Décision

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Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Ordre des ingénieurs du Québec c. Gilbert

2016 QCCA 1323

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-008336-148

(200-17-014321-111)

 

DATE :

17 août 2016

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

JULIE DUTIL, J.C.A.

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

ORDRE DES INGÉNIEURS DU QUÉBEC

LOUIS TREMBLAY et ANDRÉ PRUD’HOMME, ès qualités de syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec

APPELANTS - Défendeurs

c.

 

YVES GILBERT

INTIMÉ - Demandeur

et

GINETTE LUSSIER-PRICE, FCPA, FCA, ès qualités de syndic de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec

INTERVENANTE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 9 avril 2014 par la Cour supérieure, district de Québec (l'honorable Jean-François Émond), qui a accueilli en partie le recours de l’intimé et condamné les appelants à lui payer 100 517,37 $, avec l’intérêt légal depuis l’assignation;

[2]           Pour les motifs du juge Rochette, auxquels souscrivent les juges Dutil et Giroux, LA COUR :

[3]           Accueille l'appel à la seule fin d’exclure l’appelant André Prud’Homme de la condamnation en dommages et de rejeter le recours introductif d’instance quant à lui, avec les frais de justice contre les appelants en raison du caractère négligeable de cette détermination dans le litige engagé entre les parties.

 

 

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

JULIE DUTIL, J.C.A.

 

 

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

Me François Montfils et Me Jean-Simon Britten

THERRIEN, COUTURE AVOCATS

Pour les appelants

 

Me Pierre Daignault

Pierre Daignault Avocat

Pour l’intimé

 

Mes Marie-Claude Sarrazin et Sophie Gratton

SARRAZIN, PLOURDE

Pour l’intervenante

 

Date d’audience :

12 avril 2016



 

 

MOTIFS DU JUGE ROCHETTE

 

 

[4]           Au printemps 2004, les services de l’intimé sont retenus par une entreprise  faisant affaires sous le nom de Chalet Canbec [Canbec].  Elle le mandate pour réaliser une contre-expertise dans un litige civil l’opposant à M. Yves Bergevin [Bergevin], insatisfait de l’achat d’un chalet en bois rond.  Au soutien de sa réclamation, Bergevin invoque un rapport d’expert réalisé par M. Yves Hudon [Hudon], un ingénieur, selon lequel le chalet est une perte totale.  L’intimé étudie la question et rédige un rapport, daté du 22 septembre 2004.  Il conclut que des réparations d’environ 8 000 $ permettraient de corriger les anomalies.

[5]           Bergevin dépose alors une première plainte contre l’intimé auprès de l’Ordre des ingénieurs [Ordre].  Il lui reproche d’avoir fourni un rapport de complaisance.  Cette plainte est rejetée par le syndic appelant Louis Tremblay le 4 juillet 2005. 

[6]           Quelques jours plus tôt[1], une transaction est intervenue entre Canbec et Bergevin.  Elle est homologuée par la Cour supérieure le 22 juin 2005.  Aux termes de celle-ci, Canbec s’engage à réaliser des travaux correctifs «sur la base d’un devis préparé par l’ingénieur Gilbert conformément aux recommandations figurant dans son rapport de septembre 2004[2]».  L’intimé confirmera par écrit «que les travaux prévus dans son devis ont été réalisés»[3], tout en précisant qu’il n’avait pas le mandat de les superviser[4].

[7]           Le 27 septembre 2005, après avoir effectué une visite des lieux, l’intimé rédige effectivement un rapport d’attestation de la fin des travaux.  Le 19 octobre suivant, Bergevin dépose une seconde plainte auprès de l’Ordre.  Il soutient que les travaux réalisés sont non-conformes, voire dangereux.  Il y joint le devis de l’intimé, son rapport d’attestation et des photos du chalet.

[8]           Sur réception de la plainte, le syndic Tremblay tente de rencontrer Bergevin, sans succès puisqu’il est à l’étranger.  Le 22 novembre 2005, il rejoint toutefois Hudon au chalet de Bergevin.  La rencontre dure environ une heure.  Hudon lui remet un rapport faisant état de ses observations sur la non-conformité des travaux proposés et validés par l’intimé.  Le 12 décembre 2005, le syndic Tremblay retient les services de M. Michel St-Germain [St-Germain], un autre ingénieur, pour avoir son avis sur la conformité des travaux suggérés par l’intimé et pour qu’il réponde plus précisément à huit questions. 

[9]           Le 20 décembre 2005, St-Germain visite les lieux.  Le 4 janvier 2006, il rédige un rapport préliminaire dans lequel il sonne l’alarme sur la dangerosité du chalet.  Le 9 janvier 2006, le syndic Tremblay écrit à la municipalité de St-Ferréol-les-Neiges, où est situé le chalet, pour l’informer de la situation. 

[10]        Plus de 6 mois plus tard, 13 juillet 2006, le syndic rencontre l’intimé pour la première fois à son bureau situé rue St-Vallier, à Québec.  L’intimé lui remet des photocopies de documents demandés et répond à ses questions.  À la même époque, le rapport final de St-Germain est fourni au syndic.  Le 13 septembre 2006, une plainte disciplinaire comportant sept chefs d’accusation est déposée contre l’intimé. 

[11]        L’intimé obtiendra, ultérieurement, une copie du rapport St-Germain.  Au cours des mois suivants, des lettres sont envoyées à l’avocat de l’Ordre par celui de l’intimé,  l’informant que des erreurs importantes minent le rapport St-Germain. 

[12]        Le 27 février 2008, après 12 jours d’audience échelonnés entre novembre 2006 et juin 2007, le Comité de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec [Comité de discipline] acquitte l’intimé de tous les chefs d’accusation[5]

[13]        Le 27 mars 2008, le syndic adjoint André Prud’homme, également appelant, interjette appel de cette décision devant le Tribunal des professions [Tribunal] sur les chefs 4, 5, 6 et 7.  Le 13 janvier 2010, à la suite d’une audience tenue le 8 janvier 2009, le Tribunal confirme l’acquittement de l’intimé sur les chefs 4,5 et 7, mais substitue un verdict de culpabilité au verdict d’acquittement sur le chef 6.

[14]        Le 8 février 2010, le syndic Prud’homme dépose une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure.  L’intimé réplique par une semblable requête deux jours plus tard.  Le 18  février 2011, la Cour supérieure rejette les deux requêtes.

[15]        Le 11 mars 2011, le syndic Prud’homme dépose au greffe de la Cour une requête pour permission de faire appel de cette décision.  L’intimé fait de même le 21 mars.  Elles seront accueillies et le 31 juillet 2012, la Cour rejette l’appel du syndic, accueille l’appel de l’intimé, infirme les décisions de la Cour supérieure et du Tribunal relativement au chef 6 et rétablit la décision du Comité de discipline.

[16]        Le 7 novembre 2012, l’intimé dépose une requête introductive d’instance en dommages-intérêts contre l’Ordre et les syndics Tremblay et Prud’homme.  Il reproche un comportement fautif aux syndics et recherche leur condamnation à hauteur de 188 336,16 $.

[17]        Le 9 avril 2014, après avoir entendu cette affaire pendant quatre jours, le juge de première instance accueille en partie le recours et condamne les appelants à payer à l’intimé 100 517,37 $, avec l’intérêt légal depuis l’assignation.

[18]        Les appelants se pourvoient.  Le 16 décembre 2014, l’intervenante est autorisée à entrer en scène (art. 211 C.p.c.) pour faire valoir sa position notamment sur la nature des relations entre le syndic et l’expert dont il s’adjoint les services dans le cadre d’une enquête disciplinaire.

***

[19]        Le juge de première instance conclut que le syndic Tremblay a fait preuve d’insouciance grave dans la gestion de ce dossier : en renonçant à faire, à tout le moins, une enquête sommaire pour valider les conclusions de l’expert St-Germain; en ignorant le contexte litigieux de cette affaire qui avait comme trame de fond un litige civil opposant l’intimé à Hudon et Bergevin; en reprochant à l’intimé d’avoir apposé son sceau sur son rapport de septembre 2004 alors que cette situation ne justifiait pas, de son point de vue, une plainte disciplinaire lors de la première demande d’enquête faite à l’automne 2004.

[20]        Quant au syndic Prud’homme, bien que la décision de porter en appel l’acquittement sur les chefs 4, 6 et 7 se justifiait, le reproche formulé au chef 5 n’aurait pas dû faire l’objet d’un appel devant le Tribunal.

[21]        En ce qui concerne l’expert St-Germain et se référant à la décision du Comité de discipline, le juge retient qu’il a fait preuve d’insouciance grave et d’incurie en présentant un rapport truffé d’erreurs et d’omissions, s’écartant des normes élémentaires en la matière.  Il conclut que n’eut été de ce rapport bâclé, une plainte disciplinaire n’aurait pas été déposée contre l’intimé.

[22]        Relativement au statut de St-Germain, le juge écrit :

[157]    Afin de bien faire ressortir le fait qu’il n’existe aucun lien de subordination ni aucune solidarité entre eux et l’expert St-Germain, le syndic Tremblay et l’Ordre plaident que les services de St-Germain n’ont pas été retenus à titre d’expert au sens de l’article 123 du Code des professions, lequel bénéficie de l’immunité prévue à l’article 193 du même Code, mais plutôt à titre simple expert au sens du droit civil.

[158]    Le Tribunal n’est pas de cet avis.

[159]    Il n’apparaît pas possible de conclure que l’expert St-Germain agissait autrement qu’à titre d’expert au sens des articles 121 et 193 du Code des professions, compte tenu que le contrat de service établit en termes très clairs que son travail « s’inscrit dans le prolongement de l’enquête du Syndic » au sens de cet article 121 tout en lui imposant le serment de discrétion prévu à l’article 124 :

2.         CADRE JURIDIQUE

Le présent contrat est signé conformément à l’article 121 du Code des professions qui autorise le syndic à s’adjoindre tout expert.

L’exécution du présent contrat s’inscrit dans le prolongement de l’enquête du Syndic et, en conséquence, l’Expert s’engage à respecter le serment de discrétion imposée à ce dernier à l’article 124 du Code des professions.

[Nos soulignements]

[160]    Par ce contrat, le syndic Tremblay a lui-même défini le cadre juridique à l’intérieur duquel l’expert St-Germain allait être appelé à travailler. Il s’est prévalu de l’article 121 du Code des professions pour partager son travail d’enquête avec St-Germain, lui faisant par le fait même bénéficier de l’immunité relative prévue à l’article 193 du Code des professions.

[161]    En conséquence, la responsabilité de l’Ordre et du syndic Tremblay en regard des gestes posés par l’expert St-Germain doit être analysée en vertu du régime de responsabilité défini par le Code des professions et donc, de l’immunité partielle prévue à l’article 193 du Code des professions, lequel exige la preuve d’un comportement insouciant ou d’une incurie grave.

[23]        Sur la responsabilité de l’Ordre, le Juge écarte la décision Saïm c. Ordre des ingénieurs[6] invoquée par les appelants selon lesquels la faute grave d’un expert au sens de l’article 121 du Code des professions[7] [CP] n’emporte pas leur responsabilitéLe juge souligne que, dans cette affaire, la responsabilité de l’expert n’a pas été analysée sous l‘éclairage des articles 121 et 193 CP et que ni l’insouciance grave ni l’incurie de celui-ci n’étaient soulevées. 

[24]        La véritable question consisterait plutôt à déterminer si un syndic et un ordre professionnel peuvent exclure leur responsabilité en alléguant que l’expert retenu en vertu de l’article 121 CP les a induits en erreur.  Le juge y répond par la négative, d’avis que, dans ce cas, le syndic et l’expert ne font qu’un.  Ainsi, l’insouciance de l’expert tout comme l’insouciance du syndic engagent la responsabilité de l’Ordre.

[25]        Enfin, le juge conclut que le fait d’avoir porté quatre chefs d’infraction non justifiés ne peut être validé par la présence de deux chefs défendables.

[26]        Au titre des dommages et pour ce qui nous concerne ici, le juge accorde à l’intimé 60 000 $ pour les honoraires extrajudiciaires payés à son avocat pour se défendre aux accusations portées aux chefs 1,2,3 et 5.  Enfin, le juge note que l’intimé a souffert personnellement et professionnellement du dépôt de la plainte disciplinaire. et lui accorde 40 000 $ pour le préjudice moral subi.

***

[27]        En raison des fonctions dévolues aux ordres professionnels, ces derniers bénéficient, à l’article 193 CP, d’une immunité relative pour les « actes accomplis de bonne foi dans l’exercice de leurs fonctions ».  Conformément aux enseignements découlant de l’arrêt Finney c. Barreau du Québec[8], la partie qui poursuit un ordre professionnel doit démontrer une incurie ou une insouciance grave de sa part ou de la part d’un de ses employés.  L’insouciance grave s’entend d’un « dérèglement fondamental des modalités de l’exercice du pouvoir » à l’occasion duquel l’acte devient « inexplicable et incompréhensible »[9].  Une preuve de mauvaise foi n’est toutefois pas requise.

[28]        Les appelants plaident d’abord que le juge a commis une erreur de droit à l’étude du régime juridique applicable aux ordres professionnels et aux syndics.  Ils rappellent que le rôle du syndic équivaut à celui d’un policier qui doit enquêter et témoigner.  Il a le devoir d’enquêter sur la conduite d’un professionnel pour mener à bien sa mission première, la protection du public.  Pour ce faire, il doit jouir d’une grande indépendance, ce que lui confère l’article 193 CP.  Il revient au comité de discipline, une fois la plainte déposée, de prendre en main la conduite de l’affaire.  Cette immunité ne pourra être levée que dans des cas clairs.  La barre est donc haute pour qui recherche la responsabilité d’un syndic.

[29]        Or, le juge aurait examiné la conduite du syndic a posteriori, une fois le processus disciplinaire terminé, plutôt que de le faire au moment des faits reprochés, huit ans plus tôt.  Par ailleurs, le juge aurait, à tort, retenu comme seul élément de preuve la décision du Comité de discipline et tiré de fausses inférences de celle-ci.

[30]        Également, le juge aurait erré en passant sous silence le témoignage clair du syndic Tremblay rendu à l’audience.  Sa crédibilité n’ayant pas été remise en cause, ce témoignage clé ne pouvait être ignoré sans motifs. Les appelants ajoutent que les faits retenus par le Comité de discipline ne font naître qu’une présomption qui peut être renversée.  Ce renversement aurait été effectué par le témoignage du syndic Tremblay.

[31]        En ce qui concerne le syndic Prud’homme, les appelants estiment que sa conduite aurait dû être étudiée globalement plutôt que de s’arrêter à la seule décision de porter ou non en appel certains chefs d’accusation.  Au surplus, le fait d’avoir fait appel de l’acquittement sur le chef 5, tout en questionnant l’interprétation de l’article 3.04.01 du Code de déontologie des ingénieurs[10], ne peut suffire, à lui seul, pour conclure à une insouciance grave ou à une incurie au sens de l’arrêt Finney.

[32]        Pour les motifs qui suivent, je conclus que le juge de première instance ne s’est pas attardé à la conduite du syndic a posteriori, c’est-à-dire une fois la décision du Comité de discipline validée par notre Cour.  Plus généralement, le juge a décidé, à bon droit, que la responsabilité de l’Ordre était engagée en raison de la négligence grave du syndic Tremblay.

[33]        Conformément à l’article 128 CP, le syndic doit, à la demande du bureau de l’ordre ou peut, de sa propre initiative, « porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée ».  Cette apparente justification est essentielle et ne peut être dégagée qu’après un examen sérieux et approfondi des renseignements et documents obtenus dans le cadre de l’enquête faite en vertu de l’article 122 CP et du rapport de tout expert dont les services ont été requis par le syndic, le cas échéant, avec l’autorisation du Bureau de l’Ordre[11].  La Cour suprême précisait à ce sujet dans l’arrêt Finney, sous la plume du juge LeBel :

[…]  La discipline ne peut que provoquer des affrontements.  L’ouverture d’un dossier disciplinaire met en rapport le client ou le tiers lésé ou mécontent, l’avocat en cause et le syndic.  Dans un contexte souvent chargé émotivement, voire passionnel, où l’avocat conserve le droit de se défendre, le syndic doit vérifier le dossier, recueillir les informations des uns et des autres et les confronter.  Ensuite, il doit décider si une plainte sera portée devant le comité de discipline.  L’exécution de cette tâche exige temps, attention et doigté.  […] [12]

[Soulignement ajouté]

[34]        La justice disciplinaire a certes pour but de protéger le public mais elle doit également « traiter équitablement ceux dont le gagne-pain est placé entre ses mains »[13]  Le commentaire suivant qui porte sur cet arrêt Brosseau est d’intérêt :

Ainsi, il ressort de cet arrêt que dans la mesure où il doit tenir compte, dans ses interventions à l'étape de l'enquête, autant de l'intérêt du public que de celui du professionnel sur lequel il enquête, le syndic doit à ce moment, malgré le fait que les tribunaux ne lui ont reconnu aucune obligation d'impartialité, conserver une attitude ouverte et n'avoir aucune idée préconçue sur la valeur des informations portées à sa connaissance. Il fait en quelque sorte office de décideur et ne doit par conséquent pas amorcer son enquête en étant préjugé.[14]

[35]        Le syndic doit enquêter avec soin[15].  Il ne peut s’agir d’un travail superficiel, routinier ou incomplet, qui ne consisterait qu’à se satisfaire de la preuve recueillie sans discernement ni nuances.  En raison des conséquences dommageables qui découlent du dépôt d’une plainte disciplinaire[16], les éléments de preuve recueillis doivent être examinés minutieusement et amener le syndic prudent et diligent à conclure, de façon positive, que le dossier est complet, probant, et que la plainte paraît justifiée sur tous les chefs d’accusation envisagés.  Je cite de nouveau le juge LeBel qui souligne, cette fois pour la majorité, dans Pharmascience :

À cet égard, le fait que le comité de discipline soit doté de pouvoirs d’instruction ne signifie aucunement qu’il faille interpréter restrictivement les moyens dont dispose le syndic dans la conduite de son enquête.  Ces deux instances jouent des rôles différents et complémentaires : en effet, la qualité de la preuve présentée devant le comité de discipline est grandement tributaire de l’efficacité de l’enquête du syndic.  En ce sens, l’interprétation que préconise Pharmascience favorisait le dépôt de plaintes hâtives et même inutiles devant le comité de discipline.  Il est dans l’intérêt de tous de s’assurer qu’un syndic qui dépose une plainte disciplinaire connaisse en détail les reproches adressés au professionnel et dispose d’une preuve complète.  Les exigences d’équité procédurale contenues dans  la loi prévoient d’ailleurs l’obligation de communiquer cette preuve au professionnel[17].

[Soulignement ajouté]

[36]        Soulignons enfin que le rôle du syndic « ne consiste pas en principe à gagner une cause, mais bien à éclairer le Comité afin que les objectifs du droit disciplinaire, à savoir la protection du public, puissent être atteints »[18].

[37]        Cela signifie que le syndic Tremblay, un ingénieur, devait porter une attention particulière à la démarche de l’expert St-Germain et aux éléments ressortant de son expertise.  Même si son domaine d’expertise propre était limité, ce pourquoi il requérait les services d’un expert, le syndic devait s’assurer que le travail de l’expert respectait les règles de l’art et que sa thèse se tenait.  En cas de doute, une fois les vérifications appropriées complétées, il ne pouvait conclure que la plainte paraissait justifiée sans pousser plus loin son investigation et faire appel, le cas échéant, à des ressources additionnelles[19].

[38]        Dit autrement, le syndic ne peut se contenter de suivre aveuglément le rapport préparé par un expert qu’il décide de s’adjoindre sans manquer à l’obligation que lui impose la loi de s’assurer, avant son dépôt, du caractère justifié de la plainte.  Le syndic exerce certes une discrétion mais son exercice doit être judicieux.  Les appelants  plaident que le syndic ne peut anticiper ce que révélera la preuve devant le Comité de discipline et que cette inconnue ne peut le paralyser.  Cela est vrai, mais le syndic doit connaître sa preuve, ses forces et ses faiblesses.  Il peut avoir des surprises lors du procès disciplinaire, il peut se tromper, mais son erreur ne peut résulter d’une démarche et d’un examen gravement déficients du dossier qu’il a constitué.

[39]        Dans la décision Parizeau c. Barreau du Québec[20], le juge Dalphond, alors à la Cour supérieure, écrivait :

Lorsqu'il agit comme plaignant devant le comité de discipline, le syndic ne joue pas un rôle équivalent à celui du procureur de la Couronne dans un dossier criminel ou pénal. Un examen sommaire du Code fait voir le rôle du syndic s'apparente plus à celui du policier qui a pour fonction de faire enquête et s'il y a lieu de déposer une dénonciation […]

[40]        Avec égards, je marque mon désaccord avec cet énoncé.  Le syndic a certes un rôle d’enquêteur mais il se voit confier, une fois cette tâche achevée, la responsabilité de décider si la preuve recueillie paraît justifier le dépôt d’une plainte.  Cette décision est cruciale pour le professionnel qui sera éventuellement visé et n’est pas sans rapport avec la responsabilité qui échoit au procureur de la couronne.  Le syndic pourra se tromper sans que sa responsabilité civile soit engagée mais si sa faute peut être qualifiée de négligence grave, l’immunité relative que lui accorde le Code des professions ne saurait le protéger.

[41]        Le juge de première instance écrit, sur la conduite du syndic Tremblay :

[121]    Une analyse objective, mesurée et raisonnable de la décision du Comité de discipline et de la preuve additionnelle faite à l’audience démontre que le syndic Tremblay a fait preuve d’une insouciance injustifiée dans cette affaire.

[122]    S’il est possible que le syndic Tremblay ait été induit en erreur par l’expert St-Germain sur la sécurité du bâtiment, il demeure qu’il n’a pas fait le travail élémentaire qu’un syndic prudent et diligent aurait dû faire en pareilles circonstances.

[123]    S’il a été berné par St-Germain, c’est d’abord et avant tout parce qu’il a renoncé à faire le travail d’enquête minimal auquel il était tenu.

[124]    Dans l’exercice de sa charge, le syndic Tremblay ne pouvait se contenter d’avaliser le rapport manifestement erroné de St-Germain.

[125]    Il ne pouvait également pas ignorer le contexte très litigieux de l’affaire.

[126]    Il s’agissait, nous l’avons mentionné, de la deuxième demande d’enquête de Bergevin et de Hudon.

[127]    Comme l’a écrit le comité de discipline, le syndic Tremblay aurait dû se questionner davantage sur les réelles motivations de Bergevin et de Hudon, mieux départager le conflit civil opposant Canbec à Bergevin de la plainte disciplinaire et aller plus loin dans sa propre enquête sur les lieux.

[128]    Vu ce contexte particulier, le syndic Tremblay, qui est lui-même ingénieur civil, ne pouvait se limiter à prendre note des reproches du demandeur d’enquête et de son expert Hudon sans faire sa propre investigation sur les lieux.

[129]    Sa négligence constitue, en l’espèce, de l’incurie et de l’insouciance grave.

[130]    Elle est d’autant plus grave qu’il ne pouvait, en sa qualité de syndic de l’Ordre, ignorer les conséquences importantes qu’allaient avoir les reproches adressés à l’ingénieur Gilbert sur la poursuite de sa carrière.

[131]    Si le syndic Tremblay avait effectué son travail, ce gâchis aurait pu être évité.

[132]    À l’égard de l’ingénieur Gilbert, la négligence grave et l’incurie du syndic Tremblay ont causé un dérèglement fondamental de l’exercice des pouvoirs que le syndic exerce au nom de l’Ordre.

[Références omises]

[42]        Par ailleurs, le juge explique d’emblée les admissions et ententes intervenues entre les parties à l’audience :

[21]      À l’audience, les parties ont déposé toute la preuve présentée au comité de discipline [pièces et transcription des témoignages].

[22]      Elles ont également produit tous les jugements rendus dans cette affaire, depuis la décision du comité de discipline rendue le 28 février 2008 jusqu’à l’arrêt de la Cour d’appel rendu le 31 juillet 2012, lequel a mis fin aux procédures disciplinaires entreprises contre monsieur Gilbert.

[23]      Pour les fins du procès, elles ont admis l’ensemble de ces pièces.

[24]      De plus, sur la base des arrêts prononcés par la Cour d’appel dans les affaires Ali c. Compagnie d’assurance Guardian du Canada[21], Audet c. Transamerica Life Canada et Lessard c. Rochefort & Associés, elles ont convenu que le contexte factuel de la décision du comité de discipline, de même que les conclusions de faits tirées par ce même comité, sous réserve de la preuve contraire faite à l’audience, constituent des faits juridiques qui s’imposent par leur valeur probante. Elles ont donc invité le Tribunal à considérer le contexte de l’affaire à la lumière des faits décrits dans la décision du comité de discipline du 28 février 2008, de la preuve déposée devant ce comité tout en tenant compte de celle faite à l’audience dans le but de corriger certaines inexactitudes ou préciser quelques points[22].

[Références omises] [Soulignement ajouté]

[43]        Le juge était donc justifié de tenir compte des conclusions de fait tirées par le Comité de discipline.  Or, à partir d’une analyse soignée de la preuve, le Comité retient en définitive du travail effectué par St-Germain que : il a rendu un témoignage excessif et non crédible; il n’a pas fait de vérification adéquate lors de sa visite des lieux ni pris de mesures précises de sorte que ses conclusions ne tiennent pas la route[23].

[44]        Le Comité de discipline note, par ailleurs, que l’ensemble du témoignage de Hudon laisse voir une animosité envers l’intimé et que cela ressort également de la preuve documentaire[24].  Il avait entrepris une véritable chasse aux sorcières contre l’intimé[25].  Il n’avait aucune objectivité[26].  Le Comité de discipline poursuit :

[78]      En novembre 2005, bien qu’il ne soit plus mandaté, il fait un rapport sur les travaux à la suite du devis correctif et il accompagne le syndic Tremblay et l’ingénieur St-Germain lors de sa visite du chalet.

[79]      L’ingénieur Hudon, lors de ses communications avec le syndic Tremblay, lui a fait parvenir un autre dossier concernant l’intimé, soit celui de St-Antoine-de-Tilly.

[80]      Le Comité a constaté que l’ingénieur Hudon connaissait l’ingénieur Gilbert et que l’intimé faisait partie des ingénieurs qui étaient la source des problèmes qu’il soulève dans sa lettre au syndic de novembre 2005.

[…]

[82]      Le Comité considère que le demandeur d’enquête a participé à la mise en état délabré du chalet comme en font foi les photos qu’il a prises.

[83]      Cet état de délabrement du bâtiment a influencé tant l’ingénieur St-Germain que le syndic Tremblay qui n’ont pas su, à ce moment, départager les responsabilités de chacun des intervenants.

[45]        Le Comité de discipline de conclure que le syndic Tremblay a été berné par Bergevin et Hudon « avec lequel il a passé plusieurs heures »[27].  Puis il ajoute :

[86]      D’ailleurs, lors de sa visite en novembre 2005, le syndic est sous l’impression que les travaux ne sont pas terminés, endossant la fausse interprétation de la situation véhiculée par le demandeur d’enquête et par l’ingénieur Hudon qui est présent sur les lieux et qui assiste le syndic lors de cette visite.

[87]      L’ingénieur Hudon a même confectionné un autre rapport (S-10, non déposé mais qui a fait l’objet d’un long interrogatoire), rapport qu’il remet au syndic.

[88]      Le Comité se questionne à savoir pourquoi le syndic, qui s’était interrogé sur le fait qu’on n’avait pas boulonné la poutre aux goussets au lieu de la clouer, n’a pas poussé plus loin sa démarche concernant cette poutre en juillet 2006 lors de sa visite des lieux pour vérifier les cribles de bois, alors qu’il avait probablement reçu le rapport de son expert à ce moment-là.

[89]      Le Comité croit que les intervenants auraient dû aller plus loin dans leur enquête sur les lieux mêmes, et plus particulièrement sur la poutre faîtière de la résidence, et non sur une poutre abstraite.

[90]      La preuve ne révèle aucun élément valable justifiant l’envoi de la lettre du 9 janvier 2006 à la Municipalité après les travaux correctifs effectués.

[91]      De plus, aucun des ingénieurs n’a vérifié réellement l’état des lieux au niveau de la sécurité, surtout la solidité de la poutre faîtière, à l’exception de l’intimé qui avait obligé l’ajout de la colonne pour soutenir adéquatement la poutre faîtière et solidifier la mezzanine.

[…]

[112]    Le Comité est d’avis que l’intimé a démontré une excellente connaissance de tous les éléments du bâtiment et a trouvé plausibles ses explications sur les divers problèmes constatés, ainsi que leur provenance, particulièrement sur le fait que le plancher avait été laissé sans protection contre les intempéries.

[46]        Et un peu plus loin :

[120]    Qui plus est, si l’on avait procédé à un examen adéquat de la poutre faîtière, cette ambiguïté et bien d’autres auraient été évitées.

[121]    Lors de l’entrevue avec le syndic, l’intimé a été induit en erreur par une fausse information de celui-ci; il a été renseigné par son expert que la nouvelle colonne était désaxée de deux pieds.

[…]

[138]    Le Comité constate, après l’analyse de l’ensemble de la preuve, que le plaignant n’a pas su départager le conflit civil entre Le Chalet Canbec et monsieur Bergevin et la preuve disciplinaire devant être présentée de façon prépondérante devant le Comité en regard des actes dérogatoires reprochés suivant le cadre de l’entente entérinée par la Cour.

[47]        Ici, les appelants plaident plus particulièrement que : le Comité de discipline n’avait pas compétence pour qualifier la conduite du syndic; celui-ci a témoigné devant le premier juge et cela constitue une preuve contraire repoussant les constats de fait auxquels est parvenu le Comité de discipline; ils n’avaient pas à capituler après la déconvenue résultant du témoignage de St-Germain; les chefs 5, 6 et 7 reposaient sur le témoignage du syndic et sont sans relation avec le rapport St-Germain; ils ont abandonné les chefs 1 et 2 après la décision du Comité de discipline.

[48]        La transcription de la preuve testimoniale administrée devant le Comité de discipline et déposée devant la Cour supérieure n’a pas été jointe au dossier d’appel.  Par ailleurs, les constats du Comité de discipline au regard des lacunes graves dans le travail de l’expert St-Germain ne sont pas remis en cause[28].  Les constats relatifs au travail du syndic Tremblay ne décident pas de sa responsabilité civile éventuelle mais exposent simplement ce que le Comité de discipline retient de la preuve. 

[49]        Le juge a tenu compte, comme il était invité à le faire, de ces déterminations de fait du Comité de discipline et de la preuve administrée devant lui, s’agissant notamment du témoignage du syndic Tremblay.  Les appelants invitent la Cour à revoir les déterminations factuelles du juge de première instance mais ne ciblent pas d’erreur manifeste et déterminante sans laquelle notre intervention est exclue.

[50]         Ces déterminations amènent également le juge à conclure que le comportement du syndic équivaut, en l’espèce, à de l’insouciance grave dans la gestion du dossier disciplinaire de l’intimé sans laquelle une plainte n’aurait pas été déposée.  Il s’agit de déterminations qui portent sur des questions mixtes de droit et de fait mais elles sont largement tributaires des faits de la cause.  Il n’y a pas davantage matière à intervention sous ce rapport.

[51]        Dès lors, l’immunité conférée au syndic par l’article 193 CP ne constitue pas un rempart contre la poursuite en dommages de l’intimé et sa responsabilité tout comme celle de l’Ordre sont engagées.

[52]        Cela dit, une faute de même gravité ne peut être retenue contre le syndic Prud’Homme qui a assumé la conduite du dossier disciplinaire après la décision du Comité de discipline.  Le juge de première instance est d’ailleurs réservé sur cette question.  Le seul reproche formulé concerne la décision « de porter en appel la décision du comité de discipline concernant le chef d’infraction 5 [sceau de l’ingénieur Gilbert apposé sur son rapport de septembre 2004] »[29].  Avec beaucoup d’égards, je ne puis assimiler cette erreur à une insouciance grave dans la gestion du dossier disciplinaire.  En conséquence, le recours introductif n’aurait pas du être accueilli contre ce défendeur.

[53]        Cette détermination est toutefois sans conséquence sur l’aboutissement de la poursuite puisque, de l’avis du juge, n’eût été des fautes graves commises par St-Germain, « aucune plainte n’aurait été portée contre l’ingénieur Gilbert »[30].  Ce constat n’est pas davantage affecté d’une erreur révisable.

***

[54]        Tel que mentionné ci-haut, le caractère sérieux des fautes imputées à l’expert St-Germain n’est pas remis en cause.  Les appelants plaident toutefois que le juge n’a pas appliqué le bon régime de responsabilité civile en s’attardant à l’article 121 CP.  En référence à l’arrêt Finney, ils soulignent que la responsabilité d’un ordre professionnel et des syndics découle d’abord de l’article 1457 C.c.Q. mais qu’il faut, en outre,  démontrer la mauvaise foi de la personne fautive pour conclure à sa responsabilité et à celle de l’ordre professionnel qui l’emploie.

[55]        Ils ajoutent que, pour pouvoir retenir la responsabilité de l’Ordre ou du syndic en raison des fautes de St-Germain, il faudrait appliquer les règles de la responsabilité par le fait d’autrui.  Or, cela requiert l’existence d’un lien de subordination entre le commettant (l’ordre ou le syndic) et le préposé (l’expert), ce que la preuve ne montre pas, bien au contraire.  L’expert doit demeurer indépendant, au risque d’être disqualifié lors de l’audition éventuelle devant le Comité de discipline. 

[56]        Les appelants contestent donc le postulat avancé par le juge selon lequel l’article 121 CP créé un régime de responsabilité distinct pour les ordres professionnels.  De leur point de vue, l’article 121 CP ne fait que permettre au syndic de s’adjoindre les services d’un expert et ne créé pas un lien de subordination entre le syndic et l’expert.  L’utilisation du terme « adjoindre » n’aurait pas une telle portée.  Les appelants ajoutent que le contrat conclu entre le syndic et l’expert n’est qu’un contrat de services qui ne crée pas de lien de subordination[31].

[57]        Enfin, ils soutiennent que le juge traduit incorrectement les enseignements découlant du jugement Saïm[32].  Ils plaident que le syndic ne doit pas mettre en doute les conclusions de l’expert qu’il s’adjoint et ne peut se voir reprocher de la mauvaise foi pour avoir adhéré à cette opinion.

[58]        Il ne serait pas essentiel d’élaborer sur cette question puisque je conclus à la responsabilité de l’Ordre en raison des manquements sérieux du syndic Tremblay.  Cependant, tant les appelants que l’intervenante insistent pour obtenir un éclairage sur cette question qui susciterait une jurisprudence contradictoire.  Je fais donc une entorse à la règle habituelle pour élaborer quelque peu sur cette difficulté.

[59]        Le premier juge écrit plus particulièrement à ce sujet :

[172]    L’article 121 du Code des professions établit clairement que l’expert que le syndic s’adjoint l’assiste «dans ses fonctions d’enquête» et non à titre de simple expert dont il requiert une opinion professionnelle. Au sens de cet article, le syndic et l’expert qu’il s’adjoint ne font qu’un. C’est la raison qui explique pourquoi l’article 193 du Code accorde à l’un et l’autre la même immunité.

[173]    Le pouvoir qu’exerce un syndic n’est donc pas distinct de celui exercé par l’expert qu’il s’adjoint dans le cadre de son enquête en vertu de l’article 121 du Code des professions.

[174]    L’insouciance grave de ce dernier, bien que n’émanant pas du syndic lui-même, demeure en bout de ligne le fait de ce dernier et celui de l’ordre professionnel.

[175]    Si l’insouciance grave d’un syndic engage la responsabilité d’un ordre professionnel, il en est de même lorsque cette insouciance émane de l’expert qu’il s’adjoint.

[176]    Une conclusion contraire mènerait à une situation incohérente en ce qu’elle accorderait une immunité totale à un ordre professionnel lorsque la faute provient de l’expert que s’adjoint un syndic plutôt que de ce dernier. Une telle proposition ferait en sorte de créer un régime de responsabilité à deux niveaux, en fonction de celui qui, entre le syndic ou l’expert, fait preuve d’incurie.

[Soulignement ajouté]

[60]        Dans l’arrêt Finney, la Cour suprême précisait en ces termes le régime de responsabilité civile applicable aux organismes publics depuis l’entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994 :

27        L’examen de la responsabilité de l’administration publique part donc en principe de l’application du régime de responsabilité établi par le Code civil du Québec.  Cependant, l'art. 1376 C.c.Q. reconnaît que celui-ci ne s’applique que « sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables ».  La prudence du législateur reflète la spécificité de l’administration publique, ainsi que la diversité et la complexité des tâches qui lui sont dévolues.  Fort souvent, l’appréciation judiciaire de sa conduite et de ses décisions qu’entraînerait l’application pure et simple, sans nuance, du régime de droit commun, ne permettrait pas à l’organisme public de remplir ses fonctions avec la liberté nécessaire à son action.  C’est pourquoi notre Cour reconnaît que des principes généraux ou des règles de droit public spécifiques peuvent soit faire obstacle à toute application du régime général de responsabilité civile, soit en modifier substantiellement les règles de fonctionnement […][33]

[Soulignement ajouté]

[61]        C’est ainsi que, dans les cas de gestion des dossiers disciplinaires, la disposition d’immunité énoncée à l’article 193 du Code des professions modifie le régime général de l’article 1457 « quant à la nature des fautes requises pour établir une responsabilité restreinte par l’immunité partielle ou relative »[34].  Elle accorde aux ordres professionnels la liberté d’action nécessaire à leurs fonctions, sauf en présence d’imprudence ou d’incurie grave incompatible avec la présomption de bonne foi dont ils bénéficient[35]

[62]        Qu’en est-il de la responsabilité du syndic et de l’Ordre pour les fautes commises par l’expert dont les services sont retenus?

[63]        Il est vrai que l’expert dont les services sont requis par un syndic ne doit pas être entravé dans l’exercice de ses fonctions[36], prête serment de discrétion[37], peut prendre connaissance d’un dossier tenu par un professionnel ou demander la remise de tout document[38], et bénéficie de la disposition d’immunité partielle[39].  Il est partie prenante de l’enquête disciplinaire puisqu’il assiste le syndic « dans l’exercice de ses fonctions d’enquête »[40].  Également, la clause 2 du contrat de services de l’expert St-Germain énonce que son travail « s’inscrit dans le prolongement de l’enquête du syndic »[41].

[64]        Néanmoins et avec beaucoup d’égards pour le juge de première instance, il n’y a pas là, de mon point de vue, de principes généraux ou de règles de droit public spécifiques qui font obstacle autrement à l’application du régime général de responsabilité civile, plus particulièrement en ce qui concerne la responsabilité du fait d’autrui[42]

[65]        Or, la responsabilité du fait d’autrui ne trouve application que lorsque, en vertu de la loi, le répondant a, sur l’auteur de l’acte dommageable, un droit de contrôle qui s’exerce notamment sur l’activité de celui-ci, qu’il soit ouvrier ou préposé[43].  Ce droit « emporte un pouvoir de supervision ou de surveillance »[44].  En revanche, une caractéristique « propre de l’exercice d’une activité professionnelle est l’indépendance d’action »[45].

[66]        En l’espèce, il n’y a de relation préposé/commettant ni entre le syndic et l’expert ni entre ce dernier et l’Ordre, ce dont les parties conviennent d’ailleurs.  L’expert n’agit pas pour un autre ni sous sa direction.  Il n’a pas d’ordre à recevoir sur la façon d’exécuter sa tâche.  Son « Contrat de services »[46], tel que le désignent les parties, stipule, pour l’essentiel, qu’il doit « réaliser une expertise technique sur les rapports, plans et devis » préparés par l’intimé, répondre à huit questions et témoigner devant le Comité de discipline, le cas échéant.  Ce contrat est effectivement de la nature d’un contrat de services[47].

[67]        Au surplus, les règles générales applicables à l’expertise en matière civile reçoivent application.  Il en résulte que la force probante du témoignage de l’expert est laissée à l’appréciation du tribunal[48].  Or, l’impartialité de l’expert est en lien direct avec sa crédibilité :

L’expert doit faire preuve d’objectivité et de désintéressement.  Le tribunal peut n’attacher aucune valeur probante au témoignage empreint de partialité.  Les experts ne doivent pas se trouver dans une relation servile à l’égard de leurs clients de façon à faire triompher les prétentions de ces derniers, mais ils doivent plutôt être au service du tribunal pour lui communiquer leur opinion professionnelle sur des sujets complexes qui demandent à être mieux compris.  […][49]

[Référence omise]

[68]        Ainsi, l’expert selon le Code des professions, assiste, en raison de son expertise, le syndic dans l’exercice de ses fonctions d’enquête et il est investi des pouvoirs requis pour ce faire.  Mais sans l’indépendance et l’impartialité que requièrent son statut, la valeur de sa contribution à l’enquête et, le cas échéant, à l’audition disciplinaire, risque d’être anéantie.

[69]        L’intervenante nous réfère aux décisions Saïm, Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Gibeau et Psychologues (Ordre professionnel des) c. Turgeon[50].

[70]        Dans le premier cas, Camil SaÏm [Saïm], un ingénieur, poursuivait en dommages devant la Cour supérieure l’Ordre des ingénieurs et le syndic adjoint à qui il reprochait son attitude désobligeante, son zèle et sa mauvaise foi dans la conduite de l’enquête disciplinaire le concernant.  Il ciblait plus particulièrement le refus du syndic adjoint de le rencontrer pour obtenir sa version des faits, avant le dépôt de la plainte, et sa décision d’accorder beaucoup de poids à la version du plaignant, un certain Claude Tremblay. 

[71]        Au stade disciplinaire, une plainte comportant 13 chefs d’accusation avait été déposée contre Saïm.  Le Comité de discipline a retenu sa culpabilité sur 10 chefs et l’a acquitté sur les autres.  Le Tribunal des professions a infirmé la décision du Comité et  acquitté Saïm de tous les chefs d’accusation.

[72]        Une expertise avait été déposée et défendue par un dénommé Yves Barabé.  Contrairement au Comité de discipline, le Tribunal des professions n’a pas accordé de valeur probante à cette expertise.  Le juge de la Cour supérieure écrit, en revoyant la preuve faite sur le second chef d’accusation :

[79]      Contrairement au Comité de discipline, le Tribunal des professions n'accorde aucune valeur probante à l'expertise de l'ingénieur Barabé. Aux pages 16 à 24 de la décision du Tribunal des professions, celui-ci fait état des motifs justifiant d'écarter l'opinion de cet expert :

[205]    Il est difficile d'accorder une valeur probante à l'expertise de l'ingénieur Yves Barabé en raison des nombreuses erreurs de fait sur lesquelles il s'appuie pour adresser des reproches à Camil Saïm et en raison de ses critiques reposant à plusieurs reprises sur des normes imposées pour des installations septiques communautaires, normes non requises par les municipalités et non applicables dans le présent dossier.

[…]

[211]    Les principaux faits sur lesquels il s'appuie n'ont pas fait l'objet d'une preuve prépondérante et l'analyse visuelle de sol qu'il a lui-même réalisée deux ans après les faits ne peut être concluante, puisqu'elle a été faite sur un sol modifié à l'automne 2001, après l'étude de Camil Saïm.

[80]      Pour accuser monsieur Saïm d'avoir contrevenu aux articles 2.04 et 3.02.04 du Code de déontologie des ingénieurs, le syndic adjoint s'est appuyé sur les réponses fournies par son expert aux questions qu'il lui avait adressées. A-t-il eu tort? Aurait-il dû remettre en question les conclusions de son expert?

[81]      Le tribunal ne le croit pas. La faible crédibilité accordée à monsieur Barabé par le Tribunal des professions ne permet pas de conclure que le syndic adjoint, qui a retenu les services de cet expert, a fait preuve d'insouciance grave ou d'incurie. L'ingénieur Barabé se spécialise dans le domaine des installations septiques et, à l'époque de l'audition devant le Comité de discipline, il était à préparer un plan de cours à l'intention des ingénieurs devant notamment porter sur les installations septiques des résidences isolées. [51]

[Référence omise] [Soulignement ajouté]

[73]        Des distinctions doivent être faites ici.

[74]        Dans cette affaire, rien n‘était susceptible d’éveiller la méfiance du syndic adjoint.  Le juge note, en une occasion, qu’il a été berné par le plaignant[52].  Le Comité de discipline n’a pas rejeté le travail de l’expert et conclut à la culpabilité de Saïm sur la grande majorité des chefs.  Rien ne permet de croire qu’un examen préalable aurait permis au syndic adjoint d’anticiper le sort réservé à l’expertise par le Tribunal des professions.  Le juge conclut que le rapport d’expert n’a fait que contribuer à la confusion qui régnait dans cette enquête disciplinaire, sans qu’il soit possible de conclure à une incurie ou insouciance grave.

[75]        En l’espèce, le Comité de discipline a acquitté l’intimé de tous les chefs d’accusation et fait ressortir qu’il existait, dès le départ, une situation de conflit entre le camp du plaignant et celui de l’intimé, dont le syndic n’a pas tenu compte.  De la preuve administrée en Cour supérieure, le juge conclut à une négligence grave du syndic et s’en explique.  Enfin, le syndic ne peut certes imposer ses vues à l’expert qu’il a embauché mais il a l’obligation de s’assurer, à tout le moins, que sa démarche est conforme aux règles de l’art, ce qui n’a pas été fait.

[76]        Dans la décision Gibeau[53], rendue par le Tribunal des professions, l’on reprochait à la syndic de l’ordre de s’être immiscée dans l’enquête de l’expert mandaté.  À la suite du dépôt d’une plainte disciplinaire contre deux comptables agréés, l’expert retenu par l’ordre avait modifié les conclusions de la version finale de son rapport afin qu’elles épousent les chefs d’accusation reprochés dans la plainte disciplinaire.  Le Tribunal des professions écrit :

[30]        L'expert Marleau, après avoir soumis deux premiers rapports (I-22 et I-23) en octobre concernant les intimés, a une discussion avec l’appelante[54] en novembre à la suite de laquelle il modifie les conclusions de ses rapports pour en émettre deux autres, P-8 et P-10.

[…]

[34]            Cet ajout de reproches déontologiques formulés dans les deuxièmes rapports de l'expert de l'appelante découle, selon le Conseil[55], de la conversation de celui-ci avec l'appelante, et ce, après avoir déposé ses premiers rapports, minant ainsi sa crédibilité et son indépendance :

[114]  Le Conseil est d'avis que l'expert de la plaignante n'était pas indépendant lorsqu'il a soumis l'une quelconque des quatre expertises finales concernant les intimés et que ce défaut d'indépendance a miné sa crédibilité; le Conseil rejette donc chacune des quatre expertises.

[…]

[116]  L'expert a attendu à septembre 2008 pour finaliser ses rapports et les remettre à la plaignante; cette dernière, avec l'aide de son procureur, a rédigé les plaintes et les a déposées au Conseil en novembre 2008; plus tard, la preuve démontre que l'expert a été influencé lorsqu'il décide de modifier les conclusions de ses rapports pour les rendre conformes aux plaintes; finalement, seule la dernière version des rapports a été divulguée.

(Notre soulignement)

[37]        À partir des éléments mentionnés précédemment, le Conseil rejette les quatre rapports d'expertise de l'expert de l'appelante en raison d'un manque d'indépendance professionnelle. Ce faisant, il ne commet aucune erreur manifeste et déterminante.

[…]

[40]      Une personne qui retient les services d'un expert peut avoir des discussions avec ce dernier afin de préciser un élément du mandat ou pour répondre à des questions précises. Ces échanges ne peuvent pas influencer les conclusions de l'expert. Selon le Conseil, dans le cas à l'étude il y a eu une ingérence et cette conclusion ne constitue pas une erreur manifeste et déterminante. Elle s'appuie sur une preuve que le Conseil a analysée et soupesée. [56]

[Références omises]

[77]        Cette décision ne pose pas problème.  L’indépendance obligée de l’expert en vertu du Code des professions est acquise.  Dans cette affaire, l’expert a modifié les conclusions de ses rapports, à la suite d’interventions externes, « pour les rendre conformes aux plaintes ».  De l’avis du Conseil, le rapport de l’expert n’avait plus « l’apparence d’être le produit d’un expert indépendant »[57].  Ajoutons que les rapports finaux retirés du dossier n’avaient pas été divulgués au professionnel malgré des modifications importantes[58]

[78]        Le Tribunal précise, par ailleurs, que les modifications aux conclusions de l’expert « ne peuvent pas être justifiées par la survenance de faits nouveaux »[59].  De même, il met de côté la jurisprudence relative à des modifications apportées à un premier rapport, et non à un rapport final, comme non applicables à l’affaire étudiée[60].  Il s’agit bien d’un cas d’espèce.

[79]        En revanche, il me paraît clair que l’expert dont les services ont été retenus par un syndic et qui réalise, après lui voir expliqué sa démarche, que des questions doivent être clarifiées ou traitées plus amplement, peut le faire de son propre chef.  Tout est affaire de circonstances.

[80]        En ce qui concerne la décision du Tribunal des professions dans Turgeon[61] qui vise à déterminer si le privilège de communication entre un avocat et son client s’applique aux communications entre un syndic et l’expert qu’il s’adjoint, elle n’est pas pertinente à notre litige.

[81]        Somme toute, le Code des professions ne créé pas un régime de responsabilité civile qui s’écarte du régime général et qui fait de l’expert un alter ego du syndic.  La négligence grave de l’expert St-Germain dans l’exécution de son contrat engageait sa responsabilité[62] mais ne permettait pas de conclure à la responsabilité de l’Ordre en l’absence d’une situation de responsabilité du fait d’autrui.  La négligence grave du syndic a toutefois cet effet, en l’occurrence.

[82]        L’intimé soutient que le cadre législatif tracé par le Code des professions et auquel il a été référé ci-haut permet d’assimiler le contrat qui lie l’expert au syndic à un mandat.  L’expert « représenterait » le syndic en participant au processus disciplinaire[63] au sens de l’article 2130 C.c.Q., soit « dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers »[64].

[83]        Le contrat intervenu entre l’Ordre et l’expert se rapporte à la réalisation d’une expertise technique et au soutien de celle-ci devant le Comité de discipline, le cas échéant.  La théorie du mandat est inapplicable ici.

***

[84]        De façon subsidiaire, les appelants plaident que le premier juge aurait erré en les condamnant à rembourser à l’intimé 60 000 $ pour les honoraires extrajudiciaires payés à son avocat « pour répondre aux chefs d’infraction 1, 2 et 3, lesquels ont nécessité à eux seuls au moins dix jours d’audition devant le Comité de discipline, et pour répondre au chef 5 »[65].  Le juge aurait également erré en les condamnant à payer 40 000$ à titre de dommages moraux.  Les appelants s’en remettent, à ce sujet, à leur mémoire.

[85]        Sur le premier moyen, les appelants font valoir que les honoraires réclamés ont été payés par Yves Gilbert inc. et déduits de ses revenus à des fins fiscales.  L’actionnaire d’une société par actions n’a pas de recours contre la personne qui cause un dommage à celle-ci dont le patrimoine est distinct du sien.  Le juge conclurait, en l’absence de preuve, que la responsabilité de l’intimé à l’égard de cette dette est toujours présente.

[86]        Quant au quantum, la preuve révélerait que les honoraires extrajudiciaires engagés pour la défense sur les chefs 1, 2, 3 et 5 sont bien inférieurs à 60 000 $.  Les appelants les évaluent à 30 000 $.

[87]        À mon avis, les appelants font fausse route.

[88]        La preuve entretient une certaine confusion sur la personne qui a véritablement acquitté les honoraires professionnels.  Il est vrai qu’en contre-interrogatoire, l’intimé mentionne que sa société de gestion, Yves Gilbert inc., a acquitté les factures d’honoraires professionnels adressées à son nom.  En revanche, trois tableaux intitulés « Détail des transactions » déposés en preuve indiquent que plusieurs des factures ont été acquittées par l’intimé personnellement et d’autres par l’intermédiaire de sa société[66]

[89]        Par ailleurs et quoi qu'il en soit, c’est bien l’intimé qui a subi un dommage à la suite des accusations disciplinaires portées contre lui.  Il a retenu les services d’un avocat qui a assumé sa défense et lui en a facturé les coûts.  Il était responsable de leur paiement.  Toutefois, la société a payé à la place de l’intimé, en totalité ou en partie, les honoraires dus.  S’agit-il d’une avance à un actionnaire, les dividendes de l’intimé ont-ils été réduits en conséquence?  Nous n’en savons rien, mais c’est l’intimé qui avait droit à la réparation, droit qui existe toujours, sauf s’il a été éteint, ce que la preuve ne démontre pas[67].  Les appelants doivent indemniser l’intimé qui fera les arrangements qui s’imposent avec sa société qui ne réclame rien des appelants puisqu’elle n’est pas au dossier.  Et elle ne prétend pas être subrogée dans les droits de l’intimé.

[90]        Quant à la quotité des dommages, les appelants ne démontrent pas d’erreur manifeste et déterminante dans l’évaluation faite par le juge de première instance, erreur sans laquelle notre intervention est exclue.

[91]        Sur le dernier moyen, les appelants plaident que le juge ne pouvait indemniser l’intimé pour atteinte à la réputation alors que ce recours est prescrit depuis longtemps. Le dépôt de la plainte remonte au 13 septembre 2006 et la décision du Comité de discipline au 27 février 2008.  La prescription applicable à un recours pour atteinte à la réputation est de un an[68] et le recours introductif n’a été lancé que le 28 février 2011.  Au surplus, l’intimé allègue que la plainte a eu des répercussions sur sa réputation professionnelle alors qu’il n’a pas perdu de client, ceux-ci n’ayant même pas été informés de ses démêlés avec l’Ordre.

[92]        L’intimé répond que sa réclamation ne repose pas sur une atteinte à la réputation mais sur « la souffrance morale qu’il a dû endurer pendant les six années qu’ont duré les procédures disciplinaires jusqu’à la confirmation de son acquittement par la Cour d’appel en 2012 »[69].  Il situe le point de départ de la prescription de trois ans[70] au moment de l’arrêt de notre Cour.  J’estime que son recours n’est pas prescrit.

[93]        Mon collègue le juge Bouchard rappelait récemment dans l’arrêt Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, combien l’octroi de dommages moraux est une « matière hautement discrétionnaire où la déférence est de mise »[71].  Le premier juge explique ainsi son raisonnement :

[208]        Dans un dernier temps, monsieur Gilbert réclame un montant de 75 000 $ pour le préjudice moral qu’il a subi en raison de la plainte disciplinaire portée contre lui, du fait qu’elle remettait injustement en question ses compétences professionnelles.

[209]    Il fait valoir que cette plainte l’a énormément affecté, tant sur le plan personnel qu’au niveau professionnel.

[210]        À l’audience, monsieur Gilbert a expliqué que cette plainte a eu un impact très important sur ses activités professionnelles dont la pierre d’assise s’avère être sa compétence professionnelle générale et en structure des bâtiments.

[211]    Les exemples qu’il a donnés pour expliquer l’impact négatif qu’ont eu ces infractions sur sa vie personnelle et professionnelle sont très éloquents.

[212]    Il est à souhaiter qu’il puisse un jour rétablir sa crédibilité telle qu’elle était avant que cette plainte ne lui soit adressée.

[213]    Eu égard à la preuve, le Tribunal estime raisonnable de lui accorder un montant de 40 000 $ sous ce poste de réclamation.

[94]        Il n’y a, ici, ni erreur de droit ni erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve.

[95]        Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel à la seule fin d’exclure l’appelant André Prud’Homme de la condamnation en dommages, avec les frais de justice contre les appelants en raison du caractère négligeable de cette détermination dans le litige engagé entre les parties.

 

 

 

LOUIS ROCHETTE, J.C.A.


 

Annexe

 

Code des professions (Extraits)

 

 

23. Chaque ordre a pour principale fonction d'assurer la protection du public.

 

À cette fin, il doit notamment contrôler l'exercice de la profession par ses membres.

 

111.  Chaque membre du comité, inspecteur, enquêteur ou expert prête le serment contenu à l'annexe II. Il en est de même de la personne responsable de l'inspection professionnelle nommée conformément à l'article 90.


114.  Il est interdit d'entraver de quelque façon que ce soit un membre du comité, la personne responsable de l'inspection professionnelle nommée conformément à l'article 90, un inspecteur, un enquêteur ou un expert, dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées par le présent code, de le tromper par des réticences ou par de fausses déclarations, de refuser de lui fournir un renseignement ou document relatif à une vérification ou à une enquête tenue en vertu du présent code ou de refuser de lui laisser prendre copie d'un tel document.

121.  Le Bureau de chaque ordre nomme parmi les membres de l'ordre un syndic et, si nécessaire, des syndics adjoints et des syndics correspondants.

Indépendance du syndic.

Le Bureau doit prendre les mesures visant à préserver en tout temps l'indépendance du syndic ainsi que celle des syndics adjoints et correspondants dans l'exercice de leurs fonctions.

Cumul des fonctions.

Le syndic ainsi que les syndics adjoints et correspondants ne peuvent cumuler d'autres fonctions découlant de l'application des dispositions du présent code ou de la loi constituant l'ordre professionnel dont ils sont membres.

Expert.

Le syndic peut, avec l'autorisation du Bureau, s'adjoindre tout expert.

 

Enquêtes sur infractions.

122.  Le syndic et les syndics adjoints peuvent, à la suite d'une information à l'effet qu'un professionnel a commis une infraction visée à l'article 116, faire une enquête à ce sujet et exiger qu'on leur fournisse tout renseignement et tout document relatif à cette enquête. Ils ne peuvent refuser de faire enquête pour le seul motif que la demande d'enquête ne leur a pas été présentée au moyen du formulaire proposé en application du paragraphe 9° du troisième alinéa de l'article 12.

Syndics correspondants.

Les syndics correspondants assistent le syndic et les syndics adjoints dans l'exécution de leurs fonctions et ils peuvent tenir une enquête, sous la directive du syndic ou d'un syndic adjoint, dans la région qui leur est attribuée.

Disposition applicable.

L'article 114 s'applique à toute enquête tenue en vertu du présent article.

128.  Le syndic ou un syndic adjoint doit, à la demande du Bureau, porter contre un professionnel toute plainte qui paraît justifiée; il peut aussi, de sa propre initiative, agir à cet égard.


Plainte portée par autre personne.

Une plainte peut être portée, par ailleurs, par toute autre personne. Cette personne ne peut être poursuivie en justice en raison d'actes accomplis de bonne foi dans l'exercice de ce pouvoir.

Consultation d'un dossier.

192. Peuvent prendre connaissance d'un dossier tenu par un professionnel, requérir la remise de tout document et prendre copie d'un tel dossier ou document, dans l'exercice de leurs fonctions:

[…]

2° un syndic, un syndic adjoint ou correspondant ou un expert que le syndic s'adjoint;

[…]

Examen de dossier.

Dans le cadre de l'application du présent article, le professionnel doit sur demande, permettre l'examen d'un tel dossier ou document et il ne peut invoquer son obligation de respecter le secret professionnel pour refuser de le faire.

 

193. Ne peuvent être poursuivis en justice en raison d'actes accomplis de bonne foi dans l'exercice de leurs fonctions:

 

[…]



 2° un syndic, un syndic adjoint ou correspondant ou un expert que le syndic s'adjoint;

23. The principal function of each order shall be to ensure the protection of the public.

 

For this purpose it must in particular supervise the practice of the profession by its members.

 

111.  Each member of the committee, inspector, investigator or expert shall take the oath contained in Schedule II. The same requirement applies to a person appointed as the person responsible for professional inspections pursuant to section 90.

114.  It is forbidden to hinder in any way a member of the committee, the person responsible for professional inspection appointed pursuant to section 90, an inspector, an investigator or an expert, in the performance of the duties conferred upon him by this Code, to mislead him by concealment or false declarations, refuse to furnish him with any information or document relating to an inspection or inquiry carried out by him under this Code or to refuse to let him take copy of such a document.


121.  The Bureau of each order shall appoint, from among the members of the order, a syndic and, if need be, assistant syndics and corresponding syndics.

Independence.

The Bureau must take steps to preserve the independence of the syndic and of the assistant and corresponding syndics at all times in the exercise of their functions.


Prohibition.

The syndic and the assistant and corresponding syndics may not exercise any other functions arising from the application of the provisions of this Code or the Act constituting the professional order of which they are members.


Expert.

Where so authorized by the Bureau, the syndic may retain the services of an expert.


Inquiries by syndics.

122.  The syndic and assistant syndics may, following an information to the effect that a professional is guilty of an offence contemplated in section 116, inquire into the matter and require that they be provided with any information or document relating to such inquiry. They may not refuse to make an inquiry on the sole ground that the request for an inquiry was not made using the form proposed pursuant to subparagraph 9 of the third paragraph of section 12.

 

Corresponding syndics.

The corresponding syndics shall assist the syndic and the assistant syndics in the performance of their duties and may hold inquiries, under the direction of the syndic or an assistant syndic, in the regions assigned to them.

Provision to apply

Section 114 shall apply to every inquiry held under this section.


128.  The syndic or an assistant syndic must, at the request of the Bureau, lodge any complaint against a professional which appears to be justified; he may also, on his own initiative, act in this regard.

Complaints lodged by other person.

A complaint may also be lodged by any other person. Such a person may not be prosecuted by reason of acts engaged in in good faith in the exercise of that power.


Powers.

192.  The following may, in the performance of their duties, examine a record kept by a professional, require the production of any document and make a copy of such record or document:

[…]

2) a syndic, an assistant or corresponding syndic or an expert retained by the syndic;

[…]

Examination of record.

For the purposes of this section, the professional shall, on request, allow the examination of such record or document and may not invoke his obligation to ensure professional secrecy as a reason for refusing to allow it.


193.
 The following persons or bodies cannot be prosecuted by reason of acts engaged in in good faith in the performance of their duties or functions:

 

[…]

 

 2) a syndic, an assistant or corresponding syndic or an expert retained by the syndic;

 

[Soulignement ajouté]

 



[1]     Le 21 juin 2005.

[2]     Au paragr. 44 du jugement dont appel.

[3]     Ibid.

[4]     Au paragr. 49.

[5]     Lors de la plaidoirie, l’avocat du syndic Tremblay déclare ne pas avoir de preuve à offrir sur le chef 3.

[6]     Saïm c. Ordre des ingénieurs, 2012 QCCS 2887 [Saïm].

[7]     RLRQ, c. C-26.  Les dispositions pertinentes du code sont reproduites en annexe de ces motifs.

[8]     Barreau du Québec c. Finney, [2004] 2 R.C.S. 17 [Finney].

[9]     Ibid., paragr. 39.

[10]    RLRQ, c. I-9, r. 6.

[11]    Art. 121 CP in fine.

[12]    Finney, supra, note 8, paragr. 29.

[13]    Brosseau c. Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301, 314-315, citant Re W.D. Latimer Co. and Bray (1975), 6 O.R. (2d) 129 (Ont. C.A.).

[14]    Jean-Paul Michaud, « Le Syndic et l'avocat : le syndrome du coyote », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, Barreau du Québec, Vol. 174, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2002, 27.

[15]    Finney, supra, note 8, paragr. 44;  Chicoine c. Desnoyers, 2006 QCCS 2107, paragr. 209.

[16]    Pharmascience inc.  c. Binet, [2006] 2 R.C.S. 513, paragr. 38 [Pharmascience].  Voir aussi Kane c. Cons. d’administration de l’U.B.C., [1980] 1 R.C.S. 1105, 1113.

[17]    Ibid., paragr. 42. Voir aussi J.-P. Michaud, supra, note 14, p. 43.

[18]    Marie Paré, « Droit disciplinaire : l’enquête du syndic », (1999) 59 R. du N. 307, 312.

[19]    Pharmascience, supra, note 16, paragr. 37.

[20]    Parizeau c. Barreau du Québec, [1997] R.J.Q. 1701, AZ-97021418, p. 19-21 du texte intégral (C.A.).

[21]    Ali c. Compagnie d’assurance Guardian du Canada, [1999] R.R.A. 427 (C.A.).

[22]    Les références à ces arrêts sont les suivantes : Ali c. Compagnie d’assurance Guardian du Canada, [1999] R.R.A. 427 (C.A.); Audet c. Transamerica Life Canada 2012 QCCA 1746; Lessard c. Rochefort & Associés 2006 QCCA 799.

[23]    Aux paragr. 64 à 71 de la décision du Comité de discipline.

[24]    Ibid., paragr. 72.

[25]    Ibid., paragr. 73.

[26]    Ibid., paragr. 74.

[27]    Ibid., paragr. 85.

[28]    Comme c’était d’ailleurs le cas devant la Cour supérieure, au paragr. 17 du jugement.

[29]    Aux paragr. 142 à 144 du jugement dont appel.

[30]    Voir les paragr. 17 et 149 du jugement dont appel.

[31]    Art. 2099 C.c.Q.

[32]    Saïm, supra, note 6.

[33]    Finney, supra, note 8.

[34]    Ibid., paragr. 40.

[35]    Art. 2805 C.c.Q.

[36]    Art. 114 CP.

[37]    Art. 124 CP.

[38]    Art. 192 CP.

[39]    Art. 193 CP.

[40]    Art. 192 (2) CP.

[41]    Il s’agit de la pièce D-2.

[42]    Art. 1457, al. 3; 1463 C.c.Q.

[43]    Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile, 8e éd., t.1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, nº 740, p. 769.

[44]    Ibid.

[45]    Ibid., nº 851, p. 825.

[46]    Pièce D-2.

[47]    Voir les art. 2098 et ss. C.c.Q.

[48]    Art. 2845 C.c.Q.

[49]    Monique Dupuis et Stéphane Reynolds, « Les qualités et les moyens de preuve », dans École du Barreau, Collection de droit 2015-2016, t. 2 « Preuve et Procédure », Cowansville, Yvon Blais, 2015, 195, p. 276. Voir aussi Saguenay (Ville de) c. Mouvement laïque québécois, 2013 QCCA 936; 2758792 Canada inc. c. Bell Distribution inc., 2014 QCCS 123; Boivin c. Morin, 2013 QCCS 3732.

[50]    Saïm, supra, note 6; Comptables agréés (Ordre professionnel des) c. Gibeau, 2012 QCTP 147 [Gibeau]; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Turgeon, 2013 QCTP 32 [Turgeon].

[51]    Saïm, supra, note 6, paragr. 79-81.

[52]    Ibid., paragr. 140.

[53]    Gibeau, supra, note 50.

[54]    Il s’agit de la syndic.

[55]    Le Conseil de discipline.

[56]    Gibeau, supra, note 50, paragr. 30, 34, 37 et 40.

[57]    Ibid., paragr. 52.

[58]    Ibid., paragr. 51.

[59]    Ibid., paragr. 35.

[60]    Ibid., paragr. 42 et 43.

[61]    Turgeon, supra, note 50.

[62]    Bien qu’il ne soit pas partie au litige.

[63]    Au paragr. 47 du mémoire de l’intimé.

[64]    Aux paragr. 48 et 49 du mémoire de l’intimé.

[65]    Au paragr. 204 du jugement dont appel.

[66]    Il s’agit de la pièce P-18.1.

[67]    Art. 2803, al. 2 C.c.Q.

[68]    Art. 2929 C.c.Q.

[69]    Au paragr. 159 du mémoire de l’intimé.

[70]    Art. 2925 C.c.Q.

[71]    Université de Sherbrooke c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2015 QCCA 1397, paragr. 63.

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