[1] L’appelante et le membre désigné se pourvoient contre un jugement du 13 février 2017 de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Chantal Lamarche), rejetant une demande d’autorisation d’exercer une action collective[1].
[2] Pour les motifs de la juge Roy, auxquels souscrit la juge Marcotte, la COUR :
[3] ACCUEILLE l’appel du jugement du 13 février 2017, avec frais de justice;
[4] INFIRME le jugement de première instance et procédant à prononcer le jugement qui aurait dû être rendu :
[5] AUTORISE l’exercice d’une action collective ci-après :
Une action en responsabilité civile, avec dommages punitifs, basée sur le Code civil du Québec, la Loi sur la protection du consommateur et, pour certains sous-groupes, la Charte québécoise des droits et libertés de la personne;
[6] ATTRIBUE à Télévision communautaire et indépendante de Montréal (TVCI-MTL) le statut de représentante aux fins d’exercer l’action collective pour le compte du groupe ci-après décrit :
Tous les abonnés du service de télédistribution de Vidéotron s.e.n.c. dans les sept zones de service de la zone de desserte du Grand Montréal ayant un contrat actif entre le 13 juillet 2012 et le 4 février 2015.
Toutefois, une personne morale de droit privé, une société ou une association n’est membre du groupe que si, en tout temps depuis le 13 juillet 2014, elle comptait sous sa direction ou sous son contrôle au plus cinquante (50) personnes liées à elle par contrat de travail, et qu’elle n’est pas liée avec la requérante;
[7] IDENTIFIE comme suit les principales questions de fait et de droit qui seront traitées collectivement :
- La défenderesse a-t-elle manqué à ses devoirs contractuels envers les membres du groupe de fournir une programmation locale et d’accès reflétant la population de la zone de desserte du Grand Montréal, et notamment ses populations autochtones, leur donnant droit à une réduction concomitante de leur obligation, ainsi qu’à des dommages moraux et punitifs en vertu du Code civil du Québec et de la Loi sur la protection du consommateur et, si oui, à quelle hauteur?;
- La description du canal MAtv/VOX comme un canal « communautaire » est-elle non-conforme, fausse ou trompeuse selon la Loi sur la protection du consommateur et contraire au Code civil du Québec, donnant droit à une réduction concomitante de l’obligation des membres du groupe, ainsi qu’à des dommages moraux et punitifs et, si oui, à quelle hauteur?;
- Certains sous-groupes, et notamment les populations autochtones, ont-ils droit à des dommages punitifs, en vertu des articles 3, 10 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne et, si oui, à quelle hauteur?;
[8] IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s’y rattachent :
- ACCUEILLIR l’action collective de la représentante et des membres du groupe contre la défenderesse;
- DÉCLARER que la défenderesse a manqué à ses devoirs contractuels envers les membres du groupe de fournir une programmation locale et d’accès reflétant la population de la zone de desserte du Grand Montréal, et notamment ses populations autochtones, leur donnant droit à une réduction concomitante de leur obligation, ainsi qu’à des dommages moraux et punitifs en vertu du Code civil du Québec et de la Loi sur la protection du consommateur;
- DÉCLARER que la description, par la défenderesse, du canal MAtv/VOX comme un canal « communautaire » sont non-conformes, fausses ou trompeuses selon la Loi sur la protection du consommateur et contraire au Code civil du Québec;
- DÉCLARER que certains sous-groupes, et notamment les populations autochtones, ont droit à des dommages punitifs, en vertu des articles 3, 10 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne;
- CONDAMNER la défenderesse à verser à chacun des membres du groupe le montant des dommages pécuniaires et moraux auquel ils ont droit, plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de la date du dépôt de la demande d’autorisation d’exercer une action collective et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
- CONDAMNER la défenderesse à payer à chacun des membres du groupe le prorata de 2 000 000 $, montant à parfaire, à titre de dommages-intérêts punitifs en vertu de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne, et ORDONNER le recouvrement collectif de ces sommes;
- ORDONNER à la défenderesse de déposer au greffe de cette cour la totalité des sommes faisant l’objet d’une ordonnance de recouvrement collectif, ainsi que les intérêts et l’indemnité additionnelle;
- ORDONNER que la réclamation de chacun des membres du groupe fasse l’objet d’une liquidation individuelle;
- PRENDRE toute autre mesure que le tribunal estime nécessaire pour sauvegarder les droits des parties;
- LE TOUT avec frais de justice, y compris les frais d’experts et d’avis;
[9] DÉCLARE qu’à moins d’exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur l’action collective de la manière prévue par la loi;
[10] FIXE le délai d’exclusion à 30 jours après la date de publication de l’avis aux membres, délai à l’expiration duquel les membres du groupe qui ne se seront pas prévalus des moyens d’exclusion seront liés par tout jugement à intervenir;
[11] AVEC FRAIS DE JUSTICE, y compris les frais de publication de l’avis aux membres.
[12] RETOURNE le dossier à la Cour supérieure;
[13] REJETTE la demande pour présenter une preuve nouvelle en appel;
[14] De son côté, le juge Ruel aurait également autorisé l’action collective, mais aurait nommé M. Desrochers à titre de représentant.
|
|
|
|
[15] Télévision communautaire et indépendante de Montréal (appelante) et André Desrochers (membre désigné) se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure (l’honorable Chantal Lamarche), district de Montréal, rendu le 13 février 2017, rejetant une demande d’autorisation d’exercer une action collective[2].
[16] En bref, l’appelante veut représenter les abonnés du service de télédistribution de Vidéotron s.e.n.c. (Vidéotron) dans la zone de service du Grand Montréal entre le 13 juillet 2012 et le 4 février 2015[3]. Elle estime que le canal de télévision communautaire de Vidéotron (MAtv) ne respecte pas certaines exigences du Règlement sur la distribution de radiodiffusion[4] (Règlement) et de la Politique relative à la télévision communautaire[5] (Politique) du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), notamment quant au contenu des émissions et aux opportunités d’implication de la communauté. Elle allègue violation des obligations contractuelles de Vidéotron envers ses abonnés, de la Loi sur la protection du consommateur[6] et de la Charte des droits et libertés de la personne[7] et demande compensation en conséquence.
[17] Seules les deuxième et quatrième conditions de l’article 575 C.p.c. étaient contestées devant la juge de première instance : Vidéotron invoquait l’absence d’allégations de faits justifiant les conclusions recherchées et l’incapacité de l’appelante d’agir comme représentante des membres du groupe.
[18] L’appelante soulève trois moyens d’appel, analysés successivement.
[19] Sur l’existence d’allégations de faits justifiant les conclusions recherchées, la juge de première instance décide que :
· la compétence de déterminer si la programmation de MAtv respecte le Règlement et la Politique relève du CRTC;
· le CRTC, dans sa décision, a constaté des manquements entre le 25 novembre et le 1er décembre 2013;
· ce constat ne peut être étendu à la période de cinq ans que l’action collective veut couvrir;
· le CRTC n’a pas la compétence pour attribuer des dommages dans l’éventualité de non-conformité au Règlement et à la Politique;
· la Cour supérieure est compétente pour se saisir du litige à l’égard seulement de la période comprise entre le 25 novembre et le 1er décembre 2013.
[20] Elle reconnaît donc que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées, mais pour une semaine seulement.
[21] La juge de première instance a commis une erreur révisable en limitant le recours à une période d’une semaine.
[22] S’il est exact que le CRTC s’est attardé particulièrement sur la dernière semaine de novembre 2013 comme échantillonnage dans son analyse, sa décision est plus globale :
· la description des enjeux par le CRTC dans sa décision ne réfère pas à une date spécifique;
· l’appelante, qui dépose sa plainte en décembre 2013 et janvier 2014, réfère expressément au non-respect des exigences au cours de l’année de radiodiffusion 2012-2013;
· tant l’appelante que Vidéotron prennent position devant le CRTC à la fois de manière générale, puis de manière spécifique concernant la dernière semaine de novembre 2013;
· la preuve déposée de part et d’autre ne réfère pas seulement à la dernière semaine de novembre 2013.
[23] Même les conclusions de la décision du CRTC ne réfèrent à aucune date précise :
77. Compte tenu de tout ce qui précède, le Conseil conclut que dans le cadre de l’exploitation du canal communautaire MAtv, Vidéotron ltée et 9227-2590 Québec inc., associés dans une société en nom collectif faisant affaires sous le nom Vidéotron s.e.n.c., est en situation de non-conformité à l’égard des exigences du Règlement sur la distribution de radiodiffusion et ne respecte pas les objectifs de la Politique sur la télévision communautaire en ce qui a trait à la programmation d’accès et au reflet local.
78. Le Conseil exige que Vidéotron prenne des mesures concrètes, d’ici son prochain renouvellement de licence, prévu pour août 2015, afin de rétablir la conformité de MAtv. Le Conseil traitera à ce moment de la conformité du titulaire à l’égard de ses conditions de licence et des exigences du Règlement, ainsi que du respect des objectifs de la Politique.
79. Finalement, le Conseil s’attend à ce que Vidéotron forme un comité consultatif citoyen, au plus tard le 15 mars 2015, qui prendrait en compte l’ensemble des membres de la communauté, de même que des bénévoles, en vue de déterminer la combinaison, la portée et les genres d’émissions susceptibles de mieux servir les besoins et les intérêts du Grand Montréal, et qu’il en fasse rapport au plus tard le 1er avril 2015.
[24] De toute manière, la compétence du CRTC pour entendre des plaintes relativement au non-respect de la réglementation en matière de radiodiffusion n’écarte pas la compétence de la Cour supérieure pour entendre un recours en violation d’obligations contractuelles, de la Loi sur la protection du consommateur et de la Charte des droits et libertés de la personne.
[25] Le paragraphe 22 de la demande d’autorisation allègue que les manquements relevés dans la décision du CRTC sont représentatifs des manquements de Vidéotron en la matière pendant les trois ans précédant le dépôt de la demande et que ces manquements continuent. Il reviendra à l’appelante de faire la preuve nécessaire pour prouver ses allégations ultérieurement. La nature et l’ampleur de cette preuve pour couvrir toute la période ne sont pas des questions qui doivent être décidées au stade de l’autorisation. La preuve déposée est suffisante, au stade de l’autorisation, pour conclure que les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées pour la période comprise entre le 13 juillet 2012, soit trois ans précédant l’institution de la demande d’autorisation, et le 4 février 2015, date de la décision du CRTC.
[26] Il faut considérer trois facteurs pour évaluer la représentation adéquate : l’intérêt à poursuivre, la compétence du représentant et l’absence de conflit avec les membres. Dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs[8], la Cour suprême du Canada invite à une interprétation très libérale de ce critère :
[149] […] Pour déterminer s’il est satisfait à ces critères pour l’application de l’al. 1003d), la Cour devrait les interpréter de façon libérale. Aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement.
(soulignement ajouté)
[27] Le critère est devenu minimaliste, comme la Cour d’appel le souligne d’ailleurs dans Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c.[9].
[28] La juge commet une erreur révisable en appliquant ces principes aux faits du dossier. Certes, l’un des objets de l’appelante, indiqué dans ses lettres patentes, est d’obtenir une licence pour exploiter un canal communautaire et les parties informent le tribunal qu’elle ne peut l’obtenir tant que Vidéotron conserve la sienne. Mais un autre de ses objets est également de travailler à la représentation des intérêts des diffuseurs et téléspectateurs. Rien, pour l’instant, n’indique qu’elle privilégie un objectif au détriment de l’autre. Le dossier démontre qu’elle représente déjà les téléspectateurs, à tout le moins devant le CRTC. L’appelante et le membre désigné sont activement impliqués dans la télévision communautaire. Comme aucun représentant de l’appelante n’a été interrogé avant ou à l’audience, les seuls éléments pouvant être considérés sont ceux disponibles dans les allégations de la demande d’autorisation, qui doivent être tenues pour avérées, et dans la preuve déposée. Il n’y a pas de contradiction en soi entre le désir d’obtenir une licence du CRTC pour le futur et celui de rechercher une compensation pour violation d’obligations contractuelles et légales passées.
[29] Il n’y a pour l’instant aucun conflit d’intérêts entre l’appelante et les membres. La première juge le souligne elle-même. Comme le souligne la Cour suprême dans l’arrêt Infineon[10], « [p]uisque l’étape de l’autorisation vise uniquement à écarter les demandes frivoles, il s’ensuit que l’al. 1003d) [a.C.p.c.] ne peut avoir pour conséquence de refuser l’autorisation en présence d’une simple possibilité de conflit.
[30] Mon collègue le juge Ruel soulève des préoccupations légitimes concernant l’apparence de conflit d’intérêts. Il me semble prématuré d’aborder cette question puisque les allégations de la requête doivent être tenues pour avérées et que TVCI y allègue qu’elle est disposée à gérer le recours dans l’intérêt des membres du groupe et est déterminée à le mener à terme au bénéfice de tous les membres. Au besoin, il appartiendra à l’une ou l’autre des parties ou à un membre de saisir la juge désignée pour entendre l’affaire, en déposant une demande en vertu de l’article 589 C.p.c. Celle-ci pourra alors, si nécessaire, remplacer la représentante.
[31] La juge de première instance reproche également à l’appelante de ne pas avoir effectué de démarches auprès des abonnés de Vidéotron concernant leur intérêt à entreprendre l’action ou leur mécontentement à l’égard de MAtv. Pourtant, l’appelante a déposé en preuve les interventions auprès du CRTC de plusieurs personnes insatisfaites de MAtv. L’appelante a démontré l’existence d’un groupe et un minimum d’informations sur la taille et les caractéristiques de ce groupe. La violation d’obligations légales ou contractuelles, si l’appelante réussit à en faire la preuve, trouvera application pour tous les abonnés de Vidéotron. Cette démonstration est suffisante.
[32] Enfin, la juge souligne que rien ne permet de croire qu’il sera possible d’identifier qui, parmi les abonnés de Vidéotron, écoute MAtv et en est insatisfait et qu’en conséquence, il n’y aurait pas de véritable groupe. Le recours que l’appelante veut entreprendre vise tous les abonnés de Vidéotron, pas seulement les téléspectateurs de MAtv. Est-ce que les uns ou les autres ont droit à des dommages? Il s’agit d’une question qui relève du fond et non du stade de l’autorisation.
[33] Comme je conclus que l’appelante peut représenter les membres, il n’est pas nécessaire d’analyser la demande d’amendement, présentée à l’audience, pour attribuer le statut de représentant à M. Desrochers, à titre subsidiaire.
[34] Quant à la demande de Vidéotron pour déposer une preuve nouvelle en appel, cette demande est rejetée parce que la preuve n’est pas indispensable pour statuer sur l’appel.
[35] La juge de première instance conclut que les faits allégués ne peuvent donner ouverture à une réclamation en dommages punitifs. Bien que minimalistes, les allégations de la demande et la preuve sont suffisantes pour permettre d’inclure cette réclamation dans les questions et conclusions à être décidées. Notre Cour a récemment analysé cette question dans Union des consommateurs c. Bell Mobilité inc.[11]. Il paraît prématuré de rejeter cette partie de la demande au stade de l’autorisation.
[36] Pour ces motifs, je suggère d’accueillir l’appel avec frais de justice, d’autoriser l’exercice de l’action collective selon les modalités demandées et d’attribuer à l’appelante le statut de représentante.
|
|
|
|
CLAUDINE ROY, J.C.A. |
|
|
MOTIFS DU JUGE RUEL |
|
|
[37] J’ai pris connaissance des motifs de ma collègue, la juge Roy. Je suis en accord avec sa conclusion d’accueillir l’appel et d’autoriser l’action collective. J’adopte ses motifs en ce qui concerne la limitation de la période de l’action collective et les dommages.
[38] Je ne diverge d’opinion que sur un point : la capacité de l’appelante, la Télévision communautaire et indépendante de Montréal (« TVCI »), à assurer une représentation adéquate des membres.
[39] La juge de première instance détermine que les intérêts de TVCI « ne sont pas de défendre les Membres, mais plutôt d’obtenir un avantage personnel, soit de faire perdre à Vidéotron sa licence pour exploiter MAtv afin d’obtenir pour TVCI une licence pour qu’elle puisse exploiter son propre canal communautaire »[12].
[40] Ma collègue considère que TVCI s’intéresse également à la représentation des intérêts des consommateurs de télévision communautaire et, selon elle, rien n’indique à ce stade que TVCI privilégiera son objectif de faire perdre à Vidéotron sa licence au détriment de la représentation des membres. Elle juge donc qu’il n’y a pour l’instant aucun conflit d’intérêts entre TVCI et les membres de l’action collective.
[41] Avec respect, j’estime que ma collègue n’applique pas le bon critère. Il ne s’agit pas selon moi de déterminer s’il existe un conflit effectif, mais plutôt de savoir s’il existe une sérieuse apparence de conflit avec les membres qui rendrait leur représentation par TVCI dans le cadre de l’action collective inéquitable.
[42] L’article 575 du Code de procédure civile prévoit que : « [l]e tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que: […] 4° le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres ».
[43] Cette exigence de représentation adéquate comporte l’analyse de trois facteurs : (1) l’intérêt à poursuivre, (2) la compétence et (3) l’absence de conflit d’intérêts avec les membres du groupe[13].
[44] Il est acquis que ces facteurs doivent être interprétés de manière libérale[14]. En ce sens, « [a]ucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement »[15].
[45] Même minimales, il reste que les exigences en matière d’autorisation d’actions collectives doivent être satisfaites[16].
[46] Un conflit d’intérêts du représentant proposé avec les membres du groupe peut viser le dépôt d’une action collective dans le but d’obtenir des gains personnels au détriment des intérêts des membres du recours[17].
[47] Interprété de manière à ne pas écarter les représentants sur la base de simples possibilités de conflits, le critère de disqualification pour intérêt personnel consiste en une apparence sérieuse de conflit d’intérêts entre le représentant et les membres du groupe, pouvant amener le représentant à négliger les intérêts du groupe ou à les défendre avec moins d’intensité, compte tenu de son intérêt personnel[18].
[48] Comme l’indique notre cour dans Bouchard c. Agropur Coopérative concernant l’exigence de représentation adéquate : « le respect de cette exigence de qualité permet au tribunal de s’assurer que le recours collectif est véritablement introduit dans l’intérêt du groupe visé et non dans la poursuite de quelque autre objet accessoire ou occulte »[19].
[49] C’est en effet l’intégrité du processus d’action collective qui est en cause[20].
[50] En l’espèce, la preuve versée au stade de l’autorisation démontre que l’objectif premier, clairement avoué, voire l’existence même de TVCI, consiste à déloger Vidéotron du marché de la télévision communautaire.
[51] À mon avis, ceci ne concorde pas avec les intérêts des clients de Vidéotron qui souhaiteraient maintenir le service de MAtv, mais avec une offre de meilleure qualité et qui respecte les exigences du CRTC.
[52] Le 11 décembre 2013, TVCI, alors société à être constituée, présente au CRTC une demande de licence de radiodiffusion en vue d'exploiter un service de programmation communautaire. Elle y écrit que la licence demandée est « pour une société à but non lucratif dont le seul objectif est d’offrir des services médiatiques communautaires aux résidents de Montréal » (mon soulignement).
[53] Parallèlement, le même jour, TVCI présente une plainte auprès du CRTC alléguant que Vidéotron n’exploite pas le canal MAtv conformément aux modalités de la Politique relative à la télévision communautaire du CRTC.
[54] Dans une lettre du 6 février 2014, le CRTC répond à TVCI qu’avant d’examiner sa demande de licence, il doit d’abord décider si Vidéotron exploite son canal communautaire conformément à la Politique relative à la télévision communautaire et au Règlement sur la distribution de radiodiffusion[21].
[55] Le 4 février 2015, le CRTC rend sa décision concernant la plainte de TVCI et conclut à la non-conformité de l’exploitation de MAtv par Vidéotron à l’égard de la Politique relative à la télévision communautaire et au Règlement sur la distribution de la radiodiffusion. Le CRTC exige que Vidéotron prenne des mesures concrètes pour rectifier la situation d’ici son renouvellement de licence en août 2015.
[56] Le 29 avril 2019, TVCI est constituée en société par l’émission de ses lettres patentes. Elle déclare son objectif premier comme étant de « [p]osséder et exploiter un canal de télévision communautaire dans la région métropolitaine de Montréal ».
[57] TVCI exprime l’intention d’intervenir auprès du CRTC en lien avec le renouvellement de la licence de Vidéotron pour le canal de télévision communautaire MAtv en août 2015. Parallèlement, TVCI dépose sa requête pour autorisation d’exercer une action collective le 13 juillet 2015.
[58] Si cette chronologie pouvait laisser subsister des doutes quant aux véritables intentions de TVCI, la consultation de son site Internet ne laisse aucune place à interprétation. Sur une page du site de TVCI, on peut lire un encart indiquant : « [p]renez part au recours collectif contre Vidéotron pour manquement contractuel dans la provision de services de télévision communautaire obligatoires ». On trouve également sur la même page la mention suivante, citée par la juge : « [n]otre rêve est de briser ce monopole et de construire une télé communautaire par et pour nos communautés »[22].
[59] Sur le fondement de cette preuve versée au stade de l’autorisation, la juge conclut que l’intérêt principal de TVCI n’est pas de défendre les membres, mais bien d’obtenir un avantage personnel, « soit de faire perdre à Vidéotron sa licence pour qu’elle puisse exploiter son propre canal communautaire »[23].
[60] La juge constate qu’« [a]ucune preuve déposée à ce stade-ci ne démontre la moindre intention de TVCI de défendre les intérêts des abonnés de Vidéotron et d’obtenir pour eux une compensation »[24].
[61] Ces constatations factuelles, qui sont appuyées par la preuve, méritent déférence.
[62] Non seulement TVCI ne présente pas l’intérêt requis pour entreprendre une action collective au nom des clients de Vidéotron, mais il existe selon moi une sérieuse apparence de conflit entre les intérêts de TVCI et ceux des membres du groupe.
[63] Il n’est pas possible, à mon avis, que cet organisme représente équitablement les membres du groupe dans le cadre de l’action collective.
[64] La preuve démontre qu’il existe des risques importants que TVCI cherche à instrumentaliser l’action collective en vue d’atteindre son objectif central de remplacer Vidéotron, par l’obtention d’une importante condamnation financière contre elle.
[65] Cette sérieuse apparence de conflit pourrait notamment amener TVCI à favoriser ses propres intérêts, au détriment de ceux des membres du groupe, notamment s’il devait y avoir une offre financière de régler le dossier à l’avantage des membres.
[66] Cependant, il ne s’agit pas de refuser l’autorisation pour motif de conflit d’intérêts, s’agissant d’une mesure draconienne qui ne devrait être utilisée que parcimonieusement[25].
[67] Il existe une alternative.
[68] En effet, monsieur André Desrochers, un abonné de longue date de Vidéotron, est membre désigné du recours, en application du troisième paragraphe de l’article 571 du Code de procédure civile.
[69] Selon la requête pour autorisation, monsieur Desrochers s’abonne à Vidéotron notamment pour pouvoir regarder régulièrement le canal communautaire MAtv. Il se déclare cependant déçu de son contenu, puisque MAtv ne remplit pas ses mandats de programmation locale, de programmation d’accès et de représentation des diversités.
[70] Même si la juge soulève des questionnements quant à l’appui de monsieur Desrochers à la démarche de TVCI pour obtenir une licence[26], il semble avoir un intérêt véritable à ce que MAtv offre une programmation locale de qualité, en conformité avec les exigences du CRTC. Il œuvre dans le milieu de la télévision communautaire depuis plusieurs années. Il a participé étroitement à la préparation de l’action collective dans le présent dossier. Il semble avoir appuyé la démarche de TVCI pour l’obtention d’une licence de télévision communautaire par dépit[27].
[71] Le deuxième paragraphe de l’article 589 du Code de procédure civile prévoit que « [l]orsque le représentant n’est plus en mesure d’assurer la représentation adéquate des membres … un membre peut demander au tribunal de lui être substitué ».
[72] Lors de l’audition de l’appel, les procureurs du membre désigné demandent la permission de modifier leur procédure en vue d’autoriser, de manière subsidiaire, monsieur Desrochers à agir comme représentant.
[73] La modification d’un acte de procédure de première instance, en appel, présente un caractère exceptionnel. Néanmoins, je crois que les fins de la justice justifient de permettre l’amendement[28] pour que l’action collective puisse être autorisée et que la procédure se poursuive en Cour supérieure. La modification ne change pas la nature du débat en première instance[29].
[74] S’il survient des difficultés quant à la capacité de monsieur Desrochers de représenter adéquatement les membres, incluant la manifestation d’une sérieuse apparence de conflit d’intérêts, la Cour supérieure pourra en décider.
[75] Par conséquent, je serais d’avis d’accueillir l’appel et d’autoriser l’action collective selon les conclusions que ma collègue propose, sauf en ce qui concerne le statut de représentant, que j’attribuerais à monsieur Desrochers, en remplacement de TVCI.
|
|
|
|
SIMON RUEL, J.C.A. |
[1] 2017 QCCS 473.
[2] 2017 QCCS 473.
[3] Bien que la demande d’autorisation de l’appelante demande de couvrir une période allant jusqu’à la date de la décision sur le fond, elle convient maintenant que le 4 février 2015 est la date appropriée.
[4] DORS/97-555.
[5] Pièce R-2.
[6] RLRQ, c. P-40.1.
[7] RLRQ, c. C-12.
[8] 2013 CSC 59.
[9] 2015 QCCA 205, paragr. 23.
[10] 2013 CSC 59.
[11] 2017 QCCA 504, paragr. 30-46.
[12] Jugement entrepris, paragr. 164.
[13] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 149.
[14] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 149.
[15] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 149.
[16] Oubliés du viaduc de la Montée Monette c. Consultants SM inc., 2015 QCCS 3308, paragr. 21; Nadeau c. Mercedes-Benz Canada inc., 2016 QCCS 7, paragr. 106, confirmée en appel par Nadeau c. Mercedes-Benz Canada inc., 2017 QCCA 470, demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 21 septembre 2017, n° 37576.
[17] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 150.
[18] Croteau c. Air Transat AT inc., 2007 QCCA 737, paragr. 61; Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, paragr. 85 et 90; Comité syndical national de retraite Bâtirente inc. c. Société financière Manuvie, 2011 QCCS 3446, paragr. 119; Bourgoin c. Bell Canada inc., 2007 QCCS 6087, paragr. 52; Rosso c. Autorité des marchés financiers, 2006 QCCS 5271, paragr. 114; Dubois c. St-Esprit (Municipalité de), 2016 QCCS 3048, en appel, no 500-09-026257-162; Raleigh c. Maibec inc., 2016 QCCS 2533.
[19] Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, paragr. 90; cité dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 150.
[20] Bouchard c. Agropur Coopérative, 2006 QCCA 1342, paragr. 90; cité dans Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 150.
[22] Jugement entrepris, paragr. 167.
[23] Jugement entrepris, paragr. 164.
[24] Jugement entrepris, paragr. 167.
[25] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, paragr. 150.
[26] Jugement entrepris, paragr. 169 et 172.
[27] Jugement entrepris, paragr. 169.
[28] Coopérative de commerce «Des Mille-Îles» c. Société des alcools du Québec, [1995] R.D.J. 421, p. 421-422 (C.A.), demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 19 juin 1997, no 25703; Groupe conseil Cerca inc. c. Blond et Associés inc., 2018 QCCA 231, paragr. 12.
[29] Groupe conseil Cerca inc. c. Blond et Associés inc., 2018 QCCA 231, paragr. 13.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.