Décision

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Barreau du Québec c. Roy

2018 QCCQ 5635

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

DRUMMOND

LOCALITÉ DE

DRUMMONDVILLE

« Chambre criminelle et pénale»

N° :

405-61-034340-177

 

 

DATE :

20 juillet 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GILLES LAFRENIÈRE, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

BARREAU DU QUÉBEC

Poursuivante

c.

MARIO ROY

-et-

UNITÉ CITOYENNE D’ENQUÊTES ANTI-CORRUPTION également connue sous le nom de CENTRE D’ENTRAIDE FAMILIAL L’UNITÉ

Défendeurs

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le Barreau du Québec reproche à Mario Roy et à l’Unité citoyenne d’enquêtes anti-corruption, également connue sous le nom de Centre d’Entraide familial l’Unité [1],  d’avoir exercé la profession d’avocat, sans être inscrits au Tableau de son ordre professionnel.

[2]           Les défendeurs font valoir qu’ils sont autorisés à le faire par décision d’un Tribunal et d’un agent de probation.

LES FAITS

[3]           Les gestes reprochés aux défendeurs surviennent à quelques dates distinctes, dans le cadre d’une charge incessante contre des personnes qui œuvrent à la protection de la jeunesse. Voici le bref résumé de ces événements.

[4]           Le 12 novembre 2016, Cindy Boucher est technicienne en éducation spécialisée et à l’emploi du Centre jeunesse de la Mauricie Centre-du-Québec. Dans le cadre de cet emploi, elle voit à l’application des mesures de protection déterminées en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse et elle a notamment la responsabilité d’assurer le suivi de ces mesures de protection dans le dossier de la famille T... [2].

[5]           Ce même jour, elle reçoit un appel téléphonique de Mario Roy [3]. Dès les premières secondes, il l’informe que la requête en révision des mesures de protection présentée par le Directeur de la protection de la jeunesse (Directeur) est hors délai, mais qu’elle ne sera pas contestée. Il ajoute qu’elle fera toutefois l’objet d’une requête de la part des parents, qu’il qualifie maladroitement de demande reconventionnelle, vu le parjure et les mensonges qu’elle y allègue, lesquels seront d’ailleurs portés à l’attention d’un juge et pour lesquels elle fera incessamment l’objet d’une arrestation.

[6]           Le 16 novembre 2016, la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, tient l’audition sur la requête du Directeur ainsi que sur la requête des parents. À cette occasion, le père de l’enfant concerné révèle que la requête des parents fut rédigée avec l’aide de Mario Roy pour une somme de 200 $, qui aurait servi à payer le coût du matériel nécessaire à la préparation de ladite requête. Peu après, Mario Roy reconnaît sous serment avoir lui-même rédigé la requête des parents.

[7]           Le 18 novembre 2016, le Centre d’entraide familial l’Unité publie le texte suivant sur internet:

Le centre d’entraide familial l’Unité invite cette fugueuse à entrer en contact l’organisme afin de faire valoir ses droits devant les tribunaux. Cette été nous avons aider une fugueuse à rentrer chez elle malgré que le dpj exigeais un placement 30 jours. Quand un ou une adolescente franchis le cap du 14 ans, le dpj se doit d’avoir son autorisation afin de la garder sous sa tutelle sans cela çà deviens un enlèvement à moins qu’il y ait eu acte criminel de commis par l’adolescent. Ce sauver d’un enlèvement illégal n’est pas un crime mais un cris à l’aide ! [4]

« Transcrit textuellement »

[8]           Le 23 février 2017, Mario Roy écrit, au nom du Centre d’Entraide familial l’Unité, une lettre à l’attention de la directrice de la Protection de la jeunesse de la Mauricie Centre-du-Québec, dans laquelle il l’informe qu’une employée est la pierre angulaire d’un réseau d’enlèvements d’enfants et l’intime de retirer cette employée du dossier de ses usagers, dès réception de sa mise en demeure [5].

[9]           Le 1er mars 2017, Marie-France Ouimet est à l’emploi de la firme d’avocats Goldwater Dubé. Elle y travaille comme étudiante depuis octobre 2016, le temps de compléter sa maîtrise en droit de la jeunesse et son Barreau. Ce même jour, elle discute avec des clients de Me Goldwater, lesquels s’inquiètent de la conduite de leur dossier par celle-ci, étant donné les remarques que Mario Roy leur a faites à l’égard d’une procédure de désistement d’appel, rédigée par Me Goldwater dans un dossier de la Chambre de la jeunesse du district de Drummond. Sitôt après, elle en fait part à Me Goldwater qui lui demande de communiquer avec Mario Roy pour comprendre le fondement de ces remarques.

[10]        Le 3 mars 2017, Madame Ouimet communique avec Mario Roy. Au cours d’une conversation d’une trentaine de minutes, Mario Roy l’informe que les clients peuvent juridiquement aller en appel, malgré le désistement à cet effet de Me Goldwater, puisque ceux-ci se sont fait avoir par la DPJ et qu’il peut lui-même gagner cet appel. Lorsqu’elle l’avise qu’il s’agit là d’un conseil juridique, il répond être enquêteur en corruption judiciaire et être autorisé à agir dans le cadre de travaux communautaires.

[11]        Le 22 novembre 2017, Mario Roy publie une vidéo [6]. Il s’y décrit comme un spécialiste de la Chambre de la jeunesse et de la Chambre criminelle pour avoir étudié le droit dans les livres et sur le Web et présente son organisme le Centre d’entraide familial l’Unité. Puis, il s’en prend aux agissements du Barreau du Québec qui cherche à le bâillonner.

[12]        Il y mentionne notamment ne pas être avocat, agissant plutôt à titre d’enquêteur judiciaire. Il offre toutefois son aide et celui de son organisme à la préparation de dossiers à la Chambre de la jeunesse. Il ajoute être autorisé à intervenir dans tous les dossiers de matière Jeunesse, selon l’article 81 de la Loi sur la protection de la jeunesse, d’autant que des juges l’ont d’ailleurs autorisé à faire des travaux communautaires sous forme juridique.

[13]        En défense, Mario Roy et le Centre d’Entraide familial l’Unité reconnaissent les gestes auparavant mentionnés, mais ajoutent avoir été autorisés à agir par un agent de probation, ainsi que par trois décisions de la Cour du Québec.

[14]        Mario Roy témoigne avoir plusieurs antécédents en matière criminelle et pénale, où il fut notamment condamné à effectuer des travaux communautaires.

[15]        D’ailleurs, les 6 janvier et 14 février 2014, il reconnaît sa culpabilité de ne pas s’être conformé à deux ordonnances de probation, lui imposant des travaux communautaires. Chaque fois il reconnaît sa culpabilité, puisque les travaux qu’il avait choisi de réaliser dans un cadre juridique ne l’ont pas été auprès d’un organisme approuvé par un agent de probation. Chaque fois, et avant que le juge ne lui impose la peine, il mentionne son intention de faire des travaux communautaires dans un cadre juridique, mais les deux juges lui rappellent que les travaux doivent être préalablement autorisés par l’agent de probation et effectués auprès d’un organisme approuvé.

[16]        Le 5 mai 2014, Mario Roy appelle l’agent de probation Hurtubise, mais apprend à ce moment que celui-ci n’est plus en poste. Dès lors, il discute avec son remplaçant, Mathieu Dessureault, pour l’informer avoir complété l’ensemble de ses travaux communautaires sous forme juridique auprès de l’organisme Camp Péniel, en aidant des gens de ce camp à faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

[17]        Mathieu Dessureault, qui vient tout juste d’entrer en poste au Service de probation, est surpris par les propos de Mario Roy, puisque les travaux n’ont pas été préalablement approuvés et que l’organisme Camp Péniel n’apparaît pas dans la liste des organismes reconnus par les Services correctionnels.

[18]        Quoi qu’il en soit, il vérifie auprès de son prédécesseur, qui lui suggère de s’assurer auprès de l’organisme que les heures ont été effectuées et de les autoriser si la réponse est positive.

[19]        Dès lors, monsieur Dessureault communique avec le représentant de l’organisme Camp Péniel, qui lui apprend que les travaux n’ont pas été exécutés directement au bénéfice de l’organisme. Toutefois, il l’assure que les heures ont été effectuées.

[20]        Malgré la difficulté qu’éprouve Mathieu Dessureault à vérifier et à comptabiliser le nombre d’heures réalisées, il autorise les travaux de Mario Roy en l’informant qu’il ne pourra en être ainsi pour d’autres travaux [7].

[21]        Mario Roy se convainc alors qu’il est en droit d’effectuer les travaux communautaires sous forme juridique.

[22]        D’ailleurs, le 19 juillet 2016, Mario Roy se retrouve à nouveau devant la Cour, cette fois pour une infraction d’entrave et de bris de probation. Au terme du procès, le juge le déclare coupable de ces deux infractions et lui impose 150 heures de travaux communautaires à effectuer dans un délai de 14 mois [8].

[23]        C’est donc dans ce nouveau contexte de travaux communautaires, qu’il intervient les 12 et 16 novembre 2016 dans le dossier de la famille T.... Pour lui, et bien qu’il ne soit pas avocat, il est autorisé à agir pour contrer la corruption judiciaire et peut donc, en toute légalité, intervenir dans tout dossier en matière Jeunesse.

[24]        Il doit cependant reconnaître, en contre-interrogatoire, avoir effectué tous ses travaux communautaires dans le cadre du dossier de la famille T..., sans en avoir informé, préalablement, l’agent de probation.

ANALYSE

[25]        Le Barreau du Québec a pour principal objectif de veiller à la protection du public, ce qui l’oblige à s’assurer que certains actes ne soient posés que par des personnes possédant la formation et les qualifications requises par cet Ordre professionnel [9].

[26]        Dans l’arrêt Fortin [10], la Cour suprême rappelle la nécessité d’encadrer l’exercice de cette profession :

[17] L’importance des actes posés par les avocats, la vulnérabilité des justiciables qui leur confient leurs droits et la nécessité de préserver la relation de confiance qui existe entre eux justifient cet encadrement particulier de l’exercice de la profession juridique.

[…]

[49] En ce sens, on ne saurait trop insister sur le rôle essentiel que l’avocat est appelé à jouer dans notre société. L’avocat est un officier de justice. Par son serment d’office, il affirme solennellement qu’il remplira les devoirs de sa profession avec honnêteté, fidélité et justice et qu’il se conformera aux diverses dispositions législatives qui régissent son exercice et dont j’ai largement fait mention dans la première partie de ces motifs. L’article 2. L.B. consacre cette fonction publique qu’il exerce auprès du tribunal. En vertu de l’art. 2.06 de son Code de déontologie des avocats, il a le devoir de servir la justice et de soutenir l’autorité des tribunaux. Il doit donc s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité et préserver l’impartialité et l’indépendance du tribunal.

[27]        Vu cette importance, les articles 128 et 133 de la Loi sur le Barreau énoncent les actes qui sont du ressort exclusif de l’avocat, lorsqu’ils sont exécutés pour le compte d’autrui.

[28]        Le fardeau de démontrer une contravention à ces dispositions revient au Barreau par la présentation d’une preuve, hors de tout doute raisonnable. Cependant, puisqu’il s’agit d’une infraction de responsabilité stricte, le Barreau n’a qu’à faire la démonstration de la commission de l’acte interdit [11]

[29]         Puisque les défendeurs font l’objet de cinq chefs d’infraction (un contre le Centre d’entraide familial l’Unité et quatre contre Mario Roy), il convient d’abord d’examiner distinctement chaque infraction, afin de déterminer si le Barreau a satisfait son fardeau de preuve, pour ensuite discuter de la défense d’autorisation présentée par les défendeurs.

A)     Les chefs 1 et 2

Chef 1

À Drummondville, district de Drummond, entre le 14 novembre 216 et le 1er mars 2017, a exercé illégalement la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats, en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes, en contravention aux articles 133 c), 128 a) et b), 137 et 132 de la Loi sur le Barreau, RLRQ C. B-1, le rendant passible de la peine prévue à l’article 188 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

Chef 2

À Drummondville, district de Drummond, entre le 14 novembre 2016 et le 1er mars 2017, a exercé illégalement la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats, en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes, en contravention aux articles 133 c), 128 a) et b), 137 et 132 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1, le rendant passible de la peine prévue à l’article 188 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

[30]        Mario Roy et le Centre d’entraide familial l’Unité ne sont pas membres en règle du Barreau du Québec [12].

[31]        Ils ne peuvent donc agir de manière à donner lieu de croire qu’ils sont autorisés à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes.

[32]        C’est pourtant ce qu’ils font lorsqu’ils publient, le 18 novembre 2016, une annonce invitant une jeune fugueuse à entrer en contact avec eux pour faire valoir ses droits devant les tribunaux :

Le centre d’entraide familial l’Unité invite cette fugueuse à entrer en contact l’organisme afin de faire valoir ses droits devant les tribunaux.

[33]        Cette invitation est sans équivoque et donne lieu de croire à tout lecteur de l’annonce, que l’organisme est autorisé à agir devant la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. D’ailleurs, Mario Roy confirme dans une vidéo du 22 novembre 2017 être autorisé à intervenir dans tous les dossiers de matière Jeunesse, selon l’article 81 de la Loi sur la protection de la jeunesse.

[34]        Or, il s’agit d’une compréhension simpliste  de cette loi.

[35]        L’article 81 se lit ainsi :

L’enfant, ses parents et le directeur sont des parties.

 

La Commission peut, d’office, intervenir à l’instruction comme si elle y était partie. Il en est de même du curateur public en matière de tutelle et d’émancipation.

 

Toute personne qui veut intervenir à l’instruction dans l’intérêt de l’enfant peut, sur demande, témoigner et présenter ses observations au tribunal si elle dispose d’informations susceptibles de renseigner ce dernier et elle peut, à ces fins, être assistée d’un avocat. Le tribunal peut, pour des motifs exceptionnels, en cas d’urgence ou si les parties présentes à l’audience y consentent, autoriser une personne à faire cette demande oralement.

 

Le tribunal peut, pour les besoins de l’instruction, accorder le statut de partie à une personne, lorsqu’il le juge opportun dans l’intérêt de l’enfant. Ce statut demeure en vigueur jusqu’à la décision ou l’ordonnance du tribunal y mettant fin.

 

Le directeur doit, sur demande, informer une personne qui entend présenter une demande en vertu du troisième ou du quatrième alinéa de la date, de l’heure et du lieu de l’audience.

[36]        Dans une décision de 2008 [13], notre Cour écrit à son sujet:

[15]      […]  En vertu de cet article, le juge accorde le statut de partie si la preuve révèle, par balance des probabilités, qu'il est opportun, dans l'intérêt de l'enfant d'accorder ce statut.

[16]      Le juge peut, pour les besoins de l'enquête et de l'audition, accorder le statut à toute personne s'il juge donc opportun dans l'intérêt de l'enfant de le faire. Chaque situation étant un cas d'espèce.

[17]     Quel sens doit-on donner au mot opportun ? Monsieur le juge Michel DuBois, dans la décision prononcée le 19 décembre 2007 aux paragraphes 32 et 33 écrit :

«[32]   À l'article 81 de la Loi sur la protection de la jeunesse, la définition du mot « opportun » de la plupart des dictionnaires correspond à la compréhension courante de ce terme dans la vie de tous les jours par la plupart des justiciables :

« Qui convient dans un cas déterminé, qui vient à propos ».

[33]      Il est raisonnable d'interpréter le mot « opportun » à l'article 81  L.P.J. dans le sens de « ce qui paraît indiqué, convenable, favorable, propice, indiqué, utile, à propos… ».

[18]     Le tribunal doit donc soupeser les faits afin de déterminer s'il est opportun, dans l'intérêt de l'enfant d'accorder un tel statut à la requérante.

[37]        La possibilité d’intervenir dans un dossier de la Chambre de la jeunesse est donc fort limitée et doit être préalablement autorisée par le Tribunal.

[38]        Quoi qu’il en soit, les défendeurs commettent également cette même infraction, lorsqu’en date du 23 février 2017, ils somment la Directrice de la protection de la Jeunesse de retirer une employée d’un dossier sous peine de recours en dommages. En agissant ainsi, ils donnent lieu de croire qu’ils sont autorisés à remplir la fonction d’avocat et contreviennent aussi à l’article 136 2) de la Loi sur le Barreau.

[39]        Une personne, qui n’est pas avocat, ne peut mettre une autre personne en demeure d’exécuter un acte quelconque tout en suggérant qu’une poursuite suivra advenant son défaut, si elle n’est pas elle-même créancière de l’obligation.

B)   Le chef 3

Chef 3

À Drummondville, district de Drummond, le ou vers le 14 novembre 2016, a exercé illégalement la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats, en préparant et rédigeant une Demande en révision dans le dossier portant le numéro [...41], en contravention aux articles 128 b), 132 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1, le rendant passible de la peine prévue à l’article 188 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

[40]        Le 14 novembre 2016, Mario Roy contrevient aux articles 128 et 133 de la Loi sur le Barreau lorsqu’il affirme, sous serment, avoir rédigé une requête dans un dossier de la Chambre de la Jeunesse de la Cour du Québec [14] :

Q.       Bon, dans le dossier qui nous occupe aujourd’hui ?

R.       Oui.

Q.       Vous avez rédigé la requête des parents ?

R.       Oui.

Q.       C’est vous qui l’avez rédigé ?

R.       Oui.

Q.       Vous avez été payé pour ce travail-là par les parents ?

R.       Ben, moi on m’a donné … M... et C... m’ont donné un montant d’argent pour défrayer les coûts…

[…]

PAR Me MARIE-JOSÉE RIOUX

Q.       Je lis ici : « Et voilà, tout est déposé dans les délais. » Ça a été posté le 4 novembre. « Le Centre d’Entraide va affronter le Directeur de la protection de la jeunesse le 16 novembre. »

R.       Hmm, hmm.

Q.       Vous reconnaissez avoir écrit ça ?

R.       Oui, exactement, je le reconnais parce que le but de l’organisme c’est de …

PAR LA COUR

Q.       La question, c’est : est-ce que vous reconnaissez que c’est vous qui avez envoyé ça ?

R.       Oui.

Q.       Bon.

PAR Me MARIE-JOSÉE RIOUX

Q.       Ensuite, le 3 novembre. En fait, précédemment. Vous écrivez : « Enfin la requête est terminée. Elle est maintenant sous correction de texte…

R.       Hmm, hmm.

Q.       … par ma secrétaire particulière, ma complice de vie.

R.       Hmm, hmm.

Q.       Ensuite, go pour l’affidavit et l’avis de présentation et demain il y aura deux (2) parents heureux du dépôt ».

R.       Hmm, hmm.

PAR LA COUR

Q.       C’est vous qui avez écrit ça ?

R.       Oui, exact.

Q.       Ça va.

C)  Le chef 4

Chef 4

À Drummondville, district de Drummond, le ou vers le 12 novembre 2016, a exercé illégalement la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats, en agissant de manière à donner lieu de croire qu’il était autorisé à remplir les fonctions d’avocat ou à en faire les actes, en informant Mme Cindy Boucher lors d’un message laissé sur sa boite vocale téléphonique, qu’il ne contesterait pas sa Requête en révision et qu’il ferait une « reconventionnelle » et ce pour autrui, en contravention aux articles 133 c), 137 et 132 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1, le rendant passible de la peine prévue à l’article 188 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

[41]        Il ne fait aucun doute pour le Tribunal, que Mario Roy enfreint l’article 133 de la Loi sur le Barreau, lorsqu’il informe Cindy Boucher qu’il ne contestera pas la procédure judiciaire du Directeur, mais qu’il présentera plutôt une « demande reconventionnelle » [15].

[42]        Mario Roy n’est pas partie au litige et il ne peut agir de manière à donner lieu de croire, qu’il est autorisé à faire la rédaction d’une procédure judiciaire.

D)  Le chef 5

Chef 5

À Drummondville, district de Drummond, entre le 20 janvier 2017 et le 1er mars 2017, a exercé illégalement la profession d’avocat sans être inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats, en donnant un avis ou une consultation d’ordre juridique relativement à l’opportunité de se désister ou non d’un appel dans le dossier portant le numéro [...24], en contravention aux articles 128 a), 132 de la Loi sur le Barreau, RLRQ, c. B-1, la rendant passible de la peine prévue à l’article 188 du Code des professions, RLRQ, c. C-26;

[43]        En cours d’audience, le Barreau reconnaît ne pas avoir satisfait son fardeau de preuve quant à ce chef et qu’un verdict d’acquittement s’impose.

 

LA DÉFENSE

[44]        Les infractions portées contre les défendeurs sont de responsabilité stricte[16]. Il est alors possible pour un accusé de présenter une défense fondée sur l’erreur de droit provoquée par une personne en autorité. Ce moyen de défense a été notamment reconnu par les arrêts Jorgensen [17] et Ville de Lévis [18] de la Cour suprême du Canada.

[45]        À ce sujet, la Cour suprême écrit dans l’arrêt Ville de Lévis [19] :

[15] […] Dans l’approche qui a été adoptée par notre Cour, il s’agit en réalité de laisser au prévenu la possibilité et le fardeau de démontrer une diligence raisonnable. On applique à ce moment une norme objective, qui apprécie son comportement par rapport à celui d’une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire. […]

[46]        L’acceptation d’une défense d’erreur de droit provoquée par une personne en autorité repose sur un cadre d’analyse en six points [20]:

(1)  la présence d’une erreur de droit ou d’une erreur mixte de droit et de fait;

(2)  la considération par son auteur des conséquences juridiques de l’acte accompli;

(3)  le fait que l’avis obtenu provenait d’une personne compétente en la matière;

(4)  le caractère raisonnable de l’avis;

(5)  le caractère erroné de l’avis reçu;

(6)  l’accomplissement de l’acte sur la base de cet avis.

[47]        Les défendeurs invoquent comme source d’erreur les décisions des juges Belhumeur et Beaudoin de la Cour du Québec, ainsi que l’acceptation des travaux communautaires sous forme juridique par le Service de probation.

[48]        Qu’en est-il ?

[49]        Le Tribunal retient de la preuve que le juge Belhumeur n’autorise pas et ne laisse aucunement croire que les travaux communautaires peuvent s’exécuter « sous forme juridique» et surtout pas  à l’encontre de la Loi sur le Barreau. Voici d’ailleurs un extrait de ses propos à l’endroit de Mario Roy lors de l’imposition des travaux communautaires [21] :

Je vais vous ordonner de rencontrer votre agent et c’est l’agent qui va déterminer, parce qu’il faut faire un suivi. Je comprends que vous avez peut-être fait du bénévolat pour d’autres organismes et tout ça, mais on ne peut pas à gauche et à droite faire des des … il faut vraiment que ce soit supervisé par l’agent. […] C’est peut-être bien louable et je vous invite à poursuivre si vous aimez ça en plus et tout ça, mais ce n’est pas ça des travaux communautaires.

[50]        Quelques jours  plus tard, Mario Roy reconnaît encore une fois sa culpabilité de ne pas avoir fait ses travaux communautaires auprès d’un organisme accrédité. Il explique alors au juge Beaudoin de la Cour du Québec, qu’il a fait ses travaux dans un contexte juridique, mais que l’organisme n’était pas accrédité. Sans tarder, le juge lui rappelle l’importance que les travaux soient reconnus par l’agent de probation:

Accomplir 50 heures de travaux communautaires d’un programme reconnu par le Ministère de la justice.

[51]        Ces deux ordonnances de Cour ne laissent place à aucun doute. Bien que Mario Roy tente chaque fois d’introduire dans ses échanges avec les juges, qu’il fait des travaux dans un cadre juridique, ceux-ci lui rappellent que les travaux doivent se réaliser dans le cadre du programme de Service de probation, sous la supervision de l’agent de probation et auprès d’un organisme approuvé.

[52]        Or, Mario Roy ne prête pas attention à ces ordonnances et n’obéit pas à celles-ci. Il entreprend ses travaux sans que ceux-ci ne soient préalablement approuvés par l’agent de probation.

[53]        Le Tribunal retient de la preuve que monsieur Hurtubise n’a jamais accepté que les travaux se fassent sous forme juridique. Monsieur Hurtubise n’a pas témoigné au cours du présent procès et par ailleurs le témoignage crédible de monsieur Dessureault est sans équivoque. Il accepte, de façon particulière, les travaux effectués en 2014 auprès de l’organisme Camp Péniel, mais qu’il ne pourra le faire ultérieurement si d’autres travaux étaient imposés à Mario Roy. De plus, le Tribunal ne croit pas l’affirmation de Mario Roy à cet égard.

[54]        Cela dit, s’il devait subsister un doute, Mario Roy est informé par le Barreau qu’il ne peut agir ainsi, ayant été avisé par lettre du Barreau [22] de telle sorte qu’en 2016 et 2017, c’est en toute connaissance de cause qu’il agit à l’encontre de la Loi sur le Barreau.

 

[…] Oui, mais je vous avise, ça j’ai aucun problème là-dessus, parce que le Barreau du Québec m’a déjà écrit une lettre concernant le dossier de madame Laporte que j’ai ici. Et disant que c’était illégal et …

[55]        Malgré cela, Mario Roy n’effectue aucune vérification pour s’assurer de son interprétation.

[56]        Or, la Cour suprême écrit dans l’arrêt Ville de Lévis [23] :

[27] […] Des facteurs divers seront pris en considération dans le cours de cette évaluation, comme les efforts faits par le prévenu pour se renseigner, la clarté ou l’obscurité du texte de la loi, le poste et le rôle du fonctionnaire qui a fourni le renseignement ou l’opinion, ainsi que la précision, la fermeté et le caractère raisonnable de ceux-ci.

[…]

[30]  […] Le concept de diligence repose sur l’acceptation d’un devoir de responsabilité du citoyen de chercher activement à connaître les obligations qui lui sont imposées. L’ignorance passive ne constitue pas un moyen de défense valable en droit pénal.

[57]        D’ailleurs, c’est dans ce même contexte qu’il agit en 2016. À ce moment, le juge Belhumeur lui souligne à nouveau, qu’il doit préalablement rencontrer l’agent de probation pour discuter des modalités d’exécution des travaux communautaires [24].

[58]        Encore une fois, Mario Roy ne suit pas les directives de la Cour. Il effectue ses travaux sous forme juridique auprès de la famille T..., sans en informer préalablement l’agent de probation et sans s’assurer auprès du Barreau qu’il peut le faire.

[59]        Quoi qu’il en soit, même si les travaux avaient pu se réaliser dans un cadre juridique, ce que le Tribunal ne croit pas, cela n’aurait pas écarté l’obligation de respecter la Loi sur le Barreau.

[60]        Les adjoints et les techniciens juridiques ainsi que tout le personnel des bureaux d’avocats et des greffes judiciaires effectuent des travaux dans un cadre juridique, sans toutefois poser de gestes à l’encontre de la Loi sur le Barreau.

[61]        De ce qui précède, le Tribunal ne peut conclure à une erreur de droit.

[62]        Étant donné la conclusion à laquelle le Tribunal en arrive, il n’est pas nécessaire d’examiner les cinq autres points à la recevabilité de la défense énoncés par l’arrêt Ville de Lévis.

[63]        Pour le Tribunal, il ne fait aucun doute que les défendeurs ont fait preuve d’un réel aveuglement volontaire. Bien plus, ils ont constamment fait preuve de distorsion pour déplacer, en leur faveur, la ligne de démarcation établie par les deux juges et le Barreau, afin de s’approprier ainsi la fonction d’avocat, ceci malgré leurs graves lacunes dans leurs connaissances du droit, de la procédure judiciaire et des termes juridiques.

[64]        Il importe d’assurer la protection du public en leur interdisant de poser des gestes donnant lieu de croire qu’ils sont autorisés à exercer la profession d’avocat ou encore d’en poser les gestes.

[65]        Le Tribunal conclut à la culpabilité de la défenderesse Unité citoyenne d’enquêtes anti-corruption quant au chef 1 et à la culpabilité de Mario Roy aux chefs 2, 3 et 4.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[66]        DÉCLARE la défenderesse, Unité citoyenne d’enquêtes anti-corruption, coupable quant au chef 1;

[67]        DÉCLARE le défendeur, Mario Roy, coupable quant aux chefs 2, 3 et 4;

[68]        ACQUITTE le défendeur, Mario Roy, quant au chef 5, vu l’absence de preuve suffisante;

[69]        FIXE l’audition pour l’imposition de la peine au 17 août 2018 à 14 h, salle 1.02, au Palais de justice de Drummondville, afin de permettre les représentations conformément à l’article 224 du Code de procédure pénale. Si les parties (et/ou leurs représentants) n’ont aucune observation à présenter, le Tribunal imposera l’amende minimale pour chacun des chefs et le délai pour payer cette amende, ainsi que tous les frais seront de soixante jours.

 

 

__________________________________

GILLES LAFRENIÈRE, J.C.Q.

 

 

 

Me Éliane Hogue

Procureure de la poursuivante, Barreau du Québec

 

Mario Roy

Défendeur, se représente seul

 

Unité citoyenne d’enquêtes anti-corruption

Défenderesse, non représentée

 

 

 

 

 

 

Dates d’audience :

4 et 5 juin 2018

 

 

 

 

 

 

 



[1]     Un amendement verbal a été fait en cours d’audition, afin de refléter la nouvelle désignation de la personne morale.

[2]    Le Tribunal a rendu une ordonnance interdisant de publier tout renseignement permettant d’identifier cette famille.

[3]     L’enregistrement de l’appel est produit sous la pièce P-7.

[4]     Pièce P-11.

[5]     Lettre pièce P-12.

[6]     L’intégralité de la vidéo est produite sous la pièce P-8.

[7]     Pièce P-9.

[8]     Pièce P-10.

[9]     Fortin c. Chrétien, [ 2001] 2 R.C.S. 500, p. 512.

[10]    Id. note 9.

[11]    R. c. Sault-Ste-Marie, [1978] 2 R.C.S. 1999, p. 1326.

[12]    Pièces P-2 et P-3.

[13] Protection de la jeunesse — 082176, 2008 QCCQ 21165.

 

[14]    Pièces P-5, extraits des notes sténographiques du 16 novembre 2016, p. 21, 42 et 43.

[15]    Pièce P-7.

[16]    Préc. note 11.

[17]    R. c. Jorgensen, 1995 4 R.C.S. 55.

[18]    Lévis (Ville) c. Tétreault, [2006] 1 R.C.S. 420.

[19]    Id. note 17.

[20]    Id. note 17.

[21]    Pièce D-3, extraits audio.

[22]    Extrait pièce P-5, notes sténographiques, p. 27.

[23]    Préc. note 11.

[24]    Pièce P-5, notes sténographiques, p. 277.

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