Tafisa Canada inc. et Vallerand |
2015 QCCLP 253 |
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[1] Le 15 juillet 2014, Tafisa Canada inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles par l’intermédiaire de son représentant une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 10 juillet 2014 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par celle-ci, la CSST annule les décisions initiales du 11 avril 2014 et du 28 mai 2014. La décision du 11 avril 2014 confirme que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 3 février 2014 tandis que la décision du 28 mai 2014 confirme que la lésion du 5 février 2013 entraîne une atteinte permanente de 0 % et que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour préjudice corporel.
[3] Une audience est tenue à Sherbrooke, le 22 décembre 2014 en présence du représentant de l’employeur, du travailleur et de son représentant.
[4] En début d’audience, le travailleur se désiste de la contestation dans le dossier C.L.P. 547138-05-1407.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[5] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision du 10 juillet 2014 et de rétablir les décisions du 11 avril 2014 et du 28 mai 2014 afin de reconnaître que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 3 février 2014 et qu’il n’a pas droit à un pourcentage d’atteinte permanente ni à l’indemnité pour préjudice corporel.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations d’employeurs et des associations syndicales sont d’avis d’accueillir en partie la requête de l’employeur et de déclarer que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 3 février 2014 puisqu’il ne conserve aucune limitation fonctionnelle de la lésion professionnelle du 5 février 2013.
[7] Cependant, les membres sont d’avis que le travailleur a droit à un pourcentage d’atteinte permanente pour la hernie L4-L5 droite reconnue comme ayant été aggravée par l’événement accidentel. À cet effet, il y a lieu de reprendre le rapport du docteur Beaudoin sous l’angle de la conformité et d’attribuer un pourcentage de 2 % pour une hernie discale non opérée.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée d’annuler les décisions qui font suite au rapport décrivant l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles de la lésion professionnelle du 5 février 2013.
[9] Rappelons certains des faits qui permettent de comprendre le litige à partir du dossier et du témoignage entendu.
[10] Monsieur Vallerand est un mécanicien industriel à l’emploi de l’employeur depuis le 28 juillet 2008 lorsqu’il subit un accident du travail le 5 février 2013.
[11] Lors de cet événement, il subit une lésion cervico-dorso-lombaire ainsi qu’une lésion à l’épaule gauche après avoir voulu se retenir à la suite d’une perte d’équilibre tandis qu’il est attaché à un harnais à une hauteur de 20 pieds. Pour prévenir sa chute, il se retient avec son bras gauche à la conduite hydraulique tandis que son genou s’appuie sur les structures métalliques.
[12] À la suite de cette lésion, il est suivi par son médecin de famille, le docteur Jean F. Côté, qui le réfère à différents spécialistes. En plus de l’arrêt de travail, il est soigné par médication, séances de physiothérapie, infiltrations et épidurale thérapeutique.
[13] Des tests spécifiques sont également effectués le 3 mai 2013, à savoir une résonance magnétique de l’épaule gauche, de la colonne cervicale, de la colonne lombaire et un électromyogramme passé le 19 juin 2013.
[14] La CSST enclenche la procédure d’évaluation médicale en opposant le rapport médical du docteur Nadeau, médecin désigné par l’employeur, à celui du docteur Côté.
[15] Le 27 août 2013, le docteur Jean-Maurice D’Anjou signe un rapport à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Dans ce rapport, il retient les diagnostics d’entorse de l’épaule gauche, d’entorse cervico-dorso-lombaire et de hernie L4-L5 droite, lésions qu’il juge non consolidées.
[16] Pour retenir le diagnostic de hernie discale L4-L5 droite, il justifie sa position ainsi :
Finalement, le diagnostic d’hernie discale L4-L5 droite a été porté suite à une résonnance magnétique de la colonne lombaire faite le 3 mai 2013.
À noter que monsieur Vallerand décrivait une douleur lombaire basse dans les jours qui ont suivi le traumatisme avec installation d’une sciatalgie droite irradiant jusqu’à la face dorsale du pied droit.
Monsieur Vallerand nous informe que lors de sa visite médicale auprès du Dr Beaudoin le 5 avril 2013, il présentait déjà cette lombo-sciatalgie droite.
Par la suite, il y a eu grande amélioration de la lombo-sciatalgie par l’épidurale thérapeutique faite le 12 juillet 2013. À l’examen d’aujourd’hui, monsieur Vallerand ne présente plus de sciatalgie franche. La manoeuvre du Tripode était négative, tout comme le signe de Lasègue.
En tenant compte cependant de la symptomatologie décrite par monsieur Vallerand, c’est-à-dire la lombo-sciatalgie droite irradiant à la face dorsale du pied;
En tenant compte de la résonnance magnétique qui a démontré une hernie discale dans le territoire L4-L5 qui peut donner une douleur référée à la face dorsale du pied droit;
Et en tenant compte qu’il y a eu absence d’amélioration avec le bloc facettaire mais grande amélioration avec l’épidurale thérapeutique, je retiendrai le diagnostic d’hernie discale L4-L5 comme étant en relation avec l’événement du 5 février 2013.
[sic]
[17] Ce rapport du membre du Bureau d’évaluation médicale donne lieu aux décisions de la CSST du 3 septembre 2013 et du 3 octobre 2013 ainsi qu’à l’ouverture du dossier C.L.P. 524191-05-1310 puisque l’employeur a contesté la décision rendue en révision administrative.
[18] C’est dans ce contexte que le tribunal a entériné un accord entre les parties et rendu une décision le 28 mars 2014, laquelle confirme que les diagnostics de la lésion professionnelle sont une entorse de l’épaule gauche, une entorse cervico-dorso-lombaire et une hernie discale droite préexistante rendue symptomatique par l’événement accidentel du 5 février 2013.
[19] Le 3 février 2014, le docteur Côté remplit un rapport à l’attention de la CSST. Il consolide la lésion professionnelle et indique que celle-ci entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il rajoute cependant qu’il ne produira pas le rapport décrivant celles-ci et indique que le docteur Simon Beaudoin de St-Georges de Beauce fera cette évaluation.
[20] Sous cet aspect, le travailleur confirme à l’audience que le docteur Côté ne voulait pas faire le rapport décrivant les séquelles permanentes et qu’il l'a référé au docteur Beaudoin, médecin qui l’avait déjà examiné en mars 2013.
[21] Il souligne cependant que le docteur Beaudoin ne lui a pas dit ce qu’il mettrait dans son rapport lors de la consultation médicale du 6 mars 2014. Il admet cependant avoir reçu une copie de ce rapport.
[22] Dans ce rapport du docteur Beaudoin, celui-ci rapporte un examen objectif essentiellement normal tant au niveau de l’épaule gauche que de la région cervicale et dorsolombaire.
[23] Il accorde donc un pourcentage de 0 % pour une entorse de l’épaule gauche, 0 % pour une entorse cervicale sans séquelle fonctionnelle objectivée et 0 % pour une entorse dorsolombaire sans séquelle objectivée.
[24] Pour ce qui est du diagnostic de hernie discale, il relate qu’il s’agit d’un diagnostic qui semble davantage radiologique que clinique et il ne donne aucune concordance dans sa description des séquelles actuelles et des pourcentages octroyés.
[25] Après avoir reçu ce rapport, la CSST rend les décisions du 11 avril 2014 et du 28 mai 2014 et déclare le travailleur capable d’exercer son emploi et qu’il n’a droit à aucune indemnité pour préjudice corporel considérant le pourcentage d’atteinte permanente retenu qui est de 0 %.
[26] Ces décisions contestées par le travailleur donnent lieu à une révision administrative le 10 juillet 2014. Lors de cette révision, la CSST considère que les conclusions du docteur Beaudoin divergent de celles du docteur Côté quant à l’existence d’une atteinte permanente ainsi que de limitations fonctionnelles et qu’elle ne peut être liée par ce rapport d’évaluation médicale.
[27] L’agent de la CSST reprend cette analyse dans une note subséquente du 8 septembre 2014 et revient sur le rapport du 3 février 2014 du docteur Côté en indiquant que celui-ci n’a pas consolidé la hernie discale L4-L5 droite et que le travailleur a changé de médecin par la suite.
[28] Pour sa part, le tribunal ne peut faire cette interprétation selon le dossier tel que constitué puisque le docteur Côté, même s’il ne rapporte pas le diagnostic de hernie L4-L5 à son rapport, retient une date de consolidation pour la lésion professionnelle sans faire de distinction quant au fait que la hernie ne serait pas consolidée.
[29] Aussi, l’analyse de la CSST qui a précédé la décision rendue en révision administrative doit être confrontée à ce que prévoit réellement l’article 203 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) quant au type de rapport qui doit être produit pour établir l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles :
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
[30] Il est établi depuis longtemps, comme le confirme la jurisprudence déposée[2] par le représentant de l’employeur, que le formulaire appelé « rapport final » ne satisfait pas aux exigences prévues par l’article 203 de la loi.
[31] C’est donc dire que la simple affirmation ou négation de l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles n’est pas suffisante en soi puisqu’il faut en faire la description complète.
[32] Comme le reprend une autre affaire[3] déposée par le représentant de l’employeur, le seul fait pour un médecin d’indiquer qu’une lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles sans en préciser le pourcentage ni décrire les limitations fonctionnelles ne satisfait pas aux exigences de l’article 203 de la loi.
[33] Différentes hypothèses peuvent être avancées quant aux motifs qui poussent un médecin à décider de faire ou non cette évaluation des séquelles permanentes.
[34] Ce qui importe cependant est d’établir si le médecin qui refuse de faire le rapport a bel et bien délégué ses responsabilités à un autre médecin qui peut être considéré comme le médecin qui a charge aux fins de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles et aussi, s’il a respecté son mandat en procédant à une évaluation qui est conforme à la loi et aux règlements.
[35] Dans l’affaire qui nous intéresse, le tribunal estime que le docteur Côté a bel et bien délégué cette responsabilité au docteur Beaudoin, médecin qui avait déjà été consulté par le travailleur au cours du traitement de la lésion professionnelle.
[36] Le travailleur a accepté de rencontrer ce médecin suggéré par le docteur Côté et s’en est remis à ce dernier pour l’examen qui a servi à décrire l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[37] Le représentant du travailleur plaide que le docteur Beaudoin se devait d’informer le travailleur de ses conclusions médicales lors de la rencontre médicale. Il dépose à cet effet l’affaire Therrien et Menuiseries Nouveau Style inc.[4].
[38] Le tribunal n’est pas de cet avis et tient à faire les distinctions qui s’imposent.
[39] En premier lieu, notons que dans l’affaire Therrien et Menuiseries Nouveau Style inc. précitée[5], les faits diffèrent de ceux du présent dossier. Dans cette affaire reprise par le représentant du travailleur, le tribunal a relevé des contradictions dans le rapport du médecin évaluateur puisque ce dernier indiquait clairement que le travailleur conservait des limitations fonctionnelles lorsqu’il fait l’historique de la lésion alors que dans ses conclusions, il n’en indiquait pas.
[40] Au surplus, son examen objectif faisait ressortir des éléments positifs validant la retenue de limitations fonctionnelles, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas dans notre dossier puisque l’ensemble de l’examen est ressorti normal.
[41] Par ailleurs, le tribunal est plutôt d’avis, tel qu’il est repris dans une autre affaire[6] déposée par le représentant de l’employeur, qu’il faut faire un parallèle entre l’exigence d’informer le travailleur sans délai comme prévu à l’article 203 avec les obligations qui découlent de l’article 133 de la loi :
133. La Commission doit recouvrer le montant de l'indemnité de remplacement du revenu qu'un travailleur a reçu sans droit depuis la date de consolidation de sa lésion professionnelle, lorsque ce travailleur :
1° a été informé par le médecin qui en a charge de la date de consolidation de sa lésion et du fait qu'il n'en garde aucune limitation fonctionnelle; et
2° a fait défaut d'informer sans délai son employeur conformément au premier alinéa de l'article 274.
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1985, c. 6, a. 133.
[42] Ainsi, un travailleur dont la lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles doit être informé rapidement par son médecin pour informer à son tour son employeur et s’assurer que le retour au travail se fera rapidement tandis que de son côté, la CSST doit mettre fin à l’indemnité de remplacement du revenu.
[43] Ceci est d’autant plus vrai, qu’à l’inverse, le travailleur qui conserve des limitations fonctionnelles continuera de toucher l’indemnité de remplacement du revenu prévue et la CSST mettra en branle un processus de réadaptation professionnelle aussitôt qu’elle recevra le rapport du médecin évaluateur afin d’évaluer les mesures qui pourront le rendre capable d’exercer son emploi ou un emploi convenable.
[44] Le tribunal considère également qu’à partir du moment où un travailleur accepte d’être évalué par un médecin référé par le médecin qui a charge, il accepte que celui-ci soit le spécialiste de la santé qui est le mieux placé pour l’examiner et se prononcer sur les séquelles permanentes à retenir à moins que ce médecin ait dépassé le mandat confié en se prononçant sur d’autres questions médicales dont il n’est pas saisi, ce qui n’est vraisemblablement pas le cas dans la présente affaire.
[45] Dans ces conditions, le travailleur ne peut plus à cette étape contester les conclusions de ce médecin évaluateur sur la foi que celles-ci ne lui sont pas favorables puisque ceci reviendrait à dire qu’il conteste l’opinion du médecin qui a charge, ce que l’article 358 de la loi avec référence à l’article 224 ne permet pas de faire :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
[46] Par contre, le tribunal doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu comme le prévoit l’article 377 de la loi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[47] Selon la preuve analysée dans la présente affaire, la décision du 10 juillet 2014 apparaît mal fondée puisque la CSST aurait dû s’en remettre intégralement à l’opinion du docteur Beaudoin pour ce qui est de l’évaluation de l’atteinte permanente et des limitations fonctionnelles comme elle l’avait d’ailleurs fait lorsque les décisions initiales du 11 avril 2014 et du 28 mai 2014 furent rendues.
[48] Comme le tribunal doit rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, l’analyse de la conformité réglementaire du rapport du docteur Beaudoin doit être effectuée en se remettant aux conditions prévues au Règlement sur le barème des dommages corporels[7] (le règlement).
[49] Il s’agit d’une question juridique[8] qui doit être analysée tant par la CSST que par le tribunal afin de s’assurer que l’évaluation effectuée correspond bien à ce qui est prévu par le règlement.
[50] À cet effet, le tribunal note l’absence d’indication au dossier que cet aspect a été évalué par l’agent qui a analysé le dossier le 10 avril 2014. Il y a absence d’indication aux notes évolutives et de référence à une consultation avec le médecin du service médical.
[51] L’agent reproduit dans ses notes évolutives les trois codes retenus par le docteur Beaudoin pour ce qui est de l’entorse à l’épaule gauche, l’entorse cervicale et l’entorse dorsolombaire, mais n’inscrit aucun code pour ce qui est de la hernie reconnue.
[52] Le tribunal considère qu’un pourcentage aurait dû être rajouté par le docteur Beaudoin pour ce qui est du diagnostic de hernie L4-L5.
[53] Par le commentaire du docteur Beaudoin, il faut comprendre que celui-ci en traite comme si le diagnostic de hernie discale L4-L5 n’avait pas été reconnu d’une manière juridique comme étant en lien avec l’événement du 5 février 2013.
[54] Or, cette façon de procéder fait abstraction de la reconnaissance légale qui découle de l’entente intervenue entre les parties le 25 mars 2014, laquelle fut entérinée par le tribunal le 28 mars 2014.
[55] Comme le mentionne le tribunal dans l’affaire Jalbert et Chantier naval Matane inc.[9], la jurisprudence établit qu’un diagnostic de hernie discale ne peut être posé en général qu’en présence de signes cliniques d’une telle hernie et une image radiologique de hernie discale doit trouver sa correspondance sur le plan clinique pour que ce diagnostic puisse être retenu.
[56] Le tribunal retient donc que la hernie L4-L5 qui s’est rajoutée au dossier à la suite de la procédure d’évaluation médicale d’août 2013 ne pouvait qu’avoir une concordance clinique sinon elle n’aurait jamais fait partie des diagnostics reconnus en lien avec la lésion professionnelle.
[57] Au surplus, il est admis par toutes les parties que celle-ci, bien que préexistante, a été aggravée par l’événement accidentel du 5 février 2013.
[58] Dans ce contexte, le tribunal considère après une révision du règlement et malgré un examen objectif normal et l’absence de limitations fonctionnelles, qu’un pourcentage de 2 % aurait dû être octroyé pour cette hernie discale non opérée, mais prouvée cliniquement par des tests spécifiques.
[59] C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrivait le tribunal dans une autre affaire[10] lorsqu’il a consenti à accorder un déficit anatomo-physiologique de 2 % dans un dossier pour lequel un diagnostic de hernie discale avait été reconnu légalement alors que l’examen objectif s’avérait normal et qu’aucune limitation fonctionnelle ne pouvait être reconnue.
[60] La revue du règlement permet de constater que le législateur n’a pas prévu un pourcentage inférieur à 2 % pour une hernie reconnue qui n’entraîne pas de séquelles permanentes, contrairement à ce qu’il prévoit dans le cas d’une entorse alors que celle-ci peut justifier l’attribution d’un déficit anatomophysiologique de 0 % si elle n’entraîne pas de séquelles fonctionnelles objectivées et 2 % avec séquelles fonctionnelles objectivées.
[61] À ce pourcentage de déficit anatomo-physiologique de 2 % pour la hernie discale doit être rajouté 0,2 % pour douleur et perte de jouissance de la vie qui résulte du déficit anatomo-physiologique, le tout conformément à ce que prévoit le règlement pour une atteinte permanente de 2,2 %.
[62] Le tribunal retient donc qu’en raison de la date de consolidation fixée et l’absence de limitation fonctionnelle retenue par le docteur Beaudoin, le travailleur était capable d’exercer son emploi en date du 3 février 2014.
[63] Il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date comme le prévoit l’article 44 de la loi puisque la présomption d’incapacité prévue par l’article 46 ne trouve plus application et que la lésion est consolidée sans limitations fonctionnelles :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
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1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
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1985, c. 6, a. 46.
[64] Quant à la nouvelle situation médicale décrite à l’audience par le travailleur et qui était reprise en partie au dossier dans les notes de l’agent du 5 mai 2014, le tribunal n’est pas saisi de cette question qui pourra maintenant être débattue devant les instances concernées puisque selon les renseignements recueillis, le tribunal comprend que la CSST ne s’est pas encore prononcée sur cet épisode distinct envisageant plutôt que la lésion professionnelle du 5 février 2013 n’était pas consolidée, situation qui est maintenant clarifiée par la présente décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE EN PARTIE la requête de l’employeur, Tafisa Canada inc.;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 juillet 2014 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Jean-François Vallerand, le travailleur, conserve une atteinte permanente de 2,2 % pour une hernie L4-L5 non opérée, 0 % pour une entorse de l’épaule gauche, 0 % pour une entorse cervicale sans séquelle fonctionnelle objectivée et 0 % pour une entorse dorsolombaire sans séquelle objectivée;
DÉCLARE que le travailleur ne conserve pas de limitation fonctionnelle et qu’il est capable d’exercer son emploi à compter du 3 février 2014;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à une indemnité de remplacement du revenu depuis le 3 février 2014, mais qu’il a droit à une indemnité pour dommages corporels;
RETOURNE le dossier à la CSST pour traitement approprié, dont le calcul du montant d’indemnité pour dommages corporels auquel le travailleur a droit en lien avec la lésion professionnelle du 5 février 2013.
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Michel Claude Gagnon |
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Me Louis Ste-Marie |
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CAIN LAMARRE CASGRAIN WELLS |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Bernard McNicoll |
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UNIFOR (S.D.A.T.) |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Colgan et Centre d’accueil Champlain Marie-Victorin, C.A.L.P. 22005-60-9009, 24 juillet 1992, J. L’Heureux.
[3] Service d’entretien Distinction inc. et Samarthe Charles, 2013 QCCLP 7161;
[4] 2010 QCCLP 6135.
[5] Id.
[6] Trudel et Transelec/Common inc., C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois.
[7] RLRQ, c. A-3.001, r. 2.
[8] Voir à cet effet la décision dans l’affaire Centre hospitalier Robert Giffard et Gariépy, C.L.P. 263492-32-0506, 16 novembre 2005, C. Lessard.
[9] C.L.P. 287233-01A-0604, 12 juin 2008, N. Michaud.
[10] Casabon et Machineries Pronovost inc., C.L.P. 248297-04-0411, 3 juin 2005, D. Lajoie.
AVIS :
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