Décision

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Date :

C.L. c. BCF Avocats d'affaires

2016 QCCAI 114

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossier :             1012401

Date :                   14 avril 2016

Membre :            Me Lina Desbiens

 

C... L...

 

Demanderesse

 

c.

 

bcf avocats d’affaires

 

Entreprise

DÉCISION

OBJET

demande d’examen de mésentente en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].

[1]          La Commission d’accès à l’information (la Commission) est saisie d’une demande de rectification afin que le nom de C... L... (la demanderesse) ne soit plus relié au site Internet de BCF Avocats d’affaires (l’entreprise). L’entreprise soutient avoir posé tous les gestes nécessaires pour retirer les renseignements de la demanderesse, comme il le fait pour tous les employés qui ne sont plus à son emploi.

[2]          Une audience se tient le 12 février 2016, à Montréal.

AUDIENCE

[3]          La demanderesse a été adjointe juridique à l’emploi de l’entreprise jusqu’en juillet 2013. À ce titre, son nom, sa photo et son titre d’emploi apparaissaient sur le site Internet de l’entreprise.

[4]          À son départ, l’entreprise a retiré ses informations de son site.

Marie-Claire Garneau

[5]          Mme Marie-Claire Garneau témoigne. Elle est directrice des technologies de l’information chez BCF Avocats d'affaires. Elle explique qu’à la suite du départ de la demanderesse, toutes les informations la concernant ont été retirées du site Internet comme il est habituel de le faire dans ces circonstances.

[6]          Elle a été informée par le conjoint de la demanderesse que des recherches dans Google donnaient comme résultat le nom de la demanderesse lié avec le site Internet de BCF Avocats d'affaires.

[7]          Elle a fait les vérifications dans la mémoire cache du site Internet de l’entreprise. Il s’agit de la mémoire virtuelle qui conserve l’information dans le serveur. Elle s’est assurée qu’aucun renseignement pouvant lier la demanderesse avec l’entreprise n’y apparaissait.

[8]          Elle confirme que lorsqu’on fait des recherches sur le site Internet de l’entreprise avec le nom de la demanderesse, il n’y a aucun résultat.

[9]          Le conjoint de la demanderesse a communiqué plusieurs fois avec les administrateurs de systèmes parce que la situation ne se réglait pas à son avis.

[10]       Mme Garneau a donc fait des démarches auprès de Google afin de s’assurer qu’il n’y aurait plus de lien entre la demanderesse et le site Internet de l’entreprise. On lui aurait répondu, par formulaire, qu’une fois le lien coupé, il y a un délai d’attente pour que le nom n’apparaisse plus.

Patrick Boucher

[11]       M. Patrick Boucher témoigne. Il est président de Virtual Guardian inc. Il possède plus de 16 ans d’expérience en sécurité de l’information et détient plusieurs certifications dans ce domaine. Il a agi plusieurs fois à titre de témoin expert devant les tribunaux. L’entreprise dépose son curriculum vitae (E-1).

[12]       En vue de la présente audience, il a été mandaté par l’entreprise, à titre d’expert, pour faire enquête afin de confirmer qu’aucune information liant la demanderesse directement ou indirectement à l’entreprise n’était présente sur son site Internet. Son mandat était de déterminer si l’entreprise avait tout fait ce qui devait être fait et vérifier ce qu’elle pouvait faire de plus pour satisfaire la demanderesse, le cas échéant. Il a produit un rapport d’expertise en février 2016 (E-2).

[13]       Il explique les différentes étapes de son enquête et les constats. Chaque recherche est documentée dans son rapport avec des captures d’écrans.

[14]       Dans un premier temps, il a saisi les différentes composantes du nom de la demanderesse dans onze moteurs de recherche, notamment Google, Yahoo et Bing. Dans tous les cas, il y a un résultat avec une référence à la page « Les gens » du site de l’entreprise. Si on suit le lien, on ne retrouve pas le nom de la demanderesse, ni dans la mémoire cache de Google, ni sur le site de l’entreprise.

[15]       Il a fait des vérifications physiquement dans les systèmes informatiques de l’entreprise et à partir des moteurs de recherche.

[16]       Il s’est branché dans le serveur de BCF Avocats d'affaires, a vérifié tous les fichiers du serveur et le nom de la demanderesse n’est pas indexé.

[17]       Il a vérifié dans les médias sociaux comme Linkedin, Twitter, Facebook, Youtube et Google + dans lesquels on repère des pages web de l’entreprise, mais il n’y a aucune information sur la demanderesse.

[18]       Ses vérifications lui permettent de confirmer que le site Internet de l’entreprise n’a plus aucune information sur la demanderesse qui peut y être référencée.

[19]       Il a donc fait des démarches auprès de Google, tout comme Mme Garneau. Il a utilisé le formulaire mis à la disposition des internautes par Google.

[20]       La situation persistant, il a fait des recherches supplémentaires avec le nom de la demanderesse à partir de huit moteurs de recherche qui conservent des archives des sites Internet. Wayback Machine a donné un résultat. Il s’agit de la page web de l’entreprise en date du 17 mai 2013, telle qu’elle existait et alors que la demanderesse était à l’emploi de l’entreprise.

[21]       Il a également utilisé dix moteurs de recherche qui cherchent à partir d’autres moteurs de recherche, notamment Ixquick Metasearch, Dogpile et Mamma. Considérant que l’outil de recherche Google fait partie de ces moteurs de recherche, les résultats sont identiques à ceux de la recherche avec Google.

[22]       Le témoin a fait également des recherches dans des répertoires qui n’ont donné aucun résultat.

[23]       Finalement, M. Boucher explique les captures d’écran tirées du serveur de l’entreprise incluses dans son rapport pour démontrer que le nom de la demanderesse n’y apparait pas.

[24]       La page 18 du rapport contient ses conclusions. Il confirme que le site Internet de l’entreprise ne contient pas de renseignements sur la demanderesse, ni en cache, ni sur le serveur.

[25]       Par ailleurs, il constate que la demanderesse n’a aucune présence sur Internet, que ce soit sur Facebook, Linkedin, etc. Il explique qu’à son avis, puisqu’une requête dans Google doit nécessairement afficher un résultat, les moteurs de recherche doivent creuser pour trouver une réponse et finissent par trouver les sites d’archives qui habituellement ne font pas partie des premiers résultats.

[26]       Il ajoute que le fait d’effectuer fréquemment la même recherche à partir du nom de la demanderesse permet d’influencer le positionnement du résultat. En l’espèce, le résultat sort au premier rang. De plus, le site de l’entreprise est bien indexé avec un poids numérique important puisqu’il fait l’objet de beaucoup d’utilisation.

[27]       Il conclut que le lien vient d’archives dans un site de bases de données historique qui contient un lien avec le site de l’entreprise.

[28]       Il sympathise avec la demanderesse, mais conclut que l’entreprise a fait tout ce qui était en son pouvoir pour répondre à la demanderesse.

F... M...

[29]       M. F... M... témoigne. Il est le conjoint de la demanderesse et s’est beaucoup impliqué dans son dossier. Il n’a pas de formation dans le domaine de l’informatique, mais passe beaucoup de temps sur son ordinateur.

[30]       Il confirme ce que les témoins de l’entreprise ont expliqué et ne conteste pas les résultats de l’expert, M. Boucher.

[31]       Il a lui-même fait plusieurs vérifications. Il dépose le formulaire de demande de Google et les résultats de ses recherches sur différents sites qui montrent que le nom de la demanderesse est relié à l’entreprise (D-1). Il confirme qu’en cliquant sur le lien, on ne trouve pas d’information sur la demanderesse.

[32]       Après ses démarches infructueuses auprès de l’entreprise, il s’est adressé au webmestre de Google. En juillet 2014, le résultat était que le lien était encore actif. On lui a dit que le nom peut être associé à la recherche même s’il ne se trouve pas sur la page source parce qu’il y aurait un « Tag ».

[33]        Il a appelé Google Canada et aux États-Unis et on lui aurait dit que seul le propriétaire du site web peut faire une demande de correction. Il ne pourrait donc pas faire les démarches lui-même.

[34]       M. Boucher confirme que ses vérifications sur le site Internet lui auraient permis de constater s’il y avait des « Tags » et il n’y en a pas.

C... L...

[35]       La demanderesse témoigne. Elle est en recherche d’emploi depuis plusieurs années. Un an après son départ de l’entreprise, on lui aurait dit qu’elle avait de mauvaises références de son ancien employeur. Elle a donc retiré cette information de son curriculum vitae et voudrait qu’il n’y ait plus de lien Internet non plus avec son ancien employeur. Elle explique que les employeurs chez qui elle postule font nécessairement des recherches sur Internet et qu’ils constatent qu’il y a un lien avec l’entreprise qui doit, selon elle, donner de mauvaises références.

[36]       Elle considère que le fait que les moteurs de recherche l’associent avec l’entreprise lui cause un préjudice sérieux et lui a fait perdre plusieurs opportunités d’emploi en raison de mauvaises références.

[37]       Elle veut que tout lien entre elle et l’entreprise disparaisse.

Argumentations

[38]       Le procureur de l’entreprise explique que lors de l’embauche de certains employés, il est de la culture du cabinet de publier des avis de nomination. À l’époque des avis dans les journaux papier, personne n’aurait demandé de détruire les archives du journal où l’avis était paru.

[39]       Aujourd’hui, lorsqu’un employé quitte un emploi, l’entreprise ferme son dossier d’employé et expurge le site Internet des informations le concernant.

[40]       Ce que la Loi sur le privé oblige de faire est de retirer le nom de l’employé qui n’est plus à l’emploi parce que l’information n’est plus exacte.

[41]       L’entreprise a retiré les renseignements personnels du site Internet et a fait plus encore. Elle a tenté de communiquer avec les responsables des moteurs de recherche qui lui ont confirmé qu’il fallait attendre et que l’information partirait avec le temps puisque les liens avec le site Internet de l’entreprise avaient été supprimés.

[42]       Il soutient que la demanderesse ne vit pas quelque chose d’inhabituel. L’Internet a pris la place des archives.

[43]       L’entreprise a corrigé l’information, mais on lui demande d’exiger d’un tiers, Google, de désindexer le lien. La loi n’autorise pas la Commission à rendre une telle ordonnance.

[44]       L’entreprise gère son site Internet. Elle a même engagé un expert spécialisé qui lui a confirmé que ce que lui reproche la demanderesse est hors de son contrôle. L’entreprise n’a pas d’obligation légale à l’égard de la demanderesse et la situation n’est pas de sa faute.

[45]       Malgré toute la sympathie qu’elle peut avoir pour la demanderesse, l’entreprise a rempli ses obligations.

[46]       Par ailleurs, sur la question du préjudice, l’entreprise indique que bien que ce ne soit pas pertinent dans le cadre d’une demande de rectification, les ressources humaines lui ont confirmé que les seules références données sont la confirmation que la personne a travaillé dans l’entreprise et pendant combien de temps.

[47]       La demanderesse demande de rectifier le site Internet de l’entreprise, ce qui a été fait. L’entreprise soutient que le recours entrepris n’est pas le bon. Le droit à l’anonymat n’est pas ici du ressort de la Commission.

[48]       La demanderesse précise que l’exemple des archives papier n’est pas bon puisqu’il n’y a pas d’autres employés qui vivent sa situation. Le lien est avec l’entreprise et il est de son obligation de régler ce problème.

ANALYSE

[49]       L’entreprise est assujettie à la Loi sur le privé qui prévoit :

1. La présente loi a pour objet d’établir, pour l’exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l’égard des renseignements personnels sur autrui qu’une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l’occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l’article 1525 du Code civil.

Elle s’applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre.

[…]

[50]       Le droit de rectification est prévu par la Loi sur le privé et le Code civil du Québec[2] :

Loi sur le privé

 

28. Outre les droits prévus au premier alinéa de l’article 40 du Code civil, la personne concernée peut faire supprimer un renseignement personnel la concernant si sa collecte n'est pas autorisée par la loi.

 

Code civil du Québec

 

40. Toute personne peut faire corriger, dans un dossier qui la concerne, des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques; elle peut aussi faire supprimer un renseignement périmé ou non justifié par l’objet du dossier, ou formuler par écrit des commentaires et les verser au dossier.

La rectification est notifiée, sans délai, à toute personne qui a reçu les renseignements dans les six mois précédents et, le cas échéant, à la personne de qui elle les tient. Il en est de même de la demande de rectification, si elle est contestée.

[51]       Le droit à la rectification comprend le droit de toute personne de faire corriger dans son dossier des renseignements personnels qui sont inexacts, incomplets ou équivoques. Il comprend également le droit de faire supprimer un renseignement périmé.

[52]       La demanderesse, qui ne travaille plus pour l’entreprise, lui demande de corriger tout renseignement la concernant qui a pour effet de l’associer à l’entreprise.

[53]       Plus particulièrement, elle demande de couper tout lien informatique qui la relie au site Internet de l’entreprise.

[54]       En l’espèce, il ressort de la preuve que l’entreprise a retiré de son site Internet toute information relative à la demanderesse. En effet, à son départ, son dossier d’employée a été fermé et les informations la concernant ont été retirées du site Internet de l’entreprise. Il s’agit d’une procédure habituelle lors des départs.

[55]       Après avoir été informée qu’un lien existait encore, la direction des technologies de l’entreprise s’est assurée qu’il n’y avait plus de renseignements concernant la demanderesse tant sur le site Internet que dans la mémoire cache, soit la mémoire virtuelle qui conserve les informations sur le serveur. L’administrateur du système a également fait des vérifications avec Google.

[56]       Cependant, il a été démontré à la Commission que Google associe le nom de la demanderesse à l’entreprise lorsqu’une recherche est effectuée à partir de son nom. Le lien permet de consulter la page web « les gens » dans laquelle se trouvent les informations sur les professionnels, le personnel de soutien et l’équipe administrative de l’entreprise. Toutefois, aucun renseignement concernant la demanderesse ne se trouve sur cette page.

[57]       Peut-on conclure de cette situation que l’entreprise détient des renseignements personnels contenant des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques concernant la demanderesse et qui doivent être rectifiés?

[58]       Selon la preuve présentée, le résultat de recherche serait un lien avec le site Wayback Machine qui conserve des captures d’écran de site Internet à différents moments dans le temps. Cette interface permet de consulter d'anciennes versions de page web. Ainsi, dans ces archives on retrouve la page web telle qu’elle existait à l’époque où la demanderesse était employée de l’entreprise. Sa photographie et ses coordonnées apparaissaient sur cette page, comme pour tout le personnel. Cette information, en date du 17 mai 2013, n’est pas inexacte.

[59]       D’ailleurs, le rapport d’expert déposé démontre de manière prépondérante qu’il s’agit du seul endroit où l’on pourrait faire le lien entre la demanderesse et l’entreprise. Cette dernière n’a aucun lien avec Wayback Machine.

[60]       La Loi sur le privé reconnaît à la Commission la compétence d’entendre une demande de mésentente relative à l’application d’une disposition législative portant sur la rectification d’un renseignement personnel. Elle confère, par son article 55, le pouvoir à la Commission d’ordonner à une personne exploitant une entreprise de rectifier un renseignement personnel ou de s’abstenir de le faire.

55. La Commission a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence; elle peut rendre toute ordonnance qu’elle estime propre à sauvegarder les droits des parties et décider de toute question de fait ou de droit.

Elle peut notamment ordonner à une personne exploitant une entreprise de donner communication ou de rectifier un renseignement personnel ou de s'abstenir de le faire.

[61]       La Commission ne peut exercer ces pouvoirs qu’à l’endroit de la personne qui détient le dossier faisant l’objet d’une demande de rectification.

[62]       En l’espèce, la preuve présentée permet de conclure que l’entreprise a pris tous les moyens pour retirer tous les liens entre la demanderesse et le site Internet de l’entreprise.

[63]       Le procureur de l’entreprise a comparé la présente situation avec les avis de nomination qui paraissent dans la presse papier. Le droit à la rectification ne permettrait pas de demander de détruire les archives du journal où l’avis a été publié.

[64]       Il ressort de la preuve présentée par la demanderesse qu’elle veut éliminer tout lien avec son ancien employeur. Elle a modifié son curriculum vitae et voudrait empêcher de retrouver cette information sur Internet. Bien que cela n’a pas été démontré, elle allègue subir un préjudice de la situation.

[65]       Le droit d’une personne de faire rectifier dans un dossier qui la concerne des renseignements inexacts, incomplets ou équivoques n’est pas de l’ordre du « droit à l’oubli » qui vise à effacer des informations des espaces publics. D’ailleurs, il n’est pas certain que ce droit, reconnu en Europe, trouve application au Québec.

[66]       En l'espèce, l’entreprise visée par la présente demande a rempli ses obligations en retirant de son site Internet tout renseignement concernant la demanderesse et a démontré que son site Internet ne fait aucun lien avec cette dernière.

[67]       Par conséquent, la demande d’examen de mésentente doit être rejetée.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[68]       REJETTE la demande d’examen de mésentente de la demanderesse.

LINA DESBIENS

Juge administratif

BCF Avocats d’affaires

(Me Serge Fournier)

Avocats de l’entreprise



[1]    RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.

[2]    RLRQ.

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