Décision

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C A N A D A

Gestion D. Laberge inc. c. 9170-1011 Québec inc.

2016 QCCS 590

COUR SUPÉRIEURE

C A N A D A

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

 

No:  500-17-052446-096

 

Le  15 février 2016

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE LA GREFFIÈRE SPÉCIALE  Me Vanessa O'Connell-Chrétien

 

 

 

GESTION D. LABERGE INC.

            Demanderesse

c.

9170-1011 QUÉBEC INC.

9193-5593 QUÉBEC INC.

CORPORATION IMMOBILIÈRE TÉNOR INC.

            Défenderesses

 

 

TAXATION DE MÉMOIRE DE FRAIS

 

 

 

[1]         Me Charles E. Bertrand demande la taxation de son mémoire de frais daté du 18 novembre 2015[1] à titre de procureur de la défenderesse 9170-1011 Québec inc. (ci-après «9170»). Les frais sont réclamés suite au jugement rendu le 6 janvier 2011 par l’honorable juge Kevin Downs.

 

[2]         Ce jugement accorde les dépens et constate l’absence de défaut permettant de poursuivre l’instance entreprise en délaissement forcé et prise en paiement.

 

[3]         Ce jugement a été porté en appel. Dans son jugement, la Cour d’appel accueille l’appel de la demanderesse sans frais «afin de remplacer les paragraphes 105 à 113 du jugement » par ceux prévus au jugement sur la base que certaines conclusions auraient été rendues ultra petita. Le jugement qui en résulte accorde toujours les dépens en première instance de sorte que ceux-ci pouvaient faire l’objet d’une taxation par le dépôt d’un mémoire de frais.

[4]         Le mémoire de frais totalise la somme de 100 222,49$ et a fait l’objet d’une contestation et d’une réplique.

 

[5]         Alors que la contestation était liée, le procureur de la demanderesse a produit une lettre dans laquelle il y mentionne que depuis le dépôt de la contestation, «le nouveau Code de procédure civile […] est entré en vigueur […] qu’il est d’application immédiate dès son entrée en vigueur et il ne contient aucune exception à cette règle en ce qui concerne la vérification des mémoires de frais.»

 

[6]         En réponse, Me Bertrand, lequel réclame la taxation de son mémoire, répond que :

 

«Nous vous rappelons que le mémoire de frais réclame des dépens qui ont été dûment accordés par jugement et qu’il y a chose jugée. Les dépens en vertu de ce jugement dont les dépens que nous pouvions réclamer avant l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile et nous ne croyons pas que le greffier de la Cour Supérieure peut modifier le jugement rendu par la Cour Supérieure confirmée par la Cour d’Appel qui a maintenant chose jugée.»

 

[7]         Il est vrai que le nouveau Code de procédure civile[2] est entré en vigueur entre le présent jugement et la contestation. Son article 833[3] prévoit d’ailleurs que son effet est immédiat à l’exception de certaines exceptions. Par ce nouveau code, la procédure relative aux frais de justice et les frais eux-mêmes ont fait l’objet d’une révision importante, abrogeant au passage le Tarif des honoraires judiciaires des avocats («Tarif»).

 

[8]         Depuis le 1er janvier 2016, les jugements rendus ne peuvent accorder que les frais qui sont prévus à l’article 339 du nouveau code[4]. On ne peut donc plus accorder par jugement les honoraires prévus au Tarif, même si ceux-ci étaient en vigueur au moment où le dossier a été ouvert, a été entendu en audition, ou même encore en vigueur pendant le délibéré. Il s’agit là d’une conséquence de l’effet immédiat que le législateur a choisi d’appliquer à sa nouvelle loi.

 

[9]         Le dossier sous analyse n’en est toutefois pas un où le jugement a été rendu depuis le 1er janvier 2016. Tel que mentionné plus haut, il fût rendu bien avant cela et le droit aux dépens a été explicitement adjugé. Le mémoire de frais a également été déposé en 2015. Il n’a toutefois pas pu être traité avant l’entrée en vigueur du nouveau Code.

 

[10]      Même si le nouveau Code est d’effet immédiat, il ne peut avoir pour effet de modifier la conclusion du jugement rendu. Il s’agit certes d’une situation particulière en ce que le droit aux dépens est adjugé par jugement et doit ensuite faire l’objet d’une taxation par un officier taxateur sur présentation d’un mémoire de frais. Ainsi, le droit aux dépens fait partie de ce sur quoi se prononce le décideur saisi d’une procédure pour laquelle les dépens sont demandés.

 

[11]      Il est de jurisprudence constante que l’officier taxateur ne peut revenir sur la décision du décideur eut égard à l’octroi des dépens. Comment concilier cette certitude avec le fait que l’officier taxateur ne peut qu’appliquer que les tarifs applicables à la taxation d’un mémoire de frais si ceux-ci ont été abrogés? Est-ce dire que si le jugement accorde les dépens, mais que ceux-ci sont abrogés, l’officier taxateur ne peut alors plus traiter le mémoire de frais?

 

[12]      L’article 12 de la Loi sur l’interprétation[5] prévoit que :

 

«12. L'abrogation d'une loi ou de règlements faits sous son autorité n'affecte pas les droits acquis, les infractions commises, les peines encourues et les procédures intentées; les droits acquis peuvent être exercés, les infractions poursuivies, les peines imposées et les procédures continuées, nonobstant l'abrogation.»

 

[13]      Dans le cas sous analyse, non seulement le jugement accordant les dépens fait office de droit acquis permettant de taxer le présent mémoire de frais, mais qui plus est la procédure intentée pour se faire avait été déposée avant l’entrée en vigueur du nouveau Code.

 

[14]      En conclure autrement aurait pour résultat peu pratique de ne pas pouvoir taxer les mémoires de frais déposés avant l’entrée en vigueur du nouveau Code, mais n’ayant pu être taxés pour quelque motif que ce soit.

 

[15]      Les frais réclamés au mémoire de frais seront donc analysés à la lumière des dépens taxables sous l’ancien Code de procédure civile[6].

 

[16]      Font l’objet d’une contestation : les frais d’huissiers, l’honoraire additionnel totalisant  76 604,61$ et les intérêts sur les dépens.

 

 

I. Déboursés contestés

 

[17]       Seuls les frais prévus dans un tarif ou une loi peuvent être accordés. Une fois ceci dit, lorsque l’huissier fait une vacation «en urgence», qu’il facture des frais de «gestion» ou dits «extra-judiciaires» ou fait un dépôt de procédure au greffe ces frais ne peuvent être taxés puisque non prévu au tarif des huissiers[7] alors en vigueur ou au nouveau tarif applicable aux huissiers[8]. Il y a donc lieu de n’accorder que la somme de 666,24$ pour les frais d’huissiers, laquelle inclut les taxes.

 

 

II. Honoraire additionnel de 1%

 

[18]       Quant à l’honoraire additionnel, la contestation allègue que l’honoraire prévu à l’article 42 du Tarif des honoraires judiciaires des avocats[9] («Tarif») devrait être déterminé selon l’article 8 de ce même Tarif soit le solde dû sur la créance. Suivant le calcul proposé par le demandeur, cet honoraire serait de 23 240,40$ alors qu’il est réclamé 76 604,61$. Il est également allégué par la demande que le montant de la créance auquel en arrive le juge serait le même que la valeur en litige.

 

[19]        Il ne s’agit certes pas d’un dossier conventionnel de délaissement forcé. La convention liant les parties, laquelle était garantie par hypothèque, a fait l’objet d’une analyse détaillée autant par le tribunal de première instance qu’en appel et ce tout simplement pour savoir si un défaut existait et permettait donc l’action entreprise.

 

[20]       L’article 42 du Tarif prévoit que :

 

«42. Dans le cas d'une demande dont la somme ou la valeur en litige est supérieure à 100 000 $, un honoraire additionnel de 1% sur l'excédent de 100 000 $, est taxable.»

 

[21]        La Cour d’appel a rendu plusieurs jugements[10] selon lesquels pour que l’honoraire de 1% puisse être accordé il faut un jugement mettant fin au litige, que la valeur en litige soit déterminable et que celle-ci soit de plus de 100 000$.

 

[22]       Qu’elle est la somme ou la valeur en litige ici? Pour déterminer celle-ci, il faut se référer à l’arrêt de principe sur la question lequel demeure Churchill Falls[11].

 

[23]       Dans cet arrêt la Cour explique qu’il ne faut pas méprendre la valeur en litige avec la valeur du litige :

 

«La détermination de la « valeur en litige » et de l’ « intérêt en jeu » nécessite la recherche de ce qui a été réellement en jeu ou en litige devant le tribunal.  Pour conclure que l’intérêt économique du litige pour le requérant est en jeu ou en litige, il doit avoir été affecté d’une manière ou d’une autre par le jugement sur lequel portent les dépens; soit que celui-ci décide des prétentions de fond du requérant, soit qu’il fait obstacle à ce que le requérant fasse valoir ses prétentions devant une cour de justice.

 

Il en est évidemment ainsi lorsque la Cour supérieure accueille ou rejette au fond une requête pour jugement déclaratoire, mais également lorsque la cour rejette la requête au stade d’une requête en irrecevabilité, pour le motif soit d’absence de capacité ou d’intérêt pour agir du requérant, soit de litispendance ou de chose jugée, puisque dans chacune de ces hypothèses, le jugement prononcé a pour conséquence de mettre fin au litige entre les parties.  […]  Il en serait enfin de même dans l'hypothèse où la requête est rejetée au stade préliminaire, pour le motif d'absence de difficulté réelle à solutionner, puisque le jugement ferait alors obstacle, dans l'état des choses au moment de son prononcé, à tout recours du requérant devant les tribunaux de droit commun, fondé sur les mêmes prétentions.»

 

[24]       C’est donc à la lumière du débat entre les parties que l’analyse doit se faire. En effet, je n’adhère pas à la prétention avancée selon laquelle le solde de la créance équivaut automatiquement à la valeur en litige.

 

[25]       Sur ce point, il importe de spécifier que l’article 8 du Tarif n’est d’aucune utilité pour déterminer la valeur en litige taxable suivant l’article 42 du Tarif. Celui-ci détermine que :

«8.  Dans une action où le créancier exerce un droit pour devenir propriétaire irrévocable d'un immeuble, la classe de l'action est déterminée suivant le solde dû sur la créance.»

 

[26]       Cet article n’est pertinent que pour déterminer la classe d’action applicable en vertu du Tarif. L’article 42 du Tarif opère selon des critères qui lui sont propres et qui ont été interprétés par la jurisprudence.

 

[27]       Dans le cas sous analyse, la valeur en litige est-elle déterminée ou déterminable et celle-ci est-elle de plus de 100 000$?

 

[28]       Tel que mentionné le jugement rendu a dû se prononcer sur la somme qui était due pour pouvoir conclure s’il y avait défaut ou non. Je suis donc d’avis que l’action portait sur l’existence même d’un défaut et qu’en conséquence l’article 42 ne peut être taxé puisqu’il s’agit d’une valeur indéterminable. En effet, conclure au contraire rendrait impossible la détermination de l’honoraire en question. Par ailleurs, il importe de noter que nulle part dans la requête introductive d’instance, il est fait état de la somme du défaut pour laquelle l’action est prise et qu’aucune condamnation monétaire quantifiant cette créance n’est recherchée.

 

III. Intérêts sur dépens

 

[29]       Le mémoire de frais prévoit la somme de 19 599,79$ à titre d’«intérêts» sur dépens depuis le jugement de première instance confirmé par la Cour d’Appel le 30 avril 2013 (du 06.01.11 au 08.10.15) - intérêt journalier : 11.04$».

 

[30]       La contestation quant à ce point fait valoir que «la Cour d’appel n’a pas «confirmé» le jugement de première instance» puisque l’appel a été accueilli et certains paragraphes remplacés.

 

[31]       Bien qu’il y aurait lieu de régler ce litige, il n’est pas de mon pouvoir de me prononcer sur ce point par l’entremise d’une taxation de mémoire de frais. En effet, même si ce point n’avait pas été contesté la somme réclamé à titre d’intérêts sur des dépens n’a pas à faire l’objet d’une «taxation» ou d’une vérification. C’est au moment de l’exécution du mémoire taxé que cette somme aura à être calculée et qu’il pourra y avoir débat à moins que les parties s’entendent.

 

IV. Frais de sténographies

 

[32]       Les frais de sténographies doivent également être révisés en ce que même s’ils ne sont pas contestés ne sont pas conformes au tarif applicable[12]. Les frais de «format comprimé», de «reliures», de «livraison», de «frais de déplacement» doivent dont être retranchés. Il y a donc lieu de les réduire à la somme de 1 772,56$.

 

 

[33]       PAR CES MOTIFS :

 

[34]       TAXE le mémoire de frais au bénéfice de Me Charles E. Bertrand à la somme de 4 131,30$.

 

 

 

Me Vanessa O'Connell-Chrétien

VOCC/so                                                             greffière spéciale

JO 0333



[1] Timbrée le 23 novembre 2015 et présentable le 10 décembre 2015.

[2] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01.

[3] Id., article 833.

[4] Id., article 339.

[5] Loi d'interprétation, RLRQ c I-16.

[6] Code de procédure civile, RLRQ c C-25.

[7] Tarif d'honoraires et des frais de transport des huissiers, RLRQ c H-4.1, r 14.

[8] Tarif d'honoraires des huissiers de justice, RLRQ c H-4.1, r 13.1.

[9] chapitre B-1, r. 22.

[10] Badia c. Cameo Knitting, 2014 QCCA 1070 (CanLII), Commission hydro-électrique du Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corp., 1991 CanLII 3251 (QC CA), Centre Universitaire de santé de l'Estrie (CUSE) c. Informatique  Rodan Inc., 2000 QCCA 10109 (CanLII) et Telio c. Douek (Telio)(Succession de), 2007 QCCA 751 (CanLII).

[11] Commission hydro-électrique du Québec c. Churchill Falls (Labrador) Corp., 1991 CanLII 3251 (QC CA).

[12] Tarif des honoraires pour la prise et la transcription des dépositions des témoins, chapitre S-33, r. 1.

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