Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Modèle de décision CLP - avril 2013

A.G. et Services financiers NCO

2015 QCCLP 2164

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

17 avril 2015

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

488340-71-1211

 

Dossier CSST :

139848378

 

Commissaire :

Monique Lamarre, juge administratif

 

Membres :

Guy Lemoyne, associations d’employeurs

 

Robert Légaré, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

A... G...

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Services Financiers NCO

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 14 mars 2014, monsieur A… G… (le travailleur) dépose une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 27 septembre 2013.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la contestation du travailleur et déclare qu’il n’a pas subi de lésion professionnelle, le 14 juin 2012.

[3]           Une audience sur la requête en révision a lieu à Montréal, le 21 octobre 2014, en présence du travailleur qui est assisté d’un avocat. L’entreprise Services Financiers NCO (l’employeur) y est également représentée par avocat. Un délai a été accordé au travailleur afin qu’il complète sa preuve sur la question de la recevabilité de la requête et qu’il produise une argumentation écrite. Un délai a également été accordé à l’employeur afin de soumettre ses arguments écrits. Le dernier de ces documents est reçu à la Commission des lésions professionnelles, le 19 décembre 2014, et la cause est prise en délibéré à cette date.

 

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           Le travailleur demande d’abord de déclarer recevable sa requête en révision ou révocation. Puis, il demande au tribunal siégeant en révision soit de révoquer la décision du 27 septembre 2013 et de convoquer de nouveau les parties sur le fond du litige, soit de la réviser et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d’employeurs sont tous les deux d’avis que la requête en révision est recevable. Ils retiennent que le travailleur doit être relevé de son défaut d’avoir produit sa requête dans le délai compte tenu des imbroglios qui sont survenus pour obtenir un mandat d’aide juridique.

[6]           Quant au fond, ils sont d’avis de rejeter la requête en révision du travailleur. Ils retiennent que la déclaration de culpabilité de son supérieur immédiat à une accusation de voies de faits ne constitue pas un fait nouveau qui aurait pu justifier une décision différente. Ils considèrent que l’acte d’accusation n’ajoute rien à la preuve quant aux circonstances entourant l’altercation et que le travailleur n’en a pas fait état devant la première juge administrative, alors qu’il était au courant des procédures pénales contre son supérieur immédiat.

[7]           Par ailleurs ils sont également d’avis que l’ensemble des motifs invoqués par le travailleur, en guise de vice de fond, correspondent en réalité à une demande de réappréciation de la preuve.

 

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]           Le tribunal siégeant en révision doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 27 septembre 2013.

[9]           L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.

[10]        Cependant, le législateur a prévu à l’article 429.56 de la loi qu’exceptionnellement, la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

 

[11]        Avant d’analyser s’il y a matière à réviser la décision, la Commission des lésions professionnelles doit d’abord disposer de la question préliminaire de la recevabilité de la requête en révision du travailleur qui a été déposée en dehors du délai raisonnable prévu au premier alinéa de l’article 429.57 de la loi :

429.57.  Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.

 

[…]

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]        La jurisprudence[2] a établi que le délai raisonnable prévu à cette disposition est assimilable à celui pour contester une décision devant la Commission des lésions professionnelles, soit un délai de 45 jours, tel qu’édicté à l’article 359 de la loi.

[13]        Si le délai est jugé déraisonnable, l’article 429.19 de la loi prévoit ce qui suit :

429.19.  La Commission des lésions professionnelles peut prolonger un délai ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que celle-ci n'a pu respecter le délai prescrit pour un motif raisonnable et si, à son avis, aucune autre partie n'en subit de préjudice grave.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

 

[14]        Le tribunal peut donc prolonger un délai ou relever une personne de son défaut de l’avoir respecté en autant qu’on lui démontre un motif raisonnable et qu’aucune autre partie n’en subit de préjudice grave.

[15]        Tel qu’il ressort de l’affaire Mesumard et Friefeld, Litwin & ass. (syndic)[3], afin d’être relevée de son défaut, une partie qui dépose un recours en dehors du délai imparti par la loi doit fournir une explication raisonnable et sérieuse justifiant de manière satisfaisante son retard.

[16]        Dans le présent dossier, le travailleur dépose sa requête en révision, le 14 mars 2014, soit plus de cinq mois après la décision de la Commission des lésions professionnelles datée du 27 septembre 2013. Le tribunal siégeant en révision estime qu’il ne s’agit pas d’un délai raisonnable au sens de l’article 429.57 de la loi.

[17]        Cependant, le tribunal siégeant en révision retient également que le travailleur a démontré un motif raisonnable lui permettant d’être relevé de son défaut d’avoir respecté le délai. En outre, le tribunal retient de la preuve soumise que le travailleur a été diligent pour prendre les mesures requises pour l’exercice de ses droits à l’encontre de la décision de la première juge administrative.

[18]        D’abord, la preuve démontre qu’alors qu’il est encore à l’intérieur d’un délai raisonnable de 45 jours, soit en date du 16 octobre 2013, le travailleur rencontre l’avocat de l’aide juridique qui le représentait à l’audience initiale pour s’informer de ses droits. Cet avocat lui indique alors que, compte tenu de la décision rendue par la première juge administrative, des démarches pour aller en Cour supérieure ont peu de chance de succès. Dans ce contexte, le même jour, le bureau d’aide juridique lui refuse l’aide demandée pour un tel recours.

[19]        Le tribunal retient que, malgré tout, le travailleur n’abandonne pas ses démarches.

[20]        En outre, la preuve démontre que, le 11 novembre 2013, le supérieur immédiat du travailleur impliqué dans l’altercation ayant mené à sa réclamation pour accident du travail, plaide coupable à une accusation de voies de fait survenues contre le travailleur, en date du 14 juin 2012. Il est donc déclaré coupable par la Cour municipale de Montréal, par voie d’infraction sommaire de culpabilité. Le travailleur en est informé puisqu’il est présent à la Cour municipale.

[21]        Deux jours plus tard, soit le 13 novembre 2013, le travailleur remplit le formulaire de demande de révision du refus d’aide juridique y précisant que son supérieur immédiat a été déclaré coupable de voies de fait et que cet élément n’était pas connu au moment de l’audience initiale.

[22]        Le 19 décembre 2013, le Comité de révision de la Commission d’aide juridique rend sa décision et conclut que le travailleur a finalement droit à une attestation d’aide juridique pour une consultation. Le comité prend notamment en considération le fait que la déclaration de culpabilité du supérieur immédiat du travailleur sur une accusation de voies de fait apporte un éclairage nouveau à la preuve présentée devant la Commission des lésions professionnelles. Le 20 décembre 2013, cette décision est envoyée au travailleur.

[23]        Entre le 21 janvier et le 27 février 2014, le travailleur adresse quatre demandes au service de référence du Barreau pour quatre avocats différents incluant son représentant actuel.

[24]        Le 10 mars 2014, le centre communautaire d’aide juridique émet une attestation d’admissibilité et un mandat à l’intention de l’actuel avocat du travailleur.

[25]        Le 14 mars 2014, ce nouveau représentant dépose la présente requête en révision invoquant la survenance d’un fait nouveau, en date du 11 novembre 2013, qui justifierait, selon lui, une décision différente.

[26]        Ainsi, le tribunal retient de la preuve soumise que le travailleur a éprouvé des difficultés à obtenir un mandat d’aide juridique dans un délai respectant celui prévu à l’article 429.57 de la loi. Il a fait preuve de diligence dans ses démarches pour l’exercice du recours en révision, même s’il s’était fait dire initialement par l’avocat qui le représentait alors, qu’il avait peu de chance de succès.

[27]        Au regard du délai, les faits de la présente cause s’apparentent à ceux décrits dans l’affaire Nadeau et Commission des lésions professionnelles et als[4]. Dans cette décision, la Cour supérieure relève la travailleuse de son défaut d’avoir déposé sa requête en révision judiciaire dans le délai prévu à la loi, au motif qu’elle a éprouvé des difficultés à obtenir un mandat d’aide juridique.

[28]        L’employeur n’ayant pas démontré en quoi il subirait un grave préjudice, le tribunal relève le travailleur de son défaut d’avoir déposé sa requête en révision dans le délai et la déclare recevable.

[29]        Quant au fond sur la requête en révision, il y a lieu de rappeler les principes suivants relativement au recours déposé en vertu de l’article 429.56 de la loi. Il ne s’agit pas d’un second appel. Il ne suffit pas d’être en désaccord avec une décision pour qu’il y ait matière à révision. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des trois motifs prévus à l’article 429.56 de la loi est établi.

[30]        Les trois motifs pouvant donner ouverture à la révision ou à la révocation sont les suivants. Premièrement, lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Deuxièmement, lorsqu’une partie n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. Troisièmement, lorsqu’il est démontré un vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision.

[31]        Compte tenu des arguments présentés par le travailleur, il y a lieu de s’attarder aux premier et troisième alinéas du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[32]        Au regard du premier alinéa, la jurisprudence[5] enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du tribunal. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige. En outre, l’application de cet alinéa ne doit pas être une occasion qui est donnée à une partie de compléter la preuve qu’elle aurait été en mesure de soumettre initialement[6].

[33]        Hormis le fait nouveau, le travailleur prétend également que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Il invoque ainsi l’application du troisième alinéa du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[34]        À ce sujet, il y a lieu de rappeler que cette notion de « vice de fond » qui est de « nature à invalider » la décision a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles[7] comme étant une erreur manifeste, de droit ou de faits, ayant un effet déterminant sur l’issue du litige.

[35]        Dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[8], la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur la notion de « vice de fond ». Elle réitère que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore d’interpréter différemment le droit. Elle établit également que la décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. Dans l’affaire précitée, comme elle l’avait déjà fait dans la cause TAQ c. Godin[9], la Cour d’appel invite et incite la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d'une très grande retenue dans l'exercice de son pouvoir de révision.

[36]        Ainsi, un juge administratif saisi d'une requête en révision ne peut pas écarter la conclusion à laquelle en vient le premier juge administratif qui a rendu la décision attaquée et y substituer la sienne au motif qu'il n'apprécie pas la preuve de la même manière que celui-ci. Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.

[37]        Dans le présent cas, la première juge administrative, devait déterminer si le travailleur a subi une lésion professionnelle, le 14 juin 2012.

[38]        Plus spécifiquement, le travailleur prétendait essentiellement avoir été victime d’une agression au travail, de la part de son supérieur immédiat, sous forme de coups de tête et de coups de poing ayant entraîné différentes blessures physiques ainsi qu’un trouble d’adaptation avec humeur dépressive. De son côté, bien que reconnaissant l’al-tercation par le supérieur immédiat, l’employeur prétendait qu’il n’avait fait que pousser le travailleur, laquelle agression n’avait pas entraîné les lésions diagnostiquées.

[39]        La première juge administrative devait donc déterminer si le travailleur pouvait bénéficier de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi ou, le cas échéant, s’il avait subi un accident du travail ayant causé ses lésions.

[40]        Lors de l’audience initiale s’étant tenue en date du 5 août 2013, le travailleur était présent et il était assisté d’un avocat autre que celui qui le représente dans le cadre de la présente requête. Aucun représentant de l’employeur n’y était présent.

[41]        Au regard de l’administration de la preuve, hormis le dossier de la Commission des lésions professionnelles, la première juge administrative a entendu le témoignage du travailleur et disposait de l’expertise du docteur Taillefer, datée du 2 juillet 2013, faite à la demande de son représentant.

[42]        Le 15 août 2013, l’avocat de l’employeur écrivait à la Commission des lésions professionnelles afin de demander une réouverture d’enquête. Il indiquait que son absence à l’audience s’expliquait par le fait que l’employeur n’avait jamais reçu l’avis de convocation. Ainsi, après avoir obtenu le consentement de l’avocat du travailleur, il demandait de pouvoir prendre connaissance de l’enregistrement numérique de l’audience pour éventuellement déposer des représentations écrites.

[43]        La première juge administrative ayant accepté la demande de réouverture d’enquête, l’employeur déposait une argumentation écrite en date du 16 septembre 2013, à la suite de laquelle le travailleur confirmait ne pas avoir de complément d’argumentation à faire valoir.

[44]        Après avoir pris en considération l’ensemble de la preuve ainsi que les argumentations soumises de part et d’autre, la première juge administrative conclut que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, le 14 juin 2012.

[45]        Dans le cadre de sa décision, la première juge administrative résume d’abord les faits. Puis, dans la section des motifs, elle reproduit les dispositions pertinentes de la loi relatives aux notions de « lésion professionnelle » et d’« accident du travail » ainsi qu’à celle de présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi.

[46]        De façon préliminaire, la première juge administrative se prononce sur les diagnostics qui doivent être retenus aux fins de décider de l’admissibilité de la lésion. À cet égard, elle retient que les diagnostics qui lient le tribunal au sens de l’article 224 de la loi sont ceux d’entorse et de contusion cervicale et de trouble d’adaptation avec humeur dépressive.

[47]        Considérant que la contusion et l’entorse cervicale constituent des blessures, elle procède alors à l’analyse des critères de la présomption de l’article 28 de la loi, au regard de ces diagnostics. Faisant référence à la jurisprudence pertinente, elle analyse la preuve et explique en quoi il y a, selon elle, absence de corrélation temporelle entre le moment de la survenance alléguée des blessures et l’exécution du travail. Elle retient, en outre, que la preuve relative à la nature des symptômes et quant aux circonstances de leur apparition ainsi que le délai de consultation médicale ne démontrent pas que ces blessures sont survenues sur les lieux du travail, ce qui l’amène à conclure que le travailleur ne peut bénéficier de l’application de la présomption de l’article 28 de la loi.

[48]        Dans ces circonstances, elle procède par la suite à déterminer si ces blessures sont survenues par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail. À ce propos, elle considère que les versions de l’accident du travail données par le travailleur, ne sont pas cohérentes. Après avoir donné différents exemples de discordances dans les déclarations du travailleur, elle conclut qu’elles entachent fortement sa crédibilité.

[49]        De plus, elle retient que l’absence de symptômes contemporains à l’événement, l’évolution des symptômes et des diagnostics posés et le délai de consultation médicale l’amènent à écarter la version du travailleur selon laquelle ses lésions sont survenues lors d’une altercation en date du 14 juin 2012. Ainsi, conclut-elle que le travailleur n’a pas été victime d’un accident du travail entraînant les lésions en cause.

[50]        Dans le cadre de sa requête en révision, le travailleur soutient d’abord que la déclaration de culpabilité de son supérieur immédiat, en date du 11 novembre 2013, à une accusation de voies de fait contre sa personne survenues le 14 juin 2012, constitue un fait nouveau qui aurait pu justifier une décision différente. Il plaide que la décision de la première juge administrative sur l’appréciation de la crédibilité du témoignage du travailleur aurait pu être différente si elle avait eu connaissance que le supérieur immédiat avait finalement plaidé coupable à une accusation de voies de fait concernant l’événement allégué.

[51]        Même si l’on devait retenir que cette déclaration de culpabilité constitue un fait nouveau, le tribunal siégeant en révision estime qu’il n’a pas d’effet déterminant sur l’issue du litige.

[52]        En effet, la déclaration de culpabilité du supérieur immédiat du travailleur ne nous apprend rien sur les détails de l’altercation survenue le 14 juin 2012. Rien dans l’acte d’accusation ou dans le procès-verbal de la déclaration de culpabilité, du 11 novembre 2013 de la Cour municipale de Montréal, ne décrit la façon dont les voies de fait sont survenues.

[53]        De plus, lors de l’audience initiale, la première juge administrative disposait de toute la preuve quant aux différentes versions décrivant l’altercation. Le travailleur prétendait que son supérieur immédiat lui avait assené des coups de tête et des coups de poing. De son côté, par la preuve documentaire au dossier, l’employeur, ne niait pas la survenance d’une agression physique, mais prétendait plutôt que le supérieur immédiat du travailleur l’avait simplement poussé. Le fait que l’agresseur ait plaidé coupable à une accusation de voies de fait n’ajoute rien à la preuve ni à la crédibilité de la version du travailleur quant aux circonstances entourant l’événement.

[54]        À la lecture de la décision, on constate que la première juge administrative a tenu compte de l’ensemble de la preuve et des deux versions dont elle disposait et qu’en expliquant les raisons, elle a conclu que le témoignage du travailleur comportait des discordances entachant fortement sa crédibilité. Par sa décision, elle n’indique pas qu’il n’y a pas eu d’agression physique contre le travailleur, mais bien qu’elle n’est pas survenue dans les circonstances qu’il décrit et qu’elle n’a pas entraîné les lésions diagnostiquées.

[55]        Ainsi, le tribunal siégeant en révision estime que même si cette déclaration de culpabilité du supérieur immédiat à une accusation de voies de fait sur la personne du travailleur, constituait un fait nouveau, il n’est pas démontré qu’il aurait pu justifier une décision différente.

[56]        Par ailleurs, tel que mentionné précédemment, la jurisprudence a maintes fois reconnu que l’application du premier alinéa de l’article 429.56 ne doit pas être une occasion qui est donnée à une partie de compléter la preuve qu’elle aurait été en mesure de soumettre initialement[10]. Or, en l’espèce, le tribunal siégeant en révision retient que le travailleur était parfaitement au courant des procédures pénales prises contre son superviseur dont il suivait assidument le déroulement des différentes étapes. Pourtant, il n’a pas fait de demande de remise de l’audience initiale invoquant l’importance du résultat à venir de ces procédures pénales sur sa cause devant la Commission des lésions professionnelles. Il n’a pas non plus demandé un délai afin de pouvoir compléter sa preuve ultérieurement.

[57]        Dans ces circonstances, le tribunal siégeant en révision considère que, par le biais d’un recours en révision, le travailleur tente de soumettre un nouvel élément de preuve qu’il aurait pu faire valoir avant que la décision ne soit rendue, recherchant ainsi une nouvelle appréciation des faits, ce que ne permet pas le recours en révision.

[58]        Par conséquent, le tribunal estime que ce plaidoyer de culpabilité ne constitue pas un fait nouveau qui aurait pu justifier une décision différente au sens de l’article du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi.

[59]        Dans le cadre de sa requête, le travailleur invoque également que la décision comporte un vice de fond de nature à l’invalider. Il soutient qu’elle comporte plusieurs erreurs manifestes et déterminantes.

[60]        Premièrement, il plaide qu’il y a absence d’un lien rationnel entre la preuve et les conclusions de la décision.

[61]        Plus spécifiquement, il soutient qu’en exigeant du travailleur, au paragraphe [76] de la décision, qu’il fasse la preuve d’une corrélation temporelle entre le moment de la survenance alléguée des blessures, la première juge administrative a mal appliqué l’article 28 de la loi. Faisant référence aux principes retenus par la jurisprudence[11], il prétend que cela revient à exiger du travailleur qu’il fasse la preuve du lien de causalité entre les blessures et le travail alors que la présomption de l’article 28 vise à l’en dispenser.

[62]        Le tribunal siégeant en révision ne peut retenir cet argument. Il est inexact de prétendre que la première juge administrative a mal appliqué la présomption de l’article 28 de la loi.

[63]        En effet, à la lecture des paragraphes [76] à [83], le tribunal constate que pour analyser l’existence d’une corrélation temporelle entre le moment de la survenance alléguée des blessures et l’exécution du travail, la première juge administrative tient compte de plusieurs indices factuels qu’elle apprécie en fonction de la preuve soumise.

[64]        Notamment, elle retient que le travailleur n’a pas ressenti de douleur « sur le coup » de l’altercation, que ses explications sont confuses quant au moment de l’appa-rition des symptômes, qu’il n’a pas présenté de blessure visible autres que les fractures de dents à la suite de l’événement, qu’il y a un délai de consultation médicale de plus de deux semaines et qu’il y a de nombreuses discordances dans son témoignage.

[65]        Or, ce faisant, la première juge administrative ne fait qu’appliquer les enseigne-ments de la jurisprudence qui sont notamment repris dans l’affaire Boies[12]. À ce propos, il est pertinent de reproduire les passages suivants de cette décision de principe :

[110]    Évidemment, le tribunal prendra en compte différents éléments qui ultimement pourront lui permettre de conclure que la présomption s’applique ou non. On parle improprement de faire échec à la présomption ou d’empêcher l’application de la présomption comme s’il s’agissait d’ajouter des conditions supplémentaires à la démonstration qui doit être faite par le travailleur. Or, encore une fois, le tribunal réitère qu’il ne s’agit pas de conditions supplémentaires mais d’éléments factuels qui servent à l’appréciation de la probabilité que la blessure soit arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail.

 

[111]    La jurisprudence regorge de décisions qui ont apprécié ces éléments factuels, par exemple le délai à diagnostiquer la blessure, le délai pour déclarer un événement, et l’existence, par exemple, de déclarations contradictoires. Il s’agit essentiellement d’indices que le tribunal recherche pour décider si les trois conditions d’application de la présomption de l’article 28 de la loi sont démontrées. À titre illustratif, le tribunal aura à apprécier le plus souvent, les éléments suivants en vue d’établir qu’une blessure est arrivée sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail :

 

-           Le moment d’apparition des premiers symptômes associés à la lésion alléguée par le travailleur avec l’événement.

 

-           L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première visite médicale où l’existence de cette blessure est constatée par un médecin. On parle alors du délai à diagnostiquer la blessure.

 

-           L’existence d’un délai entre le moment où le travailleur prétend à la survenance de la blessure ou de l’événement en cause et la première déclaration à l’employeur. On parle alors du délai à déclarer les faits.

 

-           La poursuite des activités normales de travail malgré la blessure alléguée.

 

-           L’existence de douleurs ou de symptômes dont se plaint le travailleur avant la date alléguée de la blessure.

 

-           L’existence de diagnostics différents ou imprécis.

 

-           La crédibilité du travailleur (lorsque les versions de l’événement en cause ou les circonstances d’apparition de la blessure sont imprécises, incohérentes, voire contradictoires, ou lorsque le travailleur bonifie sa version à chaque occasion).

 

-           L’existence d’une condition personnelle symptomatique le jour des faits allégués à l’origine de la blessure.

 

[nos soulignements]

 

 

[66]        Ainsi, l’analyse de la première juge administrative quant à l’application de la présomption de l’article 28 de la loi ne comporte pas d’erreur. Il s’agit clairement d’une issue possible qui, de surcroît, est conforme à la jurisprudence de principe sur le sujet.

[67]        Par ailleurs, toujours au regard de l’application de la présomption, dans le contexte où l’altercation n’était pas contestée par l’employeur et que la preuve non contredite était favorable au travailleur, celui-ci prétend que la première juge administrative ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de douter de la survenance d’une blessure au travail. Il précise, qu’à partir du moment où la survenance des blessures était reconnue et que l’employeur admettait l’altercation, cela créait une présomption de faits précis et concordants entraînant nécessairement l’application de la présomption de l’article 28 de la loi.

[68]        D’abord, il y a lieu de préciser qu’il est inexact d’affirmer, comme le fait le travailleur, que la preuve qu’il a soumise était non contredite. Certes, l’employeur admettait la survenance d’une altercation, mais pas la façon dont elle était survenue ni que les blessures diagnostiquées étaient arrivées sur les lieux du travail.

[69]        De plus, contrairement à ce que plaide le travailleur, l’interprétation des faits qu’il propose n’est pas la seule issue possible.

[70]        La première juge administrative a pris en considération l’ensemble de la preuve testimoniale et documentaire qu’elle a soupesée et analysée pour finalement conclure à la non-application de la présomption de l’article 28 de la loi dans une décision intelligible, bien motivée et qui se défend juridiquement.

[71]        Le travailleur aurait souhaité que la première juge administrative retienne sa version des faits et la thèse qu’il plaidait, alors qu’elle a plutôt retenu celle de l’employeur. Il s’agit clairement d’une demande de réappréciation de la preuve, afin d’obtenir une nouvelle interprétation et de nouvelles conclusions.

[72]        Or, tel que mentionné précédemment, la révision n’est pas une occasion qui est donnée à une partie de demander à un autre juge administratif de réapprécier la preuve et le droit pour en arriver aux conclusions qu’elle aurait souhaité obtenir initialement.

[73]        Deuxièmement, le travailleur reproche à la première juge administrative d’avoir écarté, de façon arbitraire et sans aucune motivation, les conclusions du rapport du docteur Taillefer quant au délai de consultation médicale.

[74]        D’abord, à ce propos, la question du délai de consultation médicale ne relève pas de l’expertise médicale. Il s’agit d’une question de faits qui relève de l’appréciation de la preuve, tant médicale que factuelle, ce rôle étant dévolu au juge administratif du fond du dossier. L’opinion du docteur Taillefer, à cet égard, ne lie pas le tribunal et n’a pas nécessairement plus de poids que le reste de la preuve factuelle.

[75]        Or, à la lecture des paragraphes [48] et [49], on constate que la première juge administrative tient compte de l’opinion du docteur Taillefer et du témoignage du travailleur sur la question du délai de consultation. Cependant, contrairement à la thèse défendue par le travailleur, elle retient finalement, qu’il y a un long délai de consultation médicale, ce qu’elle explique au paragraphe [80]. Ce faisant, elle n’écarte pas de façon arbitraire et sans motivation, l’expertise du docteur Taillefer. Elle apprécie l’ensemble de la preuve et retient une autre avenue que celle proposée par ce médecin. Il ne s’agit pas d’une erreur manifeste et déterminante.

[76]        Troisièmement, le travailleur soutient que la première juge administrative commet une erreur manifeste et déterminante en faisant du « magasinage » de diagnostics. À ce propos, il lui reproche d’avoir fait une analyse sélective et non justifiée des diagnostics à retenir. Notamment, il soutient qu’elle a erronément écarté le diagnostic de traumatisme cranio-cérébral (TCC) au motif que le docteur Taillefer ne le retenait pas alors que d’un autre côté, elle écarte celui de contusion frontale au motif que ce médecin était le seul à l’avoir posé plus d’un an après la survenance de l’accident allégué.

[77]        Or, tel que le plaide l’employeur, le tribunal siégeant en révision considère que la première juge administrative n’effectue pas du « magasinage » de diagnostics. Elle détermine plutôt, dans un contexte de diagnostics multiples posés par différents médecins sur une longue période, celui qui lui paraît le plus approprié compte tenu de la preuve et des faits contemporains.

[78]        À cet égard, il est pertinent de reproduire les passages suivants de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire St-Pierre et Ministère des Transports[13] qui reconnaît la légitimité de cette façon de faire dans un cas où, comme en l’espèce, le travailleur consulte plusieurs médecins qui retiennent différents diagnostics :

[20]      La principale difficulté que pose le présent dossier est précisément d’identifier le diagnostic du médecin qui a charge du travailleur. En effet, le travailleur a non seulement consulté plusieurs médecins successivement mais en plus chaque médecin a proposé un diagnostic qui semble différent au premier abord de ceux retenus par les autres médecins.

 

[...]

 

[49]      Dans la résolution de cette problématique d’identification du diagnostic du médecin qui a charge, le tribunal doit garder à l’esprit que son devoir est de s’assurer que le travailleur obtient ce à quoi il a droit, pas plus ni moins, qu’il doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu  et qu’il doit s’attarder à rechercher la vérité.

 

[50]      C’est ainsi que, lorsque plusieurs médecins consultés successivement posent des diagnostics différents, la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles et de la Commission des lésions professionnelles est à l’effet que le tribunal doit retenir parmi ces diagnostics celui qui lui paraît le plus approprié compte tenu de la preuve et des faits contemporains.

 

[51]      Il ne s’agit pas pour le tribunal de statuer lui-même sur le diagnostic mais de retenir, à partir des diagnostics posés par les médecins du travailleur, celui qui s’accorde le mieux avec les faits prouvés.

 

[52]      Dans l’esprit de la jurisprudence déjà citée, il faut préférer une application souple à une application mécanique de l’article 224 de la loi, en privilégiant la recherche de la vérité. Ce devoir qui incombe au tribunal est si fondamental qu’il lui permet même d’écarter un diagnostic non contesté selon la procédure d’évaluation médicale s’il s’avère manifestement faux.

 

 

[79]        Ainsi, en l’espèce, la première juge administrative ne contrevient pas à l’article 224 de la loi et ne commet pas d’erreur en droit en déterminant, de façon préalable, quels diagnostics doivent être retenus aux fins de l’analyse de l’admissibilité de la lésion professionnelle.

[80]        Quatrièmement, le travailleur reproche à la première juge administrative d’avoir omis de considérer le fait que la journée même de l’accident, il avait consulté son dentiste, celui-ci ayant diagnostiqué des fractures aux dents, qui selon la preuve soumise, ont été causées par les coups reçus de la part de l’agresseur.

[81]        Contrairement à ce que soutient le travailleur, la première juge administrative prend en considération la visite du travailleur chez son dentiste le jour de l’événement du 14 juin 2012. En outre, aux paragraphes [67] et [68], elle rapporte que dans le rapport daté du 3 juillet 2012, le dentiste Bessette fait état de fractures dentaires. Elle rapporte, toutefois, également que le travailleur affirme avoir déjà eu des saignements aux gencives dans le passé

[82]        Tel que le plaide l’employeur, l’importance à donner à cet élément de preuve relevait de la première juge administrative, laquelle a eu l’occasion d’entendre le travailleur et d’analyser l’ensemble de la preuve. Il y a également lieu de souligner, qu’à l’écoute de l’enregistrement de l’audience, le travailleur n’a certainement pas donné lui-même beaucoup d’importance à cet élément puisqu’alors qu’il est questionné sur l’apparition de ses symptômes, il ne fait aucunement référence à ses problèmes dentaires. De plus, il n’est même pas revenu spécifiquement sur le sujet durant son argumentation.

[83]        De toute façon, même si on devait retenir que la première juge administrative a commis une erreur en ne disposant pas spécifiquement du diagnostic de fractures dentaires dans son analyse de la présomption, on ne peut considérer qu’elle serait déterminante. En effet, le litige devant la première juge administrative portait essentiellement sur une question de crédibilité et elle était appelée à trancher entre deux versions. Celle du travailleur consistait à prétendre que son supérieur immédiat lui avait assené des coups de tête au visage et des coups de poing à la gorge entraînant diverses lésions. Quant à l’employeur, il admettait que le supérieur immédiat du travailleur l’avait poussé, mais que cet événement n’avait pas entraîné les diverses lésions dont il se plaint.

[84]        Or, à la lecture de l’ensemble de la décision, on comprend qu’après analyse de la preuve soumise, la première juge administrative n’accorde aucune crédibilité à la version du travailleur sur les circonstances de l’altercation et que, selon elle, l’ensemble des blessures diagnostiquées ne sont pas arrivées sur les lieux du travail alors qu’il était à son travail ni qu’elles font suite à un événement imprévu et soudain survenu au travail.

[85]        Par conséquent, cet argument doit également être rejeté.

[86]        Cinquièmement, le travailleur prétend que la première juge administrative commet une erreur manifeste et déterminante dans son raisonnement juridique en concluant à la non-crédibilité de son témoignage. Pour appuyer cet allégué, il réitère que dans l’exercice de l’appréciation de sa crédibilité, la première juge administrative n’a pas tenu compte de son témoignage non contredit ni de l’impact de l’agression sur son état psychique. Il lui reproche, en outre, d’avoir écarté son témoignage sur la base d’éléments que, lui, considère comme non pertinents ou non démontrés.

[87]        En somme, le travailleur reproche à la première juge administrative d’avoir mal évalué sa crédibilité.

[88]        Le tribunal siégeant en révision comprend que le travailleur n’aurait pas interprété la preuve de la même façon. Cependant, tel que le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Dumont et Déménagex[14], une telle divergence d’interprétation ne peut permettre de conclure que la décision comporte une erreur manifeste et déterminante sur l’issue de la contestation.

[89]        La première juge administrative disposait de l’ensemble de la preuve documentaire et a entendu le témoignage du travailleur. À la lecture de toute la décision, on constate qu’elle a apprécié l’ensemble de cette preuve et qu’elle en a relevé les imprécisions, les incohérences, les contradictions et les bonifications. Or, c’est clairement son rôle d’évaluer la fiabilité ou la crédibilité d’un témoignage, qu’il soit contredit ou pas. 

[90]        À ce propos, la jurisprudence a maintes fois rappelé que l’évaluation de la crédibilité relève du juge administratif qui entend les témoignages et que le recours en révision n’est pas un appel déguisé qui peut servir de prétexte pour obtenir une nouvelle appréciation de la preuve[15].

[91]        D’ailleurs, la Cour d’appel l’a rappelé dans l’affaire Bédard et Commission des lésions professionnelles[16], alors qu’elle révise une décision rendue par un juge de la Cour supérieure au motif qu’il avait erronément substitué son appréciation à celle de la Commission des lésions professionnelles sur une question de crédibilité :

[10]      La troisième erreur commise par la juge de première instance consiste à avoir substitué sa propre appréciation de la crédibilité de l’intimé à celle de la CLP. La juge d’instance écrit, en effet, que la version de l’intimé est demeurée « constante » sur le fait que la douleur est apparue au moment où il circulait en autobus. L’examen de la décision de la CLP permet de constater que la détermination de la CLP, selon laquelle l’appelant n’était pas crédible, n’a pas été faite dans un vide factuel. De plus, cette évaluation reposait sur une interprétation qui n’était pas déraisonnable.

 

[notre soulignement]

 

 

[92]        Or, dans le présent cas, à la lecture de la décision dans son ensemble, le tribunal siégeant en révision constate que l’appréciation de la crédibilité du témoignage du travailleur n’a pas été faite dans un vide factuel. Cette allégation du travailleur doit donc également être rejetée.

[93]        Sixièmement, le travailleur soutient que la première juge administrative a erré en droit en omettant de se prononcer sur le lien de causalité entre le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur dépressive post-traumatique et l’événement du 14 juin 2012.

[94]        Tel que le plaide le représentant de l’employeur, le tribunal siégeant en révision constate que la première juge administrative dispose de cette question en rejetant la version du travailleur selon laquelle, les lésions en cause sont survenues lors de l’altercation du 14 juin 2012.

[95]        C’est notamment ce qu’il ressort de la décision lorsqu’elle écrit n’accorder aucune crédibilité au témoignage du travailleur quant aux circonstances entourant l’altercation et qu’elle retient ce qui suit au regard des « lésions en cause » :

[91]      De plus, et tel que mentionné précédemment, l’absence de symptômes rapportés de manière contemporaine audit événement, l’évolution des symptômes en question et des diagnostics posés ainsi que le délai de consultation auprès d’un médecin, mais une consultation immédiate auprès d’un dentiste font en sorte que le présent tribunal écarte la version du travailleur à l’effet que les lésions en cause sont survenues lors d’une altercation le 14 juin 2012.

 

[notre soulignement]

 

 

[96]        Tel que le soutient l’employeur, le tribunal siégeant en révision estime que les « lésions en cause » incluent le diagnostic de trouble d’adaptation avec humeur dépressive post-traumatique, tel qu’en fait foi le paragraphe [74] de la décision :

[74]      Aussi, les diagnostics posés par les médecins traitant et repris par le docteur Taillefer, diagnostics qui feront l’objet de l’analyse de l’admissibilité de la requête du travailleur, sont donc entorse et contusion cervicale ainsi que trouble de l’adaptation avec humeur dépressive post-traumatique.

 

 

[97]        Il y a lieu de souligner qu’à l’audience initiale, le travailleur avait lui-même plaidé de façon très générale que l’altercation avait entraîné l’ensemble des lésions sans faire de distinction particulière concernant celle d’ordre psychique. Ainsi, le travailleur n’a pas démontré non plus sur cet aspect, que la décision comportait une erreur.

[98]        Septièmement, le travailleur allègue que la première juge administrative a commis une erreur manifeste et déterminante en considérant la déclaration écrite du témoin Gerry Rona, produite par l’employeur, sans que le travailleur puisse le contre-interroger et faire valoir une contre-preuve, commettant ainsi un accroc à la règle « audi alteram partem ».

[99]        D’abord, il s’agit d’un argument qui concerne l’évaluation de la force probante de la preuve soumise de part et d’autre. Cela relève clairement du rôle de la première juge administrative qui était saisie du fond du dossier. Lors de l’audience, le travailleur n’a pas plaidé sur cette question. Or, la révision n’est pas une occasion qui est donnée à une partie de faire valoir de nouveaux arguments qu’il aurait pu soumettre en premier lieu[17].

[100]     Par ailleurs, tel que le soutient l’employeur, c’est le travailleur qui était en appel et il disposait de cette déclaration écrite. S’il voulait s’objecter à ce qu’elle soit prise en considération lors de l’audience initiale, il pouvait le faire. De plus, tel que le souligne l’employeur, il aurait pu assigner ce témoin afin de le contre-interroger sur sa version des faits constatés dans cette déclaration écrite. Le travailleur a eu toute l’opportunité de se faire entendre, mais a choisi implicitement de laisser le tout à l’appréciation de la première juge administrative.

[101]      Conséquemment, le tribunal siégeant en révision estime qu’il n’y a pas eu d’accroc aux règles de justice naturelle et la première juge administrative n’a commis aucune erreur à cet égard[18].

[102]     En terminant, il est évident que par sa requête, le travailleur demande une réappréciation de la preuve. La première juge administrative a joué son rôle en appréciant l’ensemble de la preuve soumise devant elle à la lumière des règles de droit pertinentes. Il s’agissait clairement d’un cas de crédibilité et elle n’a pas cru le travailleur. Elle a expliqué pourquoi dans sa décision en la motivant d’une façon intelligible.

[103]     La requête du travailleur s’avère être un appel déguisé par lequel il recherche une nouvelle appréciation de la preuve et du droit afin d’obtenir la conclusion qu’il souhaitait initialement, mais il n’a pas démontré que la décision comportait un vice de fond de nature à l’invalider.

[104]     Pour toutes ces raisons, la requête du travailleur est rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur A... G....

 

 

__________________________________

 

MONIQUE LAMARRE

 

 

Me Martin Cojocaru

TURBIDE, LEFEBVRE, ROY

            Représentant de la partie requérante

 

 

Me Patrick Essiminy

STIKEMAN, ELLIOTT

            Représentant de la partie intéressée

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]           Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860; Récupération Grand-Portage inc. et Lavoie, C.L.P. 86045-01A-0702, 5 février 1999, J.-L. Rivard; Godbout et Les Spécialités MB 1987 inc., C.L.P. 90735-62B-9708, 19 mars 1999, C. Lessard; Chouinard et Four Points par Sheraton Montréal (fermé), C.L.P. 362794-71-0811, 14 septembre 2010, L. Nadeau.

[3]           C.L.P. 127239-71-9911, 18 septembre 2000, Anne Vaillancourt, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-060727-003, 23 janvier 2001, j. Le Bel.

[4]           450-17-002727-080, le 8 octobre 2009, j. M. Bureau (CS).

[5]           Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, A. Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.

[6]           Vêtements Golden Brand Canada ltée et Casale, C.L.P. 100304-60-9804, 16 décembre 1998, É. Harvey; Service correctionnel du Canada et Rivard, [1998] C.L.P. 635; Magasin Laura PV inc. et CSST, C.L.P. 76356 - 61-9601, 15 février 1999, S. Di Pasquale; Lessard et Les produits miniers Stewart inc., C.L.P. 88727-08-9705, 19 mars 1999, J.-G. Roy, requête en révision judiciaire rejetée, [1999] C.L.P. 825 (C.S.); Poitras et Christina Canada inc., C.L.P. 100370-62-9803, 7 mars 2000, M. Zigby, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Longueuil, 505-05-006180-001, 9 janvier 2001, j. Tremblay.

[7]           Voir notamment Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783.

[8]          [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[9]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[10]         Précitée, note 6.

[11]         Boies, et CSSS Québec-Nord, 2011 QCCLP 2775.

[12]         Précitée, note 11.

[13]         C.L.P. 260575-09-0504, 7 novembre 2005, G. Tardif.

[14]         2015 QCCLP, 1419.

[15]         Franchellini et Sousa, précitée note 7 ; Dumont et Déménagex, précitée note 14.

[16]         C.A. Québec, 200-09-006828-096, 26 novembre 2010, jj. Thibault, Rochette, Viens.

[17]         Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729; Martel et Laiterie Lamontagne ltée, 58232-02-9404, 17 janvier 1997, M. Carignan; Vêtements Peerless inc. et Doan, [2001] C.L.P. 360.

[18]         Voir notamment Brière et Hôpital général du Lakeshore, [2002] C.L.P. 564, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Joliette, 705-17-000523-033, 03-05-14, j. Trahan.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.