Pacius et Manufacture Lingerie Château inc.

2009 QCCLP 2308

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

30 mars 2009

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

343403-71-0803      344162-71-0804      362956-71-0811

 

Dossier CSST :

126361385

 

Commissaire :

Danièle Gruffy, juge administratif

 

Membres :

Michel Gauthier, associations d’employeurs

 

Lorraine Gauthier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

344162-71-0804     

343403-71-0803      362956-71-0811     

 

 

Claudette Pacius

Manufacture Lingerie Château inc.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Manufacture Lingerie Château inc.

Claudette Pacius

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

Dossier 343403-71-0803

 

[1]                Le 21 mars 2008, l’employeur, Manufacture Lingerie Château inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 mars 2008 à la suite d'une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme les décisions qu’elle a initialement rendues le 31 octobre 2007 et le 18 décembre 2007. Elle déclare d’abord qu’il n’y a pas lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 25 septembre 2007 puisque celle-ci n’avait pas à se soumettre à l’examen du professionnel de la santé désigné par l’employeur. Elle déclare, par ailleurs, qu’il y a lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse du 18 décembre 2007 au 1er janvier 2008 au motif que celle-ci n’était pas disponible pour se prévaloir des mesures prévues à son plan individualisé de réadaptation.

Dossier 344162-71-0804

[3]                Le 1er avril 2008, madame Claudette Pacius (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste la décision ci-haut mentionnée rendue par la CSST le 17 mars 2008 à la suite d'une révision administrative.

Dossier 362956-71-0811

[4]                Le 13 novembre 2008, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 10 novembre 2008 à la suite d'une révision administrative.

[5]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 20 mars 2008, déclare qu’il est impossible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer et déclare que celle-ci a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[6]                À l’audience tenue à Montréal le 16 décembre 2008, la travailleuse est présente et elle est représentée; l’employeur est également dûment représenté.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

[7]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il y a lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 6 septembre 2007 et ce, jusqu’à ce que celle-ci se conforme à la prochaine convocation pour une expertise médicale devant un médecin désigné par lui.

[8]                L’employeur demande aussi à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il est possible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer et qu’il y a lieu de retourner le dossier à la CSST pour que celle-ci reprenne le processus de détermination d’un emploi convenable.

[9]                Pour sa part, la travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du 18 décembre 2007 au 1er janvier 2008 n’est pas justifiée.

L’AVIS DES MEMBRES

[10]           La membre issue des associations syndicales est d’avis de rejeter les requêtes de l’employeur et d’accueillir celle de la travailleuse. Elle estime que celle-ci avait une raison valable de ne pas se présenter aux expertises médicales prévues en septembre 2007 et qu’elle avait aussi une raison valable de ne pas se présenter à son programme de développement de capacité pendant la période des fêtes 2007, alors qu’elle était en voyage. Elle estime aussi que, selon les évaluations de la capacité de retour au travail de la travailleuse, il est impossible de déterminer un emploi que cette dernière serait capable d’exercer; elle conclut que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la loi en conséquence.

[11]           Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir les requêtes de l’employeur et de rejeter celle de la travailleuse. Il estime que les dispositions de l’article 209 de la loi permettent à l’employeur de faire expertiser un travailleur et que la CSST aurait dû suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse qui ne s’est pas présentée, sans raison valable, aux expertises prévues. Le membre issu des associations d’employeur est aussi d’avis que la CSST était justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse pour les quatre jours au cours desquels elle ne s’est pas présentée à son programme de développement de capacité, ayant décidé de partir en voyage sans l’autorisation de la CSST. Finalement, il est d’avis que la preuve est insuffisante pour conclure qu’il est impossible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer. Il estime que la possibilité d’exercer un emploi à temps partiel n’a pas été explorée et est d’avis de retourner le dossier à la CSST pour une reprise du processus de réadaptation.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[12]           La travailleuse occupe un poste d’emballeuse pour le compte de l’employeur depuis 1986.

[13]           Le 16 août 2004, elle subit une lésion professionnelle. En s’assoyant sur une chaise, celle-ci se brise et la travailleuse tombe sur la main gauche.

[14]           La travailleuse s’inflige plusieurs blessures dont les diagnostics initialement acceptés par la CSST sont une entorse du poignet gauche, une entorse de l’épaule gauche, une entorse lombaire et une fracture du scaphoïde gauche.

[15]           Le dossier est soumis à deux reprises à l’avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale. Le premier avis rendu le 28 juin 2005 est à l’effet que la fracture du scaphoïde gauche est consolidée en date du 11 mai 2005 mais qu’une investigation complémentaire est nécessaire dans le but d’évaluer une atteinte ligamentaire possible.

[16]           Le 5 juillet 2005, la CSST rend une décision par laquelle elle entérine les conclusions du membre du Bureau d'évaluation médicale.

[17]           Du 1er décembre 2005 au 1er février 2006, la CSST fait appel aux services de la firme Ressources Conseils ADL afin d’aider la travailleuse à identifier des pistes d’emplois possibles. Certaines pistes sont retenues (agente immobilière, chauffeure d’autobus urbain, surveillante de nuit) avec certaines réserves. Au rapport final d’évaluation, la conseillère en emploi mentionne ceci :

« Madame Pacius ajoute qu’elle ne connaît pas ses limitations fonctionnelles et qu’il est difficile de se positionner sur une piste en particulier. Elle nous informe ne pas être en mesure de mettre les pistes retenues en ordre de priorité. »

 

 

[18]           Le 19 avril 2006, la travailleuse subit une chirurgie pour une tendinite de De Quervain du poignet gauche.

[19]           Le 14 mai 2007, un deuxième avis est rendu par un membre du Bureau d'évaluation médicale et les diagnostics suivants sont retenus : contusion de la main et du poignet gauches avec déchirure du ligament collatéral radial du poignet, contusion indirecte dorso-lombaire, entorse dorso-lombaire, contusion indirecte de l’épaule gauche, tendinite de De Quervain, syndrome d’algodystrophie réflexe du membre supérieur gauche et contusion du thorax.

[20]           En ce qui a trait aux diagnostics de contusion de la main et du poignet gauches avec déchirure ligamentaire, de contusion au thorax, de contusion indirecte dorso-lombaire et d’entorse dorso-lombaire, le membre du Bureau d'évaluation médicale est d’avis que ces lésions sont consolidées depuis le 25 septembre 2006. En ce qui concerne la tendinite de De Quervain et le syndrome d’algodystrophie réflexe du membre supérieur gauche, le membre du Bureau d'évaluation médicale est d’avis que ces lésions sont consolidées en date du 28 février 2007. Aucun autre traitement n’est jugé nécessaire pour l’ensemble de ces lésions.

[21]           Le membre du Bureau d'évaluation médicale conclut à l’existence d’un pourcentage de déficit anatomo-physiologique (DAP) de 2 % pour l’entorse dorso-lombaire et de 5 % pour le syndrome d’algodystrophie réflexe.

[22]           Le membre du Bureau d'évaluation médicale détermine aussi les limitations fonctionnelles suivantes :

Éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de :

 

Ø       soulever, porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;

Ø       travailler en position accroupie;

Ø       ramper, grimper;

Ø       effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion de la colonne lombaire;

Ø       subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale;

Ø       éviter les changements brusques de températures ou des vibrations pour le membre supérieur gauche;

Ø       éviter le travail impliquant des efforts, une activité intense ou soutenue de la main, du poignet et de l’avant-bras gauches.

 

 

[23]           Le 31 mai 2007 et le 6 juin 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle entérine les conclusions du membre du Bureau d'évaluation médicale et déclare que la travailleuse recevra une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur sa capacité d’exercer un emploi.

[24]           Les décisions qui sont rendues à la suite des avis émis par les membres du Bureau d'évaluation médicale en 2005 et en 2007 ne font l’objet d’aucune contestation. Il s’agit donc de décisions finales liant les parties ainsi que le présent tribunal.

[25]           Compte tenu que la travailleuse conserve une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, elle est admise en réadaptation à compter du mois de juin 2007. Lors d’une première rencontre avec la conseillère en réadaptation, celle-ci autorise une psychothérapie de soutien avec monsieur A. Kerlac, psychologue, à raison de 10 séances.

[26]           Entretemps, la conseillère en réadaptation analyse les exigences du poste pré-lésionnel de la travailleuse et leur compatibilité avec les limitations fonctionnelles déterminées. Constatant que le travail prélésionnel de la travailleuse implique des mouvements fréquents et répétitifs du membre supérieur gauche, la conseillère en réadaptation conclut que la travailleuse n’a pas la capacité de retourner à son travail d’emballeuse. Elle constate aussi qu’il n’y a pas de possibilité d’emploi convenable chez l’employeur et elle conclut que la travailleuse présente des besoins d’ordre professionnel et social.

[27]           Au cours du mois de juillet 2007, la conseillère en réadaptation évalue la possibilité d’intégrer la travailleuse à un programme de réentraînement à l’effort. Le 19 septembre 2007, elle retient finalement les services d’une ergothérapeute afin de mettre au point un programme de développement de la capacité de travail de la travailleuse.

[28]           Les mesures de réadaptation mises sur pied par la CSST ne font l’objet d’aucune contestation de la part des parties.

[29]           Le 10 juillet 2007, un rapport médical final est produit par le médecin de la travailleuse, le docteur Singerman. Celui-ci établit la consolidation de la lésion professionnelle à la date de ce rapport et indique que la travailleuse conserve une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Le docteur Singerman mentionne qu’il ne produira pas de rapport d’évaluation médicale. Il s’agit du dernier rapport médical au dossier.

[30]           Le 27 septembre 2007, l’employeur écrit à la CSST pour l’informer qu’il a convoqué la travailleuse à une expertise médicale à deux reprises soit les 6 septembre 2007 et 15 septembre 2007 et que cette dernière ne s’y est pas présentée. Il demande à la CSST de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse conformément aux dispositions de l’article 142 de la loi. Tel que déjà mentionné, la CSST refuse la demande de l’employeur, objet de l’une des contestations dont est saisi le présent tribunal.

[31]           Le 27 novembre 2007, monsieur A. Kerlac, psychologue, produit un rapport d’évaluation final. Au chapitre intitulé « Impressions diagnostiques », cet intervenant s’exprime comme suit :

1.    Dépression majeure - intensité moyenne

 

PRONOSTIC : compte tenu de l’ajout à sa problématique initiale d’un problème cardiaque et de médicaments qui provoquent nausées et autres malaises, la possibilité de retour au travail est très réservé. L’état dépressif est susceptible de devenir chronique. Son état dépressif actuel ne lui permettrait de faire aucun travail.

 

Poursuite du suivi.

 

Actuellement, non indiqué. Madame est très peu verbale et très passive dans les entrevues. Madame ne voit pas ce que ça lui apporte. De fait, toutes les thérapies qu’elle a eues a différents niveaux ne semblent pas l’avoir aidée. Ou c’est effectivement le cas ou c’est son attitude dépressive qui l’amène à déprécier les gains qu’elle peut avoir eus. Si Mme manifestait à nouveau un désir de suivi psychologique, la demande sera à évaluer quand elle sera faite. [sic]

 

 

[32]           Selon les notes évolutives du dossier de la CSST, le 10 décembre 2007, l’ergothérapeute qui assure le suivi du programme de réentraînement de la travailleuse mentionne à la CSST que le tableau dépressif de cette dernière prend plus de place et elle observe « une certaine résignation de la part de T face à sa situation. » L’ergothérapeute mentionne à la CSST que la travailleuse a l’intention d’aller voir sa fille en Ontario et qu’elle demandera une autorisation à cette fin.

[33]           Le 14 décembre 2007, la travailleuse appelle à la CSST et laisse un message de la rappeler « au sujet des vacances de Noël ».

[34]           Le 17 décembre 2007, le nouveau conseiller en réadaptation responsable du dossier de la travailleuse mentionne que celle-ci l’avise qu’elle quitte le lendemain, soit le 18 décembre, pour la Floride et qu’elle revient le 3 janvier 2008. Devant cette situation, le conseiller en réadaptation décide de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse considérant que celle-ci n’est pas disponible pour la réadaptation pendant cette période. Cette décision est contestée par la travailleuse et, tel que déjà mentionné, est confirmée par la CSST le 17 mars 2008 à la suite d'une révision administrative. Cette question fait également l’objet du présent litige.

[35]           Le 14 janvier 2008, le conseiller en réadaptation réfère la travailleuse au Centre Lucie-Bruneau afin d’obtenir une évaluation de sa situation et, peut-être, une nouvelle orientation.

[36]           Aux notes évolutives du 7 février 2008, le conseiller en réadaptation s’exprime comme suit :

Jean-Marc Millaire, corrdonnateur à Lucie Bruneau, m’informe des résultats de l’évaluation ayant eu lieu hier avec T. Le pronostic est très peu favorable en ce qui concerne l’autonomie et nul pour un retour au travail.. La seule option qu’il constate pour aider t serait d’aller à domicile afin de constater son milieu de vie et l’aider à développer son autonomie. M. Millaire ne voit pas comment il pourrait intervenir autrement. Il constate aussi que sa condition d’angine de poitrine représente un obstacle significatif au RAT. Il lui a offert de rencontrer son mari, d’aller à domicile. T doit en parler avec lui et m’informer de sa décision ultérieurement. A ce moment, nous pourrions voir ce qui peut être fait. Si le mari de T refuse que l’on aille à domicile, Lucie-Bruneau ne voit pas ce qui peut être fait de plus que ce qui a été tenté jusqu’à présent. [sic]

 

 

[37]           Finalement, le conseiller en réadaptation indique que le mari de la travailleuse refuse l’accès au domicile. Il analyse donc la situation et il recommande d’indemniser la travailleuse en vertu des dispositions de l’article 47 de la loi, au motif qu’il y a « impossibilité pour la Commission de déterminer un emploi convenable à temps plein ailleurs sur le marché du travail. » Le conseiller en réadaptation exprime les motifs suivants pour justifier sa décision :

[…]

 

Considérant l’impossibilité pour T de refaire son EPL suite à l’analyse de poste du 12 juin 2007 et l’absence d’emploi convenable chez E étant donné les coupures drastiques de poste.

 

Considérant que les choix professionnels d’agente immobilière, d’avoir une garderie en milieu familial, de surveillant de nuit dans une résidence de personnes âgées, de conductrice d’autobus que T a retenu lors de l’exploration professionnel avec Ressources Conseils ADL en février 2006 ne sont pas réalistes compte tenu de ses aptitudes et de son profil professionnel.

 

Considérant qu’en septembre 2006, T identifié un poste d’assistante technique en pharmacie comme possibilité d’emploi convenable, mais échoue les tests d’admission au Collège Herzing.

 

Considérant la condition personnelle de T d’angine de poitrine diagnostiqué à l’automne 2007.

 

Considérant les indices dépressifs qui apparaissent à la fin de l’été 2007 pour lesquels nous offrons un soutien psychologique à la travailleuse.

 

Considérant le pronostic du psychologue M. Kerlac dans son rapport du 23 novembre 2007 qualifiant la possibilité d’un retour au travail de très réservé.

 

Considérant la référence à un programme de développement des capacités de travail au Centre professionnel d’ergothérapie en septembre 2007 et l’absence de progrès observé à ce jour.

 

Considérant l’évaluation effectuée au Centre Lucie Bruneau le 6 février 2008 qui qualifie le pronostic de retour au travail comme étant nul (référence à la note du 7 février 2008).

 

Considérant la présence d’indices dépressifs pour lesquels l’ergothérapeute a mis fin au programme de développement de capacité et a référé T vers un psychologue (référence note du 4 mars 2008).  [sic]

 

 

Tel que précédemment mentionné, cette décision du conseiller en réadaptation est confirmée à la suite d'une révision administrative. Cette question fait également l’objet du présent litige.

[38]           À l’audience, la travailleuse déclare qu’elle aimerait et aurait un intérêt à retourner sur le marché du travail si elle le pouvait.

[39]           Elle confirme avoir été convoquée à deux reprises par l’employeur pour une expertise médicale et ne pas s’y être présentée.

[40]           Elle explique que la première fois, elle a contacté son avocat et suivi les recommandations de celui-ci de ne pas s’y présenter. C’est ce que confirme d’ailleurs une lettre du 18 septembre 2007 signée par le procureur de l’employeur et adressée au procureur de la travailleuse.

[41]           La deuxième fois, elle explique qu’elle attendait son mari qui était pris dans la circulation et indique qu’elle ne pouvait pas quitter la maison avant parce qu’elle ne trouvait pas ses clés. Elle a alors contacté la clinique médicale pour informer le médecin désigné par l’employeur de son retard, ce à quoi on lui a répondu qu’elle serait reconvoquée à une date ultérieure.

[42]           Concernant la suspension de son indemnité de remplacement du revenu du 18 décembre 2007 au 1er janvier 2008, la travailleuse déclare que sa fille lui a offert un billet d’avion pour aller en Floride afin de lui changer les idées. Elle déclare que lorsqu’elle a avisé la CSST de son projet, l’intervenant à qui elle a parlé lui a dit qu’elle aurait dû l’aviser plus tôt. La travailleuse explique qu’elle participait alors à son programme de développement de capacité à raison de deux séances par semaine. Elle estime qu’elle a donc manqué quatre séances pendant son absence.

[43]           Après avoir entendu les arguments de chaque partie, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.

[44]           Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST devait suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 6 septembre 2007 tel que l’allègue l’employeur. Elle doit, en conséquence, décider si la travailleuse avait une raison valable de ne pas se présenter à l’évaluation médicale prévue le 6 septembre 2007 puis à celle prévue le 25 septembre 2007.

[45]           L’article 142 (2) a) de la loi se lit comme suit :

142.  La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :

 

 

2° si le travailleur, sans raison valable :

 

a)  entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;

__________

1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.

 

[46]           L’employeur invoque que c’est en vertu des dispositions des articles 209 à 211 de la loi que la travailleuse a été convoquée aux évaluations médicales de septembre 2007 et ce, à la suite du rapport final du docteur Singerman du 10 juillet 2007. Ces articles se lisent comme suit :

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

210.  L'employeur qui requiert un examen médical de son travailleur donne à celui-ci les raisons qui l'incitent à le faire.

Il assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre.

__________

1985, c. 6, a. 210.

 

 

211.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle doit se soumettre à l'examen que son employeur requiert conformément aux articles 209 et 210 .

__________

1985, c. 6, a. 211.

 

 

[47]           L’article 209 prévoit effectivement que l’employeur peut faire examiner un travailleur par un professionnel de la santé qu’il désigne à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la CSST un « rapport qu’il doit fournir » et portant sur l’un ou l’autre des sujets mentionnés à l’article 212 de la loi (notre soulignement). Or, en l’espèce, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que le rapport final du docteur Singerman ne peut être considéré comme un rapport que celui-ci « doit fournir » puisque le processus d’évaluation médicale de la travailleuse était alors terminé. En effet, tel que déjà mentionné, l’état de la travailleuse a fait l’objet d’un examen et d’un avis par un membre du Bureau d'évaluation médicale et cet avis a été entériné par une décision non contestée de la CSST et donc finale. Le rapport du docteur Singerman n’a donné lieu à aucune autre réclamation de la part de la travailleuse et, au surplus, les conclusions qu’on y retrouve sont superposables à celles du membre du Bureau d'évaluation médicale. La Commission des lésions professionnelles estime donc que l’employeur ne peut se servir ici des dispositions de l’article 209 de la loi pour convoquer la travailleuse à une expertise médicale et que le refus de cette dernière de s’y conformer ne peut lui être reproché.

[48]           Par ailleurs, vu les circonstances particulières du présent dossier, il serait difficile de reprocher à la travailleuse de ne pas s’être présentée à la première convocation du 6 septembre 2007 alors qu’elle a suivi les recommandations de son procureur à cet égard. De plus, même si cette convocation avait été conforme à l’article 209 précité, la demande subséquente de suspension du paiement de l’indemnité de remplacement du revenu n’aurait pu être accordée de façon rétroactive au 6 septembre 2007 (voir la jurisprudence[2] de la Commission des lésions professionnelles à cet effet).

[49]           Quant à la deuxième convocation, la Commission des lésions professionnelles estime, pour les mêmes raisons que précédemment mentionnées, que l’employeur ne pouvait pas se prévaloir des dispositions de l’article 209 et qu’il ne pouvait pas exiger que la travailleuse se soumette à une expertise médicale. Par ailleurs, même si les dispositions de l’article 209 avaient été applicables, la Commission des lésions professionnelles ne pourrait davantage faire droit à la demande de l’employeur. En effet, la travailleuse a déclaré qu’elle était prête à se conformer à la demande de l’employeur mais qu’en raison d’un contretemps, son rendez-vous a été reporté à une date ultérieure. Le témoignage de la travailleuse est apparu crédible et la Commission des lésions professionnelles estime que celle-ci a démontré une raison valable de ne pas s’être présentée à l’examen médical prévu.

[50]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST était justifiée de refuser la demande de l’employeur de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.

[51]           Dans un deuxième temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse du 18 décembre 2007 au 1er janvier 2008.

[52]           La Commission des lésions professionnelles estime que la raison invoquée par la travailleuse pour justifier son absence à son programme de développement de capacité au cours de la période des fêtes constitue une raison valable. L’obligation de collaboration de la travailleuse à son processus de réadaptation ne peut l’obliger à être à tout moment et en toutes circonstances à la disposition de la CSST. En l’espèce, la travailleuse a eu une opportunité de dernière minute et elle en a avisé la CSST; son séjour fut relativement court et, compte tenu du nombre peu impressionnant de séances de réentraînement auxquelles la travailleuse n’a pas assisté (environ quatre), il n’apparaît pas équitable, dans les circonstances, de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse.

[53]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST n’était pas justifiée de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse du 18 décembre 2007 au 1er janvier 2008.

[54]           Dans un troisième temps, la Commission des lésions professionnelles doit décider s’il est possible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer.

[55]           À cet égard, la preuve au dossier est à l’effet que tous les intervenants qui ont rencontré la travailleuse dans le cadre de son processus de réadaptation sont d’avis que cette dernière n’est pas apte à un retour sur le marché du travail si on tient compte de son état de santé global autant au point de vue physique que psychologique.

[56]           Il convient ici de référer à la définition d’emploi convenable prévue à l’article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

 

_____________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.

 

 

[57]           Or, tel que l’établit la jurisprudence du présent tribunal[3], la capacité résiduelle est une notion large qui doit prendre en compte non seulement les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle mais également les autres limitations physiques ou psychologiques personnelles connues au moment de l’évaluation de cette capacité. La CSST devait donc considérer la condition globale de la travailleuse et c’est ce qu’elle a fait : elle a tenu compte des limitations fonctionnelles physiques découlant de la lésion professionnelle, de la condition personnelle d’angine de poitrine et de la condition personnelle de dépression de la travailleuse, ces limitations et conditions étant, selon la preuve, toutes aussi importantes les unes que les autres.

[58]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles conclut que la CSST était justifiée de déclarer qu’il n’est pas possible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer et que, dans ces circonstances, cette dernière a droit aux prestations prévues à la loi.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 343403-71-0803 et 344162-71-0804

REJETTE la requête de l’employeur, Manufacture Lingerie Château inc.;

ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Claudette Pacius;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 mars 2008 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que la CSST était justifiée de ne pas suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 6 septembre 2007 ou du 25 septembre 2007;

DÉCLARE que la CSST n’était pas justifiée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu de la travailleuse à compter du 18 décembre 2007 et que la travailleuse a droit au versement de cette indemnité.

Dossier 362956-71-0811

REJETTE la requête de l’employeur, Manufacture Lingerie Château inc.;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 10 novembre 2008 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE qu’il n’est pas possible de déterminer un emploi que la travailleuse serait capable d’exercer et que celle-ci a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Danièle Gruffy

 

 

 

Me Jean Desrosiers

DESROSIERS, AVOCATS

Représentant de la travailleuse

 

 

Me Marc-André Robert

CARRERA GROUPE-CONSEIL INC.

Représentant de l’employeur

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Richer et Ville de St-Hubert, [1990] C.A.L.P. 411 ; Fortin et Donohue Normick inc., [1990] C.A.L.P. 907 ; Salvaggio et Asphalte et pavage Tony inc., [1991] C.A.L.P. 291 ; Berkline inc. et Hasler, C.L.P. 134590-73-0003, 14 décembre 2000, C.-A. Ducharme, (00LP-130); Westroc inc. et Beauchamp, [2001] C.L.P. 206 ; Algier et Groupement forestier Haut-Yamaska inc., C.L.P. 144149-62B-0008, 23 mai 2001, Alain Vaillancourt, révision rejetée, 12 avril 2002, G. Godin; Allaire et Resto-Brasserie Le Grand-Bourg, C.L.P. 153256-32-0012, 17 avril 2001, M.-A. Jobidon; Chantal et Services de gestion Quantum ltée, C.L.P. 185557-62-0206, 10 mars 2003, H. Marchand; Corporation développement récréo-touristique nautisme Grandes-Piles, [2005] C.L.P. 765 .

[3]           Lachapelle et J.M.J. Corbeil enr., CLP 239332-64-0407, 21 décembre 2005, C.-A. Ducharme; Boulianne et Les Transports Chaumont inc., C.L.P. 292602-63-0606, 16 août 2007, D. Besse; Dufour et Vétoquinol Prolab inc., C.L.P. 360212-04B-0810, 7 novembre 2008, M. Watkins.

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