9355-9706 Québec inc. c. Kwart Owusu |
2019 QCRDL 40614 |
RÉGIE DU LOGEMENT |
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Bureau dE Laval |
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No dossier : |
392883 36 20180417 G |
No demande : |
2480117 |
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Date : |
17 décembre 2019 |
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Régisseure : |
Isabelle Normand, juge administrative |
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9355-9706 Québec Inc. |
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Locateur - Partie demanderesse |
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c. |
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Edward Kwart Owusu |
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Locataire - Partie défenderesse |
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D É C I S I O N
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[1] Le locateur demande que le locataire exécute son obligation, soit de contracter une assurance responsabilité, l’exécution provisoire de la décision et la condamnation du locataire au paiement des frais.
[2] Les parties sont liées par un bail du 1er juillet 2017 au 30 juin 2018 au loyer mensuel de 680 $ reconduit jusqu’au 30 juin 2020.
[3] Le locataire occupe le logement concerné depuis le 1er juillet 2017 et, lors de la conclusion du bail le 28 mars 2017, il a signé les règlements de l’immeuble qui précisent, quant à l’assurance :
« Le locataire s’engage à détenir en tout temps une assurance habitation couvrant sa responsabilité. Il devra fournir au propriétaire une preuve d’assurance lors de chaque renouvellement de son bail. »
[4] Ainsi, le locateur requiert du locataire qu’il contracte une police d’assurance responsabilité, ce qu’il n’a jamais fait depuis le début de son occupation.
[5] Le locateur précise qu’il ne recherche pas la résiliation du bail, car le locataire est un locataire qui collabore bien généralement.
[6] Le locataire conteste la demande du locateur. Le Tribunal comprend qu’il tente de soumettre que cette clause du règlement, qui est incluse au bail, est illégale et qu’il n’a pas donné son consentement valablement lorsqu’il a signé le règlement du bail, en 2017.
Analyse et décision
[7] Le locateur fonde sa demande sur les dispositions de l’article 1863 du Code civil du Québec (C.c.Q.) qui stipule :
« 1863. L'inexécution d'une obligation par l'une des parties confère à l'autre le droit de demander, outre des dommages-intérêts, l'exécution en nature, dans les cas qui le permettent. Si l'inexécution lui cause à elle-même ou, s'agissant d'un bail immobilier, aux autres occupants, un préjudice sérieux, elle peut demander la résiliation du bail.
L'inexécution confère, en outre, au locataire le droit de demander une diminution de loyer; lorsque le tribunal accorde une telle diminution de loyer, le locateur qui remédie au défaut a néanmoins le droit au rétablissement du loyer pour l'avenir. »
[8] Le Tribunal n’est pas du même avis que le locataire.
[9] Dans un premier temps, cette clause l’obligeant à contracter une police d’assurance ne peut être déclarée illégale.
[10] D’ailleurs, il s’agit d’une clause incluse au bail et à laquelle le locataire a consenti en 2017.
[11] De plus, le Tribunal considère que le locataire a donné son consentement valablement.
[12] En effet, l'article 1385 C.c.Q. stipule que le contrat est formé par l'échange de consentement de personnes capables de contracter.
[13] L'on doit répondre à la question si le consentement du locataire a été vicié par les informations ou l'omission de l'informer.
[14] Quatre conditions de fond[1] sont nécessaires à la conclusion d'un contrat, en l'occurrence la cession de bail et le bail :
1. Un consentement valablement donné;
2. Des parties capables de contracter;
3. Un bien ou une prestation;
4. Une cause du contrat.
[15] Ce consentement doit être libre et éclairé[2] et peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.
[16] Ce n'est pas tout vice de consentement qui permet d'obtenir la nullité d’une clause à un contrat.
[17] La jurisprudence nous enseigne que deux notions doivent être considérées relativement au consentement éclairé, soit l'obligation de renseigner, qui prend son fondement dans l'obligation générale de bonne foi, et l'obligation de se renseigner, dont l'omission peut constituer une fin de non-recevoir[3].
[18] Cette obligation de renseignement n'est ni générale ni universelle; elle est interprétée en tenant compte de l'obligation corrélative de se renseigner et ne s'applique pas à l'information que l'une des parties au contrat possède déjà ou à laquelle elle pouvait accéder en se comportant de façon prudente et diligente[4]. Le droit protège le cocontractant contre une inégalité situationnelle, mais pas contre sa propre négligence[5].
[19] Si l'une des parties a accès à de l'information pour se renseigner et évaluer les risques et les implications du contrat, elle ne peut blâmer l'autre partie de ne pas avoir effectué toutes les recherches et les interprétations qu'elle fait de cette information qu'elle a obtenue subséquemment.
[20] L'obligation de se renseigner fait échec au devoir corrélatif de renseignement de l'autre partie lorsque le contractant a la possibilité de connaître l'information ou d'y avoir accès[6].
[21] Les parties contractantes ont le devoir de ne pas se fermer volontairement les yeux et doivent revoir les éléments qui peuvent généralement les encourager à se renseigner et à obtenir les informations nécessaires afin de protéger leurs droits[7].
[22] Le locataire demande, en raison de son consentement qui, selon lui, a été vicié, l’annulation de la clause l’obligeant à contracter une assurance.
[23] Le Tribunal est d'avis que le consentement du locataire n'a pas été vicié par le manque d'information ou l'omission de l'informer adéquatement.
[24] Tel que nous l'enseigne la jurisprudence, le locataire avait le devoir de faire des recherches afin de pouvoir, de façon éclairée, réfléchir à son choix de conclure un bail, et ce, lorsqu’il signe ce règlement l’obligeant à contracter une telle police d’assurance.
[25] Aucune preuve n'a été administrée quant à son incapacité à transiger. D'ailleurs, la capacité d'une personne est présumée[8].
[26] Tel que le mentionnent les commentaires du ministre de la Justice relativement à l'article 1400 C.c.Q., ce n'est pas tout vice de consentement qui peut donner ouverture à l'annulation d'un contrat, car il en va de la sécurité des actes juridiques :
« Cet article traite de l'erreur simple comme vice de consentement.
Le premier alinéa, conforme au droit antérieur énonce les cas où l'erreur est constitutive de vice de consentement, soit l'erreur sur la nature du contrat, l'erreur sur l'objet même de la prestation, la chose, et l'erreur sur l'élément essentiel ayant déterminé le consentement, qui vise l'erreur sur la substance, l'erreur sur les qualités substantielles de la chose est l'erreur sur la consternation principale.
Quant au second alinéa, il modifie le droit antérieur, en ne permettant plus que l'erreur grossière ou inexcusable puisse être constitutive d'un vice de consentement sanctionné par la loi. Un tel changement a paru s'imposer pour la stabilité de l'ordre contractuel en général, en évitant des situations d'injustice et de préjudice certain pouvant autrement être subies par le cocontractant de bonne foi, qui se verrait frustré du bénéfice qu'il escomptait retirer du contrat, par suite de l'incurie de son cocontractant. En rejetant ainsi l'erreur grossière ou inexcusable, la règle énoncée rejoint, par ailleurs, les solutions du droit français. »
[27] Quant à l'article 1401 C.c.Q., les commentaires du ministre de la Justice sont les suivants :
« Cet article modifie les dispositions de l'article 993 C.C.B.C. sur plusieurs points.
D'abord, il présente le dol ou la fraude comme étant non pas en lui-même un vice de consentement, mais plus justement la source d'une erreur qui, elle, vice le consentement. C'est, en effet, l'erreur provoquée par le dol qui est vice de consentement, et non le dol lui-même.
Ensuite, il reconnaît désormais clairement, à compter du dol principal qui détermine l'adhésion du consentement au contrat, le dol dit incident qui, lui, détermine l'acceptation des conditions mêmes de l'engagement. Il en résulte que l'erreur provoquée par le dol sera vice de consentement, non seulement dans les cas où le contractant n'aurait pas contracté s'il avait connu la vérité, mais désormais, aussi, dans les cas où il aurait néanmoins contracté, à des conditions cependant moins onéreuses ou différentes.
Enfin, conformément à une tendance jurisprudentielle des dernières années, l'article admet désormais que le silence ou la réticence puisse être constitutive de dol, dans certaines circonstances. Il est des situations, en effet, où le simple fait de laisser le contractant croire une chose par erreur sans le détromper, ou de s'abstenir de lui dévoiler un fait important qui changerait sa volonté de contracter, est tout aussi répréhensible que le mensonge ou les manoeuvres frauduleuses.
Il n'a pas paru utile de reprendre la précision du second alinéa de l'article 993 C.C.B.C., en vertu duquel le dol ne se présume pas et doit être prouvé. Il s'agit là de l'application des règles usuelles de preuve, en particulier celle de la présomption de bonne foi édictée à l'article 2805. »
[28] Ainsi, le locataire doit démontrer que le locateur l'a induit en erreur lors de la conclusion du bail, qu'il a été trompé par le locateur, ce qu'il n'a pas réussi à faire.
[29] En effet, il faut analyser les circonstances de la formation du contrat (cession de bail et du bail) pour déterminer si le consentement a été donné librement et de façon éclairée, tel que nous l'enseignent les auteurs Baudouin et Jodoin :
« 210- Erreur inexcusable. Réforme du Code civil-le Code civil du Québec a adopté le point de vue du droit français sur la question, en excluant l'annulation lorsque l'erreur est inexcusable. On retrouve dans cette nouvelle règle le souci de la stabilité des contrats illimités, déjà admise dans un contexte voisin, que chacun doit se renseigner avant de passer un contrat.
Il existe une certaine incertitude sur le sens du caractère inexcusable : faut-il y voir une simple faute, une négligence ordinaire, ou bien une faute grossière, un degré d'incurie qui dépasse la norme d'une personne prudente diligente ? Les auteurs français eux-mêmes paraissent divisés sur la question. À notre avis, pour priver la victime d'une erreur de son droit de demander la nullité du contrat, il faut à tout le moins que la preuve de sa faute soit très claire et qu'elle en tienne compte de facteurs tels que son expérience dans le domaine. Pour évaluer le caractère inexcusable de l'erreur, la jurisprudence devrait tenir compte des circonstances particulières de chaque espèce et adopter une appréciation in concreto de l'erreur. Elle fera peser dans la balance notamment (comme pour la crainte d'ailleurs) l'âge, l'état mental, l'intelligence, et la position professionnelle ou économique des parties.
Le comportement du cocontractant peut avoir des répercussions sur le caractère inexcusable de l'erreur. Quand le cocontractant manque à son obligation d'agir de bonne foi dans la formation du contrat (par exemple par des manœuvres de nature à surprendre la partie qui invoque l'erreur, ou en omettant de la renseigner comme il devait le faire), l'erreur qui autrement serait inexcusable par exemple, ne pas lire la convention que l'on signe deviendra très souvent excusable. Ainsi, le principe de la bonne foi a une incidence directe sur la règle particulière de l'erreur inexcusable. »
[30] Quant à l'erreur qui peut être invoquée comme cause d'erreur, l'auteur François Gendron précise :
« La partie qui invoque l'erreur a la charge de la preuve et doit démontrer à la satisfaction du tribunal qu'en l'espèce, il s'agit bien, d'une part, d'une erreur susceptible d'entraîner la nullité et, d'autre part, que cette erreur a été déterminante, c'est-à-dire qu'elle n'aurait pas contracté si elle avait connu la vérité. L'erreur est un fait juridique et donc tout moyen de preuve est admissible aussi bien la preuve testimoniale que la preuve par présomption de fait.
Pour éviter des fraudes, la jurisprudence a tendance à exiger cependant, si la partie invoque une erreur unilatérale, que son témoignage soit corroboré par les circonstances, un écrit ou d'autres témoignages [...]. L'erreur ne se présumant pas et toute la preuve devant être prépondérante, en cas de doute le juge favorise la validité du contrat. »[9]
[31] Le témoignage du locataire n'est pas corroboré par les circonstances entourant la conclusion du bail, de la signature de celui-ci et des règlements faisant partie intégrante du bail.
[32] En conclusion, le locataire devra contracter une police d’assurance responsabilité, et ce, dans les 30 jours du présent jugement.
[33] Il sera d’ailleurs condamné à payer au locateur les frais de justice au montant de 85 $.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[34] ACCUEILLE la demande du locateur;
[35] ORDONNE au locataire de contracter une police d’assurance responsabilité et de fournir au locateur cette preuve d’assurance dans les 30 jours de la signature de ce jugement, pour ce terme et à chaque année, de le faire au plus tard le 30 janvier de chaque année pendant lesquelles les parties seront liées par un bail du logement concerné;
[36] CONDAMNE le locataire à payer au locateur 85 $ à titre de frais de justice.
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Isabelle Normand |
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Présence(s) : |
le mandataire du locateur le locataire |
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Date de l’audience : |
12 décembre 2019 |
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[1] Articles 1386, 1398, 1399 et 1416 C.c.Q.
[2] Article 1399 C.c.Q.
[3] R. (Canada) c. Covex, (C.S., 1997-12-01), SOQUIJ AZ-98021083, J.E. 98-198, REJB 1997-03926, L.P.J. 98-0010 (appel accueilli pour d'autres motifs par (C.A., 2000-11-02), SOQUIJ AZ-50080443, J.E. 2000-2110, REJB 2000-20833).
[4] Canadian Indemnity Co. c. Canadian Johns-Manville Co., (C.S. Can., 1990-09-13), SOQUIJ AZ-90111091, J.E. 90-1259, [1990] R.R.A. 1038 (rés.), [1990] 2 R.C.S. 549, 33 Q.A.C. 161, 72 D.L.R. (4th) 478, 115 N.R. 161; Crédit-Bail Findeq inc. c. Boisvert, (C.S., 1994-09-12), SOQUIJ AZ-96121014, [1996] R.L. 116.
[5] Aliments C & C inc. c. Banque Royale du Canada, (C.A., 2014-08-26), 2014 QCCA 1578, SOQUIJ AZ-51104205, 2014EXP-2691, J.E. 2014-1533; Provigo inc. c. 9007-7876 Québec inc., (C.A., 2004-12-16), SOQUIJ AZ-50285848, J.E. 2005-192, REJB 2004-81732, 2004 CanLII 47877; Groupe Ortam inc. c. Richard Soucy Rembourrage inc., (C.S., 2011-03-04), 2011 QCCS 937, SOQUIJ AZ-50728027, 2011EXP-1030, J.E. 2011-548, EYB 2011-187266 (appel accueilli pour d'autres motifs par (C.A., 2012-12-13), 2012 QCCA 2275, SOQUIJ AZ-50923118, 2013EXP-88, J.E. 2013-46).
[6] 9069-7384 Québec inc. c. Superclub Vidéotron ltée, (C.S., 2004-01-14), SOQUIJ AZ-50216861, J.E. 2004-473, [2004] R.J.Q. 892, REJB 2004-53205; 2328-4938 Québec inc. c. Naturiste JMB inc., (C.S., 2000-09-08), SOQUIJ AZ-00022010, J.E. 2000-2013, [2000] R.J.Q. 2607, REJB 2000-20038.
[7] Avant Garde international inc. c. Giant Tiger Stores Ltd., (C.S., 2013-10-22), 2013 QCCS 5056, SOQUIJ AZ-51011209, 2013EXP-3617, J.E. 2013-1963, [2013] R.J.Q. 1910, EYB 2013-228206.
[8] Article 4 C.c.Q.
[9] GENDRON, François, L'interprétation des contrats, Montréal, Édition Wilson Lafleur, 2002, p. 96.
AVIS :
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