[1] LA COUR; -Statuant sur la requête de l'appelante pour permission d'appeler de la peine imposée le 27 juin 2007 par un juge de la Cour du Québec (l'honorable Jules Barrière), et, si la permission est accordée, de modifier la peine en y substituant une période d'incarcération en pénitencier entre 30 et 36 mois;
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Le 20 juin 2007, le juge de la Cour du Québec a déclaré Robert Pilon coupable d’une accusation de voies de fait graves contre S... M..., sa conjointe de fait depuis près d’une année, « en la blessant, mutilant, défigurant, commettant ainsi l’acte criminel prévu à l’article 268 du Code criminel. »
[4] Au moment de l’infraction, qui est survenue lors d’une dispute violente durant laquelle l’accusé et la victime consommaient du crack, Mme M... était enceinte de trois mois et demi. Elle était enceinte de six mois et demi lorsqu'elle a témoigné au procès.
[5] L’accusé a lancé un cendrier en direction de Mme M..., et l’a atteinte à la tête. En déclarant l'intimé coupable, le premier juge a rejeté sa défense fondée sur la thèse d'un accident.
[6] La victime a subi des blessures importantes. Trois artères cervicales derrière l’oreille droite ont été sectionnées, nécessitant 25 points de suture internes et 10 externes. De surcroît, la victime a reçu deux transfusions sanguines lors de son hospitalisation. Elle doit vraisemblablement subir à nouveau une opération après son accouchement afin de déterminer la nature des bosses douloureuses dans la région des blessures et prendre des mesures correctives qui s'imposent.
[7] Avant les événements qui ont donné lieu à l'accusation, l’accusé avait accumulé 43 antécédents depuis 1987, y compris plusieurs avec violence. Il avait déjà purgé des peines d'incarcération. Au moment de son procès devant le premier juge, et lors du prononcé de la peine le 27 juin 2007, il purgeait une peine de six mois de détention ferme pour un vol à l’étalage.
[8] Le juge a prononcé ses courts motifs oralement, après avoir entendu le témoignage de l'accusé et les observations des parties. Le ministère public a suggéré au juge une peine de pénitencier entre 30 et 36 mois, tandis que le procureur de l’accusé a proposé une peine avec sursis, le nombre de mois à purger étant laissé à la discrétion du juge.
[9] Reconnaissant que l'accusé était très criminalisé, le juge a immédiatement écarté la suggestion du procureur de l'accusé d'imposer une peine avec sursis. Malgré qu'il ait qualifié la suggestion du ministère public comme n’étant « pas totalement déraisonnable », le juge n’avait pas cependant « l’impression que le pénitencier va être un instrument pour vous. » Il a imposé une peine de 18 mois d’incarcération dans une prison provinciale, assortie d’une ordonnance de probation de deux ans avec surveillance.
[10] Son raisonnement quant au nombre de mois d’incarcération à purger tient en une phrase :
Je tiens compte de la gradation des sentences que vous avez à servir, des sentences de douze (12) mois qui ont été prononcées dans les années passées.
[11] Il est acquis au débat que cette Cour ne devrait pas intervenir à moins que la peine imposée soit manifestement non indiquée. Or, le juge n’a pas tenu compte de plusieurs facteurs qui auraient dû l’amener à imposer une peine de pénitencier, et sa justification d’une peine de 18 mois d’incarcération n’est pas convaincante.
[12] D’abord, il s’agissait d’un geste violent de l’accusé envers sa conjointe de fait, alors enceinte, qui lui a causé des blessures importantes. Ceci constitue un facteur aggravant[1]. Ensuite, ses multiples antécédents comprennent des voies de fait simples et des agressions armées, et deux autres de menaces de mort ou blessures corporelles. Non seulement l'accusé était criminalisé, comme le juge l'a reconnu, mais plusieurs de ses démêlés avec la justice étaient directement reliés à la violence. Il est manifeste que les peines d'incarcération antérieures n'ont pas eu un effet dissuasif sur le comportement de l'accusé.
[13] Finalement, la peine imposée ne tient pas suffisamment compte des objectifs de dissuasion et d’exemplarité.
[14] Quant aux facteurs atténuants, le seul qui pourrait entrer en ligne de compte est le fait que les conséquences du geste de l'accusé à l'égard de la victime n'étaient pas prévues.
[15] Le juge semble avoir accordé une certaine importance au contenu de trois lettres écrites par la victime à l'accusé durant sa détention, avant le procès sur la culpabilité. Dans ces lettres, la victime exprimait son amour pour l'accusé et son désir de reprendre la vie commune avec lui à sa sortie de prison. L'accusé a produit ces trois lettres durant son témoignage à l'audition sur la peine.
[16] La procureure de l'appelante s'est opposée à la production des lettres. Le juge a décidé, sur-le-champ, et en salle d'audience, d'entrer en communication avec la victime par téléphone, en présence des procureurs et de l'accusé. Il s'ensuivit une brève conversation entre le juge et la victime, et ensuite, entre la victime et la procureure de l'appelante, pour vérifier si la victime avait bel et bien écrit les trois lettres, et, si leur contenu représentait l'expression de sa volonté. En aucun moment durant cette courte conversation la victime n’était assermentée.
[17] Cette façon de procéder est non seulement inhabituelle, mais incompatible avec les règles régissant l'administration de la preuve.
[18] Quoi qu'il en soit, le juge n'aurait pas dû attacher quelque importance à ces lettres puisqu'il déclare lui-même qu'elles étaient écrites par une victime soumise à l'emprise de l'accusé.
[19] La Cour estime que dans les circonstances de l'espèce, alors que le geste de violence conjugale est survenu lorsque la victime était enceinte, une peine d'incarcération de 18 mois pour un accusé avec un lourd passé de crimes avec violence est manifestement non indiquée. La peine de 30 mois suggérée par le ministère public est nettement plus appropriée. Elle reflète adéquatement la répugnance qu'éprouve la société à l'égard des actes de violence conjugale.
[20] La peine imposée sera ajustée en conséquence, avec l’annulation de l’ordonnance de probation.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[21] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler;
[22] ACCUEILLE l’appel;
[23] SUBSTITUE à la peine infligée par la Cour du Québec une peine d’incarcération de 30 mois à être purgée consécutivement à toute autre peine que l’intimé purgeait le 27 juin 2007;
[24] ANNULE l’ordonnance de probation prononcée par la Cour du Québec.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.