Décision

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Dupuis c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie

2012 QCCS 6969

 

JG 1744

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE QUÉBEC

 

 

N° :

200-06-000134-117

 

DATE :

11 décembre 2012

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

______________________________________________________________________

 

JEAN-PAUL DUPUIS

Domicilié et résidant au

[…]Longueuil (Québec)

District de Longueuil,  […]

                                                                                     

et

 

FRANCIS TREMBLAY

Domicilié et résidant au
[…]

Sherbrooke (Québec)

District de St-François,  […]

                                                                                      Requérants

c.

 

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE,

COMPAGNIE D’ASSURANCE VIE

Ayant son siège social au

200, rue des Commandeurs

Lévis (Québec)

District de Québec,  G6V 8A7

                                                                                      Intimée

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

SUR UNE REQUÊTE POUR PERMISSION D’AMENDER LA REQUÊTE

POUR AUTORISATION D’EXERCER UN RECOURS COLLECTIF

ET POUR QUE SOIT DÉSIGNÉ UN REPRÉSENTANT

______________________________________________________________________

 

[1]           Les requérants, messieurs Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, ont déposé, le 16 juin 2011 au greffe civil de la Cour supérieure du district judiciaire de Québec, une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour que soit désigné un représentant qu’ils ont signifiée le 17 juin 2011 à l’intimée, Desjardins sécurité financière, compagnie d’assurance vie (Desjardins sécurité financière).

[2]           Ce recours, qui propose la formation de deux groupes, soit le «groupe principal» et le «groupe consommateur», vise à ce quoi soient compensées pour les pertes financières que prétendent avoir subies :

«Toutes les personnes physiques et toutes les personnes morales de droit privé, sociétés ou associations, comptant en tout temps au cours de la période de 12 mois qui précède les 16 juin 2011 sous leur direction ou sous leur contrôle au plus 50 personnes liées à elles par contrat de travail», (Le groupe principal)

Et

«toutes les personnes physiques, sauf un commerçant qui a conclu un contrat pour les fins de son commerce», (Le groupe consommateur)

qui, en date du 31 décembre 2008, détenaient le Placement Indices Plus Stratégique ou le Placement Indices Plus Tactique émis par l’intimée Desjardins sécurité financière avec un terme compris entre 5.75 ans et 8 ans.»

Le contexte

[3]           En sa qualité d’assureur de personnes, Desjardins sécurité financière a offert au public les Placements Indices Plus Stratégiques (Placements IPS) et les Placements Indices Plus Tactiques (Placements IPT) dans le cadre de contrats à rente désignés sous le nom de Évolu-Rente[1].

[4]           Les Placements IPS et IPT sont en fait des dépôts à termes variant de 3 à 8 ans, assortis d’une garantie du capital investi à l’échéance, dont le rendement est variable[2].

[5]           Ayant constaté que la description du groupe proposée faisait en sorte que des personnes qui avaient investi dans les Placements IPS et IPT comportant un terme inférieur à 5.75 ans étaient exclues du recours et que la gestion de ces placements avait été confiée à Desjardins gestion d’actifs inc. (Desjardins gestion d’actifs), messieurs Dupuis et Tremblay signifient, le 2 mars 2012, une requête afin qu’ils soient autorisés à amender leur requête pour autorisation d’exercer un recours collectif pour y prévoir :

-       L’ajout de Desjardins gestion d’actifs comme partie intimée ;

-      L’élargissement du groupe visé afin d’y inclure tous les termes des placements IPS et IPT, dont ceux inférieurs à 5.75 ans.

[6]           Ces deux propositions d’amendements sont accompagnées de modifications à certaines allégations de la requête (art. 2), de même que de l’ajout de quelques allégations, notamment en ce qui concerne l’identification de Desjardins gestion d’actifs et son rôle en sa qualité de gestionnaire des Placements IPS et IPT (art. 40.1 à 40.5, 119.1, 135.1).

[7]           Desjardins sécurité financière s’oppose à ces deux propositions d’amendements, alléguant que dans l’un et l’autre des cas, soit le recours contre Desjardins gestion d’actifs et le recours des détenteurs de Placements IPS et IPT comportant des termes inférieurs à 5.75 ans sont prescrits.

[8]           Par ailleurs, l’ajout d’allégations visant à justifier une réclamation en dommages-intérêts exemplaires (par. 164.1 à 164.5, 177.1, 188.1, 194.1, 197.1 et 204 e), de même que les propositions d’amendements visant à modifier le point de départ du calcul de l’indemnité additionnelle ne sont pas contestées à ce stade-ci.  Ces amendements seront donc autorisés.

La procédure d’amendement

[9]           Quoique le recours collectif soit essentiellement un véhicule procédural servant à faire valoir un droit, la procédure d’amendement en cette matière diffère de celle prévue dans le cadre d’un recours ordinaire.  L’amendement que l’on propose à un acte de procédure en matière de recours collectif, dont une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et que soit désigné un représentant, requiert l’autorisation du tribunal aux termes des articles 1010.1 et 1016 du Code de procédure civile (C.p.c.)[3].

[10]        S’il y fait droit, le tribunal peut alors imposer les conditions qu’il estime nécessaires.

[11]        La requête pour permission d’amender un acte de procédure est donc un incident au sens procédural que prévoit l’article 199 C.p.c. qui, selon l’article 1051 C.p.c., s’applique au recours collectif[4] :

Art. 199 C.p.c. : «Les parties peuvent, en tout temps avant jugement, amender leurs actes de procédure sans autorisation et aussi souvent que nécessaire en autant que l'amendement n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

L'amendement peut notamment viser à modifier, rectifier ou compléter les énonciations ou conclusions, invoquer des faits nouveaux ou faire valoir un droit échu depuis la signification de la requête introductive d'instance.»

[12]        Aux conditions déjà prévues à l’article 199 C.p.c., on peut ajouter, dans le contexte d’une requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, que les amendements proposés doivent être pertinents à l’analyse des critères de l’article 1003 C.p.c.[5].  Si tel n’est pas le cas, la demande d’amendement pourra, avant l’autorisation du recours, être rejetée ou simplement déclarée prématurée.

Ce que plaident les parties

[13]        Reprenant les grands principes énoncés par la jurisprudence sur la portée sociale du recours collectif, la sauvegarde des intérêts des membres du groupe à l’égard desquels le tribunal doit exercer une certaine surveillance, l’interprétation large et libérale de l’article 199 C.p.c. et la recevabilité des amendements proposés dans le présent cas qui s’inscrivent dans le respect d’une saine administration de la justice, messieurs Dupuis et Tremblay plaident plus particulièrement, jurisprudence à l’appui, que la question de la prescription d’un recours relève du fond du litige.  Cette question ne devrait pas être analysée et surtout, elle ne devrait pas être décidée à un stade préliminaire et certainement pas à l’occasion de la présentation de la requête pour permission d’amender.

[14]        Ils ajoutent qu’en matière de recours collectif, une jurisprudence constante prône la plus grande prudence lorsqu’il est question de la détermination du bien-fondé d’un argument portant sur la prescription à l’étape de la présentation de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif.  Cette prudence s’impose davantage avant cette étape de l’autorisation.

[15]        Selon eux, les pièces communiquées et plus particulièrement les pièces R-21 et R-22, démontrent que c’est au mois de mars 2010 qu’ils ont été informés de l’effondrement des placements, tel que le précise le paragraphe 130 de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et dont les faits qui y sont relatés doivent, à ce stade-ci, être tenus pour avérés.

[16]        Desjardins sécurité financière réfute cet argument qui, selon elle, ne prend pas en compte le texte de l’article 199 C.p.c. et fait abstraction de son interprétation jurisprudentielle.

[17]        Reconnaissant que l’autorisation d’amender un acte de procédure est la règle et le refus de l’amendement l’exception, Desjardins sécurité financière plaide que ce principe demeure tributaire du texte de l’article 199 C.p.c. qui prévoit précisément que seul sera autorisé l’amendement qui «n'est pas inutile, contraire aux intérêts de la justice ou qu'il n'en résulte pas une demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire».

[18]        Permettre que Desjardins gestion d’actifs soit dorénavant une partie intimée à la procédure et que les Placements IPS et IPT d’un terme inférieur à 5.75 ans soient aussi considérés, ferait en sorte d’autoriser des amendements «inutiles» et «contraires aux intérêts de la justice», étant donné que les recours que pourraient prétendre avoir certaines personnes contre Desjardins gestion d’actifs, et celles détenant des Placements IPS et IPT d’un terme inférieur à 5.75 ans sont prescrits.

[19]        En effet, Desjardins sécurité financière, qui réfère aux allégations de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, et plus particulièrement à une pièce déjà communiquée, soit le «Relevé annuel au 1er janvier 2009» (Pièce R-27), soutient que messieurs Dupuis et Tremblay connaissaient depuis plus de trois ans, le 2 mars 2012, date de la signification de la requête pour permission d’amender, l’existence de leur prétendu droit d’action qui était donc, à ce moment, déjà prescrit.

Analyse

[20]        L’article 2803 du Code civil du Québec (C.c.Q.) énonce que :

«Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.»

[21]        C’est en se référant aux faits allégués à la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif qui, dans le contexte d’une demande d’autorisation d’amendement sont tenus pour avérés, ainsi qu’à certaines pièces déjà communiquées, dont les pièces R-21 et R-27 que Desjardins sécurité financière entend prouver les faits sur lesquels elle fonde sa prétention selon laquelle les amendements, s’ils étaient autorisés, donneraient ouverture à un recours prescrit.

[22]        Le Code civil du Québec définit ainsi ce qu’est la prescription extinctive :

Art. 2875 C.c.Q. : «La prescription est un moyen d'acquérir ou de se libérer par l'écoulement du temps et aux conditions déterminées par la loi: la prescription est dite acquisitive dans le premier cas et, dans le second, extinctive.»

Art. 2921 : «La prescription extinctive est un moyen d'éteindre un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action.»

[23]        La prescription est donc une conséquence de droit (l’existence ou non d’un droit d’action) qui résulte de l’analyse des faits.

 

[24]        Le Code civil du Québec fixe aussi certains délais de prescription, dont celui en cause :

Art. 2925 C.c.Q. : «L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.»

Art. 2926 C.c.Q. : «Lorsque le droit d'action résulte d'un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.»

[25]        Enfin, l’article 2880 (2) fixe en ces termes le point de départ de la prescription extinctive :

«Le jour où le droit d'action a pris naissance fixe le point de départ de la prescription extinctive.»

[26]        On comprend aisément qu’il puisse exister une abondante jurisprudence sur la question de la détermination du «jour où le droit d'action a pris naissance».  Mais, l’on conviendra que chaque cas est spécifique et doit être analysé dans son contexte.

[27]        Quelques extraits des auteurs Baudouin et Deslauriers, tirés de leur ouvrage «La responsabilité civile», aideront cette analyse.

[28]        Règle générale :

«En matière de droit personnel, le délai général de prescription est de trois ans (art. 2925 C.c.). C’est donc la plupart des recours en responsabilité contractuelle et extracontractuelle qui sont visés par cette règle.»[6]

[29]        Concernant l’identification du jour où le droit d’action a pris naissance, ils écrivent :

«L’identification précise du jour de départ du délai de prescription est une question de fait qui s’avère cruciale.  Elle a posé des problèmes complexes.  En matière de responsabilité civile, la difficulté surgit lorsque les trois éléments dont la réalisation est nécessaire à l’exercice du recours civil (faute, dommage, lien de causalité) ne se produisent pas en même temps.  Ainsi en est-il lorsque le dommage ne se réalise que longtemps après le jour où la faute a été commise.  Il en est également ainsi lorsque le dommage a été subi, mais que la victime est dans l’impossibilité d’identifier le responsable, ou lorsque le dommage est purement hypothétique.  La jurisprudence n’est malheureusement pas toujours très claire dans les solutions qu’elle propose. […].

[…] La jurisprudence, plus réaliste, fait partir le délai du jour de la réalisation du préjudice, puisque c’est à ce moment seulement que les conditions juridiques du droit de poursuite se trouvent enfin réunies, règle qui est maintenant codifiée à l’article 2926 C.c.  Doit-on cependant entendre cette réalisation dans un sens objectif (il suffit qu’elle ait lieu en fait) ou dans un sens subjectif (il faut que la victime l’ait identifiée)? Pour résoudre ce dilemme, on doit se reporter au fondement même de la prescription extinctive : la sanction d’une conduite négligente.  On doit donc, à notre avis, partir du jour où une victime raisonnablement prudente et avertie pouvait soupçonner le lien entre le préjudice et la faute[7]

[soulignements ajoutés]

[30]        Pour résumer, dans le contexte d’une réclamation d’un droit personnel fondé sur la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, le délai général de la prescription extinctive est de trois ans.  Le point de départ de cette prescription, soit le jour où le droit d’action a pris naissance, est celui où une victime raisonnablement prudente et avertie pouvait soupçonner un lien entre la faute qu’elle reproche et le préjudice qu’elle prétend avoir subi.  La détermination de ce jour, qui est le point de départ de la prescription, est une question de faits.

Application au présent cas

[31]        Selon Desjardins sécurité financière, messieurs Dupuis et Tremblay connaissaient le 17 juin 2011, date de la signification de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, l’existence des Placements IPS et IPT assortis de termes inférieurs à 5.75 ans.  En effet, le paragraphe 6 de la requête précise ce qui suit :

«Les Placements IPS et IPT comportent des termes variant de 3 à 8 ans tous assortis d’une garantie du capital investi à l’échéance et dont le rendement est variable ;»

[32]        Il en est de même, selon Desjardins sécurité financière, du fait qu’ils savaient depuis l’automne 2008 que les Placement IPS et IPT ne génèreraient plus aucun rendement, tel que le relate le paragraphe 127 de la requête :

«Dans les faits, depuis l’automne 2008, il n’y a aucune possibilité que l’intimée Desjardins sécurité financière génère quelque rendement que ce soit pour les membres du Groupe ;»

[33]        Toutefois, la question n’est pas ici de savoir si messieurs Dupuis et Tremblay connaissaient ou non l’existence des Placements IPS et IPT assortis de termes inférieurs à 5.75 ans au moment de la rédaction de leur requête, mais bien de déterminer si le recours des personnes pouvant prétendre à un préjudice du fait d’avoir possédé ou de posséder toujours de tels placements est prescrit, selon ce que révèlent les faits connus et tenus pour avérés.

[34]        Il en est de même de l’allégation contenue au paragraphe 127 de la requête. On ne peut déduire de cette allégation une admission selon laquelle messieurs Dupuis et Tremblay savaient à l’automne 2008 qu’il n’existait alors aucune possibilité que les Placements IPS et IPT génèrent quelque rendement que ce soit.  Cette allégation est davantage une conclusion qui résulte des faits qu’ils relatent aux paragraphes précédents de leur requête.

[35]        Bref, la question est de déterminer à quelle date leur droit d’action a pris naissance ?  C’est-à-dire, à quelle date ont-ils été en mesure de «soupçonner un lien entre le préjudice et la faute» ?

[36]        La réponse à cette question résultera de l’analyse des faits.  Toutefois, à ce moment-ci, les pièces R-21, R-22 et R-27 auxquelles réfèrent les parties, et plus particulièrement la pièce R-27 qui, selon Desjardins sécurité financière, est fondamentale à l’analyse de la question à l’étude, permettent-elles de préciser cette date.

[37]        Étant donné que ce que messieurs Dupuis et Tremblay lui reprochent, c’est de ne pas s’être conformé à ses représentations et d’avoir contrevenu à ses obligations d’information et de gestion, Desjardins sécurité financière soutient que le relevé annuel du 1er janvier 2009 (Pièce R-27) doit être considéré comme le véritable élément déclencheur du délai de prescription.

[38]        La lettre que M. Dupuis a écrite le 4 mars 2010 à l’Officier des règlements des différends de Desjardins sécurité financière (Pièce R-21) ne serait que la confirmation de sa connaissance d’une présumée faute.

[39]        Desjardins sécurité financière ajoute d’ailleurs que cette lettre fait état du relevé annuel du 1er janvier 2010 et du relevé annuel du 1er janvier 2008, omettant de mentionner le relevé annuel du 1er janvier 2009 qui comporte, pour la première fois, une mention particulière dans la section «GESTION ALTERNATIVE» qui concerne les Placements IPS et IPT, à savoir : «La valeur totale est égale à la valeur garantie que vous recevrez à l’échéance de votre dépôt initial.  La valeur totale n’est pas égale à la valeur courante pour calculer la valeur de rachat de votre dépôt initial».

[40]        Selon Desjardins sécurité financière, cette mention, qui apparaît pour la première fois sur le relevé annuel du 1er janvier 2009, doit être considéré comme le point de départ de la prescription extinctive.  Cette information étant de nature à susciter un questionnement de la part d’une personne raisonnablement prudente.

[41]        Donc, messieurs Dupuis et Tremblay connaissaient l’existence de leur droit d’action, au mieux en ce qui les concerne depuis le mois de janvier 2009 et peut-être même depuis l’automne 2008, faisant en sorte que leur droit d’action était prescrit au mois de janvier 2012.

[42]        Pour appuyer ses prétentions, Desjardins sécurité financière se réfère à de nombreux cas de jurisprudence où l’on a considéré qu’un relevé de compte pouvait constituer un élément déclencheur de la prescription extinctive.

[43]        La situation peut se prêter à une telle solution lorsqu’un relevé de compte indique erronément des dépenses à l’égard desquelles on recherche le remboursement.

[44]        Ici, la question est toute autre !

[45]        D’une part, le simple fait d’alléguer que Desjardins sécurité financière ne s’est pas conformée à ses représentations et qu’elle a contrevenu à ses obligations d’information et de gestion ne constitue pas en soi une preuve de la faute.  Encore faut-il prouver en quoi et comment Desjardins sécurité financière a-t-elle contrevenu à ses obligations, de même que le lien de causalité entre cette contravention et le préjudice allégué.

[46]        D’autre part, la mention que l’on retrouve au relevé annuel du 1er janvier 2009 peut possiblement indiquer que le détenteur des placements concernés subira à échéance un préjudice, soit l’absence de rendement.

[47]        Mais, cette mention n’indique d’aucune façon l’existence d’une faute, qui, par ailleurs, doit être prouvée (art. 2803 C.c.Q.).  De plus, cette mention ne peut, à elle seule, éveiller un soupçon de l’existence d’une faute.

[48]        Tout cela résultera d’une analyse exhaustive d’une preuve plus complète.  Comme l’enseignent à juste titre les auteurs Baudouin et Deslauriers, «On doit donc […] partir du jour où une victime raisonnablement prudente et avertie pouvait soupçonner le lien entre le préjudice et la faute».

[49]        Ce jour, qui n’est pas pour le moment connu, mais dont la connaissance résultera nécessairement de l’analyse de la preuve, est celui où le droit d’action aura pris naissance et fixera le point de départ de la prescription extinctive tant en ce qui concerne l’ajout de Desjardins gestion d’actifs à titre de partie intimée que les Placements ISP et IPT comportant des termes inférieurs à 5.75 ans.

[50]        Cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas exister de situation où l’on peut à bon droit refuser un amendement qui ferait revivre un droit prescrit.  Mais tel n’est pas ici le cas.  Le préjudice subi par messieurs Dupuis et Tremblay, s’il en est un, est connu.  Mais, l’identification de la faute et le moment où ils ont soupçonné le lien entre cette faute et le préjudice allégué n’apparaît pas pour l’instant des faits énoncés à la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif, ni des pièces communiquées.

[51]        Considérant ce qui précède, les amendements proposés ne sont pas inutiles, contraires aux intérêts de la justice et il n’en résulte pas de demande entièrement nouvelle sans rapport avec la demande originaire.

[52]        De plus, ces amendements s’inscrivent dans le contexte des critères de l’article 1003 C.p.c. qui devront être analysés lors de la présentation de la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et que soit désigné un représentant.

[53]        POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[54]        ACCUEILLE la requête pour permission d’amender la requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour que soit désigné un représentant ;

[55]        PERMET aux requérants, messieurs Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay, d’amender les allégations et conclusions de leur requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour que soit désigné un représentant, selon la requête amendée jointe à la requête visant à obtenir la permission d’amender (Pièce R-1) ;

[56]        DISPENSE messieurs Jean-Paul Dupuis et Francis Tremblay de signifier la requête amendée pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour que soit désigné un représentant, celle-ci ayant déjà été produite au dossier et signifiée en date du 2 mars 2012 

[57]        LE TOUT, avec dépens.

 

 

 

 

 

BERNARD GODBOUT, j.c.s.

 

Me Guy Paquette

Me Mathieu Charest-Beaudry et

Me Claudiane Tremblay

Paquette Gadler

300, place d’Youville, bureau B-10

Procureurs ad litem des requérants

 

Me Suzanne Gagné et

Me Youri Cousineau

Létourneau Gagné (casier 158)

Procureurs-conseil des requérants

 

Me François Lebeau

Me Lise Labelle

Unterberg, Labelle, Lebeau

1980, rue Sherbrooke Ouest, bur. 700

Montréal (Québec)  H3H 1E8

Procureurs-conseils des requérants

Me Mason Poplaw

Me Chantal Tremblay et

Me Sandra Desjardins

McCarthy Tétrault

1000, de la Gauchetière Ouest, bur. 2500

Montréal (Québec)  H3B 0A2

Procureur de l’intimée

Desjardins sécurité financière, compagnie d’assurance vie

 



[1]     Requête pour autorisation d’exercer un recours collectif et pour que soit désigné un représentant, art. 3 et 4.

[2]     Id, art. 6.

[3]     Art. 1010.1 C.p.c. : «À moins que le contexte n'indique un sens différent, les dispositions du Titre III s'appliquent, avec les adaptations nécessaires, au présent Titre

Art. 1016 C.p.c. : «Le représentant ne peut amender un acte de procédure, se désister totalement ou partiellement de la demande, d'un acte de procédure ou d'un jugement, sans l'autorisation du tribunal et qu'aux conditions que celui-ci estime nécessaires

[4]     Art. 1051 C.p.c. : «Les dispositions des autres livres du présent code incompatibles avec le présent Livre, notamment le deuxième alinéa de l'article 172 et les articles 270 à 272 et 382 à 394, ne s'appliquent pas aux demandes pour les fins desquelles on exerce le recours collectif

[5]     Art. 1003 C.p.c. : «Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:
a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;
c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que

d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres

[6]     Jean-Louis Baudouin, Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 7èéd, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 1185.

[7]     Id., p. 1195 et 1198.

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