Guay et Bizou International inc. |
2009 QCCLP 1445 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 12 mars 2008, madame Nancy Guay (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 mars 2008 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 18 octobre 2007 et déclare que la travailleuse n'a pas subi de lésion professionnelle le 26 juillet 2007.
[3] L'audience s'est tenue le 24 février 2009, à St-Joseph de Beauce, en présence de la travailleuse et de son représentant. Bizou International inc, (l'employeur) était également représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu'elle a subi une lésion professionnelle le 26 juillet 2007, soit sous la forme d’une maladie professionnelle, soit sous la forme d’un accident du travail.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis de rejeter la requête en contestation de la travailleuse aux motifs suivants.
[6] Dans un premier temps, ils considèrent que la preuve ne démontre pas que la travailleuse soit atteinte d'une maladie professionnelle. En effet, ce n’est pas la conclusion à laquelle en arrive le médecin traitant qui ne mentionne jamais un tel diagnostic. Il fait plutôt référence à une douleur apparue à la suite d’un effort important effectué le 26 juillet 2007, ce qui exclut l’application de la notion de maladie professionnelle puisqu’un effort important peut être associé à la notion d’accident du travail.
[7] En second lieu, la notion d’accident du travail ne peut être appliquée. À cet effet, ils considèrent que la preuve ne démontre pas qu’il soit survenu, le 26 juillet 2007, un événement imprévu et soudain, notamment sous forme d’un effort important. Ils considèrent donc que la travailleuse n’a pas subi une lésion professionnelle le 26 juillet 2007.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles, après avoir analysé la preuve et avoir consulté ses membres, rend la présente décision.
[9] Le tribunal doit décider si la lésion de madame Guay, diagnostiquée comme étant une épicondylite et une épitrochléite gauche, est une maladie professionnelle au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ou, subsidiairement, un accident du travail.
[10] La loi donne, à l'article 2, la définition des termes suivants :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[11] Ainsi, afin de faciliter le fardeau de preuve de la travailleuse, le législateur a reconnu que certaines maladies étaient en relation avec le genre de travail effectué. Ainsi :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[12] La maladie diagnostiquée, soit une épicondylite et une épitrochléite gauche, n'étant pas une maladie répertoriée à l'annexe I de la loi, c'est sous l'angle de l'article 30 de la loi que le dossier doit être analysé dans un premier temps. Ainsi :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
__________
1985, c. 6, a. 30.
[13] Il appartient donc à la travailleuse de faire la preuve qu'elle est atteinte d'une maladie contractée par son travail en démontrant que la maladie est, soit caractéristique du travail, soit reliée aux risques particuliers de celui-ci.
[14] Aucune preuve, notamment scientifique comme des études épidémiologiques démontrant que les préposées au centre de distribution étaient plus souvent atteintes de ces maladies, n’a été soumise.
[15] La preuve devra donc démontrer qu’il y a des risques particuliers qui peuvent constituer un mécanisme de production d’une maladie professionnelle du genre qui affecte la travailleuse.
[16] Quant au moyen subsidiaire invoqué, soit la notion d'accident du travail, la travailleuse devra démontrer la présence d’un événement imprévu et soudain survenu au travail et qui entraîne une lésion professionnelle.
[17] Ainsi, au niveau de la preuve, le tribunal a reçu le témoignage de la travailleuse et a analysé la preuve documentaire apparaissant au dossier. Les éléments suivants sont retenus.
[18] Madame Guay occupe le poste de préposée au centre de distribution chez l’employeur. L'employeur est distributeur de matériel pour différentes boutiques.
[19] Elle raconte que son travail consiste en différentes tâches que l’on peut identifier comme suit :
1. Cueillette du matériel à être distribué;
2. Distribution, par client, du matériel recueilli;
3. Opératrice de fer à vapeur;
4. Travaux divers reliés à la manutention et à la distribution.
[20] Ainsi, le matin, elle reçoit du contremaître les indications des commandes qu’elle doit compléter, et ce, prioritairement en début de semaine. Elle se rend aux étagères dans l’entrepôt avec un chariot dans lequel elle mettra différents petits objets, tels des foulards, des tuques, des chapeaux et d'autres objets que les clients ont commandé.
[21] Une consoeur de travail s’active à compléter les commandes particulières des clients. Pour ce faire, elle se déplace dans les allées avec les chariots préparés par la travailleuse et dépose dans les boîtes destinées aux boutiques les items commandés.
[22] Lorsqu’il y a des vêtements trop froissés pour être expédiés aux clients, ils sont pressés au fer à vapeur. Ces items sont habituellement des chapeaux. La travailleuse prend de sa main gauche un chapeau qu’elle dépose sur un poteau à repasser et de la main droite, elle manipule le fer à vapeur. Elle dira que cette opération est plus ardue et qu’elle dépose rarement le fer à vapeur. Donc, c'est son bras gauche qui est sollicité pour mettre en place le chapeau sur le poteau.
[23] Enfin, la travailleuse doit effectuer certaines tâches spécifiques à la distribution et la manutention du matériel. Ainsi, il y a de l'étiquetage à faire ainsi que du masquage d’adresse de l'expéditeur sur les boîtes préparées à l'avance.
[24] Quant aux tâches connexes à la manutention, du témoignage de madame Carrier, directrice du centre de distribution, le tribunal retient que le déchargement des conteneurs relève aussi des tâches de la préposée à la distribution.
[25] Il est à noter, qu’au moment des événements, la travailleuse effectuait toutes ces tâches mais sans pour autant avoir un horaire déterminé. Ainsi, une journée elle pouvait être attitrée à la distribution et le lendemain, au fer à vapeur, la distribution des tâches étant tributaire des besoins de l'entreprise. Par contre, depuis 2008, il y a une rotation qui s’effectue entre les employées aux différents postes de travail.
[26] C'est dans le cadre des opérations normales que la travailleuse est assignée au trie de boîtes préparées par un expéditeur. Madame Guay explique que certaines boîtes arrivaient déjà prêtes à être transmises aux clients. Ce genre de colis était nouveau et c’est la première fois qu’elle était assignée à cette tâche.
[27] Elle prenait une boîte sur une palette, la déposait par terre et lorsqu’elle correspondait à une boîte dont elle devait masquer l'adresse de l’expéditeur, elle le faisait avec un ruban gommé opaque. Par la suite, elle replaçait la boîte sur une autre palette.
[28] De plus, elle devait mettre de côté d'autres boîtes qui n’allaient pas chez des clients.
[29] Lors de son témoignage, madame Guay explique que l’opération de masquage de l'adresse de l'expéditeur était ardue car elle devait glisser sa main gauche sous les courroies entourant la boîte, saisir l'extrémité du ruban et le tirer afin de masquer l'adresse. Elle répétait cette opération quatre fois sur chacune des boîtes.
[30] Elle dira qu’elle pouvait être sur le masquage d'adresse durant deux jours de suite.
[31] Au formulaire de déclaration d’un événement accidentel complété le 24 août 2007 par la travailleuse, celle-ci écrit :
« Il fallait dépiler les boîtes, de la compagnie « Sun Star », de sur les palettes et lorsque j’avais une boîte inscrite « Assorted » il fallait cacher l’adresse de l’expéditeur avec du tape brun qui était installé sur une tapeuse. Ça prenait 2 lisière de tape brun pour cacher l’adresse et il y en avait des deux côté de la boîte. Ensuite, il fallait reprendre la boîte et replacer sur une autre palette. Lorsque je prenais une boîte de réserve, il fallait la mettre à part sur d’autre palette et ainsi de suite en les passant toute une à une. Alors j’ai passé la journée à pile, dépile, cache l'adresse et à la fin de la journée, j’avais mal à l’avant-bras allant jusqu’au coude avec la sensation de bras mort ». (sic)
[32] Au niveau de la douleur, il est mentionné mal au muscle de l'avant-bras allant jusqu’au coude (muscle raide).
[33] Madame Guay n’a pas consulté immédiatement mais après une semaine de douleur, elle communique avec le bureau de son médecin famille pour prendre rendez-vous. Celui-ci étant en vacances, elle aura un rendez-vous le 14 août 2007. Il n’y aura pas d’arrêt de travail avant le mois d'octobre 2007.
[34] Sa réclamation ayant été refusée, elle retirera des prestations d’assurance-emploi-maladie durant 15 semaines. Après cette période, n’ayant plus de revenus, elle retournera au travail malgré la présence de douleur à son bras gauche.
[35] Du contre-interrogatoire de la travailleuse, on retiendra les éléments suivants :
· La travailleuse dira qu’elle est membre du comité de santé sécurité de l'entreprise depuis quelques années;
· L'étiquetage en 2007 se faisait sur une période d’une demi-journée par semaine;
· Elle fixe au début de 2007, la mise en place de l'arrivée des boîtes préparées pour des clients;
· Elle ne se souvient pas que le rendez-vous médical du 14 août 2007, était un rendez-vous de contrôle pour des douleurs aux pieds et au dos;
· Ses douleurs au bras étaient des deux côtés du coude gauche;
· À la note du 2 octobre 2007, il y est fait mention que la travailleuse a forcé la veille et que la douleur était augmentée. De plus, des douleurs au dos et au thorax sont notées. Concernant ces douleurs, elle ne se souvient pas des circonstances qui ont mené à leur apparition;
· Elle a eu une infiltration à la cortisone qui n’a donné aucun soulagement;
· Elle a eu une phlébite alors qu’elle était en arrêt de travail;
· Elle a eu des douleurs à l’épaule droite dont elle ne peut en expliquer l’origine;
· Elle a repris son travail normal. Elle dira ressentir parfois des douleurs au bras gauche mais avec la rotation entre les postes de travail c'est moins pire;
· Elle a eu une consultation en orthopédie et le médecin lui a dit qu’il n’opérait pas des conditions comme celle de la travailleuse puisque les résultats n’étaient pas nécessairement des plus positifs;
· Son épitrochléite gauche s’est résorbée avec les traitements de physiothérapie. Elle dira que la date de consolidation doit correspondre au moment où son médecin traitant ne retient plus ce diagnostic sur ses rapports médicaux;
[36] Aux questions du tribunal, elle dira avoir manipulé durant la journée du 26 juillet 2007, environ 225 boîtes avec une consoeur de travail.
[37] Le tribunal a reçu le témoignage de madame Carrier et retient les éléments suivants :
· L'arrivée des boîtes préparées à l'avance par les expéditeurs a débuté en 2005;
· À ce moment, elle n’avait pas reçu la consigne de masquer l'expéditeur. Ce n'est qu’en 2006 que cette opération est devenue un standard;
· Elle explique que le travail effectué le 26 juillet 2007 résultait d’une commande moyenne. Elle donne les spécifications suivantes :
· Il s’agissait d’un lot de 202 colis dont 121 étaient préparés à l’avance;
· De ces 121 colis, 115 ont été masqués et les autres ont été défaits et le matériel mis dans les étagères de l'entrepôt;
· L’opération s’est effectuée sur une période de deux jours;
· Le début du travail a débuté à 11 h le 26 juillet 2007, à deux employées et, en après-midi, la travailleuse a effectué le travail seule;
· Les boîtes sont d’une dimension de 28 ½ pouces par 11 pouces de large et de 32 pouces de longueur;
· Le poids est de 26,2 livres;
· Un document interne est déposé et concerne une demande d'informations transmise par madame Carrier afin de récolter des informations concernant les événements survenus le 26 juillet 2007. Le document est en date du 20 septembre 2007;
· Ce document contient aussi d’autres informations telles que l'impossibilité de quantifier le nombre de boîtes manipulées le 26 juillet 2007, que la travailleuse a continué à effectuer normalement son travail sans se plaindre et sans aviser l’employeur, qu’aucune mention n’a été faite au registre des accidents et que l’employeur n’a été avisé qu’à la remise du billet médical du mois d’août 2007;
· Madame Carrier est aussi membre du comité de santé et de sécurité au travail. À ce titre, le comité a traité une demande de rotation de postes de travail de la part des travailleuses de ce département;
· Les colis avaient une dimension supérieure que ce qui est habituellement recommandé. Par contre, ce format de colis n’est pas rare et elle ne sait jamais quelle sera la dimension avant d’avoir reçu la commande;
[38] En contre-preuve, madame Guay confirmera qu’elle n’a pas travaillé le lendemain sur la commande. De plus, elle dira qu’elle avait peut-être préparé la moitié des colis le 26 juillet 2007.
[39] Enfin, elle dira ne pas avoir fait mention de tous les éléments relatifs à la journée du 26 juillet 2007 à l'agent de la CSST lorsqu’il l’a appelée mais d’avoir répondu à ses questions seulement. Ainsi, à une question du tribunal à savoir si elle avait mentionné le poids des colis manipulés le 26 juillet 2007, elle répondra « Je ne me rappelle pas s’il m’a posé la question ».
[40] Au dossier administratif, certains éléments sont retenus. Ainsi, aux notes de l'agent du 17 octobre 2007, celui-ci mentionne que la travailleuse est droitière, qu’il n’y a pas eu d’accident, pas de traumatisme ni que la travailleuse ait mal forcé. Enfin, il notera que la travailleuse ne peut identifier la cause de l’apparition de sa douleur.
[41] Le docteur Roux, médecin traitant, retiendra à ses rapports médicaux, les diagnostics d’épicondylite et d’épitrochléite gauche.
[42] À son ordonnance médicale du 28 août 2007 prescrivant de la physiothérapie, il note que ces lésions sont apparues à la suite d’un effort important au travail le 26 juillet 2007.
[43] Le 16 octobre 2007, ce médecin mentionne à son rapport médical une détérioration selon les efforts au travail.
[44] Le 28 janvier 2008, le médecin traitant prescrit un retour au travail progressif.
[45] Les rapports médicaux du mois de décembre 2007 au mois de mai 2008 ne retiennent que le diagnostic d’épicondylite gauche.
[46] À l'argumentation de l'employeur transmise le 4 octobre 2007, il y est mentionné que les tâches du 26 juillet 2007 étaient des tâches habituelles que la travailleuse accomplissait fréquemment et qu’entre le fait allégué et la première consultation médicale, soit le 14 août 2007, elle ne s’est plainte d’aucune douleur au bras gauche.
[47] Ceci constitue l'essentiel de la preuve et elle amène le tribunal à conclure comme suit.
[48] Avant de procéder à l'analyse de la preuve, il convient de répondre à un commentaire du procureur de l'employeur, à savoir qu’il faut avoir une preuve par un spécialiste déterminant quels sont les mouvements pouvant causer ce genre de lésion professionnelle. Dans le présent dossier, il n’y a pas ce type d’expertise médicale ou ergonomique et aucun spécialiste en la matière n’a témoigné afin d’établir quels sont les mouvements susceptibles de causer une épicondylite et une épitrochléite.
[49] Cependant, le soussigné fait siens les commentaires de la juge administratif G. Tardif qui, dans l’affaire Verreault et Groupe Compass[2], se prononce sur la connaissance d’office que possède la Commission des lésions professionnelles en regard de cette prétention. Ainsi :
«[…]
[32] Selon la jurisprudence maintenant bien établie sur la question, la connaissance d’office des tribunaux spécialisés, telle la Commission des lésions professionnelles, ne comprend que les notions de base qui sont généralement reconnues par la communauté médicale, qui ne font pas l’objet de controverse scientifique, qui ne relèvent pas d’une expertise particulière et qui ont pu être exposées à maintes reprises devant le tribunal7.
[33] De l’avis de la commissaire soussignée, l’identification des structures qui s’insèrent sur l’épicondyle, ainsi que la nature des mouvements qui sollicitent ces structures font partie de la connaissance d’office du tribunal, puisque ces connaissances ne relèvent pas d’une expertise particulière, qu’elles font l’objet d’un consensus et qu’elles font partie des connaissances médicales de base.
[34] La connaissance d’office du tribunal lui permet donc d’affirmer que les muscles supinateurs de l’avant-bras et extenseurs du poignet et des doigts s’insèrent à l’épicondyle et qu’il est pertinent et raisonnable d’étudier les sollicitations de ces groupes musculaires ainsi que les sollicitations isométriques qui sollicitent à la fois les structures épicondyliennes et les structures qui lui sont opposées, soit les structures épithrocléennes.
[35] En se fondant sur sa connaissance d’office et dans le but d’évaluer l’intensité de la sollicitation des structures épicondyliennes, le tribunal entend donc considérer les mouvements ou efforts en supination de l’avant-bras, en extension du poignet ou des doigts, en préhension de la main et en maintien du poignet en position neutre.
[36] Les facteurs de risques professionnels de développement d’une épicondylite ne font cependant partie de la connaissance d’office du tribunal que dans la mesure où ils ne sont pas sujets à controverse et qu’il s’agit de connaissances de base. Or, selon l’expérience du tribunal, il n’y a que l’extension violente du poignet ou des doigts et l’extension forcée et répétée du poignet ou des doigts qui font l’objet d’un consensus. Les autres facteurs de risques parfois invoqués par certains experts sont contestés par d’autres. L’affaire Marché Fortier ltée et Fournier8 constitue une belle illustration de cette controverse scientifique.
[37] Ainsi, en l’absence de preuve médicale dans le présent dossier décrivant d’autres facteurs de risques, le tribunal doit se limiter à ne considérer que l’extension résistée et répétée du poignet ou des doigts, et l’extension violente du poignet ou des doigts comme facteurs de risques professionnels.
[…] »
___________
7 Construction Raoul Pelletier inc., C.L.P. 221878-03B-0311, 1er août 2006, M. Beaudoin; Tremblay et P.N. Lamoureux ltée et CSST, C.L.P. 133533-09-9909, 24 janvier 2006, G. Marquis; Dallaire et Jeno Neuman & Fils inc., [2000] C.L.P. 1146 ; Valois et Services d’entretien Maco ltée, [2001] C.L.P. 823 .
8 Op.cit., note 6.
[50] Cette position a d’ailleurs été réitérée dans une décision plus récente[3].
[51] Ceci étant dit, la travailleuse doit donc démontrer que l’épicondylite et l’épitrochléite résultent de l’exercice d’un travail.
[52] Avant de trancher le litige, il faut circonscrire le débat. D'entrée de jeu, le tribunal a demandé si la preuve qui serait soumise, le serait dans le but de voir la lésion reconnue comme une maladie professionnelle ou comme une lésion professionnelle résultant d’un accident du travail. Le représentant de la travailleuse soumet dans un premier temps que c’est sous l'angle de la maladie professionnelle qu’il faut analyser la preuve.
[53] À ce sujet, le tribunal ne peut conclure à la présence d’une maladie professionnelle, et ce, pour les motifs suivants.
[54] Premièrement, lorsqu’en présence d’une maladie professionnelle, la preuve démontre habituellement que les facteurs de risque ont été présents sur une longue période et ont causé un dommage à la structure anatomique. Dans le présent dossier, la preuve n’a pas démontré la présence de facteurs de risque à répétition sur de longues périodes de temps.
[55] Ainsi, le travail qu’a décrit madame Guay n'est pas un travail où les mouvements impliquent régulièrement les mêmes structures anatomiques. En effet, bien qu’elle utilise de façon régulière ses deux membres supérieurs, rien dans la preuve ne démontre une surutilisation du membre supérieur gauche sur de longues périodes.
[56] Deuxièmement, même si ce n’est pas un critère qui, à lui seul, permette de rejeter une réclamation, il est usuel de voir la douleur apparaître et progresser durant une certaine période de temps et non pas sur une période aussi courte que celle alléguée dans le présent cas. En effet, la travailleuse dit que le matin, elle était bien et à la fin de son quart de travail, la douleur était installée.
[57] Troisièmement, il faut comprendre que les deux structures atteintes sont des structures opposées, c'est-à-dire que lorsqu’une est sollicitée, l’autre devrait être au repos. Ainsi, pour être en mesure de conclure aux gestes correspondant à des facteurs de risque ayant attaqué les deux structures, il faudrait que ceux-ci se retrouvent de façon aussi importante comme sollicitant autant l'épicondyle que l’épitrochlée. Ce sont donc des mouvements à amplitudes extrêmes, tant en supination qu’en pronation, que l’on doit démontrer. Or, cette preuve n’a pas été faite.
[58] Quatrièmement, le tribunal doit tenir compte que ce n’est pas le membre dominant qui est affecté. Si l’on retient la notion de maladie professionnelle, il est normal de considérer que le membre le plus soumis aux facteurs de risque qui est le membre dominant, est celui qui devrait logiquement être le plus atteint. Or, ce n’est pas le cas dans le présent dossier.
[59] Enfin, il faut prendre en considération le fait que le médecin traitant n’aborde jamais le dossier sous l'angle de la maladie professionnelle. Lors de l'analyse de ses notes ainsi que des rapports médicaux qu’il a produits, il appert qu’il se réfère à un effort effectué au travail, ce qui milite beaucoup plus en faveur d’un accident que d’une maladie.
[60] Il faut donc conclure que la lésion dont est atteinte madame Guay ne peut être assimilable à une maladie professionnelle.
[61] La preuve doit donc être analysée sous l’angle de l'accident du travail. À ce sujet, la preuve devrait démontrer qu’il est survenu un événement imprévu et soudain qui aurait entraîné une lésion professionnelle, ce qui n’a pas été démontré de façon prépondérante, et ce, pour les motifs suivants.
[62] Premièrement, la preuve démontre que la travailleuse, lorsqu’elle a été interrogée par l'agent de la CSST, a fait des affirmations qui sont loin d’établir un événement imprévu et soudain.
[63] En effet, elle n’a subi aucun traumatisme comme par exemple se frapper. Le travail qu’elle effectuait était, selon ses dires, son travail régulier qu’elle effectue depuis 2002. Enfin, elle ne peut identifier la source de ses problèmes au coude gauche. Toutes ces déclarations contemporaines amènent le tribunal à conclure qu’il n’y a pas eu d’événement imprévu et soudain.
[64] Deuxièmement, le tribunal ne peut conclure que le travail effectué le 26 juillet 2007 ait été de nature tellement particulier qu’il puisse constituer un événement imprévu et soudain qui aurait pu causer la lésion. En effet, le témoignage de la travailleuse, quant au nombre de boîtes manipulées le 26 juillet 2007, est contredit par les données fournies par l'employeur. Ainsi, la travailleuse dira initialement qu’elles étaient deux travailleuses pour manipuler 225 boîtes. Or, cette manipulation ne concernait que 202 colis, dont 115 nécessitant le masquage. De plus, la durée de l'opération de trie s’est fait sur deux jours, dont une où la travailleuse n’a pas effectué ce travail.
[65] Dans ces circonstances, le tribunal considère que le travail n’avait rien d’exceptionnel, ce qui aurait pu être assimilable à un événement imprévu et soudain au sens de la notion d’accident du travail.
[66] Enfin, le fait que la travailleuse ait eu à masquer certaines adresses d'expéditeurs ne peut être considéré comme un événement imprévu et soudain, et ce, pour les motifs suivants.
[67] D’une part, le nombre de colis manipulés le 26 juillet 2007 nécessitant cette opération n’a pas été établi mais du témoignage de la travailleuse, on peut en tirer l'hypothèse que ce ne sont pas tous les 115 colis qu’elle a eus à masquer. En effet, elle dira qu’il restait peut-être la moitié de la commande à faire le lendemain. De plus, durant l'après-midi, bien qu’elle ait été seule, elle n’affirme pas avoir dû en faire plus parce que l'autre travailleuse était absente. Il faut donc conclure qu’il n’y a pas eu d'augmentation de rythme de travail.
[68] D’autre part, la travailleuse a tenté de faire une démonstration de l'utilisation de l'applicateur de ruban gommé pour masquer les adresses. Le tribunal retient que c’est beaucoup plus le poignet droit qui est sollicité que le gauche. En effet, le poignet droit se retrouve en flexion latérale et un coup doit être donné pour couper le ruban gommé, ce qui sollicite l'avant-bras et les fléchisseurs. Quant au poignet gauche, bien qu’il puisse se retrouver en flexion pour tirer sur le ruban, il revient en position neutre très rapidement.
[69] En résumé, le tribunal considère que la prépondérance de la preuve n'établit pas que la travailleuse ait subi une maladie professionnelle ou un accident du travail, le 26 juillet 2007.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Nancy Guay, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 mars 2008 à la suite d'une révision administrative, et;
DÉCLARE que la travailleuse n'a pas subi de lésion professionnelle le 26 juillet 2007.
|
|
|
Robert Deraiche |
|
|
M. Yves Côtes |
|
CÔTE, GUAY, SERVICES CONSEILS |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Éric Latulippe |
|
LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
|
Représentant de la partie intéressée |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.