Fédération de l'UPA de Saint-Hyacinthe (Érablières) |
2010 QCCLP 7704 |
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[1] Le 28 août 2009, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 juillet 2009 lors d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision du 22 janvier 2009 et déclare que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 12 décembre 2007 par madame Marthe Cloutier, la travailleuse, doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] L’audience s’est tenue le 30 juillet 2010 à Saint-Hyacinthe en présence de l’employeur, dûment représenté.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur invoque les dispositions de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la Loi) et demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’ensemble des coûts découlant de l’accident du travail subi le 12 décembre 2007 par la travailleuse, madame Marthe Cloutier, doit être transféré aux employeurs de toutes les unités puisque cet accident est attribuable à un tiers.
LES FAITS
[5] De l’analyse du dossier, du témoignage de madame Marie-Andrée Thibault et des documents déposés à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.
[6] La travailleuse occupe chez l’employeur un poste de responsable de la liste des membres. Le 12 décembre 2007, elle subit un accident du travail lorsque le véhicule dont elle est passagère est impliqué dans une collision avec un autre véhicule sur la route 139 à Granby. La travailleuse s’inflige alors une blessure de la nature d’une entorse cervico-dorsale et lombaire.
[7] Au moment de l’événement, la travailleuse se rend à une assemblée générale annuelle des membres.
[8] Tel qu’il appert d’un document apparaissant au dossier, la travailleuse donne la description suivante des circonstances de l’accident automobile du 12 décembre 2007 :
« Nous (Hélène Chevrier-Miron, Jérome Ostiguy et moi) étions sur la route 139 à la limite de Granby/Roxton Pond direction Roxton Pond.
Une dépanneuse est stationnée sur la voie de droite et son chauffeur discute avec un individu dans la cour adjacente.
Le maître de poste distribue son courrier.
Monsieur Ostiguy décide de faire le dépassement de la dépanneuse et en même temps, le maître de poste redémarre et fait un virage en U en avant de la remorque, mais il ne nous voit pas. Il accélère et nous frappe de plein fouet, à l’avant du véhicule de Monsieur Ostiguy, côté passager.
Madame Miron est à l’avant côté passager et moi, à l’arrière côté passager. Mon corps a basculé à l’avant du côté droit et ma tête sur le côté gauche contre l’appui-tête [sic] de Madame Miron.
Sur le constat, nous ne voyons pas la dépanneuse mais elle y était bien. Vous pouvez vérifier avec Monsieur Ostiguy ou Madame Miron. »
[9] Le 4 juin 2008, l’employeur produit une demande de transfert de coûts à la CSST invoquant l’application des dispositions de l’article 326.
[10] Le 21 janvier 2009, la CSST procède à l’analyse de cette demande. L’agent Pépin note alors que la preuve démontre que le véhicule dans lequel la travailleuse était passagère a été frappé par celui « d’un tiers », lequel a fait un virage en U, et que ce tiers est responsable de l’accident. Toutefois, l’agent détermine que l’employeur ne supporte pas injustement les coûts découlant de la lésion subie par la travailleuse dans la mesure où « comme les travailleurs avaient besoin de se déplacer pour leur travail, il s’agit d’un risque inhérent pour l’employeur ». Plus précisément, l’agent indique ceci :
« Décision
Compte tenu que l’accident a été causé par un tiers;
Compte tenu que ce tiers est responsable majoritairement de la survenance de l’accident;
Compte tenu qu’il n’est pas injuste de vous en faire supporter les coûts puisque cet accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par votre entreprise;
Pour toutes ces raisons, nous refusons la demande de transfert de coûts. »
[11] Le 22 janvier 2010, la CSST confirme cette analyse dans une décision transmise à l’employeur. Cette décision sera maintenue, pour les mêmes motifs, le 29 juillet 2009 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[12] À l’audience, le représentant de l’employeur explique que la travailleuse ne pouvait se présenter à l’audience pour y témoigner. Il dépose en lieu et place de ce témoignage une déclaration de celle-ci du 23 juillet 2010, dans laquelle madame Cloutier indique :
« Je, soussignée, Marthe Cloutier déclare ce qui suit :
Je suis à l’emploi de la Fédération de l’UPA de Saint-Hyacinthe depuis le 4 janvier 1988 et présentement, j’occupe un poste de responsable à la liste. Il s’agit d’un travail de bureau sédentaire que j’exerce toujours au même endroit soit le 3800 boulevard Casavant Ouest à Saint-Hyacinthe.
Aux fins de mon travail, je n’ai pas à me déplacer avec ma voiture sauf pour certaines assemblées générales annuelles des membres. Ces déplacements ne dépassent pas une dizaine de fois par année. Lors de mon accident, je me rendais à une de ces assemblées. »
[13] Monsieur Michel Saucier, directeur régional à la Fédération et supérieur immédiat de la travailleuse, atteste de la conformité de la déclaration de madame Cloutier.
[14] Le représentant de l’employeur dépose au tribunal un sommaire du dossier d’expérience de l’employeur à la CSST. On y constate que l’employeur est classifié dans l’unité de classification 67100 auprès de la CSST, soit une unité visant des « associations d’entreprises, d’institutions ou d’organismes; organisations syndicales; location de services de travailleurs de bureau ».
[15] Madame Marie-Andrée Thibault, directrice adjointe au service administratif chez l’employeur, témoigne du fait qu’elle connaît la travailleuse depuis environ 7 ans.
[16] Madame Thibault précise que la liste des producteurs agricoles contient environ 44 000 membres et que cette liste est gérée « régionalement », madame Thibault indiquant que la liste de la région de Saint-Hyacinthe comporte environ 6000 membres.
[17] Parmi les tâches afférentes au travail de madame Cloutier, madame Thibault indique notamment le recouvrement de la cotisation syndicale et des services conseils auprès des membres.
[18] Madame Thibault ajoute que selon son appréciation, 98 % du temps de travail de madame Cloutier consiste en du travail de secrétariat à proprement parler.
[19] Par ailleurs, elle indique que madame Cloutier doit se déplacer une dizaine de fois par année pour assister aux assemblées régionales et que la travailleuse s’y présente avec sa liste des membres. Madame Thibault précise que de telles assemblées régionales durent environ deux à trois heures et qu’il s’agit des seules occasions pour lesquelles la travailleuse est appelée à se déplacer de son lieu habituel de travail. Enfin, madame Thibault termine son témoignage en indiquant que la travailleuse n’a pas de voiture de fonction qui lui est attribuée aux fins de son travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[20] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l'employeur doit être imputé du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 12 décembre 2007 par madame Marthe Cloutier.
[21] Au soutien de sa demande, l’employeur invoque les dispositions de l’article 326 de la loi en ce qui a trait à « la faute d’un tiers »:
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[22] L’employeur a respecté le délai prévu à la loi pour effectuer sa demande de transfert de coût puisqu’il l’a présentée le 4 juin 2008 alors que l’accident du travail de madame Cloutier est survenu le 12 décembre 2007.
[23] L’employeur allègue que le transfert d’imputation qu’il demande est légitime puisque l’accident de la travailleuse est majoritairement attribuable à un tiers et que le fait de lui imputer les coûts de la lésion subie dans les circonstances est injuste.
[24] Depuis la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2], la jurisprudence majoritaire, à laquelle adhère le soussigné, établit clairement qu’un «tiers», au sens de l’article 326, est toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier
[25] Selon cette même décision, un employeur doit prouver quatre éléments pour avoir droit à un transfert d’imputation dans de telles circonstances :
1. La présence d’un accident du travail;
2. La présence d’un tiers;
3. Le fait que l’accident du travail soit «attribuable» à ce tiers;
4. L’effet injuste de l’imputation.
[26] Dans son analyse de la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur et dans les décisions qui ont suivi, la CSST a reconnu que l’accident de la travailleuse est attribuable à un tiers, mais elle a refusé la demande de l’employeur au motif qu’il n’est pas injuste de lui en faire supporter les coûts puisque cet accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.
[27] Bien que la description de l’accident de la circulation du 12 décembre 2007 donnée par la travailleuse soit à tout le moins sommaire, le rôle du conducteur du véhicule dont elle est passagère et qui procédait à un « dépassement » n’étant pas documenté, le tribunal retient néanmoins l’analyse faite par la CSST ayant conclu que l’accident du travail de madame Cloutier est « attribuable à un tiers », soit le conducteur ayant effectué un virage en U, cette partie de la décision contestée n’étant évidemment pas remise en question par l’employeur.
[28] Qu’en est-il de l’injustice de l’imputation des coûts au dossier de l’employeur?
[29] Dans l’affaire Ministère des Transports précitée, après une revue exhaustive de la jurisprudence et de la législation pertinente, la Commission des lésions professionnelles a retenu que plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du deuxième alinéa de l'article 326 aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[30] Le tribunal écrit ceci quant aux critères servant à déterminer si l’employeur subit une « injustice »:
[321] Le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail dont les causes ne relèvent pas des risques particuliers inhérents ou reliés à l’ensemble des activités de l’employeur de l’accidenté devrait être imputé à d’autres, car l’application de la règle générale en de telles circonstances produirait un effet injuste.
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[323] Certes, ayant entraîné une lésion professionnelle, les circonstances entourant l’accident correspondent à l’événement imprévu et soudain survenu par le fait ou à l’occasion du travail dont parle la loi. À ce titre, elles recelaient nécessairement un certain potentiel de risque, la meilleure démonstration en étant que ledit risque s’est effectivement réalisé par le fait ou à l’occasion du travail.
[324] Force est cependant de reconnaître, à la lumière de nombreux litiges soumis à la Commission des lésions professionnelles au fil des ans, que le critère des risques inhérents, tout approprié soit-il, ne permet pas à lui seul la résolution satisfaisante de toutes les situations.
[325] En effet, lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application du critère des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste.
[326] De par leur caractère inusité, ces circonstances ne sont pas le reflet fidèle de l’expérience associée au risque découlant des activités de l’employeur, car elles se situent nettement en dehors de ce cadre.
[327] On peut en conclure qu’il serait dès lors « injuste » d’en imputer les conséquences financières à l’employeur, puisqu’on viendrait ainsi inclure dans son expérience le fruit d’événements qui n’ont pas de rapport avec sa réalité d’entreprise, telle que traduite notamment par la description de l’unité dans laquelle il est classé, et les risques qu’elle engendre.
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215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332.
[…]
« [330] L’analyse de la jurisprudence permet de constater que dans les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel, d’agression fortuite, de phénomène de société ou de circonstances exceptionnelles, inhabituelles ou inusitées, le tribunal accorde généralement à l’employeur un transfert de coûts.
[331] Ainsi, dans les cas où l’accident est dû à des circonstances extraordinaires, exceptionnelles ou inusitées, l’imputation suivant la règle générale établie au premier alinéa de l’article 326 s’avère injuste pour l’employeur parce que, bien qu’elle soit reliée au travail, la perte subie ne fait pas partie de son risque assuré et que l’inclusion des coûts de prestations en découlant au dossier de l’employeur vient fausser son expérience.
[332] Si le législateur n’avait pas voulu qu’il soit remédié à de telles situations, il n’aurait tout simplement pas prévu l’exception énoncée au deuxième alinéa de l’article 326.
[333] D’autres critères, en sus de celui tenant compte du risque inhérent à l’ensemble de ses activités, sont donc nécessaires pour apprécier correctement l’effet juste ou injuste de l’imputation à l’employeur.
[334] Le caractère exceptionnel ou inusité des circonstances à l’origine d’un accident du travail doit s’apprécier in concreto, c’est-à-dire à la lumière du contexte particulier qui les encadre. Ce qui, dans un secteur d’activités donné, est monnaie courante deviendra, en d’autres occasions, un véritable piège, voire un guet-apens.
[335] En effet, les mêmes circonstances ne revêtiront pas toujours le même caractère d’exception, selon le genre d’activités exercées par l’employeur, la description de l’unité de classification à laquelle il appartient, la tâche accomplie par le travailleur, les lieux du travail, la qualité, le statut et le comportement des diverses personnes (dont le tiers) impliquées dans l’accident, les conditions d’exercice de l’emploi, la structure de l’entreprise, l’encadrement du travail, l’éventuelle contravention à des règles (législatives, réglementaires ou de l’art) applicables en semblables matières, la soudaineté de l’événement, son degré de prévisibilité, etc.
[…]
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[31] Appliquant les critères élaborés par le tribunal dans l’affaire Ministère des Transports, ci-dessus, le soussigné est d’avis que l’employeur doit être imputé des coûts reliés à la lésion subie par la travailleuse.
[32] Le représentant de l’employeur invoque essentiellement que l’accident de la travailleuse est survenu dans des circonstances qui ne font pas partie des risques inhérents aux activités de l’employeur, que celui-ci fait partie d’une unité de classification à la CSST relative à des entreprises associatives ayant un très faible taux moyen de cotisation, révélant ainsi un degré de risque très faible auquel il peut exposer ses travailleurs.
[33] Au surplus, le représentant de l’employeur souligne que par définition, la travailleuse exerce exclusivement des tâches de secrétariat chez l’employeur et que s’il est vrai qu’elle puisse être appelée une dizaine de fois par année à se rendre à des assemblées de membres, assemblées de courte durée, de telles activités, transposées en temps réel pour la travailleuse, constitue une infime partie de son travail.
[34] S’appuyant sur une décision qu’il dépose, l’affaire Magasins Laura PV inc.[3], le représentant de l’employeur fait valoir que dans les circonstances, le tribunal devrait conclure que l’accident de la travailleuse ne s’inscrit pas dans les risques inhérents reliés à l’activité économique de l’employeur.
[35] Avec égards, le tribunal ne partage pas l’interprétation proposée par le savant représentant de l’employeur quant aux critères élaborés dans l’affaire Ministère des Transports, précitée.
[36] De l’avis du soussigné, bien que l’employeur fasse partie d’une unité de classification recoupant des entreprises de type associatif, il n’en demeure pas moins que ces entreprises offrent des services de nature administrative diverse à ses membres.
[37] Plus particulièrement, dans le cas de l’employeur, celui-ci offre notamment à ses membres un service consistant en la gestion de la liste des membres, un poste étant même créé spécifiquement à cet effet.
[38] Par ailleurs, la preuve étant peu élaborée à ce sujet, le tribunal comprend que des assemblées annuelles régionales sont tenues auprès des membres et qu’à ces occasions, certains travailleurs s’y rendent. Tel est le cas de madame Cloutier qui, en tant que responsable de la liste des membres, se rend une dizaine de fois par année à de telles assemblées annuelles, y apportant la liste des membres requise.
[39] De l’avis du tribunal, l’ensemble de l’activité économique de l’employeur inclut certainement sa participation à de telles assemblées annuelles des membres. Pour accomplir cette activité, l’employeur requiert de certains de ses employés qu’ils assistent aux assemblées régionales en question. Pour ce faire, on y délègue les services de la travailleuse.
[40] Pour le tribunal, bien que ces assemblées soient relativement peu fréquentes et qu’elles soient toutes de courte durée (2 à 3 heures chacune), il n’en demeure pas moins qu’elles font partie des activités économiques de l’employeur.
[41] Le représentant de l’employeur propose de retenir, comme dans l’affaire Magasin Laura PV inc. à laquelle il fait référence, que la faible fréquence des activités de la travailleuse à l’extérieur de ses tâches de secrétariat fait en sorte que l’on ne devrait pas conclure qu’il s’agisse d’un risque inhérent relié à l’activité de l’employeur.
[42] Avec égards, le tribunal ne partage pas cette interprétation proposée.
[43] Le fait que, pour sa part, la proportion du temps de travail que la travailleuse Cloutier puisse consacrer à la tenue d’assemblées annuelles soit très faible en proportion du temps consacré à son travail de secrétariat ne change pas le fait que la participation de la travailleuse à la tenue d’assemblées annuelles des membres fasse partie des risques inhérents reliés à l’activité économique de l’employeur.
[44] Par ailleurs, dans l’affaire Magasin Laura PV inc. précitée, la juge administrative Arcand accorde la demande de transfert de coûts demandée par l’employeur après avoir conclu que l’accident de la route ayant causé une lésion professionnelle à une travailleuse ne faisait pas partie des risques inhérents reliés à l’activité économique de l’employeur. Toutefois, de l’avis du tribunal, les faits dans cette affaire sont clairement distincts du présent cas et le raisonnement de la juge Arcand est fort approprié aux faits de cette affaire. Elle écrit ceci :
[23] Il ressort que l’employeur exerce une activité de vente de vêtements et cette vente s’effectue en boutique. Les deux travailleuses impliquées sont des vendeuses et leur lieu de travail est la boutique qui leur est assignée. Elles ne sont pas appelées à travailler à l’extérieur de cette boutique. Exceptionnellement, à titre de récompense, il est possible que, une à deux fois par année, elles soient invitées à une formation. Il s’agit d’une situation d’exception, puisque la formation pour les vendeuses se donne en magasin. De plus, la participation à cette formation est volontaire. Elle n’est pas obligatoire.
[24] L’accident dont ont été victimes les deux travailleuses n’est pas lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur. Sans cette journée de récompense, les activités de l’employeur ne sont d’aucune façon affectées; cette journée de récompense à l’extérieur est séparable des activités de l’employeur. Imputer les coûts à l’employeur dans le présent dossier aurait pour effet, comme l’ont mentionné les juges administratifs dans l’affaire Ministère des Transports, à « inclure dans son expérience le fruit d’événements qui n’ont pas de rapport avec sa réalité d’entreprise, telle que traduite notamment par la description de l’unité dans laquelle il est classé, et les risques qu’elle engendre. »
[25] L’accident est causé par la haute vitesse du véhicule qui a embouti celui des travailleuses. Il s’agit de circonstances exceptionnelles qui ne représentent pas le reflet fidèle de l’expérience associée aux risques de l’activité de l’employeur. Les circonstances se situent nettement en dehors de ce risque.
[26] Finalement, les probabilités qu’un tel genre d’activités survienne dans le contexte des tâches des deux travailleuses sont exceptionnelles.
[27] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que la requête de l’employeur pour chacune des travailleuses doit être accueillie.
(Les soulignements sont du tribunal)
[45] De l’avis du tribunal, les faits de cette affaire se distinguent nettement du présent cas. L’activité de l’employeur en question consistait en une activité économique de vente de vêtements en boutique. Exceptionnellement et à titre de récompense, on permet à des vendeuses d’aller recevoir une formation à l’extérieur du magasin, activité au cours de laquelle survient un accident de la route attribuable à un tiers et causant des lésions aux travailleuses. À juste titre, de l’avis du soussigné, la juge Arcand a conclut dans cette affaire que l’accident subi par les deux travailleuses n’est pas lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur.
[46] Dans le présent dossier, la travailleuse se rend à une des dix assemblées annuelles des membres auxquelles elle doit participer, cette tâche faisant partie de ses attributions. Bien que peu fréquente en comparaison des tâches usuelles de la travailleuse, toutes proportions gardées, cette tâche de la travailleuse n’est pas « exceptionnelle », n’est pas attribuable à une situation particulière telle que celle retrouvée pour les vendeuses blessées dans l’affaire Magasin Laura PV inc. Elle fait partie des fonctions de la travailleuse.
[47] Dans ce contexte, le tribunal ne peut conclure qu’en raison de la seule « faible fréquence » de ce travail par la travailleuse, l’accident de la route dans lequel elle a été blessée ne ferait pas partie des risques inhérents reliés à l’activité économique de l’employeur.
[48] De plus, le tribunal est d’avis que si la participation d’un employé à la tenue d’assemblées annuelles ne constitue pas, en toute probabilité, une activité principale pour l’employeur, on peut certes considérer qu’il s’agisse d’une activité à tout le moins secondaire pour celui-ci.
[49] Or, le tribunal a maintes fois déterminé que le fait qu’un accident attribuable à un tiers survienne même dans le cadre d’une activité « secondaire » d’un employeur ne permet pas en soi d’inférer que l’imputation des coûts reliés à la lésion subie soit injuste pour autant. Dans l’affaire Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles[4], une enseignante est blessée lors d’un accident de la circulation dans le cadre d’une sortie scolaire. L’employeur invoque alors la « rareté » de telles sorties et le fait qu’il ne s’agisse pas d’une activité liée aux risques inhérents de l’employeur, un établissement d’enseignement. La juge Nadeau écrit ceci :
[22] L’employeur fait valoir qu’il exerce des activités d’enseignement et, qu’en 2006, il est classé en fonction de ces activités dans l’unité 73010 intitulée «Services d’enseignement». Il signale que le transport scolaire n’est pas une activité de la Commission scolaire. La Commission scolaire utilise les services de transporteurs scolaires.
[23] Il fait valoir le caractère occasionnel des sorties éducatives. Il soumet qu’il s’agit d’un risque secondaire aux activités de l’employeur. Il prétend que l’employeur n’a pas à assumer le risque relié au transport puisque ce n’est pas le risque pour lequel il est assuré. Il soumet qu’il ne s’agit donc pas d’un risque inhérent à ses activités.
[24] La Commission des lésions professionnelles n’est pas de cet avis. L’employeur a raison en affirmant qu’il faut analyser la question des risques inhérents par rapport à un préposé aux élèves handicapés et non pas pour le chauffeur d’autobus.
[25] Cependant il faut se garder d’une interprétation restrictive des activités d’un employeur en se limitant uniquement au titre de son unité de classification. L’employeur offre des services d’enseignement. L’une de ses préposées aux élèves handicapés effectue avec son groupe une visite éducative. Cela s’inscrit dans les activités d’enseignement exercées par l’employeur. Les sorties éducatives font partie des activités d’enseignement, elles y sont reliées.
[26] Le procureur de l’employeur plaide que ce type de sorties est rare sans toutefois soumettre une preuve à ce sujet. La fréquence de ce type de sortie, qui n’a pas été établie, ne modifie pas pour autant leur caractère éducatif et le fait qu’elles s’intègrent aux activités éducatives. Les services d’enseignement ne se limitent pas uniquement à des cours traditionnels donnés dans une classe.
[…]
[30] Les activités éducatives font partie des activités de l’employeur. Les sorties éducatives à l’extérieur de l’établissement scolaire comportent des déplacements sur la route et ces déplacements impliquent des risques d’accident de la route. C’est ce qui est survenu en l’espèce.
[31] La Commission des lésions professionnelles considère que l’accident fait donc partie des risques inhérents aux activités de l’employeur.
[50] Dans l’affaire CSSS St-Léonard, St-Michel[5], le juge Clément disait ceci :
[39] L’employeur affirme qu’il ne fait pas partie des activités inhérentes à l’employeur qu’un accident de voiture survienne. Selon lui, la mission de l’employeur est de prodiguer des soins et non de voir ses employés subir des accidents de voiture.
[40] Ce raisonnement doit complètement être écarté. L’analyse du caractère injuste d’une imputation ne repose pas sur l’appréciation des seuls risques principaux généralement associés à la mission principale d’un employeur, mais bien sur l’appréciation des risques qui sont inhérents à l’ensemble des activités exercées par cet employeur3.
[41] Ce n’est pas parce que l’activité de conduire une automobile n’est pas inscrit nommément aux unités de classification de l’employeur qu’un tel risque ne peut pas se matérialiser dans l’ensemble de ses activités exercées.
[42] Même si un accident de voiture ne fait pas partie de la raison d’être de l’employeur, ce sont plutôt les risques particuliers inhérents à l’ensemble des activités qu’on doit regarder, dans le contexte dans lequel s’exercent les activités. Comme les activités de l’employeur peuvent comporter des risques pour les travailleurs qui doivent se déplacer sur la route pour intervenir au domicile de certains patients, il n’est donc pas injuste pour l’employeur d’avoir à supporter le coût des prestations versées à la travailleuse4.
(3) N.V. Électrique inc. et Construction première, C.L.P. 213557-61-0308, 15 décembre 2003, G. Morin
(4) Corps canadien des commissionnaires, C.L.P. 212709-71-0307, 5 avril 2004, L. Couture
[51] Le tribunal partage l’avis émis dans ces affaires et considère qu’en l’espèce, la lésion subie par la travailleuse est survenue dans le cadre d’une activité de l’employeur faisant partie des risques inhérents reliés à l’ensemble de ses activités économiques.
[52] Enfin, le tribunal n’a pas retrouvé dans la preuve disponible d’éléments qui lui permettent de conclure que l’accident de la circulation du 12 décembre 2007 soit survenu dans des circonstances telles que l’on puisse parler d’un événement au « caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel ou de la nature d’un guet-apens ou d’un piège »», tel que compris à l’affaire Ministère des Transports.
[53] La description donnée par la travailleuse des circonstances de la collision du 12 décembre 2007 révèle certes la « faute d’un tiers », mais elle décrit essentiellement un accident de la circulation plutôt banal. Au demeurant, l’employeur n’a pas insisté sur les circonstances même dudit accident, la preuve apparaissant au rapport de police au dossier étant de bien peu d’utilité dans la compréhension de l’événement.
[54] Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la requête de l’employeur doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de l’employeur déposée le 28 août 2009;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 29 juillet 2009 lors d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 12 décembre 2007 par madame Marthe Cloutier, la travailleuse, doit être imputé au dossier de l’employeur.
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Michel Watkins |
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Me Bernard Cliche |
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LANGLOIS KRONSTRÖM DESJARDINS |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] [2007] C.L.P. 1804 (formation de trois commissaires).
[3] C.L.P. 367017-71-0901, 4 mars 2010, S. Arcand.
[4] C.L.P. 334318-61-0712, 24 mars 2009, L. Nadeau.
[5] C.L.P. 356088-71-0808, 4 février 2010, J.F.Clément ; voir dans le même sens : CSSS du sud de Lanaudière, C.L.P. 358568-63-0809, 14 octobre 2009, L. Morissette; Bowater Pâtes et Papiers Canada inc., C.L.P. 289362-07-0605, 24 novembre 2006, M. Langlois; Boisaco inc. (Unisaco) et Transport Claude Guérin inc, C.L.P. 305512-02-0612, 25 février 2009, M. Lamarre; Entreprise D.S.R., C.L.P. 297677-01A-0609, 31 mars 2009, R. Arseneau.