Maçonnerie André Desfossés inc. et Truchon |
2014 QCCLP 3295 |
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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Montréal |
5 juin 2014 |
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Région : |
Laurentides |
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479797-64-1208 489131-64-1211 505693-64-1303 505966-64-1303 510026-64-1305 511415-64-1305 |
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Dossier CSST : |
138000732 |
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Commissaire : |
Michel Letreiz, juge administratif |
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Membres : |
Jacynthe Fortin, associations d’employeurs |
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Pierre-Jean Olivier, associations syndicales |
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Assesseur : |
Jean Morin, médecin |
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479797 489131 505966 |
505693 511415 |
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510026 |
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Maçonnerie André Desfossés inc. |
Rémi Truchon |
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Partie requérante |
Partie requérante |
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et |
et |
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Rémi Truchon |
Maçonnerie André Desfossés inc. |
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Partie intéressée |
Partie intéressée |
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et |
et |
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Commission de la santé et de la sécurité du travail |
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Partie intervenante |
Partie intervenante |
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Dossier 479797-64-1208
[1] Le 17 août 2012, Maçonnerie André Desfossés inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 6 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 6 juin 2012 donnant suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[3] Dans cet avis, le membre du Bureau d’évaluation médicale retient les diagnostics d’entorse cervico-dorsale et de contusion cervico-dorsale en lien avec l’accident du travail dont a été victime monsieur Rémi Truchon (le travailleur) en date du 2 septembre 2011. Il estime que l’entorse cervico-dorsale n’est pas consolidée, contrairement à la contusion cervico-dorsale qui elle, peut être considérée comme étant consolidée. Enfin, en ce qui concerne les soins et traitements, le membre du Bureau d’évaluation médicale considère qu’il y a lieu de poursuivre l’approche multidisciplinaire du programme de retour à l’emploi et de développement des capacités du travailleur.
[4] En conséquence de cet avis, la CSST déclare que le diagnostic de contusion cervico-dorsale est en lien avec l’événement survenu le 2 septembre 2011 et que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) en regard de ce diagnostic. De plus, elle déclare que le travailleur a droit à la poursuite du versement d’une indemnité de remplacement du revenu puisque l’entorse cervico-dorsale n’est pas consolidée et qu’elle est justifiée de poursuivre le paiement des soins et traitements en regard de ce dernier diagnostic.
Dossier 489131-64-1211
[5] Le 29 novembre 2012, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 5 novembre 2012, à la suite d’une révision administrative.
[6] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 18 octobre 2012 et déclare que le travailleur est admissible à des mesures de réadaptation professionnelle en vue d’assurer son retour en emploi.
Dossier 505693-64-1303
[7] Le 19 mars 2013, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 13 mars 2013, à la suite d’une révision administrative.
[8] Par cette décision, la CSST confirme, dans un premier temps, deux décisions qu’elle a initialement rendues le 28 février 2013 donnant suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale.
[9] Dans cet avis, le membre du Bureau d’évaluation médicale émet l’opinion que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 2 % ainsi que des limitations fonctionnelles, à la suite de la lésion professionnelle dont il a été victime en date du 2 septembre 2011.
[10] En conséquence de cet avis, la CSST déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique de 2,20 % et qu’il a donc droit à une indemnité pour préjudice corporel de 1 898,45 $. Elle déclare également que le travailleur a droit à la poursuite du versement d’une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité de ce dernier d’exercer son emploi.
[11] Par cette même décision qu’elle a rendue le 13 mars 2013, la CSST confirme une autre décision qu’elle a initialement rendue le 1er mars 2013 et déclare que l’emploi de mécanicien industriel constitue un emploi convenable pour le travailleur. Elle déclare également qu’afin de permettre au travailleur d’exercer cet emploi, il a droit à la formation requise, soit celle menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles en mécanique industrielle de construction et d’entretien.
Dossier 505966-64-1303
[12] Le 21 mars 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste cette même décision rendue par la CSST le 13 mars 2013, à la suite d’une révision administrative.
Dossier 510026-64-1305
[13] Le 3 mai 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 12 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[14] Par cette décision, la CSST déclare, dans un premier temps, qu’elle a épuisé sa compétence quant aux décisions qu’elle a initialement rendues le 28 février 2013 donnant suite à l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale, et ce, en raison de la décision qu’elle a rendue le 13 mars 2013, à la suite d’une révision administrative.
[15] Dans un deuxième temps, la CSST modifie la décision qu’elle a initialement rendue le 1er mars 2013 et déclare que le salaire annuel de l’emploi convenable de mécanicien industriel doit être établi à 34 412,40 $.
Dossier 511415-64-1305
[16] Le 21 mai 2013, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste cette même décision rendue par la CSST le 12 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
L’AUDIENCE
[17] Une audience s’est tenue devant la Commission des lésions professionnelles à Saint-Jérôme le 7 janvier 2014 en présence du travailleur, d’un représentant de l’employeur et d’une représentante de la CSST. Lors de cette audience, chacune des parties était également représentée par son procureur respectif.
[18] À la fin de ladite audience, un délai a été accordé au travailleur afin qu’il puisse produire une lettre du docteur Marc Filiatrault. Il a également été convenu que chacun des procureurs produise une argumentation écrite au soutien de ses prétentions. Le dernier document a été reçu au greffe du tribunal le 14 avril 2014 et c’est donc à cette dernière date que le dossier a été mis en délibéré.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 479797-64-1208
[19] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la lésion professionnelle subie par le travailleur en date du 2 septembre 2011 était consolidée le 28 février 2012 et que les soins et traitements avaient été suffisants à cette date. L’employeur ne conteste pas les diagnostics retenus par le membre du Bureau d’évaluation médicale et le lien existant entre ceux-ci et l’événement survenu au travail le 2 septembre 2011.
Dossier 489131-64-1211
[20] Dans ce dossier, l’employeur demande au tribunal de déclarer que le travailleur n’avait pas droit à des mesures de réadaptation professionnelle puisqu’il est d’avis que celui-ci ne conserve pas de limitations fonctionnelles en lien avec la lésion professionnelle qu’il a subie le 2 septembre 2011. Dans l’éventualité où le tribunal confirme les limitations fonctionnelles émises par le membre du Bureau d’évaluation médicale, il ne conteste pas que le travailleur aurait alors droit aux mesures de réadaptation.
Dossiers 505693-64-1303, 505966-64-1303, 510026-64-1305 et 511415-64-1305
[21] Dans ces dossiers, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 2 septembre 2011. En conséquence, il soutient que le travailleur était capable d’exercer son emploi et qu’il n’y avait pas lieu de déterminer un emploi convenable pour ce dernier.
[22] Dans l’éventualité où le tribunal serait d’avis qu’il y a lieu de confirmer l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles retenues par le membre du Bureau d’évaluation médicale, l’employeur ne conteste pas l’emploi convenable retenu par la CSST, mais il demande à la Commission des lésions professionnelles d’établir le revenu annuel brut de cet emploi à 44 830 $.
[23] Pour sa part, le travailleur soutient, dans un premier temps, que l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale doit être déclaré irrégulier en ce qui concerne la question des limitations fonctionnelles. En conséquence, il demande au tribunal de retenir les limitations fonctionnelles émises par le docteur Ashwin M. Sairam, médecin qui a charge du travailleur. Il souligne être en accord avec le déficit anatomo-physiologique retenu par le membre du Bureau d’évaluation médicale.
[24] Dans un deuxième temps, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de confirmer que l’emploi de mécanicien industriel constitue bel et bien un emploi convenable et que le salaire annuel brut de cet emploi doit être évalué à 34 412,40 $.
LA PREUVE
[25] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance du dossier médico-administratif préparé en vue de l’audience du 7 janvier 2014, des documents produits lors de ladite audience ainsi que de ceux produits après celle-ci. De plus, le tribunal a bénéficié lors de l’audience du témoignage du docteur Carl Farmer, de celui du travailleur, de ceux de messieurs Denis Fréchette et André Desfossés ainsi que de celui de madame Sophie Lamarche, conseillère en réadaptation à la CSST. De l’ensemble de cette preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient les éléments de preuve pertinents suivants.
[26] Le travailleur occupe un emploi de briqueteur-maçon pour le compte de l’employeur lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 2 septembre 2011.
[27] En effet, à cette date, alors que le travailleur se trouve sur le balcon d’un appartement d’un immeuble résidentiel afin de défaire un mur de briques, des blocs de ciment placés à environ 10 pieds au-dessus de sa tête tombent sur lui. Il précise avoir reçu des blocs sur son casque de sécurité qui s’est brisé ainsi qu’au niveau de la région haute et moyenne du dos. À ce sujet, il mentionne qu’il a été frappé à au moins deux endroits différents, soit au centre du dos ainsi que sur le côté gauche.
[28] Le travailleur a été immédiatement transporté par ambulance vers l’urgence de l’Hôpital Général de Montréal où il rencontre le docteur David Lasry qui mentionne que celui-ci présente uniquement des lésions au niveau des tissus mous à la suite de cet accident.
[29] Le 13 septembre 2011, le travailleur consulte le docteur Sairam qui devient alors le médecin qui a charge de ce dernier. Le docteur Sairam retient les diagnostics d’entorse dorsale, d’entorse scapulaire et d’entorse à l’épaule gauche. Il dirige alors le travailleur vers des traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[30] Le travailleur revoit le docteur Sairam les 27 septembre et 11 octobre 2011 qui maintient alors les mêmes diagnostics. Lors de la rencontre du 11 octobre 2011, le docteur Sairam autorise un retour au travail dans le cadre d’une assignation temporaire qui doit être effectuée deux jours non consécutifs par semaine.
[31] Le travailleur a effectivement repris le travail en date du 13 octobre 2011 et lors de ce retour au travail, il a principalement effectué des tâches reliées au tirage de joints sur la brique. Dans le cadre de son témoignage, le travailleur précise également qu’il a tenté de poser de la brique, mais que les douleurs qu’il ressentait près de l’omoplate gauche se sont aggravées après environ une heure à effectuer cette tâche.
[32] Le 8 novembre 2011, le travailleur consulte à nouveau le docteur Sairam qui maintient le même diagnostic, mais précise qu’il y a augmentation des douleurs et des ankyloses depuis le retour au travail dans des tâches physiques et répétitives. Dans les circonstances, il prescrit un nouvel arrêt de travail et dirige le travailleur vers des traitements d’acupuncture qui devront s’ajouter aux traitements de physiothérapie et d’ergothérapie.
[33] La Commission des lésions professionnelles souligne qu’entre la date de reprise du travail le 13 octobre 2011 et le moment où le docteur Sairam prescrit un nouvel arrêt de travail, le travailleur a effectué un total de 55 heures de travail.
[34] Le travailleur revoit le docteur Sairam le 9 décembre 2011 qui maintient toujours les mêmes diagnostics et précise qu’il y a lieu de poursuivre les traitements qui sont en cours. De plus, le docteur Sairam dirige le travailleur vers un examen d’imagerie par résonance magnétique de la colonne cervicale et dorsale ainsi que de l’épaule gauche.
[35] Le 13 décembre 2011, le travailleur se soumet donc à cet examen qui démontre, en ce qui concerne la colonne cervicale, une légère dégénérescence discale au niveau C3-C4 qui est associée à un bombement du disque et à une ostéophytose postérieure qui se prolonge du côté gauche, entraînant une légère atteinte foraminale gauche.
[36] En regard de la colonne dorsale, l’examen d’imagerie par résonance magnétique démontre, au niveau D3-D4, une hernie discale à base large du côté droit qui est associée à une empreinte légère à modérée sur la moelle épinière. Il y a également une petite hernie discale centrale au niveau D8-D9 qui est également associée à une légère empreinte sur la moelle épinière.
[37] Enfin, en ce qui concerne l’épaule gauche, l’examen pratiqué révèle la présence d’une légère tendinose de l’infra-épineux ainsi qu’une difformité de la tête humérale postéro-externe, compatible avec une difformité de Hill-Sachs, qui serait consécutive à une ancienne dislocation de l’épaule.
[38] Le 3 janvier 2012, le travailleur revoit le docteur Sairam qui retient alors les diagnostics d’entorse cervico-dorsale et d’étirement du trapèze gauche. Il souligne également que l’imagerie par résonance magnétique a démontré la présence d’une légère discopathie cervico-dorsale.
[39] Le 7 février 2012, le travailleur consulte à nouveau le docteur Sairam qui maintient les mêmes diagnostics que lors de la visite précédente et souligne qu’il y a un syndrome douloureux qui s’est installé. Il mentionne qu’il y a lieu d’interrompre les traitements de physiothérapie et d’ergothérapie pour une période de deux semaines.
[40] Lors de cette interruption des traitements de physiothérapie, la note produite par le physiothérapeute le 8 février 2012 indique que le travailleur présente toujours une légère douleur à la palpation des niveaux C3-C4 et D7-D8 accompagnée de légers spasmes paradorsaux. Le physiothérapeute mentionne que l’objectif de la poursuite des traitements est la diminution des spasmes et l’obtention des amplitudes articulaires complètes.
[41] Le 28 février 2012, le travailleur rencontre le docteur Carl Farmer, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. L’état subjectif rapporté par le travailleur lors de cet examen est décrit par le docteur Farmer de la façon suivante :
Le travailleur décrit une manifestation de cervicodorsalgie diffuse et non spécifique qui s’irradie vers la région périscapulaire et la région postérieure de l’épaule gauche. Le tableau douloureux est plus marqué à gauche qu’à droite. Les douleurs à ce niveau sont relativement peu marquantes au repos mais augmentent de façon importante lors des mouvements et des activités ou lorsqu’il fait des gestes répétés avec les membres supérieurs. Les douleurs à ce moment-là peuvent devenir « intenses. »
[…]
Il fonctionne adéquatement au niveau des activités de base de la vie quotidienne et de la vie domestique mais ajoute qu’il « fait le strict minimum. » Il vit dans une maison et est peu actif. Il décrit une atteinte globale et une diminution de la force et de l’endurance. Lorsqu’il fait des tâches habituelles de la vie de tous les jours, il indique « la douleur s’installe rapidement. »
[42] Le docteur Farmer rapporte, au point de vue orthopédique et neurologique, un examen objectif qui est normal, à l’exception d’une sensibilité diffuse et d’un inconfort à la palpation de la région cervico-dorsale et des douleurs qui sont rapportées par le travailleur lors des mouvements du rachis.
[43] En conséquence, le docteur Farmer retient les diagnostics de contusion et d’entorse à la région cervico-dorsale ainsi qu’un syndrome douloureux non spécifique. Il se dit d’avis que la lésion professionnelle du 2 septembre 2011 doit être considérée comme consolidée au moment de son examen, soit le 28 février 2012, et que les soins et les traitements ont été suffisants. Il émet également l’opinion que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles à la suite de cette lésion. Le docteur Farmer justifie ses conclusions notamment de la façon suivante :
Le tableau douloureux décrit par le travailleur est non spécifique. Je ne retrouve pas un tableau de douleur focale de nature mécanique ou intermittente. Globalement, à mon avis, le tableau douloureux décrit n’est pas en lien avec un diagnostic orthopédique substantif spécifique.
À l’examen objectif de ce jour, des douleurs sont rapportées lors des différentes phases mais l’examen objectif est normal. Au niveau cervicodorsal, il n’y a pas de déformation, pas de signes de tension ou spasme musculaire et pas d’ankylose. Il n’y a pas de trouvailles focales. Je ne retrouve pas de signes qui pourraient correspondre à une hernie discale pertinente sur le plan clinique tant au niveau cervical qu’au niveau dorsal.
[…]
Je constate que le tableau douloureux tel que décrit actuellement n’est pas réconciliable avec les trouvailles de l’examen objectif de ce jour.
Dans un contexte d’un tableau douloureux qui n’est pas en corrélation avec un diagnostic spécifique ou en lien avec les trouvailles de l’examen objectif, le fait de continuer les modalités du traitement conservateur peut contribuer à maintenir ou à empirer le tableau subjectif de douleur et d’incapacité.
Dans ce dossier, à mon avis, il n’y a pas d’indication d’effectuer d’autres investigations ou d’autres traitements et le tableau associé de déconditionnement et de chronicité est réversible. [sic]
[44] Dans le cadre de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, le docteur Farmer réitère les conclusions émises dans son rapport d’expertise médicale du 28 février 2012 ainsi que les motifs à la base desdites conclusions médicales.
[45] De façon plus particulière, en ce qui concerne la consolidation de la lésion, il souligne que de façon habituelle et normale, une entorse cervico-dorsale guérira dans un délai de quatre à six semaines chez un jeune homme de 28 ans sans antécédent et sans condition personnelle significative.
[46] Le docteur Farmer précise qu’il arrive qu’une telle lésion nécessite une plus longue période de consolidation et entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Cependant, dans ce cas, on s’attend à retrouver un degré de sévérité important de la lésion. Il souligne que la sévérité de la lésion s’évalue en fonction de la gravité du fait accidentel et en considérant le suivi clinique de ladite lésion.
[47] Dans le présent dossier, le docteur Farmer émet l’avis qu’il s’agit d’un fait accidentel modérément sévère. En effet, malgré la description du fait accidentel qui peut sembler potentiellement grave, il y a absence de chute au sol, de perte de conscience et d’incapacité immédiate à se déplacer. De plus, il fait remarquer que lors de la première consultation médicale à l’urgence, le médecin rencontré mentionne que le travailleur souffre seulement d’une atteinte des tissus mous et la visite médicale subséquente ne survient que 11 jours plus tard, ce qui tend à démontrer l’absence de lésion présentant un degré de sévérité important.
[48] En ce qui concerne le suivi clinique, aucun des médecins ne fait référence à une condition associée pouvant expliquer la gravité de la lésion. De plus, le docteur Farmer fait remarquer que lorsqu’on compare les signes cliniques des diverses évaluations médicales, il y a une grande variation dans la description desdits signes. En effet, il souligne que parfois les douleurs sont rapportées au niveau de la région cervicale haute, parfois au niveau de la région cervicale basse et parfois au niveau de la région dorsale. Il souligne également que le docteur Filiatrault rapporte même des signes de cellulalgie et d’induration, ce qui n’a été noté par aucun autre médecin. Pour ce qui est des mouvements de la colonne cervicale, le docteur Farmer constate que tous les médecins, à l’exception du docteur Leclaire, ont conclu que lesdits mouvements étaient dans les limites de la normale. Il souligne qu’il n’est pas logique de constater une détérioration entre son examen réalisé en février 2012 et celui du docteur Leclaire en mai 2012. Une telle détérioration devrait être expliquée cliniquement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[49] Le docteur Farmer poursuit en soulignant que les trouvailles de l’investigation radiologique (imagerie par résonance magnétique du 13 décembre 2011) démontrent des anomalies non spécifiques en ce qui concerne la colonne cervicale. Pour ce qui est de la colonne dorsale, l’examen a révélé la présence de deux hernies discales, mais ces hernies n’auraient pas de corrélation clinique, donc il s’agit également, de l’avis du docteur Farmer, d’anomalies non spécifiques.
[50] En conséquence des éléments rapportés ci-haut, le docteur Farmer précise qu’on se serait attendu à une guérison complète de la lésion en quelques semaines.
[51] Finalement, en ce qui concerne les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, il souligne que les médecins qui reconnaissent une telle atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles se basent essentiellement sur un syndrome douloureux non spécifique, donc sur le tableau subjectif résiduel. Enfin, il rappelle que la discarthrose cervicale et dorsale démontrée par l’examen d’imagerie par résonance magnétique est non spécifique et ne peut donc permettre la reconnaissance de limitations fonctionnelles.
[52] La Commission des lésions professionnelles remarque que les rapports produits par le physiothérapeute les 29 février 2012 et 21 mars 2012 précisent que le travailleur présente toujours de légères douleurs à la palpation des régions C3-C4 et D7-D8 accompagnées de légers spasmes paradorsaux, mais que les mouvements du rachis cervical et dorsal sont complets.
[53] Le 3 avril 2012, le travailleur revoit le docteur Sairam qui produit un rapport complémentaire afin de répondre au rapport d’expertise médicale du docteur Farmer. Dans ledit rapport complémentaire, il se dit en accord avec les diagnostics proposés par le docteur Farmer, mais en désaccord avec les autres conclusions émises par ce dernier. Il souligne que le travailleur présente des limitations fonctionnelles qui l’empêchent d’effectuer les tâches de son métier. Dans les circonstances, il précise qu’il y a lieu d'entreprendre un programme de développement des capacités de travail.
[54] Les 5 et 12 avril 2012, le travailleur participe à une évaluation de sa condition en kinésiologie, physiothérapie et ergothérapie afin d’être intégré dans un programme de développement de ses capacités de travail. Lors de cette évaluation, le travailleur mentionne avoir noté une amélioration significative de la douleur et de la force depuis l’événement de septembre 2011. Il précise que les douleurs sont absentes au repos, mais qu’elles apparaissent lors des activités qu’il réalise. Le travailleur identifie la diminution de l’endurance et l’augmentation des douleurs lors d’efforts comme étant les principaux facteurs empêchant la reprise de l'ensemble des activités de la vie courante et du travail.
[55] Dans leur rapport produit le 12 avril 2012, les intervenants du programme de développement des capacités de travail concluent ce qui suit :
Monsieur Truchon rapporte un rendement occupationnel diminué dans l’ensemble des sphères occupationnelles. Nous observons que le client a offert une performance raisonnable dans l’ensemble des tests fonctionnels. Le processus d’évaluation en physiothérapie a révélé une faiblesse légère au niveau des épaules ainsi qu’un faible la stabilité scapulo-huméral limitant Monsieur lors des mouvements au-dessus de l’horizontal.
Néanmoins, l’évaluation en kinésiologie a montré que Monsieur possédait une force et une endurance musculaire intéressantes sur lesquelles nous pouvons nous baser afin d’optimiser ses capacités physiques.
L’équipe du PRE recommande une prise en charge à raison de 5 séances de 3 heures par semaine pour une période de 4 semaines.
Le programme consistera en une approche multidisciplinaire incluant :
- Un programme de thérapie active incluant des activités fonctionnelles stimulant l’entraînement physique global (selon sa tolérance);
- Des simulations de tâches de travail;
- L’enseignement de principes de gestion de la douleur et des activités. [sic]
[56] Le 10 mai 2012, les intervenants du programme de développement des capacités de travail produisent un rapport afin de documenter l’évolution du travailleur dans le cadre du programme qui s’est échelonné au cours des quatre semaines précédentes. L’ergothérapeute, la physiothérapeute et le kinésiologue concluent respectivement de la façon suivante :
À la suite de quatre semaines d’implication au programme, les tests fonctionnels révèlent une nette augmentation des capacités fonctionnelles du client. Ainsi étant donné la nature du travail pré-lésionnel, la consolidation de ces acquis vers l’augmentation de l’endurance laisse entrevoir un pronostic favorable de réintégration à l’emploi pré-lésionnel. D’autre part, la perception d’incapacité demeure très élevée à cet égard et il sera important d’adresser cet aspect et d’encourager le client à transférer davantage les acquis cliniques vers l’augmentation des activités courantes au quotidien.
[…]
Monsieur Truchon présente une amélioration de la force de ses épaules, facilitant le soulèvement de charges répétées. Il démontre aussi une amélioration de la stabilisation cervicale pouvant améliorer l’endurance lors de la posture prolongée en flexion du cou et du tronc. Il persiste une légère raideur dure-mérienne pouvant irriter monsieur Truchon en flexion prolongée et diminuer cette endurance en causant une irritation dorsale et cervicale.
[…]
L’évaluation de Monsieur montre une nette amélioration de la condition physique et des capacités fonctionnelles. Les progrès réalisés sont encourageants dans la perceptive d’un retour au travail. Il reste à optimiser la force et l’endurance musculaire, surtout au niveau de la manutention tête-épaule. Nous recommandons la poursuite des traitements. [sic]
[57] La preuve au dossier démontre que le travailleur a effectivement poursuivi le programme de développement de ses capacités de travail pour une nouvelle période de quatre semaines.
[58] Le 23 mai 2012, le travailleur rencontre le docteur Richard Leclaire, physiatre et membre du Bureau d’évaluation médicale. Celui-ci mentionne que le travailleur lui rapporte les symptômes suivants :
Actuellement, monsieur Truchon est amélioré par rapport à antérieurement. Il accuse toujours une symptomatologie de douleur cervico-dorsale latéralisée du côté gauche s’irradiant sous forme d’une brachialgie occasionnelle. Les douleurs sont peu présentes au repos, mais surviennent surtout lorsqu’il doit faire des efforts pour soulever des charges ou encore lorsqu’il doit mobiliser son rachis cervical en extension et particulièrement avec les mouvements de rotation.
Il n’accuse aucun symptôme du côté droit.
Dans les activités de la vie quotidienne, il évite de faire des efforts qui peuvent accentuer ses douleurs cervico-dorsales gauches.
[59] Le docteur Leclaire retient les diagnostics d’entorse cervico-dorsale et de contusion cervico-dorsale en lien avec l’événement survenu le 2 septembre 2011. Il justifie cette conclusion de la façon suivante :
Suite à notre évaluation, nous avons été à même de constater chez ce travailleur compte tenu des symptômes qu’il présente à l’examen subjectif qui montre que le maximum de la douleur se situe à la région cervicale et dorsale, nous sommes d’avis qu’il y a lieu de retenir comme diagnostic suite à l’événement du 9 septembre 2011 le diagnostic d’entorse cervico-dorsale tel que maintenu par le médecin qui a charge, le docteur Sairam.
De même, le docteur Carl Farmer retient aussi ce diagnostic d’entorse à la région cervico - dorsale.
Il y a aussi lieu de retenir le diagnostic de contusion associée. Eu égard à ce diagnostic, l’évolution actuelle est favorable et la contusion n’est plus symptomatique.
Le diagnostic d’entorse du trapèze gauche n’est pas un diagnostic à retenir puisque la douleur au trapèze supérieur gauche est normale dans les entorses cervico-dorsales et rentrent donc sous le diagnostic d’entorse cervico-dorsale en étant précisé cependant le côté qui est le plus symptomatique. Il s’agit là d’un diagnostic symptomatique, à notre avis.
[60] Le docteur Leclaire émet également l’avis que la contusion cervico-dorsale est consolidée, mais que l’entorse ne l’est pas et qu’il y a lieu de poursuivre l’approche multidisciplinaire du programme de développement des capacités de travail du travailleur. Il motive son avis de la façon suivante :
Actuellement, monsieur Truchon reste symptomatique. Il est amélioré d’environ 65% par rapport à son état initial. Elle reste encore avec des limitations et compte tenu de son travail de maçon chez ce patient quand même qui est jeune, un traitement consistant en un programme de retour à l’emploi et de développement des capacités de travail était approprié chez cet travailleur et doit être maintenu.
Nous sommes donc d’avis qu’actuellement, il y a lieu de poursuivre cette approche.
[…]
Tel que présenté au point 2, chez ce travailleur, nous sommes d’avis que le programme actuellement en cours visant à un retour à son emploi de maçon reste indiqué chez ce travailleur dont la lésion n’est pas consolidée.
Il n’y a pas lieu d’entrevoir actuellement d’autres traitements que cette approche. Les autres traitements qui ont été faits étaient nécessaires mais ne sont plus requis actuellement. [sic]
[61] Le 1er juin 2012, les intervenants du programme de développement des capacités de travail du travailleur écrivent au médecin traitant de ce dernier, le docteur Sairam, afin de l’informer que la condition physique et les capacités fonctionnelles de celui-ci se sont améliorées et qu’elles seraient concordantes avec les exigences de l’emploi de briqueteur-maçon. Cependant, en raison de l’appréhension du travailleur à reprendre son emploi, les intervenants suggèrent un retour au travail progressif sur une période de six semaines au cours desquelles ils offriront un suivi clinique.
[62] Le 5 juin 2012, le travailleur revoit le docteur Sairam qui maintient le diagnostic d’entorse cervico-dorsale et autorise une tentative de retour au travail progressif, tel que suggéré par les intervenants du programme de développement des capacités de travail.
[63] Le 6 juin 2012, la CSST rend une décision donnant suite à l’avis rendu par le docteur Leclaire, membre du Bureau d’évaluation médicale. Cette décision a été confirmée en date du 6 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative et il s’agit du premier litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles (dossier 479797-64-1208).
[64] Le 11 juin 2012, les intervenants du programme de développement des capacités de travail produisent un rapport d’étape concernant la condition du travailleur avant son retour progressif au travail. L’ergothérapeute mentionne notamment :
Interprétation des résultats
À la suite de quatre semaines additionnelles de participation au programme, monsieur Truchon présente une augmentation de la kinésiophobie qui était très présente dans son discours, notamment en lien avec la perspective de retour progressif à l’emploi. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la perception d’incapacité en lien avec les activités professionnelles est demeurée à 80 % depuis la dernière évaluation. De plus, depuis que les démarches visant un retour au travail ont été concrètement amorcées, une détérioration de la performance lors des séances d’entrainement a été observée.
ANALYSE
Après quatre autres semaines de participation au programme, monsieur Truchon démontre les capacités compatibles avec la reprise progressive des tâches de travail. En effet, selon les résultats des tests fonctionnels, Monsieur a la capacité d’effectuer des manutentions sol-taille de 90 lb, de 40 lb taille-épaule et de 35 lb taille-tête sur une base fréquente. Toutefois, la kinésiophobie sévère nuit grandement à la perception de capacité et à la confiance que le client démontre en ses propres moyens. Malgré l’enseignement et l’encadrement offerts de façon journalière, monsieur Truchon demeure très sceptique à l’égard du potentiel de succès de son retour au travail. [sic]
[65] Le 12 juin 2012, le travailleur reprend le travail dans le cadre du retour progressif suggéré par les intervenants du programme de développement des capacités de travail.
[66] Lors de ce retour au travail progressif, le travailleur effectue diverses tâches qui sont normalement accomplies par un briqueteur-maçon, notamment des travaux de démolition ainsi que la pose de briques et de blocs de ciment.
[67] Dans le cadre de son témoignage, le travailleur explique que les douleurs au niveau de la colonne dorsale près de l’omoplate gauche sont revenues rapidement lors de la reprise du travail. Malgré tout, il a persévéré puisque les intervenants du programme de développement des capacités de travail lui avaient mentionné qu’il était normal de ressentir de telles douleurs au début.
[68] Pour sa part, monsieur Fréchette, qui agit à titre de contremaître pour le compte de l’employeur, souligne ne pas avoir constaté de problème quant au rythme et à la qualité du travail réalisé par le travailleur lors de ce retour au travail. De plus, il mentionne que le travailleur ne lui a pas mentionné présenter des douleurs pendant cette période.
[69] Enfin, monsieur Desfossés précise au tribunal ne pas avoir remarqué que le travailleur avait des difficultés à effectuer les tâches qui lui étaient confiées. Cependant, il mentionne que lorsqu’il a interrogé le travailleur à ce sujet, ce dernier lui aurait indiqué qu’il était « raqué » en fin de journée.
[70] Le 13 juillet 2012, le travailleur revoit le docteur Sairam qui maintient le diagnostic d’entorse cervico-dorsale et mentionne que celui-ci constate des difficultés dans le cadre de son retour progressif au travail. Dans les circonstances, il précise qu’il y a lieu de maintenir la prestation de travail à trois jours non consécutifs par semaine. Enfin, il souligne qu’il y aura lieu d’envisager une réadaptation professionnelle dans l’éventualité où il y a absence d’amélioration de la condition du travailleur.
[71] Le 7 août 2012, l’agent d’indemnisation de la CSST communique avec la représentante de l’employeur pour l’informer que le docteur Sairam devrait produire un rapport médical final lors de la prochaine visite et qu’il a l’intention de retenir des limitations fonctionnelles de classe II pour le rachis cervical selon l’échelle de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST).
[72] Le travailleur consulte à nouveau le docteur Sairam le 14 août 2012 qui produit alors un rapport médical final dans lequel il précise que l’entorse cervico-dorsale est consolidée à cette date et que cette lésion entraîne une atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles. À ce sujet, il mentionne que le travailleur conserve des limitations de classe I, en précisant qu’il doit limiter les charges à 20 kilogrammes de façon non fréquente et qu’il ne doit pas faire de mouvements répétitifs.
[73] Le 13 septembre 2012, la conseillère en réadaptation de la CSST procède à une étude du dossier du travailleur afin de déterminer si ce dernier à la capacité de refaire son emploi, compte tenu des limitations fonctionnelles indiquées par le docteur Sairam dans le rapport médical final qu’il a produit le 14 août 2012. Dans la note évolutive qu’elle a consignée au dossier, la conseillère en réadaptation conclut son analyse de la façon suivante :
Adéquation entre les LF et les exigences physiques de l’emploi: Les LF au niveau du poids ne sont pas respectées, car T peut avoir à soulever plus de 20 kg de façon fréquente. Tout dépend dans quel secteur T travaille et tout dépend du contrat que E obtient. En général, les briqueteurs n’ont pas que des briques à poser, mais aussi des pierres et des blocs de béton, qui peuvent être plus lourds que 20 kg. La fréquence est souvent variable selon les contrats de l’employeur en question. De plus, les briqueteurs ont souvent à manipuler l’échafaudage et les madriers, ce qui est également très lourds. Selon T, il peut y avoir un mois dans lequel T pose seulement des blocs, alors que d’autres mois où il pose seulement des briques. C’est très variable, dépend des contrats de E. Cela dépend même des années, il y a des années où il y a davantage de blocs et d’autres davantage de briques. Les poids des blocs varie autour de 20 kg, cela peut être plus, ou moins.
- Voir au dossier physique l’évaluation déjà effectuée dans un autre dossier par Antoine Dagenais, ergonome, ainsi qu’un document avec le poids des blocs, briques et pierres couramment utilisés en maçonnerie.
Par conséquent, T n’est pas capable de refaire son emploi. [sic]
[74] Le document auquel la conseillère en réadaptation réfère concernant le poids des briques, pierres et blocs de béton démontre que le poids d’une brique est d’environ 2,8 kilogrammes alors que celui d’un bloc de béton peut varier de 12 à 29 kilogrammes. Dans le cadre de son témoignage, le travailleur a précisé que la manipulation des briques et des blocs de béton s’effectuait de façon fréquente et qu’il n’est pas rare qu’il doive soulever ces briques et ces blocs au-dessus de la hauteur de ses épaules.
[75] La Commission des lésions professionnelles note que l’agent d’indemnisation de la CSST a communiqué avec la représentante de l’employeur à cette même date, soit le 13 septembre 2012, afin de l’informer de la conclusion retenue par la conseillère en réadaptation quant à l’incapacité du travailleur à refaire son emploi compte tenu des limitations fonctionnelles indiquées par le docteur Sairam sur le rapport médical final émis le 14 août 2012. À ce moment, l’agent d’indemnisation a également demandé à la représentante de l’employeur si ce dernier avait un autre emploi à offrir au travailleur et elle a répondu par la négative.
[76] Le 18 octobre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît que le travailleur est admissible à des mesures de réadaptation professionnelle en vue d’assurer son retour au travail. Cette décision a été confirmée le 5 novembre 2012 à la suite d’une révision administrative et il s’agit du litige soumis à l’attention du tribunal dans le dossier portant le numéro 489131-64-1211.
[77] Le 29 octobre 2012, la CSST reçoit un rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Sairam en date du 24 août 2012. Dans ce rapport, le docteur Sairam précise qu’à la suite des diverses modalités thérapeutiques, le travailleur a regagné la mobilité de ses mouvements du rachis cervico-dorsal, mais qu’il demeure avec une perte d’endurance et de capacité de travail. Il souligne également qu’il persiste un syndrome douloureux qui augmente en fin de journée après des efforts physiques et que le travailleur a beaucoup de difficulté à exécuter les tâches de son emploi, principalement en raison des poids qu’il doit soulever de façon répétitive.
[78] Le docteur Sairam rapporte l’examen physique qu’il a réalisé dans les termes suivants :
Aujourd’hui en date de consolidation, on remarque une démarche normale. Sur l’examen palpatoire de la colonne cervico-dorsale, il reste toujours une sensibilité para-vertébrale gauche, de la colonne cervico-dorsale et une sensibilité au trapèze gauche. Les mobilités, cervico-dorsale, flexion, extension, rotation et flexion latérale, rentrent tous dans les limites de normal. L’examen des deux épaules, incluant palpation et mobilité, rentrent dans les limites de normal. L’examen neurologique rentre dans les limites de normal. [sic]
[79] Le docteur Sairam conclut son rapport en précisant que le travailleur conserve un déficit anatomo-physiologique de 0 % en raison d’une entorse cervico-dorsale sans séquelles fonctionnelles objectivées (code 203504). Cependant, il émet l’opinion qu’il y a lieu d’émettre les limitations fonctionnelles suivantes :
Il y a pertinence d’accorder des restrictions fonctionnelles de Classe 1 IRSST pour la colonne cervico-dorsale. Il devrait éviter de manipuler des charges de plus de 20 kilogrammes. Ceci ne devrait pas être fait de façon répétitive. Il devrait aussi éviter des mouvements répétitifs avec des charges plus légères aussi. Éviter de ramper, éviter d’effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne cervicale. Éviter de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale. [sic]
[80] Le 12 novembre 2012, à la demande de son procureur, le travailleur rencontre le docteur Marc Filiatrault, physiatre, afin que ce dernier produise un rapport d’expertise médicale. Le docteur Filiatrault rapporte les plaintes subjectives du travailleur de la façon suivante :
Monsieur Truchon précise qu’il va beaucoup mieux depuis l’arrêt de travail. Il n’a aucune douleur au repos. Cependant, il dit manquer d’endurance lorsqu’il fait des activités.
Par exemple, il dit que s’il brasse une sauce à spaghetti avec le bras gauche, il développe des douleurs dans le trapèze. Il tente de limiter les levées de charge à cause de la douleur qu’il ressent à la région cervicale et de l’omoplate gauche.
[…]
Il précise que les activités répétitives avec charge sont celles qui lui causent problème. Il fonctionne beaucoup mieux depuis qu’il n’a pas à lever des charges de façon répétitive. [sic]
[81] L’examen objectif réalisé par le docteur Filiatrault démontre une limitation de 10 degrés lors des flexions latérales droite et gauche et ces mouvements provoquent une douleur à la région cervico-dorsale gauche. En ce qui concerne la palpation des régions cervicales et dorsales, le docteur Filiatrault souligne :
La palpation des tissus mous de la région cervicodorsale révèle la présence d’une zone de cellulalgie intervertébroscapulaire gauche avec un pincé-roulé positif. La même manœuvre à droite est asymptomatique et il n’y a pas d’épaississement. Il y a une tension à la palpation du trapèze supérieur gauche. La palpation des massifs articulaires cervicaux en position relâchée (décubitus dorsal) révèle la présence d’une induration douloureuse à C5-C6 et C6-C7 du côté gauche.
La palpation du rachis dorsal démontre la présence d’une douleur paravertébrale de D3 à D7 du côté gauche, mais il est à noter qu’il y a une cellulagie sus-jacente.
[82] En conclusion, le docteur Filiatrault retient le diagnostic d’entorse cervico-dorsale et considère que la date de consolidation retenue par le docteur Sairam doit être confirmée. En ce qui concerne le déficit anatomo-physiologique à retenir, il écrit :
Le médecin traitant a retenu un DAP de 0 % puisque les amplitudes articulaires étaient normales selon les barèmes de la CSST. Il reste cependant que le patient présente des signes de dysfonction segmentaire caractérisée par une induration douloureuse palpable au niveau C5-C6 et C6-C7 avec une zone cellulalgique à gauche correspondant à une irritation des rameaux postérieurs témoignant d’une entorse cervicodorsale.
Ainsi, le DAP de 0 % (code 203504) m’apparaît tout à fait valide. [sic]
[83] Enfin, le docteur Filiatrault confirme son accord quant aux limitations fonctionnelles suggérées par le médecin qui a charge du travailleur. Il motive cette conclusion ainsi :
Le patient a bien récupéré et n’a plus de douleur de repos. Cependant, lorsqu’il fait des activités le moindrement soutenues avec des charges, la symptomatologie récidive. Je crois qu’effectivement, il est pertinent d’accorder des limitations fonctionnelles de classe 1 de l’IRSST pour la colonne cervicodorsale.
[…]
Le but de ces limitations est d’éviter que le patient ne redevienne symptomatique s’il fait des activités de façon trop fréquente, considérant qu’il s’est amélioré en participant à un programme de rééducation. Ainsi, le traitement est de limiter en partie ses activités et d’éviter de soulever des charges ou des activités nécessitant l’utilisation de la ceinture scapulaire et le rachis cervical de façon répétitive. [sic]
[84] Dans le cadre de son témoignage devant la Commission des lésions professionnelles, le docteur Farmer souligne que le docteur Filiatrault est le seul médecin qui parle de douleurs focales au niveau C5-C6 et C6-C7 et qui retient un diagnostic de dysfonction segmentaire à ces niveaux. Il souligne qu’il ne comprend pas, dans ce contexte, pourquoi le docteur Filiatrault n’a pas prescrit les traitements habituels pour une telle lésion, notamment des blocs facettaires.
[85] Le 16 novembre 2012, l’employeur fait parvenir à la CSST une demande de prolongation de délai afin de pouvoir contester auprès du Bureau d’évaluation médicale le rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Sairam.
[86] Le 21 novembre 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse cette demande de prolongation de délai. Cette décision n’a pas fait l’objet d’une demande de révision.
[87] À cette même date, soit le 21 novembre 2012, le travailleur rencontre le docteur Éric Renaud, chirurgien orthopédiste, à la demande de l’employeur. Le docteur Renaud note que le travailleur évalue l’amélioration de sa condition à environ 70 % avec persistance d’une douleur paracervicale gauche qui irradie à la région périscapulaire gauche. Il peut également présenter de façon occasionnelle une douleur paracervicale droite.
[88] L’examen physique pratiqué par le docteur Renaud révèle une sensibilité à la palpation du trapèze gauche ainsi que des douleurs lors des mouvements de flexions latérales et de rotations de la colonne cervicale. Celui-ci constate d’ailleurs une légère limitation lors des mouvements de flexions latérales droite et gauche, soit une perte de 10 degrés.
[89] Le docteur Renaud retient la date de consolidation suggérée par le docteur Sairam, soit le 14 août 2012. Il justifie sa conclusion de la façon suivante :
Considérant qu’en février 2012, le Dr Farmer a noté un examen complet ;
Considérant que le médecin traitant a considéré que les traitements étaient toujours nécessaires ;
Considérant une prise en charge en avril 2012 par le groupe multidisciplinaire et ce, jusqu’en juin 2012 ;
Considérant que, selon les notes au dossier, il y a eu une amélioration de la condition physique durant cette période ;
Considérant qu’en mai 2012, le Dr Leclaire notait une détérioration de la condition qui se serait améliorée par la suite tel qu’en témoigne l’examen fait par le Dr Sairam le 14 août 2012.
Je retiens la date de consolidation suggérée par le Dr Sairam, soit celle du 14 août 2012, date à laquelle, l’examen s’était normalisé et la rééducation complétée. [sic]
[90] Cependant, le docteur Renaud émet l’avis que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 2 septembre 2011. Il motive son opinion quant à l’absence de limitations fonctionnelles dans les termes suivants :
Considérant les diagnostics, l’évolution, la symptomatologie décrite par monsieur et l’examen objectif qui démontre peu d’anomalies si ce n’est une sensibilité à la palpation mais avec une bonne force musculaire, l’absence d’atteinte neurologique et des mouvements complets, je ne peux retenir des limitations fonctionnelles et ce, uniquement sur la base de la symptomatologie.
Même lorsque je révise le rapport d’évaluation médicale du Sairam, les limitations semblaient être basées essentiellement sur des douleurs persistantes et une sensibilité para-vertébrale, le reste de l’examen étant dans les limites de la normale.
Or, dans ce contexte, il est difficile de justifier des limitations fonctionnelles tant au niveau cervical que dorsal. [sic]
[91] Le 30 novembre 2012, l’employeur fait parvenir une demande à la CSST par laquelle il demande que le dossier du travailleur soit soumis au Bureau d’évaluation médicale afin qu’il soit statué sur la question de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles que conserve le travailleur. Dans cette demande, l’employeur soutient qu’il a pris connaissance le 2 novembre 2012 du rapport d’évaluation médicale du docteur Sairam qui est daté du 24 août 2012.
[92] Le 31 décembre 2012, le docteur Sairam produit un rapport complémentaire dans lequel il se dit en désaccord avec le docteur Renaud et maintient qu’il y a lieu de reconnaître des limitations fonctionnelles afin d’éviter une détérioration de la condition du travailleur.
[93] Le 5 février 2013, le travailleur rencontre le docteur Jacques Demers, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale. Malgré l’absence d’une franche divergence d’opinions en ce qui concerne le déficit anatomo-physiologique à retenir, comme le souligne d’ailleurs le docteur Demers, ce dernier va à l’encontre des opinions des docteurs Sairam et Renaud et accorde un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une entorse cervico-dorsale avec séquelles fonctionnelles objectivées. Il justifie sa conclusion ainsi :
À mon avis, dans le cas présent, il s’agit beaucoup plus d’une contusion musculo-ligamentaire dorsale qu’une entorse. On note même aujourd’hui une cicatrice résiduelle témoignant de la blessure. La cicatrice prend la forme d’une zone dépigmentée et n’est pas hypertrophique.
À mon avis, ceci témoigne tout de même d’un choc important subi à ce niveau. Le travailleur mentionne que son T-shirt était déchiré. Il a perdu son casque. Il saignait au niveau du cuir chevelu. Il a tout de même reçu un mur de blocs de ciment dans le dos.
L’évaluation de l’ankylose au niveau du rachis dorsal est plutôt problématique. En effet, le segment dorsal est un segment du rachis qui présente une mobilité très réduite compte tenu de la stabilisation par la cage thoracique. Je note que le docteur Renaud a mentionné que lorsqu’il a examiné le travailleur, les flexions latérales du cou étaient à 30o. Ce ne sont pas des valeurs normales selon le règlement annoté sur le barème des dommages corporels de la CSST.
Normalement, l’amplitude des flexions latérales devraient atteindre 40o.
Lors de l’examen objectif réalisé aujourd’hui, j’ai constaté une mobilité normale de la colonne cervicale. J’ai constaté aussi une douleur persistante au niveau dorsal. Une douleur qui est parfois augmentée par des mouvements de grande amplitude de la cage thoracique. J’ai noté la présence d’une petite cicatrice à ce niveau. L’accident date maintenant de près d’un an et demi. Deux tentatives de retour au travail ont été faites, sans succès. Dans ce contexte, et par analogie, je crois qu’il est justifié et qu’il est raisonnable d’accorder un DAP correspondant au code 203 513 pour une entorse cervico-dorsale avec séquelles fonctionnelles objectivées (DAP 2%). [sic]
[94] De plus, le docteur Demers se dit d’accord avec le docteur Sairam quant à la recommandation d’émettre des limitations fonctionnelles de classe I pour la colonne cervicale selon l’échelle de l’IRSST, et ce, pour les motifs suivants :
Normalement, l’IRSST recommande des limitations fonctionnelles de classe I, à visée préventive, dans les cas d’entorse qui s’accompagne d’ankylose.
Comme on l’a vu précédemment, il peut-être très difficile de juger « d’ankylose » pour ce qui est du rachis dorsal. J’ai toutefois constaté que monsieur Truchon présente encore les traces d’un impact subi à ce niveau. Il présente une douleur réfractaire. Deux tentatives de retour au travail ont été faites, sans succès. Monsieur Truchon, par ailleurs, semble motivé et s’est inscrit dans un programme de réorientation parrainé par la CSST, à temps plein.
À mon avis, je crois que des limitations fonctionnelles de classe I préconisées par le docteur Sairam sont médicalement justifiables.
On retenir aussi que « l’entorse » survient dans un contexte de spondylodiscarthrose du rachis cervical et du rachis dorsal. Les trouvailles à la résonnance magnétique ne sont peut-être pas étrangères à l’évolution lente du travailleur bien que lors de l’examen réalisé aujourd’hui, je n’ai pas trouvé d’évidence de radiculopathie ou de myélopathie.
Par ailleurs, considérant l’âge du travailleur, considérant l’examen physique et les trouvailles à la résonance magnétique, je ne vois pas d’indication médicale d’imposer pour l’instant davantage de limitations fonctionnelles. [sic]
[95] Le 28 février 2013, la CSST rend deux décisions donnant suite à l’avis rendu par le docteur Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale. Ces décisions ont été confirmées le 13 mars 2013 à la suite d’une révision administrative et il s’agit d’une partie du litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles dans les dossiers 505693-64-1303 et 505966-64-1303.
[96] Le 1er mars 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle informe l’employeur et le travailleur qu’elle a retenu comme emploi convenable pour ce dernier celui de mécanicien industriel au salaire annuel brut de 44 830 $. Dans cette décision, elle informe également les parties qu’elle a mis en place une mesure de réadaptation afin de rendre le travailleur capable d’exercer cet emploi, soit une formation de 1 800 heures menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles en mécanique industrielle de construction et d’entretien.
[97] La note évolutive rédigée par la conseillère en réadaptation de la CSST en date du 26 février 2013 démontre qu’elle a évalué le salaire de l’emploi convenable en fonction des informations suivantes :
Nous estimons les perspectives salariales comme ainsi:
· Salaire moyen selon l’enquête de la Relance des étudiants de la formation professionnelle au 31 mars 2010: 773$ hebdomadaire moyen (40 304.22$)
· Salaire annuel moyen (tranche inférieure) selon Repères: 16.50 à 18.99$/heure (annuel moyen 37 008,97$)
· Salaire annuel moyen selon IMT en Ligne d’Emploi-Québec: 18.00 à 19.99$/heure (tranche inférieure) 39 626,40 $ annuel moyen
· Métiers Québec (metiers-quebec.org):
-salaire au bas de l’échelle secteur public (CSSS, CS, Gouv.) 21.94$/heure pour 38.75 heures = 44 328 $ annuel
-Hydro Québec: apprenti 22.73$/heure pour 40 heures soit un revenu de 47 405.68 $
-Administration portuaire de Montréal: apprenti 27,54$ heure comme apprenti pour 40 heures = 57 437,42 $
§ En tenant compte des offres d’emplois recensées et versées au dossier :
-salaire de 22.37$ (peu d’expérience requise) à 40 heures semaines: 46 654.87 $
- 22.00 $ (exp. un atout) à 40h: 45 883,20 $
Salaire moyen de tous les emplois recensés:
44 830 $ [sic]
[98] Le 13 mars 2013, à la suite d’une révision administrative, la CSST a confirmé la portion de la décision du 1er mars 2013 traitant de la détermination de l’emploi convenable de mécanicien industriel ainsi que celle traitant de la mesure de réadaptation requise pour rendre le travailleur capable d’exercer cet emploi. Il s’agit de la deuxième partie du litige soumis à l’attention de la Commission des lésions professionnelles dans les dossiers 505693-64-1303 et 505966-64-1303.
[99] Le 12 avril 2013, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle modifie la portion de la décision du 1er mars 2013 portant sur le salaire annuel brut de l’emploi convenable de mécanicien industriel. À cet égard, elle déclare que ledit salaire annuel doit être établi à 34 412,40 $ plutôt que 44 830 $ et elle justifie cette modification de la façon suivante :
Lorsqu’il aura complété sa formation en cours, le travailleur sera mécanicien industriel de construction et d’entretien. Malgré sa riche expérience dans la construction à titre de briqueteur-maçon et ses nombreuses autres qualifications, il ne disposera d’aucune expérience dans ce métier lorsqu’il cherchera son premier emploi. Ainsi, selon les offres d’emploi figurant au dossier, et surtout selon les données de Métiers-Québec.org, il ne pourra espérer revendiquer un salaire plus élevé que celui d’apprenti débutant en ce qui a trait au secteur de la construction, soit 23 281 $ par année, et ce, compte tenu du nombre d’heures peu élevé travaillé habituellement la première année.
Cependant, la Commission lui paie actuellement une formation qui lui permettra également de travailler dans le secteur industriel, lequel offre, selon les données de Métiers-Québec.org, des salaires de débutant variant entre 30 209 $ et 61 4201 $ par année. Ainsi, la Commission, en révision, estime que le salaire de l’emploi convenable ne peut être uniquement basé sur le salaire d’apprenti première année gagné en moyenne dans le secteur de la construction, malgré l’intérêt du travailleur pour ce dernier.
La Commission, en révision, estime que la source la plus fiable pour tenir compte de toutes les données sur les salaires des emplois potentiels accessibles au travailleur après sa formation dans les 2 secteurs (construction et industriel) est le site Repères, lequel établit le salaire minimum moyen d’un débutant entre 16,50 $ et 18,99 $ de l’heure en 2011. Le travailleur sera sans expérience dans le métier de mécanicien industriel à la fin de sa formation. La Commission, en révision, est d’avis que le salaire de l’emploi convenable doit donc être établi à 16,50 $ de l’heure, soit à 34 412,40 $ par année (16,50$ X 40 heures X 52,14 semaines). [sic]
[100] Lors de l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles, la représentante de l’employeur a produit un document émanant de la Commission de la construction du Québec qui démontre que le salaire moyen pour l’année 2012 d’un nouvel apprenti mécanicien industriel de chantier était de 32 124 $.
[101] Le 20 septembre 2013, madame Martine Coupal, conseillère en gestion et indemnisation pour l’Association provinciale des constructeurs d’habitations du Québec (APCHQ), signe une déclaration assermentée dans laquelle elle affirme avoir pris connaissance le 22 août 2012 du rapport médical final produit par le docteur Sairam en date du 14 août 2012. Cependant, en ce qui concerne le rapport d’évaluation médicale daté du 24 août 2012, elle indique en avoir pris connaissance le 31 octobre 2012.
[102] À la fin de l’audience tenue par le tribunal le 7 janvier 2014, un délai a été accordé au travailleur afin qu’il puisse obtenir une lettre du docteur Filiatrault expliquant pourquoi il n’avait pas prescrit de nouveaux traitements, tels des blocs facettaires, à la suite des constats faits lors de son examen du 12 novembre 2012. Le 16 janvier 2014, le docteur Filiatrault produit donc une lettre afin de répondre à cette interrogation.
[103] La Commission des lésions professionnelles souligne immédiatement qu’elle ne tiendra compte que de la portion de la lettre du docteur Filiatrault qui concerne cette question, puisque l’autorisation accordée par le tribunal visait la production d’une preuve additionnelle sur cette seule question. En conséquence, le tribunal retient exclusivement le passage suivant :
Pour ce qui est de la recommandation de blocs facettaires qui auraient « guéri la lésion facilement », il faut savoir qu’une entorse cervicodorsale ou une dysfonction segmentaire n’est d’origine facettaire que dans un pourcentage bien défini de cas. L’atteinte facettaire est responsable de la symptomatologie dans une entorse ou une dysfonction segmentaire au niveau lombaire dans seulement 15 % des cas chez les patients jeunes et 40 % chez les patients plus âgés et en cervical et dorsal, la fréquence d’une origine facettaire est d’environ 50 %. Donc, une dysfonction segmentaire ou une entorse cervicale n’est pas toujours d’origine facettaire. De plus, les patients ne répondent pas toujours aux blocs facettaires et il est donc illogique de penser que la lésion aurait été guérie facilement par des blocs facettaires.
Pour ce qui est de la recommandation d’infiltrations, effectivement, personnellement, si M. Truchon avait été mon patient, j’aurais probablement tenté de faire des blocs facettaires pour voir s’il n’y aurait pas une réponse. Dans le mandat qui m’avait été donné, on ne m’a pas demandé s’il y avait nécessité d’autres thérapeutiques. Le patient avait été consolidé par son propre médecin. Considérant donc qu’il était déjà consolidé par son propre médecin, je ne croyais pas qu’il valait la peine de suggérer des traitements infiltratifs à ce niveau. [sic]
[104] Le 11 février 2014, le docteur Farmer produit un rapport complémentaire afin de répondre à l’avis émis par le docteur Filiatrault le 16 janvier 2014. Encore une fois, le tribunal souligne qu’il ne tiendra compte que de la partie de ce rapport complémentaire qui discute de la nature et la nécessité des traitements que le docteur Filiatrault aurait dû prescrire.
[105] À ce sujet, le docteur Farmer réitère que l’approche classique aurait dû amener le docteur Filiatrault à compléter les traitements par une infiltration de cortisone.
L’AVIS DES MEMBRES
Dossier 479797-64-1208
[106] La membre issue des associations d’employeurs émet l’avis que la Commission des lésions professionnelles doit retenir les conclusions émises par le docteur Farmer, médecin désigné par l’employeur, en ce qui concerne la date de consolidation et la suffisance des soins et des traitements. En effet, elle estime que la preuve prépondérante démontre que la lésion subie par le travailleur était guérie le 28 février 2012.
[107] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que la Commission des lésions professionnelles doit confirmer les conclusions émises par le docteur Leclaire, membre du Bureau d’évaluation médicale, en ce qui concerne la non-consolidation de la lésion professionnelle et la nécessité de poursuivre les soins et les traitements. À ce sujet, il considère que la preuve ne démontre pas une stabilisation de la lésion du travailleur sans possibilité d’amélioration de son état de santé au moment où il a rencontré les docteurs Farmer et Leclaire. Il émet donc l’opinion que le tribunal doit s’en remettre à l’avis du médecin qui a charge du travailleur quant à la date de consolidation à retenir, soit le 14 août 2012.
Dossier 489131-64-1211
[108] Dans ce dossier, la membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le travailleur n’avait pas droit à des mesures de réadaptation puisqu’elle considère que la lésion que le travailleur a subie le 2 septembre 2011 n’entraîne pas d’atteinte permanente ni de limitations fonctionnelles.
[109] De son côté, le membre issu des associations syndicales étant d’avis que le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la suite de sa lésion professionnelle, il estime que ce dernier a donc droit à des mesures de réadaptation.
Dossiers 505693-64-1303, 505966-64-1303, 510026-64-1305 et 511415-64-1305
[110] En ce qui concerne ces dossiers, la membre issue des associations d’employeurs considère, dans un premier temps, que l’avis émis par le docteur Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale est régulier. En effet, elle estime que le rapport médical final émis par le docteur Sairam le 14 août 2012 était imprécis en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles à retenir et que ce rapport a été complété par le rapport d’évaluation médicale produit ultérieurement par ce dernier. Dans les circonstances, l’employeur pouvait demander que le dossier soit soumis au Bureau d’évaluation médicale dans les 30 jours suivants le moment où il a pris connaissance dudit rapport d’évaluation médicale, délai qui a été respecté.
[111] En ce qui concerne les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, elle est d’avis que la Commission des lésions professionnelles doit retenir les conclusions des docteurs Farmer et Renaud. En effet, elle considère que la preuve ne démontre pas d’éléments objectifs permettant la reconnaissance d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles.
[112] Enfin, la membre issue des associations d’employeurs estime que la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le travailleur était capable de refaire son emploi prélésionnel à compter du 28 février 2012 puisqu’il était consolidé à cette date, et ce, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. En conséquence, elle annulerait la décision portant sur la détermination d’un emploi convenable.
[113] Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que le tribunal doit conclure que c’est illégalement que le docteur Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, s’est prononcé sur la question des limitations fonctionnelles. En effet, il considère que le docteur Sairam, médecin qui a charge du travailleur, a décrit les limitations fonctionnelles qu’il retenait sur le rapport médical final du 14 août 2012. En considérant que madame Coupal qui représente l’employeur a pris connaissance de ce rapport final le 22 août 2012, le rapport du médecin désigné par l’employeur devait être transmis à la CSST dans les 30 jours de cette dernière date, afin que le dossier soit soumis régulièrement au Bureau d’évaluation médicale. Puisque ce délai n’a pas été respecté, il considère que l’avis émis par le membre du Bureau d’évaluation sur cette question doit être annulé et que les limitations fonctionnelles émises par le médecin qui a charge du travailleur doivent être confirmées.
[114] En ce qui concerne le salaire annuel brut de l’emploi convenable de mécanicien industriel, il maintiendrait celui retenu par la CSST à la suite d’une révision administrative, soit un revenu annuel de 34 412,40 $. En effet, il considère que ce salaire représente une estimation réaliste du revenu que peut gagner un travailleur qui en est à son premier emploi dans ce domaine.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Dossier 479797-64-1208
[115] Dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer la date de consolidation à retenir, à la suite de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 2 septembre 2011. Le tribunal doit également se prononcer sur la nature, la nécessité ou la suffisance des soins et des traitements.
[116] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir les conclusions émises par le docteur Farmer à cet égard, soit que la lésion professionnelle était consolidée le 28 février 2012 et que les soins et les traitements avaient été suffisants à cette date.
[117] La notion de consolidation est définie à l’article 2 de la loi de la façon suivante :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[118] On constate donc que la consolidation couvre deux situations distinctes, soit la guérison d’une lésion ou, si cet objectif de guérison ne peut être atteint, la stabilisation de la lésion au-delà de laquelle aucune amélioration de l’état de santé n’est prévisible.
[119] Qu’en est-il dans la présente affaire?
[120] La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’elle ne peut retenir la date de consolidation suggérée par le docteur Farmer, soit le 28 février 2012, et ce, pour les motifs qui suivent.
[121] Dans un premier temps, le tribunal constate que les rapports produits par le physiothérapeute dans les jours précédents et suivants l’examen du docteur Farmer mentionnent la présence de spasmes paradorsaux. Ces rapports précisent également qu’il y a pertinence de poursuivre les traitements afin de faire disparaître lesdits spasmes.
[122] Cet élément permet à la Commission des lésions professionnelles de conclure que la lésion du travailleur n’était pas guérie le 28 février 2012.
[123] Est-ce qu’on pourrait cependant conclure que la lésion subie par le travailleur était stabilisée à cette date et qu’il n’y avait aucune amélioration de son état de santé prévisible à ce moment?
[124] Le présent tribunal est d’avis qu’il faut répondre par la négative à cette question.
[125] En effet, la preuve démontre que le médecin qui a charge du travailleur, le docteur Sairam, considérait qu’il y avait lieu de poursuivre les soins et traitements à cette époque. Celui-ci a d’ailleurs dirigé le travailleur vers un programme de développement des capacités de travail et les intervenants de ce programme ont recommandé une prise en charge de ce dernier dans un tel programme en avril 2012.
[126] Dans le cadre de son argumentation écrite, la représentante de l’employeur mentionne que, dans la mesure où il s’avérerait utile et nécessaire, le programme de développement des capacités de travail n’empêche pas de considérer que la lésion était consolidée puisque ce programme doit être considéré comme une mesure de réadaptation physique.
[127] Tout en reconnaissant que dans certaines circonstances un tel programme de développement des capacités de travail peut effectivement constituer une mesure de réadaptation, il appert que, dans le présent dossier, celui-ci doit amener le tribunal à conclure que la lésion professionnelle n’était pas consolidée au moment où il a été réalisé puisque la preuve permet de conclure qu’il a permis une amélioration de l’état de santé du travailleur.
[128] La décision produite par la représentante de l’employeur dans l’affaire Transport Matte ltée et Diamond[2] illustre d’ailleurs bien ce principe dans le cadre d’un programme similaire. Dans cette affaire, le tribunal a conclu que la consolidation de la lésion professionnelle subie par la travailleuse devait être établie après un programme de gestion progressive de l’activité, puisque celui-ci avait permis une amélioration de la condition de cette dernière. À ce sujet, le juge administratif écrivait :
[66] Ainsi, pour les docteurs Boivin et Blouin, la présence de douleurs diffuses associées à des signes de non-organicité et l’absence de spasme et contracture musculaires démontrent que la lésion de la travailleuse est consolidée à la date de l’examen du docteur Boivin, soit le 23 avril 2008.
[67] Ces plaintes diffuses sont également relevées par plusieurs médecins et thérapeute au dossier, dont la docteure Ducharme-Déry à son Rapport complémentaire du 28 mai 2008.
[68] C’est dans ce contexte que la travailleuse est dirigée au « Programme de gestion de l’activité progressive » afin, entre autres, de surmonter les craintes, peurs et incapacités associées à la douleur.
[69] Or, le programme produit rapidement des résultats bénéfiques pour la travailleuse, selon le rapport du thérapeute du 18 juillet 2008, ce qui est confirmé par l’examen clinique du docteur Fournier du 11 juillet 2008. À l’exception d’une perte de flexion antérieure de 20° à la région lombaire, l’examen du docteur Fournier est dans les limites de la normale. Il s’agit d’un contraste frappant par rapport au rapport antérieur du docteur Boivin daté du 23 avril 2008.
[70] Pour le tribunal, cette récupération rapide au niveau de la mobilité du rachis entre l’examen du docteur Boivin et celui du docteur Fournier ne peut s’expliquer que par les traitements reçus par la travailleuse dans l’intervalle. Cette évolution favorable est un indice déterminant qui démontre que la lésion de la travailleuse n’était pas stabilisée en date du 23 avril 2008 malgré la présence de certains signes de non-organicité.
[71] À la suite de ce programme et compte tenu des progrès réalisés par la travailleuse, la docteure Ducharme-Déry, médecin qui a charge de la travailleuse, prescrit le 18 juillet 2008 un retour progressif au travail et éventuellement un retour au travail habituel. Aucun autre traitement et investigation médicale ne sont alors envisagés.
[72] La lésion professionnelle de la travailleuse était donc consolidée à la date de l’examen du docteur Fournier, soit le 11 juillet 2008. [sic]
[129] Pour revenir au dossier qui nous concerne, il appert que le rapport d’étape produit par les intervenants du programme de développement des capacités de travail en date du 10 mai 2012 mentionne une nette amélioration des capacités fonctionnelles du travailleur depuis le début du programme. C’est d’ailleurs dans ce contexte que le docteur Leclaire, membre du Bureau d’évaluation médicale, a conclu que la lésion n’était pas consolidée et qu’il y avait lieu de poursuivre le programme de développement des capacités du travailleur en vue d’un retour au travail.
[130] Le présent tribunal estime donc que la preuve prépondérante démontre que la lésion professionnelle subie par le travailleur n’était pas consolidée le 28 février 2012 (date de l’examen du docteur Farmer) ou le 23 mai 2012 (date de l’examen réalisé par le docteur Leclaire). En effet, il y avait toujours une possibilité raisonnable que l’état de santé du travailleur s’améliore.
[131] La Commission des lésions professionnelles retient donc que la lésion était consolidée le 14 août 2012, soit à la date retenue par le médecin qui a charge du travailleur.
[132] Il y a d’ailleurs lieu de souligner que le docteur Renaud, médecin désigné par l’employeur, a retenu cette date de consolidation dans le cadre du rapport d’expertise médicale qu’il a produit le 29 novembre 2012. En effet, en évaluant rétrospectivement le dossier du travailleur, il conclut que la preuve démontre une amélioration de la condition physique du travailleur pendant la période où il a été pris en charge par l’équipe multidisciplinaire du programme de développement des capacités de travail.
[133] La Commission des lésions professionnelles conclut également que les soins ou les traitements étaient justifiés jusqu’à cette date de consolidation. En effet, comme mentionné précédemment, le travailleur a bénéficié d’un programme de développement de ses capacités de travail qui a permis une amélioration de sa condition. Ce traitement était donc, de l’avis du présent tribunal, pleinement justifié.
Dossier 489131-64-1211
[134] Dans ce dossier, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit à des mesures de réadaptation professionnelle.
[135] L’employeur prétend que le travailleur n’a pas droit de bénéficier de ces mesures puisqu’il est d’avis que la lésion professionnelle du 2 septembre 2011 n’a pas entraîné d’atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles.
[136] Cependant, dans l’éventualité où la Commission des lésions professionnelles en arrive à la conclusion qu’il y a lieu de reconnaître des limitations fonctionnelles de classe I pour la colonne cervicale selon l’échelle de l’IRSST, comme l’ont fait les docteurs Sairam, médecin qui a charge du travailleur, et Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, l’employeur ne conteste pas le droit du travailleur de bénéficier de mesures de réadaptation.
[137] Puisque le tribunal en arrive à une telle conclusion, comme nous le verrons ultérieurement, il y a donc lieu de confirmer le droit du travailleur de bénéficier de mesures de réadaptation professionnelle.
Dossiers 505693-64-1303, 505966-64-1303, 510026-64-1305 et 511415-64-1305
[138] En ce qui concerne ces dossiers, la Commission des lésions professionnelles doit déterminer, dans un premier temps, si le travailleur conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles, à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie le 2 septembre 2011.
[139] Par la suite, le tribunal devra statuer sur le revenu annuel brut que le travailleur pourrait tirer de l’emploi convenable déterminé.
[140] Avant tout, la Commission des lésions professionnelles doit cependant décider si l’avis du docteur Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, a été rendu de façon légale.
[141] Dans un premier temps, le travailleur prétend que l’employeur n’a pas respecté le délai prévu par les dispositions de l’article 212 de la loi pour demander que le dossier soit soumis au Bureau d’évaluation médicale sur la question des limitations fonctionnelles consécutives à la lésion professionnelle du 2 septembre 2011.
[142] En effet, il soutient que les limitations fonctionnelles ayant été décrites dans le rapport médical final produit par le docteur Sairam le 14 août 2012, l’employeur devait soumettre un rapport médical infirmant ce rapport dans les 30 jours de la date où il a pris connaissance dudit rapport.
[143] Puisque ce délai n’a pas été respecté, le travailleur prétend que c’est donc irrégulièrement que le dossier a été soumis au Bureau d’évaluation médicale et que l’avis sur cette question a été rendu illégalement.
[144] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles devrait donc annuler l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale sur cette question.
[145] De son côté, l’employeur prétend qu’il se devait d’attendre le rapport d’évaluation médicale afin d’avoir un portrait complet sur les questions de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. En retenant la date où il a pris connaissance du rapport d’évaluation médicale produit par le docteur Sairam, il devient évident qu’il a respecté le délai prévu par le dernier alinéa de l’article 212 de la loi afin de contester ce rapport.
[146] Il fait valoir que le rapport médical final ne respecte pas à lui seul les prescriptions d’un tel rapport qui sont prévues à l’article 203 de la loi. C’est plutôt la combinaison du rapport final et du rapport d’évaluation médicale qui forme un tout et qui respecte les prescriptions de l’article 203 de la loi. Il est donc logique de conclure que l’employeur se doit d’attendre l’obtention de ces deux rapports avant de se prévaloir de son droit de contester l’avis du médecin qui a charge du travailleur et de demander que le dossier soit transmis au Bureau d’évaluation médicale. Il soumet des décisions rendues par le tribunal au soutien de ses prétentions[3].
[147] Au surplus, l’employeur argumente que si le tribunal doit conclure à l’illégalité de l’avis du Bureau d’évaluation médicale, c’est davantage sur la question de l’atteinte permanente puisque les avis émis par les docteurs Sairam (médecin qui a charge du travailleur) et Renaud (médecin désigné par l’employeur) n’étaient pas divergents. En effet, les deux médecins concluaient à l’absence de déficit anatomo-physiologique en lien avec la lésion professionnelle subie par le travailleur en date du 2 septembre 2011.
[148] L’employeur fait valoir qu’en l’absence de litige sur cette question, le membre du Bureau d’évaluation médicale n’avait pas à émettre son avis et qu’il ne pouvait également se servir de son pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 221 de la loi pour se prononcer sur cette question. Il dépose à l’appui de ses prétentions sur cette question la décision rendue par le tribunal dans l’affaire Gauthier et Ville de Shawinigan[4] ainsi que celle rendue dans l’affaire Hôpital St-Luc et Bissonnette[5].
[149] Afin de décider de la régularité de l’avis émis par le docteur Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, la Commission des lésions professionnelles juge pertinent de rappeler, dans un premier temps, qu’un employeur peut contester certaines conclusions médicales émises par le médecin d’un travailleur. C’est ce qui est prévu par les dispositions de l’article 212 de la loi qui stipule :
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
__________
1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[150] Dans le présent dossier, l’employeur a demandé que le dossier du travailleur soit transmis au Bureau d’évaluation médicale afin que ce dernier se prononce sur certaines questions médicales, soit celles relatives à l’atteinte permanente et aux limitations fonctionnelles que conserverait le travailleur à la suite de sa lésion professionnelle du 2 septembre 2011.
[151] À cet égard, l’employeur a transmis à la CSST, en date du 30 novembre 2012, le rapport d’expertise médicale du docteur Renaud en l’opposant au rapport d’évaluation médicale du docteur Sairam daté du 24 août 2012, mais dont il avait reçu une copie en date du 31 octobre 2012 seulement.
[152] Il appert donc que l’employeur aurait respecté le délai de 30 jours prévu par le dernier alinéa de l’article 212 de la loi afin de contester le rapport d’évaluation médicale produit par le médecin qui a charge du travailleur.
[153] Le travailleur prétend cependant que le délai de transmission d’un rapport infirmant les conclusions du médecin qui en a charge sur la question des limitations fonctionnelles commence à courir à partir de la réception du rapport final du 14 août 2012 puisque ce rapport prévoyait l’existence de telles limitations et en faisait la description.
[154] Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’employeur prétend pour sa part que le rapport médical final du 14 août 2012 ne respecte pas les prescriptions de l’article 203 de la loi et que c’est la combinaison de ce rapport final avec le rapport d’évaluation médicale qui le rend conforme. Le délai ne peut donc commencer à courir avant la réception dudit rapport d’évaluation médicale.
[155] Rappelons que les dispositions de l’article 203 de la loi prévoient :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
__________
1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[156] La Commission des lésions professionnelles constate en effet que le rapport médical final produit par le docteur Sairam le 14 août 2012 ne respecte pas intégralement les dispositions de l’article 203 puisqu’il indique la présence d’une atteinte permanente, mais ne précise pas le pourcentage de ladite atteinte en conformité avec le Règlement sur le barème des dommages corporels[6].
[157] Cependant, il y a lieu de souligner que dans le rapport qu’il a produit en date du 14 août 2012, le docteur Sairam mentionne que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles et il fait une description desdites limitations en soulignant qu’il s’agit des limitations de classe I selon l’IRSST et en précisant que la limite de poids doit être établie à 20 kilogrammes.
[158] La position de l’employeur est très bien exprimée par le tribunal dans l’affaire Bussières et Abitibi Consolidated (division La Tuque)[7] :
[108] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la régularité du processus pour acheminer le dossier du travailleur au Bureau d'évaluation médicale.
[109] De façon plus particulière, le tribunal doit déterminer si l’employeur a respecté le délai prévu à l’article 212 de la Loi. Pour ce faire, le tribunal doit établir si, dans les circonstances, l’employeur se devait d’initier une contestation à compter de la réception du rapport médical final de la docteure Fortier ou s’il pouvait initier une telle contestation à compter de la réception de son rapport d'évaluation médicale. Le rapport médical final est émis le 1er octobre 2002 alors que le rapport d'évaluation médicale est reçu par l’employeur le 15 janvier 2003.
[…]
[112] Tel que la soussignée l’a déjà expliqué dans l’affaire Panneaux Maski et Ferron5, dans l’éventualité où le rapport médical final complété par le médecin qui a charge indique que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente ou des limitations fonctionnelles, le formulaire de rapport médical final, tel que constitué, ne permet pas d’étayer le pourcentage de cette atteinte selon le barème ou de faire la description de ces limitations fonctionnelles, le cas échéant. C’est plutôt le rapport d'évaluation médicale qui permet au médecin qui a charge du travailleur ou au médecin spécifiquement désigné pour ce faire d’évaluer le travailleur et par la suite d’étayer le détail des séquelles.
[113] L’affirmation ou la négation de l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou de limitations fonctionnelles sur le formulaire de rapport médical final ne permet pas la description du pourcentage de l’atteinte permanente et celle des limitations fonctionnelles comme l’exige l’article 203 de la Loi. Pour qu’un rapport médical final corresponde à ce que vise l’article 203, il doit respecter les exigences qui y sont décrites par le législateur. Ce que le législateur a voulu à l’article 203, on le retrouve donc en combinant le formulaire de rapport médical final et le rapport d'évaluation médicale.
[114] Lorsqu’il y a un délai entre le moment où le rapport médical final est complété et celui où le rapport d'évaluation médicale est complété et transmis, des problèmes peuvent se produire. Comme en l’espèce, le problème découle du fait qu’il existe un délai important entre la date où la docteure Fortier a complété son rapport médical final et celle à laquelle elle a complété le rapport d'évaluation médicale et qu’elle l’a transmis à la CSST. Ce délai est imputable aux moyens de pression exercés par les médecins spécialistes à l’époque. L’information permettant de compléter le rapport médical prévu à l’article 203 a donc tardé.
[…]
[117] Le fait qu’aux paragraphes 4 et 5 de l’article 212, le législateur indique « l’existence ou le pourcentage » et « l’existence ou l’évaluation » ne veut pas dire qu’il ait voulu créer deux étapes au processus de contestation médicale, soit la contestation de l’existence par le biais du rapport médical final et la contestation du pourcentage ou de l’évaluation par le biais du rapport d'évaluation médicale. Le tribunal croit plutôt que les paragraphes 4 et 5 s’inscrivent dans la logique de ce qui est demandé par le législateur à l’article 203, soit un rapport médical complet qui collige non seulement l’indication de l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles mais également le pourcentage de cette atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique et l’évaluation de ces limitations fonctionnelles.
[118] Le tribunal ne peut donc souscrire à l’argument du représentant du travailleur indiquant que c’est l’existence de séquelles qui est contesté et par ce fait, le point de départ est le rapport médical final puisqu’il indique clairement l’existence de séquelles. D’une part, le tribunal a déjà indiqué que le formulaire de rapport médical final est un rapport incomplet sans le rapport d'évaluation médicale si l’on tient compte de ce que le législateur demande comme rapport médical final à l’article 203. D’autre part, une telle façon d’agir pourrait donner ouverture à une prolifération de recours qui parfois pourraient s’avérer inutiles. Combien de fois un médecin indique l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou de limitations fonctionnelles sur un rapport médical final alors qu’au moment de compléter le rapport d'évaluation médicale, le médecin ne détermine aucune atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou limitation fonctionnelle. Et la situation inverse peut également se produire. Au rapport médical final, le médecin indique l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique mais aucune limitation fonctionnelle. Au moment de compléter le rapport d'évaluation médicale, des limitations fonctionnelles sont déterminées.
[119] De tels exemples illustrent l’importance d’avoir un rapport médical complet correspondant à ce que le législateur a voulu en édictant l’article 203 et ils permettent de comprendre davantage pourquoi l’employeur qui désire initier une procédure de contestation médicale sur l’existence ou la détermination de l’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou des limitations fonctionnelles peut le faire en fonction du rapport d'évaluation médicale.
[120] En l’espèce, l’employeur reçoit le rapport d'évaluation médicale le 15 janvier 2003. Tenant compte de l’article 212, c’est donc à ce moment qu’il reçoit une attestation ou un rapport du médecin qui a charge qui porte notamment sur l’existence ou le pourcentage d’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique ou l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles. Le rapport d’un professionnel de la santé qui infirme de telles conclusions a été complété le 21 janvier 2003 et la demande a été faite à la CSST le 12 février 2003, soit dans les 30 jours de la date de réception de l’attestation ou du rapport que l’employeur désire contester. Le tribunal est donc d’avis que la procédure pour acheminer le dossier au Bureau d'évaluation médicale est régulière. [sic]
__________
5 C.L.P. 172710-04-0111, 3 octobre 2002, S. Sénéchal.
[159] Le soussigné tient immédiatement à souligner qu’il est en accord avec les principes généraux qui se dégagent et de cette décision ainsi que des autres décisions que l’employeur a déposées à l’appui de ses prétentions.
[160] Cependant, il nous faut distinguer les faits de la présente affaire de la trame factuelle que l’on retrouvait dans ces affaires.
[161] En effet, en règle générale, un médecin se contente d’indiquer sur le rapport final qu’il produit si la lésion professionnelle subie par un travailleur engendrera une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique ou des limitations fonctionnelles, et ce, en cochant la case « oui » ou la case « non » en répondant aux questions qui lui sont posées à ce sujet sur le formulaire prescrit par la CSST. Il est particulièrement rare que le médecin indiquera le pourcentage de l’atteinte permanente et qu’il décrira les limitations fonctionnelles sur ce rapport. Ces dernières informations se retrouvent habituellement sur le rapport d’évaluation médicale que le médecin complètera en même temps que le rapport final ou ultérieurement.
[162] Dans le dossier qui nous concerne, il nous faut cependant constater que le docteur Sairam a décrit les limitations fonctionnelles qu’il retenait sur le rapport final qu’il a produit le 14 août 2012. À partir de ce moment, le rapport final qu’il a produit était complet en soi sur la question de l’existence et de l’évaluation des limitations fonctionnelles que conservait le travailleur.
[163] Dans les circonstances, si l’employeur désirait contester la question de l’existence ou de l’évaluation des limitations fonctionnelles, il se devait d’obtenir un rapport d’un médecin qui, après avoir examiné le travailleur, infirmait les conclusions du médecin qui a charge du travailleur sur cette question. De plus, il devait transmettre copie de ce rapport à la CSST dans les 30 jours de la réception du rapport final, et ce, afin de pouvoir demander que le dossier du travailleur soit soumis à un membre du Bureau d’évaluation médicale afin que celui-ci statue sur cette question.
[164] Puisque la preuve démontre que la représentante de l’employeur a reçu, en date du 22 août 2012, une copie du rapport final produit par le docteur Sairam le 14 août 2012 et qu’elle a transmis à la CSST le rapport du docteur Renaud, qui infirme les conclusions du docteur Sairam sur la question de l’existence et de l’évaluation des limitations fonctionnelles, seulement le 30 novembre 2012, il est manifeste que le délai de 30 jours n’a pas été respecté.
[165] Il est d’ailleurs intéressant de noter les propos que tenait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Trudel et Transelec/Common inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail[8] :
[50] Il importe cependant de préciser qu’il ressort clairement de la jurisprudence que cela ne vaut que si le sujet sur lequel il y a apparente contradiction a été complètement réglé par le premier médecin et respecte ainsi les exigences de l’article 2038. Ainsi, le bref formulaire « Rapport final » ne suffit pas et doit être complété par un rapport d’évaluation médicale, à moins qu’il ne comporte les éléments requis par l’article 203. […]
__________
8 Voir notamment : Colgan et C.A. Champlain Marie-Victorin, [1995] C.A.L.P. 1201; Benoît et Ayerst, McKenna et Harrison inc., C.A.L.P. 08827-60-8808, 31 mars 1993, M. Cuddihy; Ouellet et Entr. forestières F.G.O. inc., C.A.L.P. 26176-01-9101, 21 juillet 1993, M. Carignan; Dubreuil et Monsanto Canada inc., précitée note 3; Larivière et Hôpital du Haut-Richelieu, C.A.L.P. 38310-62-9203, 9 mars 1994, M. Lamarre; Gagné et Chaussures Henri-Pierre inc., C.A.L.P. 41250-03-9206, 2 mai 1994, C. Bérubé; Colgan et Thibodeau et J. H. Ryder Machinerie ltée, C.A.L.P. 43929-62-9206, 28 juin 1995, L. Thibault; Gagné et Pyrotex ltée, précitée, note 5; Bellemare et Fonderie Grand-Mère ltée, C.A.L.P. 38632-04-9204, 22 septembre 1997, M. Carignan (décision sur requête en révision); Leclair et Ressources Breakwater-Mine Langlois, C.L.P. 138655-08-0004, 23 juillet 2001, P. Prégent; Côté et Gestion Rémy Ferland inc., C.L.P. 175597-03B-0201, 20 juin 2002, J.-F. Clément; Armatures Bois-Francs inc. et Allard, C.L.P. 171777-64-0111, 22 avril 2003, R. Daniel; Bussières et Abitibi Consolidated (Division La Tuque), [2004] C.L.P. 648; Raymond et Transformation B.F.L., C.L.P. 230973-04-0403, 25 février 2005, A. Gauthier.
[notre soulignement]
[166] Dans notre dossier, force est de constater que le rapport médical final produit par le docteur Sairam le 14 août 2012 comportait les éléments requis par les dispositions de l’article 203 de la loi en ce qui concerne l’existence et la description des limitations fonctionnelles.
[167] Dans ces circonstances, l’employeur n’avait pas à attendre que ce rapport soit complété par le rapport d’évaluation médicale afin de le contester et de demander que le dossier soit transmis au Bureau d’évaluation médicale.
[168] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur n’a pas respecté le délai prévu par les dispositions du dernier alinéa de l’article 212 de la loi.
[169] Dans son argumentation écrite soumise au tribunal, la procureure de l’employeur avance que dans l’éventualité où la Commission des lésions professionnelles conclut que c’est le rapport final du 14 août 2012 qui devait être contesté, il y a lieu de relever l’employeur de son défaut puisqu’il y aurait démonstration d’un motif raisonnable. À ce sujet, elle écrit :
De plus, si le tribunal conclut que le rapport final devait être contesté, ce dernier doit conclure que le représentant de l’employeur a agi avec diligence, que l’absence de contestation du rapport final ne doit pas être fatal et qu’il y ait lieu de ne pas pénaliser l’employeur pour l’erreur de son représentant, si erreur il y a, elle constitue un motif raisonnable.
[170] À ce sujet, la Commission des lésions professionnelles rappelle les dispositions de l’article 352 de la loi qui prévoit :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
__________
1985, c. 6, a. 352.
[171] Dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il lui est impossible d’accéder à la demande de l’employeur.
[172] En effet, la preuve démontre que l’employeur a produit le 16 novembre 2012 une demande de prolongation de délai pour produire un rapport médical infirmant les conclusions du médecin qui a charge du travailleur, le tout en conformité avec les dispositions de l’article 352 de la loi.
[173] Le 21 novembre 2012, la CSST a rendu une décision refusant cette demande formulée par l’employeur et celle-ci n’a pas fait l’objet d’une demande de révision. Elle a donc acquis un caractère final et irrévocable.
[174] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles ne peut d’aucune façon accéder à la demande de l’employeur sans remettre en cause ledit caractère final de cette décision.
[175] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que c’est illégalement que le dossier a été transmis à un membre du Bureau d’évaluation médicale afin que ce dernier statue sur la question de l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles que conserve le travailleur.
[176] De son côté, l’employeur prétend que la question de l’existence d’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur a également été soumise de façon irrégulière au Bureau d’évaluation médicale.
[177] En effet, il soutient qu’il n’y avait pas de divergence d’opinions à ce sujet entre le médecin qui a charge du travailleur et le médecin désigné par l’employeur.
[178] Il fait remarquer que si lors de la production de son rapport final le docteur Sairam avait estimé que le travailleur conservait une atteinte permanente, il appert que celui-ci s’est ravisé lors de la production du rapport d’évaluation médicale puisqu’il conclut qu’il ne peut accorder un pourcentage de déficit anatomo-physiologique en lien avec la lésion professionnelle subie par le travailleur.
[179] Puisque cette conclusion est la même que celle retenue par le docteur Renaud, l’employeur prétend que le dossier n’aurait pas dû être soumis au Bureau d’évaluation médicale sur cette question.
[180] Le soussigné partage ce point de vue qui est très bien exprimé par le juge administratif qui a rendu la décision dans l’affaire Gauthier et Ville de Shawinigan[9] :
[58] L’étude de toutes ces dispositions indique clairement que le recours au Bureau d’évaluation médicale devient nécessaire pour trancher une contradiction entre l’avis d’un médecin qui a charge et l’avis d’un médecin désigné. Tant que l’employeur et la CSST sont d’accord avec l’avis du médecin qui a charge, ils n’ont qu’à ne pas agir. Du moment où ils sont en désaccord, ils doivent alors agir en obtenant une expertise d’un médecin désigné.
[59] Si le médecin désigné confirme l’avis du médecin qui a charge, il n’y aura alors aucun litige et aucune référence au Bureau d’évaluation médicale. S’il y a divergence d’opinions, le médecin qui a charge pourra se ranger à l’opinion du médecin désigné et encore là, il n’y aura plus de litige et absence d’intérêt de référer le dossier au Bureau d’évaluation médicale. Ce n’est que lorsque, suite à son rapport complémentaire, le médecin qui a charge persiste dans son opinion initiale laquelle est contredite par un médecin désigné que le dossier devra être référé au Bureau d’évaluation médicale.
[60] Toute autre interprétation amène à conclure que le Bureau d’évaluation médicale peut trancher des litiges artificiels qui n’existent pas dans la réalité alors qu’il est là pour trancher une divergence entre deux médecins. Le Bureau d’évaluation médicale est là pour trancher des litiges et non pour en créer. Il est là pour trancher un litige entre deux médecins et non pour trancher un litige inexistant lorsqu’il y a unanimité entre les deux médecins.
[61] Une certaine jurisprudence, notamment celle déposée par l’employeur, affirme qu’un seul sujet de désaccord est suffisant pour permettre à la CSST de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale et ainsi valider par la suite la totalité de la procédure. Le soussigné n’est pas d’accord avec cette position qui va à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la loi. Lorsque le médecin désigné et le médecin qui a charge sont d’accord sur un des cinq sujets de l’article 212, il n’y a aucune raison de compliquer cet aspect du dossier et de le faire perdurer par une autre étape.
[62] Pourquoi « judiciariser médicalement » quatre autres questions médicales qui font l’unanimité parce qu’une seule fait problème dans le cadre d’un processus voulu par le législateur comme simple, souple et rapide8? Pourquoi mettre de côté l’unanimité sur quatre sujets parce qu’il y a divergence sur un seul? En l’espèce, l’avis du Bureau d’évaluation médicale n’aurait donc dû porter que sur la question des soins, seul litige qui persistait.
[63] En effet, la CSST ne peut pas, par le biais de la procédure d’évaluation médicale devant le Bureau d’évaluation médicale, remettre en cause l’un des éléments prévus à l’article 212 qui n’est pas infirmé par le médecin de la CSST ou qui fait l’objet d’un accord par le médecin qui a charge dans son rapport complémentaire9.
[64] Le tribunal estime que le membre du Bureau d’évaluation médicale désigné dans le cadre d’une contestation ne doit pas se prononcer sur l’un ou l’autre des sujets énoncés à l’article 212 alors qu’une telle conclusion médicale n’est pas infirmée à l’égard de l’un ou de l’autre de ces sujets. Même l’article 221 de la Loi ne permet pas d’agir ainsi de l’avis du tribunal. Le but du processus d’évaluation médicale est de régler des litiges d’ordre médical et en conséquence, lorsque certaines conclusions d’ordre médical ne sont pas infirmées, la CSST demeure liée par les conclusions du médecin qui a charge du travailleur10.
[65] Même si l’article 221 permet au Bureau d’évaluation médicale de donner son avis sur l’un des éléments médicaux lorsque le médecin du travailleur, celui de l’employeur ou celui de la CSST ne se sont pas prononcés sur le sujet, ce n’est pas le cas en l’espèce car les deux médecins se sont prononcés de façon identique sur l’ensemble des sujets, sauf la question des soins de sorte que seule cette question pouvait faire l’objet d’une référence au Bureau d’évaluation médicale11. [sic]
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8 Loi sur la justice administrative, LRQ c. J-13
9 Morin et José et Georges inc., [2001] C.L.P. 443; Courcelles et The Gazette, C.L.P. 126795-72-9911, 31 mars 2000, R. Langlois
10 D’Aoust et Toitures Qualitruss inc., C.L.P. 212070-07-0307, 24 février 2004, M. Langlois
11 Goderre et R.H. Nugent Équipement Rental ltée, C.L.P. 154843-07-0102, 6 décembre 2001, P. Sincennes; Blanchette et Pétrole J.C. Trudel inc., C.L.P. 132329-08-0002, 13 septembre 2001, Monique Lamarre
[notre soulignement]
[181] Dans la présente affaire, la preuve démontre que les docteurs Sairam et Renaud ont tous deux conclu que le travailleur ne pouvait se voir reconnaître un pourcentage de déficit anatomo-physiologique en conformité avec les dispositions du Règlement sur le barème des dommages corporels[10]. Dans les circonstances et devant cette unanimité, le dossier du travailleur n’avait pas à être soumis au Bureau d’évaluation médicale sur cette question puisqu’il n’y avait pas de litige à trancher.
[182] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que c’est irrégulièrement que le dossier a été soumis au Bureau d’évaluation médicale, et ce, tant sur la question de l’atteinte permanente que des limitations fonctionnelles.
[183] Le membre du Bureau d’évaluation médicale s’étant prononcé sur ces questions alors que le dossier n’aurait pas dû lui être soumis, il y a lieu d’annuler son avis ainsi que les décisions rendues par la CSST qui donnaient suite à cet avis.
[184] Conformément aux dispositions de l’article 224 de la loi, le tribunal se déclare lié par les conclusions du médecin qui a charge du travailleur relativement à ces sujets. Il y a donc lieu de conclure que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, mais que des limitations fonctionnelles de classe I pour le rachis cervical selon l’IRSST doivent être reconnues, en précisant que la limite de poids doit être établie à 20 kilogrammes.
[185] Ceci étant dit, la Commission des lésions professionnelles tient à préciser qu’elle aurait conclu dans le même sens si elle avait statué sur le fond du litige.
[186] Même si cela ne s’avère pas nécessaire pour disposer du litige qui lui est soumis en raison de l’irrégularité de l’avis rendu par le membre du Bureau d’évaluation médicale, le tribunal juge pertinent de faire les brefs commentaires qui suivent en ce qui concerne le fond du litige.
[187] En ce qui a trait à l’atteinte permanente, le tribunal ne peut que constater que parmi les médecins qui se sont prononcés sur cette question, la très grande majorité a conclu qu’il n’y avait pas de séquelles fonctionnelles objectivées permettant la reconnaissance d’un déficit anatomo-physiologique en conformité avec le Règlement sur le barème des dommages corporels[11]. Le docteur Demers est le seul à conclure qu’il y a lieu d’accorder un déficit anatomo-physiologique de 2 %, mais force est de constater que la justification qu’il fait valoir pour la reconnaissance de ce pourcentage est fort peu convaincante.
[188] À ce sujet, il est pertinent de rappeler les propos que tenait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bussières et Abitibi Consolidated (division La Tuque)[12] en ce qui concerne la notion de séquelles fonctionnelles objectivées qui permet la reconnaissance d’un pourcentage de déficit anatomo-physiologique :
[126] La notion de séquelle fonctionnelle n’est pas définie à la Loi ou au Règlement. Cette notion s’est plutôt précisée au fil des décisions rendues par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et par la Commission des lésions professionnelles, notamment dans l’affaire Richard et Fabspec inc.7 Dans cette affaire, la commissaire identifie la séquelle fonctionnelle comme étant une anomalie, une restriction ou une réduction de la fonction caractéristique d’un organe, d’une structure anatomique ou d’un système par rapport à ce qui est considéré normal au plan anatomique, physiologique ou psychique et qui découle d’une lésion professionnelle.
[127] Plusieurs décisions rappellent que la séquelle fonctionnelle doit s’objectiver par des signes cliniques. La douleur résiduelle alléguée, sans plus, ne peut constituer une preuve de l’existence d’une séquelle fonctionnelle8. Pour objectiver cette anomalie, cette restriction ou cette réduction d’une structure anatomique donnée, certains signes cliniques sont recherchés. On réfère notamment à la présence d’un spasme résiduel, d’une position antalgique ou d’une diminution des amplitudes articulaires dans plusieurs mouvements9.
__________
7 [1998] C.L.P. 1043.
8 Côté et Brooks Canada inc., [1993] C.A.L.P. 300; Villeneuve et Donohue inc. (Produits forestiers Saucier ltée), [1992] C.A.L.P. 543; Pichette et Cartier Jeep Eagle inc., [1997] C.A.L.P. 1241; Procure Missions étrangères P. Québec et Deschênes, C.L.P. 100331-61-9803, 26 avril 1999, S. Di Pasquale; Tordjman et Versabec inc., [1997] C.A.L.P. 1028.
9 Desmarais et Buroplan inc., C.A.L.P. 69423-60-9505, 23 septembre 1996, M. Cuddihy.
[189] Dans le dossier qui nous concerne, la preuve prépondérante démontre l’absence de séquelles fonctionnelles objectivées permettant la reconnaissance d’un pourcentage de déficit anatomo-physiologique en lien avec la lésion professionnelle subie par le travailleur le 2 septembre 2011.
[190] En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, il y a d’abord lieu de rappeler que cette notion ne doit pas être confondue avec celle de séquelles fonctionnelles. Le tribunal s’exprimait d’ailleurs de la façon suivante à ce sujet dans l’affaire Richard et Fabspec inc.[13] :
Il y a lieu toutefois de distinguer les séquelles fonctionnelles des limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle. Bien que ces expressions ne soient pas définies dans la loi, la jurisprudence élaborée au fil des ans par la C.A.L.P. apporte les distinctions suivantes.
[…]
La limitation fonctionnelle se traduit plutôt par une restriction ou une réduction de la capacité physique ou psychique du travailleur à accomplir normalement une activité quotidienne de nature personnelle ou professionnelle en raison de la lésion professionnelle.
L’octroi de limitations fonctionnelles n’est donc pas subordonné à l’existence de séquelles fonctionnelles compensables en terme d’ankylose structurelle permanente suivant le barème des dommages corporels adopté par règlement. Cette position a été exprimée à maintes reprises par la C.A.L.P., notamment dans l’affaire Brunet et Industries James MacLaren inc. C.A.L.P. 06663-64-8803, 1993-06-02, Anne Leydet, commissaire.
Ainsi, le travailleur dont la lésion professionnelle n’a pas entraîné de déficit fonctionnel objectivable au plan neurologique et à celui des amplitudes articulaires peut malgré tout se voir reconnaître des limitations fonctionnelles si la preuve médicale démontre l’existence de séquelles susceptibles de le restreindre dans sa capacité à accomplir normalement ses activités quotidiennes.
[191] Il est également pertinent de rappeler les propos que tenait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Tessier et Les Équipements Hardy inc.[14] :
[46] Par ailleurs, il est vrai que la douleur demeure un phénomène subjectif, mais il est toujours possible de l’objectiver indirectement en évaluant les déclarations faites par le travailleur aux différents intervenants du milieu médical, en constatant les limites engendrées par cette douleur dans les activités de la vie quotidienne et les tâches domestiques. En fait, l’exigence d’objectiver les limitations fonctionnelles peut être nuancée lorsqu’il faut évaluer la question en pratique4.
[47] Ainsi, l’évaluation des limitations fonctionnelles ne dépend pas strictement du déficit anatomo-physiologique, mais tient compte de la situation particulière d’un travailleur en considérant un ensemble de données dont l’âge du travailleur, les examens cliniques et paracliniques, les rapports de physiothérapie, la présence d’une condition personnelle ou encore les douleurs résiduelles5.
[48] Dans l’affaire Plomberie Laroche inc. et Gagné6, la Commission des lésions professionnelles s’est interrogée sur les moyens d’objectiver la présence de limitations fonctionnelles et sur les limites de l’examen clinique. Elle écrivait ce qui suit :
« [67] Ces avis divergents à partir d’examens cliniques jugés par tous comme étant normaux amènent le tribunal à s’interroger sur les moyens d’objectiver la présence de limitations fonctionnelles et sur les limites de l’examen clinique.
[68] Le tribunal constate que l’examen médical n’implique pas de mise en situation telle la flexion antérieure prolongée, le travail les bras au-dessus de la tête, la posture debout statique prolongée, la marche prolongée, le soulèvement de charges, l’exposition à des vibrations, etc. Or, l’évaluation de la présence de limitations fonctionnelles concerne justement la question de savoir si ces fonctions normales, parmi d’autres, peuvent être accomplies ou si leur accomplissement implique un risque réel de rechute, récidive ou aggravation.
[69] C’est donc dire que l’examen clinique objectif comporte ses propres limites. Pour apprécier la question de l’existence et de l’évaluation des limitations fonctionnelles, le médecin examinateur doit compléter sa recherche de l’information pertinente en obtenant une évaluation de la capacité fonctionnelle du travailleur ou en l’interrogeant sur sa capacité à fonctionner dans les activités de la vie quotidienne, domestique et professionnelle. Il lui faut également considérer les allégations du travailleur quant à l’impact de l’accomplissement de ces activités sur l’évolution de sa condition.
[70] Le médecin examinateur doit ensuite évaluer si les allégations du travailleur sont fiables, cohérentes, concordantes et généralement compatibles avec la pathologie dont il est affecté, ce qui inclut la présence éventuelle d’une condition préexistante à la lésion professionnelle.
[71] Le docteur Grenier et la docteure Lavoie-Ferland ont fait cet exercice d’appréciation. Ils ont tous deux conclu que le travailleur est porteur de limitations fonctionnelles en raison des difficultés qu’il éprouve dans les activités de la vie quotidienne, domestique et professionnelle. »
[Nos soulignements]
[49] Considérant ces données, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que les limitations fonctionnelles octroyées par le docteur Lépine doivent être retenues puisqu’elles tiennent compte des séquelles laissées par la lésion professionnelle du 30 avril 2008 et de la condition personnelle du travailleur.
[50] La soussignée considère que les douleurs chroniques résiduelles présentées par le travailleur sont raisonnablement objectivées. Bien qu’il ne soit pas possible de mesurer la douleur de façon précise, il est possible, par des moyens indirects, de l’objectiver, par exemple lorsqu’il y a une constance dans les déclarations faites par le travailleur aux différents examinateurs7.
[51] À cet égard, le tribunal constate que le travailleur décrit toujours la douleur d’une manière très semblable. Il parle de douleurs augmentées en position statique prolongée de même que par des mouvements répétés de la colonne cervicale. Il répète aux examinateurs que la manipulation de charges augmente les douleurs au niveau du rachis cervical, que ses activités de la vie quotidienne sont limitées depuis l’accident. Les examinateurs notent la présence d’une ankylose résiduelle à la région cervicale.
[52] La crédibilité du travailleur a également son importance lorsqu’il s’agit d’objectiver la douleur. En l’espèce, le tribunal constate que les déclarations du travailleur sont constantes et cohérentes. [sic]
__________
4 Voir note 3.
5 Boulevard Dodge Chrysler Jeep 2000 et Bevilacqua, 207397-72-0305, 26 février 2004, A. Vaillancourt.
6 Voir note 3.
7 Voir note 5.
[192] Afin de déterminer de la pertinence de reconnaître des limitations fonctionnelles, il y a donc lieu de se demander si la preuve est prépondérante pour conclure à la présence d’une restriction ou d’une réduction de la capacité physique du travailleur à accomplir normalement une activité quotidienne, que cette activité soit de nature personnelle ou professionnelle.
[193] Avant d’aller plus loin, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner qu’elle n’a aucune raison de douter des affirmations faites par le travailleur. En effet, la preuve au dossier démontre que celui-ci a rapporté de façon constante les douleurs résiduelles qu’il ressentait, soit des douleurs se situant principalement près de l’omoplate gauche. De plus, le travailleur a constamment indiqué que les douleurs étaient inexistantes au repos, mais qu’elles apparaissaient lors des activités physiques demandant de la force, de l’endurance ou des mouvements répétitifs.
[194] En ce qui concerne la notion de kinésiophobie rapportée par les intervenants du programme de développement des capacités de travail, le tribunal estime qu’elle ne peut l’amener à douter des affirmations du travailleur puisque celle-ci ne fait que traduire une appréhension du travailleur de voir ses douleurs augmentées lors d’activités qu’il croit susceptibles de provoquer une telle augmentation de la douleur.
[195] La Commission des lésions professionnelles estime que la preuve est prépondérante pour démontrer que le travailleur présente une réduction de sa capacité physique à la suite de la lésion professionnelle qu’il a subie. À cet égard, le tribunal remarque que les activités réalisées dans le cadre du programme de développement des capacités de travail démontrent que le travailleur peut effectuer, sur une base fréquente, des manutentions sol-taille de 90 livres, taille-épaule de 40 livres et taille-tête de 35 livres. Le soussigné estime qu’il est des plus probables que les capacités du travailleur étaient supérieures à celles-ci avant la lésion qu’il a subie. En effet, la preuve documentaire et testimoniale démontre que l’emploi de briqueteur-maçon qu’il exerçait depuis de nombreuses années pouvait exiger, de façon fréquente, la manutention de poids supérieurs à 40 livres au-dessus de la hauteur de la taille.
[196] La reconnaissance de limitations fonctionnelles de classe I avec une limite de poids fixée à 20 kilogrammes semble donc représenter fidèlement les capacités physiques résiduelles du travailleur.
[197] En considérant que la Commission des lésions professionnelles retient que le travailleur conserve des limitations fonctionnelles de classe I pour le rachis cervical selon l’échelle de l’IRSST et en considérant que l’employeur a reconnu lors de l’audience que ces limitations sont incompatibles avec l’emploi prélésionnel, il y a donc lieu de conclure que le travailleur ne peut refaire son emploi et qu’il peut bénéficier des mesures de réadaptation professionnelle.
[198] Puisque cette question n’est pas contestée par les parties, il y a également lieu de conclure que l’emploi de mécanicien industriel constitue un emploi convenable pour le travailleur et qu’il peut bénéficier d’un programme de formation permettant de le rendre capable d’exercer cet emploi.
[199] Il reste donc à déterminer le revenu annuel brut que le travailleur peut espérer tirer de cet emploi convenable.
[200] À ce sujet, la CSST a, dans un premier temps, déterminé que le revenu annuel brut de l’emploi convenable devait être estimé à 44 830 $. À la suite d’une révision administrative, elle réduit cependant ce revenu annuel à 34 412,40 $.
[201] Avant tout, il y a cependant lieu de mentionner que lors de l’audience qui s’est tenue le 7 janvier 2014, le soussigné a demandé aux parties de lui faire des représentations afin de déterminer si la décision rendue par la CSST sur cette question était prématurée, puisque le revenu de l’emploi convenable a été évalué avant que le travailleur ne devienne capable de l’exercer, soit avant la fin de sa formation.
[202] Les dispositions législatives pertinentes à la solution de ce litige se trouvent aux articles 49 et 50 de la loi. Ces articles prévoient :
49. Lorsqu'un travailleur incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle devient capable d'exercer à plein temps un emploi convenable, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si cet emploi convenable n'est pas disponible, ce travailleur a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 jusqu'à ce qu'il occupe cet emploi ou jusqu'à ce qu'il le refuse sans raison valable, mais pendant au plus un an à compter de la date où il devient capable de l'exercer.
L'indemnité prévue par le deuxième alinéa est réduite de tout montant versé au travailleur, en raison de sa cessation d'emploi, en vertu d'une loi du Québec ou d'ailleurs, autre que la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 49.
50. Aux fins de déterminer le revenu net retenu que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps, la Commission évalue le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de cet emploi en le situant dans une tranche de revenus et en considérant le revenu inférieur de cette tranche comme étant celui que le travailleur pourrait tirer de cet emploi convenable.
Cependant, si la Commission croit que le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de l'emploi convenable qu'il devient capable d'exercer à plein temps est supérieur au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66, elle considère que ce revenu brut annuel est égal au maximum annuel assurable.
La Commission publie chaque année à la Gazette officielle du Québec la table des revenus bruts annuels d'emplois convenables, qui prend effet le 1er janvier de l'année pour laquelle elle est faite.
Cette table est faite par tranches de revenus dont la première est d'au plus 1 000 $ à partir du revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur le 1er janvier de l'année pour laquelle la table est faite, la deuxième de 2 000 $ et les suivantes de 3 000 $ chacune jusqu'au maximum annuel assurable établi en vertu de l'article 66 pour cette année.
Le revenu supérieur de la première tranche de revenus est arrondi au plus bas 500 $.
__________
1985, c. 6, a. 50.
[203] On constate donc à la lecture de l’article 49 de la loi que l’indemnité de remplacement du revenu que reçoit un travailleur sera réduite du revenu net retenu qu’il pourrait tirer de l’emploi convenable qu’il devient capable d’exercer à temps plein. Le deuxième alinéa de cet article prévoit cependant qu’un travailleur a droit à la poursuite d’une pleine indemnité de remplacement du revenu pendant une période maximale d’un an si l’emploi convenable n’est pas disponible au moment où il devient capable de l’exercer.
[204] Afin de déterminer le revenu net retenu qu’un travailleur peut tirer de l’emploi convenable qu’il devient capable d’exercer à plein temps, il y a lieu de référer aux dispositions de l’article 50 de la loi. Cet article prévoit que la CSST doit alors évaluer le revenu brut annuel que le travailleur pourrait tirer de cet emploi.
[205] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la lecture combinée de ces deux articles doit l’amener à conclure que l’évaluation du revenu annuel brut que le travailleur pourrait tirer d’un emploi convenable doit se faire au moment où il devient capable de l’exercer à plein temps.
[206] Lorsque la CSST détermine un emploi convenable et que cet emploi ne nécessite aucun programme de formation, le travailleur devient alors capable d’exercer l’emploi convenable immédiatement et la CSST doit alors évaluer le revenu annuel brut que celui-ci pourrait tirer de cet emploi.
[207] Cependant, lorsque la CSST détermine un emploi convenable qui nécessite un programme de formation, comme c’est le cas en l’espèce, le travailleur devient capable d’exercer l’emploi convenable seulement à la fin du programme de formation qui lui a été offert. Dans un tel cas, le revenu annuel brut qu’il pourrait tirer de l’emploi convenable doit être évalué seulement lorsqu’il devient capable d’exercer l’emploi convenable préalablement déterminé.
[208] Il est d’ailleurs logique de conclure qu’une telle évaluation du revenu annuel brut doit se faire seulement au moment où le travailleur devient capable d’exercer à plein temps l’emploi convenable déterminé. Nous n’avons qu’à penser à un emploi convenable qui nécessiterait une période de formation relativement longue. Dans un tel cas, il est raisonnable de penser que le marché du travail peut très bien évoluer durant la durée de la formation et que le revenu de cet emploi risque également de fluctuer en conséquence.
[209] Cette conclusion relativement au moment où doit être évalué le revenu annuel brut d’un emploi convenable a d’ailleurs été retenue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Frenière et Gastier Mécanique inc.[15] :
[50] Toujours, en ce qui concerne la question du revenu annuel, la Commission des lésions professionnelles note que le moment de décider du revenu annuel de l’emploi convenable n’est pas encore venu.
[51] Tel que déjà indiqué plus haut, la CSST doit maintenant déterminer quelles mesures sont encore nécessaires pour rendre le travailleur capable d’exercer l’emploi dont il s’agit. Ainsi, tant que le travailleur ne sera pas apte à occuper cet emploi, il faudra attendre avant de fixer le revenu annuel.
[52] En effet, il y a lieu de rappeler que, selon le premier alinéa de l’article 50 de la loi, la CSST détermine le revenu annuel que le travailleur pourrait tirer de l’emploi convenable lorsqu’il « devient capable de l’exercer ».
[…]
[54] En l’espèce, faut-il le répéter, le travailleur a bénéficié d’une assez longue période de formation qui n’a cependant pas suffi à le rendre capable d’exercer l’emploi. Il faut vraisemblablement continuer cette formation et, entre temps, il s’est écoulé une longue période de temps pendant laquelle les parties ont exercé leurs divers recours. On sait bien qu’après quelques années, le marché du travail et par conséquent, le niveau du revenu annuel que le travailleur pourrait tirer de l’emploi convenable risque fort d’être différent de celui d’hier et d’aujourd’hui.
[55] Le tribunal retournera donc à la CSST le dossier sous cet aspect pour qu’elle procède à une évaluation du revenu annuel lorsque le travailleur sera enfin apte à occuper l’emploi convenable d’estimateur. [sic]
[210] En conséquence de ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles conclut que la décision de la CSST déterminant le revenu annuel brut de l’emploi convenable, qui servira au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu réduite à laquelle le travailleur aura droit, est prématurée. Il y a donc lieu d’annuler cette décision.
[211] Avant de conclure et sans vouloir s’immiscer dans la décision que la CSST devra rendre à ce sujet lorsque le travailleur deviendra capable d’exercer l’emploi convenable de mécanicien industriel, la Commission des lésions professionnelles tient à souligner que la méthode adoptée par la réviseure de la CSST lui semble plus compatible avec les dispositions de la loi puisqu’elle évite de surévaluer le revenu annuel dudit emploi.
[212] À ce sujet, le tribunal tient à préciser qu’il considère plus conforme aux dispositions de la loi de ne pas surévaluer le revenu annuel de l’emploi convenable, puisque les dispositions de l’article 54 de la loi permettront à la CSST de réduire l’indemnité de remplacement du revenu réduite qui est versée à un travailleur si, lors de la révision de son indemnité, celui-ci gagne un revenu supérieur à celui estimé. Rappelons que la situation inverse n’est pas possible, puisque l’indemnité ne peut être augmentée si le revenu réel qu’un travailleur gagne est inférieur à celui estimé.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 479797-64-1208
REJETTE la requête de Maçonnerie André Desfossés inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les diagnostics à retenir en lien avec l’accident du travail subi le 2 septembre 2011 par monsieur Rémi Truchon, le travailleur, sont une entorse cervico-dorsale et une contusion cervico-dorsale;
DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en regard de ces diagnostics;
DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par le travailleur est consolidée en date du 14 août 2012 et que les soins et traitements étaient justifiés jusqu’à cette date;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail était justifiée de payer les soins et traitements jusqu’au 14 août 2012;
Dossier 489131-64-1211
REJETTE la requête de Maçonnerie André Desfossés inc., l’employeur;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 5 novembre 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Rémi Truchon, le travailleur, a droit à des mesures de réadaptation professionnelle en vue d’assurer son retour en emploi.
Dossiers 505693-64-1303 et 505966-64-1303
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Rémi Truchon, le travailleur;
ACCUEILLE en partie la requête de Maçonnerie André Desfossés inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 13 mars 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que c’est irrégulièrement que le dossier du travailleur a été soumis au Bureau d’évaluation médicale;
ANNULE en conséquence l’avis rendu le 19 février 2013 par le docteur Jacques Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, ainsi que les décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 février 2013 donnant suite à cet avis du Bureau d’évaluation médicale;
DÉCLARE que le travailleur ne conserve pas d’atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique à la suite de la lésion professionnelle du 2 septembre 2011 et qu’il n’a donc pas droit à une indemnité pour préjudice corporel;
DÉCLARE que le travailleur conserve les limitations fonctionnelles décrites par le docteur Ashwin M. Sairam dans son rapport médical final, soit des limitations de classe I pour le rachis cervical selon l’échelle de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST), en précisant que la limite de poids doit être établie à 20 kilogrammes;
DÉCLARE que l’emploi de mécanicien industriel constitue un emploi convenable pour le travailleur et qu’il a droit à une mesure de réadaptation professionnelle pour le rendre capable d’exercer cet emploi, soit une formation menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles en mécanique industrielle de construction et d’entretien;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la poursuite du versement d’une indemnité de remplacement du revenu;
Dossiers 510026-64-1305 et 511415-64-1305
ACCUEILLE en partie la requête de Maçonnerie André Desfossés inc., l’employeur;
ACCUEILLE en partie la requête de monsieur Rémi Truchon, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 avril 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il est prématuré d’établir le revenu annuel brut que le travailleur pourra tirer de l’emploi convenable de mécanicien industriel;
RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin que celle-ci rende une nouvelle décision concernant le revenu annuel brut de l’emploi convenable lorsque le travailleur deviendra capable d’exercer à plein temps ledit emploi.
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Michel Letreiz |
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Me Claire Fournier |
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A.P.C.H.Q. - BOIVIN & ASSOCIÉS |
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Représentante de l’employeur |
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Me François Parizeau |
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TURBIDE, LEFEBVRE, ROY |
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Représentant du travailleur |
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Me Josée Blain-Landreville |
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VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
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Représentante de la CSST |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] C.L.P. 363467-63-0811, 19 novembre 2009, D. Therrien.
[3] Colgan et C.A. Champlain Marie-Victorin et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.A.L.P. 22005-60-9009, 24 juillet 1992, J. L’Heureux; Tremblay et Machinerie d’emballage Starview inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, C.L.P. 211642-72-0307, 4 novembre 2003, M.Denis; Bussières et Abitibi Consolidated (division La Tuque), C.L.P. 215582-04-0309, 13 avril 2004, S. Sénéchal; Équipement Sanitaire Cherbourg 1977 et Jacques, 2012 QCCLP 2866
[4] C.L.P. 233087-04-0404, 8 juin 2005, J.-F. Clément.
[5] C.L.P. 108077-62-9812, 8 mars 1999, L. couture.
[6] RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[7] Précitée, note 3.
[8] C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, requête en révision rejetée, 13 juillet 2007, C.-A. Ducharme.
[9] Précitée, note 4.
[10] Précité, note 6.
[11] Précité, note 6.
[12] Précitée, note 3.
[13] C.L.P. 106190-62B-9810, 23 décembre 1998, G. Marquis.
[14] C.L.P. 390259-31-0910, 1er septembre 2010, M. Beaudoin.
[15] C.L.P. 222382-71-0312, 20 juillet 2005, B. Roy.
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