Grégoire c. St-Jérôme Harley-Davidson | 2022 QCCQ 3274 | |||||
COUR DU QUÉBEC | ||||||
« division des petites créances » | ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | TERREBONNE | |||||
LOCALITÉ DE | SAINT-JÉRÔME | |||||
« Chambre civile » | ||||||
N°: | 700-32-703305-191 | |||||
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DATE : | 30 MAI 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | FRANCINE LAUZÉ, J.C.Q. | ||||
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LUCIE GRÉGOIRE | ||||||
Demanderesse | ||||||
c. | ||||||
ST-JÉRÔME HARLEY-DAVIDSON
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Défenderesse | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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APERÇU
[1] Au début du mois de septembre 2019, Lucie Grégoire a un problème mécanique avec sa moto de marque Harley-Davidson. Elle communique avec le garage St‑Jérôme Harley-Davidson («St-Jérôme H-D») afin qu’il procède aux réparations nécessaires.
[2] Alléguant erreur dans le diagnostic posé et absence de travaux effectués malgré les sommes facturées, Mme Grégoire leur réclame la somme de 7 842,74 $, soit le remboursement de la facture payée de 370,30 $, des réparations totalisant 932,44 $ et la différence à titre de dommages pour abus de confiance, perte de jouissance et troubles et inconvénients subis.
[3] Au surplus, Mme Grégoire soutient que St-Jérôme H-D cause des bris à sa moto alors qu’elle tente de la réparer. Des délais additionnels étant nécessaires pour procéder aux réparations, elle en est privée durant plusieurs semaines.
[4] De son côté, St-Jérôme H-D nie toute responsabilité dans les reproches formulés par Mme Grégoire. Elle soutient que c’est lors du second diagnostic que le garagiste identifie la pièce ECM (module de contrôle électronique) comme étant défectueuse, laquelle n’est plus couverte par la garantie du fabricant.
[5] Puisque Mme Grégoire a perdu confiance, elle choisit de reprendre possession de sa moto. St-Jérôme H-D ne procède donc pas aux réparations.
QUESTIONS EN LITIGE
[6] Le Tribunal doit déterminer le bien-fondé de la réclamation en répondant aux questions suivantes:
a) Y-a-t-il eu un manquement de la part du garagiste St-Jérôme H-D à son obligation de résultat ?
b) Dans l’affirmative, quel est le montant auquel a droit Mme Grégoire ?
***
[7] Le Tribunal conclut que St-Jérôme H-D ne respecte pas son obligation de résultat lorsqu’elle omet dès le départ d’identifier l’origine du problème mécanique empêchant Mme Grégoire d’utiliser sa moto. Au surplus, une portion des travaux facturés, soit le remplacement du filtre à air, n’est pas effectué.
[8] Ce faisant, une faute est commise par St-Jérôme H-D et Mme Grégoire doit obtenir compensation. En conséquence, la demande de Mme Grégoire est accueillie en partie.
ANALYSE
a) Y-a-t-il eu un manquement de la part du garagiste St-Jérôme H-D à son obligation de résultat ?
[9] Dans un premier temps, le contrat intervenu entre les parties est un contrat de consommation[1], lequel est régi par les dispositions de la Loi sur la protection du consommateur (Lpc)[2].
[10] Également, le contrat qui intervient entre un client et un garagiste est un contrat de service[3]. Le garagiste a une obligation de résultat envers son client c’est-à-dire qu’il ne lui suffit pas de réparer le véhicule confié mais il doit obtenir le résultat escompté[4].
[11] Puisque le litige a pour fondement la responsabilité civile contractuelle[5], Mme Grégoire doit établir de façon prépondérante la commission d’une faute de la part de St-Jérôme H-D, le préjudice subi et le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice. En effet, elle doit faire la preuve des dommages qu’elle réclame.
[12] Toutefois lorsque le problème persiste après la réparation, il y a présomption que le travail a été mal fait. Il incombe alors au garagiste de prouver que ce n’est pas le cas[6].
[13] Lorsque poursuivi par son client pour des réparations inadéquates, le garagiste doit alors prouver que l’inexécution ou le préjudice subi provient de la faute de son client, de celle d’un tiers ou une force majeure, pour se dégager de sa responsabilité. La seule preuve d’absence de faute ne suffit pas.[7]
[14] Aussi, dans le cadre de son analyse, le Tribunal doit disposer du litige en fonction du droit applicable mais également des règles de preuve qui imposent à chaque partie d’établir de façon prépondérante les faits sur lesquels elles fondent leur prétention pour satisfaire au fardeau de la preuve leur incombant[8].
[15] Pour ce faire, le Tribunal doit apprécier la preuve présentée de part et d’autres par les parties, afin de conclure que l’existence d’un fait est plus probable et plausible que son inexistence[9]. La prépondérance est atteinte lorsqu’au terme d’un examen attentif, le juge conclut que la preuve d’un fait est claire et convaincante[10].
[16] Pour satisfaire à ce fardeau, une partie peut avoir recours à l’un ou l’autre des moyens de preuves admissibles que la loi met à sa disposition, soit l’écrit, le témoignage de faits ou d’experts, la présomption, l’aveu ou la présentation d’un élément matériel[11].
[17] En l’instance, la représentante de St-Jérôme H-D, présente à l’audience, Chantale Bussières Gosselin n’est pas garagiste. Ce n’est pas elle qui travaille sur le véhicule. Son témoignage se limite donc à référer le Tribunal à la preuve documentaire produite et ce, sans être capable d’expliquer les démarches et vérifications effectuées par le garagiste.
[18] Au surplus, l’une des difficultés résulte dans le fait qu’aucune des parties n’a fait entendre de témoin expert. Or, seul le témoin expert peut donner son opinion. Les témoins ordinaires ne peuvent que relater des faits à leur connaissance personnelle. L’analyse du Tribunal doit donc s’appuyer principalement sur la preuve documentaire produite.
[19] Aussi, afin d’être en mesure d’établir la cause à l’origine du bris de la moto, l’outil diagnostic accrédité par le fabricant est utilisé par St-Jérôme H-D. Or, Mme Grégoire est avisée que le boîtier papillon «throttle body» est défectueux et doit être remplacé.
[20] Après que des vérifications additionnelles soient effectuées, St-Jérôme H-D constate que l’ECM, responsable des contrôles électroniques du véhicule, est défectueux. Mme Grégoire en est avisée quelques jours plus tard, après que la pièce de remplacement du «throttle body» soit commandée.
[21] Or, il n’est plus possible de démarrer la moto alors que Mme Grégoire insiste que ce n’est pas le cas avant son arrivée au garage.
[22] Convaincue que le problème est relié au non fonctionnement de la poignée tournante «twist-grip» qui l’empêche de changer de vitesse, elle questionne les vérifications effectuées et les réparations proposées.
[23] Ayant perdu confiance, elle choisit de reprendre possession de sa moto afin qu’elle soit vérifiée et réparée dans un autre garage. Malgré le nombre d’heures travaillées, St-Jérôme H-D lui facture seulement 3 heures de main d’œuvre et les pièces pour le changement du filtre à air.
[24] Suivant la preuve administrée à l’audience, le Tribunal retient que Mme Grégoire apprend que le diagnostic posé par St-Jérôme H-D est erroné quant au «throttle body». Toutefois l’ECM doit être remplacé et cette réparation est toujours garantie par le fabricant, considérant le kilométrage du véhicule. D’ailleurs, Mme Grégoire reproche à St-Jérôme H-D d’avoir prétendu le contraire. Cette réparation est donc faite sans frais.
[25] Le «throttle body» ne sera jamais remplacé et tel qu’elle le soupçonne, le «twist-grip» est à l’origine de la défectuosité. Après son remplacement, le problème est résolu.
[26] Pour le Tribunal, ceci constitue en soi une présomption de faits. La présomption est un mode de preuve indirecte ou indiciaire, suivant lequel la preuve directe de certains faits ou indices, permet de conclure à l’existence du fait à prouver[12]. Lorsqu’il apprécie une preuve par présomption, le Tribunal ne doit prendre en considération que la présomption qui est grave, précise et concordante[13].
[27] Le juge doit, selon la balance des probabilités, retenir de la preuve certains faits qu’il estime prouvés. Puis, il doit examiner si les faits prouvés l’amènent à conclure par une induction puissante que les faits inconnus sont démontrés. En l’instance, ces principes d’appréciation de la présomption sont satisfaits.
[28] Aussi Stephen Le Breton, propriétaire du garage Speed Trix, affirme avoir branché la moto à un ordinateur reconnu par Harley Davidson à la demande de Mme Grégoire. À ce moment, il obtient le diagnostic suivant : «les codes ECM no signal, lost signal ECM et twist grip sont apparus.»[14] Alors qu’il recommande à Mme Grégoire de procéder au remplacement de son filtre à air, vu son état, il apprend qu’elle vient d’être facturée par St-Jérôme H-D pour ce travail.
[29] Puisque Speed Trix ne peut honorer la garantie du fabriquant Harley Davidson, la moto est transportée chez un dépositaire autorisé à Hawkesbury.
[30] Suivant la preuve administrée à l’audience, le Tribunal conclut que St-Jérôme H‑D a posé un mauvais diagnostic et a donc commis une faute.
[31] Par ailleurs, bien que Mme Grégoire veuille faire reposer la responsabilité de la défectuosité du ECM aux travaux originalement effectués par St-Jérôme H-D, il y a absence de preuve. De plus, aucun frais n’a été engendré à Mme Grégoire pour cette réparation qui est encore sous garantie.
[32] Toutefois, St-Jérôme H-D commet une faute lorsqu’elle facture à Mme Grégoire des frais pour le remplacement du filtre à air alors que la preuve démontre qu’il n’a pas été remplacé.
[33] Étonnamment, Mme Bussières Gosselin explique lors de son témoignage qu’il est possible que le garagiste ait remis l’ancien filtre à air, au moment où Mme Grégoire manifeste vouloir récupérer sa moto. Or, non seulement personne ne l’avise que le filtre à air n’est pas remplacé mais en plus, elle est facturée pour ce travail.
[34] Ce n’est certainement pas ce à quoi un client peut s’attendre de son garagiste.
b) Dans l’affirmative, quel est le montant auquel a droit Mme Grégoire ?
[35] Le Tribunal ayant conclu à une faute commise par St-Jérôme H-D, il devient donc nécessaire d’établir les dommages qui en ont résulté. Aussi le régime de la responsabilité contractuelle permet à la partie concernée d’obtenir réparation suite aux dommages subis.
[36] Mme Grégoire a donc droit à réparation et elle doit donc être compensée pour les dommages qui sont une suite immédiate et directe de la faute[15]. Ce principe s’applique également aux dommages moraux réclamés, lesquels ne doivent pas constituer un enrichissement.
[37] L’article
[38] Or, considérant l’erreur commise par St-Jérôme H-D dans le diagnostic posé, le Tribunal doit conclure que Mme Grégoire est justifiée de transporter sa moto vers un autre garage et de la faire inspecter. Aussi, le Tribunal fait droit à sa demande quant au remboursement des frais d’inspection de 240 $[16], lesquels ont été nécessaires pour établir la cause des problèmes.
[39] Quant aux frais de déplacement, nécessairement cette situation lui a engendré des frais d’essence. Le Tribunal fixe à 200 $ le montant auquel elle a droit pour les divers déplacements.
[40] Au surplus, St-Jérôme H-D n’ayant pas rempli son obligation de résultat et n’ayant pas procédé au remplacement du filtre à air, ne peut facturer à Mme Grégoire 370,30 $. Ce montant doit lui être remboursé.
[41] Toutefois, Mme Grégoire ne peut réclamer le coût des réparations qui s’avèrent nécessaires et qui doivent de toute façon être effectuées à la moto, dont le remplacement du «twist-grip».
[42] Quant aux délais engendrés pour effectuer ces réparations, du propre témoignage de Mme Grégoire, ces délais sont attribuables à la pièce qui n’est pas disponible et qui doit être commandée aux États-Unis. St-Jérôme H-D ne peut donc en être tenue responsable.
[43] Finalement, St-Jérôme H-D a agi en contravention de la Lpc puisque les services facturés ne sont pas conformes aux services fournis[17]. Elle a faussement prétendu avoir procédé au changement du filtre à air[18].
[44] Dans de telles circonstances, l’article
[45] Ces dommages visent un objectif de prévention pour décourager la répétition de comportements indésirables, conformément aux termes de l’article
[46] Ce faisant, l’octroi de dommages punitifs ne visent pas à réparer le préjudice subi mais essentiellement à dissuader la répétition du comportement par l’auteur de la faute, de même que les tiers qui seraient tentés de reproduire ce comportement[19].
[47] Dans la présente affaire, le Tribunal considère que St-Jérôme H-D a agi avec insouciance.
[48] Eu égard aux circonstances en litige, le Tribunal est d’avis que le montant de 400 $ est justifié.
[49] Le 28 octobre 2019, Mme Grégoire met en demeure St-Jérôme H-D et lui accorde un délai de 10 jours pour exécuter son obligation. En conséquence, elle a droit à l’intérêt légal ainsi que l’indemnité additionnelle à compter du 8 novembre 2019, date de la demeure[20].
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[50] ACCUEILLE en partie la demande de la demanderesse Lucie Grégoire;
[51] CONDAMNE la défenderesse St-Jérôme Harley-Davidson à payer à la demanderesse Lucie Grégoire la somme de 810,30 $ avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[52] CONDAMNE la défenderesse St-Jérôme Harley-Davidson à payer à la demanderesse Lucie Grégoire la somme de 400 $ à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal, plus l’indemnité additionnelle prévue à l’article
[53] CONDAMNE la défenderesse St-Jérôme Harley-Davidson à payer à la demanderesse Lucie Grégoire la somme de 190 $, à titre de frais de justice.
| __________________________________ FRANCINE LAUZÉ, J.C.Q. | |
Date d’audience : | 20 avril 2022 | |
[1] Article
[2] RLRQ, c. P-40.1.
[3] Article
[4] Royal & Sun Alliance c. André Ressort Services inc.,
[5] Article
[6] Royal & Sun Alliance c. André Ressort Services inc., précité, note 4; 9117- 3187 Québec inc. (Moteur St-Jérôme) c. Autos Publiques II inc.,
[7] Royal & Sun Alliance c. André Ressort Services inc., précité, note 4.
[8] Article
[9] Article
[10] F.H. c. Mac Dougall,
[11] Article
[12] Article
[13] Article
[14] Déclaration pour valoir témoignage datée du 3 mars 2022.
[15] Articles
[16] Pièces P-7 et P-7A.
[17] Article
[18] Article
[19] Richard c. Time Inc.,
[20] Article
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