Deschênes et Construction Polaris |
2013 QCCLP 1576 |
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[1] Le 15 décembre 2011, monsieur Gaston Deschênes (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) par laquelle il conteste la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 1er décembre 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme sa décision initialement rendue le 16 août 2011 et déclare que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de ses lunettes.
[3] L’entreprise Construction Polaris (l’employeur) et le travailleur sont convoqués à une audience devant le tribunal prévue le 28 janvier 2013 à Baie-Comeau. Toutefois, par sa lettre du 15 juin 2012, la représentante de l’employeur informe le tribunal de son absence à l’audience et renonce à déposer une argumentation quant au litige. Le travailleur informe également le tribunal par l’entremise de sa représentante de sa renonciation à la tenue d’une audience. Comme mentionné dans son avis écrit, la représentante du travailleur produit pour le jour prévu de la tenue de l’audience une argumentation écrite au soutien de ses prétentions. La cause est mise en délibéré le 28 janvier 2013.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à l’indemnité prévue à l’article 113 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à la suite du bris de ses lunettes survenu le 14 février 2011.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et celui issu des associations d'employeurs sont d'avis de rejeter la requête du travailleur puisque le bris de ses lunettes n'est pas survenu « par le fait du travail » comme exigé par la disposition légale applicable dans le présent dossier. Ils estiment en effet, compte tenu de cette disposition de la loi, que le travailleur n’a pas droit à une indemnité puisque le bris de ses lunettes survient lors d’un événement « à l’occasion du travail » et non « par le fait du travail ». Dans de telles circonstances, la loi ne permet pas le remboursement pour la réparation ou le remplacement des lunettes.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le tribunal doit déterminer si le travailleur a droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de ses lunettes. Du dossier tel qu’il a été constitué, le tribunal retient les éléments suivants.
[7] Le travailleur occupe un emploi d’opérateur de pelle pour l’employeur. Le 14 février 2011, après son travail, il prend place à l’arrière d’un véhicule de l’employeur pour le conduire du site du travail vers le campement. Le conducteur du véhicule en perd le contrôle et s’ensuit un impact au cours duquel la tête du travailleur percute le dossier arrière et provoque le bris de ses lunettes. Selon l’information retrouvée au dossier, l’employeur confirme que cet événement lui est déclaré.
[8] Le travailleur produit une réclamation auprès de la CSST aux fins de l’obtention d’un remboursement pour la réparation ou le remplacement de ses lunettes.
[9] Le 16 août 2011, la CSST rend sa décision initiale par laquelle elle refuse la réclamation du travailleur au motif que le bris ses lunettes n’est pas survenu pendant qu’il exécutait ses tâches. Le 1er décembre 2011, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme le refus. Cette décision fait l’objet du présent litige.
[10] La représentante du travailleur produit son argumentation écrite par laquelle elle soumet que le travailleur remplit les conditions prévues à la loi pour obtenir l’indemnité réclamée.
[11] Le droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de lunettes est prévu à la loi sous la disposition suivante :
113. Un travailleur a droit, sur production de pièces justificatives, à une indemnité pour la réparation ou le remplacement d'une prothèse ou d'une orthèse au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2) endommagée involontairement lors d'un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant par le fait de son travail, dans la mesure où il n'a pas droit à une telle indemnité en vertu d'un autre régime.
L'indemnité maximale payable pour une monture de lunettes est de 125 $ et elle est de 60 $ pour chaque lentille cornéenne; dans le cas d'une autre prothèse ou orthèse, elle ne peut excéder le montant déterminé en vertu de l'article 198.1 .
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1985, c. 6, a. 113; 1992, c. 11, a. 5; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
(nos soulignements)
[12] Ainsi, en vertu de cette disposition, le droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de lunettes n'est pas relié à l'existence d'une lésion professionnelle, mais uniquement à la preuve des quatre conditions prévues à l’article 113. Tout comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bowater pâtes et papiers Canada inc. et Chevrier[2], cette disposition impose quatre conditions afin que le travailleur puisse obtenir une telle indemnité, soit :
· que la prothèse ait été endommagée involontairement;
· lors d’un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause;
· survenant par le fait de son travail;
· et qu’il n’a pas droit à une telle indemnité en vertu d’un autre régime.
[13] Le tribunal convient en l’espèce que les lunettes du travailleur ont été endommagées involontairement lors d’un événement imprévu et soudain, dans les circonstances qu’il décrit.
[14] En lien avec la troisième condition, la représentante du travailleur indique par son argumentation qu’elle semble également remplie. À cet égard, elle soumet que le fait que le travailleur prenne place dans le véhicule de l’employeur pour le ramener au campement constitue une partie de ses tâches. Elle souligne qu’il est alors sur les lieux de son travail et est rémunéré pendant le trajet entre le chantier et le campement. Elle dépose au soutien de ses prétentions deux décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.
[15] Tout d’abord, dans l’affaire Rodrigue[3], il s’agit d’une travailleuse qui est affectée à une tâche particulière la journée de l’événement, soit de nettoyer des boîtes de documents pour ensuite les ouvrir et en vérifier le contenu. Or, c’est entre ces deux étapes qu’elle se rend à la salle de bain pour se laver les mains, lesquelles étaient très sales, pour pouvoir poursuivre la seconde étape. C’est en revenant de la salle de bain qu’elle brise ses lunettes. La Commission des lésions professionnelles explique qu’il s’agit d’un événement survenu par le fait du travail en ces termes :
[15] Considérant le contexte et la séquence particulière des événements précités, la Commission des lésions professionnelles souscrit aux représentations de la travailleuse à l’effet que ses lunettes ont été endommagées involontairement lors d’un événement imprévu et soudain survenu par le fait de son travail.
[16] Le fait que la travailleuse se soit rendue à la salle de bain avec sa collègue pour s’y laver les mains était non pas seulement connexe au travail en cours, mais une étape nécessaire à la poursuite de la séquence des tâches auxquelles ces employées étaient alors affectées.
[17] La travailleuse ainsi que sa collègue ne pouvaient, de toute évidence, procéder à la vérification et au tri des documents prêts à être expédiés aux clients en manipulant le papier blanc avec leurs mains qu’elles avaient salies lors de l’étape précédente, à savoir le nettoyage des boîtes contenant les documents en question.
[16] Dans l’affaire Paquette[4], il s’agit d’un travailleur qui, vers la fin de son quart de travail, se rend au vestiaire pour retirer sa tenue de travail afin de pouvoir quitter plus rapidement à la fin de son quart. C’est lors de ce changement de vêtements que le travailleur brise ses lunettes. Se référant à la précédente décision, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’événement est survenu par le fait du travail :
[24] En fait, le débat a surtout porté sur la condition prévoyant que l’événement doit s’être produit par le fait du travail. L’employeur prétend en effet que ce n’était pas le cas. La soussignée ne retient pas cette prétention pour les motifs suivants.
[25] Dans l’affaire Rodrigue et Québécor World Saint-Romuald3, la juge administrative Marquis indique que dans certaines circonstances l’activité visée par l’article 113 de la loi peut être connexe au travail et même être une étape nécessaire à sa poursuite. La soussignée est d’avis que les faits décrits par le travailleur correspondent à une telle situation.
[26] En effet, il semble qu’il n’est pas inhabituel que les travailleurs souhaitent hâter leur départ lors du dernier quart de travail avant la fin de semaine. Tout au moins, personne n’a contredit un tel fait.
[27] Manifestement, le travailleur a trouvé un moyen d’accélérer ce départ en demandant à ses collègues de faire une partie des opérations de fermeture pendant qu’il se changeait. Il n’est toutefois pas contesté qu’il devait retourner dans l’usine pour superviser les travaux et le tribunal comprend qu’il en était toujours responsable en plus d’être toujours rémunéré puisqu’il n’avait pas encore poinçonné sa carte de présence.
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3 C.L.P. 294559-03B-0607, 14 mai 2007.
[17] Avec respect, le tribunal estime que ces deux affaires ne sont pas transposables au présent cas. En effet, contrairement à ces exemples, l’événement en l’espèce ne survient pas durant et au cours du quart de travail, mais bel et bien après. Il ne s’agit pas d’une étape nécessaire à la poursuite du travail.
[18] L’expression « par le fait du travail » implique nécessairement que l’événement survienne au cours du travail, dans son exécution et en raison de celui-ci. Or, le travailleur n’exerce pas les tâches pour lesquelles il est rémunéré au moment de l’événement, soit d’opérer une pelle. Ainsi, le tribunal est d’avis que l’événement n’est pas survenu par le fait du travail.
[19] Certes, l’événement survient à l’occasion du travail[5], le travailleur étant en transit, dans le transport organisé par l’employeur entre son lieu de travail et le campement fourni par l’employeur. Toutefois, le texte de l’article 113 de la loi est clair et ne porte pas à interprétation; il ne comporte pas cette notion d’événement survenu « à l’occasion du travail » comme à la définition d’un accident du travail à l’article 2 de la loi.
[20] Ainsi, le tribunal est d’avis que l’événement n’est pas survenu par le fait du travail, mais bien à l’occasion de celui-ci. Comme la disposition spécifiquement applicable en matière de réclamation pour la réparation ou le remplacement de lunettes ne comporte pas cette notion et exige que l’événement soit survenu par le fait du travail, le tribunal conclut que le travailleur ne peut obtenir l’indemnité qu’il réclame.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Gaston Deschênes, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 1er décembre 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à une indemnité pour la réparation ou le remplacement de ses lunettes.
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Louise Guay |
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Mme Maude Lyonnais-Bourque |
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U.O.M.L., local 791 |
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Représentante de la partie requérante |
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Mme Natalie Beaudoin |
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DEMERS BEAULNE ET ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q. c. A-3.001.
[2] C.L.P. 173858-07-0112, 10 juillet 2002, M. Langlois.
[3] Rodrigue et Quebecor World St-Romuald, C.L.P. 294559-03B-0607, 14 mai 2007, G. Marquis.
[4] Paquette et Emballages Rock Tenn-Montréal inc., 2012 QCCLP 5993 .
[5] Voir à titre d’exemple : Lajoie Somec inc. et Delisle, C.L.P. 371354-04-0902, 20 octobre 2009, J.A. Tremblay.
AVIS :
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