trouvé ça difficile. Bien, pas difficile dans le sens difficile à faire, mais de voir cet examen-là vis-à-vis un travail surtout manuel qu’il y aurait à faire… aussi, je savais qu’il y avait un peu de calculs à faire; mais, un, je trouvais que c’était un peu difficile de faire le lien entre les deux (2).

Mais je trouvais aussi que, avec les expériences que j’avais, c’était difficile de… moralement, parce que j’ai fait plein d’autres applications aussi. J’ai eu quelques entrevues. Partout, j’avais un peu comme le profil idéal, mais c’était jamais… Comment je dirais ça? J’avais un conjoint qui m’a beaucoup appuyée, parce que ça m’a découragée de passer trois (3) fois à travers le processus, finalement, et puis de voir que ça marchait pas. C’était assez difficile.

Effectivement, j’avais deux (2) jeunes enfants et puis j’ai été obligée de me trouver un travail à temps partiel pour être capable de boucler les fins de mois. Ce qui était pas facile non plus.

C’est un peu le rejet que j’ai vécu par rapport à Gaz Métropolitain.[592]

[556]     Malgré son permis à titre de pilote d'avion et ses emplois dans une ferme laitière et dans une érablière, madame Joan Dupont apprend de Jean-Pierre Raymond que ses expériences dans des emplois non traditionnels ne sont pas pertinentes et qu'elle n'a pas le profil. Elle avait déjà effectué des démarches pour obtenir le permis de conduire classe 3 et étudié en prévision des tests. Elle témoigne en ces termes:

 [J]’étais très déçue, parce que je m’étais préparée à passer ces tests-là. J’avais été dans les bibliothèques et le copain qui m’avait… qui m’avait appuyée dans mes démarches m’avait fourni aussi des livres, des livres d’électricité entre autres, puis il m’aidait dans l’apprentissage de ça en vue de mon examen.

[…]

Moi, je me sentais comme dans un point tournant en ce sens que j’avais… mon garçon, étant donné qu’il était rendu à onze (11) ans, je me sentais un peu comme à un tournant de carrière. Et suite à mes recherches d’emploi dans des clubs de recherche d’emploi puis par moi-même aussi, j’ai réalisé que le travail non traditionnel, c’était… en tout cas, c’était vers ça que j’avais le goût de m’aligner.

[…]

Pour moi… c’est parce que j’avais beaucoup de… je fondais quand même beaucoup d’espoir dans cet emploi-là. Pour moi, c’était comme relever vraiment un défi parce que j’étais bien consciente que j’étais pas… que… en tout cas, ça représentait réellement un défi que je voulais vraiment relever. Quand j’ai vu que ça a pas fonctionné, mais assez rapidement, que j’ai pas été très loin dans le processus, j’ai été très déçue. Mais c’est sûr que ça a un peu remis en question mon cheminement.

[…]

J’ai postulé à bien des endroits et tout le kit, mais je peux vous dire que d’avoir la réponse sur place, c’était la première fois que ça m’arrivait de ma vie et puis j’ai vraiment couru aux toilettes parce que j’ai… en tout cas, j’étais vraiment désolée, t’sais, parce que j’avais mis beaucoup d’effort. J’avais mis en branle un processus, justement, pour aller chercher ma classe 3 et tout le tralala. J’avais étudié.[593]

 

[557]     Madame Tania Plourde échoue au test écrit en 1995. Sylvie Richard lui dit qu’elle a le bon profil et lui suggère de soumettre de nouveau sa candidature après avoir suivi des cours de mathématiques et de physique. Elle obtient son permis de classe 2 mais malgré son intérêt, elle ne peut faire partie du projet-pilote car elle n’est pas dans les cinq meilleures candidates. Elle téléphone à plusieurs reprises à Sylvie Richard, qui lui dit chaque fois qu’il n’y a pas d’ouverture. Elle cesse de le faire à l’été 1996. Elle s’est remise en question et a finalement suivi un cours en techniques juridiques, qu’elle a terminé en 2000. Elle réalise alors qu'elle préfère vraiment le travail manuel et à l'extérieur et fait réactiver sa carte pour travailler dans l'industrie de la construction. Voici comment elle résume son expérience  chez Gaz Métro:

Au départ, j’ai été emballée, j’ai été, comme je voulais dire tantôt, boostée, j’étais comme crinquée. J’ai dit : « Bon… » J’ai dit… Je voyais ça comme une belle opportunité de connaître autre chose, de voir, d’apprendre. Et puis c’est tout au long du processus, bien, j’ai désenchanté tranquillement, pas vite. Je me suis dit… Je me suis même posé la question à savoir : « Veulent-ils vraiment? » T’sais…

C’est ça, ça m’a fait… j’ai même eu une perte de confiance à un moment donné. C’est ça je disais tantôt, t’sais. Je suis retournée au cégep par rapport à ça. Je me demandais. J’ai dit : « Coudon, t’sais, peut-être je me suis trompée, là. Peut-être je suis pas faite pour ça. » T’sais, j’ai vraiment… en tout cas. Moi, je me suis… Ça m’a découragée, ça… C’est ça, vraiment perte de confiance.

De m’avoir fait dire que j’étais… j’avais comme le profil idéal, que je serais… Puis c’est la façon aussi dont ça a été dit, dont ça a été amené. Puis c’est tout un paquet d’événements, de sous-entendus, de regards, qui fait en sorte que, oui, crime, t’sais, probablement, t’sais, j’aurais une chance de voir, de connaître autre chose. Puis c’est une bonne compagnie, Gaz Métropolitain. Il faut pas se le cacher non plus. C’est comme Hydro-Québec. Pour finalement, c’est ça, me faire dire que : « Bien, là, écoute, rappelle, puis rappelle, puis rappelle. » Bien, là, bien… vraiment découragée.[594]

[558]     En 1995, madame Shirley Thomas passe avec succès l'entrevue au cours de laquelle on lui dit qu'elle a le profil idéal; elle a alors sa propre entreprise d'émondage d'arbres. Elle échoue la même année au test théorique, puis participe au projet-pilote. Elle réussit le test théorique en 1996, mais échoue au test pratique[595]. Elle essaie à nouveau l'année suivante, mais échoue alors au test théorique. Selon son témoignage:

Ça a été effrayant. Ils nous ont gonflé la tête puis on a abouti à rien. Je me suis sentie écrasée, bonne à rien. Je n’en suis pas revenue après les notes que j’ai pétées au DEC, qu’il était incroyable d’avoir des notes de même. En tout cas, t’sais, j’ai eu une écoeurantrie aiguë d’eux autres et de toutes les autres compagnies dans le non-traditionnel, parce qu’à chaque fois que tu te présentes, t’sais, c’est toujours pareil, t’sais. Il y a jamais rien qui se passe. Avez-vous peur de vous salir, madame? S’ils me verraient après une journée de travail, là…

[…]

Ça fait que… découragée, brisée.[596]

[559]     Quant à madame Line Beaudoin, elle assiste en 1995 à une réunion d’information à la suite de laquelle elle est convoquée en entrevue. Quelques jours plus tard, Sylvie Richard lui laisse un message, sur son répondeur téléphonique, et l'informe qu'elle n’a pas le profil de l’emploi et qu’elle n’est pas retenue :

Non, j’ai pas eu la possibilité d’aller à une prochaine étape dans le processus de sélection. Et j’aurais bien aimé pouvoir franchir cette étape, d’aller voir, de pouvoir faire des tests écrits ou des tests physiques pour pouvoir avoir la chance pour moi de vérifier à ce niveau-là. Parce que c’est comme… enfin, j’aurais aimé pouvoir vérifier cet aspect-là. Pour moi, c’était quelque chose d’important.

[…]

En fait, quand j’ai eu à retrouver tous mes papiers, dont mes rapports d’impôt, j’ai réalisé que, depuis mil neuf cent quatre-vingt-quinze (1995), je m’appauvris, alors, comme bien des gens, d’ailleurs, mais c’est que si j’avais eu accès à ce poste, définitivement que, sur le plan financier, il y aurait eu une nette amélioration, en ce qui me concerne, et également sur

le plan de ma qualité de vie.

Donc, j’ai dû me restreindre, diminuer au niveau, là… des fois, parfois, des diminutions drastiques pour pouvoir arriver à boucler… à boucler ma fin d’année financière. J’ai dû utiliser… il y a des gens qui m’ont aidée financièrement.

Alors ça a été des années particulièrement difficiles entre mil neuf cent quatre-vingt-quinze (1995) et mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit (1998). J’ai fait beaucoup de démarches au niveau de recherche d’emploi. Le marché de l’emploi étant ce qu’il est, c’est pas toujours facile, même si on a une formation précise.

Donc, pour moi, de pouvoir travailler dans un poste, même s’il était non traditionnel, et avec ce que Gaz Met semblait demander au niveau des compétences, il me semblait que c’était tout à fait accessible pour moi, cet aspect-là.

[…]

Donc, j’ai tout simplement eu une grande déception et aussi une atteinte en quelque part à ma dignité en tant que femme, parce que c’est comme si on me disait, parce que je suis femme, je n’ai pas accès à ce poste, tout simplement. Alors, moi, c’est comme ça que je l’ai vécu, vraiment beaucoup comme du rejet.

[…]

Bien, en fait, c’est parce que je me dis : parce que je suis de sexe féminin, je n’ai pas les mêmes chances, simplement par mon sexe, d’occuper un poste qui serait bien rémunéré, stable, avec une sécurité d’emploi, avec des avantages sociaux, comme on connaît bien quand même Gaz Met, que c’est une compagnie qui a une très bonne réputation à ce niveau-là. Alors, pour moi, c’était un espoir de pouvoir accéder à tout ça, à ces avantages.

[…]

Oui, c’est que moralement, un moment donné, je me suis retrouvée comme sans filet aussi. Malgré le fait que j’ai des amis et tout ça, c’est qu’il faut un certain minimum d’argent pour vivre et c’est qu’on se remet en question, définitivement. Donc, ça a été une période, je dirais, plutôt noire pour moi.

Et aussi le fait que, dans mes autres démarches, il y avait pas nécessairement… j’ai eu des petits bouts de contrat ici et là, mais j’ai… je trouvais ça difficile, comme une insatisfaction aussi pour moi-même en me disant… c’est comme si j’avais de la difficulté à réussir à faire ma place et à me faire vivre convenablement.[597]

[560]     Finalement, le Tribunal évalue à 10 000,00$ le préjudice moral subi par Nicole Trudel. Celle-ci échoue d'abord au test théorique en 1995, puis en 1997. Voici la preuve qui se dégage à ce sujet de son témoignage:

Bien, moi c’est un travail que je voulais, c’est sûr. C’était un bon travail, puis j’aime le travail physique et j’aime la conduite aussi. C’est vraiment un travail que je visais, là, pour à long terme.

[…]

C’est sûr qu’il y a eu une déception parce que je misais beaucoup sur ce travail-là, étant donné que… j’étais vraiment encouragée parce que je trouvais vraiment que j’avais ce qu’il fallait pour faire ce métier-là. Puis, oui, j’étais très déçue de… que ma candidature ait pas été retenue.[598] 

             4.2.3 Les dommages punitifs

[561]     La Charte sanctionne de manière particulière les actes discriminatoires exercés de manière intentionnelle. Sur preuve d'une telle situation, un tribunal peut condamner l’auteur de la discrimination à des dommages-intérêts punitifs visant notamment à produire un effet dissuasif pour l'avenir. Tel qu'établi par la Cour suprême, une atteinte illicite au droit à l'égalité en emploi est aussi intentionnelle

lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera.  Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.[599]

[562]     Dans l'affaire Green, le Tribunal canadien des droits de la personne mentionne le préjudice moral que dix années de discrimination institutionnelle ont causé à la victime, qui était évaluée «comme étant entièrement dévouée et engagée» et avait continué de démontrer une grande conscience professionnelle dans l'exercice de ses fonctions. Le Tribunal souligne l'impact plus profond du refus de l'employeur de tenir compte de son handicap, refus «exacerbé par son attitude et ses pratiques»:

 [S]elon toute probabilité, l'évaluation personnelle que faisait Mme Green, savoir que sa carrière avait pris fin, était exacte. Les actes discriminatoires commis par l'employeur ont amené la carrière de Mme Green à ne pas évoluer pendant dix ans. Sa carrière, dans ses propres mots, était devenue «un simple emploi». […] Si ce n'avait été des actes discriminatoires commis par son employeur, il est tout probable que sa carrière aurait connu un plus grand épanouissement et que des promotions l'auraient fait avancer bien au-delà du niveau PM-6 dans son cheminement. [600]

[563]     En conséquence, le Tribunal canadien ordonne aux intimées de verser à la victime la somme maximale de 5 000,00 $ prévue à l'époque, au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne,[601] en cas d'acte «délibéré ou inconsidéré».

[564]     Dans l'affaire Action travail des femmes[602] par ailleurs, le Tribunal canadien des droits de la personne conclut que le caractère intentionnel de pratiques d'embauche discriminatoires constitue un élément pertinent par rapport à la discrétion dont il dispose pour imposer ou non un programme d'accès à l'égalité. Rappelons qu'à la lumière d'un rapport préparé à sa demande sur la situation des femmes dans l'entreprise, le Tribunal conclut que le Canadien National a établi ses pratiques d'embauche en connaissant leurs effets d'exclusion.

[565]     Tel que mentionné plus tôt, le Tribunal considère en l'espèce que le personnel des opérations qui a conçu et administré les concours de recrutement tenus, de 1995 à 1997, chez Gaz Métro ne possédait ni les connaissances et encore moins l'expertise nécessaires à la mise en place d'un processus efficace de recrutement de femmes dans le poste de préposé réseau.

[566]     En ce qui concerne la haute direction de l'entreprise, rappelons d'abord que Gaz Métro connaissait, dès 1989, la nécessité de corriger différentes règles et pratiques d'embauche en procédant à une validation critériée de ses tests et outils de sélection[603]. Mentionnons aussi sa participation au programme fédéral d'obligation contractuelle, implanté dans la foulée des suites données au rapport Abella (1984) et de l'arrêt Action Travail des femmes (1987) relativement à la discrimination systémique en emploi envers les femmes. Dans ce contexte, Gaz Métro ne pouvait ignorer l'étendue du problème chronique de sous-représentation des femmes dans les emplois manuels et la nécessité, dans ce contexte, de mettre en œuvre des mesures correctives à la mesure de ce phénomène complexe.

[567]     En 1995, ce problème de sous-représentation existe toujours. Pourtant, lorsque l'entreprise décide de recruter prioritairement des femmes, elle confie à des employés non formés en la matière la responsabilité de mener à bien un processus de recrutement qui, deux ans plus tard, se solde par un nombre négligeable de femmes nouvellement embauchées.

[568]     Hormis le rôle joué par madame Carole Magnan, la preuve au dossier est silencieuse sur l'implication de la haute direction dans ce dossier que, à titre de chef de file au sein des entreprises québécoises, Gaz Métro aurait assurément dû piloter avec plus de rigueur et de professionnalisme. Le Tribunal a également noté l'absence complète de hauts dirigeants de Gaz Métro tout au long du procès au cours duquel plusieurs témoins ont fait état des pratiques d'embauche de l'entreprise et de leurs effets disproportionnés d'exclusion sur les candidates au poste de préposé réseau de 1995 à 1997.

[569]     Pour l'ensemble de ces motifs, le Tribunal considère donc que Gaz Métro a manifesté plus qu'une simple négligence et davantage qu'une insouciance déréglée et téméraire. Malgré ses obligations légales dont elle ne pouvait ignorer la portée, l'entreprise s'en est en quelque sorte remise à quelques uns de ses employés et, malgré l'absence de résultats probants, elle a laissé les opérations se poursuivre sans réflexion approfondie sur les causes des difficultés rencontrées et sur les moyens d'y remédier efficacement. Dans ce contexte, le Tribunal considère que l'entreprise ne pouvait que connaître les conséquences «extrêmement probables» de ses décisions et de ses actes.

[570]     En conséquence, les victimes du présent dossier sont en droit d'obtenir des défenderesses des dommages punitifs, autrefois dits «exemplaires» en raison du caractère d'exemplarité et de l'effet dissuasif visés par cette mesure de réparation. En ce qui concerne madame Marie-Claude Côté, qui a cheminé dans un processus discriminatoire et dont l'embauche a été écartée au motif de sa grossesse, le Tribunal accorde la totalité du montant demandé à titre de dommages punitifs, soit 10 000,00 $. Gaz Métro devra également verser 7 500,00 $ à ce titre à chacune des six autres victimes.

        L’intégration en emploi et autres mesures

[571]     L'article 49 de la Charte prévoit aussi le droit de la victime d'une atteinte illicite d'en obtenir la cessation. En matière de discrimination à l'embauche ou en cours d'emploi, son application a donné lieu à des mesures de réparation distinctes de celles du droit commun:

En droit privé, la réintégration en emploi d'un employé congédié de manière discriminatoire ou démis de ses fonctions au motif de son refus de souscrire à des avances sexuelles non désirées participe ainsi de cet objectif de correction d'une violation de droits fondamentaux. Afin de donner effet à la nouveauté des recours et des applications pouvant découler de cette disposition, les tribunaux québécois ont ainsi écarté la règle traditionnelle selon laquelle un congédiement fautif ne peut donner lieu à une réintégration par ordonnance judiciaire. Ce faisant, ils ont reconnu à une victime d'un congédiement discriminatoire la possibilité d'être réintégrée dans son emploi, une telle injonction mandatoire constituant le moyen approprié d'obtenir la cessation de l'atteinte au droit protégé par la Charte.[604]

[572]     Dans l'arrêt Larocque[605], la Cour suprême détermine ainsi les mesures de réparation que le Tribunal pouvait ordonner dans une situation où la discrimination fondée sur le handicap d'un aspirant policier découlait d'une norme d'embauche prévue dans un règlement provincial. Ce faisant, elle considère que la Cour d'appel n'aurait pas dû se restreindre à un redressement purement déclaratoire en concluant qu'aucune ordonnance de faire cesser l'atteinte ne pouvait être émise en l'absence d'acte fautif. Selon le juge LeBel, aux motifs desquels la Cour souscrit:

[D]es régimes législatifs comme la Charte québécoise exigent à l'occasion des interventions qui ne relèvent nullement du droit de la responsabilité civile. Il faut parfois mettre fin à des comportements ou modifier des usages ou des méthodes incompatibles avec la Charte québécoise, même en l'absence de faute au sens du droit de la responsabilité civile. Le droit des libertés civiles peut recourir au droit de la responsabilité civile, dans les conditions qui s'y prêtent. Le droit de la responsabilité délictuelle ne fixe pas pour autant les limites des applications du droit des libertés civiles. Ainsi, dans le cadre de l'exercice des recours appropriés devant les organismes ou les tribunaux compétents, la mis en œuvre de ce droit peut conduire à l'imposition d'obligations de faire ou de ne pas faire, destinées à corriger ou à empêcher la perpétuation de situations incompatibles avec la Charte québécoise.[606]

[573]     Dans les autres juridictions au Canada, les tribunaux spécialisés chargés d'accorder des réparations en cas d'atteintes aux droits de la personne sont aussi habilités à ordonner des mesures visant à faire cesser une atteinte. Comme le notent certains auteurs: «Such remedial powers include the power to reinstate and where the individual has lost promotional opportunities, the tribunal may even reinstate that person at a higher position»[607].

[574]     Dans l'affaire Uzoaba[608], la division de première instance de la Cour fédérale confirme ainsi une ordonnance à cet effet du Tribunal canadien des droits de la personne, qui avait conclu que le Service correctionnel du Canada avait évalué un employé de manière discriminatoire, au motif de sa race. Monsieur le juge Rothstein, nommé depuis à la Cour suprême, maintient en effet l'ordonnance visant à réintégrer ce dernier dans un emploi de niveau supérieur à celui qu'il occupait «dès que les circonstances le permettent». Il rappelle à cette fin la préséance des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne sur celles de la loi fédérale sur l'emploi dans la fonction publique, ainsi que le fait que le Tribunal a formulé son ordonnance en conformité avec la preuve dont il disposait:

[L]a compétence de la Commission de la fonction publique et la procédure qui doit normalement être suivie pour l'octroi des promotions au sein de la fonction publique n'ont pas préséance dans ces rares cas où des promotions ont été refusées pour des motifs discriminatoires et où un tribunal, exerçant la compétence qui lui est conférée par la Loi, ordonne qu'une promotion soit accordée à une personne afin de corriger les effets de l'acte discriminatoire de l'employeur. […]

Bien qu'une ordonnance de rétablissement à un niveau supérieur constitue une réparation extraordinaire, elle est, à mon avis, permise par la Loi à condition que l'ordonnance respecte la limite créée par l'expression "dès que les circonstances le permettent" ainsi que les autres limites prévues dans la Loi. […]

Certains éléments de preuve indiquaient qu'il existait une possibilité sérieuse que M. Uzoaba aurait atteint le niveau WP-5 au moment de la décision du Tribunal.[609]

[575]     L’affaire Green[610] fournit aussi un exemple de ce type de réparations en contexte de discrimination systémique. En effet, le Tribunal canadien des droits de la personne ajoute à l'octroi de dommages matériels et punitifs diverses ordonnances supplémentaires dont: la nomination immédiate, sans concours et pour une durée indéterminée, de madame Green à un poste de niveau supérieur à celui qu'elle occupait; le versement concomitant du salaire correspondant même dans l'éventualité où aucun poste de cette nature ne serait libre dans l'immédiat; l’admission au programme de cours de français auquel elle avait été refusée; le retrait et la destruction, de tout dossier détenu par l'employeur, du pronostic négatif qu'elle avait obtenu aux tests d’aptitude linguistique; son inscription à un cours de gestion adapté à son nouveau poste, et ce, en prévision de son avancement ultérieur à des niveaux de cadre dans la fonction publique fédérale.

[576]     Selon la preuve au dossier en l'espèce, Marie-Claude Côté aurait été embauchée comme préposée réseau n'eut été de la discrimination, fondée sur sa grossesse, qu'elle a subie. En conséquence, le Tribunal considère tout à fait approprié d'ordonner à Gaz Métro d'embaucher cette dernière à titre de préposée réseau, ou dans le poste équivalent actuel, dès qu'un tel poste sera ouvert, et ce, avec reconnaissance rétroactive au mois d'octobre 1997 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris les droits au fonds de pension et l'ancienneté non concurrentielle de manière à ne pas affecter les droits de tiers.

[577]     En ce qui concerne les autres victimes, deux d'entre elles ont été exclues dès l'entrevue préalable[611], deux autres à l'examen théorique[612] et les deux dernières à l'examen écrit[613]. Comte tenu des conclusions du Tribunal relativement au caractère discriminatoire de l'entrevue préalable et de l'examen pratique, toutes ces candidates étaient soumises à un processus de sélection dont elles étaient susceptibles d'être exclues en raison de la discrimination exercée au tout début de ce dernier, lors de l'entrevue préalable, ainsi qu'à son terme, lors de l'examen pratique. Dans ce contexte, aucune de ces candidates n'a pu démontrer si elle possédait les qualités et aptitudes requises pour exécuter les tâches du poste de préposé réseau, ou son équivalent actuel.

[578]     En conséquence, le Tribunal considère qu'elles doivent être réintégrées dans un processus de sélection exempt de biais discriminatoires, et ce, à l'étape où elles se seraient trouvées n'eût été de la discrimination exercée à leur égard. De plus, Gaz Métro devra offrir un poste de préposé réseau, ou son équivalent actuel, à celle(s) qui aura(ont) réussi les étapes à compléter de ce processus, et ce, dès qu'un tel poste deviendra disponible.

 

SECTION 5.   LE DISPOSITIF

 

CONSIDÉRANT que les parties défenderesses, par le système de recrutement et de sélection utilisé pour combler les postes de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ont porté atteinte au droit à l'égalité en emploi des victimes contrairement aux articles 10, 16 et 86 de la Charte des droits et libertés de la personne;

 

CONSIDÉRANT que le processus de recrutement et d'embauche des parties défenderesses comporte de la discrimination systémique ayant pour effet d'exclure de manière disproportionnée les femmes de l'emploi manuel de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

 

CONSIDÉRANT l'obligation des parties défenderesses d'offrir un milieu de travail exempt de discrimination et qui assure une représentation des femmes correspondant à leur taux de disponibilité dans les emplois manuels;

 

CONSIDÉRANT la nécessité de réviser le processus de recrutement, les critères d'embauche et les outils de sélection pour le poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, afin:

q  d'en éliminer les biais et exigences qui sont discriminatoires à l'égard des femmes sans être justifiés par les qualités et aptitudes requises pour un tel poste;

q  qu'ils établissent une corrélation adéquate entre l'obtention d'une note plus élevée aux tests d'embauche et un meilleur rendement;

q  qu'ils permettent le recrutement et l'embauche de candidates ayant les qualités et aptitudes essentielles requises pour occuper un tel poste;

 

CONSIDÉRANT que l'intégration des femmes dans des emplois non traditionnels exige le recours à des outils et à des méthodes de travail qui leur sont adaptés tout en permettant l'exécution sûre et efficace du travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

 

ACCUEILLE pour partie la demande;

 

ORDONNE aux parties défenderesses:

 

D'ÉLABORER dans un délai de trois (3) mois, en consultation avec la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, un programme d'accès à l'égalité conforme aux prescriptions de la Charte des droits et libertés de la personne et au Règlement sur les programmes d'accès à l'égalité et comportant notamment les mesures ci-après énoncées;

 

D'EMBAUCHER prioritairement, conformément aux modalités établies dans ledit programme d'accès à l'égalité, les femmes ayant les qualités et aptitudes essentielles requises pour exercer le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, et ce, selon un taux de nomination préférentielle établi à 40 % à moins que les données recueillies ne divergent de manière significative de celles analysées par le témoin expert Erika Boukamp Bosch;

 

DE DRESSER, lors de recrutements pour le poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, deux listes de candidatures, l'une pour les candidates et l'autre pour les candidats ayant les qualités et aptitudes essentielles pour l’emploi, les candidatures sur chaque liste étant placées selon un ordre déterminé par les résultats obtenus aux outils et tests de sélection satisfaisant à une validation critériée;

 

DE CESSER d'exiger que les candidates et les candidats au poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, détiennent préalablement un permis de conduire classe 3;

 

DE CESSER d'exiger que les candidates au poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, possèdent une expérience préalable dans un emploi non traditionnel;

 

DE S'ASSURER que les tests d'embauche et les outils de sélection soient soumis à une validation critériée afin que seules les qualités et aptitudes essentielles pour effectuer le travail de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, soient requises;

 

D'ADOPTER les mesures nécessaires pour que les responsables de la conception et de l'administration des entrevues et des tests pratiques aient des instructions claires et précises visant à traiter les candidates au poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, sans discrimination fondée sur le sexe;

 

DE MODIFIER le système d'entrevue afin d'en retirer les questions ayant un effet discriminatoire à l'égard des candidates au poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

 

DE MODIFIER l’examen théorique afin d’en retirer les questions, tirées du test Bennett, ayant un effet discriminatoire à l’égard des candidates au poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent;

 

D'ADAPTER aux caractéristiques physiques des femmes les tests de sélection, les outils et les méthodes de travail respectivement utilisés dans le cadre du recrutement, du Programme de formation technique réseau et de l'emploi de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, et ce, tout en permettant l'exécution sûre et efficace du travail effectué de différentes manières dans un tel poste;

 

DE METTRE SUR PIED un comité pour contrer le harcèlement sexuel et sexiste au travail qui comporte une représentation de femmes Préposées réseau/Stagiaires réseau ainsi que de la direction de l'entreprise;

 

DE DÉPOSER au Tribunal, dans un délai de trois (3) mois, ledit programme d'accès à l'égalité comprenant notamment les mesures mentionnées afin qu'il s'assure de sa conformité à la Charte des droits et libertés de la personne et au Règlement sur les programmes d'accès à l'égalité et, le cas échéant, qu'il le modifie à cette fin;

 

ET DE PLUS, LE TRIBUNAL ORDONNE aux parties défenderesses:

 

DE VERSER à madame Marie-Claude Côté:

q   des dommages matériels correspondant à une perte salariale de six mois encourue à compter d'octobre 1997, ce montant devant être établi conformément au rapport de l'expert comptable Marc Fortier;

q   dans l'éventualité où elle subirait un préjudice fiscal, un montant additionnel établi selon la méthode de l'expert Richard Joly pour compenser ce préjudice;

 

DE VERSER à mesdames Johanne Bolduc et Shirley Thomas une somme de 10 000,00 $ à titre de dommages matériels correspondant à une perte de chance de faire valoir leurs aptitudes et qualités pour occuper un emploi de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau sans être assujetties à un processus de sélection comportant des biais discriminatoires;

 

DE VERSER à mesdames Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Nicole Trudel et Tania Plourde, une somme de 5 000,00 $ à titre de dommages matériels correspondant à une perte de chance de faire valoir leurs aptitudes et qualités pour occuper un emploi de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau sans être assujetties à un processus de sélection comportant des biais discriminatoires;

 

DE VERSER à madame Marie-Claude Côté un montant de 20 000,00 $ en compensation du préjudice moral qu'elle a subi en raison de la discrimination fondée sur le sexe et sur la grossesse exercée à son endroit;

 

DE VERSER à mesdames Line Beaudoin, Johanne Bolduc, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Shirley Thomas un montant de
15 000,00 $ en compensation du préjudice moral qu'elles ont subi en raison de la discrimination fondée sur le sexe exercée à leur endroit;

 

DE VERSER à madame Nicole Trudel un montant de 10 000,00 $ en compensation du préjudice moral qu'elle a subi en raison de la discrimination fondée sur le sexe exercée à son endroit;

 

DE VERSER à madame Marie-Claude Côté un montant de 10 000,00 $ en raison du caractère intentionnel de l'atteinte illicite portée à son droit de ne pas subir de discrimination à l'embauche fondée sur le sexe et la grossesse;

 

DE VERSER à mesdames Shirley Thomas, Line Bolduc, Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel un montant de 7 500,00 $ en raison du caractère intentionnel de l'atteinte illicite portée à leur droit de ne pas subir de discrimination à l'embauche fondée sur le sexe;

 

D'EMBAUCHER madame Marie-Claude Côté dans un poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou poste équivalent, dès qu'un tel poste sera ouvert, avec reconnaissance rétroactive au mois d'octobre 1997 de tous les droits et privilèges afférents à ce poste, y compris l'ancienneté non concurrentielle et les droits au fonds de pension;

 

DE RÉINTÉGRER dans un processus de sélection exempt de discrimination mesdames Shirley Thomas, Line Bolduc, Line Beaudoin, Johanne (Joan) Dupont, Tania Plourde et Nicole Trudel, et ce, à l'étape où elles se seraient trouvées n'eût été de la discrimination exercée à leur égard et, dans l'éventualité où elles réussissent, de leur OFFRIR un poste de Préposé(e) réseau/Stagiaire réseau, ou son équivalent actuel, dès que de tels postes seront ouverts;

 

LE TOUT avec les intérêts et l'indemnité additionnelle, conformément à l'article 1619 C.c.Q., à compter de la signification de la proposition de mesures de redressement ainsi que les entiers dépens, incluant les frais d'experts, le cas échéant, tant pour leur présence à la Cour que la préparation de leur rapport.

 

 


 

 

__________________________________

Michèle Rivet, présidente

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Béatrice Vizkelety

Me Athanassia Bitzakidis

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

360, rue St-Jacques, 3ème

Montréal, Qc  H2Y 1P5

Pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse-partie demanderesse

 

Me Pierre-L. Baribeau

Me Véronique Morin

Lavery, de Billy

1, Place Ville-Marie, # 4000

Montréal, H3B 4M4

Pour Gaz Métropolitain Inc et

Société en commandite Gaz Métropolitain-Parties défenderesses

 

Me Annick Desjardins

Syndicat Canadien de la Fonction Publique

565, Boul. Crémazie est, #7100

Montréal, Qc  H2M 2N9

Pour Action Travail Des Femmes du Québec Inc-Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Me Suzanne P. Boivin

200, avenue Laurier ouest, #475

Montréal, Qc.   H2T 2N8

Pour Me Rachel Cox et avocate conseil pour Action Travail Des Femmes du Québec Inc-Partie plaignante devant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

 

Me Lise Lanno

Pépin & Roy

2100, de Maisonneuve Est, #501

Montréal, Qc   H2K 4S1

Pour le syndicat des employés de Gaz Métropolitain Inc (CSN)-Partie intéressée

 

Dates

d’audience :

 

2004-10-25 / 2004-11-01 / 2005-01-31 / 2005-02-01 au 2005-02-03 / 2005-02-07 au 2005-02-09 /
2005-02-11 / 2005-02-15 au 2005-02-18 / 2005-02-21 / 2005-02-25 / 2005-02-28 / 2005-03-01 / 2005-03-04 / 2005-03-15 / 2005-05-30 et 2005-05-31 / 2005-06-01 / 2005-06-09 / 2006-01-16 au 2006-01-18 / 2006-01-24 au 2006-01-27 / 2006-02-07 / 2006-02-09 / 2006-02-17 / 2006-02-22 / 2006-04-18 au 2006-04-20 /
2006-06-19 et 2006-06-20 / 2006-09-11 au 2006-09-15 / 2006-10-10 et 2006-10-11 / 2006-12-08 /
2006-12-12 / 2007-01-09 et 2007-01-10 / 2007-01-12

 


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LA PARTIE DEMANDERESSE

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE

 

 

Commission canadienne des droits de la personne et Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, (1998) CHRR D/98-057;

 

Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114;

 

Commission des droits de la personne du Québec c. Commission scolaire régionale Chauveau, [1993] R.J.Q. 929 (T.D.P.Q.);

 

Commission scolaire régionale Chauveau c. Commission des droits de la personne du Québec, [1994] R.J.Q. 1196 (C.A.);

 

Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3;

 

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665;

 

COMMISSION ONTARIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE (CODP), Politique et directives sur le racisme et la discrimination raciale, 9 juin 2005, 43, http://www.ohrc.on.ca;

 

Agocs, C., Racisme émergeant en milieu de travail : Preuve qualitatives et quantitatives d’une discrimination systémique, (2004) 3 : 3 Diversité canadienne 27;

 

 Action travail des femmes c. Canadien National, (1984) 5 C.H.R.R. D/2327 (T.D.P.C.);

 

Central Okanagan School District no. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970;

 

Premakumar c. Air Canada, D.T.E. 2002T-659 (T.C.D.P.);

 

Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1999] 1 R.C.S. 497;

 

Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., 2007 CSC 15;

 

Société de l’assurance automobile du Québec c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2005] R.J.Q. 11 (c.a.);

 

Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d’EtobicoKe, [1982] 1 R.C.S. 202;

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Industries acadiennes inc., [2006] R.J.D.T. 473 (T.D.P.Q.);

 

Université Laval c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2005] R.J.Q. 347 (C.A.);

 

Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3;

 

Sinclair c. Bacon, [1994] R.J.Q. 289 (C.A.);

 

Québec (Comm. des droits de la personne) c. Société d’électrolyse et de chimie Alcan ltée, [1987] D.L.Q. 340 (C.A.);

 

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789;

 

Roy c. Québec (Ministère des Transports), [1994] C.A.L.P. 1645; Montréal (Ville de) -et-

Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301, D.T.E. 97T-1078 (T.A.);

 

Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 5e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais inc., 1998;

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général), [2005] R.J.D.T. 1110 (T.D.P.Q.);

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Nicolet (Ville de), [2001] R.J.Q. 2735 (T.D.P.Q.);

 

Malhab c. Métromédia C.M.R. Montréal inc., [2003] R.J.Q. 1011 (C.A.);

 

Syndicat des employées et employés de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 (SCFP-FTQ) c. Fontaine, J.E. 2007-149 (C.A.);

 

Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l’Hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211;

 


AUTORITÉS TELLES QUE CITÉES PAR LES PARTIES DÉFENDERESSES

GAZ MÉTROPOLITAIN INC. ET SOCIÉTÉ EN COMMANDITE GAZ MÉTROPOLITAIN

 

1)            LA DISCRIMINATION : NOTION, PRÉSOMPTION ET ACCOMMODEMENT RAISONNABLE

 

Action Travail des Femmes c. Canadien National, (1984) 5 C.H.R.R. D/2327;

 

Action Travail des Femmes c. Canadien National, [1987] 1 R.C.S;

 

Anctil et industries Malbec inc., D.T.E. 2005T-279 (C.R.T.);

 

Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143;

 

Calgary (City) vs. Weitmann, (2001) 45 C.H.R.R.D/155;

 

Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970;

 

Centre universitaire de santé McGill (Hôpital Général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’hôpital Général de Montréal, [2007] C.S.C. 4;

 

Colombie Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3;

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Institut Demers inc., [1999] R.J.Q. 3101;

 

Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536;

 

Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525;

 

Commission scolaire St-Jean-sur-Richelieu c. Commission des droits de la personne du Québec, [1994] R.J.Q. 1227 (C.A.);

 

Compagnie Minière Québec-Cartier c. Commission des droits de la personne du Québec, REJB 1998-0915 (C.A.);

 

Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada Inc., 2007 CSC 15;

 

Drolet c. Lelièvre, R.E.J.B. 2001-27488 (C.S.);

 

Hadji c. Montréal (Ville de), D.T.E. 96T-1321 (T.D.P.);

 

J. (M.)  vs. Companion, (2002) 214 NFLD. *P.E.I.R. 183. (C.A.);

 

Lavoie c. Boudreau, J.E. 84-736 (C.A.);

 

Longpré c. Thériault, [1979] C.A. 258;

 

Morris vs Canada (Armed Forces), 2001 CarswellNat 3502 (TCDP);

 

Premakumar c. Air Canada, 2002 IIJCan 23561 (TCDP);

 

Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Ville de), [2000] 1 R.C.S. 665;

 

 Québec (CDPDJ) c. Québec (P.G.), [2004] 2 R.C.S. 185;

 

Québec (Ville de) c. C.D.P., [1989] R.J.Q. 831 (C.A.);

 

Rousseau c. Tremblay, R.E.J.B. 2001-23051 (C.S.);

 

Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (F.T.Q.) et Sœurs de la présentation de Marie, province de Montréal, D.T.E. 2005T-942 (T.A.);

 

Syndicat des professionnelles et professionnels du réseau de la santé et des services sociaux de l’Outaouais (CSN) et CLSC de Hull, D.T.E. 2002T-1025 (T.A.);

 

Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (F.T.Q.) et Centre d’hébergement St-Georges, D.T.E. 2006T-942 (T.A.);

 

 Vallée c. Commission scolaire Vallée-de-Mistassini, D.T.E. 95T-982 (T.D.P.).

 

2)            LA THÉORIE DES «MAINS PROPRES»

 

Galvan Metal inc. c. Ville de Saint-Léonard, EYB 1989-76788 (C.S.);

 

Syndicat des employés de magasins et de bureau de la Société des alcools du Québec c. Société des alcools du Québec, EYB 1992-75078 (C.S.);

 

Trudel c. Clairol Inc. of Canada, [1975] 2 R.C.S. 237.

 

 

 

 

 

3)            LE STATUT PARTICULIER DE LA COMMISSION À TITRE D’ORGANISME GOUVERNEMENTAL D’ENQUÊTE AGISSANT EN POURSUITE

 

Alberta Human Rights and Citizenship Commission v. Alberta Motor Association, [1998] A.G. No. 1375;

 

Anonuevo v. General Motors of Canada Ltd. (No. 3), (1998) 32 C.H.R.R. D/322;

 

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Centre de la petite enfance Les Pandamis (Gardeurois), 2006 QCTDP 11;

 

IMP Group Ltd. v. Dillman, [1995] N.S.J. No. 326, (C.A.);

 

Ontario (Human Rights Commission) v. Ontario (Board of Inquiry into Northwestern General Hospital), [1994] 115 D.L.R. (4th) 279;

 

Morris Manning, “Abuse of Power by Crown Attorneys” dans The Abuse of Power and the Role of the Independent Judicial System in its Regulation and Control, Richard de Boo Limited, 1979 (extraits).

 

4)            LES EXIGENCES D’IMPARTIALITÉ ET D’OBJECTIVITÉ D’UN EXPERT

 

Beaudoin c. Banque de développement du Canada, REJB 2004-54067 (C.S.);

 

Béchard, Donald; L’expert : recevabilité, qualification et force probante, Congrès annuel du Barreau du Québec 2002;

 

Couture c. Général Accident, REJB 2000-19815 (C.S.);

Fortin c. Compagnie d’assurances Wellington, B.E. 2000BE-416 (C.S.);

 

M. (D.) c. B. (D.), REJB 1999-11836 (C.S.);

 

Poulin c. R., [1975] C.A. 682;

 

Protection de la jeunesse - 763, J.E. 95-1202 (C.Q.);

 

Royer, Jean-Claude, La preuve civile, 3e édition, Yvon Blais.

 

5)            LA RÈGLE AMÉRICAINE DES 4/5 (EEOC)

 

 

W. BIEDZYNSKI, Kenneth et al. American Jurisprudence : A modern comprehensive text statement of American Law, second edition, Édition Thomson West, Volume 45A, Job discrimination, 2002, p.410-413;

 

Clady v. County of Los Angeles, 70 F. 2d 1421, United States Court of Appeals for the Ninth Circuit (1985);

 

Jones c. Pepsi-Cola Metropolitan Bottling Company, 871 F. Supp. 305 United States Court for the District of Michigan (1994);

 

Perez v. Pavex Corp., 2007 U.S. Dist. LEXIS 6092 U.S. District Court for the Middle District of Florida, Tampa Division (2007);

 

Spence v. City of Philadelphia, 2004 U.S. Dist. LEXIS 28996 (2004), (affirmed by the Court of Appeal for the Third Circuit, 2005 U.S. App. LEXIS 19728).

 

6)            LES DOMMAGES

 

CDPDJ c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal, Pavillon Notre-Dame, D.T.E. 2000T-1006;

 

CDPDJ c. Garderie en milieu familial des petits Anges, [2004] R.J.Q. 2335;

 

CDPDJ c. Montréal (Ville de), [2000] R.J.Q. 2151;

 

CDPDJ c. Nicolet (Ville de), [2001] R.J.Q. 2735;

 

CDPDJ c. Montréal (Services de police de la Communauté urbaine de), [2002] R.J.Q. 824;

 

CDPDJ c. Sûreté du Québec, D.T.E. 2000T-634;

 

CDPDJ c. Québec (Procureur Général), [2005] R.J.D.T. 1110.

 

 


AUTORITÉS AU SOUTIEN DES NOTES COMPLÉMENTAIRES TELLES QUE CITÉES PAR LES DÉFENDERESSES GAZ MÉTROPOLITAIN INC.

ET SOCIÉTÉ EN COMMANDITE GAZ MÉTROPOLITAIN

 

Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1993] 3 R.C.S. 863;

 

Office canadien de commercialisation des oeufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157;

 

Health Services and Support - Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27;

 

Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International ltée, [2006] 1 R.C.S. 3, 2006 CSC 1.

 


AUTRES AUTORITÉS CONSULTÉES PAR LE TRIBUNAL

 

Législation

 

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6.

 

Règlements sur les programmes d’accès à l’égalité, R. Q. c. C-12, r.0.1.

 

Jurisprudence

 

Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), [1997] IIJCan 1433 (T.C.D.P.).

 

Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] IIJCan 1874 (T.C.D.P.).

 

Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (ministère de la Défense nationale) [1996] A.C.F. no. 842.

 

Ayangama v. Prince Edward Island, [2000] P.E.I.J. No. 97, (2000) PESCTD 74.

 

Brome v. Ontario (Human Rights Commission) , (1999) 171 D.L.R. (4th) 538 (Ont. Div.Ct.).

 

Brossard (Ville) c. Commission des droits de la personne, [1988] 2R.C.S. 279.

 

Canada (Attorney General) c. Uzoaba, (1996) 26 C.H.R. R. D/428 (C.F.).

 

CDPDJ (Stortini) c. De Luxe Produits de papier Inc., D.T.E. 2003T-288 (T.D.P.Q.).

 

Central Alberta Dairy Pool c. Alberta Human Rights Commission, [1990] 2 R.C.S. 489.

 

Charpentier c. Compagnie d’assurances Standard Life, 2001 CanLII 1478.

 

Commission scolaire des Samares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2000] R.J.Q. 2542 (C.A.).

 

Dufour c. Centre hospitalier St-Joseph-de-la-Malbaie, [1992] R.J.Q. 825, 843.

 

Green c. Commission de la fonction publique du Canada, 1998 CanLII 2101(T.C.D.P.).

 

Laferrière c. Lawson [1991] 1 R.C.S. 541.

 

Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., [2005] B.C.H.R.T.D. No. 302, 2005 BCHRT 302.

 

St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491.

 

Syme c. Canada [1993] 4 R.C.S. 695.

 

Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no.543, 2005 CAF 113.

 

Doctrine

 

Abella, Rosalie Silberman, Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi, Ottawa, Approvisionnement et Services Canada, 1984.

 

Association du Barreau canadien,  Les assises de la réforme:  Égalité, diversité et responsabilité (1993).

 

Day, Sheilagh et Gwen Brodsky, «The Duty to Accommodate: Who will benefit?» (1993) R. du B. can. 433.

 

Gagnon, Sylvie, «Quelques observations critiques sur le droit à une réparation selon la Charte des droits et libertés de la personne», dans Barreau du Québec et Tribunal des droits de la personne (dir.), La Charte des droits et libertés de la personne: Pour qui et jusqu'où?, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005.

 

MacTavish Anne L. et Andrew J. F. Lenz, «Civil Actions for Conduct Addressed by Human Rights Legislation - Some Recent Substantive and Procedural Developments», (1996) 4 C.L.E.L.J. 375.

 

Masse, Chantal, «Le critère unifié de l'affaire Meiorin dans le contexte de la défense prévue à l'article 20 de la Charte québécoise : la non-application du volet subjectif relatif à la bonne foi de l'employeur», dans Barreau du Québec, Les 25 ans de la Charte québécoise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2000,65.

 

Sheppard, Colleen, « Of Forest Fires and Systemic Discrimination: A Review of British Colombia (Public Service Employee Relations Commission) v. B.C.G.S.E.U.» (2001) 46 McGill L.J. 533.



[1] L.R.Q. c. C-12 [Charte].

[2] Plaidoirie de la Commission, 5 avril 2007, p. 72-75.

[3] D-1: Copie de la convention collective intervenue entre la Société en commandite Gaz Métro et le Syndicat des employés de Gaz Métro pour la période du 10 novembre 1994 au 30 septembre 1997; D-2: Copie de la convention collective intervenue entre la Société en commandite Gaz Métro et le Syndicat des employés de Gaz Métro pour la période du 25 février 1998 au 30 septembre 2000.

[4] Décision rendue oralement, n.s., 22 février 2006 aux pp. 144-145; décision rendue oralement, n.s., 11 octobre 2006 aux pp. 9-10.

[5] Plaidoirie du Syndicat, p. 4.

[6] Plaidoirie du Syndicat, p. 6.

[7] P-25: Plainte portée par Action travail des femmes datée du 18 décembre 1996 et consentements écrits des victimes en liasse.

[8] P-23: Proposition de mesures de redressement no. CP-392.6 et rapport de signification.

[9] Madame Varin s'est désistée le 15 janvier 2006. Le 13 avril 2006, la Commission a produit une déclaration de désistement quant à cette victime.

[10] P-43: Avis d'expertise de Mme Chantale Jeanrie daté du 2 août 2004; P-43A: Annexe du rapport d'expertise de Mme Jeanrie; P-44: Avis d'expertise de Mme Chantale Jeanrie daté du 13 janvier 2005. Témoignage : n.s. 15 février 2005; n.s. 16 février 2005; n.s. 17 février 2005; n.s. 30 mai 2005.

[11] P-57: Rapport d'expertise de Mme Boukamp-Bosch daté du mois de décembre 2004. Témoignage : n.s. 17 février 2005; n.s. 18 février 2005.

[12] P-64: Tableaux de «Statistiques Canada» Recensement 2001. Témoignage : n.s. 15 mars 2005.

[13] P-90: Rapport de M.Fortier, expert comptable. Témoignage : n.s. 12 janvier 2007.

[14] Décision rendue oralement, n.s., 9 janvier 2007.

[15] A-6: Rapport d'expertise de Madame Messing daté du 7 septembre 2004. Témoignage : n.s. 11 février 2005.

[16] D-80: Expertise de Denise Perron. Témoignage : n.s. 11 septembre 2006; n.s. 12 septembre 2006.

[17] D-74: Rapport d'expertise de François Boulard. Témoignage : n.s. 19 juin 2006; n.s. 20 juin 2006.

[18] D-23: Expertise de Normand Petterson datée du 20 octobre 2004; D-84A: Rapport d'expertise amendé de Normand Petterson; D-84B: Rapport d'expertise amendé de Normand Petterson, version électronique; D-84C: Les Tableaux en couleur; A-19: Notes personnelles de Normand Petterson. Témoignage : n.s. 12 septembre 2006; n.s. 13 septembre 2006; n.s. 14 septembre 2006; n.s. 15 septembre 2006; n.s. 10 octobre 2006; n.s. 11 octobre 2006.

[19] D-93A: Notice de vérification sur certains aspects statistiques du dossier CDPDJ c. Gaz Métropolitain Inc. et autres; D-93B: Quelques remarques particulières d'ordre statistique sur le dossier CDPDJ c. Gaz Métropolitain Inc. et autres. Témoignage : n.s. 8 décembre 2006; n.s. 12 décembre 2006.

[20] D-103: Rapport de M. Richard Joly, expert comptable. Témoignage : n.s. 12 janvier 2007.

[21] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Gaz Métro inc. (20 juin 2005), Montréal 500-53-000204-030, J.E. 2005-1303 (T.D.P.).

[22] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Gaz Métro inc. (18 janvier 2006), Montréal 500-53-000204-030 (T.D.P.).

[23] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Gaz Métro inc. (3 mars 2006), Montréal 500-53-000204-030, J.E. 2006-896 (T.D.P.).

[24] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Gaz Métro inc. (1er août 2006), Montréal 500-53-000204-030, J.E. 2006-1871 (T.D.P.).

[25] L.R.Q. c. C-25.

[26] P.v. 12 janvier 2007, p. 1.

[27] Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 R.C.S. 1114 (ci-après «l'arrêt Action Travail des femmes»).

[28] Ibid. p. 1139 et 1143.

[29] Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du trésor),1996 IIJCan 1874 (T.C.D.P.), para. 82.

[30] Brome v. Ontario (Human Rights Commission), (1999) 171 D.L.R. (4th) 538 (Ont. Div. Ct.).

[31] Idem.

[32] Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] A.C.F. no. 842., para. 14.

[33] Ibid.  para. 16.

[34] Brome v. Ontario (Human Rights Commission), précitée à la note 30.

[35] Action Travail des femmes c. Canadien National, (1984) 5 C.H.R.R. D/2327 (T.C.D.P.; ci-après «l'affaire ATF»).

[36] ABELLA, Rosalie Silberman, Rapport de la Commission sur l'égalité en matière d'emploi, Ottawa, Approvisionnement et Services Canada, 1984.

[37] Ibid. p.10 La seconde situation mentionnée dans le Rapport concerne les pratiques, inspirées de caractéristiques stéréotypées attribuées aux personnes appartenant à des groupes protégés, qui produisent des effets néfastes pour ces dernières.

[38] Ibid. p. 4.

[39] Syme c. Canada [1993] 4 R.C.S. 695.

[40] Ibid. p. 798. Considérant la composition actuelle du marché du travail, madame la juge L'Heureux-Dubé estime que la notion de dépense d'entreprise doit en conséquence tenir compte des besoins de tous les travailleurs: «Les pratiques et les exigences des femmes d'affaires pourraient bien être différentes de celles des hommes d'affaires. […] l'une des principales différences entre les besoins des hommes et des femmes d'affaires a trait à l'importance de la garde des enfants pour les gens d'affaires ayant des enfants, plus particulièrement les femmes. […] le soin des enfants est un élément essentiel de la capacité des femmes à gagner un revenu. […] À mon avis les frais de garde d'enfants de Mme Symes constituent des dépenses engagées en vue de tirer un revenu […] ou de faire produire un revenu […]»: pp. 798-799.

[41] Association du Barreau canadien,  Les assises de la réforme:  Égalité, diversité et responsabilité (1993).

[42] Ibid. p.70.

[43] Ayangama v. Prince Edward Island, [2000] P.E.I.J. No. 97, (2000) PESCTD 74.

[44] Ibid. para. 121 et 124; nos soulignés. La décision est infirmée en appel non pas parce que les critères appliqués sont en eux-mêmes erronés, mais plutôt parce que la Cour considère essentiellement qu'il n'y avait en l'espèce aucune intention d'exclure délibérément des membres des minorités visibles du comité et du processus de sélection.

[45]Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale),  précitée à la note 32.

[46] Ibid. para. 33.

[47]Tel que cité par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Action Travail des Femmes, précité à la note 27, para. 34; nos soulignés.

[48] Affaire Action Travail des femmes c. Canadien National, précitée à la note 35, para. 19781 et 19782. Cette approche globale conduit le Tribunal à regrouper les pratiques d'embauche au sein de quatre phases visant l'examen: 1) des pratiques relatives à l'information et à la publicité concernant les postes offerts au C.N.; 2) de l'accueil au bureau d'embauche; 3) des critères d'embauche; 4) de l'accueil dans le milieu de travail.

[49] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, 1998 CanLII 2101(T.C.D.P.).

[50] Ibid.

[51] Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), [1997] IIJCan 1433 (T.C.D.P.).

[52] Ibid. p. 5.

[53] Ibid. p. 8.

 

[54] Ibid. para. 162.

[55] Ibid. para. 162 et 169.

[56] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 536, (ci-après l'arrêt Meiorin).

[57] Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. no.543, 2005 CAF 113.

[58] Ibid. para. 22 et 23.

[59] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., [2005] B.C.H.R.T.D. No. 302, 2005 BCHRT 302.

[60] Ibid. para. 512 et 513.

[61] À titre d'exemples, la politique écrite contenait les prescriptions suivantes: «zero tolerance for suspicious people […] zero tolerance for vagrants […]» ainsi que des indications au sujet de la tenue vestimentaire (ripped and dirty clothing) et de l'attitude manifestée par les individus apostrophés par les gardiens (attitudes when aproached and non-willingness to answer any questions we may propose).

[62] Ainsi: «Many of the chronic health conditions which are prevalent in the Aboriginal community can cause deficits in balance, gait, or appearance and can contribute to the likelihood that a non-aboriginal person would perceive them to be “suspicious”, or appear to be intoxicated or stoned, or simply unable to respond quickly to questioning from security personnel, and hence appear to have an “attitude when approached”»: para. 83. Il s'ensuit que: «Members of the Aboriginal community may differentially appear "suspicious" to non-aboriginal people»: para. 84.

[63] Ibid. para. 547.

[64] En référant à la preuve des experts, le Tribunal mentionne à quelques reprises ceux de «l'Indien ivre» (drunken Indian) et de «l'Indien dégénéré» (degenerate or degrated Indian).

[65] Ibid. para. 606.

[66] Arrêt Meiorin, précité à la note 56.

[67] Dufour c. Centre hospitalier St-Joseph-de-la-Malbaie, [1992] R.J.Q. 825, 843 (j. Rivet), jugement infirmé, sur une autre question, en appel. Cette conclusion s'infère des motifs du juge Beetz dans l'arrêt Brossard (Ville) c. Commission des droits de la personne, [1988] 2R.C.S. 279. Voir aussi: CDPDJ (Stortini) c. De Luxe Produits de papier Inc., D.T.E. 2003T-288 (T.D.P.Q.); Chantal Masse, «Le critère unifié de l'affaire Meiorin dans le contexte de la défense prévue à l'article 20 de la Charte québécoise : la non-application du volet subjectif relatif à la bonne foi de l'employeur», dans Barreau du Québec, Les 25 ans de la Charte québécoise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 2000, 65.

[68] Arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 40.

[69] S. Day et G. Brodsky, «The Duty to Accommodate: Who will benefit?» (1993) R. du B. can. 433, p.462; traduction de la Cour.

[70] Arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 42.

[71] Colleen Sheppard, « Of Forest Fires and Systemic Discrimination: A Review of British Colombia (Public Service Employee Relations Commission) v. B.C.G.S.E.U.» (2001) 46 McGill L.J. 533, p.550.

[72] Arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 71.

[73] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., précitée à la note 59.

[74] Arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 68 ; soulignés dans le texte. Voir au même effet le par. 19 de l'arrêt Grismer: Colombie-Britannique (Surperintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868.

[75] Arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 65.

[76] Ibid, para. 82; nos soulignés.

[77] Ibid, para. 76 et 77.

[78] Ibid, para. 76.

[79] Ibid, para. 65.

[80] C. Sheppard, « Of Forest Fires and Systemic Discrimination: A Review of British Colombia (Public Service Employee Relations Commission) v. B.C.G.S.E.U.», précitée à la note 71.

[81] Central Alberta Dairy Pool c. Alberta Human Rights Commission, [1990] 2 R.C.S. 489, pp. 520-521.

[82] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, précitée à la note 49.

[83] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., précitée à la note 59.

[84] À la demande de la Commission, le Tribunal a accepté que des données échelonnées jusqu'en 1998 soient produites. De même, dans l'éventualité où le Tribunal serait appelé à se prononcer sur l'opportunité d'imposer un programme d'accès à l'égalité, quelques statistiques postérieures à cette période seront aussi présentées.

[85] R. S. ABELLA, précité à la note 36.

[86] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 183.

[87] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 57.

[88] D-42: Description de tâches apprenti au syndicat.

[89] D-2, précitée à la note 5.

[90] P-5: Document intitulé «Modalité d'application du programme de formation continue» daté du 11 janvier 1996, p. 2.

[91] P-5, précitée à la note 89.

[92] P-4: Tableau complet du programme de formation technique réseau.

[93] P-4, précitée  à la note 91; P-5: précitée à la note 89, p. 3.

[94] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 84.

[95] P-2: Entente daté du 2 juin 1995.

[96] D-80: Expertise de Denise Perron.

[97] D-80, précitée à la note 96, p. 7 et P-57, précitée à la note 11, p. 4.

[98] D-80, précitée à la note 96, p. 6.

[99] P-3C: Document intitulé «Profil d'emploi-poste de stagiaire réseau», transmis à ATF le 30 mai 1995.

[100] La Classification nationale compte au total 14 catégories au sein desquelles sont répartis quelque 500 groupes d'emploi ou occupations génériques. Elle a été établie par Développement et ressources humaines Canada et par Statistique Canada afin de fournir un inventaire détaillé de l'ensemble des emplois au pays.

[101] P-57, précitée à la note 11, p. 6.

[102] Dans le cadre du Programme de contrats fédéraux, Gaz Métro doit produire un rapport annuel comportant des statistiques sur la représentation des groupes cibles au sein de son personnel. L’employeur utilise à cet effet un logiciel fourni par le gouvernement fédéral. Le Tribunal retient ces données qui sont été suivies de façon régulière pendant cinq années consécutives, de 1998 à 2003 (P-52 à P-56), ainsi que celles des années précédentes (D-68).

[103] P-57, précitée à la note 11, p. 7.

[104] En ce qui concerne l'année 1976, l'estimation de 200 est fournie par Gaz Métro. Les données de 1995 à 2000 inclusivement proviennent du rapport de madame Boukamp Bosch, à la page 8. Les données des années ultérieures proviennent des rapports annuels de Gaz Métro (P-54, P-55 et P-56).

[105] P-57, précitée à la note 11, p. 9.

[106] Selon madame Bosch, la diminution de l'écart à combler au fil des ans ne s'explique pas par l'embauche accrue de femmes, mais plutôt par la diminution des travailleurs semi-spécialisés chez Gaz Métro, ceux-ci étant passés de 133, en 1995, à 96 au cours de l'année 2000.

[107] P-57,précitée à la note 11, p. 9; notre traduction.

[108] D-80, précitée à la note 97, p. 23.

[109] Charpentier c. Compagnie d’assurances Standard Life, 2001 CanLII 1478 (j. Gendreau).

[110] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 3e Édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 2003,
p. 313.

[111] P-57, précitée à la note 11, p. 7.

[112] Les avocats et les notaires au Québec, les ingénieurs miniers et les psychologues sont dans cette catégorie.

[113] Cette catégorie inclut les dessinateurs industriels, les pilotes aériens et les opticiens.

[114] Les plombiers et les travailleurs de feuilles de métal (sheet metal workers) font partie de cette catégorie.

[115] P-57, précitée à la note 11, p. 5.

[116] D-80, précitée à la note 96, p. 19.

[117] Lors du contre-interrogatoire mené par la procureure d'ATF, madame Richard mentionne que «le goût de se dépasser» est important car le poste de préposé est un poste d'entrée comportant une formation de 24 mois et pouvant mener à un poste de technicien.

[118] P-81: Sondage sur les pratiques organisationnelles en matière d'équité, p. 27.

[119] Voir aussi D-93: Rapport du témoin expert daté du 17 et du 22 août 2006.

[120] La question de l'embauche de préposés issus de «l'unité de négociation CSN» sera abordée dans la section 3.4 de la décision.

[121] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 205.

[122] Voir la section 2.2.2 de la présente décision.

[123] Voir la section 3.1 à ce sujet.

[124] Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 253.

[125] P-43, précitée à la note 10, p. 8; Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 40 et s.

[126] Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 140; Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 231-236.

[127] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 126.

[128] A-23 en liasse: Listes de informations requises. Voir aussi Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 111.

[129] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 234; Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 140-142.

[130] Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 133-134, 143.

[131] Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 251.

[132] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 128.

[133] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 232-237; n.s. 25 janvier 2006, p. 144; Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 44.

[134] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 45.

[135] P-3A: Offre d'emploi parue dans le Journal de Montréal le 12 août 1995; P-3B: Offre d'emploi parue dans La Presse le 5 octobre 1996; P-3C, précitée à la note 100 ; P-3D: Offre d'emploi parue dans le Journal de Montréal le 14 juin 1997.

[136] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 174-175, n.s. 17 février 2006, p. 53; Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 149.

[137] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 57-58.

[138] D-51: Demande de personnel-11 novembre 1996; D-56: Avis de poste vacant.

[139] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 61.

[140] Chantale Jeanrie, n.s. 16 février 2005, p. 204-205.

[141] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 59.

[142] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 47.

[143] D-84A, précitée à la note 18, p. 21-22.

[144] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 103-104.

[145] P-37: Pamphlet informatif expliquant la façon d'obtenir le permis de conduire classe 3.

[146] P-37, précitée à la note 145.

[147] Plaidoirie de Gaz Métro, 4 juin 2007, para. 609.

[148] Plaidoirie de Gaz Métro, 4 juin 2007, para. 630.

[149] P-37, précitée à la note 145 .

[150] D-47: Étapes d'obtention du permis de conduire Classe 3.

[151] D-2, précitée à la note 5, art. 26.02.

[152] D-1, précitée à la note 5, art. 26.02.

[153] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 198-199.

[154] Serge Fortin, n.s. 3 février 2005, p. 78.

[155] André Gagné, n.s. 3 février 2005, p. 62.

[156] P-7A: Service des études et des stratégies en sécurité routière de la SAAQ, statistiques sur les titulaires de permis au 1995/06/01, daté du 17 avril 2002.

[157] P-7B: Service des études et des stratégies en sécurité routière de la SAAQ, statistiques sur les titulaires de permis au 1996/06/01, daté du 16 avril 2002.

[158] P-7C: Service des études et des stratégies en sécurité routière de la SAAQ, statistiques sur les titulaires de permis au 1997/06/01, daté du 17 avril 2002.

[159] Voir Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 69; Nicole Trudel, n.s. 1er février 2005, p. 108.

[160] Voir notamment Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 109-114.

[161] Il n’y a qu’à l’avis de poste vacant A-12, qui s’adressait uniquement aux employés de l’interne, qu’il est indiqué qu’un permis de classe 3 ou de classe 5 est exigé. Il y est spécifié que le poste vacant se trouve dans la région de Québec et que les véhicules utilisés par les préposés réseau dans cette région ne nécessitent pas un permis de conduire de classe 5.

[162] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 55-57.

[163] Voir notamment Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143 à la p. 169; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525 à la p. 544; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Sûreté du Québec, 2007 QCTDP 13 au para. 79; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général) (9 mars 2005), Québec 200-53-000029-046, J.E. 2005-780 au para. 55 (T.D.P.).

[164] Voir l'arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 68.

[165] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 80-82.

[166] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 120-121.

[167] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 123-125; Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 68-72; Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 104-105.

[168] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 110-111.

[169] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 119-120.

[170] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 109-111.

[171] Voir l'arrêt Meiorin, précité à la note 56, para. 62, citant Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, p. 984. Voir aussi Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), précité à la note 80.

[172] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 69.

[173] Serge Fortin, n.s. 3 février 2005, p. 75-79.

[174] Voir la section 3.1 pour l’analyse de cette question.

[175] A-8: Examen partiel de qualification pour les préposés du service et commentaires; D-14: Copie du rapport préliminaire fait par M.Lucien Aubé, professeur au département des sciences de l'éducation de l'UQAM en date du 10 décembre 1997, p. 2.

[176] Voir la section 3.3.4 pour l’analyse de cette question.

[177] D-51: précitée à la note 138; D-56: précitée à la note 138 .

[178] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 194.

[179] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 205, 236-239, 268-269.

[180] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 204.

[181] Plaidoirie de Gaz Métro, 4 juin 2007, para. 594.

[182] P-68A: Fiches en liasse d'évaluation, demandes d'emploi chez Gaz Métro, Line Beaudouin.

[183] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 38.

[184] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 39.

[185] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 49-50.

[186] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 49.

[187] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 49.

[188] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 50-52.

[189] P-68C: Fiches en liasse d'évaluation, demandes d'emploi chez Gaz Métro, Marie-Claude Côté.

[190] Denise Perron, n.s. 12 septembre 2006, p. 104-105.

[191] Or, les parties ont analysé l’exigence de l’expérience non traditionnelle comme un élément de l’instrument de sélection qu’est l’entrevue plutôt que comme un pré-requis en soi et l’analyse de celle-ci sera donc reprise dans la section 3.3.3.3 portant sur les questions et thèmes de l'entrevue préalable.

[192] Les témoins experts qui avaient le mandat d’analyser plus particulièrement le processus de sélection et qui se sont davantage prononcés quant à celui-ci sont Chantale Jeanrie, François Boulard, Normand Pettersen et Louis Laurencelle. Denise Perron en a aussi traité de manière accessoire.

[193] Voir Compagnie minière Québec-Cartier c. Québec (Commission des droits de la personne) (7 décembre 1998) Québec 200-09-000495-942, pp. 28-29 (C.A.).

[194] Jean-Claude Royer, La preuve civile, 3e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2003, para. 191.

[195] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 196.

[196] Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 207.

[197] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 251.

[198] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 196.

[199] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 197.

[200] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 200.

[201] Danielle Gauthier, n.s. 1er juin 2005, p. 10.

[202] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 185.

[203] A-23, réponses, 2b).

[204] A-19, p. 22; Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 245.

[205] Danielle Gauthier, n.s. 1er juin 2005, p. 111, 123-124. Voir aussi Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006,
p. 66, 173.

[206] Danielle Gauthier, n.s. 1er juin 2005, p. 111-112; Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 66.

[207] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 233.

[208] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 83-84.

[209] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 69.

[210] D-84A, précitée à la note 18, p. 10.

[211] Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 168.

[212] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 79, 83.

[213] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005, p. 177.

[214] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 127.

[215] Voir notamment François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 176-178.

[216] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 68; Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 227; Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 42.

[217] Sylvie Richard, 17 février 2006, p. 189-190.

[218] Sylvie Richard, 17 février 2006, p. 189-190.

[219] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 107.

[220] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 169.

[221] Il était notamment absent lors de l’entrevue de Shirley Thomas. Voir Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 151.

[222] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 42.

[223] C’est notamment le cas de madame Danielle Varin, qui était candidate pour le poste de préposé réseau en 1996. Voir Danielle Varin, n.s. 8 février 2005, p. 8-9.

[224] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 196.

[225] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 74 et s.

[226] A-23 en liasse, point 7b).

[227] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 151-152.

[228] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 70.

[229] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 98.

[230] Sylvie Richard, n.s. 15 mars 2005, p. 131 et s.

[231] Sylvie Richard, n.s. 15 mars 2005, p. 126, 142.

[232] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 75.

[233] P-43, précitée à la note 10, p. 29; Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 32.

[234] P-43, précitée à la note 10, p. 32.

[235] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 67.

[236] A-19, précitée à la note 18, p. 33 ; Normand Pettersen, n.s. 11 octobre 2006, p. 41.

[237] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 219.

[238] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 29 et s.

[239] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 33.

[240] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 68.

[241] Voir la section 3.2.1.2, ci-dessus, pour l’énumération de ces qualités.

[242] Sylvie Richard, n.s. 15 mars 2005, p. 133.

[243] Sylvie Richard, n.s. 15 mars 2005, p. 133 et s.

[244] François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 188.

[245] François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 108-109, 173-174, 188.

[246] P-43, précitée à la note 10, p. 27-30.

[247] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 18-20, 35.

[248] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 204.

[249] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 39.

[250] Joan Dupont, n.s. 1er février 2005, p. 50.

[251] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 90.

[252] Umberto Tamboriello, n.s. 11 octobre 2006, p. 195.

[253] Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 32.

[254] Voir la section 3.2.4, ci-dessus, pour les motifs du Tribunal relatifs à cette question.

[255] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 71-72.

[256] Jean-Pierre-Raymond, n.s. 7 février 2006, p. 80.

[257] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 39.

[258] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, p. 203-204.

[259] Tania Plourde, n.s. 1er février 2005, p. 160.

[260] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 85.

[261] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 13.

[262] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 83-84.

[263] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 84.

[264] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 84-85.

[265] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 215.

[266] D-80, précitée à la note 16, p. 15.

[267] Normand Pettersen, n.s. 11 octobre 2006, p. 36. Voir aussi A-19, p. 34.

[268] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 203-204.

[269] D-80, précitée à la note 16, p. 14; Denise Perron, n.s. 11 septembre 2006, 230-231.

[270] P-43, précitée à la note 10, p. 31.

[271] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 70-71.

[272] P-43, précitée à la note 10, p. 27-29.

[273] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 65.

[274] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 62-63.

[275] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 64-65.

[276] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 65-66.

[277] P-43, précitée à la note 10, p. 29-33.

[278] D-74, précitée à la note 17, p. 40.

[279] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 190.

[280] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 189.

[281] Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 191-192.

[282] A-19, précitée à la note 18, p. 31-33, 37.

[283] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 48.

[284] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 115.

[285] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 195.

[286] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 69.

[287] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 28-29.

[288] P-6 : Document sur le recrutement de juillet 1995; Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 91-95.

[289] A-19, précitée à la note 18, p. 46.

[290] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 94.

[291] P-43, précitée à la note 10, p. 33.

[292] François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 38. (Reproduit tel quel)

[293] Voir les sections 3.2.1.1 et 3.2.1.2, ci-dessus, pour l’analyse de ces questions.

[294] Sylvie Richard, n.s. 15 mars 2005, p. 131 et s.; n.s. 17 février 2006, p. 114-125.

[295] P-43, précitée à la note 10, p. 27-30.

[296] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 12-18.

[297] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 30.

[298] Chantale Jeanrie, n.s. 30 mai 2005, p. 29.

[299] Voir notamment Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 224-225, 245-246.

[300] Normand Pettersen, n.s. 15 septembre 2006, p. 245-249.

[301] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 193; n.s. 15 septembre 2006, p. 197-198.

[302] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 38-40.

[303] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 51-53.

[304] D-74, précitée à la note 17, p. 50-51.

[305] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 205.

[306] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 59-61.

[307] Voir P-68 : Fiche en liasse d’évaluation - demande d’emploi chez Gaz Métro.

[308] D-86 : Uniform Guidelines on Employee Selection Procedure (1978).

[309] P-43, précitée à la note 10, p. 3; Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 21 et s.

[310] Normand Pettersen, n.s. 12 septembre 2006, p. 208-209, 260-261; Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 21.

[311] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 9.

[312] Louis Laurencelle, n.s. 8 décembre 2006, p. 136-137.

[313] Louis Laurencelle, n.s. 8 décembre 2006, p. 172-173.

[314] Louis Laurencelle, n.s. 8 décembre 2006, p. 71-73.

[315] D-93B, précitée à la note 19, p.1.

[316] Louis Laurencelle, n.s. 12 décembre 2006, p. 62.

[317] Louis Laurencelle, n.s. 8 décembre 2006, p. 222.

[318] D-93B, précitée à la note 19, p. 4.

[319] Radek, précitée à la note 59.

[320] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 192-193; Jean-Pierre Raymond, n.s. 27 janvier 2006, p. 66-67.

[321] P-9 : Examens de qualification - Stagiaire entretien du réseau et D-32 : Résultats fournis par M. Bédard et M. Aubé.

[322] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 240-241.

[323] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 83.

[324] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 153-154.

[325] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 281.

[326] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 91-101; n.s. 18 janvier 2006, p. 165-168.

[327] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 54-56.

[328] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 105-106.

[329] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 51-53.

[330] P-69 : Examens d’admission pour un emploi chez Gaz Métro.

[331] D-32.1 : Résultats de M. Bédard.

[332] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 68; n.s. 24 janvier 2006, p. 30-31.

[333] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 30.

[334] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 34-35, 190-191.

[335] Voir notamment Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 15; Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 42.

[336] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 40.

[337] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 53.

[338] Nicole Trudel, n.s. 1er février 2005, p. 107.

[339] P-18 : Bulletin de notes.

[340] Tania Plourde, n.s. 1er février 2005, p. 162-173.

[341] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 86, 95-96, 99.

[342] P-14 : Bulletin de notes à l’éducation aux adultes de Marie-Claude Côté (1995-1996).

[343] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 16-20, 38-39, 45-47.

[344] Voir la section 3.3.6.

[345] P-84 : Notes personnelles de Normand Pettersen, p. 46.

[346] P-9A : Examen de qualification - Version B - Stagiaire entretien du réseau - partie 1 et 2 (1995),
p. 10.

[347] Robert Bédard, n.s. 25 janvier 2006, p. 105-106.

[348] P-9B : Examen de qualification - Version A-2 - Stagiaire entretien du réseau - partie 1 et 2 (février 1997).

[349] Robert Bédard, n.s. 25 janvier 2006, p. 111-113.

[350] P-9B, précitée à la note 348.

[351] P-69, précitée à la note 330.

[352] A-8, précitée à la note 175.

[353] A-8, précitée à la note 175, p. 8.

[354] D-14, précitée à la note 175, p. 2.

[355] Voir notamment Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 111.

[356] A-19, précitée à la note 18, p. 25; P-43, p. 25.

[357] P-43, précitée à la note 10, p. 22-23.

[358] Voir la section 3.3.3.4, ci-dessus, pour ces explications.

[359] A-17 : Bennett Mechanical Comprehension Test.

[360] A-19, précitée à la note 18, p. 25.

[361] A-17, précitée à la note 359, p. 30.

[362] Affaire Action Travail des femmes c. Canadien National, précitée à la note 35.

[363] Arrêt Action travail des femmes, précité à la note 27.

[364] Affaire Action Travail des femmes, précitée à la note 35, para. 19883-19885, 19888; nos soulignés.

[365] Ibid., para. 20030.

[366] P-43, précitée à la note 10, p. 26.

[367] A-19, précitée à la note 18, p. 25-27; Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 155-158.

[368] D-74, précitée à la note 17, p. 33.

[369] Lucien Aubé, n.s. 30 mai 2005, p. 152-156.

[370] Rappelons que Line Beaudoin et Joan Dupont ont été éliminées à l'étape de l'entrevue préalable.

[371] Voir la section 3.2.1, ci-dessus, pour l’analyse de cette question.

[372] Voir la section 3.3.3.5, ci-dessus, pour ces explications.

[373] Ronald Maise, n.s. 31 mai 2005, p. 7 et s.

[374] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 90-98.

[375] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 49.

[376] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 107-108.

[377] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 63.

[378] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 306; n.s. 24 janvier 2006, p. 103.

[379] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 141.

[380] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 51.

[381] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, p. 52.

[382] P-69; précitée à la note 330, Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 219-221.

[383] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 48.

[384] Shirley Thomas, n.s. 8 févier 2005, p. 117.

[385] P-69, précitée à la note 30, Serge Charbonneau est décédé et n’a donc pas témoigné à l’audience. Son nom en tant qu’évaluateur figure toutefois sur l’évaluation de Shirley Thomas.

[386] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 43.

[387] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 118.

[388] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 96-97.

[389] Line St-Onge, n.s. 3 février 2005, p. 11.

[390] Line St-Onge, n.s. 3 février 2005, p. 11-12.

[391] Line St-Onge, n.s. 3 février 2005, p. 14-15.

[392] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 180, 201, 278; n.s. 18 janvier 2006, p. 81; n.s. 25 janvier 2006, p. 173.

[393] P-43, précitée à la note 10, p. 24.

[394] Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 221.

[395] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 103-104.

[396] Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 223.

[397] P-43, précitée à la note 10, p. 25.

[398] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 184.

[399] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 294; n.s. 24 janvier 2006, p. 98.

[400] Robert Bédard, n.s. 24 janvier 2006, p. 94-102.

[401] A-19, précitée à la note 18, p. 31 et 36.

[402] Robert Bédard, n.s. 25 janvier 2006, p. 133-134.

[403] Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 216 et s.

[404] Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 118.

[405] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 303.

[406] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 303-306.

[407] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 50.

[408] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 53.

[409] A-19, précitée à la note 18, p. 30.

[410] D-74, précitée à la note 17, p. 38.

[411] Voir P-69, précitée à la note 330.

[412] P-77 : Extraits de résultats aux examens écrits et pratiques - notes lors des formations internes - 3 candidats.

[413] A-6, précitée à la note 15.

[414] A-6, précitée à la note 15, p. 1-2.

[415] A-6, précitée à la note 15, p. 4.

[416] A-6, précitée à la note 15, p. 4-5.

[417] A-6, précitée à la note 15, p. 5.

[418] A-6, précitée à la note 15, p. 6.

[419] A-6, précitée à la note 15, p. 4.

[420] A-6, précitée à la note 15, p. 5.

[421] A-6, précitée à la note 15, p. 5.

[422] A-6, précitée à la note 15, p. 4.

[423] A-6, précitée à la note 15, p. 6, 7, 11.

[424] A-6, précitée à la note 15, p. 3.

[425] A-6, précitée à la note 15, p. 6.

[426] A-6, précitée à la note 15, p. 6-7.

[427] A-6, précitée à la note 15, p. 8, 12-13.

[428] Karen Messing, n.s. 11 février 2005, p. 21-22.

[429] A-6, précitée à la note 15, p. 13.

[430] Karen Messing, n.s. 11 février 2005, p. 38.

[431] A-6, précitée à la note 15, p. 8-9.

[432] Raymond Bissonnette, n.s. 3 mai 2005, p. 115, 119; Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 300.

[433] P-42 : Tableaux préparés par Mme Bastien indiquant la représentation soit sexuelle aux hommes et femmes des diplômes au Cours de réparation d’appareils de 1995 à 1997, Monik Bastien, n.s. 9 février 2005, p. 11-12.

[434] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 91-93.

[435] D-59 : Recrutement 1995, les nouvelles données; D-61 : Résultats recrutement avril 1996; D-62 : Résultats recrutement novembre 1996; D-63; Résultats recrutement avril 1997; D-64 : Résultats recrutement octobre 1997; Normand Pettersen, n.s. 10 octobre 2006, p. 15.

[436] D-60 : Résultats recrutement 1997.

[437] P-77, précitée à la note 412.

[438] Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 203.

[439] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 39-40.

[440] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 60-61.

[441] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 29.

[442] François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 94-95.

[443] François Boulard, n.s. 20 juin 2006, p. 22-23, 51.

[444] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 74.

[445] Normand Pettersen, n.s. 11 octobre 2006, p. 73. (Reproduit tel quel)

[446] Voir la section 2.1 de notre décision.

[447] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 50.

[448] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 50.

[449] P-68C.2, précitée à la note 189.

[450] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 50-51.

[451] Jean-Pierre Raymond, n.s. 7 février 2006, p. 103, 113.

[452] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 226.

[453] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 76.

[454] Carole Magnan, n.s. 19 avril 2006, p. 43; n.s. 20 avril 2006, p. 119.

[455] Carole Magnan, n.s. 19 avril 2006, p. 42; Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 128.

[456] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 190. (Reproduit tel quel)

[457] Carole Magnan, n.s. 19 avril 2006, p. 43; n.s. 20 avril 2006, p. 119; Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 134.

[458] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 169.

[459] Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 55-56.

[460] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 190.

[461] Jean-Pierre Raymond, n.s. 26 janvier 2006, p. 168; n.s. 27 janvier 2006, p. 67; n.s. 7 février 2006, p. 120.

[462] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 75-76.

[463] Voir à cet égard Brossard (Ville de) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. École supérieure de ballet contemporain de Montréal, 2008 QCTDP 19, au para. 122; Québec (Commission des droits de la personne) c. Petite-Rivière-Saint-François (Municipalité de), [1993] R.J.Q. 2279 aux pp. 2282-2283 (T.D.P.); Québec (Commission des droits de la personne) c. Lessard, Beaucage, Lemieux inc. (1992), 19 C.H.R.R. 441 (T.D.P.); Québec (Commission des droits de la personne) c. Lalonde (2 octobre 1992), Val D’Or 615-53-000001-911, J.E. 92-1629 (T.D.P.).

[464] Louise Buzit-Beaulieu, n.s. 25 janvier 2006, p. 14.

[465] Tania Plourde, n.s. 1er février 2005, p. 168-170.

[466] Louise Buzit-Beaulieu, n.s. 25 janvier 2006, p. 24-25.

[467] Carole Magnan, n.s. 19 avril 2006, p. 18.

[468] Robert Bédard, n.s. 18 janvier 2006, p. 124-130.

[469] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 28-29.

[470] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 32.

[471] Raymond Bissonnette, n.s. 31 mai 2005, p. 174.

[472] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 31.

[473] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 117.

[474] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 87.

[475] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, p. 93.

[476] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 36.

[477] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 38.

[478] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 42-43.

[479] Voir notamment Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 39-42.

[480] Voir la section 3.2.1, ci-dessus, pour de plus amples explications.

[481] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 90-94.

[482] D-74, précitée à la note 17, p. 21; François Boulard, n.s. 20 avril 2006, p. 129 et s.; Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 20. Voir aussi Robert Bédard, n.s. 25 janvier 2006, p. 138.

[483] D-74, précitée à la note 17, p. 5-6; François Boulard, n.s. 19 juin 2006, p. 147-151; Normand Pettersen, n.s. 10 octobre 2006, p. 164-165.

[484] Normand Pettersen, n.s. 10 octobre 2006, p. 161, 164-165.

[485] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 285; Robert Bédard, n.s. 17 janvier 2006, p. 106.

[486] Robert Bédard, n.s. 16 janvier 2006, p. 285.

[487] Normand Pettersen, n.s. 13 septembre 2006, p. 150.

[488] Normand Pettersen, n.s. 14 septembre 2006, p. 166-167.

[489] Normand Pettersen, n.s. 14 september 2006, p. 169-170.

[490] Chantale Jeanrie, n.s. 15 février 2005, p. 71-73.

[491] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 94-95.

[492] P-77, précitée à la note 412.

[493] Voir D-60, précitée à la note 436; Jean-Pierre Raymond, n.s. 7 février 2006, p. 101-104.

[494] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 91.

[495] P-6, précitée à la note 288.

[496] P-6; précitée à la note 288; Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 91-95.

[497] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 95.

[498] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 268-269.

[499] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 174.

[500] Voir la section 3.1.1.

[501] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 260.

[502] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 182.

[503]  A-6, précitée à la note 15,  p. 13.

[504] A-17: précitée à la note 359, p. 30. Voir aussi la section 3.3.4.3 pour l'analyse de cette question.

[505] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 193.

[506] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 91.

[507] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, pp. 94-95.

[508] Voir la section 3.3.3.3.

[509] Rappelons que celle-ci était formulée comme suit: «Selon vous, comment une femme peut-elle bien s'intégrer dans un milieu non traditionnel (hommes)?»: P-8: Grille d'évaluation.

[510] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, pp. 84 ss.

[511] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 215.

[512] D-80, précitée à la note 96, p. 15.

[513] Voir la section 3.3.3.3.

[514] Affaire Action Travail des femmes, précitée à la note 35, para. 19610, p. D/2335.

[515]Ibid. para. 19776 et 19777, p. D/2373.

[516] D-80, précitée à la note 96, p. 11.

[517] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 235.

[518] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, p. 189.

[519] Voir la section 3.3.3.1 à ce sujet.

[520] P-47: Grille d'évaluation utilisée du personnel.

[521] Voir la section 3.3.3.2.

[522] Rappelons qu'en vertu de ce délai, les candidates devaient détenir le permis de conduire classe 3 à la date de leur embauche plutôt qu'à celle du dépôt de leur candidature.

[523] Sylvie Richard, n.s. 17 février 2006, pp. 83-84.

[524] Sylvie Richard, n.s. 9 février 2006, p. 193.

[525] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 234.

[526] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, pp. 37-38.

[527] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, p. 42.

[528] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 204; voir aussi, au même effet, les notes sténographiques du 19 avril 2006, pp. 14-15.

[529] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, p. 165.

[530] Carole Magnan, n.s. 18 avril 2006, pp. 203-204.

[531] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, pp. 96-97. Le témoin réfère alors à la pièce P-24, p. 20.

[532] Carole Magnan, n.s. 20 avril 2006, p. 95.

[533] Arrêt Action Travail des femmes, précité à la note 27.

[534] Ibid, p.1145.

[535] Commission scolaire des Samares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2000] R.J.Q. 2542 (C.A.).

[536] Arrêt Action Travail des femmes, précité à la note 27, p. 1141 citant le juge MacGuigan dans son opinion dissidente en Cour d'appel fédérale.

[537] Ibid. p. 1145; nos soulignés.

[538] Charte, art. 86.

[539] Ibid; nos soulignés.

[540] Charte, art. 88.

[541] Règlements sur les programmes d’accès à l’égalité, R. Q. c. C-12, r.0.1.

[542] Ibid. art. 2.

[543] Ibid. art. 3 et ss.

[544] Ibid. art. 7.

[545] Ibid. art 9 - 11.

[546] Charte, art. 89.

[547] Commission scolaire des Samares c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, précitée à la note 536, para. 22, 26 et 27; nos soulignés.

[548] Ibid. para. 27.

[549] Affaire Action Travail des Femmes, précitée à la note 35, para. 20030, p. D/2416.

[550] Décision Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), précitée à la note 51.

[551] Ibid. para. 191(1); nos soulignés.

[552] Voir à ce sujet la section 3.1.2.

[553] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005, pp. 21 ss.

[554] Rappelons que cette catégorie dans laquelle s'inscrit le poste de préposé réseau fait partie de la classification nationale des emplois: voir la section 3.1.2.

[555] Madame Boukamp Bosch réfère alors au Tableau 7 de la pièce P-56, soit le Rapport annuel 2003 produit par Gaz Métro dans le cadre de sa participation au programme fédéral d'équité en emploi.

[556] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005, pp. 22, 23 et 25.

[557] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005, p. 24.

[558] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005 p. 26.

[559] Erika Boukamp Bosch, n.s. 18 février 2005, pp. 188 ss.

[560] France Landry, n.s. 15 mars 2005, p. 60.

[561] France Landry, n.s. 15 mars 2005, p. 73.

[562] Voir la section 3.1.2.

[563] Charte, art. 88, 2e alinéa.

[564] Arrêt Action Travail des femmes, précité à la note 27, p. 1143.

[565] Affaire Action Travail des Femmes, précitée à la note 35.

[566] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, précitée à la note 49.

[567] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., précitée à la note 59.

[568] Alliance de la capitale nationale sur les relations inter-raciales c. Canada (Ministère de la santé et du bien-être social), précitée à la note 51.

[569] Ibid. para. 190(3).

[570] Rappelons qu'en droit québécois, le harcèlement en milieu de travail fondé sur le sexe constitue aussi de la discrimination sexuelle: Habachi c. CDPDJ [1999] R.J.Q. 2522 (C.A.) ; la Cour d'appel confirme à cet égard la conclusion au même effet du Tribunal.

[571] Charte, art. 80.

[572] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, précitée à la note 49.

[573] Ayangama v. Prince Edward Island, précitée à la note 43.

[574] Ibid. para. 142.

[575] Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 7e éd., Vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2007, p. 355. 

[576] Laferrière c. Lawson [1991] 1 R.C.S. 541.

[577] La Cour suprême y réfère d'ailleurs dans un arrêt plus récent sur une question similaire: St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491.

[578] Laferrière c. Lawson, précitée à la note 576, p. 608.

[579] Ibid. p.602-603.

[580] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Québec (Procureur général) (9 mars 2005), Québec 200-53-000029-046, J.E. 2005-780 (T.D.P.)

[581] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Institut Demers inc., [1999] R.J.Q. 3101 (T.D.P.); désistement en appel.

[582] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Nicolet (Ville de), [2001] R.J.Q. 2735 (T.D.P.).

[583] Voir la section 3.3.6.

[584] P-90, précitée à la note 13.

[585] D-103, précitée à la note 20.

[586] Ayangama v. Prince Edward Island, précitée à la note 43.

[587] Le plaignant a porté en appel les conclusions du Tribunal relatives aux dommages. La division d'appel de la Cour suprême de l'Ile-du-Prince-Édouard a rejeté l'appel principal mais accueilli l'appel incident du gouvernement de la province: (2001) PESCAD 22.

[588] Radek v. Henderson Development (Canada) Ltd., précitée à la note 59.

[589] Ibid. para. 647; nos soulignés.

[590] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, pp. 40-42.

[591] Marie-Claude Côté, n.s. 2 février 2005, pp. 71-74; reproduit tel quel.

[592] Johanne Bolduc, n.s. 31 janvier 2005, pp. 70-71; reproduit tel quel.

[593] Johanne (Joan) Dupont, n.s. 1er février 2005, pp. 50-51, 54, 58-61; reproduit tel quel.

[594] Tania Plourde, n.s. 1er février 2005, pp. 185-186; reproduit tel quel.

[595] Le Tribunal rappelle qu'on lui fait alors passer le mauvais test, i.e. celui de préposé service plutôt que celui de préposé réseau.

[596] Shirley Thomas, n.s. 8 février 2005, pp. 114-115; reproduit tel quel.

 

[597] Line Beaudoin, n.s. 31 janvier 2005, pp. 205-206, 208-211; reproduit tel quel.

[598] Nicole Trudel, n.s. 1er février 2005, pp. 117 et 120; reproduit tel quel.

[599] Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand [1996] 3 R.C.S. 211, para. 121.

[600] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, précitée à la note 49.

[601] Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6.

[602] Affaire Action Travail des Femmes, précitée à la note 35, para. 19778.

[603] Voir le témoignage à cet effet de madame Carole Magnan tel que mentionné dans la section 3.4.3.

[604] Sylvie Gagnon, «Quelques observations critiques sur le droit à une réparation selon la Charte des droits et libertés de la personne», dans Barreau du Québec et Tribunal des droits de la personne (dir.), La Charte des droits et libertés de la personne: Pour qui et jusqu'où?, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, 261, pp. 307-308.

[605] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Communauté urbaine de Montréal, [2004] 1 R.C.S. 789.

[606] Ibid. para. 26. Selon la Cour suprême, la réparation appropriée consiste ici dans une déclaration du droit accompagnée d'une ordonnance qui enjoint la défenderesse d'examiner la candidature de l'appelant sans tenir compte de son handicap.

[607] Anne L. MacTavish et Andrew J. F. Lenz, «Civil Actions for Conduct Addressed by Human Rights Legislation - Some Recent Substantive and Procedural Developments», (1996) 4 C.L.E.L.J. 375, 386.

[608] Canada (Attorney General) c. Uzoaba, (1996) 26 C.H.R. R. D/428 (C.F.).

[609] Ibid. para. 20, 24 et 25.

[610] Green c. Commission de la fonction publique du Canada, précitée à la note 49.

[611] Soit mesdames Line Beaudoin et Joan Dupont.

[612] Soit mesdames Nicole Trudel et Tania Plourde.

[613] Soit mesdames Johanne Bolduc et Shirley Thomas.

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