Marcille et CPE Tchou-Tchou |
2008 QCCLP 4306 |
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[1] Le 21 novembre 2006, madame Lesley Marcille (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue le 31 octobre 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 23 août 2006 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] À l’audience qui a eu lieu à Montréal, le 11 avril 2008, la travailleuse était présente mais elle n’était pas représentée. C.P.E. Tchou-Tchou (l’employeur) était représenté par Me Laure Tastayre.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’elle a été victime d’une maladie professionnelle soit une dysphonie causée par des nodules aux cordes vocales.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la preuve médicale soumise par la travailleuse démontre que la dysphonie et les nodules aux cordes vocales dont elle souffre sont reliés à son travail d’éducatrice. Elle accueillerait la requête.
[6] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle surutilise sa voix dans son travail. Par ailleurs, dans le passé, elle a été fumeuse ce qui expliquerait mieux la condition de ses cordes vocales. Il rejetterait la requête.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse était victime d’une lésion professionnelle le 28 avril 2006.
[8] Les termes « lésion professionnelle » et « maladie professionnelle » sont définis à l’article 2 de la loi. Cet article se lit comme suit :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[9] Madame Marcille était éducatrice pour le compte de l’employeur depuis six ans lorsqu’elle a commencé à ressentir des problèmes au niveau de sa voix. Auparavant, elle a été éducatrice pendant quatre ans dans une garderie rattachée à l’hôpital Royal-Victoria.
[10] Chez l’employeur, elle a la responsabilité d’une dizaine de jeunes enfants de quatre ans. Elle travaille dans un local relativement petit et elle doit parler fort et chanter avec les enfants. Lorsqu’elle accompagne les enfants à l’extérieur, elle doit communiquer avec eux en parlant encore plus fort.
[11] Le 23 mars 2006, elle a d’abord vu son médecin de famille qui l’a dirigée vers la docteure Karen Kost, spécialiste en otorhinolaryngologie.
[12] Le 28 avril 2006, la docteure Kost a autorisé un arrêt de travail pour une période de quatre semaines. Elle a également prescrit une thérapie de la voix. Le diagnostic que ce médecin a mentionné plus explicitement le 9 mai 2006, est celui de « dysphonia caused by nodules and laryngopharyngeal reflux ».
[13] Le 18 mai 2006, madame Glenna Waters, « Speech-Language Pathologist », à qui la travailleuse a été référée, exprime l’opinion que la dysphonie légère dont la travailleuse souffre est secondaire à des nodules aux cordes vocales et serait vraisemblablement en relation avec le travail d’éducatrice. Elle établit la thérapie à suivre.
[14] Le 20 juillet 2006, madame Waters ajoute que la condition de madame Marcille est souvent présente chez les enseignants et les éducateurs. Elle rapporte que la thérapie a amélioré de façon significative sa patiente. Elle ajoute de nouvelles recommandations.
[15] Le 8 septembre 2006, la docteure Kost complète un rapport médical aux fins de la CSST. Elle indique « vocal nodules improving ».
[16] Le 3 août 2006, la CSST rejette la réclamation que la travailleuse avait déposée le 6 juin 2006. Tel que déjà indiqué, cette décision a été confirmée en révision administrative et fait l’objet du présent recours.
[17] Le 5 avril 2007, la docteure Kost réitère que les nodules aux cordes vocales que sa patiente présente sont reliées, selon son expression, à un « vocal abuse ».
[18] À l’audience, la travailleuse a expliqué que vers le 11 avril 2006, elle s’est rendu compte que sa voix était rauque alors qu’elle n’avait jamais vraiment eu un tel problème avec sa voix dans le passé. Son médecin lui a dit qu’elle « surutilisait sa voix sans période de repos adéquate ». Elle avait tendance à ne se servir que de ses cordes vocales pour communiquer avec les enfants, sans se servir suffisamment de la technique du « masque ». Bien que les enfants sous sa garde bénéficiaient de périodes de repos durant son quart de travail (8 heures), elle disait néanmoins s’occuper des enfants qui ne voulaient pas dormir en leur chuchotant des histoires, et ainsi de suite. Au réveil, il lui fallait parler, expliquer et raconter des histoires aux enfants ainsi que diriger leurs jeux et diverses activités à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle devait donc se servir beaucoup de sa voix. Lorsqu’elle a entrepris sa thérapie de la voix, on lui a expliqué qu’elle devait apprendre à parler sans trop utiliser ses cordes vocales et mieux projeter sa voix. On lui a également dit qu’elle devait se servir de divers moyens autres que la voix pour transmettre ses messages aux enfants. C’est ainsi qu’elle s’est procurée râteliers, clochettes, etc., pour signaler aux enfants de rentrer à l’intérieur ou entreprendre certaines activités.
[19] La travailleuse a soumis à l’attention du tribunal des extraits datés de 2007 d’une publication[2] produite sur le site internet du McGill University Health Center Journal qui font état d’un exposé du docteur Kost au sujet du « Vocal Abuse ». Voici ce qu’on rapporte des propos du docteur Kost :
Dr. Karen Kost speaks about vocal abuse
"The voice is one of the most under-appreciated parts of our bodies," says Dr. Karen Kost, director of the MUHC Voice Laboratory. "Yet we expect it to be there from the moment we open our eyes to the moment we close them."
Ironically, this powerful and essential communication tool, the human voice, is produced by two fragile ligaments or bands of elastic muscle tissue known as the vocal cords. They are located side by side in the larynx, located behind your Adam’s apple and just above the trachea (windpipe). These string-like structures can stretch and shorten as needed. When the voice is silent the vocal cords remain open creating an airway through which you breathe. During speech, the air that is exhaled from the lungs is forced through the closed vocal cords, causing them to vibrate and produce sound that rises and falls depending on how tense or relaxed the vocal cords are much like the strings of a guitar.
When used properly, in a comfortable, relaxed speaking voice, the vocal cords oscillate like graceful jellyfish, gliding together smoothly. When abused, as in shouting or excessive singing, the cords slam together violently.
"Just as you wouldn’t run a marathon without preparing and training your muscles and joints, in the same way, you should not expand the use your voice without adequate practice and discipline," says Kost. "You have to train long and hard to become a vocal athlete - it doesn’t happen overnight."
Most vocal cord disorders are caused by general abuse or misuse of the voice, such as shouting, singing with poor technique, excessive talking, smoking, coughing, or inadequate hydration. Vocal fatigue or overuse manifests itself as a change in the voice (often a lower pitch), hoarseness, and/or soreness and dryness of the throat. Other factors that can lead to vocal problems are stress, lack of sleep, overworking, atmospheric dryness, talking above noisy environments, second-hand smoke, alcohol, acid reflux, pollution, allergies, molds, and hypersensitivity to chemicals and fumes.
Some of the more common vocal cord disorders include laryngitis (inflammation or infection o the vocal cords), vocal nodules (small, hard, benign scars or calluses caused by voice abuse), and vocal polyps (small, soft, benign growths). Less common disorders such as contact ulcers and vocal cord tumors can also affect the voice. Left untreated, cancerous vocal cord tumors can become life threatening. [sic]
[20] Pour sa part, l’employeur a obtenu l’opinion du docteur Claude Nadeau, otorhinolaryngologiste, en date du 14 mars 2008.
[21] Le docteur Nadeau s’exprime ainsi :
[…]
EN RÉPONSE À VOS QUESTIONS
1. Est-ce qu’il y a une relation entre le diagnostic posé et le travail d’éducatrice?
Tenant compte :
1. De l’horaire de travail et de la description de tâches de Madame Leslie Marcille, il m’apparaît, si ma compréhension est exacte, qu’elle ne doit utiliser sa voix de façon soutenue que pour une période d’environ quinze minutes par jour, qu’elle bénéficie d’une période de repos de la voix au cours de la sieste des enfants et de la pause quotidienne.
2. L’histoire fréquente de laryngites et de raucité de la voix depuis X années.
3. De l’absence de tout accident ou incident particulier survenu au travail avant le 28 avril 2006.
4. De l’histoire d’asthme pour lequel elle fait usage de Ventolin. Le Ventolin peut provoquer une irritation pharyngée et une toux comme effets indésirables.
5. De la présence de reflux pharyngo-laryngé pour lequel Madame fait usage de Nexium depuis quelques anneés. Il est reconnu que le reflux pharyngo-laryngé peut être à l’origine de troubles de la voix, incluant l’apparition de nodules des cordes vocales.
Je suis d’opinion qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le diagnostic retenu et le travail d’éducatrice.
2. Est-ce que le diagnostic posé origine d’une condition personnelle?
Le diagnostic retenu est attribuable à une condition personnelle: mauvaise hygiène vocale (tendance à se dérhumer), "misuse" de la voix (élévation de la voix lorsque Madame est à l’extérieur), reflux pharyngo-laryngé.
3. Est-ce que la travailleuse a aggravé une condition personnelle?
Il m’apparaît qu’il ne s’agit pas d’une aggravation d’une condition personnelle, mais plutôt d’une récidive d’une pathologie, selon les notes contenues au dossier: laryngites fréquentes.
4. Si une telle condition personnelle existe, a-t-elle eu un rôle à jouer dans la survenance de la lésion?
Étant d’opinion qu’il s’agit d’une condition personnelle, le reflux pharyngo-laryngé est le facteur étiologique de la lésion constatée chez Madame.
[…]
[22] Pour la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse a démontré, par une preuve prépondérance, que les nodules à ses cordes vocales sont en relation directe avec les risques particuliers de son travail d’éducatrice chez l’employeur.
[23] L’avis du docteur Nadeau ne tient pas suffisamment compte de l’usage excessif que la travailleuse devait faire de sa voix, comme elle l’a expliqué de façon convaincante à l’audience.
[24] Il est vrai que la travailleuse a déjà eu des problèmes de raucité de la voix et qu’elle a déjà eu des laryngites dans le passé. Toutefois, il faut constater qu’avant la thérapie prescrite par la docteure Kost, la technique de projection de sa voix qu’elle employait était défectueuse, et elle exerçait une pression ardue sur ses cordes vocales dont, par ailleurs, elle faisait usage trop librement dans le cadre de son travail.
[25] Par ailleurs, le docteur Nadeau fait mention du fait que la travailleuse utilise du Ventolin et que ce médicament peut provoquer une irritation pharyngée et une toux comme effets indésirables. Par contre, dans le cas particulier de la travailleuse, on ne peut dire qu’elle fait un usage fréquent de ce médicament, d’autant plus que son asthme est relié, selon le dossier, à des activités sportives.
[26] Quant au Nexium dont la travailleuse fait également usage, le médecin indique, sans plus, qu’il est reconnu que le reflux pharingo-laryngé peut être à l’origine des troubles de la voix, incluant l’apparition de nodules des cordes vocales. On ne sait pas d’où le docteur Nadeau tient cette information qui, notons le, n’a pas empêché la docteure Kost d’établir, pour sa part, une relation entre le travail et les troubles de la voix de sa patiente.
[27] En définitive, le tribunal retient l’opinion non-équivoque de la docteure Kost qui a posé le bon diagnostic et qui a ensuite prescrit une thérapie qui a réglé le problème qu’elle avait identifié. Est-il nécessaire de dire que la docteure Kost fait autorité en matière de troubles de la voix ? Elle dirige le « Voice Lab », du Centre universitaire de santé McGill à l’Hôpital général de Montréal, qui s’intéresse justement de façon particulière aux problèmes de la voix.
[28] Par ailleurs, le tribunal considère qu’il y a aussi lieu de tenir compte de l’avis exprimé par madame Waters qui a établi le programme de réadaptation de la voix de la travailleuse et qui a suivi toute son évolution. Elle considère également que la travailleuse a subi une lésion aux cordes vocales en raison de son travail.
[29] La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que la travailleuse s’est infligée une maladie professionnelle au sens de la loi. Les nodules aux cordes vocales dont elle a souffert sont reliées directement aux risques particuliers de son emploi chez l’employeur. Elle a droit aux prestations prévues à la loi puisqu’elle n’a pu travailler à cause de son trouble de la voix, du 1er mai au 28 mai 2006.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Lesley Marcille, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 31 octobre 2006 par la Commission de la sante et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le 28 avril 2006, la travailleuse était victime d’une maladie professionnelle, soit des nodules des cordes vocales, qui l’ont empêchée d’exercer son emploi du 1er au 28 mai 2006;
DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Bertrand Roy |
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Commissaire |
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Me Laure Tastayre |
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RÉGNIER AVOCATS |
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Représentante de la partie intéressée |
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