Décision

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Fortin et General Motors du Canada ltée

2008 QCCLP 4781

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Jérôme :

11 août 2008

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

331064-64-0710

 

Dossier CSST :

113541973

 

Commissaire :

Me Luce Morissette

 

Membres :

M. Alain Allaire, associations d’employeurs

 

M. Robert Légaré, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Réjean Fortin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

General Motors du Canada ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 18 octobre 2007, monsieur Réjean Fortin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er octobre 2007 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 28 juin 2007 et confirme la validité des montants d’indemnités de remplacement du revenu versés au travailleur par la CSST à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 novembre 2006.

[3]                L’audience s’est tenue le 13 juin 2008 à St-Jérôme en présence du travailleur et de son représentant. La compagnie General Motors du Canada ltée (l’employeur) n’était pas représentée.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande de recevoir un plein montant d’indemnités de remplacement du revenu à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 novembre 2006.

 

LA PREUVE

[5]                Le travailleur admet que les faits rapportés dans la décision rendue le 1er octobre 2007 par la CSST à la suite d’une révision administrative sont exacts. Malgré cette admission, il convient de rapporter brièvement ceux qui suivent.

[6]                Ainsi, le travailleur est mécanicien chez l’employeur depuis plusieurs années lorsque, le 14 juillet 1997, alors qu’il est âgé de 56 ans, il se blesse au travail en descendant un escalier les bras chargés d’un moteur pesant une vingtaine de livres. Il tente d’éviter une chute, mais par ce fait il se tord le genou et sa cheville gauche exécute un mouvement d’inversion. 

[7]                La CSST rend, les 6 et 17 octobre suivant, des décisions par lesquelles elle reconnaît que le travailleur a subi un accident du travail. Les diagnostics retenus sont une entorse et une déchirure méniscale au genou gauche.

[8]                Le travailleur a été opéré une première fois pour ces blessures le 30 janvier 1998. Au mois de juin suivant, il peut retourner au travail même s’il conserve des douleurs.

[9]                Par la suite, un Rapport d’évaluation médicale est rempli par le médecin du travailleur prévoyant un déficit anatomophysiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles.

[10]           Le travailleur a subi deux autres chirurgies les 20 avril 2000 et 5 septembre 2002 qui ont été refusées par la CSST à titre de récidives, rechutes ou aggravations, mais, le 17 février 2006, la Commission des lésions professionnelles les a reconnues[1]. Cette décision amène l’octroi d’un pourcentage supplémentaire de déficit anatomophysiologique.

[11]           Le 30 octobre 2006, la CSST rend la décision suivante :

Décision concernant votre capacité de travail

Monsieur,

Comme nous en avons discuté au cours de notre dernière conversation téléphonique, vous n’êtes plus capable d’exercer votre emploi de mécanicien industriel ni de retourner chez votre employeur.

En conséquence, nous continuerons de vous verser une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que vous ayez 68 ans. Cependant, à compter de votre 65e anniversaire de naissance, elle diminuera progressivement : de 25 % la première année, de 50 % l’année suivante, de 75 % la dernière année.

Si toutefois vous recommencez à travailler, même à raison de quelques heures par semaine, veuillez nous en aviser, car nous devrons tenir compte de votre revenu d’emploi et ajuster vos indemnités en conséquence.

[…]  (Nos soulignements)

[12]           Cette décision n’a pas été contestée et le travailleur a témoigné que depuis la survenance de la récidive, rechute ou aggravation de l’an 2000, il n’a jamais repris le travail. Il continuait de recevoir une indemnité de remplacement du revenu complète, c'est-à-dire qu’elle n’était réduite d’aucun pourcentage.

[13]           Il explique que jusqu’à ce qu’il ait 65 ans, soit le 13 juillet 2006, il a reçu un plein montant d’indemnités de remplacement du revenu. À compter de cette date, le montant a été diminué de 25 %.

[14]           Le travailleur produit, le 23 janvier 2007, une nouvelle réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation qui est survenue le 14 novembre 2006. Il est alors âgé de 66 ans.  Cette réclamation est acceptée par la CSST, le 28 juin 2007, mais le travailleur conteste la décision.

[15]           En effet, il est insatisfait du montant de l’indemnité de remplacement du revenu qu’il reçoit puisque celle-ci est réduite de 25 %. Il souhaite recevoir une indemnité de remplacement du revenu qui n’est pas réduite à la suite de la récidive du mois de novembre 2006.

[16]           Il est actuellement suivi par son médecin traitant qui n’a toujours pas produit de Rapport d’évaluation médicale en regard de la récidive, rechute ou aggravation du mois de novembre 2006.

L’ARGUMENTATION

[17]           Le représentant du travailleur souligne que la décision du 30 octobre 2006 a été rendue conformément aux articles 53 et 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).

[18]           Selon lui, le fait que la CSST ait rendu une décision reconnaissant que le travailleur avait droit en vertu de l’article 53 de recevoir une indemnité de remplacement du revenu en regard de son incapacité n’équivaut pas à déclarer que le travailleur était « invalide ».

[19]           Il rappelle que le droit à l’indemnité de remplacement du revenu est prévu à l’article 44 de la loi et que la survenance d’une nouvelle lésion professionnelle donne droit au versement complet de cette indemnité de remplacement du revenu. Interpréter autrement la loi, équivaut à faire subir au travailleur un traitement injuste fondé uniquement sur l’âge, ce qui est discriminatoire.

[20]           Le représentant demande ainsi de déclarer que la reconnaissance de la récidive, rechute ou aggravation du 14 novembre 2006 donne le droit au travailleur de recevoir une indemnité de remplacement du revenu qui n’est pas réduite, et ce, conformément à l’article 69 de la loi.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[21]           Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales ont un avis unanime, soit de rejeter la requête du travailleur.

[22]           Ils sont d’avis que le travailleur n’a pas prouvé qu’au moment où il subit une nouvelle récidive, rechute ou aggravation, en novembre 2006, il était capable d’occuper un emploi. Au contraire, il a témoigné que depuis l’an 2000, il ne travaillait plus en regard d’une incapacité qui remonte à la lésion professionnelle du mois de juillet 1997. Il est donc impossible de déclarer que la seule reconnaissance d’une nouvelle lésion professionnelle en 2006 lui donne le droit de recevoir un plein montant d’indemnités de remplacement du revenu alors qu’il était âgé à cette époque de 66 ans.

 

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[23]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit de recevoir une pleine indemnité de remplacement du revenu à la suite de sa récidive, rechute ou aggravation du 14 novembre 2006.

[24]           Les articles de loi pertinents au règlement du présent litige se lisent ainsi :

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

(Nos soulignements)

 

 

53.  Le travailleur victime d'une maladie professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 55 ans ou celui qui est victime d'une autre lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 60 ans et qui subit, en raison de cette maladie ou de cette autre lésion, une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique qui le rend incapable d'exercer son emploi a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il n'occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez son employeur.

 

[…]

__________

1985, c. 6, a. 53; 1992, c. 11, a. 3.

 

 

56.  L'indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.

 

Cependant, l'indemnité de remplacement du revenu du travailleur qui est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans est réduite de 25 % à compter de la deuxième année suivant la date du début de son incapacité, de 50 % à compter de la troisième année et de 75 % à compter de la quatrième année suivant cette date.

__________

1985, c. 6, a. 56.

 

57.  Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :

 

1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;

 

2° au décès du travailleur; ou

 

3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

69.  Le revenu brut d'un travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle est celui qu'il tirait de l'emploi par le fait ou à l'occasion duquel il a été victime de cette lésion, déterminé conformément à l'article 67 .

 

Ce revenu brut est revalorisé au 1er janvier de chaque année depuis la date où le travailleur a cessé d'occuper cet emploi.

__________

1985, c. 6, a. 69.

 

 

[25]           Le tribunal est d’avis que l’article 44 ne permet pas au travailleur de recevoir automatiquement une indemnité de remplacement du revenu qui ne soit pas réduite  en raison de son âge puisqu’il est prouvé qu’il ne travaillait plus depuis l’an 2000, et ce, en raison des séquelles laissées par les récidives, rechutes ou aggravations antérieurement reconnues par la Commission des lésions professionnelles au mois de février 2006.

[26]           Contrairement à la prétention du procureur du travailleur, il est inexact de prétendre que la seule reconnaissance d’une lésion professionnelle donne le droit au versement complet des indemnités lorsqu’un travailleur est âgé de plus de 65 ans lorsque la lésion survient. Le travailleur doit fournir une preuve qu’une capacité de travail existait avant la survenance de la nouvelle lésion professionnelle. Or, cette preuve est inexistante dans le présent dossier.

[27]           Il faut se garder de confondre le droit à l’indemnité de remplacement du revenu, qui n’est pas ici remis en cause et celui de recevoir une indemnité non réduite même si un travailleur est âgé de plus de 65 ans. 

[28]           En ce sens, il y a lieu de rappeler que ce qui donne le droit à l’indemnité de remplacement du revenu demeure l’incapacité de travailler. Ainsi, il peut arriver qu’un travailleur subisse une lésion professionnelle, mais que celle-ci ne l’empêchant pas de travailler, qu’il ne reçoive aucune prestation de la CSST.

[29]           Or, en 1997, le travailleur a subi une lésion professionnelle et par la suite il a subi des récidives, rechutes ou aggravations, qui ont laissé des séquelles de manière telle que la CSST a déterminé qu’il continuerait de recevoir des indemnités de remplacement du revenu sans réduction jusqu’à son soixante-cinquième anniversaire de naissance; la CSST a en effet appliqué l’article 53 de la loi reconnaissant le droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu tant que le travailleur n’occupe pas un nouvel emploi.

[30]           Le seul élément nouveau au dossier est le dépôt d’une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation en novembre 2006. Tous les autres faits sont demeurés les mêmes : il n’y avait aucune reprise d’un travail, l’incapacité reconnue antérieurement étant la même. 

[31]           La Commission des lésions professionnelles est d’avis que s’il n’y a pas de preuve comme c’est le cas en l’espèce que le travailleur était capable de travailler avant cette nouvelle lésion professionnelle, il n’y a pas lieu de reprendre le versement d’une pleine indemnité de remplacement du revenu. La situation aurait été différente si le travailleur, âgé de 64 ans, se blesse alors qu’il était toujours en emploi.  À ce moment, le deuxième alinéa de l’article 56 s’applique et la réduction de l’indemnité serait survenue à compter de la deuxième année suivant le début de l’incapacité.

[32]           Finalement, le tribunal note que dès le 30 octobre 2006, le travailleur a reçu une décision l’informant qu’il recevrait, en regard de son incapacité résultant des lésions du mois d’avril 2000 et septembre 2005, un plein montant d’indemnités. Toutefois, il est clair qu’il a également appris à ce moment que ce montant serait réduit, dès sa soixante-cinquième année de naissance d’un pourcentage de 25 %, le tout conformément au premier alinéa de l’article 56. Or, le travailleur n’a pas contesté cette décision même si son représentant prétend aujourd’hui qu’une telle décision fondée sur l’âge présente une forme de discrimination.

[33]           Or, cette allégation de discrimination demeure vague et ne s’appuie sur aucune preuve. Le représentant n’a évoqué aucune disposition en vertu de laquelle il serait discriminatoire de diminuer l’indemnité de remplacement du revenu à compter de 65 ans.  Néanmoins, il convient de rapporter les propos de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la CALP) dans la décision Jhajj et Échantillons Murack inc.[3] Ainsi, concernant l’article 56 de la loi qui n’a subi aucune modification depuis son adoption en 1985, voici ce que le commissaire écrit à propos de la finalité de l’article 56 et son interprétation :

[…] En effet, l'article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui prévoit la réduction progressive de l'indemnité de remplacement de revenu à compter de l'âge de 65 ans, a été édicté afin de tenir compte des autres formes de soutien financier auxquels les travailleurs peuvent avoir accès à compter de cet âge, dont le régime de la sécurité de la vieillesse.

 

[…]

 

Finalement, il importe de mentionner que l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec prévoit ce qui suit:

 

article 10 :  Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la  couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge, sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

 

D'autre part, l'article 52 de la Charte québécoise énonce qu'on ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles. Cet article se lit comme suit:

 

article 52 :  Aucune disposition d'une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la  mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n'énonce expressément que cette disposition s'applique malgré la charte.

 

Or, force est de constater que la discrimination fondée sur l'âge est interdite "sauf dans la mesure prévue par la loi".

 

En l'espèce, l'article 56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, on l'a vu, prévoit une forme de discrimination au niveau de l'indemnisation des victimes d'une lésion professionnelle. Cette discrimination en raison de l'âge étant inscrite dans le texte même de la loi, elle ne constitue pas une dérogation interdite par l'article 52 de la Charte québécoise.

(Nos soulignements) (Référence omise)

[34]           Ainsi, il est permis de présumer que si le travailleur n’avait pas subi de récidive, rechute ou aggravation en novembre 2006, il n’aurait pas contesté la décision de la CSST de réduire son indemnité de remplacement du revenu à 65 ans au moment où sa récidive a été acceptée. Il aurait été traité comme tous les travailleurs qui, atteignant l’âge fixé par le législateur, voient leurs indemnités réduites d’un certain pourcentage. Ce choix du législateur de réduire les indemnités de remplacement du revenu pour tenir compte de l’âge ne peut être remis en cause pour décider du présent litige.

[35]           Concernant l’article 69, il n’est d’aucune utilité puisque cette disposition a trait à la détermination de la base salariale et il ne s’agit pas de la question en litige.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Réjean Fortin, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er octobre 2007 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que les montants d’indemnités de remplacement du revenu versés au travailleur par la CSST à la suite de la récidive, rechute ou aggravation du 14 novembre 2006 sont valides.

 

 

__________________________________

 

Luce Morissette

 

Commissaire

 

 

 

 

Monsieur Marc Caissy

T.C.A. Québec (section locale 1163)

Représentant de la partie requérante

 



[1]           Réjean Fortin et General Motors du Canada ltée, C.L.P. 133067-64-0002, 167276-64-0108, 216332-64-0309, le 17 février 2006, T. Demers.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           [1996] C.A.L.P. 847 , requête en révision rejetée, 13 juin 1996, B. Roy.

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