St-Denis Thompson inc. |
2014 QCCLP 209 |
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[1] Le 5 août 2013, St-Denis Thompson inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue le 17 juillet 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 13 juin 2013 et déclare que l'imputation au dossier de l’employeur demeure inchangée.
[3] Le 12 décembre 2013, une audience est tenue à Saint-Jérôme en présence de la procureure de l’employeur. Le dossier a été pris en délibéré le jour même.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de
remplacement du revenu versée à monsieur Rino Pelletier (le travailleur) sur la
base du salaire brut annuel qu’il gagnait au moment où il a subi sa lésion
professionnelle du 6 octobre 2010, le tout conformément à l'article
LES FAITS
[5] Le 6 octobre 2010, le travailleur occupe un emploi de camionneur et est victime d’un accident du travail. À la suite de cet événement, la CSST accepte les diagnostics de tendinite de l’épaule droite, bursite, déchirure de la coiffe des rotateurs et déchirure du sous-scapulaire.
[6] Cette lésion professionnelle est consolidée au 22 mars 2012 avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[7] Le 6 juin 2012, l’employeur dépose à la CSST une demande de transfert de coût au motif qu’il est obéré injustement par l’imputation du coût de l’indemnité de remplacement du revenu reliée à cette lésion professionnelle. Il souligne avoir été informé en date du 1er juin 2012 qu’il assumait le salaire bonifié en lien avec un événement du 18 août 2004. Il ajoute qu’au cours des 12 derniers mois avant la survenance de l’accident du travail du 6 octobre 2010, le travailleur avait gagné un revenu brut de 46 441,00 $. Il a donc constaté que la base salariale du travailleur avait été bonifiée avec l’indemnité réduite de remplacement du revenu qui découle de l’événement antérieur.
[8]
Cette demande a été refusée par la CSST de telle sorte qu’une décision a été rendue à la suite d’une révision administrative. Dans cette décision, la CSST constate que l’employeur a soumis sa demande en dehors du délai prévu à l’article
[9] À l’audience, la procureure de l’employeur réitère qu’au cours des 12 derniers mois avant la survenance de l’accident du travail du 6 octobre 2010, le travailleur avait gagné un revenu brut de 46 441,00 $.
[10] Par ailleurs, le dossier comporte une note d’une agente d’indemnisation de la CSST datée du 23 septembre 2011 où celle-ci déclare prendre en considération le fait que le travailleur recevait une indemnité réduite de remplacement du revenu. Dans ce contexte, elle souligne que la base de salaire a été modifiée afin de tenir compte de cette situation et qu’elle s’élève désormais à 62 126,84 $.
[11] Il s’agit là de la base de salaire du travailleur au moment de son accident du travail du 18 août 2004. À la suite de cet événement, la CSST a reconnu que le travailleur demeurait avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Elle a alors déterminé un emploi convenable que le travailleur pouvait occuper chez son employeur, soit celui qu’il occupait au moment de l’événement du 6 octobre 2010.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[12] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur doit être imputé de l’ensemble du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur en lien avec sa lésion professionnelle survenue le 6 octobre 2010.
[13]
Le principe général en matière d’imputation du coût des prestations est
édicté à l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[14]
Dans le présent dossier, l’employeur reconnait que la CSST est justifiée d’appliquer l’article
[15] Par contre, le dossier démontre qu’au cours des douze derniers mois précédant sa lésion professionnelle du 6 octobre 2010, le travailleur avait gagné un revenu brut de 46 441,00 $.
[16]
L’employeur invoque le premier alinéa de l’article
[17]
Tel que le souligne la procureure de l’employeur, il existe deux
courants jurisprudentiels quant à l’interprétation de la situation dans
laquelle se retrouve l’employeur en lien avec l’application de l’article
[18]
L’article
73. Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.
L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 73.
[19]
Dans l’affaire Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[2],
le tribunal souligne l’existence de ces deux courants jurisprudentiels. Il
précise que selon le courant majoritaire alors en vigueur, il n’y a pas lieu de
soustraire la portion du coût des prestations du dossier financier de
l’employeur dans des circonstances semblables puisque le fait que le
travailleur reçoive une indemnité de remplacement du revenu plus élevée que le
revenu brut gagné au moment de la survenance de la lésion professionnelle
résulte des effets de l’application de l’article
[20] Or, il ne retient pas cette interprétation et soumet plutôt ce qui suit :
[35] Il appert de ces dispositions que le législateur fait clairement une différence entre les lésions imputables à l’employeur et les lésions antérieures imputables aux autres employeurs. Il est donc tout à fait injuste de faire supporter au présent employeur le coût des prestations déjà imputées à un autre employeur, pour lesquelles la CSST a déjà facturé à cet employeur avec des provisions actuarielles nécessaires au paiement des prestations versées.
[36] Les dispositions ayant trait au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu font partie d’un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle. Les dispositions quant au financement visent plutôt à imputer les prestations qui sont attribuables aux lésions professionnelles au dossier de l’employeur responsable.
[37] À l’instar de la décision dans l’affaire J.M.
Bouchard & Fils inc., le présent tribunal se distingue également de la
thèse majoritaire en ce qu’une telle interprétation ne tient pas compte du
contexte global des dispositions relativement au financement du régime dans son
interprétation de la notion de prestations à l’alinéa 1 de l’article
[38] Au surplus, une telle interprétation entraîne un effet pervers allant à l’encontre de l’objectif de réadaptation prévu à la loi. En effet, il est déjà difficile pour un travailleur de se trouver un emploi convenable lorsqu’il a des limitations fonctionnelles. Si on impose un possible fardeau financier à un employeur subséquent en lui imputant les indemnités de remplacement du revenu réduites résultant d’un accident du travail dont il n’est pas responsable, on ne facilitera pas la tâche du travailleur dans la recherche d’un emploi sur le marché du travail.
[21]
Le tribunal a donc retenu l’interprétation décrite dans l’affaire J.M.
Bouchard & Fils inc.[3], et considéré
qu’il y avait lieu d’interpréter l’article
[22] Par la suite, le tribunal a rendu plusieurs décisions au même effet, dont l’affaire Serres Serge Lacoste 2000 inc[4] ainsi que l’affaire Les Entreprises Cafection inc.[5]. Dans cette dernière affaire, le tribunal fait une revue de la jurisprudence et soumet ce qui suit :
[29] D’autres décisions de la Commission des lésions professionnelles ont adopté ce courant jurisprudentiel9.
[30] À vrai dire, selon la vérification faite par le soussigné, 14 juges administratifs ont adhéré à cette position depuis la décision rendue dans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc. précitée, et seulement quatre autres ont plutôt adopté la position traditionnelle.
[31] Par application de ces principes auxquels le soussigné adhère et pour les motifs exprimés notamment dans la décision du juge administratif Gagnon-Grégoire précitée, le tribunal estime que les prestations versées en raison de la lésion professionnelle antérieure du travailleur ne sont pas dues en raison de l’accident du travail subi chez le présent employeur, de telle sorte que ce dernier ne doit pas être imputé de ces coûts.
[32] Si le travailleur n’avait pas subi de lésion
professionnelle antérieurement à celle sous étude, l’indemnité de remplacement
du revenu aurait été fixée en tenant compte de son contrat de travail chez
l’employeur, sous réserve des dispositions de l’article
65. Aux fins du calcul de l'indemnité de remplacement du revenu, le revenu brut annuel d'emploi ne peut être inférieur au revenu brut annuel déterminé sur la base du salaire minimum en vigueur lorsque se manifeste la lésion professionnelle ni supérieur au maximum annuel assurable en vigueur à ce moment.
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1985, c. 6, a. 65.
[33] C’est en raison de
l’existence d’une lésion professionnelle antérieure, survenue chez un autre
employeur, que le travailleur bénéficie d’une indemnité réduite de remplacement
du revenu et qu’il a donc droit à une indemnité basée sur les dispositions de
l’article
[34] Selon le tribunal,
cette augmentation de l’indemnité de remplacement du revenu, attribuable au
versement d’une indemnité réduite de remplacement du revenu préalablement à la
survenance de la lésion professionnelle en cause, est totalement étrangère à la
lésion professionnelle subie chez l’employeur. Il s’agit plutôt d’un bénéfice
attribuable au fait que le travailleur avait subi une lésion professionnelle
antérieurement, de sorte que les sommes qui y sont relatives ne doivent pas lui
être imputées en vertu du principe prévu au premier alinéa de l’article
[35] Le deuxième alinéa de
l’article
[36] N’eût été de la lésion survenue chez l’employeur, le travailleur aurait continué à recevoir l’indemnité réduite de remplacement du revenu pour laquelle le premier employeur aurait continué à être imputé. La survenance d’une nouvelle lésion professionnelle a tout chambardé puisque le législateur a décidé, pour des raisons qui sont les siennes, de mettre alors un terme à l’indemnité réduite de remplacement du revenu et d’indemniser le travailleur chez le nouvel employeur en tenant compte des indemnités qu’il recevait antérieurement. Ceci illustre, encore une fois, que le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu qui tient compte de sommes supplémentaires à celles prévues au contrat de travail du travailleur sont reliées à une lésion antérieure et non à celle survenue chez l’employeur.
[37] Imputer la totalité des
sommes à l’employeur, en pareil cas, reviendrait à contredire les termes de
l’article
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[38] L’iniquité de la situation saute aux yeux lorsqu’on constate que le travailleur tirait un revenu brut de 10 280,00 $ de son emploi chez l’employeur, alors que la base salariale du travailleur retenue pour indemniser la lésion professionnelle subie chez l’employeur a été calculée sur une base de 51 882,47 $. Il s’agit d’une disproportion spectaculaire.
[39] Le soussigné n’est pas insensible aux arguments des juges administratifs ayant décidé de suivre le courant maintenant minoritaire. Comme dans la majorité des cas, il n’y a rien de noir ou de blanc et les tenants de l’autre courant ont soulevé des arguments intéressants et valables.
[40] Cependant, un motif additionnel pour lequel le soussigné adhère au courant plus récent est qu’il est présentement retenu par une nette majorité de juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles. Le soussigné croit qu’il est essentiel de faire preuve d’un souci de cohérence et d’éviter l’incertitude que recèle l’incohérence.
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9 2M Ressources inc.,
[23] Le tribunal adhère à cette interprétation qui s’avère conforme au texte de loi et aux règles d’interprétation de la loi. Ainsi, il y a lieu de distinguer le droit du travailleur à recevoir une indemnité de remplacement du revenu plus élevée de celui de l’employeur à se voir imputer la totalité du coût de cette indemnité. Tel que le souligne la jurisprudence, l’application d’une disposition quant au calcul de cette indemnité rencontre un objectif distinct de la loi visant la réparation des conséquences d’une lésion professionnelle, alors que les dispositions en matière de financement visent plutôt à imputer à l’employeur le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail survenu au travailleur.
[24] Dans ce contexte, l’employeur n’a pas à supporter la portion du coût de la prestation versée au travailleur qui découle d’une lésion professionnelle antérieure.
[25]
En application de l’article
[26] Ainsi, le tribunal est d’avis que seule la portion de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur correspondant au revenu annuel brut gagné chez l’employeur au cours des 12 derniers mois, soit 46 441,00 $, doit être imputée au dossier financier de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par St-Denis Thompson inc. (l’employeur) ;
INFIRME la décision rendue le 17 juillet 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative ;
DÉCLARE que l’employeur doit être imputé uniquement de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée à monsieur Rino Pelletier (le travailleur) correspondant au revenu brut annuel que celui-ci gagnait lorsqu’il a subi un accident du travail le 6 octobre 2010, soit 46 441,00 $.
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Daniel Martin |
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Me Priscilla Boisier |
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Gestess inc. |
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Représentante de la partie requérante |
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