Droit de la famille — 20641 |
2020 QCCS 1462 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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(Chambre de la famille) |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
bedford |
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N° : |
460-12-011071-199 |
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DATE : |
7 mai 2020 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
CLAUDE VILLENEUVE, J.C.S. |
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M… D… |
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Demandeur |
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c. |
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MA… C… |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Les parties exercent la garde partagée de leurs enfants X (11 ans) et Y (9 ans)[1].
[2] Depuis l’annonce du Gouvernement du Québec, en date du 27 avril dernier, de rouvrir, sur une base facultative, les écoles primaires à compter du 11 mai 2020, les parties diffèrent d’opinion au sujet de l’opportunité de retourner les enfants à l’école dans le contexte de la pandémie liée à l’éclosion de la Covid-19.
[3] D’un côté, Madame souhaite que les enfants retournent à l’école en raison du fait qu’ils auraient des besoins qui ne peuvent actuellement être comblés en les maintenant confinés dans les milieux parentaux. Étant travailleuse dans les services prioritaires depuis le début de la pandémie, elle n’est pas en mesure d’offrir un encadrement scolaire aux enfants durant son temps de garde.
[4] Monsieur s’oppose à cette demande en alléguant essentiellement que les enfants ne sont pas en situation d’échec scolaire et qu’il serait inutile de les exposer à des risques accrus de contracter le virus. Étant donné les nombreux changements dans le milieu scolaire et le fait que les enfants ne seront plus avec les mêmes enseignants ni leurs amis d’ici la fin de l’année scolaire, Monsieur ne voit pas les avantages que ceux-ci pourraient avoir de retourner à l’école alors qu’il est en mesure de leur donner l’encadrement requis à domicile pour leur permettre d’avoir un suivi académique adéquat.
[5] L’avocate des enfants réplique que X veut retourner à l’école pour finir ses études primaires et parfaire ses connaissances en français et en mathématiques en vue d’être en mesure de bien débuter son secondaire à l’automne prochain. Quant à Y, elle rapporte qu’il montre peu d’intérêt pour l’école.
[6] Dans le contexte particulier de la présente affaire, la position de Madame est retenue et les enfants retourneront à l’école dès le 11 mai 2020, à moins de nouvelles directives gouvernementales à l’effet contraire.
[7] Voici pourquoi.
[8] Premièrement, il n’appartient pas aux tribunaux, mais plutôt aux autorités gouvernementales compétentes, d’évaluer les risques potentiels de contamination de la population en situation de pandémie et de prendre les mesures qui s’imposent pour limiter la propagation d’un virus.
[9] L’adoption des nombreux arrêtés ministériels récents démontre que le gouvernement prend les mesures qui s’imposent au fur et à mesure de l’évolution de la situation[2].
[10] Lorsque le gouvernement décide de lever partiellement les mesures de confinement liées à la Covid-19 afin de permettre, entre autres, la reprise des activités académiques au niveau primaire, il n’y a pas lieu pour le Tribunal de remettre en question cette décision, à moins que l’une ou l’autre des parties démontre, par une preuve prépondérante, qu’il serait contraire aux intérêts particuliers de leurs enfants de recommencer à fréquenter l’école, en raison, par exemple, de leur état de santé.
[11] Cette preuve n’a pas été faite.
[12] Deuxièmement, il convient de rappeler que les décisions concernant un enfant doivent être prises dans son intérêt et le respect de ses droits (article 33 C.c.Q.), et non dans le seul intérêt de ses parents.
[13] Or, en vertu des articles 1 et 14 de la Loi sur l’instruction publique[3], chaque enfant qui réside au Québec a non seulement le droit de recevoir des services éducatifs[4], mais il a aussi l’obligation de fréquenter une école[5], et ce, à compter du premier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire suivant celle où il a atteint l’âge de 6 ans jusqu’au dernier jour du calendrier scolaire de l’année scolaire au cours de laquelle il atteint l’âge de 16 ans[6].
[14] De leur côté, les parents doivent prendre les moyens nécessaires pour que leur enfant remplisse son obligation de fréquentation scolaire[7]. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un enfant sera dispensé de cette obligation[8].
[15] La pandémie liée à l’éclosion de la Covid-19 constitue certainement une situation extraordinaire menant à des mesures exceptionnelles.
[16] Mais il ne s’agit que de mesures temporaires qui n’ont pas pour effet de modifier les dispositions de la Loi sur l’instruction publique.
[17] Il est exact que le gouvernement a décrété que le retour en classe à compter du 11 mai 2020 n’était pas « obligatoire ». Cependant, cela n’enlève pas pour autant aux enfants leur droit de recevoir des services éducatifs.
[18] Quand les deux parents jugent, d’un commun accord[9], qu’il est plus approprié pour leur enfant de poursuivre sa scolarisation à la maison (tout en bénéficiant d’un encadrement pédagogique à distance), ils doivent prendre les moyens qui s’imposent pour y parvenir.
[19] Si un des parents ne peut, dans un contexte de garde partagée, offrir à son enfant un enseignement à domicile pour des motifs acceptables et raisonnables, il n’y a pas lieu de priver l’enfant de son droit de fréquenter son école lorsqu’il lui est possible de le faire.
[20] Par ailleurs, il faut éviter de changer les modalités de la garde à moins que la situation des enfants et des parties commande un tel changement, ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire parce que les enfants évoluent bien, de façon générale, en garde partagée.
[21] Troisièmement, dans le contexte où X demande à retourner à l’école, il serait même contraire aux intérêts de celle-ci de ne pas fréquenter l’école jusqu’en septembre prochain alors qu’elle souhaite parfaire ses connaissances dans certaines matières où elle éprouve des difficultés.
[22] Elle aura bientôt 12 ans et sa demande n’est absolument pas déraisonnable, surtout si elle est anxieuse en vue de débuter ses études secondaires.
[23] Il appartient aux deux parents de la supporter.
[24] Quant à Y, s’il est vrai qu’il ne démontre aucun intérêt pour l’école, le Tribunal ne voit pas en quoi une absence du milieu scolaire durant près de 4 mois supplémentaires va améliorer la situation ni son besoin de socialiser davantage.
[25] Dans son cas, il faut éviter que la situation se détériore.
[26] Il appartient aux deux parties de supporter et motiver les enfants en vue de leur retour prochain à l’école.
[27] Quatrièmement, il est peu probable que la situation qui prévaut actuellement soit très différente en septembre prochain.
[28] Dès lors, bien que la façon d’enseigner avec des mesures de distanciation sociale puisse fort probablement être très différente de ce qui se faisait avant, il n’y a pas de raison de ne pas faire confiance au personnel enseignant et aux institutions scolaires.
[29] ORDONNE que les enfants X et Y recommencent à fréquenter l’école A à compter du 11 mai 2020, à moins de nouvelles directives gouvernementales à l’effet contraire;
[30] Sans frais de justice.
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__________________________________CLAUDE VILLENEUVE, j.c.s. |
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Me Nathalie Fournier |
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(Poitras Fournier Cossette Avocats) |
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Avocate du demandeur |
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Me Véronique Coutin |
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Avocate de la défenderesse |
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Me Line Nadeau |
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Avocate des enfants |
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Date d’audience : |
6 mai 2020 |
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[1] La séquence est la suivante depuis le 4 décembre 2019 : du vendredi soir au vendredi soir suivant.
[2] La reprise des contacts avec les personnes âgées est même autorisée, sous certaines conditions, avec l’Arrêté numéro 2020-032 de la ministre de la Santé et des Services sociaux en date du 5 mai 2020.
[3] Loi sur l'instruction publique, RLRQ c I-13.3 (la « L.I.P. »).
[4] Art. 1 de la L.I.P.
[5] Art. 14 de la L.I.P.
[6] À moins que l’enfant obtienne avant l’âge de 16 ans un diplôme décerné par le ministre.
[7] Art. 17 de la L.I.P.
[8] Par exemple, dans les cas énoncés à l’art. 15 de la L.I.P.
[9] En cas de désaccord, il appartient au Tribunal de statuer dans l’intérêt de l’enfant (article 604 C.c.Q.).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.