Costco — Brossard Div. entrepôt |
2009 QCCLP 7784 |
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[1] Le 8 mai 2009, Costco-Brossard (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 3 avril 2009 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, pour d’autres motifs, sa décision initiale du 4 septembre 2008 et déclare que le coût des prestations, attribuable à la lésion professionnelle de la travailleuse, doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] L’audience s’est tenue le 16 novembre 2009 à l’Hôtel Mortagne à Boucherville en présence du représentant de l’employeur. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de transférer à tous les employeurs le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 15 avril 2007 par madame N. Desnoyers-Gauthier (la travailleuse), conformément à l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), puisque cette lésion est attribuable à un tiers et qu’il est injuste de lui en faire supporter les coûts.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] De l’analyse du dossier et à la lumière des représentations faites à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.
[6] La travailleuse occupe le poste d’emballeuse aux caisses chez l’employeur lorsqu’elle subit un accident du travail le 15 avril 2007, accident qu’elle décrit ainsi au formulaire de réclamation produit à la CSST :
Je revenais du plancher avec ma « bine » pleine de boites lorsqu’un membre a voulu me faire une blague et l’a retiré vers l’arrière, je la trainais le bras vers l’arrière pour pouvoir voir les gens devant moi. C’est à ce moment que j’ai ressenti une douleur, engourdissement, inflammation à la main, poignet et épaule. [sic]
[7] La travailleuse consulte un médecin le lendemain. Un diagnostic d’élongation musculaire du trapèze droit est posé alors qu’un arrêt du travail est prescrit. Ce diagnostic sera repris et maintenu par le médecin lors des consultations subséquentes.
[8] La CSST accepte la réclamation de la travailleuse, retenant le diagnostic d’élongation musculaire du trapèze droit, et le 24 avril 2007, celle-ci effectue un retour au travail dans le cadre d’une assignation temporaire.
[9] Le 30 avril 2007, le médecin ayant charge de la travailleuse indique au rapport final qu’il produit que la lésion sera consolidée le 1er mai 2008 et que la travailleuse ne conserve de sa lésion ni limitation fonctionnelle, ni atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique (APIPP).
[10] Le 26 octobre 2007, l’employeur demande à la CSST un transfert d’imputation par application de l’article 326 de la loi, invoquant que l’accident de la travailleuse est attribuable à un tiers.
[11] Lors de l’analyse de cette demande, l’agent de la CSST indique à sa note du 3 septembre 2008 : « compte tenu du fait accidentel à l’effet qu’elle revenait du plancher avec une bine pleine de boites qu’un membre a voulu lui faire une blague » et que « compte tenu que l’accident n’a pas été causé par un tiers, mais par l’un de ses travailleurs ». En conséquence, l’agent rejette la demande de l’employeur.
[12] Lors de la révision administrative, la CSST retient plutôt ceci :
Le dossier a fait l’objet d’une révision basée sur les informations contenues au dossier ainsi que sur les observations recueillies auprès de la représentante de l’employeur. Cette dernière explique que l’accident a été causé par un membre et qu’il ne s’agit pas d’un autre travailleur puisque les clients sont tous des membres chez Costco. Ce membre-client est donc un tiers par rapport à l’entreprise.
La travailleuse occupe un emploi d’emballeuse aux caisses chez l’employeur lorsque le 15 avril 2007 elle subit un accident du travail. Selon sa version, elle revient sur le plancher avec un chariot en arrière d’elle qu’elle tire à l’aide d’un seul bras afin de rester face aux autres personnes qui sont devant elle. Un client, pour lui faire une blague, tire le chariot vers l’arrière et aussitôt, elle ressent une douleur au bras.
[13] Procédant ensuite à l’analyse de la demande de l’employeur, la révision administrative reconnaît que l’accident de la travailleuse est attribuable à un tiers, mais rejette cette demande aux motifs que l’employeur n’a pas démontré en quoi il serait injuste qu’on lui impute le coût des prestations découlant de la lésion. À ce sujet, la réviseure écrit ceci :
La notion d’injustice s’apprécie en fonction des risques particuliers ou inhérents qui se rattachent à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. Les éléments qui suivent sont généralement pris en compte pour évaluer si l’accident fait partie des risques inhérents, soit la tâche du travailleur, la nature des activités exercées par l’employeur et les circonstances particulières liées à la survenance de l’événement.
La révision administrative estime que l’analyse des faits démontre que le risque est inhérent aux activités de l’employeur. En effet, la travailleuse qui est emballeuse aux caisses doit, dans l’exercice de ses fonctions, déplacer des chariots. Or, compte tenu que cette tâche s’effectue à travers une clientèle omniprésente, il est difficile de penser qu’elle puisse se dérouler sans heurt. Par ailleurs, le déplacement de chariots s’inscrit dans les tâches qui sont nécessaires au fonctionnement des activités économiques de l’employeur œuvrant, en l’occurrence, dans le secteur du commerce de détail.
En somme, la révision administrative estime que la preuve est prépondérante à l’effet que l’événement déclaré par la travailleuse fait partie des risques inhérents ou particuliers reliés à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur et qu’il n’est pas injuste de faire supporter à l’employeur le coût des prestations reliées à cet accident du travail.
[14] L’article 326 de la loi prévoit ceci :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[15] L’employeur a respecté le délai prévu à la loi pour effectuer sa demande de transfert de coût puisqu’il l’a présentée le 26 octobre 2007.
[16] L’employeur allègue que le transfert d’imputation qu’il demande est légitime puisque l’accident de la travailleuse est majoritairement attribuable à un tiers et que le fait de lui imputer les coûts de la lésion subie dans les circonstances est injuste.
[17] Pour réussir dans son recours, l’employeur doit démontrer en premier lieu que l’accident impliquant la travailleuse est majoritairement attribuable à un tiers et ensuite, qu’il est injuste de lui faire supporter le coût de la lésion de cette dernière.
[18] Quant au premier élément, après ce qui semble avoir été un imbroglio entourant la désignation d’un client sous le nom de « membre », la CSST a reconnu, dans sa décision rendue en révision administrative, que l’accident de la travailleuse est « attribuable à un tiers ». La Commission des lésions professionnelles retient entièrement cette conclusion.
[19] Tel que l’enseigne la jurisprudence, un « tiers » au sens de l’article 326, est toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier. Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2], sur laquelle le tribunal reviendra ultérieurement, le tribunal a procédé à une analyse jurisprudentielle complète relative à l’article 326 de la loi et a notamment déterminé que par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers au sens de cette disposition.
[20] En l’espèce, un « membre », c'est-à-dire un client, est clairement à l’origine de la lésion de la travailleuse. N’eut été « sa mauvaise blague » celle-ci n’aurait pas été blessée. Son accident du travail lui est entièrement attribuable.
[21] Quant au second élément, à savoir la question de l’injustice du fait de lui imputer le coût des prestations, le représentant de l’employeur plaide qu’il existe deux positions au sein du tribunal sur ce sujet.
[22] Selon le représentant, un courant « minoritaire » au sein du tribunal soutient la position voulant que la seule preuve qu’un accident soit attribuable à un tiers suffit à remplir les exigences de l’article 326 de la loi, l’employeur n’ayant pas à démontrer en sus qu’il subit une injustice du fait de cette imputation, notamment par le fait que l’accident n’est pas survenu dans le cadre des risques inhérents aux activités de l’employeur. Il dépose à ce sujet deux décisions[3].
[23] Quant au courant dit « majoritaire », trouvant son fondement dans la décision Ministère des Transports précitée, le représentant du travailleur reconnaît que le tribunal requiert selon ce courant, que l’employeur démontre en sus du fait que l’accident du travail soit attribuable à un tiers, que le fait qu’on lui impute le coût des prestations d’un tel accident constitue pour lui une injustice. À ce sujet, il reconnaît que selon ce courant majoritaire, la preuve de l’injustice se fait par le biais de la notion de risque inhérent aux activités exercées par l’employeur.
[24] Le représentant de l’employeur demande au tribunal d’appliquer le courant « minoritaire », mais il soutient subsidiairement que même dans le contexte de l’application des critères émis dans l’affaire Ministère des Transports, la requête de l’employeur doit être accueillie.
[25] Le tribunal a pris connaissance des décisions déposées par le représentant de l’employeur. Ces décisions se distinguent certes de l’opinion émise dans l’affaire Ministère des Transports en ce qu’elles refusent d’appliquer la notion de « risque inhérent aux activités de l’employeur » pour définir l’injustice visée à l’article 326 de la loi.
[26] D’emblée, le tribunal considère qu’il est préférable de s’en remettre aux principes émis par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des Transports plutôt que dans les décisions provenant du courant dit « minoritaire », et ce, à des fins de cohérence au sein du tribunal.
[27] À ce sujet, le tribunal partage entièrement les propos du juge Arsenault énoncés dans l’affaire Ambulances St-Amour de Lanaudière enr.[4] lorsqu’il écrit au sujet de la décision Ministère des Transports :
[32] Le mérite de la décision du tribunal dans cette affaire est d’avoir fait une analyse exhaustive de la jurisprudence sur l’interprétation de l’article 326 de la loi et de proposer une grille d’analyse qui permet de tenir compte de plusieurs facteurs dans l’appréciation d’une situation donnant ouverture à l’application de cette disposition. C’est ce que rappelle notre collègue la juge administrative Lévesque dans l’affaire Service de réadaptation l’intégrale5 :
[29] Récemment, la Commission des lésions professionnelles, composé d’un banc de trois commissaires, a eu l’opportunité dans l’affaire Ministère des Transports8, de revoir la jurisprudence concernant l’interprétation de l’article 326 de la loi. Elle a rendu une décision très motivée dans laquelle elle a préféré la position jurisprudentielle fortement majoritaire, exprimée tant dans la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles que de la Commission d’appel en matière des lésions professionnelles, voulant que la preuve que l’accident du travail soit attribuable à un tiers ne suffit pas à justifier une imputation aux autres employeurs. L’employeur doit démontrer, en plus, que l’imputation à son dossier aurait pour effet de lui faire « supporter injustement » le coût des prestations dues en raison de cet accident du travail.
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8 Référence omise.
[33] Par souci de cohérence décisionnelle, le soussigné adhère entièrement aux opinions qui y sont formulées et utilise sans réserve aucune la grille d’analyse proposée.
[34] Au sujet de la cohérence, le juge Gonthier, dans l’affaire Tremblay6 souligne que l’objectif de cohérence répond non seulement à un besoin de sécurité des justiciables mais également à un impératif de justice. Le même juge, dans l’affaire Consolidated Bathurst7 , rappelle que l’issue des litiges ne devrait pas dépendre de l’identité des personnes qui composent le banc. En effet, cette situation serait difficile à concilier avec la notion d’égalité devant la loi. Dans l’arrêt Domtar inc.8, la juge L’Heureux-Dubé, citant quelques auteurs, ajoute que la cohérence décisionnelle est également importante pour l’image du tribunal administratif. Elle contribue à bâtir la confiance du public et laisse une impression de bon sens et de bonne administration alors que les incohérences manifestes ont plutôt tendance à nuire à la crédibilité du tribunal.
[35] Une des raisons d’être des tribunaux administratifs, c’est la célérité et la spécialisation. Ils peuvent atteindre ces objectifs non seulement par la qualité décisionnelle mais aussi par le souci de cohérence. Lorsqu’un tribunal agit en dernière instance, il doit veiller d’autant plus à ce que les justiciables soient traités équitablement et également. En outre, il doit donner aux décideurs de premier niveau des indications précises quant à l’interprétation de la loi.
[36] La notion d’égalité devant la loi est importante, puisqu’il est de l’intérêt des justiciables que, dans les causes similaires, ils reçoivent un traitement similaire. N’est-ce pas là la notion même de justice? Devant l’incohérence, il y a insécurité et incapacité pour les justiciables de prendre une décision éclairée. La cohérence, c’est du simple bon sens. Elle favorise la confiance du public dans ses institutions. Bien que la cohérence soit souhaitable, le soussigné est conscient qu’elle ne peut être imposée au décideur, ni de l’extérieur, ni de l’intérieur. Par contre, il lui paraît inconvenant d’écarter les enseignements de la Cour suprême dans un domaine aussi crucial que celui de la cohérence décisionnelle.
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5 C.L.P. 330870-71-0710, 24 octobre 2008, D. Lévesque. Voir également Express Golden Eagle inc., C.L.P. 293970-64-0607, 29 septembre 2008, J.-F. Martel, paragr. 9 et suivants et Société de transport de Laval, C.L.P. 312885-61-0703 et autres, 22 octobre 2008, L. Nadeau, paragr. 18 et suivants.
6 Tremblay c. C.A.S. [1992] 1, R.C.S. 952.
7 SITBA c. Consolidated-Bathurst Packaging ltd. [1990] 1, R.C.S. 282.
8 Lapointe c. Domtar inc. [1993] CALP 616 (C.S.C.).
[28] Aussi, le tribunal retient que selon les principes émis dans l’affaire Ministère des Transports, aux fins d'appliquer le deuxième alinéa de l'article 326, la preuve que l’accident du travail est attribuable à un tiers ne suffit pas à justifier une imputation aux autres employeurs. L’employeur requérant doit démontrer, en plus, que l’imputation des coûts aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison de cet accident.
[29] Or, après une revue exhaustive de la jurisprudence et de la législation pertinente, la Commission des lésions professionnelles a retenu dans l’affaire Ministère des Transports que plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du deuxième alinéa de l'article 326 aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers. Le tribunal écrit ceci :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[30] Qu’en est-il en l’espèce?
[31] Le tribunal n’a pas retrouvé au dossier d’éléments permettant d’identifier l’unité de classification dans laquelle l’employeur a été classifié par la CSST ni la description des activités reliées à ladite unité de classification. Néanmoins, il appert des informations apparaissant au dossier que l’employeur exploite un commerce de détail.
[32] Dans son analyse, la CSST, lors de la révision administrative, a retenu que l’accident de la travailleuse est survenu dans le contexte des risques inhérents aux activités de l’employeur et que l’on retrouve dans un commerce de ce type.
[33] Ainsi, la réviseure de la CSST indique dans sa décision que la travailleuse, une emballeuse, doit se déplacer dans le cadre de ses fonctions avec un chariot parmi une clientèle « omniprésente » de sorte « qu’il est difficile de penser qu’elle [sa tâche] puisse se dérouler sans heurt ». Or, puisque cette tâche de déplacement d’un chariot « s’inscrit dans les tâches qui sont nécessaires au fonctionnement des activités économiques de l’employeur œuvrant, en l’occurrence, dans le secteur du commerce de détail », la réviseure en tire la conclusion que « l’événement déclaré par la travailleuse fait partie des risques inhérents ou particuliers reliés à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur et qu’il n’est pas injuste de faire supporter à l’employeur le coût des prestations ».
[34] Le tribunal reconnaît certes que le fait pour la travailleuse de circuler avec un chariot parmi une clientèle omniprésente puisse faire partie des activités usuelles chez l’employeur et qu’un accident qui surviendrait alors dans le cadre d’une telle tâche puisse être considérée faire partie des risques inhérents que l’on retrouve chez l’employeur.
[35] Mais pour le tribunal, cela ne suffit pas pour conclure qu’il n’est alors pas injuste d’imputer l’employeur du coût des prestations reliées à cette lésion, car un tel raisonnement a pour effet d’escamoter les autres critères énoncés par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des Transports.
[36] En fait, l’analyse faite par la CSST, lors de la révision administrative, omet purement et simplement de considérer que l’accident de la travailleuse n’est pas survenu parce que la roue du chariot trainé par la travailleuse se serait coincée dans une ouverture du plancher, ou encore parce que l’employeur aurait omis de former son employée sur la bonne façon de tirer un chariot ou bien même encore parce qu’un collègue de travail, afin de montrer qu’il apprécie la compagnie de la travailleuse et voulant détendre l’atmosphère lui aurait fait une blague qui se serait mal terminée, mais qu’il est plutôt survenu alors qu’un étranger, un des clients de l’employeur parmi tant d’autres, un « tiers », a tiré sur le chariot de la travailleuse alors que manifestement elle regardait devant elle, justement pour ne pas heurter d’autres clients « omniprésents », et qu’il en est alors résulté pour elle une blessure à l’épaule.
[37] Pour la Commission des lésions professionnelles, les exemples qu’il a donnés ci-dessus de circonstances dans lesquelles un accident du travail aurait également pu survenir pour la travailleuse constituent véritablement des risques inhérents aux activités de l’employeur en l’espèce. Mais le tribunal ne peut convenir que le fait qu’un client décide de faire une blague à une employée, fut-ce t’elle faite alors que celle-ci exécute une tâche elle-même usuelle dans le cadre des activités de l’employeur, ait pour conséquence de faire entrer dans la sphère des risques inhérents aux activités de l’employeur tout accident qui surviendrait dans ce contexte.
[38] Un tel résultat aurait pour effet de rendre inutile les autres critères d’appréciation émis par le tribunal dans l’affaire Ministère des Transports, soit :
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[39] De l’avis du tribunal, ces critères sont suffisamment larges pour permettre de conclure qu’en l’espèce, une mauvaise blague d’un client, seule cause de la lésion professionnelle de la travailleuse, constitue une situation « extraordinaire, inusitée, rare ou exceptionnelle ». Sans pouvoir qualifier de « guet-apens ou de piège », la situation vécue par la travailleuse, et sans que l’on puisse véritablement parler d’une agression ou d’un méfait à son endroit, le tribunal n’hésite pas à assimiler à de telles situations celle qu’a vécu la travailleuse.
[40] De même, par application du dernier critère mentionné ci-dessus, le tribunal est d’avis que malgré une clientèle « omniprésente » dans les locaux commerciaux de l’employeur, il est grandement improbable qu’un accident semblable ne survienne à nouveau lorsqu’un employé traine un chariot parmi les gens. Pour le tribunal, une infime minorité de gens oseront poser un geste semblable à celui posé le 15 avril 2007 par le client de l’employeur. En ce sens, le geste du client est pour le tribunal, nettement inusité.
[41] Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur « supporte injustement » le coût des prestations découlant de l’accident de la travailleuse, accident attribuable à un tiers. Sa requête doit être accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Costco-Brossard Div. Entrepôt;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 3 avril 2009 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 15 avril 2007 par madame N. Desnoyers-Gauthier doit être transféré à l’ensemble des employeurs.
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Michel Watkins |
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Paul Côté |
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Contact Health Care |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires); Pour des exemples de clients considérés « tiers », voir: RSR Environnement inc. et Société en commandite Tafisa Canada, C.L.P. 311777-05-0703, 15 juillet 2009, F. Ranger; Société des alcools du Québec, C.L.P. 361082-71-0810, 29 juillet 2009 J.F.Clément; Provigo Distribution inc., C.L.P. 305352-64-0611, 11 novembre 2008, M. Langlois.
[3] Multi-Marques Distribution inc., CLP 324115-61-0707, 14 mai 2008, M. Duranceau; Bell Canada, C.L.P. 341650-71-0803, 5 mars 2009, Y. Lemire.
[4] C.L.P. 305791-63-0612, 15 décembre 2008, J.-P. Arsenault.
AVIS :
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