Lubecki c. Lubecki |
2015 QCCA 1547 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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MONTRÉAL |
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N° : |
500-09-023556-137 |
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(460-17-000817-072) |
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DATE : |
LE 20 MARS 2017 |
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CORAM : |
LES HONORABLES |
FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. FRANÇOIS DOYON, J.C.A. GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
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WILLIAM LUBECKI |
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APPELANT / INTIMÉ INCIDENT - demandeur |
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c. |
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MARIA LUBECKI |
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INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE - défenderesse |
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et |
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ANNE-MARIE ASHCROFT |
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THOMAS ASHCROFT |
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INTIMÉS - mis en cause |
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ARRÊT RECTIFICATIF |
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[1] Par inadvertance, une erreur s’est glissée lors de la rédaction des motifs et des conclusions de l’arrêt déposé le 18 septembre 2015.
[2] Vu le paragraphe [96] des motifs qui prévoit :
[96] J’estime qu’il y a donc lieu de réformer le jugement de première instance concernant l’octroi de dommages de 50 000 $ en faveur de Maria, pour retirer cette conclusion.
[3] Le paragraphe [131] des motifs aurait dû être rédigé de manière à tenir compte de la soustraction de la somme de 50 000 $ qui y était prévue et, en conséquence, à faire renvoi au paragraphe [83] des conclusions du jugement frappé d’appel. De plus, une désignation impropre s’est glissée dans la rédaction du nouveau paragraphe [63B] du jugement modifié de première instance. Le paragraphe [131] des motifs au soutien de l’arrêt aurait donc dû se lire :
[131] Pour l’ensemble de ces motifs, je suggère d’accueillir en partie tant l’appel principal que l’appel incident, avec dépens dans chacun des cas, et d’infirmer en partie le jugement de première instance pour rayer les conclusions des paragraphes [65], [75] à [78], de même que pour substituer aux conclusions des paragraphes [63], [80] et [83] celles qui figurent aux paragraphes [63A], [63B], [80] et [83] détaillés ci-après :
[…]
[63B] ORDERS Defendant to return to Plaintiff the following items : […]
[83] ORDERS Plaintiff to pay Defendant $25,000 for damages suffered by Defendant in the course of the liquidation of the estate;
[4] Une modification de concordance doit aussi être apportée dans les conclusions qui figurent au paragraphe [6] de l’arrêt.
EN CONSÉQUENCE, LA COUR :
[5] RECTIFIE le paragraphe [131] des motifs de l’arrêt déposé le 18 septembre 2015 pour qu’il soit ainsi rédigé :
[131] Pour l’ensemble de ces motifs, je suggère d’accueillir en partie tant l’appel principal que l’appel incident, avec dépens dans chacun des cas, et d’infirmer en partie le jugement de première instance pour rayer les conclusions des paragraphes [65], [75] à [78], de même que pour substituer aux conclusions des paragraphes [63], [80] et [83] celles qui figurent aux paragraphes [63A], [63B], [80] et [83] détaillés ci-après :
[…]
[63B] ORDERS Defendant to return to Plaintiff the following Items : […]
[83] ORDERS Plaintiff to pay Defendant $25,000 for damages suffered by Defendant in the course of the liquidation of the estate.
[6] RECTIFIE le paragraphe [6] du même arrêt pour qu’il soit ainsi rédigé :
[6] REMPLACE les conclusions des paragraphes [63], [80] et [83] par les conclusions suivantes :
[…]
[63B] ORDERS Defendant to return to Plaintiff the following Items : […]
[83] ORDERS Plaintiff to pay Defendant $25,000 for damages suffered by Defendant in the course of the liquidation of the estate.
[7] L'arrêt est donc rectifié en conséquence.
[8] Le tout sans frais.
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FRANÇOIS PELLETIER, J.C.A. |
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FRANÇOIS DOYON, J.C.A. |
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
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Me Julius H. Grey |
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Me Élisabeth Goodwin |
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GREY & CASGRAIN S.E.N.C. |
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Pour l’appelant / intimé incident |
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Maria Lubecki intimée / appelante incidente |
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Anne-Marie Ashcroft et Thomas Ashcroft intimés |
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Lubecki c. Lubecki |
2015 QCCA 1547 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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N° : |
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(460-17-000817-072) |
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DATE : |
LE 20 MARS 2017 |
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WILLIAM LUBECKI |
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APPELANT / INTIMÉ INCIDENT - demandeur |
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c. |
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MARIA LUBECKI |
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INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE - défenderesse |
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ANNE-MARIE ASHCROFT |
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THOMAS ASHCROFT |
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INTIMÉS - mis en cause |
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ARRÊT RECTIFIÉ |
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[1] Les deux parties interjettent appel du jugement rendu le 27 mars 2013 par la Cour supérieure, district de Bedford (l’honorable Yves Tardif), qui accueille en partie l’action de l’appelant William Lubecki et les demandes reconventionnelles des intimés.
[2] Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrivent les juges Pelletier et Doyon, LA COUR :
[3] ACCUEILLE EN PARTIE les appels principal et incident, avec dépens dans chacun des cas;
[4] INFIRME en partie le jugement de première instance;
[5] RAYE les conclusions des paragraphes [65], [75] à [78] de ce jugement;
[6] REMPLACE les conclusions des paragraphes [63], [80] et [83] par les conclusions suivantes :
[63A] DECLARES that the movables Iisted below :
• 1 matching Windsor chair;
• 1 Queen Anne desk;
• 4 antique pewter mugs;
• 1 Grandfather's carving set;
• 1 Cupola and weather vane;
• […]
• Curtains;
• 1 oval silver picture frame re: grandfather's photograph;
• Plaintiff’s bedroom items:
• 4 pictures/paintings;
• 1 wall mirror;
• 2 table lamps;
• 1 bed spread;
• 1 oval silver picture frame containing grandfather's photograph;
• Books in bookcase;
• Photographs from personal photo album;
belong to the party in possession of them on March 27, 2013;
[63B] ORDERS Defendant to return to Plaintiff the following items :
• 3 attached ceiling light fixtures;
• 1 attached ceiling dining room chandelier;
• 2 attached fireplace mantles;
[80] DECLARES that the residential land of Stukely Lake owned by the estate be distributed between William Lubecki, Anne-Marie Ashcroft and Thomas Ashcroft, each to own an undivided ownership of 1/3 of said residential land, after allocation of a portion of land equal to 1.5 acres at Stukely Lake in favour of Maria in accordance with the Codicil.
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MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE |
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[7] La Cour doit trancher les appels principal et incident visant le jugement rendu le 27 mars 2013 par la Cour supérieure, district de Bedford (l’honorable Yves Tardif). Ce jugement accueille en partie l’action de l’appelant William Lubecki (« William »)[1] et les demandes reconventionnelles des intimés, Maria Lubecki (« Maria ») et ses deux enfants, Anne-Marie Ashcroft (« Anne-Marie ») et Thomas Ashcroft (« Thomas »).
[8] William et Maria sont les enfants de feu Sara Elizabeth Miner, décédée le 24 août 2004 à l’âge de 92 ans. Ils sont également les liquidateurs de sa succession.
[9] Le litige, qualifié par le juge d’instance de « long running feud », s’inscrit dans une saga judiciaire qui remonte au décès de Mme Miner et porte sur l’interprétation de son dernier testament notarié du 21 août 2003[2] (« Testament »), et de son codicille notarié du 16 juillet 2004[3] (« Codicille »).
[10] En effet, dès 2004, les procédures se succèdent. Maria a d’abord recours à une demande d’injonction pour forcer William à quitter momentanément la propriété de Granby qui lui est dévolue, afin de permettre à Maria d’y récupérer certains biens, tel que prévu au Testament.
[11] Puis, confrontée au refus de William de prendre les décisions qui lui reviennent à titre de liquidateur, Maria initie un recours pour le destituer de ses fonctions et demande une ordonnance de sauvegarde pour être autorisée à payer les factures des comptables, du notaire et des procureurs de la succession et à compléter les déclarations fiscales de celle-ci.
[12] En juin 2005, William intente à son tour deux recours contre Maria : l’un, pour réclamer certains biens meubles et la communication d’informations[4] et l’autre, en reddition de comptes[5]. Au mois d’août 2005, William dépose également un recours en dommages-intérêts et dommages exemplaires et en réclamation de certains biens meubles[6], qu’il abandonnera, comme ses deux premiers recours. Il initie aussi une requête pour faire annuler le Codicille[7], dont il se désistera par la suite[8].
[13] Dans le présent dossier, la procédure initiale émane de William en mai 2007. Alors que Maria et lui se disputent sur plusieurs aspects de la liquidation de la succession, William dépose une requête pour la nomination d’un tiers liquidateur.
[14] Le 10 août 2007, Maria produit une contestation et demande reconventionnelle dans laquelle elle réclame 20 000 $ en dommages à William et demande à la Cour supérieure de déterminer les droits et obligations des parties en vertu du Testament.
[15] Le 10 décembre 2007, les parties procèdent au fond devant le juge Gaétan Dumas. Après une demi-journée d’enquête quelque peu chaotique ponctuée de tentatives répétées de William de déposer une série de nouvelles pièces, le juge transforme l’audience en conférence préparatoire durant laquelle il ordonne à William de déposer une nouvelle requête amendée reprenant toutes les questions en litige, de même que l’ensemble des pièces qu’il entend produire.
[16] À la mi-janvier 2008, William modifie substantiellement sa requête[9]. Il y ajoute Anne-Marie et Thomas, à titre de mis en cause, et demande à la Cour supérieure de statuer sur l’interprétation du Testament et du Codicille, de même que sur la propriété de certains biens meubles et le paiement des coûts du litige.
[17] En juillet 2008, Anne-Marie et Thomas produisent leur contestation par laquelle ils demandent que William soit déshérité en raison de ses agissements abusifs envers la défunte, en se fondant sur l’article VI du Testament qui est rédigé ainsi :
«ARTICLE VI ABUSIVE INHERITOR
It is my wish that any inheritor in these presents would be disinherited if he or she becomes abusive of me after this date. In this regard my liquidators and the deciding party below appointed shall have all powers to decide by majority rule and final decision and declare an inheritor abusive and disinherited from my estate. ».
[18] En décembre 2011, William signifie une requête en rejet de cette contestation, qu’il demande au tribunal de déclarer abusive au motif qu’elle est prescrite et que les mis en cause n’ont ni la capacité juridique ni l’intérêt requis pour réclamer son exhérédation. Il soumet aussi que l’article VI du Testament est nul et sans effet, puisque contraire à l’ordre public[10].
[19] En juillet 2012, Maria amende sa contestation et sa demande reconventionnelle et réclame à son tour l’exhérédation de William[11].
[20] Le 6 septembre 2012, le juge Yves Tardif rejette la requête en rejet de William et réfère la demande d’exhérédation au juge du procès[12].
[21] Anne-Marie et Thomas modifient à leur tour leur contestation pour demander au tribunal d’interpréter l’article III e) du Testament en ce qui concerne le partage de la propriété résiduaire du lac qui leur est dévolue et pour réclamer des dommages à William pour abus procédural[13].
[22] L’affaire procède au fond devant le juge Tardif. Après une audience de 11 jours et pendant le délibéré, William dépose une requête pour permission d’amender sa requête introductive d’instance et pour réouverture des débats. Il y allègue avoir appris l’existence d’un règlement qui interdit la subdivision du lot de la propriété du Lac Stukely (anciennement Lac Bonnallie) et rend impossible l’exécution du legs prévu à l’article A) du Codicille[14]. Le 26 mars 2013, la requête est rejetée par le juge Tardif qui rend jugement sur le fond de l’affaire le lendemain. C’est ce jugement qui fait l’objet du présent pourvoi.
[23] Après avoir reproduit les conclusions recherchées par chacun, le juge accueille en partie la requête de William, de même que les demandes reconventionnelles de Maria et de ses enfants. Il rejette toutefois leur demande d’exhérédation et déclare nulle une portion de l’article VI du Testament qui concerne l’exhérédation.
[24] En appel, William conteste sept des conclusions du jugement de première instance, à savoir :
- la condamnation de William à rembourser une partie des honoraires extrajudiciaires encourus par Maria et ses enfants, à hauteur de 25 000 $ pour Maria et de 15 000 $ pour chacun de ses deux enfants;
- l’interprétation que fait le juge de l’article III e) du Testament concernant la division en trois parts égales de la propriété résiduaire du Lac Stukely entre William, Anne-Marie et Thomas;
- l’interprétation et l’application de l’article A) du Codicille en ce qui concerne l’emplacement de la propriété du Lac Stukely dévolue à Maria en fonction du site choisi par celle-ci;
- la condamnation de William à payer à Maria des dommages de 50 000 $ pour les ennuis et inconvénients découlant de la privation de jouissance de la propriété qui lui est dévolue au Lac Stukely;
- la déclaration selon laquelle chacune des parties se voit accorder la propriété des biens meubles en sa possession;
- la condamnation de William aux dépenses afférentes à la propriété de Granby depuis 2004;
- la condamnation de William à payer 13 587,23 $ en remboursement des taxes municipales et scolaires dues par la succession ainsi que des frais de contestation de l’avis de cotisation de la succession pour l’année 2004.
[25] Par appel incident, Maria se pourvoit à l’encontre de la conclusion qui octroie à William un montant de 3 320,94 $. Elle soulève également l’insuffisance du montant de 25 000 $ qui lui a été octroyé en remboursement de ses honoraires extrajudiciaires.
[26] Les questions soumises à la Cour peuvent être regroupées et reformulées ainsi :
1. Le juge a-t-il erré en octroyant à Maria et ses enfants le remboursement d’une partie des honoraires extrajudiciaires encourus à titre de dommages?
2. Le juge a-t-il erré dans son interprétation de l’article III e) du Testament en ce qui a trait à la division de la propriété résiduaire du Lac Stukely?
3. Le juge a-t-il erré dans l’interprétation et l’application de l’article A du Codicille en ce qui a trait au situs de la propriété du Lac Stukely dévolue à Maria?
4. Le juge a-t-il erré en accordant 50 000 $ à Maria à titre de dommages?
5. Le juge a-t-il erré en déclarant que chaque partie devait se voir accorder la propriété des biens (meubles) en sa possession?
6. Le juge a-t-il erré en concluant que William devait assumer toutes les dépenses de la propriété de Granby depuis 2004?
7. Le juge a-t-il erré en condamnant William à payer la somme de 13 587,23 $ pour les taxes municipales et scolaires dues par la succession, ainsi que pour les frais de justice découlant de la contestation de l’avis de cotisation de la succession pour l’année 2004?
8. Le juge a-t-il erré en condamnant Maria à verser à William la somme de 3 320,94 $?
[27] Malgré la faiblesse du fondement juridique de certaines des procédures de William, le juge conclut qu’il n’est pas convaincu qu’il ait abusé de son droit d’ester en justice, sauf en ce qui concerne la présentation d’une requête en rejet fondée sur l’absence d’intérêt juridique des mis en cause. Il accorde néanmoins 25 000 $ à Maria et 15 000 $ à chacun de ses enfants à titre de remboursement d’honoraires extrajudiciaires.
[28] William prétend que cette conclusion n’est pas conciliable avec le constat du juge voulant qu’il n’ait pas abusé de son droit d’ester en justice et qu’il y ait eu prima facie un argument sérieux à faire valoir sur la prescription du recours des mis en cause.
[29] Il reproche également au juge d’avoir conclu qu’il était mal fondé d’invoquer l’absence d’intérêt des mis en cause dans sa requête en rejet, en ne distinguant pas l’intérêt nécessaire pour mettre en cause un tiers de celui qui est requis pour faire valoir une intervention forcée.
[30] Finalement, il plaide que la plupart des frais extrajudiciaires engagés de part et d’autre se rapportent à la demande d’exhérédation et à la position changeante de Maria et de ses enfants sur la validité de l’article VI du Testament, à l’égard de laquelle ils ont échoué.
[31] Il s’agit donc ici pour la Cour de décider, d’abord, si le juge a erré en concluant qu’une portion de la requête en rejet de William était abusive et en le condamnant à verser des sommes dont il n’avait pas contesté la valeur en première instance; puis, à la lumière de l’appel incident, si le juge a sous-estimé le montant des honoraires extrajudiciaires accordés à Maria.
[32] Les règles applicables en matière d’abus du droit d’ester en justice demeurent celles établies par cette Cour dans l’affaire Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée[15] telles que réitérées plus récemment dans l’arrêt Charland c. Lessard[16]. Ce dernier arrêt rappelle le pouvoir discrétionnaire dont jouit le juge d’instance dans l’appréciation d’une conduite déraisonnable et la déférence dont doit faire preuve la Cour à son égard, de même que l’opportunité de sanctionner le non-respect du principe de proportionnalité pendant le déroulement de l’instance par l’octroi de dommages a posteriori. Il est utile de rappeler ici que, dans l’affaire de Charland, après avoir déclaré le recours abusif à l’égard de certains défendeurs, la juge de première instance avait conclu que le non-respect de la règle de la proportionnalité rendait également abusif à l’égard des autres défendeurs un recours qui n’était pas mal fondé, frivole ou vexatoire, à sa face même[17].
[33] La jurisprudence de cette Cour recèle d’autres exemples qui confirment que le juge d’instance peut raisonnablement conclure qu’une partie mène ses procédures de façon excessive ou abusive, même lorsque le fait d’intenter le recours n’est pas en soi abusif.
[34] Notamment, dans l’arrêt Iris, Le groupe visuel (1990) inc. c. 9105-1862 Québec inc.[18], le juge Forget signalait à ce sujet qu’un recours partiellement fondé peut donner lieu à une déclaration d’abus et à une condamnation à des honoraires extrajudiciaires, en raison de la façon avec laquelle la partie exerce ses droits[19].
[35] Ainsi, en l’espèce, le juge d’instance pouvait qualifier d’abusive la requête en rejet de William[20], malgré le fait que « there was prima facie a certain merit to the claim that the contestation was prescribed »[21] et que l’appelant avait eu gain de cause à l’égard de la demande d’exhérédation. La détermination du caractère abusif d’une procédure relève du juge d’instance et la Cour d’appel n’interviendra pas à l’égard d’une telle conclusion, sauf si l’erreur manifeste et déterminante est démontrée. Or, William n’établit pas ici l’existence d’une telle erreur.
[36] D’ailleurs, il importe de signaler que, par jugement du 6 septembre 2012, le juge Tardif avait rejeté au stade préliminaire la requête en rejet de William tant sur l’argument de prescription que sur la question d’intérêt. Il l’a aussi rejetée au fond, en soulignant comme suit le revirement abusif de William à l’égard des parties qu’il avait mises en cause :
[8] Besides claiming $100,000.00 for moral damages, $400,000.00 for punitive damages and $70,653.17 for extra-judicial fees and disbursements, William asserts that the mis en cause lack capacity and have no interest. This is a surprising claim. At the outset, the debate was between William and Maria. Then, on January 24, 2008, William reamended considerably his application to replace a liquidator and added Anne-Marie and Thomas as mis en cause. It is not easy to determine prima facie what are the amendments to the original application because, as mentioned at the bottom of the page 1 of the reamended application, “Rule 7 (R.P.S.C.) not applied”. Nevertheless, if William added the mis en cause at that stage, it is surely because he was of the opinion that they had to be impleaded to settle the issues raised here. More specifically, he asked the Court to decide how the Bonnallie property should be divided between him and the mis en cause.
[9] This alone is sufficient to dismiss his claim that the mis en cause lack the capacity and have no interest in the present debate.
[références omises, soulignements ajoutés]
[37] William plaide que la conclusion du juge à l’égard de l’intérêt des mis en cause est erronée puisque l’intérêt requis pour faire valoir leur intervention volontaire visant à demander l’exhérédation diffère de l’intérêt juridique de ces mêmes parties lorsqu’elles sont mises en cause dans le cadre d’une procédure qui demande au tribunal d’interpréter des dispositions du Testament qui les concernent.
[38] À mon avis, William a tort.
[39] Dans L.L. c. C.P.[22], la Cour signalait que toute personne, qui aurait vocation à hériter à la place de l’indigne si celui-ci était exclu comme héritier, a l’intérêt nécessaire au sens de l’article 55 C.p.c.
[40] En l’espèce, de fait, si la demande d’exhérédation avait été accueillie, la part d’Anne-Marie et Thomas dans la propriété résiduaire aurait été augmentée en conséquence, de sorte qu’ils avaient l’intérêt requis pour faire valoir la demande d’exhérédation à titre de légataires à titre particulier.
[41] Maria plaide par voie d’appel incident que le juge d’instance a néanmoins erré en ne lui accordant qu’une partie des honoraires extrajudiciaires réclamés pour abus de procédure, à savoir un montant de 25 000 $. Elle soutient qu’il aurait plutôt dû lui accorder la somme de 50 878,10 $.
[42] La preuve des honoraires extrajudiciaires réclamés dans pareil contexte est essentielle, puisqu’il ne suffit pas de présenter des comptes d’honoraires sans en fournir la justification[23]. Cela dit, une fois le montant des honoraires extrajudiciaires payés établi en preuve, le juge d’instance a tout le loisir d’arbitrer le montant qu’il souhaite octroyer en fonction de ce qui lui apparaît raisonnable dans les circonstances[24].
[43] Ici, au-delà du problème que pose le témoignage parfois confus de Maria sur l’origine des honoraires encourus et leur contexte, une difficulté additionnelle se pose du fait que bon nombre d’honoraires ne découlent pas d’un abus de droit d’ester en justice, mais ont plutôt été dépensés dans le cadre de la liquidation de la succession.
[44] À mon avis, une large partie des honoraires réclamés ne paraît pas clairement découler d’un abus d’ester en justice de la part de William. Par ailleurs, au soutien de son moyen d’appel, Maria se contente de renvoyer la Cour à la preuve sans offrir de précision ni montrer d’erreur dans la détermination du juge de première instance. De plus, mon analyse de la troisième question soulevée par William en appel m’amène d’ailleurs à conclure que le choix d’emplacement du lot dévolu à Maria était inopportun et que la contestation de William ne pouvait en conséquence être qualifiée d’abusive.
[45] À mon avis, il n’y a pas lieu, dans les circonstances, d’intervenir à l’égard des conclusions qui concernent les montants accordés aux intimés par le juge de première instance en remboursement de leurs honoraires extrajudiciaires[25], ni pour les réduire ni pour les hausser.
[46] William plaide que le juge a erré en partageant en trois parts égales la propriété résiduaire du Lac Stukely. Cette erreur découlerait selon lui d’une erreur de transcription et d’interprétation de l’article III e) du Testament par l’ajout par le juge du mot « and » entre « my grand children » et « Anne-Marie Ashcroft », que je souligne d’ailleurs en citant l’extrait pertinent du jugement :
[19] Article III e) of the testament reads as follows:
“To my son William (John Leopold) Lubecki and my grand children and Anne-Marie Ashcroft and Thomas Ashcroft, in equal share between them, the residue of the land that I owned near the two cottages on Bonnallie Lake, along with, for each co legatee (and his heirs), the First Right of Purchase from co heirs (or their own heirs) should any choose to dispose of its share and this land (other than by debt) aIl being obliged to act in good faith. If any of the three particular legatees should die before me, or should die following the same event in which I find death, there shall be representation in favour of his or her own children in the first degree in order that they may benefit, in equal shares among them, for the share of their parent.”
[je souligne]
[47] William soutient que, par l’ajout du mot « and », le juge a changé le sens de l’article III e) en donnant l’impression qu’il visait une énumération de plusieurs personnes. Selon lui, la testatrice a plutôt ajouté les noms des mis en cause « strictement dans le but de préciser les petits-enfants légataires ».
[48] William reproche également au juge d’avoir omis de rechercher le sens que la testatrice souhaitait donner à l’expression « between them » par opposition à l’expression « among them » employée plus bas au même article (les deux expressions étant à nouveau soulignées dans l’extrait cité précédemment) et d’avoir ainsi adopté une interprétation grammaticalement erronée de l’article III e).
[49] Finalement, il plaide que le juge a donné trop d’importance au codicille de 1997, et omis de considérer les autres versions des testaments et des codicilles rédigés par la défunte, qui démontrent l’importance des différents degrés générationnels de ses légataires.
[50] Selon William, n’eût été ces erreurs, le juge aurait nécessairement conclu qu’il avait droit à 50 % de la propriété résiduaire du Lac Stukely plutôt qu’au tiers, et que les deux enfants de Maria devaient se partager l’autre moitié de cette propriété.
[51] En matière d’interprétation testamentaire, les tribunaux doivent rechercher l’intention véritable du testateur au moment de la signature du testament (art. 737 C.c.Q.)[26], en ayant recours aux règles d’interprétation des contrats qui s’appliquent aux testaments avec les adaptations nécessaires (art. 1425 et 1427 C.c.Q.)[27].
[52] Tel que le rappelait cette Cour dans l’arrêt Pinelli, confirmé maintes fois par la jurisprudence et la doctrine :
[…] il est admis que l’intention du testateur doit être recherchée en conférant un sens littéral ou ordinaire aux termes utilisés, et ce n’est que lorsqu’il y a de sérieux motifs de croire que le sens ordinaire des mots utilisés ne reflète pas la véritable intention du testateur que l’on peut s’en écarter.
[…]
[35] En outre, l’intention du testateur doit être recherchée en considérant l’ensemble du testament, ses dispositions devant être lues les unes par rapport aux autres.
[36] Par ailleurs, il existe des cas où l’on peut avoir recours à des éléments de preuve extrinsèque afin de déterminer quelle était la véritable intention du testateur. Dans Bégin c. Bilodeau, le juge Taschereau écrivait :
Certes, c’est dans le testament lui-même que doit être recherchée l’intention du testateur, mais comme il a été dit dans Re Hammond, [1934] S.C.R. 403, il y a des cas où l’on peut s’inspirer aussi des circonstances particulières pour trouver ce que le testateur a véritablement voulu. Pour employer l’expression classique, il est alors permis de se placer dans "l’arm chair" du testateur, et de considérer les circonstances qui l’entouraient quand il a fait son testament.
[soulignements ajoutés; références omises]
[53] Par ailleurs, selon l’auteur Jacques Beaulne, l’interprétation de la volonté du testateur lorsque exprimée dans un testament notarié « oblige les tribunaux à davantage de circonspection », en raison de la présence d’un notaire, « car l’on peut présumer que ce dernier connaît le sens précis des termes utilisés »[28].
[54] En l’espèce, après avoir conféré un sens littéral et ordinaire au terme « between » utilisé dans cette disposition, le juge de première instance conclut que la défunte avait l’intention de diviser la propriété résiduaire du Lac Stukely en trois parts égales entre William, Anne-Marie et Thomas. Or, William ne démontre pas en quoi cette interprétation est entachée d’une erreur manifeste et déterminante qui justifie l’intervention de cette Cour.
[55] D’abord, l’erreur de retranscription du premier juge par l’ajout de la préposition « and » entre « my grand children » et « Anne-Marie Ashcroft » est sans conséquence, puisqu’à la lecture du jugement, on constate qu’il rejette les arguments de William en raison de son interprétation de la préposition « between » et d’autres éléments de l’article III e) du Testament et non en fonction de l’ajout de la préposition « and ».
[56] De toute manière, la distinction que propose William entre les expressions « between them » et « among them » ne convainc pas puisque ces termes, quoique différents, possèdent un sens littéral et « ordinaire » semblables, tel qu’en témoigne leur définition tirée du Canadian Oxford Dictionary :
Among preposition (also amongst): […] 4 a between; within the limits of (collectively or distributively); shared by (had $5 among us; divide it among you). b by the joint action or from the joint resources of (among us we can manage it). 5 with one another; by the reciprocal action of (was decided among the participants; talked among themselves). […]
Between • preposition : […] 3a by combining the resources of (great potential between them; between us we could afford it). b shared by; as the joint resources of ($5 between them). c by joint or reciprocal action (an agreement between us; sorted out between themselves).¶ Use in sense 3 with reference to more than two people or things is established and acceptable (e.g. relations between Canada, the United States, and Mexico).
[57] Il en va de même des définitions issues du dictionnaire Merriam-Webster :
1be·tween • preposition : 1 […] b : in common to : shared by <divided between his four grandchildren> […]
among • preposition : 5 in shares to each of <divided among the heirs> […]
[58] De plus et contrairement aux prétentions de William, le passage du dictionnaire Merriam-Webster cité au jugement démontre que le terme « between » peut être utilisé en lien avec plus de deux éléments, par exemple, pour désigner individuellement plus de deux personnes :
[23] On this, the Merriam-Webster Dictionary writes:
“Usage Discussion of BETWEEN
There is persistent but unfounded notion that between can be used only of two items and that among must be used for more than two. Between has been used of more than two since Old English; it is especially appropriate to denote a one-to-one relationship, regardless of the number of items. It can be used when the number is unspecified <economic cooperation between nations>, when more than two are enumerated <between you and me and the lamppost> <partitioned between Austria, Prussia, and Russia.”[29]
[je souligne; référence omise]
[59] La structure grammaticale de l’article III e) du Testament ne favorise pas davantage l’interprétation suggérée par William, puisque l’absence d’une virgule entre les mots « grandchildren » et « Anne-Marie Ashcroft » dans la première phrase du Testament laisse supposer que la testatrice n’avait pas l’intention de diviser le legs entre deux groupes, mais bien entre trois personnes.
[60] De plus, l’énoncé « [i]f any of the three particular legatees should die before me […] » tend à confirmer l’intention de la testatrice de léguer sa propriété à l’appelant et aux deux mis en cause en trois parts égales[30].
[61] En outre, la disposition testamentaire n’est pas « ambigüe » et il n’est pas ainsi nécessaire d’avoir recours à des éléments extrinsèques pour l’interpréter alors que la quête de l’intention du testateur doit « d’abord et avant tout s’appuyer sur les éléments intrinsèques »[31] du Testament.
[62] De toute manière, comme le souligne le juge de première instance, très peu d’éléments extrinsèques sont susceptibles de révéler l’intention de la testatrice et les éléments soulevés par William ne sont pas déterminants. En effet, le codicille du 25 juin 2002 ne démontre pas la volonté de la testatrice de diviser la propriété du Lac Stukely en deux groupes (division selon le degré générationnel) et reprend un vocabulaire semblable à celui employé dans le Testament au cœur du litige :
ARTICLE 7 (4th paragraph)
I hereby bequeath as a particular legacy the other piece of land that I owned near the two (2) cottages on Bonnallie (Bonnally) Lake to my son William Lubecki and my grandchildren of the first degree Anne-Marie and Thomas Ashcroft, in equal share between them. If any of those three (3) legatees die before me or at the same time as I do or before having received this particular legacy, there shall be representation in favour of their respective children of the first degree.[32]
[63] En ce qui concerne les autres testaments et codicilles rédigés entre 1996 et 2002, ils n’indiquent pas non plus une volonté de diviser la propriété du Lac Stukely en deux groupes selon les degrés générationnels[33].
[64] Ceci m’amène donc à proposer le rejet de ce moyen d’appel.
[65] L’article A) du Codicille prévoit que Maria doit hériter d’un terrain de 1,5 acre sur la propriété du lac. Il énonce toutefois certaines conditions quant à la délimitation de ce terrain :
ARTICLE A I add a particular legatee unto ARTICLE Ill, after paragraph d), which reads as follows:
d) To my daughter Marla (Elizabeth Jozefa) Lubecki one and half acres (1 and 1/2) of land of my daughter's choosing in the area of the tennis court of my property located at Bonnallie Lake, with a clear view of the lake, right away by the present road, access to the lake and enjoyment of the·beach area located near 'the boat houses and historically used by my family.[34]
[je souligne]
[66] William prétend que le juge a erré dans l’interprétation de cet article, en raison d’une mauvaise retranscription de la disposition, puisqu’il omet de reproduire la préposition « at » devant « Bonnallie Lake », au paragraphe [30] de son jugement.
[67] Selon lui, n’eût été cette omission, le juge aurait conclu que le choix d’emplacement proposé par Maria n’était pas conforme au Codicille. D’ailleurs, si la testatrice avait voulu léguer à Maria un emplacement au bord du lac, « il va de soi » qu’elle n’aurait pas précisé que cet emplacement doit bénéficier d’un accès au lac (« access to the lake ») ni d’un droit de jouissance de la plage (« enjoyment of the beach area »). De plus, la mention que Maria doit disposer d’une vue sur le lac (« clear view of the lake ») devient inutile si l’emplacement choisi par Maria est retenu, puisqu’en « ayant son emplacement directement au bord du lac, [elle] jouit nécessairement d’une vue sur le lac ». Finalement, l’emplacement suggéré par Maria n’est pas accessible directement par le « chemin existant », contrairement au Codicille qui prévoit : « right away (sic) by the present road ».
[68] William reproche en outre au juge de s’être limité aux propositions soumises par les parties et d’avoir prononcé un jugement qui n’est pas susceptible d’exécution, puisque contraire à l’article 5.2 du Règlement de lotissement no 06-71 de la Municipalité de Bonsecours.
[69] À mon avis, le juge commet une erreur en retenant la proposition de Maria comme il l’a fait, quoique pour d’autres motifs que ceux soulevés par William. Je m’explique.
[70] S’il est vrai que le juge a mal retranscrit la disposition testamentaire en omettant d’inscrire la préposition « at » devant « Bonnallie Lake » lorsqu’il cite l’article A) dans le jugement au paragraphe [30], cette erreur est sans conséquence sur la détermination de l’emplacement dévolu à Maria, puisque la préposition est en lien avec la propriété dans son ensemble : « my property located at Bonnallie Lake ».
[71] Cela dit, l’emplacement que propose Maria et qui est intégralement repris dans les conclusions du jugement pose problème, puisqu’il en résulte un état d’enclave de la propriété qui ne rejoint en aucun point la route d’accès au chemin public. À mon avis, le juge ne pouvait remédier à la situation d’enclave créée par le choix d’un tel emplacement en imposant une servitude judiciaire comme il l’a fait dans ses conclusions en ces termes :
[77] ORDERS the imposition of a servitude for vehicular and pedestrian right of way on the portion of land held in undivided ownership in favour of the 1.5 acre of land inherited by Defendant;
[72] Dans l’affaire Hamel c. De Bellefeuille[35], notre cour, sous la plume du juge Jean-Louis Baudouin, confirmait en termes clairs qu’il n’existe pas de « servitude judiciaire » :
Il n'existe pas, en effet, de «servitude judiciaire». En d'autres termes, une Cour de justice n'a pas le pouvoir, même pour des raisons d'équité, de créer ce droit réel. Sous le régime du Code civil du Bas-Canada (art. 545 C.c.B.-C.), une servitude ne peut être créée que par acte volontaire du propriétaire, ou par destination du père de famille (art. 551 C.c.B.-C.). Sous le régime du Code civil du Québec (art. 1181 C.c.Q.), elle s'établit par contrat, testament, destination du propriétaire ou par l'effet de la loi.[36]
[73] De fait, les titres constitutifs d’une servitude sont énumérés restrictivement et le juge ne pouvait ici contourner la règle voulant que la servitude s’établisse soit par contrat, par testament, par destination du propriétaire ou par l’effet de la loi[37].
[74] La servitude testamentaire requiert un écrit, et ce, même si elle n’obéit pas à des règles terminologiques particulières :
La création de la servitude n’a pas à adopter une terminologie consacrée. Au mieux, elle est formulée dans une seule clause comprise dans un acte. Elle peut aussi résulter d’une combinaison de clauses ou même de plusieurs actes. Peu importe la forme qu’il adopte, le titre constitutif contient une description de la servitude, c’est-à-dire l’identification des fonds dominant et servant, ainsi qu’une description de la nature de l’étendue et de la situation de la servitude. Cette description gagnera à être la plus précise possible afin d’éviter des ennuis juridiques par la suite. Toutefois, une description incomplète ne remettrait pas nécessairement en cause l’établissement d’une servitude.[38]
[75] Par ailleurs, afin d’être opposables aux tiers acquéreurs, toutes les servitudes, y incluant la servitude testamentaire[39], doivent être inscrites au registre foncier :
Conséquence - Une fois établie, la servitude constitue un droit réel imposé sur un immeuble. Ce démembrement existe de plein droit à l’égard de toute personne qui a ou qui aura la propriété des fonds servant ou dominant à la condition toutefois d’avoir fait l’objet des inscriptions nécessaires au registre foncier pour le rendre opposable aux tiers (2934 et 2941 C.c.Q.). L’avantage est au bénéfice de l’immeuble dominant peu importe les mutations de propriétaires qui surviendront dans le futur (1182 C.c.Q.).[40]
[76] Il est vrai que l’article 997 C.c.Q. prévoit que le propriétaire dont le fonds est enclavé peut exiger de ses voisins un droit de passage :
997. Le propriétaire dont le fonds est enclavé soit qu'il n'ait aucune issue sur la voie publique, soit que l'issue soit insuffisante, difficile ou impraticable, peut, si on refuse de lui accorder une servitude ou un autre mode d'accès, exiger de l'un de ses voisins qu'il lui fournisse le passage nécessaire à l'utilisation et à l'exploitation de son fonds. Il paie alors une indemnité proportionnelle au préjudice qu'il peut causer. |
997. The owner of land enclosed by that of others in such a way that there is no access or only an inadequate, difficult or impassable access to it from the public road may, if all his neighbours refuse to grant him a servitude or another mode of access, require one of them to provide him with the necessary right of way to use and exploit his land. Where an owner claims his right under this article, he pays an indemnity proportionate to any injury he might cause. |
[77] Il est également établi que le droit de passage est un titre valable conféré par l’effet de la loi au sens de l’article 1181, al.1 in fine C.c.Q. En effet, suivant la doctrine, aucun autre titre n’est requis et le droit naît du moment que l’état d’enclave est constaté[41].
[78] L’article 999 C.c.Q. prévoit, par ailleurs, les circonstances qui permettent au propriétaire enclavé de réclamer un droit de passage, notamment lorsque l’enclave résulte de la division d’un fonds à la suite d’un testament :
999. Si l'enclave résulte de la division du fonds par suite d'un partage, d'un testament ou d'un contrat, le passage ne peut être demandé qu'au copartageant, à l'héritier ou au contractant, et non au propriétaire du fonds à qui le passage aurait été le plus naturellement réclamé. Le passage est alors fourni sans indemnité.
|
999. If land is enclosed as a result of the division of land pursuant to a partition, will or contract, right of way may be claimed only from a co-partitioner, heir or contracting party, not from the owner whose land affords the most natural way out, and in this case the right of way is provided without indemnity. |
[79] Toutefois, cette mesure particulière, qui est une disposition d’ordre public[42], a pour but d’éviter qu’un propriétaire n’impose une charge immobilière au voisin de par son fait unilatéral.
[80] À mon avis, cet article ne donne pas ouverture à la revendication d’un droit de passage pour Maria. En effet, l’état d’enclave du lot proposé ne résulte pas de la division du lot à la suite du Testament mais découle plutôt du choix d’emplacement exercé par Maria. La testatrice n’a jamais imposé à Maria un lot enclavé. Elle lui a plutôt donné la faculté de choisir l’emplacement et la configuration de son legs.
[81] Dans l’affaire Cauchon c. Cauchon[43], dans un contexte où un propriétaire cherchait à faire reconnaître une situation d’enclave découlant de sa propre construction d’un bâtiment qui avait pour résultat de lui bloquer désormais l’accès à la voie publique, notre cour écrivait :
[81] … il n’y a aucune erreur dans la conclusion de la juge du procès quant à l’absence d’état d’enclave. La situation prévalant sur le 8092 résulte du fait volontaire du propriétaire qui a construit un bâtiment bloquant l’accès à la voie publique. Ni lui ni ses ayants droit ne peuvent alors invoquer le régime juridique créé au bénéfice d’un fonds enclavé.[44]
[je souligne]
[82] La même logique doit s’appliquer en l’espèce alors que Maria a délibérément choisi une partie de lot qui se retrouve « intentionnellement enclavée ».
[83] Évidemment, il n’y a pas d’enclave lorsque le propriétaire jouit d’une servitude réelle ayant l’effet d’un accès ou d’un chemin de tolérance, ou lorsque le propriétaire profite d’un chemin qui lui donne accès à la voie publique. Dans l’affaire Patry c. Merleau Lill[45], notre cour a d’ailleurs reconnu qu’il ne pouvait y avoir d’enclave lorsque le propriétaire du fonds profite d’un chemin de tolérance suffisant pour accéder au chemin public :
Or, qu'il s'agisse de déterminer s'il y a enclave ou qu'il s'agisse, en cas d'enclave, de désigner le fond servant, la commodité pour le fond dominant n'entre pas en ligne de compte. Y a-t-il enclave ? non s'il se trouve un accès raisonnable légal ou de tolérance au chemin public; et s'il y a enclave quel sera alors le fond servant ? le chemin le plus court (art. 541). En l'espèce, le chemin de tolérance constitue tout à la fois un accès raisonnable et le chemin le plus court; il satisfait donc à toutes les normes qui puissent s'appliquer à l'enclave et le reproche d'incommodité est sans vertu aucune.[46]
[84] En l’espèce, le problème ne se poserait pas si la partie de lot proposée par Maria jouxtait le chemin existant par laquelle la testatrice souhaitait lui donner accès au chemin public, en précisant à l’article A) du Codicille que le lot comporte un droit de passage par la présente route (« right away (sic) by the present road »). Mais le lot tel que proposé par Maria n’est pas contigu au chemin existant et l’engagement de William, dont le jugement prend acte, ne concerne que l’octroi d’une servitude d’accès au lac et de jouissance de la plage et non à un chemin public. Cet engagement est d’ailleurs rédigé ainsi au paragraphe [62] :
[62] TAKES COGNISANCE of Plaintiff's agreement that a notarized servitude of access to the Stukely Lake and enjoyment of the beach be attributed to the one and half acre of land bequeathed to Defendant and of Plaintiff's undertaking to sign and execute any useful or necessary document to that effect;
[85] À mon avis, cet engagement ne peut être lu de manière à inclure la reconnaissance d’un droit de passage vers le chemin public en faveur de Maria, puisqu’il n’y est nullement fait mention du chemin ou d’un quelconque accès au chemin public.
[86] Dans ces circonstances, la délimitation de propriété proposée par Maria ne pouvait être retenue par le juge sans créer d’enclave et ce dernier a erré en reconnaissant la proposition de Maria comme étant conforme au Codicille et en tentant de remédier, par une servitude judiciaire, à « l’état d’enclave » volontairement créé.
[87] Comme ceci suffit à régler le sort du moyen proposé, sans égard aux arguments de l’appelant relatifs au Règlement de lotissement no 06-71[47], qui n’avaient pas été soumis au juge de première instance en temps utile et n’ont pas fait l’objet d’une réouverture des débats[48] ni davantage été soulevés dans l’inscription en appel, il n’y a pas lieu de s’y attarder[49].
[88] Il y a donc lieu d’intervenir pour réformer en conséquence cette partie du jugement et les conclusions qui s’y rattachent, de manière à retrancher la servitude judiciaire et à retirer toute référence à l’emplacement proposé par Maria. Je suis consciente que ceci a pour effet de remettre les parties dans l’état où elles étaient au moment de l’ouverture de la succession. Toutefois, la Cour ne dispose pas de propositions de rechange autres que celle que préconise William et qui ne peut être retenue puisqu’elle ne respecte pas davantage le Codicille, de sorte que les parties devront refaire l’exercice de proposer un nouvel emplacement en Cour supérieure, à défaut de s’entendre à cet égard.
[89] William conteste la condamnation de 50 000 $ pour troubles et inconvénients imposée par le juge d’instance pour compenser la perte de jouissance de Maria de la propriété du Lac Stukely.
[90] Selon lui, cette conclusion est erronée puisque le situs de la propriété était indéterminé jusqu’au prononcé du jugement et que l’on ne saurait lui reprocher l’incertitude résultant de la description de la propriété faite au Codicille et du litige qui en a découlé.
[91] Il soutient que le juge a erré en fait en concluant qu’il n’avait pas fait d’effort pour permettre à sa sœur de profiter de son legs, alors qu’il n’a fait que soumettre une solution de bonne foi. Il rappelle également que la longueur des débats judiciaires est en partie attribuable à la requête en exhérédation initiée sans succès par Maria et ses enfants.
[92] Il fait également valoir qu’à défaut de faute de sa part, il ne devrait pas être contraint d’indemniser Maria alors qu’il s’est adressé au tribunal pour obtenir des éclaircissements sur l’interprétation du Testament. Il ajoute que le montant de 50 000 $ octroyé en l’espèce est exagéré et qu’il ne s’appuie sur aucune preuve tangible.
[93] Le passage du jugement d’instance visé par ce moyen d’appel est rédigé comme suit :
[49] In her conclusions, Maria claims $253,504.33 “for damages suffered by Defendant in the course of the liquidation of the Estate”. In her notes in support of the said claim, she claims $203,504.33 for fees paid to her attorney and $50,000 for “troubles ennuis et inconvénients”. This amount takes into account the fact that the Court has decided that William will not be disinherited. Maria describes as follows the “troubles ennuis et inconvénients” suffered:
“ii. Réclamation de 50 000$ pour troubles ennuis et inconvénients :
a. Privation de jouissance depuis 8 ans de la propriété de 1,5 acre au Lac Stuckley (sic) (Bonnallie) sur la base de motifs détournés de la part du Demandeur :
i. Refus du demandeur de considérer le choix de la défenderesse;
ii. Véritables intentions du demandeur (Projet de développement immobilier);
iii. Position abusive et fantaisiste du demandeur;
iv. Jouissance par le demandeur du petit chalet pendant toutes ces années;
b. Temps consacré à régler les conséquences de l’insouciance et des refus intempestifs du demandeur de collaborer à la liquidation de la succession;
c. Temps consacré à se défendre à l’égard de demandes fantaisistes du demandeur dans la présente affaire ainsi que dans les autres litiges débutés par le demandeur (incluant l’appel en garantie dans l’affaire de la réfection du toit de la propriété située au 209 Old Shefford.”
This part of her claim is justified. Maria has been deprived for eight years of the possession of 1.5 acre of the property situated on Stukely Lake. Had William collaborated minimally on this issue, Maria would have enjoyed the possession of her share of the property long before today. Furthermore, in the meantime, William changed his position from P-7 to P-53 on the situs of the property after the Court visited the property. While William was allowed to use the property during eight years, he made no effort to allow his sister to take advantage of the said property. The claim for $50,000 is justified.
[références omises, gras omis, soulignements ajoutés]
[94] À la lumière de ce passage, il semble que le juge octroie des dommages à Maria pour la perte de jouissance de sa propriété du lac plutôt qu’en raison des difficultés liées à la gestion de la succession. De fait, malgré les phrases « This part of her claim is justified. » et « The claim for $50,000 is justified. », la deuxième partie du paragraphe [49] ne traite que de la perte de jouissance de la propriété.
[95] Vu la conclusion à laquelle je viens sur le choix de l’emplacement de la propriété de Maria, on ne peut reprocher à William d’avoir contesté le choix du situs de Maria et d’avoir, par ce fait, nui à la délivrance de son legs et à la jouissance de sa propriété au lac.
[96] J’estime qu’il y a donc lieu de réformer le jugement de première instance concernant l’octroi de dommages de 50 000 $ en faveur de Maria, pour retirer cette conclusion.
[97] Le juge de première instance a conclu que chaque partie devait se voir attribuer la propriété des biens qui étaient en sa possession pour éviter d’aggraver le conflit, d’autant plus que la preuve ne lui permettait pas de déterminer à qui appartenait réellement chaque bien[50].
[98] L’article III a) du Testament prévoit que William hérite de certains biens spécifiques, à savoir :
[…] the stove, the dishwasher, the painting of the farm, bookcase desk located in the upper front hall of my home, furniture of his room, and, subject to the provision of paragraph b) below, my immovable property situated at 209 Old Shefford Road, Granby (Quebec) comprising:
i) the house and lot 1 141 122
ii) the barn with lot 1 141 001
iii) the two and half (2.5} acres situated along the boundary of my home (lot 1,141 122) out of the 4.5 acres that I am entitled to according to a judgement of court dated. September 21st., 2001 concerning the disposal of the Granby properties that I own With others.[51]
[99] L’article III f) du Testament stipule que Maria hérite pour sa part des biens suivants :
[…] my personal effects, clothing, jewellery, books, paintings, awards, furniture, car and all other movable effects of a similar nature save and except those left above to a specific relative.[52]
[100] William réclamait aux procédures la propriété des biens suivants :
- 1 matching Windsor chair;
- 1 Queen Anne desk;
- 4 antique pewter mugs;
- 1 Grandfather’s carving set;
- 1 Cupola and weather vanes;
- 3 attached ceiling light fixtures;
- 1 attached ceiling chandelier dining room;
- 2 attached fireplace manties;
- Curtains;
- Plaintiff’s bedroom items: 4 pictures/paintings; 1 wall mirror; 2 table lamps; 1 bed spread; 1 oval silver picture frame containing grandfather’s photograph; books in bookcase; photographs from personal photo album.[53]
[101] Il prétend que le juge a commis une erreur de fait et de droit en concluant que chacune des parties devait être considérée propriétaire des biens meubles en sa possession. Il reproche au juge d’avoir refusé dans les faits de statuer sur la propriété de ces biens et ainsi permis à Maria de conserver une grande partie des biens meubles réclamés, dont elle avait admis la possession pour certains.
[102] William ajoute que certains biens situés dans la propriété de Granby auraient dû être qualifiés de biens « immeubles par attache », au sens de l’article 903 C.c.Q., et être inclus dans son legs.
[103] Dans son ouvrage Biens et propriété, l’auteur Denys-Claude Lamontage identifie les six conditions nécessaires à l’immobilisation d’un bien meuble par attache ou par réunion[54] :
1) Existence d’un immeuble par nature et d’un meuble par nature;
2) Le bien meuble doit être lié physiquement à l’immeuble par nature;
3) L’attache ou la réunion doit être à demeure, « non pas de façon perpétuelle mais indéfinie, pour un temps indéterminé »[55], et non simplement temporaire;
4) Le bien meuble doit assurer l’utilité (au sens large) de l’immeuble;
5) Le bien meuble ne doit pas être intégré à l’immeuble, c’est-à-dire qu’il ne doit pas y être incorporé au point de perdre son individualité (auquel cas il s’agirait alors d’une immobilisation par nature); et
6) Le bien meuble devenu immeuble par attache ou par réunion conserve sa nature immobilière tant qu’il reste immobilisé.
[104] En l’espèce, seuls les biens suivants semblaient répondre à ces critères, puisqu’ils étaient physiquement attachés à la propriété de Granby avant d’y être enlevés par Maria, de son propre aveu[56] :
- 3 attached ceiling light fixtures;
- 1 attached ceiling dining room chandelier;
- 2 attached fireplace mantles.
[105] La jurisprudence et la doctrine reconnaissent d’ailleurs qu’un manteau de cheminée et des plafonniers peuvent être qualifiés de biens immeubles par attache[57].
[106] Comme l’immobilisation par attache ou par réunion d’un bien ne peut cesser que si la décision de le détacher physiquement de l’immeuble émane du propriétaire du bien[58] et qu’en l’espèce le véritable propriétaire des biens immeubles par attache ou par réunion était William, selon les termes du Testament, ces biens doivent être reconnus comme faisant partie du legs de William.
[107] En ce qui concerne l’ensemble des autres biens réclamés par William, il s’agit de « biens meubles » au sens de l’article 905 C.c.Q. Ceci inclut l’item « Cupola and weather vanes » qui, selon la preuve, n’a jamais été rattaché à un immeuble, tel qu’il ressort de la description qu’en fait Maria :
Q |
[…] what about the cupola with horse weather vane, what was that? |
R |
There was a cupola in the barn, it was just standing on the floor it was never used, and there was no horse weather vane attached to the cupola, there was nothing attached.[59] |
|
[…] |
R |
[…] cupola with horse weather vane, there was no cupola with a horse weather vane. There was a cupola sitting in the barn and the last time I saw it it was sitting in the barn, I was not there when the move was made of the items and the barn burned down […].[60] |
Q |
[360] Okay. And this cupola is it your testimony…or did you ever see that cupola on the roof of the house? |
R |
Never. It was never on the roof, never. […] Never, never.[61] |
[108] Force est de constater toutefois qu’hormis les biens détaillés sous la rubrique « Plaintiff’s bedroom items », aucun des autres biens meubles réclamés aux conclusions des procédures de William ne sont mentionnés au Testament. Il faut rappeler qu’en vertu de l’article III a) du Testament, William hérite des biens suivants : « stove », « dishwasher », « the painting of the farm », « bookcase desk located in the upper front hall of my home », « furniture of his room ».
[109] Or, William n’a pas établi en preuve quels biens garnissaient sa chambre ni dans quelle mesure ces mêmes biens seraient demeurés en la possession de Maria. La Cour ne peut en décider, faute de disposer d’une preuve adéquate pour ce faire. Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner la remise de biens qui n’ont pas été précisés au Testament et qui ne sont pas en conséquence visés par un quelconque legs.
[110] À mon avis, l’intervention de cette Cour doit se limiter à ordonner à Maria de remettre à William les biens immeubles par attache suivants :
- 3 attached ceiling light fixtures;
- 1 attached ceiling dining room chandelier;
- 2 attached fireplace mantles.
[111] William prétend que le juge de première instance a commis deux erreurs de droit en concluant qu’il devait assumer seul les dépenses liées à cette propriété depuis 2004. Il lui reproche d’avoir erré en omettant de motiver cette conclusion et de contredire le jugement rendu par la Cour supérieure le 10 décembre 2007[62], qui lui ordonnait d’assumer les dépenses de la propriété de Granby à compter de mai 2007.
[112] J’estime qu’il a tort.
[113] D’abord, contrairement à ce qu’il plaide, le juge a motivé sa conclusion au paragraphe [59] du jugement, lorsqu’il explique que c’est parce que William a hérité de la propriété de Granby, dont il a pris possession à compter du 31 décembre 2004, qu’il doit en assumer les dépenses à compter de cette date.
[114] Ensuite, la conclusion du juge n’est pas contraire à l’ordonnance du mois de décembre 2007, puisque celle-ci ne statue que sur les dépenses de cette propriété à compter de mai 2007, sans se prononcer sur celles préalablement encourues entre le 31 décembre 2004 et le mois de mai 2007, laissant ainsi plutôt au juge saisi du fond le soin d’en décider[63].
[115] Au surplus, la conclusion du juge est conforme à l’intention de la testatrice aux termes de l’article III a) du Testament, qui énonce que les dépenses relatives à cette propriété devront être assumées par la succession jusqu’à ce que William en prenne possession, au plus tard 120 jours après les funérailles :
ARTICLE Ill PARTICULAR LEGACIES
I bequeath as a particular legacy and absolute ownership:
[…]
N.B. My property at 209 Old Shefford shall be delivered by my liquidators to my son William not later then one hundred and twenty (120) days following my funeral. Prior to such delivery, my residuary estate shall continue to be liable for all property expenses […].
[116] J’en conclus qu’il incombait à William d’assumer les dépenses afférentes à la propriété de Granby à compter de sa prise de possession qui a eu lieu en décembre 2004 et que le moyen d’appel proposé doit échouer.
[117] La conclusion attaquée est rédigée comme suit :
[73] ORDERS Plaintiff to pay the outstanding $13,587.23, subject to adjustment, owed on behalf of the estate for municipal and school taxes and for legal expenses pertaining to assessments regarding the estate's 2004 tax return;
[118] William conteste cette conclusion au motif que le juge d’instance a omis de motiver son jugement sur ce point.
[119] Il semble en effet que ce soit le cas.
[120] Si l’obligation de motiver vise notamment à permettre à une partie d’exercer valablement son droit d’appel, l’absence de motivation n’empêche pas pour autant la Cour d’appel de confirmer une conclusion ou de la réformer si elle y relève une erreur[64]. Cela dit, le défaut de motiver ne peut à lui seul justifier l’intervention de la Cour, à moins que l’on établisse une erreur quant aux conclusions non motivées[65]. La conclusion sera alors sujette à la norme de la décision correcte puisque, faute de motifs, le jugement de première instance sur ce point ne saurait mériter déférence.
[121] Ici, la seule erreur alléguée par William vise les honoraires légaux engagés par Maria au nom de la succession pour contester l’avis de cotisation du 15 avril 2011[66].
[122] Or, les montants réclamés à cet égard sont détaillés au tableau de la pièce D-49[67], auquel ont été jointes les factures d’honoraires d’avocats justifiant les montants ainsi qu’un relevé de compte à jour au 24 septembre 2012[68] et une lettre de Maria datée du 20 août 2012 envoyée par courrier recommandé par laquelle elle demande à William de défrayer la moitié des frais d’avocats engagés[69].
[123] Selon le témoignage de Maria, ces dépenses auraient dû être assumées par la succession, de sorte que William et Maria auraient vu leur part respective réduite dans la même proportion. La succession n’ayant plus de liquidités à la suite du versement d’un million de dollars au bénéfice de chacun d’eux en cours d’instance, Maria soutient qu’elle n’a pas à assumer seule ces montants dont les deux héritiers universels sont devenus personnellement responsables à parts égales.
[124] Dans son mémoire, William soutient que la contestation de l’avis de cotisation a eu lieu à la seule initiative de Maria et sans qu’il soit consulté. Il ne précise toutefois pas la preuve qui sous-tend cette affirmation, alors que celle présentée par Maria démontre au contraire que des montants devaient être payés par la succession ou, à défaut, à parts égales par les deux légataires universels. Sans autre preuve qui puisse soutenir que ces dépenses ont été encourues sans autorisation, il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir à l’égard de cette conclusion.
[125] Il n’est par ailleurs pas nécessaire de se demander si la contestation des avis de cotisation pour l’année fiscale 2004 relevait du pouvoir de Maria, étant donné l’ordonnance du 19 décembre 2005, qui autorisait Maria à agir pour la succession en matière fiscale, de même qu’à signer et transmettre toutes les déclarations d’impôts préparées par le comptable de la succession[70]. Ceci, d’autant plus que cette ordonnance prévoyait que le défaut de soumettre des observations relativement aux rapports du comptable serait considéré comme un acquiescement auxdits rapports.
[126] Vu la preuve non contredite présentée par Maria, il y a lieu à mon avis de rejeter ce moyen d’appel.
[127] Maria prétend par voie d’appel incident que le juge a erré en la condamnant à verser 3 320,94 $ à William, puisque cette ordonnance est contraire à sa propre conclusion qui rejette la réclamation.
[128] William ne formule aucun argument en lien avec ce moyen.
[129] De fait, au paragraphe [65] du jugement, le juge condamne l’intimée à payer à l’appelant la somme de 3 320,94 $, après avoir indiqué au paragraphe [58] :
[58] There is no explanation regarding William’s claim of $3,320.94. It will be dismissed.[71]
[130] Vu cette contradiction, j’estime qu’il s’agit d’une erreur et qu’il y a lieu, pour cette Cour, d’intervenir et de rayer la conclusion du paragraphe [65].
[131] Pour l’ensemble de ces motifs, je suggère d’accueillir en partie tant l’appel principal que l’appel incident, avec dépens dans chacun des cas, et d’infirmer en partie le jugement de première instance pour rayer les conclusions des paragraphes [65], [75] à [78], de même que pour substituer aux conclusions des paragraphes [63], [80] et [83] celles qui figurent aux paragraphes [63A], [63B], [80] et [83] détaillés ci-après :
[63A] DECLARES that the movables Iisted below :
• 1 matching Windsor chair;
• 1 Queen Anne desk;
• 4 antique pewter mugs;
• 1 Grandfather's carving set;
• 1 Cupola and weather vane;
• […]
• Curtains;
• 1 oval silver picture frame re: grandfather's photograph;
• Plaintiff’s bedroom items :
• 4 pictures/paintings;
• 1 wall mirror;
• 2 table lamps;
• 1 bed spread;
• 1 oval silver picture frame containing grandfather's photograph;
• Books in bookcase;
• Photographs from personal photo album;
belong to the party in possession of them on March 27, 2013;
[63B] ORDERS Defendant to return to Plaintiff the following items :
• 3 attached ceiling light fixtures;
• 1 attached ceiling dining room chandelier;
• 2 attached fireplace mantles.
[80] DECLARES that the residential land of Stukely Lake owned by the estate be distributed between William Lubecki, Anne-Marie Ashcroft and Thomas Ashcroft, each to own an undivided ownership of 1/3 of said residential land, after allocation of a portion of land equal to 1.5 acres at Stukely Lake in favour of Maria in accordance with the Codicil. [83] ORDERS Plaintiff to pay Defendant $25,000 for damages suffered by Defendant in the course of the liquidation of the estate;
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
[1] L’usage des prénoms a pour but de faciliter la compréhension du texte et ne doit nullement être interprété comme un manque de courtoisie.
[2] Last Will and Testament of Sara Elizabeth Miner, 21 août 2003, pièce P-1.
[3] Codicil, 16 juillet 2004, pièce P-1.1.
[4] Dossier no 460-17-000532-051, pièce D-44.
[5] Dossier no 460-17-000531-053, pièce D-46.
[6] Pièce D-45.
[7] Plumitif civil, dossier no 460-17-000552-059; Requête introductive d’instance, n° 406-17-000552-059, pièce D-45.
[8] Pièce D-20.
[9] Sa requête introductive d’instance initiale comptait 9 paragraphes, alors que la nouvelle requête en compte 56.
[10] Motion of Plaintiff to Dismiss the Contestation of mises en cause on the grounds that the mises en cause lack capacity, have no interest and same is unfounded in law and affidavit and notice.
[11] Re-Amended Contestation and Amended Cross-Demand.
[12] Lubecki c. Lubecki, 2012 QCCS 5185.
[13] Amended Contestation of the mise en cause, September 12, 2012; Re-Amended Contestation of mis en cause, November 23, 2012.
[14] Plumitif civil, dossier no 460-17-000817-072, inscription no 144; Requête pour permission d’amender la requête introductive d’instance et en réouverture des débats.
[15] Viel c. Entreprises immobilières du terroir ltée, [2002] R.J.Q. 1262.
[16] Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14.
[17] Ibid., paragr. 160 et 199.
[18] Iris, Le groupe visuel (1990) inc. c. 9105-1862 Québec inc., 2012 QCCA 1208.
[19] Ibid., paragr. 70 et 71.
[20] Third Amended Motion of Plaintiff to dismiss the Contestation of mises-en-cause on the grounds that the mises-en-cause lack capacity, have no interest and same is abusive and unfounded in law, 17 juillet 2012.
[21] Jugement entrepris, p. 14, paragr. 49.
[22] L.L. c. C.P., 2010 QCCA 1741.
[23] Hébert (Succession de), 2011 QCCA 1170, au paragr. 128 :
[128] Les avocats qui réclament le remboursement de leurs honoraires à une tierce partie dans le cadre d'une procédure judiciaire ne sont pas dispensés d'en faire la preuve pas plus que le plombier, l'architecte, le comptable, etc. Il n'est pas suffisant de déposer ses notes d'honoraires lorsqu'on veut en réclamer le remboursement à un tiers autre que son client.
[24] Voir aussi Hrtschan c. Montréal (Ville de), [2004] R.J.Q. 1073 (C.A.). et Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., 2010 QCCA 1970, J.E. 2010-2010.
[25] Ibid., paragr. 132 à 136. Voir aussi Hrtschan c. Montréal (Ville de) et Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., supra, note 24.
[26] Nixon c. Pinelli, [2000] R.J.Q. 2858 (C.A.) [arrêt Pinelli], paragr. 32; Déziel c. Déziel, 2007 QCCA 841; Gauthier (Succession de), 2007 QCCA 466; Boudreau c. Descormiers, 2008 QCCA 379; Vallée c. Roy, 2014 QCCA 927, paragr. 20.
[27] Nixon c. Pinelli, ibid., paragr. 32; Déziel c. Déziel, ibid., paragr. 3; Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2013, no 410; Jacques Beaulne, Droit des successions, 4e éd., La Collection Bleue, Série Précis, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2010, no 593.
[28] Jacques Beaulne, supra, note 27, no 595.
[29] Jugement entrepris, paragr. 23.
[30] Jugement entrepris, paragr. 28.
[31] Jacques Beaulne, supra, note 27, no 597, p. 364.
[32] Codicil of June 25, 2002, pièce P-17.
[33] Testament du 21 août 1996, pièce P-47; Codicille du 25 juillet 1997, pièce P-48; Last Will and testament of Sara Elizabeth Miner, 28 janvier 2002, pièce P-16; Testament du 13 janvier 1998, pièce P-49; Testament du 25 mai 2000, pièce P-75; Testament du 15 janvier 2001, pièce P-76; Testament du 28 janvier 2002, pièce P-77.
[34] Codicil of July 16, 2004, pièce P-1.1.
[35] [1997] R.D.I .4 (C.A.).
[36] Hamel c. De Bellefeuille, [1997] R.D.I. 4 (C.A.). Voir également : Lanart Sales Inc. c. Macnaughton, J.E. 2004-387 (C.A.).
[37] Art. 1181 C.c.Q.
[38] Sylvio Normand, Introduction au droit des biens, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 285-286.
[39] Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriétés, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013 no 610, p. 425.
[40] Article 2998 C.c.Q. Sylvio Normand, supra, note 38, p. 277.
[41] Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, no 2006, p. 880.
[42] Denys-Claude Lamontagne, supra, note 39, no 309, p. 224.
[43] 2007 QCCA 842.
[44] Ibid., paragr. 81. Voir également : Drouin c. Drouin, [1996] R.D.I. 501(C.A.); Sylvio Normand, supra, note 38, p. 130.
[45] [1990] R.D.I. 1 (C.A.).
[46] Ibid.
[47] Municipality Regulations, pièce P-38.
[48] Procès-verbal, 26 mars 2013.
[49] Inscription en appel, 25 avril 2013.
[50] Jugement entrepris, paragr. 45-47.
[51] Last Will and Testament of Sara Elizabeth Miner, August 21, 2003, art. VII, pièce P-1.
[52] Ibid.
[53] Pièce P-12.
[54] Denys-Claude Lamontagne, supra, note 39, no 74, pp. 43 et suiv.
[55] Ibid., no 74, p. 45.
[56] Témoignage de Mme Maria Lubecki, 19 octobre 2012.
[57] Bell, Rinfret et Cie c. Brasserie La Jonction inc., [1983] C.S. 347; Denys-Claude Lamontagne, supra, note 39, no 77, pp. 47-48.
[58] Denys-Claude Lamontagne, supra, note 39, no 80, p. 49, se référant à : Lainé c. Béland, (1896) 26 R.C.S. 419; Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Laurence Caplan Ltd., [1979] R.D.F.Q. 126 (C.A.); Dionne c. Financière Coopérants Prêts-Épargne Inc., [1992] R.D.I. 599 (C.Q.).
[59] Témoignage de Mme Maria Lubecki, 19 octobre 2012.
[60] Témoignage de Mme Maria Lubecki, 22 octobre 2012.
[61] Témoignage de Mme Maria Lubecki, 22 octobre 2012. Voir aussi : Témoignage de Louis Veillon, 18 octobre 2012.
[62] Procès-verbal, 10 décembre 2007.
[63] Ibid.
[64] Droit de la famille - 091541, 2009 QCCA 1268, paragr. 41.
[65] Droit de la famille - 2263 (C.A., 1995-09-08), J.E. 95-1744.
[66] Pièce D-48, Statement of account of Canada Revenue Agency, April 15, 2011.
[67] Pièce D-49, Other amounts dues by William Lubecki.
[68] Ibid.
[69] Ibid.
[70] Pièce D-2.
[71] Jugement entrepris, paragr. 58.
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