Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Saguenay-

Lac-Saint-Jean

CHICOUTIMI, le 28 MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

143389-02-0007

DEVANT LE COMMISSAIRE :

Me ROBERT DERAICHE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉ DES MEMBRES :

JACQUES G. GAUTHIER

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

ÉTIENNE GIASSON

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

117878835

AUDIENCE TENUE LE :

1er MAI 2002

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

CHICOUTIMI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

YVES BERNIER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COOPÉRATIVE FORESTIÈRE LATERRIÈRE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 25 juillet 2000, monsieur Yves Bernier (le travailleur) dépose au greffe de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 juillet 2000.

[2]               Par cette décision, la CSST confirmait la décision initiale rendue le 31 mars 2000, refusant la réclamation du travailleur présentée le 9 mars 2000

[3]               Lors de l'audience, le travailleur était présent et représenté par monsieur Carol Gobeil. L'employeur était représenté par monsieur Jacques Boivin et Me France Bergeron et la CSST était absente et non représentée.

OBJET DU LITIGE

 

 

[4]               Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure que le diagnostic d'arthrose en L4-L5 et L5-S1 ainsi que celui de dérangement intervertébral mineur (DIM) sont en relation avec le travail de bûcheron qu'il a effectué.

QUESTION PRÉLIMINAIRE

 

 

[5]               La procureure de l'employeur soulève une question préliminaire en regard de l'article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi) (LATMP) qui prévoit :

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

________

1985, c. 6, a. 272.

 

 


[6]               Elle soumet que le travailleur a pris connaissance de la relation entre sa maladie et son travail de bûcheron lors d'une consultation médicale auprès du Dr Gaudreault en novembre 1996. N'ayant pas présenté sa réclamation dans les six mois suivant cette visite, Me Bergeron conclut que le tribunal doit rejeter la réclamation du mois de mars 2000 puisque présentée en dehors des délais prévus à la loi.

LES FAITS

 

 

[7]               Monsieur Bernier témoigne que lors de la visite du 6 novembre 1996, son médecin ne lui a pas parlé que son arthrose était en relation avec son travail. De plus, il confirme que Monsieur Trudeau, chiropraticien, lui a parlé d'usure à la colonne lorsqu'il l'a consulté pour des traitements.

[8]               Au dossier administratif, il apparaît que l'arthrose dont est atteint Monsieur Bernier était déjà présente lors de la consultation médicale avec le Dr Gaudreault tel qu'il appert à l'attestation médicale du 21 août 1985.

[9]               Aux notes médicales du 6 novembre 1996, le Dr Gaudreault mentionne la présence d'arthrose et note que Monsieur Bernier travaille comme abatteur.

AVIS DES MEMBRES

 

 

[10]           Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter le moyen préliminaire soulevé par l'employeur, car la prépondérance de la preuve ne démontre pas que le travailleur savait, au mois de novembre 1996, que la maladie dont il est atteint était en relation avec son travail.

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE

[11]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la réclamation du travailleur a été présentée dans le  délai prévu par la loi. Si tel n'est pas le cas, est-ce que  le travailleur avait un motif raisonnable de présenter sa réclamation en dehors des délais prévus à la loi?

[12]           L'article 272 de la loi prévoit donc :

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 


La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

________

1985, c. 6, a. 272.

 

[13]           Par contre, l’article 429.19 prévoit qu’une partie peut être relevée de son défaut d'avoir produit une réclamation en dehors des délais prévus à la loi si elle démontre qu'elle avait un motif raisonnable expliquant cette situation.

429.19. La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle - ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[14]           Le tribunal retient les principes généraux suivants régissant l'interprétation de l'article 272 de la loi.

[15]           Premièrement, il est reconnu par les tribunaux supérieurs que la loi doit être interprétée de façon large et libérale[2]. Plus que toute autre disposition de la loi, l'article 272 doit bénéficier d'une telle interprétation, puisque d'une part, cette disposition prévoit la déchéance d'un droit si le travailleur ne présente pas sa réclamation dans le délai prescrit de six mois et que, d'autre part, elle concerne spécifiquement le travailleur atteint d'une maladie professionnelle.

[16]           Cette caractéristique est importante puisque ce genre de lésion professionnelle apparaît souvent de façon graduelle après que le travailleur ait été exposé à des conditions favorisant le mécanisme de production d'une telle lésion. De plus, les séquelles d'une maladie professionnelle sont souvent permanentes, ce qui a des conséquences sur la qualité de vie future du travailleur.

[17]           Deuxièmement, le tribunal considère que l'article 272 doit être interprété de façon à ce que l'objet de la loi soit atteint. Ainsi, l'objet de la loi est prévu à l'article 1 qui énonce  :

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

________

1985, c. 6, a. 1.

 

 

[18]           L'objet de la loi étant de réparer les lésions professionnelles et les conséquences en découlant, une interprétation restrictive de l'article 272 aurait comme conséquence d'empêcher le travailleur d'obtenir réparation de sa lésion, ce qui n'est sûrement pas l'objectif poursuivi par le législateur.

[19]           Troisièmement, l'interprétation de la disposition prévue à l'article 272 de la loi doit s'effectuer en considérant le principe directeur édicté à l'article 41 de la Loi d'interprétation prévoyant :

41. Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.

Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

41.1. Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.

 

[20]           Ainsi, l'article 272 apparaît à la section CHAPITRE VIII : PROCÉDURE DE RÉCLAMATION ET AVIS de la loi qui comprend les articles 265 à 280. C'est donc en interrelation des uns et des autres que les articles de ce chapitre doivent être lus, le tout en conformité avec l'objet de la loi prévu à son article 1.

[21]           Ainsi, les articles 270 et 271 de la loi traitent de la notion de lésion professionnelle, notion qui, rappelons-le, est définie à l'article 2 :

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation ;

 

 

[22]           Les termes apparaissant à la définition de lésion professionnelle comprennent celui de la maladie professionnelle. C'est donc dire que ces articles s'appliquent aussi aux maladies professionnelles, puisque si le législateur avait voulu exclure celles-ci de l'application des articles 270 et 271 de la loi, il l'aurait mentionné expressément.

[23]           À l'article 270 de la loi, le législateur a prévu les modalités d'application dans le cas où la lésion professionnelle deviendrait invalidante pour une période de plus de 14 jours. Ainsi :

270. Le travailleur qui, en raison d'une lésion professionnelle, est incapable d'exercer son emploi pendant plus de 14 jours complets ou a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ou, s'il décède de cette lésion, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la lésion ou du décès, selon le cas.

 

L'employeur assiste le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, dans la rédaction de sa réclamation et lui fournit les informations requises à cette fin.

 

Le travailleur ou, le cas échéant, le bénéficiaire, remet à l'employeur copie de ce formulaire dûment rempli et signé.

________

1985, c. 6, a. 270.

 

 

[24]           Il appert de cet article, que le travailleur est en arrêt de travail à cause de sa lésion professionnelle. À ce moment, il est évident qu'il a un intérêt à recevoir les indemnités prévues à la loi pour remplacer le revenu perdu, donc un intérêt réel et actuel à présenter sa réclamation dans les six mois de cet arrêt de travail.

[25]           Quant à l'article 271 de la loi, il s'agit du cas où la lésion professionnelle ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle sa lésion s'est manifestée. Ainsi, :

271. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui ne le rend pas incapable d'exercer son emploi au‑delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion ou celui à qui aucun employeur n'est tenu de verser un salaire en vertu de l'article 60, quelle que soit la durée de son incapacité, produit sa réclamation à la Commission, s'il y a lieu, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de sa lésion.

 

________

1985, c. 6, a. 271.

 

            (Nous soulignons)

 

 

[26]           À ce moment, l'employeur doit verser au travailleur, l'indemnité prévue à l'article 59 de la loi :

59. L'employeur au service duquel se trouve le travailleur lorsqu'il est victime d'une lésion professionnelle lui verse son salaire net pour la partie de la journée de travail au cours de laquelle ce travailleur devient incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, lorsque celui‑ci aurait normalement travaillé pendant cette partie de journée, n'eût été de son incapacité.

 

L'employeur verse ce salaire au travailleur à l'époque où il le lui aurait normalement versé.

________

1985, c. 6, a. 59.

 

 

[27]           Il appert donc de l'expression « s'il y a lieu » de l'article 271 de la loi, que le législateur a prévu certains cas où il n'y aurait pas de production de réclamation, notamment lorsqu'il ne résulte aucune séquelle de la lésion professionnelle au-delà de la journée ou dans les cas où il n'y a rien à réclamer. Il est évident que le législateur n'a pas voulu faire perdre des droits à un accidenté du travail s'il fait cette option, c'est-à-dire de ne pas présenter de réclamation puisqu'il n'a rien à réclamer.

[28]           De plus, comme le mentionnait la commissaire Michèle Carignan dans la décision Société canadienne des postes et Turcotte[3], la loi n'oblige sûrement pas un travailleur à faire une réclamation dans le but de se protéger d'un accident ou d'une maladie professionnelle futur.

[29]           Donc, dans le cas prévu à l'article 271, le travailleur n'est pas lésé quant à une éventuelle perte de salaire. Son intérêt n'est donc pas réel et actuel, à tout le moins en ce qui concerne une réclamation salariale. Il est évident que tout travailleur a intérêt à déclarer à son employeur sa lésion professionnelle pour fin de protection future. D'ailleurs, la loi prévoit à l'article 265, que le travailleur doit :

265. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ou, s'il est décédé ou incapable d'agir, son représentant, doit en aviser son supérieur immédiat ou, à défaut, un autre représentant de l'employeur, avant de quitter l'établissement lorsqu'il en est capable, ou sinon dès que possible.

________

1985, c. 6, a. 265.

 

 

[30]           L'omission de faire cette déclaration n'est toutefois pas fatale au droit du travailleur de faire reconnaître ultérieurement sa lésion comme étant une lésion professionnelle. Par contre, la déclaration tardive d'une lésion professionnelle alourdit son fardeau de preuve lorsqu'il fera une réclamation, le cas échéant.

[31]           C'est donc en relation avec les règles précitées que le tribunal conclut comme suit.

[32]           L'article 272 de la loi prévoit que :

1.                  Le travailleur doit être atteint d'une maladie ;

 

2.                  Cette maladie doit être qualifiée de professionnelle, c'est-à-dire en relation avec le travail effectué ;

 

3.                  Il doit être porté à la connaissance du travailleur que cette maladie est professionnelle;

 

4.                  Un délai de six mois est prévu de la connaissance de cette maladie pour produire sa réclamation.

 

 

[33]           Dans un premier temps, le tribunal considère que le choix des termes utilisés par le législateur, soit « maladie professionnelle » et « dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur (...) que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle », implique nécessairement l'intervention d'un tiers. Ce tiers doit être un professionnel de la santé puisqu'il est question de « maladie professionnelle » et que se sont les seules personnes habilitées à poser des diagnostics de cette nature.

[34]           Quant à savoir si le diagnostic doit être certain, chaque cas étant un cas d'espèce, le tribunal devra apprécier si le délai encouru résultant de la nécessité de subir des examens spécifiques constitue un motif raisonnable pour être relevé du défaut d'avoir produit sa réclamation en dehors des délais prescrits par la loi. Ainsi, selon les circonstances, un diagnostic devra avoir un degré de certitude, notamment lorsque la nature de la maladie exige des examens spécifiques pour conclure à son diagnostic ou lorsqu'il y a présence de plusieurs pathologies pouvant influencer le diagnostic de maladie professionnelle à être émis.

[35]           Enfin, en conformité avec l'article 271 de la loi, le travailleur doit avoir un intérêt réel et actuel à présenter sa réclamation.

[36]           Le tribunal, avec respect pour les opinions contraires, considère donc que l'article 272 de la loi doit être interprétée de la façon suivante :

1.                  La maladie doit être diagnostiquée par un professionnel de la santé et ce dernier doit porter à la connaissance du travailleur, la relation possible entre la maladie et le travail effectué;

2.                  Lorsque le travailleur est informé de cette condition, il peut attendre d'avoir un intérêt réel et actuel pour présenter sa réclamation à la CSST. C'est à ce moment que commence à courir, le délai de six mois pour produire une réclamation.

[37]           Dans le cas soumis, la preuve démontre que le travailleur n'avait pas la connaissance requise pour établir la relation entre la maladie diagnostiquée et son travail. De plus, Monsieur Bernier était à l'emploi jusqu'au moment de sa mise à pied le 14 février 2000.

[38]           En conclusion, le tribunal considère que la prépondérance de la preuve ne démontre pas que le travailleur avait la connaissance nécessaire de la relation entre sa maladie et le travail effectué. De plus, Monsieur Bernier n'avait aucun intérêt réel et actuel lui permettant de produire sa réclamation puisque toujours au travail.


PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE le moyen préliminaire soulevé par Coopérative Forestière Laterrière (l'employeur), et ;

DÉCLARE que monsieur Yves Bernier (le travailleur) a produit sa réclamation dans les délais prévus à la loi.

SUR LA QUESTION DE FONDS

LES FAITS

[39]           Monsieur Bernier témoigne qu'il exerce le métier de bûcheron depuis 1968. Il a travaillé pour l'Abitibi Consolidated, la Donahue, et a débuté son l'emploi pour la Coopérative Forestière Laterrière vers la fin des années 1970.

[40]           Il a travaillé comme bûcheron utilisant principalement une scie mécanique et ce, jusqu'au mois de juin 1999. De juillet à octobre 1999, Monsieur Bernier occupera le poste de transporteur de bois. Il dira qu'il n'a pas beaucoup travaillé durant cette période puisque la machinerie était souvent brisée. De décembre 1999 au mois de février 2000, il sera pileur de bois.

[41]           La moyenne d'heures hebdomadaires à ces postes de travail variera entre 45 et 47 pour des périodes de 10 semaines.

[42]           Monsieur Bernier mentionne que le métier de bûcheron est un travail dur. En 1985, il a subi un accident du travail lorsqu'il est tombé sur le dos. Il mentionne que la douleur a disparu après son accident, mais au cours des années qui ont suivi, il a eu des épisodes de douleurs qui apparaissaient et se résorbaient. Il a toujours continué à travailler malgré la présence de ces douleurs.

[43]           En 1998, il a dû abandonner son métier de bûcheron car le travail était devenu trop ardu pour lui. Lorsqu'il a été attitré au poste de pileur, les douleurs sont devenues plus intenses. Il déclare qu'à ce poste de travail, il y avait des rotations entre les travailleurs, mais que ce n'était que la dimension du bois à piler qui changeait et non pas le travail.

[44]           Le tribunal a reçu le témoignage de monsieur Jacques Boivin, représentant de l'employeur, et retient essentiellement les faits suivants.

[45]           Le travailleur a été mis à pied pour manque de travail le 14 février 2000. À la suite d'un appel téléphonique, Monsieur Boivin avise le travailleur que, pour compléter une réclamation à la CSST, ce dernier doit avoir une attestation médicale. Le 9 mars 2000, Monsieur Boivin aide le travailleur à rédiger sa réclamation. Il témoigne qu'il a écrit ce que le travailleur lui a déclaré.

[46]           Le dossier administratif révèle les faits suivants.

[47]           Monsieur Bernier a subi un accident du travail le 9 août 1985 dont le diagnostic est une entorse lombaire sans signe de déficit neurologique. Une attestation médicale datée du 21 août 1985, signée par le Dr Gaudreault, mentionne comme diagnostic, celui d'entorse lombaire ainsi que la présence d'arthrose lombaire. Un billet médical non daté prescrivant des soins chiropratiques et un reçu de monsieur Roger Trudeau, chiropraticien, daté du 30 août 1985 démontrent que Monsieur Bernier a effectivement reçu ces soins.

[48]           Une radiographie du 21 février 2000 révèle la présence d'une spondylose déformante en L2-L3 ainsi qu'une roto-scoliose.

[49]           Le Dr Déry signe un rapport médical le 3 avril 2000 et émet un diagnostic de DIM lombaire. Il recommande de la physiothérapie.

[50]           À un formulaire présenté à la compagnie d'assurance SSQ daté du 30 mai 2000, le diagnostic principal retenu par le Dr Couture est celui d'arthrose vertébrale sévère. Ce même diagnostic sera retenu aux différents formulaires produits ultérieurement.

[51]           Aux notes médicales du 5 mai 2000, le Dr Gaudreault mentionne «lombalgies depuis décembre probablement reliées au travail en rapport avec le bois» et émet le diagnostic de DIM lombaire sans déficit neurologique.

[52]           Aux notes médicales du 23 mai 2000, du Dr Louis-René Bélanger, orthopédiste, mentionne une condition d'arthrose lombaire diffuse sans possibilité d'intervention chirurgicale.

[53]           Le 21 août 2000, le Dr Paul-O Nadeau, chirurgien-orthopédiste, expertise le travailleur à la demande de l'employeur et conclut à un diagnostic d'arthrose lombaire.

[54]           Le Dr Michel Blanchette voit le travailleur le 8 décembre 2000, dans le cadre d'une évaluation de sa capacité à reprendre un travail rémunérateur en regard des indemnités versées par l'assureur. Les conclusions sont à l'effet que Monsieur Bernier est atteint d'une spondylarthrose multi-étagée et il fixe des limitations fonctionnelles de grade I. Il mentionne que le travailleur n'est pas totalement invalide et qu'il peut effectuer un travail respectant ses limitations.


[55]           Au rapport radiologique de la tomodensitométrie du 2 août 2001, il est mentionné :

«Niveau L3-L4 :

Légère diminution de la hauteur de ce disque. Bombement discal circonférentiel sans hernie discale focale visualisable. Le canal spinal demeure de bon calibre de même que les foramens de conjugaison. Pas d'évidence de compression radiculaire. Légère arthrose facettaire.

Niveau L4-L5 :

Diminution de la hauteur du disque secondaire à des phénomènes de discopathie chronique. Il existe un léger bombement discal circonférentiel associé sans hernie discale focale identifiable. On note de l'ostéophytose postérieure au corps vertébral de L4 et s'étendant au foramen de conjugaison, pouvant entraîner une irritation radiculaire. Le foramen de conjugaison n'est diminué en taille de façon très significative. Le canal spinal demeure de calibre normal. Arthrose facettaire modérée.

Niveau L5-S1 :

La hauteur du disque est relativement bien préservée. Il n'y a pas d'évidence de hernie discale ni de sténose spinale ou foraminale. Il existe de l'arthrose facettaire au moins modérée de façon un peu plus marquée à gauche qu'à droite. On note également de légères modifications dégénératives au niveau des articulations sacro-iliaques de façon bilatérale qui montrent des phénomènes de sclérose dans leur portion antérieure.» [sic]

[56]           Le 9 janvier 2002, le Dr Naji Abinader, chirurgien-orthopédiste, évalue Monsieur Bernier à sa demande. Il écrit :

«L'examen objectif actuel nous permet d'identifier chez M. Bernier un problème d'arthrose lombaire diffus.

L'événement original du mois d'août 85 a été diagnostiqué comme entorse lombaire et l'étude du dossier permet de confirmer ce diagnostic.

Entre 1985 et 1999, il y a eu des lombalgies récidivantes avec symptomatologie de plus en plus importante et de plus en plus incapacitante.

Le diagnostic d'arthrose lombaire a été identifié vers 1997.

La question principale dans ce dossier est : Est-ce qu'il y a une relation entre l'événement initial de 85 avec entorse lombaire traumatique et l'arthrose lombaire actuelle.

En général, l'arthrose peut être primaire donc sans cause traumatique ou secondaire suite à un traumatisme.

Il est facile d'établir le lien entre l'arthrose secondaire et le traumatisme initial quand ce dernier provoque une lésion objective, exemple une fracture, une atteinte articulaire, un écrasement d'un corps vertébral ou un spondylolyse ou une hernie discale.

Par contre, il reste une catégorie de traumatismes qui peuvent provoquer un dérangement inter-vertébral mineur sans évidence de lésion organique identifiable aux examens précoces. Cette pathologie bien reconnue dans la littérature scientifique, par contre elle est très difficile à prouver par un examen objectif.

Ce dérangement inter-vertébral post-traumatique peut conduire après plusieurs années vers une arthrose inter-vertébral.

Entre l'événement initial et l'identification de l'arthrose, les examens paracliniques ne peuvent pas identifier cette pathologie et prédire son pronostic.

Dans le cas de M. Bernier. Le traumatisme initial, chute sur le dos, atterrissage sur une souche, donc traumatisme direct en hyperextension de la colonne lombaire peut provoquer un dérangement inter-vertébral au niveau capsulaire et ligamentaire sans lésion organique objectivable et avoir dégénéré de façon lente et progressive vers l'arthrose inter-vertébral.

Malheureusement, mis à part le traumatisme initial et l'histoire naturelle favorable, je n'ai aucun élément objectif pour appuyer mon opinion.

Il n'y a pas d'autres diagnostics à retenir dans ce dossier. » [sic]

[57]           Il conclut en octroyant 2 p. cent pour séquelles d'entorse lombaire et fixe des limitations fonctionnelles.

AVIS DES MEMBRES

 

 

[58]           Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter la requête en contestation du travailleur aux motifs exprimés à la décision.


MOTIFS DE LA DÉCISION

 

 

[59]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si les diagnostics émis soit celui d'arthrose et celui de dérangement intervertébral mineur sont en relation avec le travail effectué par Monsieur Bernier et, en conséquence, sont des maladies professionnelles.

[60]           La loi prévoit à son article la définition d'une maladie professionnelle :

« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;

 

 

[61]           Par ailleurs, l'article 29 de la loi prévoit une présomption permettant de faciliter la preuve du travailleur. Ainsi :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[62]           Dans le présent dossier, les diagnostics retenus ne sont pas énumérés dans l'annexe I de la loi. En conséquence, il ne peut y avoir application de la présomption en faveur du travailleur.

[63]           Le tribunal doit donc analyser le présent dossier sous l'angle de l'article 30 de la loi :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[64]           Il existe deux possibilités pour le travailleur, de voir sa réclamation acceptée soit en démontrant que les maladies dont il est atteint sont caractéristiques de son travail, soit en démontrant que ses maladies ont été contractées à cause des risques particuliers reliés à son travail de bûcheron.

[65]           Lors de l'audience, aucune preuve ne fut soumise en ce qui a trait à l'hypothèse que la maladie soit caractéristique du travail de bûcheron. Habituellement, la preuve doit être faite  par des études épidémiologiques démontrant que ce travail engendre, chez d'autres travailleurs, la même pathologie.

[66]           Reste à analyser le dossier sous l'angle des risques particuliers reliés au travail de bûcheron.

[67]           Le témoignage de Monsieur Bernier est à l'effet qu'il a toujours effectué son travail malgré la présence de douleurs. Ce travail est manuel et exigeant. Il considère que c'est le travail qui est responsable de son état actuel.

[68]           Le premier constat que fait le tribunal est à l'effet que le diagnostic d'arthrose  se réfère habituellement à une pathologie dont l'origine est reliée à une condition personnelle. L'arthrose se définit comme étant une affectation articulaire caractérisée par des lésions dégénératives des articulations associée à une prolifération du tissu osseux sous-jacent.

[69]           Comme l'explique le Dr Abinader dans son évaluation, les causes de cette maladie peuvent être associées à un traumatisme sévère au niveau des articulations ou de la colonne vertébrale.

[70]           Ce que soumet l'expert du travailleur, c’est que le traumatisme du mois d'août 1985 a causé une lésion qui est responsable de l'apparition de l'arthrose. Cette prétention ne peut être retenue, puisque selon une des prémices de son évaluation, le Dr Abinader prétend que l'arthrose est apparue vers 1997. Or, il appert au dossier médical que la présence d'arthrose était déjà notée par le Dr Gaudreault  le 21 août 1985. Tel que le mentionne le Dr Abinader, l'arthrose est une maladie qui se développe lentement. Il est donc impossible que l'accident survenu le 9 août 1985 ait pu faire apparaître l'arthrose dans un si court temps, soit entre le 9 août et le 21 août 1985. Il faut donc en déduire que M. Bernier était déjà atteint de cette maladie lorsqu'il a subi son accident du travail au mois d'août 1985.

[71]           Le tribunal ne peut donc retenir le diagnostic d'arthrose comme étant causé par l'accident du 9 août 1985 ni par les risques particuliers reliés au travail de bûcheron puisque aucune preuve ne fut soumise démontrant que le travail de bûcheron est responsable de l'apparition de l'arthrose.

[72]           Concernant le diagnostic de dérangement intervertébral mineur, le Dr Abinader mentionne :

«Ce dérangement inter-vertébral post-traumatique peut conduire après plusieurs années vers une arthrose inter-vertébral» [sic]

[73]           Pour causer une arthrose intervertébrale, il faut donc que le DIM soit présent depuis plusieurs années en plus d'être d'origine traumatique. Rien ne soutient cette prétention au niveau de la preuve médicale au dossier. En effet, le diagnostique de DIM est posé pour la première fois le 18 février 2000 par le Dr Déry. Selon les dires mêmes du Dr Abinader, cette maladie ne peut avoir causé l'arthrose que si sa présence date de plusieurs années, ce qui n'est pas le cas dans le présent dossier.

[74]           Enfin, même le Dr Abinader ne retient pas ce diagnostic. En effet, il conclut  à son évaluation, à des séquelles d'entorse lombaire et il fixe une atteinte de 2 p. cent et des limitations fonctionnelles.

[75]           En conclusion, la prépondérance de preuve ne permet pas de conclure que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle dont les diagnostiques sont de l'arthrose vertébrale et un dérangement intervertébral mineur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en contestation de monsieur Yves Bernier (le travailleur);

CONFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 juillet 2000, et :

DÉCLARE que le travailleur n'est pas atteint d'une maladie professionnelle.

 

 

 

 

ROBERT DERAICHE

 

Commissaire

 

 

 

 

 

 

CABINET CONSULTATOIN ET EXPERTISE

(Carol Gobeil)

109A, rue Béthany

Lachute (Québec) J8H 2L2

 

Représentant de la partie requérante

 

 

 


 

CAIN, LAMARRE, CASGRAIN, WELLS

(Me France Bergeron)

255, rue Racine Est, bureau 600 C.P. 5420

Chicoutimi (Québec) G7H 6J6

 

Représentant de la partie intéressée

 

 

 

 



[1]          L.R.Q., chapitre A-3.001.

[2].          Betts et Gallant c. Workmen's Compensation Board, [1934] 1 D.L.R. 438 (C.S.C.);

Workmen's Compensation Board c. Theed, [1940] R.C.S. 553;

Deschênes et Société canadienne de métaux Reynolds ltée, [1989] C.A.L.P. 300 , requête en évocation rejetée, [1989] C.A.L.P. 891 (C.S.);

Antenucci c. Canada Steamship Lines inc., [1991] R.J.Q. 968 (C.A.). Québec téléphone c. C.A.L.P., [1990] C.A.L.P. 1099 (C.S.).

 

[3].          52299-03-9307, 95-08-18, M. Carignan, (décision sur requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Québec 200-05-002529-951, 96-08-12, j. Alain, (J8-07-08).

 

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