Décision

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JB5054

 

 
Directeur des poursuites criminelles et pénales c. 9331-4631 Québec inc.

2020 QCCQ 2600

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT D’

ABITIBI

LOCALITÉ DE

LA SARRE

« Chambre criminelle et pénale »

N° :

620-61-024781-186

 

DATE :

23 juin 2020

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAUDE BOULIANNE, J.P.M.

 

______________________________________________________________________

 

 

DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

9331-4631 QUÉBEC INC.

Défenderesse

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

MÉMENTO

[1]           On reproche à la défenderesse, exploitant une boutique spécialisée sous le nom de Vapo-T-Tabagie électronique dans un centre commercial de La Sarre, d’avoir vendu du tabac à un mineur.

[2]           Dans le cadre du procès, le poursuivant choisit de déposer le constat d’infraction ainsi que le rapport d’infraction[1] au lieu des témoignages des personnes chargées de l’application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme[2] (ci-après appelée la Loi).

[3]           Le contenu de ces documents établit les éléments pertinents suivants.

[4]           Une inspectrice de 16 ans[3] se présente le 12 juillet 2017 au commerce de la défenderesse ayant comme directive de tenter d’y acheter du e-liquide à la fraise 12 mg sans mentir sur son âge.

[5]           Elle parvient à se procurer une bouteille d’e-liquide 30 ml au melon d’eau 12 mg pour un montant de 20 $. Cette bouteille est ensuite photographiée et scellée dans un sac de conservation, par une autre inspectrice accompagnant celle mineure.

[6]           La transaction est d’une durée de moins de cinq minutes.

[7]           Le poursuivant, ayant déclaré sa preuve close, le procureur de la défenderesse demande un non-lieu, invoquant qu’aucune preuve n’a été faite établissant ce qu’est du e-liquide et que le Tribunal n’a pas une connaissance judiciaire sur l’utilité de ce produit.

REQUÊTE EN NON-LIEU

[8]           La défenderesse demande le non-lieu en raison de l'absence totale de preuve quant à l’élément suivant : La démonstration que l’item vendu est du tabac au sens la Loi.

ASSERTION DE LA DÉFENDERESSE

[9]           La défense soulève qu’on ne retrouve rien à l’intérieur de la preuve documentaire informant le Tribunal des caractéristiques ou de l’utilité du e-liquide et que l’usage de ce produit n’est certainement pas de connaissance judiciaire.

[10]        Bien que la Loi et les Règlements traitant de la vente de tabac visent une interprétation large, encore faut-il que le produit soit défini, ce qui n’est pas le cas dans le présent dossier.

[11]        Les deux photographies de la bouteille saisie que l’on retrouvent en preuve ne révèlent aucun renseignement utile autre que le nom du commerçant, une interdiction pour les moins de 18 ans et la saveur du produit. De plus, l’énumération des ingrédients sur la bouteille est illisible et ne permettrait pas en soi de tirer une conclusion sur son utilité sans autres explications.

[12]        Le poursuivant a choisi de ne pas faire entendre les inspectrices ou autres témoins dans le cadre de sa preuve et il doit assumer cette décision.

ASSERTION DU POURSUIVANT

[13]        D’entrée de jeu, le poursuivant mentionne que l’article 1 de la Loi vise une large cible en référant au texte de loi :

1. La présente loi s’applique au tabac récolté, qu’il soit traité ou non et quelles que soient sa forme et sa présentation. Est assimilé à du tabac, tout produit qui contient du tabac, la cigarette électronique et tout autre dispositif de cette nature que l’on porte à la bouche pour inhaler toute substance contenant ou non de la nicotine, y compris leurs composantes et leurs accessoires, ainsi que tout autre produit ou catégorie de produit qui, au terme d’un règlement du gouvernement, y est assimilé.

La présente loi lie l’État.

[14]        Il souligne que le législateur y mentionne expressément la cigarette électronique en ajoutant que cela comprend également leurs composantes et leurs accessoires.

[15]        Il poursuit en attirant l’attention du Tribunal sur l’article 1.1 de la Loi qui inclut l’usage d’une cigarette électronique dans sa définition de fumer en mentionnant :

 

1.1. Aux fins de la présente loi, à moins que le contexte ne s’y oppose, le mot:

«fumer» vise également l’usage d’une cigarette électronique ou de tout autre dispositif de cette nature;

«tabac» comprend également les accessoires suivants: les tubes, papiers et filtres à cigarette, les pipes, y compris leurs composantes, et les fume-cigarettes.

[16]        Et également sur l’article 1 du Règlement d’application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme[4] qui interprète ce qui est assimilé à du tabac :

1. Aux fins de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme (chapitre L-6.2), est assimilé à du tabac, tout produit qui ne contient pas de tabac et qui est destiné à être fumé.

À l’exception des articles 2, 2.1 et 2.2 de la Loi, le premier alinéa ne s’applique pas au cannabis au sens de la Loi encadrant le cannabis (chapitre C-5.3).

[17]        La preuve de la présence de nicotine n’est donc pas nécessaire pour qu’un produit soit inclus dans le terme tabac s’il est destiné à être fumé.

[18]        Le poursuivant conclut en déposant une décision[5] de la Cour du Québec dans laquelle la juge Larocque déclare coupable une boutique spécialisée d’avoir vendu du tabac à un mineur, suite à l’achat d’une bouteille de e-liquide par une aide-inspectrice âgée de 16 ans.

 

QUESTION EN LITIGE

[19]        Est-t-il de connaissance judiciaire que le e-liquide est une composante de la cigarette électronique destinée à être fumée ?

ANALYSE

[20]        Tout d'abord, quels sont les critères que le Tribunal doit examiner lors d’une requête en non-lieu ?

[21]        Le Code de procédure pénale prévoit à l’article 210 que « le défendeur peut demander d'être acquitté en raison de l'absence de preuve quant à un élément essentiel de l'infraction ».

[22]        Pour faire droit à une demande de non-lieu, le Tribunal doit conclure à l'absence totale de preuve sur un ou plusieurs des éléments essentiels de l'infraction.

[23]        À ce sujet, les auteurs Desjardins et Vauclair mentionnent :

2493.  La poursuite a l’obligation de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé et au moment de clore sa preuve, on présume qu’il détient cette conviction. Cependant l’accusé peut évaluer différemment la preuve et présenter ce que le droit désigne comme « requête pour verdict imposé » lorsque le juge siège avec un jury, ou comme « requête en non-lieu » lorsqu’il siège sans jury. La requête est présentée avant la décision de présenter ou non une défense. Il s’agit d’une requête par laquelle l’accusé allègue que la preuve admissible ne démontre pas, prima facie, chacun des éléments de l’infraction qui permettrait à un jury correctement instruit en droit de pouvoir raisonnablement prononcer un verdict de culpabilité…

Par conséquent, pour trancher cette requête, le juge n’a pas à soupeser la force probante de la preuve ou la crédibilité des témoins ou encore, s’il s’agit d’une preuve circonstancielle, il doit l’évaluer dans son ensemble, sous le meilleur jour pour la poursuite.

2494. À défaut d’avoir présenté cette preuve prima facie, le juge doit accueillir la requête et l’accusé sera acquitté. [6]

[Le Tribunal souligne]

[24]        L’infraction reprochée à la défenderesse comporte trois éléments essentiels que le poursuivant doit établir hors de tout doute raisonnable, à moins d’admissions enregistrées par la défenderesse.

[25]        Le poursuivant doit, pour se décharger de ce fardeau, nécessairement démontrer qu’il y a eu une vente, que l’item transigé est un produit du tabac et que l’acheteur est une personne mineure.

[26]        Ainsi dans le présent dossier, l’absence totale de preuve qualifiant le e-liquide comme un produit du tabac est soulevée par la défenderesse.

[27]        Suite à une analyse minutieuse de la preuve documentaire soumise par le poursuivant, force est de constater que le Tribunal ne retrouve aucune information directe sur la nature ou sur l’utilité du e-liquide, c’est-à-dire qu’il n’est nullement mentionné à l’intérieur du rapport, le rôle du produit. On laisse le lecteur tirer des inférences puisque l’achat a lieu dans un commerce spécialisé dans la vente de produit du tabac. Bien que dans les informations contenues au rapport, on apprend que la boutique offre également, entre autres, la vente de jeux de consoles vidéo.

[28]        Ceci conduit le Tribunal à la question en litige : Est-t-il de connaissance judiciaire que le e-liquide est une composante de la cigarette électronique destinée à être fumée ?

[29]        La Cour suprême du Canada mentionne au sujet de la connaissance judiciaire : « On sait que la Cour peut prendre connaissance d’office de certains faits. Elle applique alors les règles qui admettent la connaissance judiciaire, mais qui en délimitent la portée ».

[30]        Comme l’explique la juge McLachlin dans l’arrêt R. c. Williams :

La connaissance d’office est l’acceptation d’un fait sans preuve. Celle-ci s’applique à deux genres de faits:  (1) les faits dont la notoriété rend l’existence raisonnablement incontestable, et (2), les faits dont l’existence peut être démontrée immédiatement et exactement par le recours à des sources facilement accessibles dont l’exactitude est incontestable.[7]

[31]        La juge Binnie dans Spence explique que le recours à la connaissance judiciaire par le juge doit s’adapter :

60. Cette distinction utile que fait le professeur Davis entre les faits en litige et les faits législatifs s’inscrit dans une perspective plus globale, très pertinente en l’espèce, savoir que les limites acceptables de la connaissance d’office varient selon la nature de la question considéréePar exemple, la preuve d’un fait touchant de près au cœur du litige (qu’il s’agisse d’un fait social, législatif ou en litige) peut être soumise à des exigences plus sévères que celle d’un fait général qui en est plus éloigné. [8]

[Le Tribunal souligne]

[32]        L’enseignement de la Cour d’appel dans D’Astous sur la question spécifique de la connaissance judiciaire en matière d’appareils de détection de la vitesse demeure pertinent :

Si notre système judiciaire fait au juge le devoir de connaître le droit et, pour ce faire, celui de consulter la loi, la doctrine et la jurisprudence pour former son opinion, il a par ailleurs l'obligation de ne fonder sa décision que sur les faits dont les parties lui ont légalement fait la preuve; aussi, en principe, il ne peut référer à des connaissances acquises à l'occasion de l'audition d'autres affaires ou par l'étude personnelle de certains sujets. Notre régime de débats contradictoires commande qu'il en soit ainsi. Il est cependant des faits dont l'existence ou la véracité s'imposent ou ne peuvent être raisonnablement contestés par une personne avertie et informée à cause de leur notoriété ou parce qu'ils peuvent être aisément vérifiés à partir d'une source accessible et indiscutable. Dans ce cas, le juge doit en avoir une connaissance d'office: ils sont dits de connaissance judiciaire.[9]

[Le Tribunal souligne]

[33]        Le juge du procès est donc invité à ne pas troquer son rôle de décideur pour celui d’enquêteur une fois la preuve soumise. Des recherches personnelles, même les plus faciles à notre époque avec l’information instantanée, ne doivent pas servir à faire apparaître par un simple clic un élément essentiel de l’infraction manquant dans la présentation de la preuve.

[34]        Le Tribunal répond donc par la négative à la question en litige en soulignant qu’à ce jour, il n’a aucune connaissance judiciaire de l’utilité du e-liquide.

[35]        Le Tribunal constate ainsi l’absence totale de preuve de l’un des éléments essentiels de l’infraction à savoir que l’item vendu est du tabac au sens de la Loi.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[36]        ACCUEILLE la requête en non-lieu présentée par la défenderesse;

[37]        DÉCLARE NON COUPABLE la défenderesse de l’infraction reprochée.

 

 

 

__________________________________

CLAUDE BOULIANNE, J.P.M.

 

Me Raphaël Garneau Bédard

Bureau du D.P.C.P.

Procureur du poursuivant

 

Me Gilles Doré

Procureur du défendeur

 

Date d’audience :

18 février 2020

 



[1]     Pièce P-1.

[2]     Loi concernant la lutte contre le tabagisme, RLRQ, c. L-6.2.

[3]     Inspectrice nommée par le ministre de la Santé et des Services sociaux.

[4]     Règlement d'application de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme, RLRQ, c. L-6.2, r. 1.

[5]     Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Lacroix-Marceau, 2019 QCCQ 2272.

[6]     Vauclair, Martin et Desjardins, Tristan, Traité général de preuve et de procédure pénales, 26e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2019, 2 014 p.

[7]     R. c. Williams, [1998] 1 R.C.S. 1128.

[8]     R. c. Spence, 2005 CSC 71, [2005] 3 R.C.S. 458.

[9]     Baie-Comeau (Ville de) c. D'Astous, [1992] R.J.Q. 1483 (C.A.).

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