Brouard et Compagnie d'assurance Combined d'Amérique |
2007 QCCLP 6215 |
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[1] Le 7 juin 2006, monsieur Rémy Brouard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 24 mai 2006.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a rendue le 28 février 2006, déclare que le travailleur est redevenu apte à refaire son emploi à compter du 21 juin 2004 et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.
[3] Le travailleur est présent et représenté par procureur à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Lévis le 23 février 2007, laquelle s’est poursuivie le 29 octobre suivant après un ajournement consenti pour permettre aux parties de concilier en plus de préciser davantage les données relatives aux revenus qu’a tirés le travailleur des emplois qu’il a occupés après le 21 juin 2004. La compagnie d’assurance Combined d’Amérique (l’employeur) est aussi présente à l’audience et représentée par procureur lors de la poursuite de celle-ci.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision en litige, de déclarer qu’il était incapable de refaire son emploi prélésionnel après le 21 juin 2004 et qu’il avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des associations syndicales considèrent que la requête du travailleur doit être accueillie. Le travailleur dont la lésion professionnelle n’était pas consolidée, le 21 juin 2004, était présumé incapable de refaire son emploi. La preuve soumise n’a pas permis de renverser la présomption. Le travailleur avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu, sous réserve du revenu net retenu qu’il a tiré de son emploi lors du retour au travail progressif ou à temps partiel ainsi que du nouvel emploi qu’il a occupé ailleurs sur le marché du travail jusqu’à la consolidation de sa lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles le 4 janvier 2006.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur était devenu capable de refaire son emploi prélésionnel le 21 juin 2004 et s’il avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu après cette date.
[7] Le 31 mars 2004, le travailleur adresse une réclamation à la CSST. Il allègue avoir été victime d’un accident du travail lorsqu’il a été agressé par un autre employé le 17 janvier précédent. Les rapports médicaux produits par le docteur Godin au soutien de la réclamation du travailleur, à compter du 30 mars 2004, ont trait à une contusion thoracique et un stress post-traumatique.
[8] Cette réclamation ayant été refusée par la CSST initialement, puis à la suite d’une révision administrative, le travailleur conteste ces décisions à la Commission des lésions professionnelles.
[9] Par une décision finale rendue le 16 juin 2005[1], la Commission des lésions professionnelles accueille la requête du travailleur, déclare que ce dernier a été victime d’un accident du travail duquel découlent les diagnostics de contusion thoracique et de stress post-traumatique et qu’il a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi) en conséquence.
[10] Le 21 juillet 2005, la CSST émet une décision non contestée sous la forme d’un avis de paiement qui établit l’indemnité de remplacement du revenu qui a été versée au travailleur pour la période du 19 avril au 20 juin 2004.
[11] Le 17 octobre 2005, le procureur du travailleur écrit à la CSST en précisant que ce dernier, dont la lésion professionnelle n’est pas encore consolidée, n’a été indemnisé que pour les périodes où il a été en arrêt de travail complet. Or, il y a eu des semaines de travail incomplètes pour lesquelles il n’a pu obtenir les informations pertinentes qu’il a pourtant demandé à l’employeur de lui fournir à partir des rapports hebdomadaires de production du travailleur à titre d’agent et de gérant des ventes jusqu’en mai 2005.
[12] Le 4 janvier 2006, le docteur Godin produit à la CSST un rapport médical final consolidant la lésion professionnelle du travailleur le jour même, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles en résultant.
[13] Le 16 janvier 2006, l’employeur écrit à la CSST en précisant que « le travailleur a repris ses fonctions de gérant des ventes le 21 juin 2004 et qu’il n’y a aucune indication au dossier s’il s’agissait d’un retour au travail à temps plein ou à temps partiel ».
[14] Le 28 février 2006, la CSST statue à l’effet que le travailleur était apte à refaire son emploi à compter du 21 juin 2004 et qu’il n’avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu en conséquence.
[15] Le 15 mars 2006, le travailleur demande la révision de la décision précitée en précisant que son état a nécessité un retour au travail progressif et qu’il avait toujours droit d’être indemnisé en conséquence.
[16] Le 24 mai 2006, la CSST en révision confirme la décision qu’elle a rendue le 28 février 2006. Elle détermine que la présomption d’incapacité, qui s’applique tant que la lésion professionnelle n’est pas consolidée, est réfragable et qu’elle a été renversée lorsque le travailleur est retourné à son emploi.
[17] En date du 7 juin 2006, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre de la décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 24 mai 2006.
[18] Selon les déclarations écrites figurant au dossier et le témoignage non contredit du travailleur à l’audience, ce dernier n’a pas été en mesure de reprendre l’ensemble de ses tâches prélésionnelles qui impliquent la vente à titre personnel mais surtout la gestion des agents sous ses ordres à qui il doit répartir le travail provenant du gérant de district, et ce, après son retour en poste chez l’employeur en juin 2004. Le travailleur explique que son médecin lui avait recommandé de reprendre le travail à temps partiel seulement. L’employeur n’ayant pas de tel travail à lui offrir, le travailleur dit avoir accompli un « travail mitigé » lors duquel il ne pouvait exercer à nouveau sa fonction de gérant des ventes, la supervision de ses principaux agents lui ayant d’ailleurs été retirée. En outre, le travailleur éprouvait de plus en plus de difficulté à poursuivre le travail exigeant la conduite de son véhicule sur de longues périodes de temps.
[19] Étant incapable de reprendre l’ensemble de ses tâches antérieures, le travailleur a décidé de procéder à la réorientation de sa carrière en s’inscrivant à une formation appropriée qui l’a conduit à l’emploi de vendeur d’automobiles qu’il exerce pour le compte de Lévy Honda depuis le ou vers le mois de mars 2005.
[20] La preuve documentaire comporte une déclaration complémentaire du médecin traitant, signée par le docteur Godin le 6 juillet 2004, à l’effet que le travailleur était totalement incapable de travailler du 19 mars au 22 mai 2004 ainsi que du 3 au 17 juin 2004. Le travailleur était apte à retourner au travail le 17 juin 2004, avec invalidité partielle (capacité de travailler à temps partiel) pour une période de trois ou quatre mois selon la déclaration de son médecin.
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Les articles
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
[…]
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1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
[22] La capacité de retour au travail constitue une question d’ordre juridique relevant de l’appréciation de la CSST et de la Commission des lésions professionnelles. Or, à même l’état de la preuve soumise au présent tribunal, il appert que la présomption d’incapacité, dont bénéficiait toujours le travailleur vu la non-consolidation de sa lésion professionnelle lors de son retour au travail le 21 juin 2004, n’a pas été renversée. La capacité du travailleur à exercer son emploi implique, en effet, qu’il soit capable de refaire l’ensemble des tâches qu’il exerçait concrètement chez l’employeur à l’époque de la survenance de sa lésion professionnelle[2], ce qui n’était manifestement pas le cas à la suite de son retour en poste.
[23] Il demeure toutefois que le travailleur a tiré un revenu de l’emploi qu’il a repris à temps partiel ou de façon progressive chez l’employeur à compter du 21 juin 2004, puis du nouvel emploi qu’il a occupé ensuite pour le compte d’un autre employeur jusqu’à la consolidation de sa lésion professionnelle le 4 janvier 2006, sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles en résultant.
[24]
L’article
52. Malgré les articles 46 à 48 et le deuxième alinéa de l'article 49, si un travailleur occupe un nouvel emploi, son indemnité de remplacement du revenu est réduite du revenu net retenu qu'il tire de son nouvel emploi.
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1985, c. 6, a. 52.
[25] La jurisprudence précise bien que tout travailleur ayant droit à une indemnité de remplacement du revenu qui reçoit un revenu d’un nouvel emploi ou même de son emploi qu’il réintègre progressivement ou à temps partiel voit son indemnité réduite en application de l’article 52 de la loi[3].
[26] Bien que l’audience ait été ajournée pour permettre aux parties de recourir à la conciliation tout en évaluant par anticipation le revenu net que le travailleur a tiré des emplois qu’il a occupés successivement au cours de la période du 21 juin 2004 au 4 janvier 2006, aucune nouvelle donnée concrète n’a pu être précisée ni aucun accord être conclu par les parties. Seuls les revenus bruts provenant de l’emploi exercé chez l’employeur au dossier ont été admis en l’instance, soit 80 244 $ en 2000, 68 961 $ en 2001, 76 239 $ en 2002, 76 047 $ en 2003, 50 755,76 $ en 2004 et 6 154,24 pour la période du 1er janvier au 11 mars 2005.
[27] Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles, en fonction de la question en litige dont elle est saisie, déclare que le travailleur n’était pas apte à refaire son emploi, soit l’ensemble de ses tâches prélésionnelles, à la suite de son retour en poste chez l’employeur le 21 juin 2004 et qu’il avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à la consolidation, le 4 janvier 2006, de sa lésion professionnelle sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles en résultant.
[28] Le tribunal retourne le dossier à la CSST pour qu’elle reprenne le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle le travailleur avait toujours droit au présent dossier à compter du 21 juin 2004. L’indemnité devra cependant être réduite du revenu net que le travailleur a tiré des emplois qu’il a occupés après cette date.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Rémy Brouard (le travailleur);
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 24 mai 2006;
DÉCLARE que le travailleur n’était pas redevenu
capable d’exercer son emploi prélésionnel à compter du 21 juin 2004 et qu’il
avait toujours droit à l’indemnité de remplacement du revenu, sous réserve de
l’application de l’article
RETOURNE le dossier à la CSST pour traitement approprié.
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Geneviève Marquis |
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Commissaire |
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Me Jean-Claude Chabot |
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CHABOT CORRIVEAU & ASSOCIÉS |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Sylvain Chabot |
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OGILVY RENAULT |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] Brouard et Combined
Insurance Co. of America, C.L.P.
[2] Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs et Gagnon, 210674-01A-0306, 05-04-13, J.-F. Clément, (05LP-11).
[3] Hamel et Sobeys Québec,
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