Services de gestion Quantum ltée et Groupe Sani-Gestion inc. (division enfouissement sanitaire) |
2008 QCCLP 5711 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 22 novembre 2007, Service de Gestion Quantum ltée (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une contestation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 15 novembre 2007, suite à une révision administrative du dossier.
[2] Par cette décision, la CSST refuse le transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur François Lemieux (le travailleur), le 29 septembre 2004, en concluant que les dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ne peuvent bénéficier à l’employeur, le tout dans le cadre d’une lésion professionnelle résultant de la faute d’un tiers.
[3] La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Québec, le 2 juin 2008. Les représentants de Services de Gestion Quantum ltée et de Groupe Sani-Gestion inc. étaient présents.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision contestée et de déclarer qu’il a le droit d’obtenir le transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle de son travailleur, le tout en application de l’article 326, alinéa 2 de la loi.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a le droit d’obtenir, en application de l’article 326 de la loi, un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par son travailleur, le tout en application de l’exception contenue à l’article 326, alinéa 2.
[6] À l’article 326, on retrouve le principe général d’imputation, le tout comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Dès lors, conformément au premier alinéa de l’article 326, la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.
[8] D’autre part, au second alinéa de l’article 326, le législateur ajoute que la CSST ou l’employeur peut demander un transfert de l’imputation du coût des prestations lorsque l’accident du travail dont a été victime son travailleur a pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers.
[9] Sur ce sujet, la Commission des lésions professionnelles rappelle que les commissaires Jean-François Clément, Diane Lajoie et Jean-François Martel, réunis en banc de trois, ont rendu une décision conséquente dans l’affaire Ministère des Transports et Commission de la santé et de la sécurité du travail[2], le 28 mars 2008.
[10] Cette longue décision procède à une revue complète de la jurisprudence sur le sujet et énonce, finalement, les conditions d’application de l’exception prévue au second alinéa de l’article 326 de la loi.
[11] Quant à ces conditions, elles se résument comme suit :
a) qu’il y ait eu un accident du travail;
b) que l’accident du travail est attribuable à un tiers;
c) l’effet injuste de l’imputation
[12] Plus spécifiquement, la revue de ces critères, particulièrement quant aux second et au troisième, nécessite les précisions suivantes.
[13] À cette décision, on définit le tiers comme suit :
« […]
[276] Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Ainsi, par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.
[…] »
_____________
201 Cette description des « collègues de travail » s’inspire des termes utilisés au paragraphe introductif de la définition de travailleur énoncée à l’article 2 de la loi ainsi que des termes utilisés aux articles 439 et 441.
[14] Quant à l’effet injuste de l’imputation, les commissaires retiennent, dans un premier temps, la position fortement majoritaire de la Commission des lésions professionnelles à l’effet de retenir la notion de risque inhérent.
[15] Sur ce sujet, ils indiquent :
« […]
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[…] »
____________
215 À ce sujet, voir Petit Larousse illustré, éditions Larousse, Paris, 207, p. 582; le nouveau Petit Robert, éditions Le Robert, Paris, 2008, p. 1332
[16] Plus loin, les commissaires ajoutent :
« […]
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[…] »
[17] La Commission des lésions professionnelles ajoute qu’elle partage totalement la position retenue dans cette décision par le tribunal.
[18] Des documents au dossier ainsi que de la preuve administrée à l’audience, la Commission des lésions professionnelles rappelle les éléments pertinents de la preuve.
[19] Monsieur François Lemieux est lié par contrat de travail avec l’entreprise Services de Gestion Quantum ltée. Il s’agit d’une entreprise qui œuvre dans le secteur de la location de personnel.
[20] Conformément à la preuve au dossier, la compagnie Groupe Sani-Gestion inc., division enfouissement sanitaire, a requis les services d’un journalier à la firme Ancia avec qui elle est liée par contrat pour engager du personnel journalier.
[21] Or, selon les informations au dossier, cette firme avait une entente en partenariat avec la compagnie de l’employeur, en l’occurrence Quantum.
[22] Dès lors, le travailleur fut affecté sur l’équipement de tri depuis le début du mois de juillet 2004.
[23] La firme Sani-Gestion débutait ses activités de tri, sur le site d’enfouissement, à la même date.
[24] Ajoutons que le travailleur n’a reçu aucune formation spécifique quant au fonctionnement de la machine, s’étant formé par lui-même et l’aide d’un autre travailleur.
[25] Selon un rapport d’intervention complété par la CSST, plus particulièrement par l’inspecteur Michel Thomassin, le ou vers le 29 octobre 2004, on conclut que l’engrenage du convoyeur, du côté droit, c'est-à-dire du côté où est survenu l’accident, n’était pas protégé et était à un mètre du plan de travail.
[26] Du côté gauche, l’engrenage du convoyeur était également non protégé et était à moins de 15 centimètres du plan de travail.
[27] En conséquence, l’inspecteur a émis différentes dérogations rapportées à son rapport, de protéger les zones dangereuses de coincement, de munir de garde-corps les plateformes et de modifier les échelles d’accès.
[28] Par ailleurs, le travailleur fut victime d’un grave accident du travail, le 29 septembre 2004, alors qu’il subit l’amputation du tiers proximal de l’avant-bras gauche au-dessus de la tubérosité bicipitale du radius.
[29] C’est donc dans ce contexte que l’employeur demande un transfert de l’imputation du coût des prestations.
[30] À la décision contestée, la CSST conclut que Sani-Gestion constitue un tiers par rapport au lien juridique qui existe entre l’employeur et le travailleur. On ajoute que la preuve a démontré qu’il s’agissait bien d’un cas où la responsabilité du tiers était engagée de façon déterminante dans l’apparition de la lésion professionnelle.
[31] Ces deux questions ne sont pas en litige.
[32] La Commission des lésions professionnelles ajoute que sur ce sujet, les deux premiers éléments d’application de l’article 326, alinéa 2, sont satisfaits en ce que le travailleur fut victime d’une lésion professionnelle qui est attribuable, de façon déterminante, à la responsabilité d’un tiers.
[33] Sur la notion de tiers, rappelons les dispositions de l’article 5 de la loi :
5. L'employeur qui loue ou prête les services d'un travailleur à son emploi demeure l'employeur de ce travailleur aux fins de la présente loi.
La personne qui, aux fins de son établissement, utilise un travailleur dont les services lui sont loués ou prêtés est réputée être un employeur, pour l'application de l'article 316, même si elle n'a pas de travailleurs à son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 5; 2006, c. 53, a. 2.
[34] Conformément à cet article, l’employeur qui loue ou prête les services d’un travailleur à son emploi demeure l’employeur de ce travailleur aux fins de la présente loi.
[35] Dans ce contexte, Sani-Gestion constitue donc bien un tiers.
[36] D’autre part, conformément à la cause précitée, on doit décider des risques particuliers ou inhérents qui se rattachent à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.
[37] Sur ce sujet, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de la jurisprudence déposée par les parties.
[38] La Commission des lésions professionnelles rappelle que dans le contexte de la location de personnel, il convient d’assimiler les risques inhérents à l’activité économique de l’employeur qui loue les services de l’employé.
[39] En d’autres mots, lorsque le travailleur est allé travailler chez Sani-Gestion, à titre de journalier dans le domaine du tri de récupération sur un site d’enfouissement, il devient exposé à tous les risques inhérents à cette activité qui, par assimilation, deviennent ceux de Quantum.
[40] L’on ne peut prétendre que les seuls risques afférents à l’activité de Quantum pourraient s’appliquer à leurs travailleurs.
[41] D’autre part, la preuve a démontré qu’il s’agissait, pour Sani-Gestion, d’un nouveau secteur d’activités, ouvert depuis juillet 2004.
[42] Les nouveaux équipements installés comportaient sans nul doute différents problèmes qui multipliaient les risques que survienne un tel accident sur les lieux de travail.
[43] Le rapport d’inspection sur ce sujet démontre des dérogations réglementaires et a résulté en un avis de correction auquel s’est pliée la compagnie Sani-Gestion inc.
[44] D’autre part, on souligne que le travailleur n’avait reçu aucune formation spécifique chez Sani-Gestion. Plutôt, il a pris son expérience sur les lieux de travail par l’exécution de son travail.
[45] Bien plus, la mécanique du fait accidentel résulte directement des manquements aux règles réglementaires.
[46] Ces éléments rejoignent les critères énoncés dans l’affaire ministère des Transports précitée, particulièrement lorsque l’on analyse les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare ou exceptionnel, par exemple les cas de guets-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention aux règles législatives, réglementaires ou de l’art.
[47] Ici, la preuve a établi qu’il y avait contravention à une règle réglementaire ainsi qu’une règle de l’art, que l’on peut qualifier de fondamentale.
[48] Les circonstances du présent accident sont, à notre humble avis, vu ce contexte, à replacer dans un contexte exceptionnel.
[49] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur a le droit d’obtenir un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à cette lésion professionnelle. Ce transfert doit s’effectuer vers l’unité de classification à laquelle appartient la firme Sani-Gestion.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la contestation déposée par Services de Gestion Quantum ltée, l’employeur, le 22 novembre 2007;
INFIRME la décision émise par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 15 novembre 2007;
DÉCLARE que Services de Gestion Quantum ltée a le droit d’obtenir le transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par son travailleur, monsieur François Lemieux, le tout en application de l’article 326 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles;
DÉCLARE que ce transfert de l’imputation doit s’effectuer vers l’unité à laquelle appartient la firme Groupe Sani-Gestion.
|
|
|
PIERRE SIMARD |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Jean-François Martin |
|
DUFRESNE HÉBERT COMEAU |
|
Représentant de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Claude Rochon |
|
STEIN MONAST, s.e.n.c.r.l. |
|
Représentant de la partie intéressée |
|
|
|
|
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.