Gabarit BDRVM

Autorité des marchés financiers c. Bertrand

2012 QCBDR 97

BUREAU DE DÉCISION ET DE RÉVISION

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2011-022

 

DÉCISION N° :

2011-022-001

 

DATE :

5 septembre 2012

 

 

EN PRÉSENCE DE :

Me ALAIN GÉLINAS
Me CLAUDE ST PIERRE

M. JACQUES LABELLE

 

 

 

AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

MARC BERTRAND

et

VIC BERTRAND

et

ALAIN TANGUAY

et

BRAHM SEGAL

Parties intimées

 

 

 

décision sur demande d’ordonnances et d’imposition de pénalités administratives

[art. 262.1 et 273.1 , Loi sur les valeurs mobilières, L.R.Q., c. V-1.1 et art. 93 , Loi sur l’Autorité des marchés financiers, L.R.Q., c. A-33.2]

 

 

 

Me Geneviève Cotnam (Stein Monast)

Me François St-Pierre et Me Simon-Pierre Lavoie (Girard et al.)

Procureurs de l’Autorité des marchés financiers, demanderesse

 

 

Me Raynold Langlois et Me Marie-Geneviève Masson

(Langlois Kronström Desjardins, s.e.n.c.r.l.)

Procureurs de Marc Bertrand, Vic Bertrand et Alain Tanguay, intimés

 

 

Me Julie-Martine Loranger

(Gowling Lafleur Henderson)

Procureure de Brahm Segal, intimé

 

 

 

Dates d’audience :

23, 24, 25, 26 et 27 janvier, 27 et 29 février et 1er mars 2012


 

 

DÉCISION

 

LA DEMANDE

[1]       Le 4 mai 2011, l’Autorité des marchés financiers (l’ « Autorité ») a saisi le Bureau de décision et de révision (le « Bureau ») d’une demande d’ordonnances de redressement et d’imposition de pénalités administratives à l’encontre des intimés Marc Bertrand (« M. Bertrand »), Vic Bertrand (« V. Bertrand »), Alain Tanguay (« A. Tanguay ») et Brahm Segal (« B. Segal »), en vertu des articles 262.1 et 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières[1] et de l’article 93 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers[2].

[2]       La demande de l’Autorité concerne des transactions boursières effectuées par les intimés les 14 et 15 décembre 2005 sur les titres de Mega Brands inc. (« Mega Brands »). L’Autorité allègue qu’il s’agit de transactions d’initiés effectuées après que les intimés eussent été informés d’une information privilégiée alors inconnue du public, à savoir le décès d’un garçon de 22 mois après qu’il eût avalé des pièces aimantées provenant d’un jouet fabriqué par Rose Art Industries (« Rose Art »), filiale de Mega Brands.

[3]       L’Autorité recherche les conclusions suivantes dans sa demande :

 

 
ORDONNER à Alain Tanguay, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l’article  262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de payer à l’Autorité des marchés financiers la somme de 375 000,00 $ représentant le profit réalisé lors de la transaction d’initié effectuée le 14 décembre 2005;

 

 
ORDONNER à Brahm Segal, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l’article  262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de payer à l’Autorité des marchés financiers la somme de 187 500,00 $ représentant le profit réalisé lors des transactions d’initié effectuées le 14 et le 15 décembre 2005;

 

 
ORDONNER à Vic Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l’article  262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de payer à l’Autorité des marchés financiers la somme de 2 315 000,00 $ représentant le profit réalisé lors de la transaction d’initié effectuée le 14 décembre 2005;

 

 
ORDONNER à Marc Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l’article  262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de payer à l’Autorité des marchés financiers la somme de 2 315 000,00 $ représentant le profit réalisé lors de la transaction d’initié effectuée le 14 décembre 2005;

IMPOSER à Alain Tanguay une pénalité administrative de 93 500,00 $, en vertu de l’article  273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières;

IMPOSER à Brahm Segal une pénalité administrative de 46 875,00 $, en vertu de l’article  273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières;

IMPOSER à Marc Bertrand une pénalité administrative de 578 750,00 $, en vertu de l’article  273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières;

IMPOSER à Vic Bertrand une pénalité administrative de 578 750,00 $, en vertu de l’article  273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières;

ORDONNER aux intimés de rembourser à l’Autorité des marchés financiers les frais reliés à l’enquête.

[4]       Les audiences ont eu lieu les 23, 24, 25, 26 et 27 janvier et les 27 et 29 février et le 1er mars 2012.

LA DEMANDE AMENDÉE

[5]       Le 21 février 2012, l’Autorité a signifié aux parties et au tribunal une demande amendée. La requête pour amendement a été présentée en début d’audience le 27 février 2012. Les intimés se sont opposés à cet amendement et le tribunal a pris l’objection sous réserve.

[6]       Cette demande amendée est survenue le 21 février 2012, soit six jours avant la reprise des audiences, alors que l’Autorité avait déclaré sa preuve close le 25 janvier 2012, soit la troisième journée d’audience. Et, la preuve des intimés était déjà entamée.

[7]       Les amendements visent à ajouter les conclusions suivantes :

ORDONNER à Alain Tanguay, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre à l'Autorité des marchés financiers la somme de 807 000,00 $ représentant le montant obtenu lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

ORDONNER à Brahm Segal, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre à l'Autorité des marchés financiers la somme de 402 980,00 $ représentant le montant obtenu lors des transactions d'initié effectuées le 14 et le 15 décembre 2005;

ORDONNER à Vic Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre à l'Autorité des marchés financiers la somme de 2 698 000,00 $ représentant le montant obtenu lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

ORDONNER à Marc Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre à l'Autorité des marchés financiers la somme de 2 698 000,00 $ représentant le montant obtenu lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

IMPOSER à Alain Tanguay une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 93 500,00 $;

IMPOSER à Brahm Segal une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 46 875,00 $;

IMPOSER à Marc Bertrand une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 578 750,00 $;

IMPOSER à Vic Bertrand une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 578 750,00 $;

ORDONNER aux intimés de rembourser à l'Autorité des marchés financiers les frais reliés à l'enquête.

[8]       De plus, la demande amendée prévoit les conclusions subsidiaires suivantes :

ORDONNER à Alain Tanguay, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 3725 000,00 $ représentant le montant obtenu profit réalisé lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

 

ORDONNER à Brahm Segal, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 1857 480500,00 $ représentant le montant obtenu profit réalisé lors des transactions d'initié effectuées le 14 et le 15 décembre 2005;

 

ORDONNER à Vic Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 2 3135 000,00 $ représentant le montant obtenu profit réalisé lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

 

ORDONNER à Marc Bertrand, conformément aux dispositions du paragraphe 9° de l'article 262.1 de la Loi sur les valeurs mobilières, de remettre payer à l'Autorité des marchés financiers la somme de 2 3135 000,00 $ représentant le montant obtenu profit réalisé lors de la transaction d'initié effectuée le 14 décembre 2005;

 

IMPOSER à Alain Tanguay une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 93 500,00 $;

 

IMPOSER à Brahm Segal une pénalité administrative en vertu des dispositions de  l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 46 875,00 $;

 

IMPOSER à Marc Bertrand une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 578 750,00 $;

 

IMPOSER à Vic Bertrand une pénalité administrative en vertu des dispositions de l'article 273.1 de la Loi sur les valeurs mobilières de 578 750,00 $;

 

ORDONNER aux intimés de rembourser à l'Autorité des marchés financiers les frais reliés à l'enquête.

[9]       L’objection à la demande d’amendement a été prise sous réserve.

LA PREUVE

          Mega Brands

[10]    Mega Brands est un émetteur assujetti depuis le 2 mai 2002. Elle œuvre dans la fabrication et la vente de jouets. Mega Brands est reconnue comme l’un des plus importants manufacturier de jouets à travers le monde. Les titres de Mega Brands se négocient à la Bourse TSX de Toronto sous le symbole « MB ».

[11]    En juin 2005, Mega Brands a annoncé qu’elle avait fait l’acquisition de Rose Art, dont le siège social est situé au New Jersey. Cette acquisition est annoncée comme faisant de Mega Brands « un nouveau chef de file dans le secteur des produits liés aux activités de créativité avec un chiffre d’affaires annuel pro forma de plus de 500 millions de dollars américains en 2004 »[3].

          Rose Art

[12]    Rose Art est présentée comme étant : « la deuxième société en importance dans le secteur des arts et de l’artisanat, évalué à 1,8 milliard de dollars américains, et le chef de file dans le secteur des ensembles de construction magnétiques, le segment qui connaît la plus forte croissance dans le secteur des jeux de construction, sur le marché américain »[4]. Dans le cadre de cette acquisition avec Rose Art, les frères Rosen, Lawrence Rosen (« L. Rosen ») et Jeffrey Rosen (« J. Rosen »), conservaient le contrôle entier de toutes les opérations de cette compagnie jusqu’au 31 décembre 2005.

Les intimés

[13]    L’intimé M. Bertrand est membre du conseil d’administration et il est président et chef de la direction de Mega Brands. V. Bertrand est membre du conseil d’administration et il occupe le poste de chef de l’innovation. À l’époque pertinente, A. Tanguay occupait le poste de chef de la direction financière de Mega Brands. Pour sa part, B. Segal occupait le poste de vice-président développement des affaires. Depuis juin 2004, il occupait ses fonctions en Suisse.

Le décès de Kenny Sweet

[14]    Le 24 novembre 2005, Kenny Sweet (« K. Sweet »), un garçon de 22 mois résidant dans la région de Seattle, meurt. Son décès est survenu à la suite de l’ingestion d’aimants provenant du jouet de marque Magnetix développé et fabriqué par Rose Art. Le jeu avait été offert à son grand frère et était destiné aux enfants de 6 ans et plus.

[15]    Le 11 décembre 2005, la mère de l’enfant, Penny Sweet, informe du décès de son enfant le détaillant Fred Meyer où le jouet avait été acheté. Le 12 décembre 2005, Jennifer Zerczy (« J. Zerczy »), directrice des affaires juridiques de Mega Brands, est informée de l’incident par Karen Thompson, vice-présidente gestion du risque chez Fred Meyer.

Les transactions effectuées

[16]    L’Autorité soutient que les transactions effectuées par les intimés les 14 et 15 décembre 2005 ont été effectuées par ceux-ci alors qu’ils étaient en possession d’une information privilégiée, à savoir le décès d’un enfant dû à l’ingestion d’aimants provenant d’un jouet de la ligne de produits Magnetix. Selon l’Autorité, ce n’est qu’après l’annonce de la poursuite de la famille Sweet en dommages et intérêts contre Rose Art, le 15 mars 2006, que le décès de K. Sweet a bénéficié d’une diffusion suffisante pour devenir connu du public.

[17]    Les intimés invoquent qu’ils n’étaient pas en possession d’une information privilégiée au moment d’exercer leurs options et de vendre leurs actions. Ils ont exercé leurs options d’achat d’actions de Mega Brands et ont vendu leurs actions entre le moment où ils ont appris la nouvelle du décès de K. Sweet et le moment où une période de « black-out » entrait en vigueur, soit à partir du 16 décembre 2005. Voici un sommaire des opérations effectuées :

·                Le 14 décembre 2005, à 17 h 12, 30 000 actions de A. Tanguay sont vendues au prix de 27 $ l’action (prix d’exercice de 14,50 $);

o      Le 13 décembre 2005, A. Tanguay a écrit une lettre indiquant qu’il souhaitait exercer ses 30 000 options. La documentation nécessaire a été transmise à BMO Nesbitt Burns le 14 décembre 2005, à 11 h 22;

o      Il a adressé un courriel à M. Bertrand le 14 décembre 2005, à 15 h 05, pour l’informer de son exercice de 30 000 options, que cet exercice fait partie d’une stratégie fiscale dont l’objectif est de convertir un emprunt dont les intérêts sont non déductibles en un emprunt dont les intérêts seraient déductibles[5]. Le produit de la vente devait servir à faire des rénovations sur sa résidence prévues pour le printemps[6]. Sa décision d’exercer les options avait été prise avant le 13 décembre 2005, mais c’est à ce moment qu’il en a informé les gens de Mega Brands;

·               Entre 15 h 53 et 16 h 40 le 14 décembre 2005, 3 100 actions de B. Segal sont vendues et le 15 décembre 2005, entre 10 h 05 et 13 h 08, 11 900 actions de B. Segal sont vendues au prix de 27 $ l’action, pour un total de 15 000 actions (prix d’exercice de 14,50 $);

o      À 15 h 27 le 14 décembre, la documentation nécessaire pour l’exercice d’options de B. Segal est transmise à la Financière Banque Nationale;

·               Le 15 décembre 2005, V. Bertrand et M. Bertrand vendent chacun 100 000 actions au prix de 27 $ l’action (prix d’exercice de 3,85 $).

o      À 18 h 53 le 14 décembre 2005, M. Bertrand écrit à V. Bertrand qu’ils pourraient peut-être vendre 100 000 actions chacun, ce qui doit être fait avant le vendredi, puisqu’après cette date, ils seront « locked up until May »;

o      Les options de V. Bertrand et M. Bertrand leur avaient été octroyées en 1999 et devaient être exercées avant 2009.

[18]    Une quarantaine a été décrétée après l’annonce du décès, le temps que la lumière soit faite sur les événements. Une autorisation devait être donnée avant que la transaction puisse être effectuée. Cette autorisation a vraisemblablement été donnée à compter du 14 décembre 2005, à 11 h 22, lorsque la documentation est transmise à la BMO pour la transaction de A. Tanguay.

Les faits à la connaissance des intimés au moment des transactions

[19]    Les transactions des intimés A. Tanguay et B. Segal ont eu lieu à partir du 14 décembre 2005 et le 15 décembre 2005, pour les frères Bertrand.

[20]    Voici l’information qu’avaient en leur possession les intimés en date des 14 et 15 décembre 2005 :

·               Un enfant de 22 mois, de Redmond, état de Washington, est décédé, le ou vers le 25 novembre 2005; sa mort serait reliée à l’ingestion d’au moins deux aimants provenant du jouet « Magnetix X-treme Combo flashing lights product », un jouet développé et fabriqué par Rose Art;

·               J. Zerczy, directrice des affaires juridiques de Mega Brands, a été informée de l’incident le 12 décembre 2005 par le détaillant Fred Meyer et, selon les notes prises à cette date, les parents n’avaient alors pas l’intention d’entreprendre des poursuites;

·               À la même date, elle est informée que les parents de K. Sweet ont l’intention de s’adresser aux médias. Des réponses sont préparées devant indiquer que Mega Brands prend la situation très au sérieux et qu’elle fait enquête;

·               Leur conseiller juridique spécialisé dans la réglementation de l’industrie du jouet est contacté, à savoir Rick Locker (« R. Locker »);

·               Un courriel avise ce dernier des détails de l’incident, à savoir :

o      L’enfant aurait ingéré, à des occasions différentes, au moins deux aimants qui se sont joints, occasionnant un blocage de l’intestin de l’enfant, ce qui a provoqué une insuffisance cardiaque;

o      Le jouet aurait été apporté dans la maison de la famille Sweet le ou vers le 13 novembre 2005 à titre de cadeau pour un des enfants de la famille âgé de 10 ans. La famille compte sept enfants;

o      Le jouet est destiné aux enfants de six ans et plus et comporte des avertissements concernant le danger d’étouffement (« choking hazard warnings »);

o      On ignore les circonstances qui ont fait que le jouet se soit trouvé en possession de l’enfant de 22 mois[7].

·               Le 12 décembre 2005, suivant des échanges de courriels avec J. Rosen, ce dernier affirme ne pas être au courant d’autres décès en lien avec l’ingestion d’aimants[8];

·               Le 13 décembre 2005, il y a préparation pour répondre aux questions des médias et B. Segal indique à J. Zerczy de fournir l’information suivante aux médias :

o      Le jouet a réussi tous les tests indépendants de sécurité;

o      L’emballage contient des avertissements clairs selon lesquels il ne faut pas laisser le jouet à de jeunes enfants;

o      Mega Brands coopère pleinement avec le Consumer Product Safety Commission (« CPSC ») dans son enquête sur cet incident tragique;

o      La sécurité des utilisateurs des produits Mega Brands est l’une de ses plus grandes préoccupations[9].

·               Le 13 décembre 2005, vers 10 h 15, lors d’une conférence téléphonique, R. Locker émet l’opinion qu’à ce moment et selon les faits connus, il n’entrevoit pas la possibilité que le CPSC procède à un rappel des produits Magnetix;

·               Le 14 décembre 2005, avant 10 h 08, une consultation auprès du conseiller juridique externe de Mega Brands est effectuée relativement à « stock option exercise and material information matters »[10];

·               Le conseiller juridique envoie un courriel à J. Zerczy relativement à la définition de « material information » :

« For your reference “material information” is any information relating to the business and affaris [sic] of a company that results in or would reasonably be expected to result in a significant change in the market price or value of any of the company’s listed securities. »[11]

·               Le 14 décembre 2005, à 11 h 22, la documentation nécessaire pour l’exercice des options d’A. Tanguay est transmise à BMO par Isabelle Cousineau;

·               Le 14 décembre 2005, à 12 h 12, R. Locker informe J. Zerczy que le CPSC a été informé de l’incident[12];

·               Entre 11 h 08 et 13 h 06, V. Bertrand communique avec les parents de K. Sweet qui fournissent les éléments d’information suivants :

o      Le jouet avait été acheté pour un autre enfant de la famille;

o      D’autres de leurs enfants avaient joué avec le jouet Magnetix;

o      Ils construisaient des navettes spatiales qu’ils lançaient d’un peu partout et laissaient tomber à partir de différentes hauteurs sur le plancher pour voir les morceaux éclater sur le plancher;

o      Plusieurs des panneaux ont craqué et les aimants se sont délogés;

o      K. Sweet aurait ingéré deux aimants qui se seraient coincés dans ses intestins;

o      Ils discutent également de la condition de K. Sweet avant son décès.

·               À 14 h 23, J. Zerczy informe R. Locker et B. Segal que V. Bertrand a parlé aux parents de K. Sweet et mentionne ce qui suit :

« Good. Vic spoke with the family this morning. It is looking more and more like this was a real fluke accident. The kids in the house had been throwing the toy around and dropping it from different heights and watching the pieces smash on the floor. Many of the panels had cracked and the magnets had dislodged. They did not mention haven spoken to any reporters, etc about this incident and we have not tracked any to date. The circumstances appear to be such that this fatality is the result of a unique set of facts and not necessarily a defect in the product or the warnings themselves. At this point in time, the parents do not seem to be blaming the toy for the death of their child. »[13]

·               À 15 h 27, le 14 décembre 2005, la documentation nécessaire pour l’exercice d’options de B. Segal est transmise à la Financière Banque Nationale. Entre 15 h 53 et 16 h 40, 3 100 actions de B. Segal sont négociées. À 17 h 12, 30 000 actions d’A. Tanguay sont négociées;

·               À 17 h 32, R. Locker transmet par courriel à J. Zerczy un document énumérant les renseignements devant être communiqués au CPSC afin de compléter leur rapport. À 17 h 45, R. Locker transmet par courriel à J. Zerczy et B. Segal le rapport déposé auprès du CPSC, qui comprend les mentions suivantes :

« The company does not believe the product is defective and is reporting as a precaution. »

« The Company has received a report of an alleged death resulting from ingestion of two magnets from the product. The incident reportedly involved a 19-month old boy (Kenneth William Sweet, Jr.) in Redmond, Washington. According to the autopsy report, the boy ingested at least two magnets from the product on separate occasions, which subsequently joined together in the intestine and created a blockage which resulted in heart failure. The product in question was purchased for an older sibling. The circumstances of the report are not clear and the incident is currently under investigation. An initial telephone call today revealed that this was an unusual accident. Older children apparently had been intentionally throwing and breaking components of the toy into pieces on the floor. The broken panels released the magnet pieces which were left on the floor and were allegedly swallowed over a period of time by their brother (toddler). At this point of time, the parents did not seem to place blame for this unfortunate accident on the toy. This is the only alleged incident of this nature associated with this product. »[14]

·               Le 14 décembre 2005, à 18 h 53, M. Bertrand écrit à V. Bertrand qu’ils pourraient peut-être vendre 100 000 actions chacun, ce qui doit être fait avant vendredi, puisqu’après cette date ils seront « locked up until May ». Il demande à A. Tanguay de s’occuper de la transaction.

·               Le 15 décembre 2005, entre 10 h 05 et 13 h 08, 11 900 actions de B. Segal sont négociées.

·               À 10 h 13, J. Zerczy demande à une adjointe de J. Rosen de compiler toutes les plaintes relatives au Magnetix au cours des cinq dernières années concernant des aimants qui se disloquent du jouet ainsi que toutes les plaintes relatives à des préjudices corporels de toutes sortes. Elle lui demande d’être minutieuse parce que cette information sera communiquée au CPSC[15].

·               Le 15 décembre 2005, V. Bertrand et M. Bertrand vendent chacun 100 000 actions. La transaction a dû être organisée par l’intermédiaire de BMO afin que la vente de blocs d’options détenues par les frères Bertrand n’affecte pas le cours du titre. Un compte a été ouvert auprès de la BMO.

Les développements survenus après les transactions

[21]    L’Autorité a fait largement état des faits survenus après les transactions pour conclure que l’information que possédaient les intimés était de nature privilégiée; on invoque des faits survenus plus de deux ans après les opérations. Pour les intimés, il importe au tribunal de s’attarder aux faits qui étaient à la connaissance des intimés au moment où ils ont effectué leurs opérations.

[22]    Nous exposons ici les faits qui sont survenus après les transactions et nous disposerons plus tard de leur pertinence pour qualifier la nature de l’information au moment des transactions.

[23]    Le 20 décembre 2005, un premier article est publié sur KOMO par la journaliste Michelle Esteban intitulé « Toddler Dies After Freak Accident Involving Toy »[16]. J. Zerczy informe B. Segal par courriel que madame Sweet doit passer à la télévision pour parler du décès de son fils et qu’elle vient de recevoir un premier appel d’un poste de télévision à ce sujet.

[24]    J. Zerczy envoie un courriel à Éric Phaneuf dans lequel elle discute de l’article et elle souligne que le titre « Freak Accident » est conforme à ses premières impressions suivant lesquelles il s’agit d’une suite d’événements bizarres plutôt que d’un problème de sécurité ou d’avertissements sur le produit[17].

[25]    Des sujets à discuter avec les médias sont élaborés en guise de préparation aux demandes médiatiques ou celles des détaillants, à savoir que le jouet a réussi tous les tests de sécurité indépendants, qu’il a été certifié et, qu’à la connaissance de Mega Brands, il n’y a pas eu d’incidents similaires impliquant un jouet de Mega Brands ou Rose Art. J. Zerczy et B. Segal semblent satisfaits du traitement médiatique de la nouvelle.

[26]    Le 20 décembre 2005, le prix des actions de Mega Brands à la clôture est de 27,01 $. Le 22 décembre 2005, J. Zerczy fait à B. Segal un rapport des événements qui sont survenus depuis l’annonce de l’incident Sweet. Au niveau canadien, elle s’attendait à recevoir des appels surtout des analystes et non des consommateurs puisque le produit n’y était pas vendu.

[27]    J. Zerczy écrit à J. Rosen pour lui rappeler l’importance d’être transparent et de transmettre toute l’information sur le produit et son historique, afin de collaborer avec le CPSC. Le 30 décembre, J. Zerczy écrit aux frères Rosen pour dénoncer les réclamations reçues depuis la conclusion de la convention d’achat d’actions.

[28]    Le 2 janvier 2006, Shawn McGowan, analyste pour Harris Nesbitt, communique avec Éric Phaneuf, responsable des relations avec les investisseurs, qui s’enquerrait de la possibilité d’un rappel du produit, de l’impact sur les projections de ventes et de la couverture d’assurance. J. Zerczy répond qu’il n’y a pas de rappel et « nor do we believe that a recall is likely »[18].

[29]    En date du 5 janvier 2006, alors que le prix de clôture de l’action est à 27,01 $, Sara O’Brien de RBC Capital Markets, publie un rapport intitulé « Rose-Art Benefits Look Strong into 2007; Target Price Upped to $33.00 on Roll Foward of Valuation »[19]. L’analyste mentionne qu’elle n’entrevoit pas un impact financier important de la décision du détaillant Kroger, société mère de Fred Meyer, d’avoir retiré de ses tablettes la ligne de produits Magnetix.

[30]    Le 23 janvier 2006, la famille Sweet rencontre son avocat pour la première fois. Le 24 janvier 2006, la même analyste de RBC maintient sa recommandation à 33 $. Le 27 janvier 2006, le distributeur européen « Top Toy » adresse un courriel manifestant ses inquiétudes quant à la ligne de produits Magnetix; ce courriel est acheminé à J. Zerczy[20].

[31]    Le 24 février 2006, les frères Rosen répondent à J. Zerczy relativement à la violation par les Rosen de leurs représentations et garanties au sujet des produits Magnetix. Ils indiquent que « Rose Art is not aware of any product recall or pending litigation relating to this matter at present »[21].

[32]    Le 15 mars 2006, un communiqué de presse est émis par Me Sim Osborn; il fait état d’une poursuite de la famille Sweet en dommages et intérêts contre Mega Brands[22]. Les hauts dirigeants de Mega Brands sont informés de la poursuite le 16 mars 2006; les assureurs en sont avisés. Le 15 mars 2006 et le 16 mars 2006, le prix à la clôture des actions de Mega Brands est respectivement de 28,230 $ et 28,790 $.

[33]    L’Autorité prétend dans sa demande que c’est à compter de la diffusion de ce communiqué de presse que la nouvelle du décès de K. Sweet a bénéficié d’une diffusion suffisante pour être connue du public.

[34]    Le 16 mars 2006, un autre incident de nature similaire est publié par la journaliste Michelle Esteban; le jeu Magnetix serait impliqué dans l’hospitalisation d’un jeune garçon de cinq ans. Le 17 mars 2006, des échanges de courriels ont lieu entre B. Segal, J. Zerczy et R. Locker au sujet de ce nouvel incident; ces courriels soulèvent des problèmes à obtenir toute l’information pertinente de la part de Rose Art.

[35]    Suivant ce nouvel incident, J. Zerczy informe les intimés, le 17 mars 2006, des développements, à savoir que R. Locker l’a informée que le CPSC fera parvenir une lettre à Mega Brands exprimant leur préoccupation pour la sécurité du jouet Magnetix et demandera que des mesures correctives soient envisagées. Il est également fait mention de confier un mandat à une firme spécialisée en gestion de crise.

[36]    Lors de la réunion du conseil d’administration de Mega Brands tenue le 23 mars 2006, B. Segal et J. Zerczy font état des développements de l’enquête du CPSC et des mesures qui pourraient être envisagées. Il est discuté des améliorations qui sont apportées à la fabrication et à l’assemblage du jouet après que Mega Brands ait appris l’incident Sweet.

[37]    Le 24 mars 2006, Mega Brands diffuse son rapport Q4 2005 dans lequel il est fait mention de la poursuite de la famille Sweet et du fait que le CPSC a entamé une enquête sur la sécurité des produits Magnetix. Le 24 mars 2006, le prix des actions de Mega Brands à la clôture des marchés est de 26,99 $.

[38]    Une conférence téléphonique a lieu le 24 mars 2006 avec les analystes au sujet des résultats financiers. Une analyste de RBC Capital Markets publie un rapport mentionnant, en relation avec le décès de K. Sweet et la poursuite en dommages et intérêts, « [n]ot wishing to detract from the magnitude of this tragedy, we have not factored in any material financial impact to the compagny »[23].

[39]    Deux autres analystes, de FBN et Canaccord publient chacun un rapport qui maintient leur recommandation d’achat du titre, en date des 26 et 27 mars 2006[24]. Le 30 mars 2006, Mega Brands publie son quatrième rapport trimestriel 2005 dans lequel il est fait mention de la poursuite de la famille Sweet de la manière suivante :

« The Corporation learned that on March 15, 2006, the family of a deceased toddler filed a product liability lawsuit against Rose Art Industries, Inc. in King County Superior Court, Washington. Although the Corporation has yet to be served with the pleadings, it understands that the lawsuit alleges defects in design and insufficiency in warnings that caused the death of a toddler who ingested several magnetic pieces from a Magnetix building set. The lawsuit claims compensatory and punitive damages and injunctive relief. This lawsuit could have a material adverse effect on the Corporation’s business, financial condition, business prospects and results of operations. The CPSC had undertaken and independent investigation in relation to the safety of our Magnetix building sets. The results of this investigation could have a material adverse effect on the Corporation’s business, financial condition, business prospects and results of operations. »[25]

[40]    Le 31 mars 2006, conjointement avec le CPSC Mega Brands émet un communiqué de presse faisant état d’une campagne de remplacement volontaire du produit[26]. Ce remplacement de produit vise « All Magnetix Magnetic Building Sets », soit 3,8 millions d’unités. À la même date, le prix des actions de Mega Brands à la clôture des marchés est de 24,70 $.

[41]    À la suite de l’annonce de cette campagne, plusieurs analystes publient leur rapport avec les mentions suivantes :

Benoît Caron (Canaccord) « Magnetix Recall a Temporary Setback »

« The potential impact of the product recall is limited, in our view. 

Firstly, we believe these unfortunate events should not have a dramatic impact on Magnetix sales going forward. The CPSC is aware of 34 cases of injury reported over 3.8 million units sold in more than two years since it was introduced, in September 2003.

Secondly, the recall is not an automatic refund, but a product replacement by some alternative product, which may lead to a one-time charge to inventory levels, but should not result in a significant cash drain. »[27]

Martin Goulet (FBN) « Mega Bloks Inc. - Proposed replacement program for Magnetix toys to take momentum out of a successful line »

« Following the death of a 22-month-old toddler in Seattle last November who swallowed magnets that came loose from a Rose Art Magnetix building set, Mega Blokes is offering households with children under the age of six the option to exchange Magnetix products for ones that are more suitable for young children.

While note a formal recall, this news will nevertheless take the momentum out of the Magnetix line that had a huge success during the last Holiday season.  Magnetix sets had been named among the top-10 most wanted by TD Monthly trade magazine, are top sellers on various on-line transactional sites, including Amazon-com as well as those of KB Toys and Wal-Mart. The stock had lost around 10% following slightly-lower-than-expected financial results.

[...]

However, today's development is conducive to more weakness given the uncertainly surrounding the future perception of Magnetix as safe toys. [...] The global impact may not be too significant, but it does create short-term uncertainty. »[28]

Jessy Hayem (Desjardins Securities) « Mega Bloks Inc. (MB C$24.68, TSX) - Rating Buy-Above-average Risk - Target C$31.00 »

« Stock rating outperform unchanged.

We had previously pointed out on March 15, the parent of a 20-month-old toddler, who tragically died after ingesting several magnets from the Magnetix line, filed a lawsuit against Rose Art. […]

On its last quarterly conference call (held on March 26), management had stated it was fully co-operating with the CPSC investigation. [...]

Today, the CPSC released the findings of its investigation.  It reports 34 incidents involving the small magnets, [...]. It also announced that, in cooperation with Mega Bloks, a voluntary recall of about 3.8m Magnetix building sets is in place.

Typical consumer response rate to recalls tends to be minimal, and as such the financial impact is not expected to be significant. We believe that the "negative" press related to the lawsuit and the voluntary recall could possibly temper demand for the product. [...]

We acknowledge that such news raises the "risk" profile of Mega Bloks, especially when it involves the unfortunate death of a child.  That being said, we believe the market reaction remains overdone and would view the weakness in the stock as a buying opportunity. »[29]

Richard Piticco (CIBC World Markets) « The Magnetix Recall: Suitability, Not Product Quality »

« That is, the sets themselves are fine but unsuitable for children under the age of 6. This message is consistent with Mega Bloks product packaging, despite the inappropriateness of certain children playing with or being exposed to the product.

Of course, the bad public relations is likely to have some negative impact to sales.  This is most likely the case with families having several children with at least one child being in the “high risk” under 6 years of age category. »

[42]    Le 10 mai 2006, Mega Brands publie un communiqué de presse annonçant le dépôt d’une procédure judiciaire entreprise contre Mega Brands par les frères Rosen concernant la clause de contrepartie conditionnelle (« earn-out »). Le lendemain, L. Rosen démissionne du conseil d’administration de Mega Brands. Le rapport de gestion pour le premier trimestre de l’année 2006 fait état de la poursuite intentée par les frères Rosen devant la United States District Court for the Southern District of New York qui vise à obtenir le versement de la considération additionnelle pour l’acquisition, en vertu de la convention d’achat d’actions intervenue le 26 juillet 2005.

[43]    Il est également fait mention que Mega Brands considère déposer une demande reconventionnelle à l’égard des frères Rosen pour le non-respect de certaines obligations en vertu de la convention d’achat d’actions. Dans le rapport de gestion du deuxième trimestre de l’année 2006, il est fait mention que Mega Brands a déposé, le 23 juin 2006, une réponse et une demande reconventionnelle réfutant chacune des allégations importantes de la poursuite des frères Rosen.

[44]    Le 24 octobre 2006, un communiqué de presse a été publié annonçant qu’un règlement à l’amiable est intervenu relativement à quatre poursuites et dix réclamations relatives à des blessures provenant de l’ingestion d’aimants pour un montant total de 13,5 millions $. Mega Brands s’attend à récupérer la presque totalité des montants des assureurs.

[45]    Dans le rapport de gestion du quatrième trimestre de l’année 2006, daté du 2 avril 2007, il est fait mention que deux poursuites relatives à l’ingestion d’aimants demeurent en suspens. Mega Brands a appris le 29 mars 2007 qu’une troisième poursuite avait été déposée. Mega Brands a également été informée d’au moins sept autres affaires où des enfants auraient subi une intervention chirurgicale après avoir avalé plusieurs aimants. Dans ce même rapport, il est mentionné que Mega Brands a comptabilisé des frais de remplacement de produits de 5,6 millions $.

[46]    Le 19 avril 2007, Mega Brands procède à un rappel étendu des jouets Magnetix[30]. La cote Ba3 est révisée par Moody’s après l’annonce de résultats plus faibles que prévus pour le quatrième quart de 2006 et pour l’année complète[31]. À la clôture des marchés le 19 avril 2007, le prix des actions est de 22,67 $.

[47]    En date du rapport de gestion du premier trimestre de l’année 2007[32], quatre poursuites en responsabilité du fait du produit ont été signifiées à Mega Brands relativement à l’ingestion d’aimants et sont en cours. Les assureurs ont confirmé que Mega Brands bénéficiait d’une protection pour ces poursuites, sauf une. Au 18 mai 2007, le prix des actions est de 21,05 $.

[48]    Le 27 juillet 2007, la cote de Mega Brands est diminuée par Moody’s à B1 en raison de la sécurité des produits Magnetix, des incertitudes relatives à Rose Art et à la marque Magnetix[33]. À cette date, le prix à la clôture est de 18,86 $ l’action.

[49]    En date de la publication du rapport de gestion du deuxième trimestre de l’année 2007, les quatre poursuites sont toujours en cours et Mega Brands est au courant d’au moins 11 autres cas où des enfants auraient dû subir une intervention chirurgicale par suite de l’ingestion d’aimants[34].

[50]    En date de la publication du rapport de gestion du troisième trimestre de l’année 2007, Mega Brands a reçu le remboursement par les assureurs d’une somme de 3,6 millions $. Elle est maintenant au courant de 14 autres cas et trois poursuites sont toujours pendantes. Le prix à la clôture est alors de 9,95 $ l’action en date du 9 novembre 2007. Le 14 décembre 2007, Mega Brands est retirée comme émetteur assujetti du TSX.

[51]    Le 17 mars 2008, un rappel des jouets « MagnaMan Magnetic Toy Figures », Magnastik et « Magnetix Jr. Pre-School Magnetic Toy » est annoncé conjointement par Mega Brands et le CPSC. À la même date, le prix de l’action à la clôture des marchés est de 4,40 $.

[52]    Le 16 septembre 2008, Mega Brands annonce qu’un comité indépendant spécial de son conseil d’administration a conclu de ne pas intenter de recours en réponse aux allégations de délit d’initiés par certains dirigeants de Mega Brands en 2005 et 2006, présentées par un ancien propriétaire de Rose Art. Sur la base de ces allégations, les frères Rosen ont déposé une requête pour entreprendre un recours devant la Cour supérieure de l’Ontario.

[53]    L’enquêteur de l’Autorité qui a témoigné à l’audience a indiqué que c’est suivant la publication d’un communiqué de presse qui datait de septembre 2008 que l’enquête de l’Autorité a été initiée. Ce communiqué faisait état d'une poursuite par les frères Rosen contre Mega Brands alléguant, entre autres, « les faits qui sont le cœur de la présente enquête »[35]. C’est dans la poursuite des frères Rosen de septembre 2008 que l’enquêteur prend connaissance de la poursuite de la famille Sweet de mars 2006 et selon son témoignage, ces deux poursuites sont à l’origine du dossier.

L’ANALYSE

[54]        L’Autorité soutient que les intimés V. Bertrand, M. Bertrand, A. Tanguay et B. Segal ont commis un délit d’initié et qu’ils ont ainsi contrevenu à l’article 187 de la Loi sur les valeurs mobilières :

187. L'initié à l'égard d'un émetteur assujetti qui dispose d'une information privilégiée reliée aux titres de cet émetteur ne peut réaliser aucune opération sur ces titres, sauf dans les cas suivants :

             1°         il est fondé à croire l'information connue du public ou de l'autre partie;

             2°         il se prévaut d'un plan automatique de réinvestissement de dividendes, de souscription d'actions ou d'un autre plan automatique établi par l'émetteur assujetti, selon des modalités arrêtées par écrit avant qu'il n'ait eu connaissance de cette information.

[55]    Pour établir qu’une personne a contrevenu à l’article 187 de la Loi sur les valeurs mobilières, commettant ainsi un délit d’initié, les éléments suivants doivent être présents :

·               il doit s’agir d’un initié (art. 89 LVM) à l’égard d’un émetteur assujetti;

·               il dispose d’une information privilégiée reliée aux titres de l’émetteur assujetti, soit :

-           toute information encore inconnue du public; et

-           une information susceptible d'affecter la décision d'un investisseur raisonnable (art. 5 LVM); et

·        il effectue une opération sur ces titres alors qu’il dispose de cette information privilégiée.

[56]        Il convient de noter que pour conclure à un délit d’initié l’Autorité n’a pas le fardeau d’établir une intention malhonnête, ni même une intention de profiter de l’information. Mentionnons à cet égard le passage suivant de la décision du Bureau dans le dossier Autorité des marchés financiers c. Lefebvre[36] :

« [46]    Certes, Jean-Pierre Lefebvre n’a pas vendu ses actions et il n’avait pas l’intention de profiter de l’information pour réaliser un profit, mais cela ne le disculpe pas de la contravention reprochée. Le fait qu’il ait utilisé l’information ou non à son profit n’est pas pertinent; il suffit de démontrer qu’une opération sur les titres d’un émetteur assujetti a été effectuée alors que l’initié était en possession d’une information privilégiée :

“ In R. v. Woods (« Woods »), Farley J. stated that the offence of insider trading “is in essence not a question of using insider information but of buying or selling securities of a company while possessed of insider information”. […]

Justice Farley noted that until February 15, 1988, a person charged with insider trading had to demonstrate that he or she “did not make use of knowledge of material fact…in purchasing or selling securities.” That defence is no longer available. (R. v. Woods, [1994] O.J. No. 392 (Gen. Div.) at para. 18)

Accordingly, it is not necessary to prove actual use of inside information. An insider’s reasons or motivations for trading are irrelevant at law. It is sufficient to establish trading while in possession of undisclosed material information.

It is also unnecessary to establish that the respondent benefited personally from the misuse of inside information.” »

[57]        Les intimés ne contestent pas qu’ils sont des initiés et qu’ils ont réalisé des opérations sur les titres d’un émetteur assujetti. Ce qui est contesté est le fait que l’information qui était connue des intimés constituait une information privilégiée.

[58]        Par conséquent, la première analyse que nous devons effectuer est celle de déterminer si l’information à la connaissance des intimés au moment d’effectuer leurs transactions constitue une information privilégiée au sens de l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières, de telle sorte que les intimés auraient dû s’abstenir d’effectuer les transactions à ce moment.

La position des parties quant à la nature de l’information

[59]        Alors que l’Autorité tente d’établir que l’information en cause est inconnue du public et susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable sans considérer l’impact sur le cours des titres, les intimés soumettent que la notion d’information privilégiée implique l’analyse du critère de l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable et du critère de l’incidence sur le marché.

[60]        L’Autorité soumet que ce n’est qu’après l’annonce de la poursuite de la famille Sweet, soit à compter du 15 mars 2006, que le décès de Kenny Sweet a bénéficié d'une diffusion suffisante pour devenir connu du public et que si le tribunal regarde l’impact sur le cours des titres, il constatera que les rapports des analystes font état d’une baisse de 5 %.

[61]        De plus, l’Autorité fonde en grande partie sa conclusion quant à la nature de l’information sur les faits postérieurs aux transactions, à savoir notamment le rappel volontaire, les poursuites et le litige avec les frères Rosen. Pour l’Autorité, ces événements subséquents auraient dû être envisagés par les intimés comme étant susceptible de se produire et d’avoir ainsi un impact sur la décision d’un investisseur raisonnable.

[62]        Par ailleurs, pour l’Autorité, les intimés ne connaissaient pas l’historique du produit chez Rose Art et ils n’avaient pas, avant d’effectuer leurs transactions, l’information complète pour être rassurés sur la sécurité du produit. La procureure souligne d’ailleurs que les analystes n’avaient pas non plus cette information.

[63]        Pour les intimés, le tribunal doit s’attarder aux faits dont avaient connaissance les intimés lorsqu’ils ont réalisé leurs transactions, notamment le fait qu’une vérification diligente avait été effectuée lors de l’acquisition de Rose Art.

[64]        Selon les intimés, l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable et l’importance de l’information sont des notions circulaires qui se chevauchent dans l’analyse de la notion d’information privilégiée. Selon les intimés, ce sont les mots « susceptible d’influencer la décision d’un investisseur raisonnable » qui qualifient l’importance que doit revêtir l’information.

[65]        Selon les intimés, le degré de probabilité de l’impact sur la décision de l’investisseur raisonnable doit être élevé et ne doit pas seulement être une simple possibilité. Ils prétendent que pour évaluer ce degré de probabilité, il faut analyser l’information dont les intimés avaient connaissance au moment des opérations sur valeurs.

[66]        Ainsi, les intimés soutiennent qu’ils n’étaient pas en possession d’une information privilégiée lorsqu’ils ont vendu leurs actions.

La notion d’information privilégiée

[67]    L’information privilégiée est définie ainsi à l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières :

« « information privilégiée » : toute information encore inconnue du public et susceptible d'affecter la décision d'un investisseur raisonnable; »

[68]        La définition d’information privilégiée a connu trois formulations différentes dans la Loi sur les valeurs mobilières :

1982 : toute information concernant un fait important, encore inconnue du public et susceptible d’affecter la valeur ou le cours des titres d’un émetteur.

1987 : toute information encore inconnue du public et susceptible d’affecter la valeur ou le cours des titres d’un émetteur.

1990 à aujourd’hui : toute information encore inconnue du public et susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable.

[69]        Avant la modification législative de 1990, la notion d’information privilégiée faisait référence à la probabilité d’impact sur le cours des titres et, avant la modification de 1987, cette notion faisait aussi référence au fait important. Depuis 1990, la définition ne réfère plus à un fait important ni à l’impact sur le cours des titres.

[70]        Ce changement législatif fut introduit après les décisions Blaikie[37] et Szaszkiewicz[38] afin d’éviter des débats d’experts relativement au critère de l’impact sur le marché.

[71]        Paul Fortugno, alors président de la Commission des valeurs mobilières du Québec, a mentionné, à l’époque des amendements adoptés en 1990, que l’introduction d’un critère lié à l’impact sur la décision de l’investisseur raisonnable avait pour but de prévenir les problèmes de preuve qui avaient été mis en lumière dans les décisions Blaikie et Szaszkiewic :

« Cette nouvelle formulation écarte la nécessité d’établir la preuve actuelle de l’information susceptible d’affecter la valeur ou le cours des titres d’un émetteur; on éliminerait ainsi les difficiles débats d’experts dont l’issue est incertaine. On introduit plutôt l’exigence que l’information se rapporte à un fait important, soit le fait qui serait pris en considération par l’investisseur raisonnable. »[39]

[72]        Il convient de noter que le degré de probabilité d’impact a été conservé, à savoir les termes « susceptible d’affecter ». Ce degré d’impact n’exige toutefois pas la preuve d’une certitude mais plutôt d’une possibilité :

« [252] L’utilisation du terme « susceptible » exige la preuve d’une possibilité et non pas d’une certitude et le critère d’investisseur raisonnable réfère à l’investisseur qui transige sur le marché boursier compte tenu de l’information dont il dispose. Cet investisseur aurait pu transiger différemment s’il avait eu toute l’information. »[40]

[73]        L’intégration du critère de l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable est grandement inspirée du droit américain. La détermination de l’importance de l’information (« materiality ») y repose sur « a substantial likelihood that a reasonable shareholder would consider it important in deciding how to vote »[41]. L’information est considérée dans l’ensemble des circonstances qui l’entourent et en tenant compte des faits disponibles :

« What the standard does contemplate is a showing of a substantial likelihood that, under all the circumstances, the omitted fact would have assumed significance in the deliberations of the reasonable shareholder. Put another way, there must be a substantial likelihood that the disclosure of the omitted fact would have been viewed by the reasonable investor as having altered the total mix of information made available. »[42]

[74]        Dans l’affaire Texas Gulf Sulphur[43], la Securities and Exchange Commission s’est prononcée ainsi sur la notion de l’importance de l’information dans un contexte de délit d’initié :

« This is not to suggest, however, as did the trial court, the 'the test of materiality must necessarily be a conservative one, particularly since many actions under Section 10(b) are brought on the basis of hindsight, “ 258 F.Supp. 262 at 280, in the sense that the materiality of facts is to be assessed solely by measuring the effect the knowledge of the facts would have upon prudent or conservative investors. As we stated in List v. Fashion Park, Inc., 340 F.2d 457, 462, “The basic test of materiality * * * is whether a reasonable man would attach importance * * * in determining his choice of action in the transaction in question. Restatement, Torts 538(2)(a); accord Prosser, Torts 554-55; I Harper & James, Torts 565-66.” This, of course, encompasses any fact '* * * which in reasonable and objective contemplation might affect the value of the corporation's stock or securities * * *.” List v. Fashion Park, Inc., supra at 462, quoting from Kohler v. Kohler Co., 319 F.2d 634, 642, 7 A.L.R.3d 486 (7 Cir. 1963). […] Thus, material facts include not only information disclosing the earnings and distributions of a company but also those facts which affect the probable future of the company and those which may affect the desire of investors to buy, sell, or hold the company's securities. […]

In each case, then, whether facts are material within Rule 10b-5 when the facts relate to a particular event and are undisclosed by those persons who are knowledgeable thereof will depend at any given time upon a balancing of both the indicated probability that the event will occur and the anticipated magnitude of the event in light of the totality of the company activity. »

[Nos soulignements]

[75]        Ainsi, en droit américain, le test de l’importance de l’information en regard de son impact sur la décision d’un investisseur raisonnable comprend les faits qui raisonnablement et objectivement sont susceptibles d’influencer le cours des titres.

[76]        Dans les autres juridictions canadiennes, notamment en Ontario, il est fait référence en matière de délit d’initié et de divulgation d’information aux notions de « material fact » ou « material change » au lieu de la notion d’investisseur raisonnable :

« 76.  (1)  Aucune personne ou compagnie ayant des rapports particuliers avec un émetteur assujetti ne doit acheter ou vendre des valeurs mobilières de l’émetteur assujetti si un fait pertinent ou un changement important concernant cet émetteur a été porté à sa connaissance, mais n’a pas été divulgué au public. L.R.O. 1990, chap. S.5, par. 76 (1). »

[77]         Un fait important est défini en Ontario comme étant « un fait dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur de ces valeurs mobilières »[44]. Un changement important est défini comme étant notamment pour un émetteur « un changement dans ses activités commerciales, son exploitation ou son capital dont il est raisonnable de s’attendre qu’il aura un effet appréciable sur le cours ou la valeur de ses valeurs mobilières »[45].

[78]        Ainsi, dans les autres juridictions canadiennes, l’interdiction de négocier des titres alors qu’un initié a connaissance d’un fait pertinent ou d’un changement important repose sur la susceptibilité que cette information ait un effet significatif sur le cours du titre.

[79]        Par ailleurs, il faut noter que les tribunaux dans les autres juridictions canadiennes réfèrent souvent dans leur analyse à la notion de l’investisseur raisonnable et au test développé par les juridictions américaines[46] :

« [137] The reasonable investor standard referred to in TSC Industries is not one that is in our Act. Our Act includes the test of whether a fact "would reasonably be expected to have a significant effect on the market price or value" of securities. In determining what would reasonably be expected to have a significant effect on the market price or value of KCA shares on February 29, 2000, we believe the American test of market interest, i.e. investor and potential investor interest, to be very useful. Although the U.S. and Ontario tests for determining materiality are worded differently, the American test is helpful, if not analogous, in coming to a determination under the Ontario test.

[138] We concluded that there would have been a substantial likelihood on February 29, 2000 that the disclosure of the information that Donnini had about the proposed second special warrants financing would have been viewed by reasonable investors as important information for making a decision to buy, sell or hold shares of KCA after 2:45 p.m. on February 29 and on March 1, 2000. »[47]

« 149. The standard of materiality for both a material fact and material change is the same. A fact or change is considered to be material if it "would reasonably be expected to have a significant effect on the market price or value" of an issuer's securities. When we refer to "materiality" in these reasons, we are referring to the application of that test. Clearly, such a fact or change would be important to a reasonable investor in making an investment decision with respect to the relevant securities. »[48]

[Nos soulignements]

[80]        D’ailleurs, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières « ACVM » dans l’Instruction générale 51-201 : Lignes directrices en matière de communication de l’information[49] (« Instruction générale 51-201 ») confirment la convergence entre le critère de l’incidence sur le marché et l’incidence sur la décision d’un investisseur raisonnable :

« 4.1     Critère d’importance

1)         Les définitions de « fait important » et de « changement important » de la législation en valeurs mobilières reposent sur un critère d’incidence sur le marché. La définition d’« information privilégiée » prévue à la disposition interdisant la communication d’information privilégiée dans la législation en valeurs mobilières du Québec, utilise quant à elle le critère de l’investisseur raisonnable. Dans la pratique cependant, malgré ces différences, les deux critères d’importance semblent devoir converger dans la plupart des cas.

2)         La définition de « fait important » comporte un critère de détermination de l’importance à deux volets. Un fait est important i) lorsqu’il a un effet significatif sur le cours ou la valeur des titres de l’émetteur ou ii) qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il ait cet effet.

4.2        Détermination de l’importance

1)         Lorsque l’on détermine l’importance, on doit tenir compte d’un certain nombre de facteurs, dont la nature de l’information, la volatilité des titres de la société et la conjoncture du marché, qui ne peuvent être saisis par un critère unique et absolu. L’importance peut varier d’une société à l’autre en fonction de la taille de l’entreprise, de la nature de ses activités et de bien d’autres facteurs. Un fait « significatif » ou « majeur » pour une petite entreprise ne le sera peut-être pas pour une société plus importante. Les sociétés doivent donc se garder d’utiliser une méthode trop stricte pour déterminer l’importance. Lorsque le marché est fébrile, des variations apparemment insignifiantes entre les prévisions de bénéfices et les résultats réels peuvent, à la publication de ces derniers, avoir une incidence appréciable sur le cours de l’action. Par exemple, les sociétés ne doivent pas communiquer sélectivement de l’information sur leur capacité d’obtenir les bénéfices publiés qui font l’objet d’un consensus parmi les analystes en valeurs mobilières, avant de la diffuser dans le public.

2)         Nous encourageons les sociétés à observer comment le marché réagit à la publication de l’information. Le suivi et l’évaluation permanents des réactions du marché à différentes communications d’information les aideront à déterminer ce qui est important. En cas de doute quant à l’importance d’une information donnée, nous conseillons aux sociétés de pécher par excès de prudence, de déterminer qu’elle est importante et de la rendre publique. »

[Nos soulignements]

[81]        Dans des juridictions autres que le Canada et les États-Unis, la notion d’information privilégiée fait référence à la fois au critère de l’incidence sur le marché et au critère de l’incidence sur la décision d’un investisseur raisonnable. Voici comment le Financial Services and Markets Act 2000 du Royaume-Uni prévoit la définition d’information privilégiée :

« 118C Inside information

(1) This section defines “inside information” for the purposes of this Part.

(2) In relation to qualifying investments, or related investments, which are not commodity derivatives, inside information is information of a precise nature which— .

(a) is not generally available,

(b) relates, directly or indirectly, to one or more issuers of the qualifying investments or to one or more of the qualifying investments, and

(c) would, if generally available, be likely to have a significant effect on the price of the qualifying investments or on the price of related investments.

[…]

(6) Information would be likely to have a significant effect on price if and only if it is information of a kind which a reasonable investor would be likely to use as part of the basis of his investment decisions. »

[Nos soulignements]

[82]        Au surplus, pour les États membres de l’Union Européenne, la Directive 2003/6/CE sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché (abus de marché) prévoit que l’information privilégiée constitue :

« une information à caractère précis qui n'a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d'instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés. »[50]

[83]        La notion de l’information susceptible d’influencer le cours des titres est précisée par une autre directive, à savoir la Directive 2003/124/CE portant sur les modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, et elle indique que cette information s’entend d’une information qu’un investisseur raisonnable utiliserait comme base pour prendre sa décision d’investissement :

« 1. Aux fins de l'application de l'article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, une information est réputée «à caractère précis» si elle fait mention d'un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu'il existera ou d'un événement qui s'est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu'il se produira, et si elle est suffisamment précise pour que l'on puisse en tirer une conclusion quant à l'effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur les cours des instruments financiers concernés ou d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés.

2. Aux fins de l'application de l'article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE, on entend par «information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d'influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés ou le cours d'instruments financiers dérivés qui leur sont liés», une information qu'un investisseur raisonnable serait susceptible d'utiliser en tant que faisant partie des fondements de ses décisions d'investissement. »[51]

[Nos soulignements]

[84]        On peut constater que les deux critères de l’impact sur la décision de l’investisseur raisonnable et celui de l’incidence sur le marché convergent dans plusieurs juridictions. Bien que le législateur québécois ait retiré dans la définition le critère de l’incidence sur le marché, il faut convenir que cela reposait avant tout sur un désir d’éviter les problèmes de preuve d’experts et de ramener l’appréciation au tribunal et d’ainsi convenir d’une analyse plus englobante de l’ensemble des faits et circonstances pouvant mener à la conclusion qu’une information est susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable.

[85]        Le critère de l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable prévu par le législateur québécois a tout de même comme objectif de limiter la portée de la définition d’information privilégiée de manière à couvrir seulement les informations considérées comme étant suffisamment importantes pour qu’elles soient susceptibles d’affecter la décision dudit investisseur. Ce n’est pas n’importe quelle information qui affectera la décision d’un investisseur d’effectuer une opération sur des titres et qui sera considérée comme étant privilégiée[52].

[86]        Le législateur a créé l’infraction de délit d’initié pour éviter qu’une personne en situation privilégiée par rapport à un autre investisseur puisse être avantagée par sa connaissance d’une information qui n’est pas connue des autres investisseurs et qui serait susceptible d’influencer leur décision d’acheter ou de vendre des titres.

[87]        Notons le passage suivant du rapport Kimber qui décrit bien l’objectif sous-tendant la création de l’infraction de délit d’initié :

« In our opinion, it is not improper for an insider to buy or sell securities in his own company. Indeed, it is generally accepted that it is beneficial to a company to have officers and directors purchase securities in the company as they thereby acquire a direct financial interest in the welfare of the company. It is impossible to justify the proposition that an investment so made can never be realized or liquidated merely because the investor is an insider. However, in our view it is improper for an insider to use confidential information acquired by him by virtue of his position as an insider to make profits by trading in the securities of his company. The ideal securities market should be a free and open market with the prices thereon based upon the fullest possible knowledge of all relevant facts among traders. Any factor which tends to destroy or put in question this concept lessens the confidence of the investing public in the market place and is, therefore, a matter of public concern. »[53]

[88]        Ainsi, les investisseurs doivent avoir accès en même temps à toute l’information qui est susceptible d’affecter leur décision quant à un investissement afin d’assurer le caractère équitable et l’intégrité des marchés financiers. Rappelons le passage suivant de la Securities and Exchange Commission dans l’affaire Texas Gulf Sulphur[54] :

« The essence of the Rule is that anyone who, trading for his own account in the securities of a corporation has 'access, directly or indirectly, to information intended to be available only for a corporate purpose and not for the personal benefit of anyone' may not take 'advantage of such information knowing it is unavailable to those with whom he is dealing,' i.e., the investing public.

The only regulatory objective is that access to material information be enjoyed equally, but this objective requires nothing more than the disclosure of basic facts so that outsiders may draw upon their own evaluative expertise in reaching their own investment decisions with knowledge equal to that of the insiders. »

[89]        Nous reconnaissons qu’il y a une convergence entre le critère de l’impact sur la décision de l’investisseur raisonnable et l’impact sur le cours des titres. Le critère à appliquer est bien celui de l’impact sur la décision de l’investisseur raisonnable, mais les faits qui auront un impact sur sa décision comprennent généralement ceux qui sont susceptibles d’influencer le cours des titres.

[90]        Dans l’affaire Laliberté, la Cour du Québec se prononce ainsi sur la convergence des critères en affirmant que « [d]ans l’éventualité où les négociations sont susceptibles de se concrétiser et d’avoir un effet potentiel sur le cours du titre, elles peuvent affecter la décision de l’investisseur » [55].

[91]        Également, dans l’affaire Séguin[56], la Cour du Québec sous-entend que les deux critères se chevauchent en concluant ainsi :

« [164]      Une transaction projetée imminente, permettant à une compagnie cotée en bourse de doubler son chiffre d'affaires et d'acquérir au Québec, une part dominante du marché des transports de valeurs mobilières, est susceptible d'influencer la décision d'un investisseur raisonnable de vendre ou d'acheter les actions de cette société.

[165]      Il est indéniable que Louis-Philippe Séguin et SPJ avaient, en transigeant les actions de Garda, connaissance d'informations non accessibles au public investisseur, qui pouvaient influencer la valeur des actions de Garda. »

[Nos soulignements]

[92]        Dans un marché efficient, le cours des titres renvoie au résultat de l’ensemble des réactions des investisseurs, eu égard à l’information disponible sur les titres. Si le cours des titres dans un marché ouvert et efficient reflète toute l’information disponible, on peut alors s’attendre à ce qu’une information qui est susceptible d’avoir un impact sur la réaction d’un investisseur aura vraisemblablement un effet sur le cours de ces titres[57]. Tel que le souligne un auteur :

« It is clear that a perceived impact of information on share prices invariably influences and in turn is influenced by its importance to investors. Information that is significant to investors will almost always be likely to affect the market price on an issuer’s securities. Indeed, it is difficult to envisage circumstances in which a fact that would not be likely to affect the market price would not be material under the proposed standard. »[58]

[93]        Rappelons qu’il est fondamental à l’efficience des marchés que l’information permettant aux investisseurs d’évaluer la performance d’un émetteur assujetti et de ses dirigeants soit accessible à tous en même temps :

« Information is important for at least two basic reasons. First, it allows the shareholders and the securities market as a whole to evaluate the relative strengths and weaknesses of the enterprise so that they can make informed decisions as to whether or not to invest or continue to invest in the company. Second, only with adequate information are the shareholders able to evaluate effectively the performance of the corporation’s directors and officers and to exercise their rights to have the directors and officers accountable for their misdeeds. »[59]

[94]        La Cour suprême des États-Unis dans TSC Industries Inc. v. Northway, Inc. soulignait qu’une norme peu élevée de l’importance de l’information aurait pour effet d’inonder les investisseurs d’informations qui ne sont pas utiles à leur prise de décision :

«                     [traduction]  . . . si la norme de l’importance était trop peu exigeante, non seulement la société et ses dirigeants pourraient-ils être tenus responsables d’omissions ou de déclarations erronées négligeables, mais  leur crainte de se voir imposer d’importantes obligations pourrait également les amener à carrément inonder les actionnaires de renseignements futiles, ce qui ne les aiderait en rien à prendre des décisions éclairées. » [60]

[95]        Une norme trop peu élevée de ce qui peut influencer la décision d’un investisseur raisonnable priverait également les administrateurs et dirigeants des entreprises de la possibilité de disposer librement de leurs titres.

[96]        Puisque nous convenons d’une convergence des critères, nous sommes d’avis que les autorités développées sur la notion de « materiality » peuvent être pertinentes à notre analyse.

[97]        La Cour suprême dans l’affaire Sharbern a élaboré le test suivant pour établir si une information est importante du point d’un vue d’investisseur raisonnable, en matière d’obligations de communication prévues au Real Estate Act de la Colombie-Britannique :

 « [61] En bref, voici les principaux éléments du critère de l’importance :

i. L’importance est une question mixte de droit et de fait qui s’évalue objectivement, du point de vue d’un investisseur raisonnable;

ii. Le fait omis est important s’il existe une probabilité marquée que l’investisseur raisonnable l’aurait jugé important au moment de prendre sa décision, et non qu’il aurait pu le juger important.  Autrement dit, il doit y avoir une probabilité marquée que l’investisseur raisonnable aurait jugé que le fait en question aurait modifié de façon significative l’ensemble des renseignements mis à sa disposition s’il lui avait été communiqué;

iii. Il n’est pas nécessaire de prouver que le fait en cause aurait amené l’investisseur à prendre une autre décision, mais plutôt qu’il existait une probabilité marquée que l’investisseur raisonnable en aurait tenu compte dans le cadre de son analyse;

iv. L’évaluation de l’importance comporte l’application d’une norme juridique à des faits précis.  Elle repose sur un examen des faits propres à l’espèce à la lumière de l’ensemble des facteurs pertinents et des circonstances, soit l’ensemble des renseignements mis à la disposition des investisseurs;

v. La partie qui allègue l’importance d’une déclaration, d’une omission ou d’un fait doit présenter des éléments de preuve à l’appui de sa thèse, sauf dans les cas où des inférences fondées sur le bon sens sont suffisantes.  Le tribunal doit d’abord examiner les renseignements communiqués aux investisseurs et ceux qui ne l’ont pas été.  Il peut également prendre en compte les éléments de contexte qui permettent d’expliquer, interpréter ou analyser les renseignements omis à la lumière d’un contexte factuel plus général, pourvu qu’il le fasse au regard des renseignements communiqués.  De plus, la preuve qui fait état de certains actes ou événements contemporains ou ultérieurs qui expliqueraient le comportement que des personnes dans des situations identiques ou similaires adoptent ou sont susceptibles d’adopter est également pertinente. Toutefois, l’examen de l’importance doit constituer d’abord et avant tout une considération contextuelle des renseignements communiqués par l’émetteur de valeurs ainsi que des faits ou des renseignements que ce dernier a omis d’inclure dans les documents qu’il a fournis. »[61]

[Nos soulignements]

[98]        Bien que la Cour suprême se penchait sur une obligation prévue au Real Estate Act, son analyse demeure pertinente puisqu’elle tire sa conclusion de la jurisprudence américaine et canadienne en valeurs mobilières sur la notion de « materiality ».

[99]        La réponse à notre question doit se trouver en fonction d’un critère objectif[62]. L’évaluation doit se faire en fonction de l’investisseur raisonnable qui n’agirait qu’en possédant une information précise, complète et véridique[63]. Il s’agit d’un investisseur réfléchi et rationnel[64] qui, sans être un professionnel du marché, possède des connaissances suffisantes sur les produits et les marchés financiers. Nous devons donc analyser le contenu de l’information au moment où l’opération est réalisée pour déterminer si la décision d’un investisseur raisonnable aurait été influencée par l’information en cause.

[100]     Par conséquent, dans notre analyse de l’ensemble des faits permettant de qualifier l’information de privilégiée, nous tiendrons compte de l’ensemble de l’information qui était à la connaissance des intimés lors des opérations, des circonstances entourant cette information, de la nature et de la taille de l’émetteur et du marché dans lequel il évolue[65]. Il ne faut pas isoler l’information mais prendre en considération le contexte factuel de l’information disponible à la période pertinente.

[101]     Pour l’Autorité, les faits postérieurs aux transactions sont pertinents pour qualifier l’information que détenaient alors les intimés. Pour la procureure de cette dernière, les événements subséquents auraient dû être envisagés par les intimés comme pouvant se réaliser, ce qui aurait dû faire en sorte que les intimés auraient dû s’abstenir de négocier.

[102]     Pour les intimés, le tribunal doit s’attarder aux faits dont ils avaient connaissance lorsqu’ils ont réalisé leurs transactions. Les intimés soulèvent le danger de condamner trop facilement les administrateurs lorsqu’un événement incertain est analysé a posteriori.

[103]     Nous soulignons que l’Autorité plaide à la fois que l’information au moment des transactions était en soi privilégiée, à savoir le décès de l’enfant en raison de l’ingestion d’aimants provenant du jouet, mais aussi que les événements subséquents, notamment la poursuite de la famille Sweet et la campagne de remplacement étaient des événements envisageables par les intimés et qui étaient susceptibles d’influencer la décision d’un investisseur.

[104]     Lorsqu’il s’agit d’analyser l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable pour un événement contingent, c'est-à-dire incertain ou aléatoire, la jurisprudence américaine a développé un test de probabilité de l’événement et de son impact, à savoir le « probability/magnitude test »[66]. Voici comment ce test est décrit par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Basic Inc. v. Levinson, qui s’appuie sur l’arrêt Texas Gulf Sulphur :

« Even before this Court's decision in TSC Industries, the Second Circuit had explained the role of the materiality requirement of Rule 10b-5, with respect to contingent or speculative information or events, in a manner that gave that term meaning that is independent of the other provisions of the Rule. Under such circumstances, materiality

"will depend at any given time upon a balancing of both the indicated probability that the event will occur and the anticipated magnitude of the event in light of the totality of the company activity." SEC v. Texas Gulf Sulphur Co., 401 F.2d at 849. 

[…]

Generally, in order to assess the probability that the event will occur, a factfinder will need to look to indicia of interest in the transaction at the highest corporate levels. Without attempting to catalog all such possible factors, we note by way of example that board resolutions, instructions to investment bankers, and actual negotiations between principals or their intermediaries may serve as indicia of interest. To assess the magnitude of the transaction to the issuer of the securities allegedly manipulated, a factfinder will need to consider such facts as the size of the two corporate entities and of the potential premiums over market value. No particular event or factor short of closing the transaction need be either necessary or sufficient by itself to render merger discussions material. »[67]

[Nos soulignements]

[105]     Ce principe a été repris à quelques reprises par la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario[68] lorsqu’il s’agissait d’évaluer l’importance d’événements contingents. Il a surtout été utilisé dans le contexte de négociations en vue de conclure d’importantes transactions.

[106]     Ici, l’Autorité plaide que lorsque les intimés ont appris le décès de l’enfant, ils devaient considérer comme étant probable la réalisation de plusieurs événements qui sont survenus postérieurement aux transactions.

[107]     Nous analyserons les faits qui étaient à la connaissance des intimés au moment d’effectuer leurs transactions et la probabilité d’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable et s’il y avait une probabilité, selon l’information en leur possession, que les faits postérieurs se produisent et l’impact qu’auraient ces événements pour la société.

Les faits à la connaissance des intimés et les risques anticipés

[108]     Rappelons les faits qui étaient à la connaissance des intimés au moment d’effectuer leurs transactions.

[109]     D’entrée de jeu, nous soulignons la problématique quant au mémo de Karen Thompson (« K. Thompson »).

[110]     Il a été déposé en preuve le mémo du 13 décembre 2005 de K. Thompson, vice-présidente et gestionnaire de risques de Fred Meyer Stores. Cette dernière relate sa conversation avec la famille Sweet et notamment le fait suivant : « She [Penny Sweet] thought it might have broken because of the ball bearings in the set. She said “the boys were dropping the ball bearings” ». Dans ce rapport, K. Thompson mentionne avoir rapporté à J. Zerczy et Drew Stevenson de Mega Brands sa conversation avec la famille Sweet.

[111]     La procureure de l’Autorité a émis un commentaire sur ce mémo, à savoir qu’il fait état de la connaissance des événements par K. Thompson et non de la connaissance des événements par les intimés. Ces faits n’ont pas nécessairement été communiqués aux intimés. La procureure de l’Autorité souligne que dans un courriel déposé et dans les notes de J. Zerczy, il n’est pas mentionné de quelle façon les aimants se sont délogés du jouet. Il n’est aucunement fait référence à un abus du jouet. Le mémo n’a pas été transmis à J. Zerczy ni aux intimés à l’époque des faits.

[112]     Le procureur des intimés a rappelé que K. Thompson n’est pas venu témoigner à l’audience puisque les parties avaient convenu que si les intimés admettaient que son témoignage correspondrait à ce qui est écrit dans le mémo, il n’était pas nécessaire alors de la faire témoigner. Les intimés ont admis cela et son mémo a été déposé en preuve. Ainsi, si l’Autorité avait voulu démontrer le contraire de ce qui est apparent au mémo, elle aurait dû faire entendre le témoin.

[113]     Alors, pour le procureur des intimés, le mémo représente son témoignage et ce mémo indique que K. Thompson a informé J. Zerczy des détails des événements. D’ailleurs, le procureur des intimés ajoute que les témoins ont relaté qu’il connaissait cette information avant la conversation qui s’est tenue entre V. Bertrand et la famille Sweet.

[114]     J. Zerczy a témoigné à l’effet que la conversation rapportée par V. Bertrand avec la famille Sweet confirmait essentiellement l’information qu’elle avait reçue de K. Thompson[69] et qu’elle avait notamment communiqué cette information au conseiller juridique externe[70] et à l’expert dans l’industrie du jouet[71].

[115]     De plus, A. Tanguay a confirmé qu’il avait reçu de la part de J. Zerczy une bribe d’information quant à un abus du jouet, laquelle avait relaté la conversation qu’elle avait eue avec K. Thompson. Il a mentionné que cela avait été confirmé par la discussion de V. Bertrand avec la famille[72]. Le témoignage de M. Bertrand est également à l’effet que l’information sur l’abus du jouet obtenue de V. Bertrand dans son entretien téléphonique avec la famille Sweet confirmait l’information obtenue de Fred Meyer[73]. Le témoignage de V. Bertrand est également au même effet que la conversation avec la famille Sweet a permis de vérifier l’information déjà reçue de Fred Meyer[74].

[116]     Par conséquent, nous concluons que tous les intimés connaissaient les détails de l’incident, notamment l’abus du jouet, au moment d’effectuer leurs transactions.

[117]     Voici les informations connues à partir du 12 décembre 2005 :

·        Un enfant de 22 mois est décédé le ou vers le 25 novembre 2005 suite à l’ingestion d’au moins deux aimants provenant d’un « Magnetix X-treme Combo flashing lights product »;

·        Le jouet est développé et fabriqué par Rose Art;

·        Le jouet est destiné aux enfants de six ans et plus;

·        L’enfant aurait, à des occasions différentes, ingéré au moins deux aimants;

·        Le jouet fut apporté à la maison de la famille Sweet, qui comprenait sept enfants, le ou vers le 13 novembre 2005, à titre de cadeau pour un des enfants de la famille âgé de 10 ans;

·        Les enfants les plus vieux construisaient des navettes spatiales qu’ils lançaient de différentes hauteurs sur le plancher pour voir les morceaux éclater au sol; les panneaux se sont brisés et les aimants se sont délogés;

·        Les parents n’avaient pas l’intention d’entreprendre des poursuites, mais ils avaient l’intention de s’adresser aux médias;

·        Le jouet a réussi tous les tests indépendants de sécurité;

·        L’emballage contient des avertissements clairs selon lesquels il ne faut pas laisser le jouet à de jeunes enfants et il comporte des avertissements sur le danger d’étouffement (« choking hazard warnings »);

·        L’inexistence soulevée par J. Rosen d’incidents préalables de cette nature impliquant un jouet Magnetix;

·        On entre en contact avec R. Locker afin de l’informer des détails de l’incident et pour se conformer aux exigences de rapporter l’incident au CPSC.

[118]     Cette information a été complétée par la suite par les suivantes :

·        R. Locker est d’avis qu’il est improbable suivant les faits connus à ce moment qu’un rappel du produit soit ordonné par le CPSC;

·        L’incident doit être divulgué au CPSC, mais selon R. Locker, il s’agit d’une formalité[75];

·        L’avis du conseiller juridique externe, à savoir W. Sellers, est obtenu quant à l’exercice des options et à l’information privilégiée;

·        Le CPSC est informé de l’incident;

·        Une communication a lieu avec les parents de Kenny Sweet qui ont confirmé l’information déjà connue[76].

[119]     En résumé, les intimés savaient qu’un enfant de 22 mois était décédé, que le jouet était destiné à des enfants plus âgés, que la sécurité du jouet n’était pas en cause, qu’une vérification diligente de Rose Art venait d’être effectuée, qu’aucun autre incident similaire n’était à leur connaissance, qu’il y avait eu un abus du jouet, qu’un rappel n’était pas envisageable selon l’opinion d’un expert et que la famille n’avait pas l’intention d’entreprendre des procédures.

[120]     L’Autorité soumet que les risques anticipés se sont pratiquement tous réalisés suite au décès de l’enfant, tels que soumis par la procureure :

·        Le décès de Kenny Sweet a fait l’objet d’une large campagne médiatique; à cet effet, la procureure dépose des articles publiés d’avril 2006 à mai 2009 où la couverture médiatique a été plus importante;

·        Le CPSC a fait enquête et 3 campagnes de remplacement se sont ensuivies, en mars 2006, avril 2007 et mars 2008;

·        Les campagnes de remplacement ont engendré des coûts importants que ce soit pour les remplacements, les frais de modification du produit, les frais de redesign, de transport et éventuellement les pertes d’inventaires;

·        Un règlement hors cour, totalisant 13,5 millions de dollars, et des poursuites civiles;

·        Un litige avec les frères Rosen, coûteux en frais judiciaires;

·        L’obligation de Mega Brands de s’auto-assurer pour les risques inhérents aux jouets construits avant le 1er mai 2006;

·        Une nouvelle réglementation propre au danger d’ingestion des aimants.

[121]     Ainsi, pour l’Autorité, lorsque les intimés ont effectué leurs opérations, ils devaient avoir en tête que tous ces événements pouvaient se produire et étaient envisageables, qualifiant ainsi l’information à l’époque de privilégiée puisque pouvant avoir un impact considérable sur les activités de la société. Donc, pour l’Autorité, un investisseur raisonnable placé au moment des transactions avec l’information qui était en possession des intimés aurait aussi dû anticiper toutes ses possibilités, de manière à rendre l’information à ce point importante qu’elle puisse influencer sa décision d’acheter ou de vendre des titres.

[122]     Il convient de mentionner qu’il faut être prudent dans notre analyse à l’égard des faits qui sont survenus postérieurement aux transactions.

[123]     Nous sommes d’avis que nous devons nous attarder à l’ensemble des faits dont avaient connaissance les intimés au moment d’effectuer leurs opérations. Les faits postérieurs quant à eux peuvent être utiles pour corroborer la conclusion du tribunal sur la nature de l’information. À cet effet, le passage suivant de l’Alberta Securities Commission dans l’affaire Kapusta[77] est pertinent relativement à la détermination pouvant être faite avec recul « with hindsight » sur la nature de l’information :

« (b)          Use of Hindsight

255     Materiality, for present purposes, is (as noted) an objective concept, the assessment to be made in light of the effect "that would reasonably be expected" from a fact or change. The test for materiality, therefore, is not what eventually did happen, but rather what, beforehand, would reasonably have been expected to transpire. When that assessment is made after the fact, as here, the assessor must not confuse outcome with expectation. In this important sense, hindsight is to be avoided, as the Respondents contended. That said, it does not follow that one must disregard any occurrence after the time as at which a materiality assessment is to be made. In particular, an after-occurring fact or circumstance might have corroborative value — for example, as to the reasonableness (or otherwise) of a posited earlier expectation.

256     We treat after-occurring events with caution. For example, we consider evidence or suggestions as to what became of the 10-32 Well, or what befell Canext as a whole, in the months and years after mid-2008 essentially irrelevant, and in any event assign them no weight. On the other hand, we do not disregard the evidence of analyst and market activity in the few days (not weeks, too many unknown events foreseeably arising in such an interval) directly following issuance of the March Release. That evidence would not determine the issue of materiality, but could corroborate a finding made on other grounds. »[78]

[Nos soulignements]

[124]      Nous sommes d’avis que le même raisonnement s’applique pour déterminer si l’information était susceptible d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable. Les faits postérieurs aux transactions peuvent venir corroborer notre conclusion, à savoir si l’information était privilégiée, mais ces faits seuls ne permettent pas à rebours de qualifier l’information comme telle.

[125]     Il ne faut pas fonder notre analyse sur les faits qui se sont déroulés après les transactions, mais sur ce qui était raisonnablement envisageable selon le contexte factuel. À cet égard soulignons le passage suivant de Raymonde Crête :

« En effet, il faut garder à l’esprit que l’information doit être précise et non générale. De simples éventualités ou possibilités ne constituent pas des faits importants ou susceptibles d’affecter la décision d’un investisseur raisonnable. »[79]

[126]     Il est facile pour l’Autorité de dire après coup que les intimés auraient dû envisager dès le départ que le décès de l’enfant mènerait à une poursuite de la famille et à d’autres poursuites, à des campagnes de remplacement du jouet et à un litige couteux avec les frères Rosen. Or, conclure de cette façon revient à faire complètement abstraction de l’ensemble du contexte factuel qui triomphait à l’époque des transactions.

[127]     Pour les intimés, il s’agissait d’un « fluke/freak accident »; même les journalistes qui ont rapporté l’histoire l’ont traité ainsi[80]. Les intimés savaient au moment des transactions que la famille Sweet ne blâmait pas la compagnie pour l’incident et que les parents n’avaient pas l’intention de poursuivre.

[128]     Les intimés savaient que selon l’avis d’un expert consulté en la matière, il était improbable que le CPSC procède à un rappel et la divulgation de l’incident à cet organisme n’était qu’une formalité. Suivant les discussions avec R. Locker, le CPSC ne prendrait pas de mesure s’il considérait que le produit n’était pas un « substantial product hazard », ce qui n’était pas le cas.

[129]     Pour les intimés, le jouet était convenablement étiqueté et destiné à des enfants d’un âge plus élevé. Selon les informations fournies par les frères Rosen, aucun événement de ce genre n’avait été rapporté préalablement. Il n’y avait donc aucune raison de croire que le produit pouvait comporter un défaut de sécurité. Un processus de vérification diligente venait d’être complété avec Rose Art, six mois auparavant.

[130]     À ce moment, il n’y avait aucune préoccupation de soulevée ni aucun incident en regard de la ligne de produits Magnetix[81]. Pour les intimés, la collecte d’information pour le CPSC était donc une formalité puisqu’ils étaient rassurés par les représentations des frères Rosen[82] et la vérification diligente qui avait été menée.

[131]     Ce n’est que dans le cadre de la poursuite intentée en mai 2006 et impliquant les frères Rosen concernant la clause de contrepartie conditionnelle (« earn-out ») que Mega Brands a appris, vers la fin de l’année 2006[83], que Rose Art avait connaissance de défauts des produits Magnetix depuis 2003[84] et qui n’avaient pas été divulgués à Mega Brands avant la transaction dans le processus de vérification diligente[85]. Les frères Rosen ont finalement abandonné leur procédure[86].

[132]     Ainsi, au moment des transactions, les intimés savaient que les jouets Magnetix avaient réussi les tests de sécurité qui sont requis avant qu’un jouet puisse être mis en marché. Mega Brands opère dans une industrie très réglementée et avant qu’un jouet soit vendu aux consommateurs, plusieurs tests doivent être effectués. Par conséquent, pour les intimés, le jouet avait réussi ces tests et était sécuritaire. B. Segal a d’ailleurs témoigné de manière éloquente quant à cet aspect :

« No, not whatsoever. In our mind this was a tragic event but one that was not attributable to the company. It was not looked at as a defect case, it was looked at as an accident. So we looked at the age grading on the product, it was correct, we looked at the small parts warning on the product, it was in the right place, on the front panel of the package and in the right proportion. So we had ASTMF 963 compliance, we had CPSA compliance, and we are promptly reporting it to the CPSC and at this point our position with the media is this is an unfortunate accident but a random occurrence. »[87]

« I was aware - my reflection on the incident was that it was tragic but accidental and not attributable to the manufacturer, that we had a product which complied with product safety laws in the United States and internationally and that we, as manufacturers, were responsible for notifying the CPSC but that agency, based on what I heard from Rick, and the confirmation from Jennifer about the circumstances of the magnets dislodging and a young child, possibly without proper supervision, accessing the detached magnets and experiencing harm from them, that this is not something that the agency would attribute to the way that the toy was either designed of manufactured and that there would be no follow-up from the agency other than routine requests for information about how the toy was made, how many were sold and customer complaints. »[88]

[133]     Le décès de K. Sweet a été traité comme un malheureux accident et non pas comme un cas de sécurité du jouet. Même en 2006, alors que Mega Brands a redessiné le jouet, de sorte à modifier la manière dont l’aimant est fixé au jouet, les jouets sont demeurés sur les tablettes[89]. Les jouets vendus avant le 31 mars 2006 sont demeurés sur les tablettes jusqu’au rappel étendu du 19 avril 2007[90]. La sécurité du jouet n’était pas en cause pour les intimés lorsqu’ils ont effectué leurs opérations; il s’agissait certes d’un événement tragique mais celui-ci correspondait plutôt à un « freak accident », « a unique set of facts ».

[134]     Le fait que le produit était retiré des tablettes des magasins Fred Meyer n’avait pas un impact significatif sur les affaires de Mega Brands puisque ce détaillant n’était pas un client important pour la société en terme de chiffre d’affaires ni en terme de ventes totales de Mega Brands[91].

[135]     De plus, tel que le révèle le témoignage des intimés V. Bertrand et B. Segal[92], contrairement à la prétention de l’Autorité, la ligne de produits Magnetix n’était pas la ligne la plus importante dans le cadre de l’acquisition de Rose Art. La motivation de Mega Brands était davantage de compenser le caractère saisonnier de la vente de jouets, en acquérant des produits liés à la rentrée scolaire et en acquérant des produits dans un segment plus artistique. Ce qui élargissait la gamme de produits et la clientèle. Mega Brands avait déjà une bonne part de marché dans les jouets de construction.

[136]     Par prudence, une quarantaine a été mise en place et la transaction d’exercice d’options d’Alain Tanguay a été suspendue jusqu’à ce que « we had reached the point where our outside counsel in both safety and disclosure gave us that double green light that it would be okay to trade »[93]. Une opinion juridique a été obtenue d’un conseiller externe en matière d’information continue et d’interdiction de négocier. Une opinion d’un expert dans l’industrie des jouets a également été obtenue avant que la quarantaine ne soit levée.

[137]     Quant à la campagne médiatique soulignée par la procureure de l’Autorité, il convient de noter que les articles publiés sur cette « large campagne » comme la décrit la procureure, l’ont été à des dates qui se situent après la première campagne de remplacement volontaire et après l’annonce de la poursuite de la famille Sweet. Il faut rappeler qu’au moment où les intimés ont effectué leurs opérations, la famille avait indiqué ne pas avoir l’intention de poursuivre et la campagne de remplacement du produit n’était pas imminente, puisqu’il n’y avait pas de raison de croire que le produit n’était pas sécuritaire et que d’autres incidents pourraient être révélés.

[138]     De plus, la préoccupation des intimés relativement à l’attention médiatique lorsqu’ils ont appris la nouvelle de l’incident était avant tout de s’assurer que l’information transmise et reprise par les médias soit correctement rapportée et conforme à la réalité des faits. La préparation de ligne de réponse ne constitue qu’une bonne pratique de gouvernance d’entreprise dans une telle situation et nous ne pouvons en tirer la conclusion que cette préparation révèle un caractère privilégié à l’information.

[139]     Un investisseur raisonnable qui avait en possession l’ensemble de ces informations mis dans leur contexte n’était pas susceptible d’être influencé dans sa décision d’effectuer ou non des opérations sur les titres de Mega Brands. De plus, les intimés étaient fondés de croire qu’aucune suite négative pour la société ne découlerait de cet incident.

L’impact sur le cours des titres

[140]     Un élément postérieur aux opérations que nous regardons de manière prudente est l’impact sur le cours des titres. Il faut cependant se rappeler que le test est de savoir si l’investisseur raisonnable aurait été influencé dans sa décision. Nous convenons que la réaction des marchés après coup peut être utile à l’analyse pour des fins de corroboration de notre conclusion sur la nature de l’information, tel que l’a convenu notamment la British Columbia Securities Commission dans l’affaire Patriarco[94] :

« 64     Determining whether information is material at a point in time requires an analysis of whether, at that point in time, the information "would be reasonably be expected" to significantly affect the market price or value of the securities. Accordingly, one must use caution in considering how the market price of the securities was in fact affected after disclosure was made. This is because the test is the reasonableness of the expectation of the effect, not the actual effect.

65     That said, the market reaction to the disclosure, when ultimately made, can sometimes be useful to test the reasonableness of the expectation. For example, a significant market reaction that is consistent with the nature and importance of the information, with no other identifiable factors to explain that reaction, may tend to confirm that an expectation of that reaction would have been reasonable. Conversely, no significant market reaction may tend to confirm that an expectation of no market reaction would have been reasonable.

66     Here, the reaction of the market to the disclosure of the status of the Kazandol and Ilovitza permits, including the Ilovitza 4 expiry, indicates that at the relevant time it was reasonable to expect that the disclosure would not have had a significant effect on the price of the Euromax shares. »

[141]     Dans l’affaire Kaputsa, l’Alberta Securities Commission convenait également que la réponse des marchés et des analystes pouvait venir corroborer la conclusion de la commission sur la « materiality » :

« 304     Although, as discussed, hindsight must be used with caution, the 14 and 17 March 2008 analyst reports are sufficiently timely — and, given their source, supposedly sufficiently informed about the oil and gas industry and the capital market — to constitute useful (relevant) evidence as to the perceptions of readers of the March Release, and therefore something that might tend to corroborate or rebut our earlier findings on reasonable expectation and on general disclosure.

[…]

315 Given the clear focus and message of the March Release and the absence of compelling evidence that something else was at play, we find in the excited and immediate responses of capital market analysts and market traders to the disclosure in the March Release strong corroboration of our findings on materiality — that it was reasonable to have expected that, from at least 17 February 2008, the Discovery (if disclosed) would have had a significant effect on the market price or value of Canext Shares — and that the March Release effected the first general disclosure of the material information. »[95]

[Nos soulignements]

[142]     Les auteurs Johnston et Rockwell soulignent également que la notion de « materiality » est souvent analysée en regardant le cours des titres avant et après la dissémination de l’information[96]. Il ne s’agit pas d’un facteur déterminant en soi, mais d’un indice quant à une conclusion sur la nature de l’information, comme le souligne ces auteurs :

« In IT cases, materiality is often indicated by examining market prices before and after the information was eventually disseminated. A drastic shift in market price after dissemination is a good indication that the information was material, but is not determinative. »[97]

[143]     Quant à savoir à quel moment une information est suffisamment diffusée pour être considérée comme publique, notons le passage suivant l’Instruction générale 51-201 sur les lignes directrices en matière de communication de l’information :

 « La législation en valeurs mobilières ne définit pas l'expression " communiquée au public ", mais les tribunaux qui se sont prononcés sur des opérations d'initiés ont statué que l'information a été communiquée au public si :

a) elle a été diffusée de façon à atteindre les participants du marché;

b) les investisseurs ont disposé d'un délai raisonnable pour l'analyser.

3) Sauf en ce qui concerne les " changements importants ", qui doivent être annoncés au moyen d'un communiqué de presse, la législation en valeurs mobilières n'exige l'utilisation d'aucune méthode en particulier pour satisfaire à l'exigence de communication au public. Pour déterminer si l'information a été communiquée au public, nous prendrons en considération toutes les circonstances et tous les faits pertinents, notamment les méthodes que la société emploie habituellement pour diffuser l'information et l'ampleur du suivi dont elle fait l'objet de la part des investisseurs et de la communauté financière. Nous reconnaissons que l'efficacité des méthodes varie selon les émetteurs, mais, quelle que soit la méthode employée, nous recommandons aux sociétés d'adopter des pratiques uniformes. »

[144]     Dans un marché efficient où une société est suivie par les analystes, toute nouvelle information s’incorpore rapidement dans le prix des titres. Il faut souligner que plus le délai est long avant qu’une information soit considérée comme diffusée, plus il sera ardu de déterminer l’impact sur la décision d’un investisseur raisonnable puisque de nouveaux éléments pourront entrer en ligne de compte et ainsi influencer à leur tour la décision d’un investisseur.

[145]     L’Autorité soutient que c’est après la diffusion du communiqué de presse du 15 mars 2006 que la nouvelle du décès de l’enfant a bénéficié d’une diffusion suffisante pour devenir connue du public. Dans ses allégations, l’Autorité mentionne que le titre est demeuré stable jusqu’en juin 2006 :

« 53. La valeur du titre de Mega Brands est demeurée à environ 27,000 $ jusqu'à au moins juin 2006, tel qu'il appert de D-12;

54. Le 15 mars 2006, les parents du jeune Kenny Sweet déposaient une poursuite en dommages et intérêts contre Rose Art suite au décès de leur fils, tel qu'il appert du communiqué émis par Osborn Machler, pièce D-13;

55. C'est après l'annonce de cette poursuite ainsi que d'autres, intentées contre Rose Art pour les mêmes motifs, que le décès de Kenny Sweet a bénéficié d'une diffusion suffisante pour devenir connu du public; »[98]

[146]     Ainsi, selon la demande de l’Autorité, une fois que l’information a été connue en mars 2006, le titre est demeuré stable jusqu’en juin 2006 à environ 27 $, soit le prix de levée des options en décembre 2005.

[147]     Cependant, il semble que la position de l’Autorité ait été modifiée dans les représentations de la procureure de l’Autorité[99] qui a souligné que, suivant la publication du communiqué du 31 mars 2006 faisant état de la campagne de remplacement volontaire du produit, le marché a réagi et des rapports d’analystes font état d’une baisse de 5 %.

[148]     Les intimés rappellent que selon les allégations de l’Autorité, le titre de Mega Brands est demeuré stable au moins jusqu’à juin 2006. De plus, ils soumettent que les analystes ont maintenu leurs recommandations sur le titre de Mega Brands, et ce, même après le programme de remplacement du produit.

[149]     Pour les intimés, la date à laquelle la nouvelle aurait bénéficié d’une diffusion suffisante pour devenir connue du public est, soit le 20 décembre 2005, lors du reportage fait par Komo News sur le décès de Kenny Sweet[100], soit le 5 janvier 2006, lors de la publication d’un rapport d’analyste du titre de Mega Brands par RBC Capital Markets[101].

[150]     Relativement au cours des titres, nous constatons que du 20 décembre 2005 au 6 janvier 2006, le prix a fluctué de 27,01 $ à 27,07 $[102].

[151]     Après le reportage du 20 décembre 2005, il y a également eu une attention médiatique le 22 décembre 2005 lorsque la nouvelle est diffusée sur CNN[103]. Or, là encore, le cours des titres se maintient à 27 $ le 22 décembre 2005 et à 26,99 $ le 11 janvier 2006[104].

[152]     Du 9 janvier au 19 janvier 2006, le cours des titres a varié de 26,97 $ à 26,55 $[105]. Le rapport d’analyste du 5 janvier 2006, intitulé « Rose-Art Benefits Look Strong into 2007 ; Target Price Upped to $33.00 on Roll Forward of Valuation »[106], fait état du décès de l’enfant et du retrait par un détaillant de la ligne de produits Magnetix de ses tablettes. Il y est mentionné que « we do not foresee a material financial impact from this retailer’s decision ». Le lendemain de la publication de ce rapport, soit le 6 janvier 2006, le prix à la clôture est de 27,07 $.

[153]     Ensuite, du 15 mars au 29 mars 2006, soit après l’annonce de la poursuite de la famille Sweet, le cours des titres est passé de 28,23 $ à 26,40 $[107]. Il faut noter qu’entre le 15 mars et le 23 mars 2006, le cours des titres se maintient entre 28,23 $ et 29,50 $.

[154]     De plus, le 16 mars 2006, une journaliste publie un article faisant référence à un autre cas de nature similaire où un jeune garçon serait hospitalisé pour l’ingestion d’aimants d’un jeu Magnetix[108].

[155]     Également, le 20 mars 2006, un reportage est diffusé à Good Morning America[109]. À la même date, le prix à la clôture des marchés est de 29,23 $. Il se maintient aux alentours de 29 $ jusqu’au 24 mars 2006, où le prix de clôture est de 26,99 $. Le 24 mars 2006 correspond à une journée où une conférence téléphonique a eu lieu avec les analystes au sujet des résultats financiers du quatrième trimestre de 2005[110].

[156]     Le 30 mars 2006, à la publication du quatrième rapport trimestriel 2005 de Mega Brands qui fait mention de la poursuite intentée par la famille Sweet et de l’enquête indépendante menée par le CPSC, le prix de clôture de l’action est de 25 $[111]. Ce qui représente une baisse de 5,30 % du prix de clôture du jour de bourse précédent.

[157]     Un analyste a mentionné ceci quant à la baisse du cours du titre en mars 2006 :

« The stock had lost around 10 % following slightly-lower-than-expected financial results. In our opinion, that decline was unjustified, as adding actual results for Q3 and Q4 yields US$1.23 per share and our initial aggregate scenario called for US$1.22. While Q3 was above projections, Q4 came up shy. This sequence of “stronger-than-expected followed by weaker-than-expected (or vice-versa) is not unusual for companies who just completed a transaction that has significantly altered their profile and size, as was the case for the Rose Art acquisition, because of different cost structures and timing of various expenditures. »[112]

[158]     Lorsque Mega Brands a annoncé le rappel volontaire le 31 mars 2006, le prix à la clôture était de 24,70 $[113] et les analystes maintenaient leur recommandation d’achat du titre[114].

[159]     Il faut cependant se rappeler qu’au moment des transactions en décembre 2005, le rappel n’était pas raisonnablement envisageable par les intimés; ils avaient obtenu l’opinion d’un expert en la matière à cet effet. Ils n’avaient connaissance d’aucun autre cas semblable relativement à cette ligne de produits et ils n’avaient aucune raison de croire que le jouet n’était pas sécuritaire. De plus, la famille Sweet avait indiqué ne pas avoir l’intention de poursuivre la société qu’elle ne blâmait pas.

[160]     Nous pouvons retenir comme corroboration à notre conclusion principale que les investisseurs ne semblent pas avoir été influencés par la publication de la nouvelle dans leur décision d’investissement dans les titres de Mega Brands, lorsqu’on s’attarde au cours des titres et aux rapports des analystes après la publication de la nouvelle, à savoir après le 20 décembre 2005, le 5 janvier 2006 et même après le 15 mars 2006 lorsque la poursuite de la famille Sweet est annoncée.

[161]     Pour ce qui est du cours des titres après la diffusion du rapport du quatrième trimestre et après le rappel volontaire du 31 mars 2006, il faut retenir qu’à ce moment l’information qui est disponible aux investisseurs n’est pas la même que celle que détenaient les intimés au moment d’effectuer leurs opérations.

Conclusion

[162]     Nous concluons que l’Autorité n’a pas rencontré son fardeau d’établir que l’information en possession des intimés lors des opérations était une information privilégiée au sens de l’article 5 de la Loi sur les valeurs mobilières.

[163]     Considérant cette conclusion, il ne sera pas nécessaire d’aborder les autres éléments soulevés par les intimés en défense. Il n’est pas non plus nécessaire de se prononcer sur la demande d’amendement.

LA DÉCISION

[164]     PAR CES MOTIFS, le Bureau de décision et de révision :

REJETTE la demande de l’Autorité des marchés financiers.

Fait à Montréal, le 5 septembre 2012.

 

(s) Alain Gélinas

 

Me Alain Gélinas, président

 

 

(s) Claude St Pierre

 

Me Claude St Pierre, vice-président

 

 

 

(s) Jacques Labelle

 

Jacques Labelle, membre

 



[1]     L.R.Q., c. V-1.1.

[2]     L.R.Q., c. A-33.2.

[3]     Pièce D-2.

[4]     Id.

[5]     Pièce P-50.

[6]     Notes sténographiques du 25 janvier 2012, pages 24, 25 et 26.

[7]     Pièce P-18.

[8]     Pièce P-22.

[9]     Pièce P-27.

[10]    Pièce P-38.

[11]    Pièce P-39.

[12]    Pièces P-42 et P-43.

[13]    Pièce P-47.

[14]    Pièce P-49.

[15]    Pièce D-51.

[16]    Pièce D-11.

[17]    Pièce P-53.

[18]    Pièce P-118.

[19]    Pièce P-78.

[20]    Pièce D-35.

[21]    Pièce P-65.

[22]    Pièce D-13.

[23]    Pièce P-81.

[24]    Pièces P-82 et P-83.

[25]    Pièce P-84.

[26]    Pièce P-85.

[27]    Pièce P-86.

[28]    Pièce P-87.

[29]    Pièce D-41.

[30]    Pièce P-99.

[31]    Pièce P-129.

[32]    Pièce P-101.

[33]    Pièce P-130.

[34]    Pièce P-103.

[35]    Contre-interrogatoire de Frédéric MARCHAND du 23 janvier 2012, p. 109, lignes 10-22.

[36]    2011 QCBDR 121 .

[37]    Commission des valeurs mobilières c. Blaikie, [1988] R.J.Q. 1461 (C.S.).

[39]    Paul Fortugno, « Les opérations d’initiés et l’usage de l’information privilégiée », Le droit des affaires face au droit pénal, Conférences Commémoratives Meredith, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 28.

[40]    Autorité des marches financiers c. Laliberté, 2008 QCCQ 685 .

[41]    TSC Industries inc. v. Northway inc., 426 U.S. 438 (1976).

[42]    Id.

[43]    Securities and Exchange Commission v. Texas Gulf Sulphur Co. (1968), 401 F.2d 833 (U.S. 2nd Cir. N.Y.).

[44]    Loi sur les valeurs mobilières, L.R.O. 1990, c. S.5, art. 1.

[45]    Id.

[46]    Donnini (Re), 2002 LNONOSC 570; Coventree Inc. (Re), 2011 LNONOSC 757; YBM Magnex International Inc. (Re), 2003 LNONOSC 337; Ironside (Re), 2006 LNABASC 849; Arbour Energy inc. (Re), 2012 LNABASC 95.

[47]    Donnini (Re), précitée, note 46, par. 137 et 138.

[48]    Coventree Inc. (Re), précitée, note 46, par. 149.

[49]    2002-07-12, Vol. XXXIII, BCVMQ, n° 27.

[50]    Directive 2003/6/CE du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2003, L 96/17.

[51]    Directive 2003/124/CE du Parlement Européen et du Conseil du 22 décembre 2003, L 339/70.

[52]    Groupe Vidéotron ltée c. Chagnon, 2009 QCCS 2414 , par. 47.

[53]    Report of the Attorney General’s Committee on Securities Legislation in Ontario (Toronto: Queen’s

Printer, 1965).

[54]    Texas Gulf Sulphur Co., précitée, note 43.

[55]    Autorité des marchés financiers c. Laliberté, précitée, note 40, par. 262.

[56]    Autorité des marchés financiers c. Séguin, 2007 QCCQ 11181 .

[57]    Raymonde CRÊTE et Jérome PARADIS, « Délits d’initié », Jurisclasseur Québec, coll. « Droit des affaires » Valeurs mobilières, Fasc 7, Montréal, Lexis Nexis Canada, par. 48.

[58]    Philip ANISMAN, Corporate Disclosure and Proposed Changes to the Definitions of « Material fact » and « Material change », Dec. 22, 1997, Quicklaw, OSCC - Document 8756, p. 4.

[59]    Frank IACOBUCCI, Marilyn L. PILKINGTON et J. Robert S. PRITCHARD, Canadian Business Corporations : An analysis of recent legislative developments, Agincourt, Canada Law Book, 1977, p. 178 et 179.

[60]    TSC Industries Inc. v. Northway, Inc., précitée, note 41, p. 448 et 449.

[61]    Sharbern Holding Inc. c. Vancouver Airport Centre, Ltd., [2011] 2 R.C.S. 175 , par. 61.

[62]    Groupe Vidéotron ltée c. Chagnon, précitée, note 52, par. 49 et 50.

[63]    R. CRÊTE et J. PARADIS, précité, note 57, par. 50.

[64]    Le Petit Robert définit le mot raisonnable comme suit : « Qui pense selon la raison, se conduit avec bon sens et mesure, d’une manière réfléchie ».

[65]    Donnini (Re), précitée, note 46, par. 135.

[66]    Basic Inc. v. Levinson, 485 U.S. 224 (1988); Texas Gulf Sulphur, précitée, note 43.

[67]    Basic Inc. v. Levinson, précitée, note 66, p. 238 et 239.

[68]    Donnini (Re), précitée, note 46, par. 130 à 134; Sheridan (Re), 1993 LNONOSC 21; YBM Magnex International inc. (Re), précitée, note 46, par. 525; Donald (Re), 2012 LNONOSC 546, par. 205 à 207.

[69]    Contre-interrogatoire de Jennifer ZERCZY du 24 janvier 2012, p. 104, lignes 2 à 7.

[70]    Contre-interrogatoire de Jennifer ZERCZY du 24 janvier 2012, p. 121, lignes 5 à 11.

[71]    Contre-interrogatoire de Jennifer ZERCZY du 24 janvier 2012, p. 105, lignes 2 à 5.

[72]    Interrogatoire d’Alain TANGUAY du 25 janvier 2012, p. 41 et 42.

[73]    Interrogatoire de Marc BERTRAND du 25 janvier 2012, p. 165, lignes 1 à 13.

[74]    Interrogatoire de Vic BERTRAND du 25 janvier 2012, p. 88, lignes 3 à 14.

[75]    Contre-interrogatoire de Jennifer ZERCZY du 24 janvier 2012, p. 89 :

« In those initial conversations and exchanges with Rick Locker, he was of the view that this was purely a procedural matter, that you notify them of an incident like this, and because we weren't aware of any widespread problems with the product, the CPSC would be unlikely to mandate a recall in this case. »

[76]    Interrogatoire de Vic BERTRAND du 25 janvier 2012, p. 88, ligne 3, p. 89, ligne 8.

[77]    Kaputsa, (Re), 2011 ABASC 322.

[78]    Id., par. 255 et 256.

[79]    R. CRÊTE et J. PARADIS, précité, note 57, par. 57.

[80]    Pièce D-11.

[81]    Contre interrogatoire de Jennifer ZERCZY du 24 janvier 2012, p. 100, ligne 13 et p. 101, ligne 13.

[82]    Interrogatoire de Vic BERTRAND du 25 janvier 2012, p. 91.

[83]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 166.

[84]    Pièce P-127.

[85]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 96.

[86]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 143.

[87]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 43.

[88]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 57.

[89]    Interrogatoire de Vic BERTRAND du 27 janvier 2012, p. 98 et 99.

[90]    Pièce P-99 et interrogatoire de Vic BERTRAND du 27 janvier 2012, p. 99 et 100.

[91]    Interrogatoire d’Alain TANGUAY du 27 janvier 2012, p. 25 à 27.

[92]    Interrogatoires de Vic BERTRAND et de Brahm SEGAL du 25 janvier 2012, p. 70 et 193 à 197.

[93]    Interrogatoire de Brahm SEGAL du 26 janvier 2012, p. 50 à 52.

[94]    Patriarco (Re), 2011 BCSECCOM 557.

[95]    Kaputsa (Re), précitée, note 77, par. 304 et 315.

[96]    David L. JOHNSTON et Kathleen D. ROCKWELL, Canadian Securities Regulation, 4e éd., Toronto, LexisNexis-Butterworths, 2006, p. 263.

[97]    Id.

[98]    Demande amendée de l’Autorité.

[99]    Plan d’argumentation de l’Autorité paragraphes 122 et 123.

[100]   Pièce D-11.

[101]   Pièce P-78.

[102]   Pièce D-12.

[103]   Pièce P-61.

[104]   Pièce P-111.

[105]   Pièce P-111.

[106]   Pièce P-78.

[107]   Pièce D-12.

[108]   Pièce P-68.

[109]   Pièce D-34.

[110]   Pièce P-80.

[111]   Pièce P-111.

[112]   Analyste Martin Goulet, National Bank Financial, Research Flash, pièce D-41.

[113]   Pièce P-111.

[114]   Pièces P-86 et D-41.

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