Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Tremblay c. Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa

2015 QCCS 26

 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

RICHELIEU

 

N° :

765-17-001277-138

 

DATE :

12 JANVIER 2015

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

JUGE LOUIS CRÊTE J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

GUYLAINE TREMBLAY,

SYLVAIN LAVOIE,

Demandeurs,

c.

LA COMPAGNIE MUTUELLE D’ASSURANCE WAWANESA,

Défenderesse.

 

______________________________________________________________________

 

J U G E M E N T

______________________________________________________________________

 

 

[1]           À la suite d’un incendie d’origine apparemment électrique qui a détruit une partie importante de leur maison de Sorel-Tracy, les demandeurs réclament de leur assureur les diverses indemnités auxquelles ils estiment avoir droit en vertu de la police d’assurance habitation qu’ils avaient souscrite moins d’un an avant le sinistre.

[2]           De son côté, l’assureur refuse d’indemniser au motif que la codemanderesse lui a fait une fausse déclaration lors de la souscription de la police, en omettant de mentionner que son conjoint habitant avec elle dans la résidence avait été trouvé coupable de diverses infractions criminelles dans le passé, et ce, malgré qu’une question spécifique lui eut été posée à cet égard lors de la conclusion du contrat.


[3]           Sur la base des fausses déclarations alléguées, l’assureur demande au tribunal de déclarer la police d’assurance souscrite par les demandeurs nulle ab initio et il offre en conséquence de rembourser aux demandeurs les primes payées par eux entre la conclusion du contrat et le sinistre.

[4]           Le tribunal doit donc décider s’il y a lieu d’annuler la police d’assurance habitation ayant couvert la propriété des demandeurs et sinon, dans le cas où la police d’assurance devrait être considérée valide, à quel montant ces derniers ont droit à la suite de l’incendie.

[5]           Voici les faits.

[6]           Guylaine Tremblay et Sylvain Lavoie sont conjoints depuis plusieurs années et ils habitaient en 2009-2010 une maison relativement luxueuse au
[…], à Sorel-Tracy.

[7]           Désirant obtenir une assurance habitation pour sa maison, Mme Tremblay a communiqué par téléphone le 21 juillet 2009 avec une préposée de La Compagnie mutuelle d’assurance Wawanesa (« Wawanesa ») en vue de s’y faire assurer.
À cette fin, Mme Tremblay a dû répondre à un certain nombre de questions portant sur les biens à assurer, le type de construction du bâtiment, sa valeur, etc.  Elle s’est fait également poser diverses questions concernant les personnes qui habitaient la maison, leur identité, leur travail, etc.

[8]           À cet égard, la préposée de Wawanesa, Mme Ginette Beaudoin, a posé à
Mme Tremblay lors de leur conversation téléphonique une question relative aux antécédents judiciaires criminels et civils des personnes vivant dans l’habitation à assurer :

 

« Est-ce que vous, ou toute personne vivant sous votre toit ou ayant librement accès aux lieux ou aux biens assurés, avez déjà fait l’objet de poursuites ou condamnations de quelque nature que ce soit, tant au niveau criminel que civil? »[1]

 

[9]           À cette question, la réponse donnée au téléphone à la représentante de Wawanesa par Mme Tremblay a été : « Non ».

[10]        Or, il appert que le conjoint de Mme Tremblay, Sylvain Lavoie, le codemandeur ici, avait déjà été trouvé coupable dans le passé de diverses infractions criminelles de 1982 à 2009.

[11]        Cette information n’était pas connue de l’assureur lors de l’appel de
Mme Tremblay à Mme Beaudoin.

[12]        Puisque, selon les réponses données à la préposée de Wawanesa, le dossier ne posait pas de problème particulier, l’assureur a aussitôt accepté de couvrir le risque et a consenti à émettre à Mme Tremblay et M. Lavoie une police d’assurance habitation à laquelle s’ajoutait également une protection standard contre la responsabilité civile.[2]

[13]        Le 6 avril 2010, un incendie se déclare dans le garage attenant à la maison de Mme Tremblay en raison, semble-t-il, d’une surcharge électrique provoquée par les travaux de soudure effectués par M. Lavoie.

[14]        Les dommages au garage et aux parties de l’immeuble adjacentes sont importants et le couple Tremblay/Lavoie est forcé de quitter leur maison pour aller être hébergé au motel d’abord et dans une chambre par la suite.

[15]        Dans les heures qui ont suivi l’incendie, Mme Tremblay en avise son assureur Wawanesa qui dépêche sur place un expert en sinistre, M. François Masson,
afin qu’il procède de son côté à l’évaluation des dommages et coordonne les travaux d’urgence à effectuer.

[16]        À l’initiative de M. Masson, les divers tissus de la maison affectés par la fumée seront envoyés chez Solution Rose pour y être nettoyés.  L’expert suggère aux demandeurs de prendre des photos, de faire un inventaire détaillé de tout ce qu’ils ont perdu, de vérifier les coûts de remplacement des objets en question, etc.
M. Masson propose également aux demandeurs qu’ils se cherchent un entrepreneur pour effectuer l’estimation des travaux de reconstruction requis.  C’est ainsi que
Les Entreprises Luc Benoit est retenue pour préparer une soumission,
laquelle s’élèvera à $80,614.63.[3]  Avec l’autorisation de M. Masson, Luc Benoit entreprend les travaux et, en cours d’exécution, réclame des demandeurs d’être payé pour les travaux effectués jusque-là.

[17]        Dans cette perspective, Mme Tremblay (Guylaine) communique avec
Mme Josée Tremblay, une préposée de Wawanesa, afin de commencer à recevoir l’indemnisation nécessaire à la poursuite des travaux.  Là, on informe la demanderesse que son dossier est entre les mains des avocats de l’assureur.

[18]        Le 27 avril 2010, le cabinet Donati Maisonneuve informe les demandeurs que Wawanesa « a découvert [qu’ils ont] fait des fausses déclarations et/ou réticences au moment de la souscription du risque ».[4]  On ajoute :

 

« En effet, vous avez omis de déclarer à notre cliente que monsieur
Sylvain Lavoie avait déjà été poursuivi ou condamné relativement à des infractions de nature criminelle alors que vous avez été spécifiquement questionné à ce sujet.  Les dispositions du Code civil du Québec ainsi que celles du contrat d’assurance auquel vous avez souscrit vous imposaient l’obligation de répondre honnêtement aux questions qui vous étaient posées et de déclarer tous les faits connus de vous qui étaient de nature à influencer la décision de notre cliente d’accepter ou non d’émettre le contrat d’assurance que vous requerriez.

Si notre cliente avait connu les faits décrits précédemment que vous avez omis de divulguer au moment de la souscription du risque, elle aurait catégoriquement refusé d’émettre le contrat d’assurance habitation en titre.  Par conséquent,
notre cliente procède à l’annulation ab initio du contrat d’assurance habitation portant le numéro HPC 8419174.  Un chèque en remboursement de la prime payée suivra sous pli séparé.

Considérant la nullité du contrat d’assurance habitation, vous comprendrez que notre cliente n’entend pas donner suite à votre réclamation relativement à un sinistre survenu le ou vers le 6 avril 2010, sans compter que notre cliente se réserve le droit d’invoquer contre vous tout autre motif de négation de couverture, le cas échéant. »[5]

 

[19]        Dans les jours suivants, les demandeurs consultent un avocat,
Me Ferdinand Roy, qui demande à Donati Maisonneuve de :

 

« [...] recevoir copie du questionnaire questions-réponses que votre cliente a fait remplir à notre cliente [Mme Guylaine Tremblay] si votre cliente possède quelque écrit ou l’enregistrement de la conversation tenant lieu de questionnaire si
celui-ci a été fait par téléphone avant l’émission par votre cliente d’une couverture d’assurance. »[6]

 

[20]        Le 10 mai 2010, Donati Maisonneuve répond à Me Roy que la demanderesse Mme Tremblay :

 

« [...] n’a complété aucun questionnaire au moment de la souscription du risque et [qu’]il n’y a aucun enregistrement des conversations entre les agents d’assurance et les assurés. »[7]

 

[21]        Dans les faits et comme la preuve nous l’apprendra à l’audience,
lorsqu’une demande de police d’assurance était faite à Wawanesa directement auprès d’un de ses agents qui prennent les appels des postulants-assurés, aucun document écrit n’est rempli par le postulant.  L’agent de Wawanesa recueille verbalement les informations pertinentes du client au téléphone, voit à les intégrer dans un fichier informatique déjà spécifiquement conçu à cette fin et il peut alors, sur-le-champ,
faire une soumission chiffrée au futur client.

[22]        Ici, les informations requises ont été colligées à l’ordinateur de Wawanesa par Mme Ginette Beaudoin le 21 juillet 2009 à 13 h 34 à la suite des déclarations téléphoniques que la demanderesse Mme Tremblay lui a faites[8] et c’est sur cette base que le contrat d’assurance liant les parties[9] a été émis par la défenderesse.

[23]        C’est dans ce contexte que les procureurs de Wawanesa ont indiqué à Me Roy qu’il n’existait aucun questionnaire écrit qui aurait été complété par Mme Tremblay lors de la souscription du contrat d’assurance.

[24]        À la suite de la lettre du 10 mai 2010, une autre missive a été envoyée aux demandeurs par Donati Maisonneuve leur indiquant que Wawanesa considérait la police d’assurance[10] nulle ab initio en raison des fausses déclarations faites par
Mme Tremblay lors de la souscription.  On faisait alors parvenir aux demandeurs un chèque de $1,346.32 représentant les primes d’assurance qu’ils avaient payées sur cette police.[11]

[25]        Insatisfaits de ces réponses de Wawanesa, les demandeurs ont intenté contre cette dernière, le 14 juin 2010, une requête introductive d’instance lui réclamant la somme de $180,614.63, représentant les divers dommages à leur propriété,
à leurs biens et en compensation des inconvénients subis à la suite de l’incendie
du 6 avril 2010.

[26]        En défense, Wawanesa plaide que la police d’assurance qu’elle a émise en faveur des demandeurs le 27 juillet 2009 est nulle ab initio en raison des fausses déclarations faites par eux lors de la souscription de la police.  Pour l’assureur,
l’action des demandeurs devrait de ce fait être rejetée par le tribunal.  À l’audience, Wawanesa offre et consigne la somme de $1,346.32, soit ce que les demandeurs ont payé comme primes sur leur police entre la date de conclusion du contrat et le moment où l’assureur a soulevé la nullité de la police.


[27]        Dans le cours de l’échange des documents après l’introduction de l’instance,
les procureurs de Wawanesa ont transmis à celui des demandeurs non pas l’imprimé des entrées pertinentes de l’ordinateur telles que colligées lors de l’appel de
Mme Tremblay le 21 juillet 2009,[12] mais un document papier reprenant ce qui avait été inscrit au dossier dans l’ordinateur.  Dans ce document, on retrouve en synthèse les mêmes questions et les mêmes réponses que ce qui avait été discuté le 21 juillet 2009 entre la demanderesse Guylaine Tremblay et l’agente de Wawanesa
Ginette Beaudoin.[13]

[28]        Environ un an avant l’audition de leur cause, les demandeurs, qui ont décidé d’agir seuls au dossier sans l’aide de leur avocat qui s’est retiré, ont amendé leur déclaration pour demander maintenant non plus $180,614.63, mais plutôt $7,485,055.87.

[29]        Ils allèguent avoir subi d’autres dommages que ceux initialement réclamés,
avoir encouru une perte quant à la valeur marchande de leur résidence
(qu’ils ont vendue depuis) et, enfin, avoir subi par ailleurs des inconvénients majeurs en raison de la conduite inacceptable de la défenderesse.  Ils soutiennent à cet égard que l’assureur a porté atteinte à leur réputation, qu’il a engagé contre eux une vendetta,
qu’il est responsable de la séparation de leur couple et, plus généralement, qu’il leur a causé des ennuis, une perte de jouissance de la vie et une atteinte à l’intégrité de leur personne, etc.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[30]        Compte tenu de l’angle de défense de l’assureur, les questions qui se posent en l’espèce sont les suivantes :

 

a)    La police d’assurance souscrite entre les parties[14] doit-elle être annulée
ab initio au motif que les demandeurs auraient fait des fausses déclarations à l’assureur lors de la souscription de la police le 21 juillet 2009?

 

b)    S’il n’y a pas lieu d’annuler la police d’assurance, quelles sommes les demandeurs sont-ils en droit de réclamer de leur assureur à la suite de l’incendie qui a endommagé leur résidence le 6 avril 2010?

 


(A)

 

DEMANDE DE NULLITÉ AB INITIO DE LA POLICE D’ASSURANCE

SOUSCRITE PAR LES DEMANDEURS LE 21 JUILLET 2009

 

[31]        L’assureur plaide ici que la police d’assurance qu’il a émise en faveur des demandeurs le 27 juillet 2009 devrait être déclarée nulle ab initio au motif que
Mme Tremblay aurait fait de fausses déclarations lors de la souscription de la police.

[32]        Deux questions se posent dès lors.

[33]        Premièrement, peut-on conclure, sur la base de la prépondérance de la preuve, que Mme Tremblay a effectivement fait de fausses déclarations?

[34]        Deuxièmement, si la codemanderesse a fait les fausses déclarations que Wawanesa allègue contre elle, ces déclarations sont-elles de nature à amener la conclusion de nullité ab initio?

 

(1)

 

LES FAUSSES DÉCLARATIONS ALLÉGUÉES

 

[35]        L’assureur reproche à la demanderesse Guylaine Tremblay d’avoir répondu « non » à la question qui lui a été posée par l’agent d’assurance Ginette Beaudoin lors de l’appel qui a été fait par Mme Tremblay à Wawanesa.

[36]        Comme on l’a vu plus haut, la question était :

 

« Est-ce que vous, ou toute personne vivant sous votre toit ou ayant librement accès aux lieux ou aux biens assurés, avez déjà fait l’objet de poursuites ou condamnations de quelque nature que ce soit, tant au niveau criminel que civil? »[15]

 

[37]        Or, il appert qu’à l’époque de la souscription de la police d’assurance
en juillet 2009 le conjoint de Mme Tremblay, Sylvain Lavoie, vivait avec elle dans la même maison et il allait également être couvert par la police d’assurance habitation et responsabilité émise par l’assureur.[16]


[38]        D’autre part, M. Lavoie avait des antécédents judiciaires relativement lourds remontant à 1982-1983 et s’échelonnant jusqu’en 2009 : recel, vol et contrefaçon de carte de crédit, introduction par effraction, conduite avec facultés affaiblies,
voies de fait, dont certaines sur la personne même de Mme Tremblay,[17] menaces, etc.

[39]        Pendant l’instance et lors de ses interrogatoires à l’audience, Mme Tremblay a fourni des explications et des réponses parfois ambiguës, voire presque trompeuses.  Elle reprochait d’abord à l’assureur de n’avoir aucune preuve écrite,
aucun questionnaire papier qu’elle aurait signé et qui aurait comporté la réponse négative qu’elle aurait offerte au sujet du casier judiciaire de son conjoint.

[40]        Par la suite, quand il lui a été souligné que l’assureur ne lui avait pas fait signer de formulaire écrit, mais que la souscription s’était plutôt faite par téléphone,
la demanderesse a alors fait grief à l’assureur de ne pas avoir d’enregistrement de la conversation pour appuyer ses « accusations ».

[41]        Quant au contenu même de la conversation téléphonique qu’elle a eue avec la préposée de Wawanesa, Mme Tremblay dira qu’elle ne se souvient pas qu’on lui ait posé la question au sujet des antécédents judiciaires de M. Lavoie, son conjoint coassuré.

[42]        Par contre, elle admet qu’elle savait que M. Lavoie avait déjà été condamné pour diverses infractions dans le passé, surtout qu’elle avait été elle-même victime des agissements violents de son conjoint, agissements pour lesquels elle avait porté plainte.

[43]        Pour ce qui est de la possibilité que la préposée de Wawanesa,
Mme Ginette Beaudoin, ait omis de poser la question pertinente à Mme Tremblay ou, pire, ait pu entrer une réponse contraire à ce que la demanderesse lui aurait dit,
la preuve à l’audience a démontré que Mme Beaudoin a rigoureusement suivi le protocole.  Si la réponse à la question des antécédents de M. Lavoie avait été « oui » au lieu de « non », Mme Beaudoin aurait immédiatement dû s’en référer à sa supérieure hiérarchique comme elle l’a fait par ailleurs à une autre question, celle portant sur l’existence de dégâts d’eau antérieurs.[18]

[44]        En l’absence d’éléments probants pouvant laisser entendre que Mme Beaudoin aurait négligé de poser les questions pertinentes au sujet des antécédents judiciaires des personnes à assurer ou omis d’inscrire les réponses fournies par la demanderesse, on doit présumer de la normalité des choses, même si Mme Beaudoin en octobre 2014 n’était pas en mesure de se souvenir de sa conversation téléphonique précise avec Mme Tremblay à 13 h 34 l’après-midi du 21 juillet 2009, soit plus de cinq ans avant son témoignage à l’audience.  En revanche, le formulaire informatique qu’elle a rempli ce jour-là contient un nombre important d’informations pertinentes qui ont trait à la proposition spécifique de la demanderesse.

[45]        Il y a lieu d’appliquer ici le brocard « omnia praesumuntur rite esse acta »
(ou « l’on doit présumer que tout a été fait selon les règles »), surtout qu’en l’espèce aucun élément probant ne permettrait de penser que les règles n’ont pas été suivies.

[46]        En effet, dans un premier temps, rien dans le témoignage de Mme Beaudoin ne laisse penser qu’elle n’aurait pas agi selon les normes dans le dossier des demandeurs et qu’elle n’aurait pas demandé toutes les questions pertinentes pour lesquelles elle a par ailleurs inscrit les réponses données dans son fichier informatique.

[47]        Dans un second temps, il appert de la preuve que si Mme Tremblay se souvient d’avoir été interrogée au téléphone par l’agente d’assurance de Wawanesa,
elle admet à la fin de son contre-interrogatoire ne pas se souvenir si la préposée de l’assureur lui a posé la question précise concernant les antécédents judiciaires des personnes à assurer (elle et son conjoint Sylvain Lavoie).  En revanche, elle dira,
à la toute fin du contre-interrogatoire de M. Lavoie, que si la question lui avait été posée - ce dont elle ne se souvient pas -, elle aurait répondu « oui », car elle connaissait les antécédents judiciaires de son conjoint, mais elle ne se souvient pas de la réponse qu’elle a donnée.

[48]        Par prépondérance de preuve, le tribunal n’a pas de mal à conclure que la question concernant les antécédents judiciaires de M. Lavoie a bel et bien été posée par Mme Beaudoin à Mme Tremblay, que cette dernière a bel et bien répondu « non » et que, ce faisant, la demanderesse a fait une fausse déclaration à l’assureur lors de la souscription de sa police d’assurance habitation et responsabilité civile destinée à la couvrir, elle et son conjoint Sylvain Lavoie.

 

(2)

 

NULLITÉ AB INITIO?

 

[49]        Compte tenu de cette conclusion factuelle voulant que Mme Tremblay ait fait une fausse déclaration à son assureur, il s’agit de décider s’il y a lieu d’annuler ab initio la police d’assurance habitation sur laquelle la demanderesse se fonde pour réclamer les indemnités auxquelles elle prétend avoir droit à la suite de l’incendie qui a détruit une partie de sa maison.

[50]        Wawanesa soutient que la fausse déclaration faite par Mme Tremblay au sujet des condamnations antérieures de son conjoint rend sa police d’assurance[19] nulle.
De son côté, la demanderesse plaide qu’il n’y a aucun lien entre le casier judiciaire de M. Lavoie, fût-il passablement chargé, et l’incendie d’origine électrique qui s’est déclaré chez elle le 6 avril 2010.

[51]        Rappelons ici les dispositions législatives pertinentes :

 

« 3. - Des déclarations et engagements du preneur en assurance terrestre

Art. 2408. Le preneur, de même que l'assuré si l'assureur le demande,
est tenu de déclarer toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l'établissement de la prime, l'appréciation du risque ou la décision de l'accepter, mais il n'est pas tenu de déclarer les circonstances que l'assureur connaît ou est présumé connaître en raison de leur notoriété, sauf en réponse aux questions posées.

Art. 2409. L'obligation relative aux déclarations est réputée correctement exécutée lorsque les déclarations faites sont celles d'un assuré normalement prévoyant, qu'elles ont été faites sans qu'il y ait de réticence importante et que les circonstances en cause sont, en substance, conformes à la déclaration qui en est faite.

Art. 2410. Sous réserve des dispositions relatives à la déclaration de l'âge et du risque, les fausses déclarations et les réticences du preneur ou de l'assuré à révéler les circonstances en cause entraînent, à la demande de l'assureur,
la nullité du contrat, même en ce qui concerne les sinistres non rattachés au risque ainsi dénaturé.

Art. 2411. En matière d'assurance de dommages, à moins que la mauvaise foi du preneur ne soit établie ou qu'il ne soit démontré que le risque n'aurait pas été accepté par l'assureur s'il avait connu les circonstances en cause,
ce dernier demeure tenu de l'indemnité envers l'assuré, dans le rapport de la prime perçue à celle qu'il aurait dû percevoir. »[20]

 

[52]        De ces dispositions, la jurisprudence et la doctrine ont retenu les enseignements suivants, lesquels concordent avec la nature même du contrat d’assurance.

[53]        Premièrement, si, en matière contractuelle, « la bonne foi doit gouverner la conduite des parties »,[21] notamment lors de la naissance d’obligations, cette règle revêt une importance toute particulière dans le domaine des assurances où un assureur doit pouvoir se fier aux déclarations de son futur assuré (l’éventuel preneur) afin d’évaluer de son côté l’ampleur du risque qu’il s’engage à couvrir.  On dit que les rapports assureur/assuré doivent répondre au critère de la plus haute bonne foi
(« uberrimae fidei »).

 

« Quant à l’exigence d’un haut degré de bonne foi, c’est-à-dire l’insuffisance d’une simple bonne foi, elle est fondée sur la mutualité, élément essentiel de l’assurance. »[22]

 

[54]        Cette exigence de la plus haute bonne foi a pour corollaire que l’éventuel preneur désirant bénéficier de la protection d’une assurance particulière devra dévoiler à l’assureur tous les faits pertinents et importants pouvant permettre à ce dernier de décider s’il acceptera d’émettre la police demandée et, le cas échéant, à quel prix.  Voilà le sens de la règle prévue à l’article 2408 C.C.Q.

[55]        Deux situations peuvent se présenter à l’égard de la manière pour l’assuré de déclarer ce qui peut s’avérer pertinent.  Ou bien l’assuré doit répondre à une série de questions précises qui lui sont posées lors de la souscription de l’assurance :
c’est le cas le plus clair et le plus simple.  Ou bien le preneur doit dévoiler
« toutes les circonstances connues de lui qui sont de nature à influencer de façon importante un assureur dans l’établissement de la prime, l’appréciation du risque ou la décision de l’accepter ».[23]

 

« En l’absence même de toute question ou de tout questionnaire,
le preneur a l’obligation positive de déclarer proprio motu un événement ou une donnée pertinent au risque : c’est le principe de la déclaration spontanée,
fondé sur la notion de plus haute bonne foi. »[24]

 

[56]        Dans ce dernier cas cependant, si les questions posées par l’assureur s’avèrent trop générales, il peut être malaisé pour un futur assuré de savoir ce qui peut bien être de nature à influencer un assureur de façon importante.

[57]        On demande à l’assuré « normalement prévoyant » de parfois devoir deviner ce qui est susceptible d’intéresser ou « faire tiquer » un assureur.

 

« [...] le candidat à l’assurance doit déclarer à l’assureur les éléments pertinents propres à permettre à ce dernier de procéder à une évaluation convenable du risque soumis. »[25]

 


[58]        Dans certaines circonstances, certains renseignements qu’un assuré omet de dévoiler - par exemple des problèmes cardiaques antérieurs à la souscription d’une police d’assurance-vie - vont manifestement entrer dans la catégorie des « circonstances » évoquées à l’article 2408 C.C.Q. et qu’un assuré normalement prévoyant devra divulguer.  On dira que cela tombe sous le sens.

[59]        En revanche, d’autres situations, telle une conduite avec facultés affaiblies commise par un preneur trente ans auparavant alors qu’il était encore adolescent, pourront, le cas échéant, être considérées comme peu importantes aux fins de l’appréciation du risque lors d’une demande d’assurance habitation par exemple.
Tout est en somme une question de degré, de proportion, de pertinence et cela fera en finale l’objet d’une appréciation par le tribunal si l’affaire devait s’y rendre.[26]

[60]        Compte tenu de la subjectivité relative de l’obligation du preneur de divulguer de son côté ce qui, pour l’assureur, peut s’avérer important et pertinent et afin d’éviter certains malentendus, la jurisprudence a recommandé aux assureurs
(en l’espèce, Wawanesa) de poser les questions appropriées et spécifiques :

 

« [40] En l’instance, je ne peux voir aucun manquement à cette obligation résiduelle.  En effet, je suis d’avis qu’une personne raisonnable, sans expérience avec les politiques des assureurs, n’aurait pas a priori considéré pertinent de mentionner les actes criminels maintenant allégués pour annuler la police,
en raison de leur nature non reliée à la conduite ou à la possession d’un véhicule et du temps écoulé depuis la dernière condamnation.  D’ailleurs, le contenu du questionnaire à l’époque, loin de dissiper cette perception, la confirme de deux façons.  D’abord, la personne raisonnable, questionnée sur certains types de condamnations, aurait logiquement conclu que les autres catégories de condamnations n’intéressaient pas l’assureur.  Ensuite, en limitant la période d’intérêt pour les réclamations aux six dernières années, elle aurait conclu que des infractions remontant à plus de huit ans et non reliées à la conduite ou à la possession d’un véhicule étaient sans pertinence.

[41] En somme, comme le souligne le professeur Bergeron dans
Précis de droit des assurances, l’existence d’un questionnaire peut moduler l’obligation du preneur de déclarer tout ce qui est pertinent.

[42] En conclusion, si les assureurs ne souhaitent pas assurer les personnes ayant un casier judiciaire non relié à la conduite d’un véhicule ou à sa possession, qu’ils posent directement les questions appropriées aux proposants.

[43] Une chose est certaine, la situation actuelle où l’assureur ne pose aucune question aux proposants ayant un casier judiciaire, hormis les infractions qu’ils auraient commises au cours d’une certaine période antérieure concernant la conduite d’un véhicule, perçoit leurs primes pendant des années puis,
lors d’un sinistre, conclut en la nullité de la police, est inacceptable.
L’assureur ne peut, d’une part, profiter des primes de preneurs qu’ils considèrent indésirables comme groupe et, d’autre part, invoquer nullité de la police lorsque l’un d’entre eux subit un sinistre. »[27]

 

[61]        Dans le cas qui nous occupe ici, le tribunal note que Wawanesa,
pour qui un casier judiciaire antérieur est important, a, depuis l’arrêt de la Cour d’appel dans GMAC, modifié son questionnaire; elle pose maintenant directement et ouvertement la question relative aux antécédents judiciaires de son éventuel assuré,
ce qui n’était pas le cas avant GMAC.

[62]        Ce changement dans le questionnaire concerné a été noté à au moins deux reprises dans les décisions judiciaires ultérieures concernant ce même assureur.[28]

[63]        Deuxièmement, si l’assuré se voit imposer l’obligation de faire une divulgation complète des renseignements qui lui sont demandés par l’assureur, ce dernier doit néanmoins démontrer qu’une réticence ou même une déclaration pourtant fausse de la part du preneur est d’une nature telle qu’elle justifierait une demande de nullité ab initio.  Dans ce contexte, l’assureur n’échappera pas au fardeau de démontrer la pertinence des questions qu’il a posées pour le type d’assurance demandé, mais surtout il devra également justifier comment il peut prétendre qu’une réponse erronée de la part du proposant l’aurait au départ amené à refuser la proposition d’assurance qui lui était soumise.  Ici encore, la notion de bonne foi prend tout son sens et cela des deux côtés.

[64]        Si l’assuré doit ne pas pouvoir plaider simple distraction ou feindre une vague innocence lorsque confronté à la preuve d’une déclaration trompeuse de sa part, l’assureur ne peut pas non plus se draper ingénument de probité candide et de lin blanc et s’indigner outre mesure quand cela lui est avantageux : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. »

[65]        Il est en effet un peu trop court pour l’assureur de simplement déclarer après coup qu’il n’aurait pas, s’il avait su, couvert le risque dont il veut maintenant commodément et pro domo se défaire des conséquences onéreuses.  Il doit démontrer que l’assureur raisonnable qu’il dit être n’aurait pas assumé ce risque-là non plus.
Sa démonstration à cet égard doit être probante, selon les règles habituelles de la prépondérance.

[66]        Qu’en est-il ici?


[67]        La preuve a démontré, tel qu’on l’a vu plus haut, que la demanderesse
Guylaine Tremblay a fait une fausse déclaration lors de la souscription de sa police d’assurance habitation quand l’agente de Wawanesa, Ginette Beaudoin, lui a demandé si elle ou quelqu’un vivant sous son toit avait « déjà fait l’objet de poursuites ou condamnations de quelque nature que ce soit, tant au niveau criminel que civil ».

[68]        Rien dans le reste de la preuve n’a permis de penser que la réponse faite à l’assureur par la demanderesse aurait été donnée par inadvertance ou distraction.
La question était claire et Mme Tremblay savait que son conjoint avait déjà été condamné pour diverses infractions criminelles dans le passé, même si, peut-être,
elle ne les connaissait pas toutes.

[69]        D’autre part, il n’apparaît pas que la question portant sur les antécédents judiciaires civils et criminels d’un éventuel assuré soit a priori et en elle-même non pertinente pour un assureur à qui l’on demande d’émettre une police d’assurance habitation doublée d’une assurance responsabilité civile.

 

« L’obligation de déclaration initiale porte non seulement sur les éléments objectifs du risque (« physical hazard ») mais aussi sur ses éléments subjectifs (« moral hazard »), sous réserve, dans l’un et l’autre cas, que l’élément s’inscrive dans le cadre du contenu de l’obligation (notamment qu’il s’agisse d’un élément « pertinent » au risque et connu du preneur ou de l’assuré). »[29]

 

[70]        Le risque moral, constitué en l’instance par l’existence d’antécédents judiciaires, n’est donc pas en soi non pertinent.[30]  En matière d’assurance de dommages,
la pertinence d’un élément apparaît déterminante puisque,
même si le sinistre a une cause étrangère à l’objet de la fausse déclaration, celle-ci constituera malgré tout un manquement à l’obligation de déclarer si l’élément est jugé pertinent au risque.[31]
Ce faisant, chaque cas demeure un cas d’espèce qui impose sa propre analyse.[32]


[71]        Pour plaider avec succès que l’assuré représente un risque moral, l’assureur doit prouver la connaissance effective des circonstances par l’assuré, si elle ne transpire pas naturellement du dossier,[33] établir qu’il l’a questionné à ce sujet et démontrer la pertinence de la circonstance non dévoilée.  Afin de se prévaloir de
l’article 2408 C.C.Q., l’assureur doit donc démontrer que l’objet de la fausse déclaration a un lien de pertinence avec l’appréciation du risque et que, s’il l’avait connu, il n’aurait pas accepté les risques proposés.[34]  La Cour d’appel souligne à cet égard que :

 

« […] l’assureur qui souhaitait se prévaloir de l’article 2408 C.c.Q. et démontrer qu’il n’aurait pas accepté le risque s’il avait connu les circonstances en cause,
a un lourd fardeau en la matière, fardeau dont il ne se décharge, en principe, qu’en faisant non seulement la preuve que lui-même n’aurait pas accepté le risque mais qu'également un assureur raisonnable ne l’aurait pas accepté.
Cette preuve du comportement ou des pratiques de l’« assureur raisonnable » requiert le témoignage de tiers familiers de l’industrie. »
[35]

 

[72]        Or, il appert de la jurisprudence étudiée en cette matière que les antécédents criminels constituent pour bien des assureurs un élément important dans l’appréciation du risque, notamment lorsque le dossier criminel ne dénote pas un simple écart de conduite isolé ou une faute de jeunesse, mais plutôt une longue série de délits commis sur plusieurs années.[36]

[73]        Reste à déterminer si, dans le contexte particulier de la demande de police d’assurance habitation en cause ici, il est toujours normal pour la défenderesse de soutenir qu’elle aurait refusé la proposition d’assurance de Mme Tremblay si cette dernière lui avait révélé les antécédents judiciaires de son conjoint M. Lavoie.
La demanderesse plaide que le casier judiciaire de M. Lavoie ne montre pas qu’il aurait été trouvé coupable d’incendie criminel, de fraude ou de faillite frauduleuse, ce qui,
à la limite, aurait autrement pu rendre un assureur particulièrement chatouilleux avant de décider d’émettre une police d’assurance habitation qui comprend une assurance contre les incendies.  Or, tel ne serait pas le cas ici.

[74]        En effet, les infractions pour lesquelles M. Lavoie a été accusé et/ou trouvé coupable ont trait à des menaces, de conduite avec facultés affaiblies, de voies de fait, d’introduction par effraction, de vol ou contrefaçon de carte de crédit et de recel.[37]

[75]        De son côté, l’assureur invoque l’application des articles 2410 et 2411 C.C.Q. précités.[38]  Il plaide que les fausses déclarations faites par Mme Tremblay le justifient de demander l’annulation du contrat d’assurance,[39] et ce, même s’il n’y a pas de lien logique absolu et probable entre ce pourquoi M. Lavoie avait été trouvé coupable et les causes objectives du sinistre qui a ravagé une partie de la maison des assurés.

[76]        Si les us et coutumes des assureurs sont utiles dans l’appréciation de la pertinence, ils n’en sont pas nécessairement garants.  Le juge Dalphond s’exprime à ce sujet:

 

« [28] […] En effet, la pertinence de l’omission et le caractère raisonnable de la décision de l’assureur demeurent des questions que le juge doit trancher.
La preuve d’une pratique générale d’un milieu n’est pas synonyme de son caractère raisonnable (Roberge c. Bolduc, [1991] 1 R.C.S 374, aux pp. 434
et 437).  Le professeur Bergeron écrit :

Il doit exister un lien de connexité entre la circonstance en cause et le risque pris en charge […] Ainsi, nous ne pourrions admettre chez nous la simple preuve que d’autres assureurs auraient été influencés; il faut aussi prouver que le fondement de cette influence est raisonnable.

[29] Quant au professeur Deslauriers, il écrit :

En revanche, il est primordial que le juge conserve une certaine marge de manœuvre en n’étant pas lié par les conclusions des expertises qui sont présentées devant lui.  C’est pourquoi nous préférons l’approche intermédiaire qui consiste à considérer la pertinence comme une question mixte de fait et de droit. »[40]

 

[77]        En l’instance, la défenderesse devait donc démontrer que M. Lavoie constituait, vu son casier judiciaire, un risque plus élevé qu’un client sans antécédents pour le genre de couverture qu’il sollicitait à titre de coassuré.  La simple allégation de l’assureur selon laquelle il aurait refusé le risque n’est pas suffisante en soi pour établir la pertinence des antécédents judiciaires non divulgués.[41]

[78]        Dans la présente affaire, la défenderesse a fait une preuve portant sur deux volets.

[79]        Dans un premier temps, Mme Ginette Beaudoin, l’agente avec qui la demanderesse avait parlé lors de la souscription de l’assurance le 21 juillet 2009,
a expliqué que si Mme Tremblay avait répondu « oui » à la question portant sur les antécédents judiciaires des occupants de la maison pour laquelle la demanderesse désirait obtenir une assurance, elle aurait alors été incapable d’aller plus loin dans la procédure de souscription, car la proposition aurait été immédiatement refusée et
Mme Beaudoin aurait alors dû référer le tout à sa « superviseure ».  Cette dernière serait allée plus à fond et on aurait demandé des informations additionnelles sur les circonstances des infractions commises : nature, gravité, dates, etc.
Comme cependant Mme Tremblay avait répondu « non », tout le processus d’évaluation ultérieure a été contourné.

[80]        Dans un second temps, la défenderesse a fait entendre deux représentants d’autres assureurs standards œuvrant eux aussi dans le même domaine de l’assurance IARD (incendie, accidents, risques divers).

[81]        Cette façon de faire la preuve était celle suggérée notamment par la
Cour d’appel dans l’affaire CGU, compagnie d’assurances du Canada c. Paul citée supra.

[82]        M. François Dubois, souscripteur chez Banque Nationale Assurances,
a expliqué que, dans son entreprise, le souscripteur appelé à recevoir les informations d’un assuré potentiel lui pose la question suivante lors d’une demande d’assurance habitation standard, question que M. Dubois qualifie d’incontournable :

 

« Est-ce que l’un ou l’autre des occupants a déjà été condamné en vertu du code criminel du Canada ou d’un autre code similaire à l’étranger? »[42]

 

[83]        Si la réponse à cette question est « oui » et que la condamnation date de moins de cinq ans, la proposition est automatiquement rejetée.  Si le dossier judiciaire date de plus de dix ans, l’assureur en fait une analyse plus fouillée : nature des infractions, récidives, dossier de crédit, etc.

[84]        Confronté expressément au dossier judiciaire de M. Lavoie,[43] M. Dubois indique que, chez lui à la Banque Nationale, le dossier aurait été refusé à la souscription.
Le preneur, dans un tel cas, aurait été disqualifié pour l’ensemble de son dossier,
mais on l’aurait référé à des assureurs non standards avec lesquels les courtiers en assurances font affaire, tels Pafco, Lloyd’s, etc.

[85]        De son côté, Mme Diane Asselin, analyste (normes et règles)
chez Intact Assurance, un autre assureur standard, et qui y travaille depuis plus de trente ans, confirme qu’avec le parcours judiciaire de M. Lavoie[44] Intact Assurance aurait refusé de lui émettre une police d’assurance habitation.  Elle retient du dossier du coassuré qu’il a été trouvé coupable de recel, que son dossier judiciaire s’échelonne sur plus de 25 ans (1982 à 2009), qu’il a récidivé, etc.  Mme Asselin dira en substance : « Quelqu’un qui ne respecte pas les normes, ça ne rencontre pas nos normes. »

[86]        Cette réflexion de Mme Asselin rejoint la préoccupation des assureurs voulant que la couverture ou non d’un risque donné est indissociable d’un certain
« risque moral », et ce, sans tomber dans une forme de puritanisme moralisateur de mauvais aloi ou de fausse indignation ex post facto.

 

« [47] À ce sujet d'ailleurs, la Cour d'appel du Québec, en 1969,
reconnaissait qu'il s'agissait là d'un élément de toute première importance, notamment en assurance incendie:

"Dans l'assurance-feu, le risque moral est un élément de toute première importance.  Alors même qu'un incendie antérieur ne permettrait pas de soupçonner un incendie criminel, la négligence de l'assuré dans le passé peut être un élément que l'assureur doit considérer pour décider s'il va assumer le risque et pour déterminer le montant de la prime."

(Soulignement du tribunal)

[48] La Cour d'appel a eu l'occasion de réitérer en 1987 l'importance en assurance du risque moral:

"L'assureur est autorisé à présumer que le proposant se conforme à la Loi et les appelantes ont démontré que le fait non déclaré en l'espèce était de nature à influencer un assureur raisonnable dans l'appréciation du risque.  Le risque moral est d'ailleurs de toute première importance en matière d'assurance incendie."

(Soulignement du tribunal) »[45]

 

« [58] Le Tribunal retient qu'en matière d'assurance, en plus du risque matériel, existe le risque moral, comme l'ont souligné Mmes Fortin et Rioux.
L'assurance habitation ne couvre pas uniquement l'immeuble mais aussi la responsabilité de l'assuré et des personnes qui habitent sous son toit.
La bonne foi doit exister de part et d'autre.  Le lien de confiance y est rompu lorsque l'assuré omet par fausses déclarations ou réticences de présenter le risque qu'il veut assurer tel qu'il est. »[46]

 

[87]        Devant la preuve faite à l’audience, il faut exclure ici l’à-propos de réduire l’indemnité pour tenir compte de la possibilité que l’assureur aurait peut-être pu,
en toute connaissance de cause et sans qu’il y ait eu fausse déclaration, percevoir une prime supérieure à celle sur laquelle les parties se sont entendues.  Les témoignages ont été clairs : un assureur standard refuse d’accepter de couvrir le risque tel qu’exposé ici.  Pour ceux qui n’ont pas d’autre choix et s’ils sont disposés à payer plus cher,
il y a les assureurs sous-standards.

[88]        Dans ce contexte, il ne sera pas nécessaire de se prononcer sur les dommages subis à la propriété des demandeurs, le tribunal concluant qu’il y a lieu d’annuler
ab initio la police d’assurance habitation sur laquelle se fondent les demandeurs pour réclamer les indemnités auxquelles ils prétendent avoir droit.

[89]        Conformément à la logique de sa demande de déclaration de nullité ab initio,
la défenderesse a offert et consigné les primes payées par les demandeurs depuis la souscription de l’assurance en juillet 2009.  Il s’agit en l’espèce d’un montant de $1,346.32 déjà offert aux demandeurs et consigné au greffe.

 

LES FRAIS

 

[90]        Compte tenu du fait que la défenderesse a offert et consigné une somme de $1,346.32 qu’elle admet devoir aux demandeurs, l’action de ces derniers devra être accueillie pour ce montant, de sorte que la requête introductive d’instance ne sera pas rejetée en totalité.

[91]        Dans ce contexte, chaque partie devra assumer ses frais, surtout que,
du côté de la défenderesse, il aura fallu attendre jusqu’après l’interrogatoire après défense pour qu’elle fournisse enfin aux demandeurs les détails de la déclaration téléphonique de Mme Tremblay lors de la souscription de la police d’assurance.

[92]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[93]        REJETTE, telle que libellée, la requête introductive d’instance amendée des demandeurs;

[94]        ACCUEILLE la défense amendée de la défenderesse;

[95]        DÉCLARE nul ab initio le contrat d’assurance habitation portant le numéro
HPC 8419174;

[96]        PREND ACTE de l’offre et consignation de la défenderesse au montant de $1,346.32 représentant le remboursement des primes payées en assurance habitation par les demandeurs;

[97]        DÉCLARE cette offre bonne, valable, suffisante et libératoire;

[98]        ORDONNE, en conséquence, à la défenderesse de payer aux demandeurs cette somme de $1,346.32;

[99]        LE TOUT, chaque partie payant ses frais.

 

 

 

__________________________________

LOUIS CRÊTE J.C.S.

 

Madame Guylaine Tremblay

Monsieur Sylvain Lavoie

Se représentent seuls

 

Me Stéphanie Beaudoin

Donati Maisonneuve

Procureurs de la défenderesse

 



[1]     Pièces D-6 et P-13.

[2]     Pièces P-1 et D-8.

[3]     Pièce P-3.

[4]     Pièce P-2.

[5]     Id.

[6]     Pièce P-14 (lettre du 30 avril 2010).

[7]     Pièce P-11.

[8]     Pièce D-6.

[9]     Pièce P-1.

[10]    Id.

[11]    Pièce D-2.

[12]    Pièce D-6.

[13]    Pièces P-13 et D-3.

[14]    Pièce P-1.

[15]    Pièces D-6 et P-13.

[16]    Pièce P-1.

[17]    Pièce D-5.

[18]    Pièce D-6, p. 4.

      Voir, à cet égard, les décisions portant spécifiquement sur cette procédure de l’assureur à laquelle Mme Beaudoin faisait référence dans son témoignage : Laverdière c. Compagnie d’assurances mutuelles Wawanesa, 2009 QCCQ 7027 et Genest c. Wawanesa, 2014 QCCS 3950.

[19]    Pièce P-1.

[20]    Art. 2408 à 2411 C.C.Q.

[21]    Art. 1375 C.C.Q.

[22]    Didier LLUELLES, Précis des assurances terrestres, 5e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, p. 237.

[23]    Art. 2408 C.C.Q.

[24]    D. LLUELLES, préc., note 22, 239.

[25]    Id., 33.

[26]    Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, 2005 QCCA 197.

[27]    Id., par. 40 à 43.

[28]    Laverdière c. Compagnie d’assurances mutuelles Wawanesa, préc., note 18, par. 46 et 47;

Genest c. Wawanesa, préc., note 18, par. 36 et 37.

[29]    D. LLUELLES, préc., note 22, 242.

[30]    Bergeron c. Lloyd's Non-Marine Underwriters, 2005 QCCA 194, par. 25; Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, préc., note 26, par. 31 et 35; Loranger c. L’loyds Canada, compagnie d'assurances, 2012 QCCS 6266, par. 10; Martel c. Promutuel Verchères, société mutuelle d'assurances générales, [2002] n° AZ-50117537, par. 43 et suiv. (C.S.); Bélanger c. Axa Assurances inc., [2002] n° AZ-50138768 (C.S.); Desbiens c. Société nationale d’assurances inc., [2004] n° AZ-50217017, par. 49 et 54 (C.S.); Contaratos c. Compagnie d’assurance Allianz du Canada inc., [2004] n° AZ-50231478, par. 43 à 56 (C.S.); Crédit Ford du Canada ltée c. Fédération (La), compagnie d'assurances du Canada, [2000] n° AZ-00021166, par. 7 (C.S.); M.D. c. Axa Assurances inc., [2003] n° AZ-50170948, par. 79 et suiv. (C.Q.).

[31]    Art. 2410 C.C.Q. Voir: D. LLUELLES, préc., note 22, 261.

[32]    Contaratos c. Compagnie d’assurance Allianz du Canada inc., préc., note 30, par. 53.

[33]    D. LLUELLES, préc., note 22, 260.

[34]    Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, préc., note 26, par. 22 et 24.

[35]    CGU, compagnie d'assurances du Canada c. Paul, 2005 QCCA 315, par. 2.

[36]    Bergeron c. Lloyd's Non-Marine Underwriters, préc., note 30, par. 25; Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, préc., note 26, par. 35; Loranger c. L’loyds Canada, compagnie d'assurances, préc., note 30, par. 10; Fyfe c. Compagnie mutuelle d’assurances Wawanesa, 2011 QCCS 4348; Martel c. Promutuel Verchères, société mutuelle d'assurances générales, préc., note 30, par. 43 et suiv.; Desbiens c. Société nationale d’assurances inc., préc., note 30, par. 49 et 54; Crédit Ford du Canada ltée c. Fédération (La), compagnie d'assurances du Canada, préc., note 30, par. 7; M.D. c. Axa Assurances inc., préc., note 30, par. 79 et suiv.

[37]    Pièces D-1 et D-1A.

[38]    Voir supra, par. 51.

[39]    Pièce P-1.

[40]    Compagnie mutuelle d'assurances Wawanesa c. GMAC Location ltée, préc., note 26, par. 28 et 29; Mutual Life Assurance Co. of Canada c. Bernier, [1968] B.R. 595, 600.

[41]    M.D. c. Axa Assurances inc., préc., note 30, par. 82 et suiv.

[42]    Pièce D-7.

[43]    Pièces D-1 et D-1A.

[44]    Pièce D-1A.

[45]    Desbiens c. Société nationale d’assurances inc., préc., note 30, par. 47 et 48.

[46]    Côté c. Industrielle-Alliance (L’), compagnie d’assurances générales, [2002] n° AZ-50148044, par. 58 (C.S.).

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.