Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Fortin et Laidlaw Carrier inc.

2012 QCCLP 2889

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay

27 avril 2012

 

Région :

Saguenay-Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

433178-02-1103-R

 

Dossier CSST :

137027421

 

Commissaire :

Jean Grégoire, juge administratif

 

Membres :

Rodrigue Lemieux, associations d’employeurs

 

Germain Lavoie, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Yves Landry, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Jean Fortin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Laidlaw Carrier inc. (F)

Transport TFI 4, Kings div. Citerne

Groupe Jules Savard

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 15 mars 2011, monsieur Jean Fortin (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 1er février 2011 à la suite d'une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 14 octobre 2010 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 30 août 2010, une lésion professionnelle.

[3]           L’audience s’est tenue le 23 février 2012 à Saguenay en présence du travailleur et de son procureur. D’autre part, seule la compagnie Transport TFI 4, Kings div. Citerne (l’employeur) était représentée à cette audience.

[4]           Le dossier fut pris en délibéré le 3 mars 2012, date à laquelle le tribunal a reçu la jurisprudence que le procureur du travailleur s’était engagé à produire.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi, le 30 août 2010, une lésion professionnelle prenant la forme d’un syndrome du canal carpien droit.

MOYEN PRÉALABLE

[6]           En début d’audience, le représentant de l’employeur a soulevé un moyen préalable. Il soumet que la réclamation du travailleur n’a pas été produite à la CSST à l’intérieur du délai prévu à l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

LES FAITS

[7]           De la preuve documentaire et testimoniale, le tribunal retient notamment ce qui suit.

[8]           Actuellement âgé de 43 ans, le travailleur occupe, pour le compte de l’employeur, un emploi de camionneur.

[9]           En 2008, le travailleur commence à ressentir des engourdissements à certains doigts de la main droite.

[10]        À une date qui ne peut être précisée, il consulte le docteur Claude Guern qui demande qu’une étude électromyographique soit réalisée. Cet examen, effectué le 30 mars 2009 a été interprété comme suit par le neurologue Camil Boily :

L’étude électrophysiologique réalisée chez M. Fortin au niveau du membre supérieur droit nous permet d’objectiver des conclusions sensitives et motrices dans les limites de la normale pour les amplitudes et les vitesses.

 

Aucun ralentissement segmentaire n’a pu être mis en évidence, plus particulièrement au niveau de la loge de Guyon ou au niveau du défilé du coude en regard du nerf cubital droit.

 

Une étude électrophysiologique de contrôle pourrait être éventuellement réalisée dans quelques mois.  [sic]

 

[11]        Le 26 mai 2010, une nouvelle étude électromyographique est effectuée et révèle ce qui suit :

HISTOIRE CLINIQUE

 

Il s’agit d’un patient âgé de 41 ans, droitier, camionneur, qui présente depuis 2 ans des paresthésies au niveau des 3e, 4e et 5e doigts de main droite. Des études électrophysiologiques avaient déjà été faites à l’hôpital de Chicoutimi auraient documenté un léger syndrome du tunnel carpien. Une infiltration cortisonée au niveau du tunnel carpien droit s’est révélée efficace, mais seulement durant environ 4 mois. Le patient n’a jamais présenté de paresthésie au niveau de la main gauche. À droite, les paresthésies semblent l’éveiller régulièrement la nuit. Elles sont également présentes durant le jour, notamment lorsqu’il conduit son camion.

 

Ce patient n’a pas d’autre antécédent personnel pertinent notamment il n’a pas d’histoire de diabète ni d’hypothyroïdie. Il n’accuse pas de paresthésie au niveau des pieds, il ne se plaint pas de cervicalgie. Il n’a pas d’histoire familiale du syndrome du tunnel carpien.

 

[…]

 

OPINION

 

Les études électrophysiologiques effectuées aujourd’hui ont documenté un syndrome du tunnel carpien droit d’intensité modérée. Il n’y a pas d’anomalie électrophysiologique sur le trajet du nerf cubital droit

 

Compte tenu de l’échec de l’infiltration cortisonée au niveau du tunnel carpien droit, je suggère une chirurgie décompressive du tunnel carpien droit.  [sic]

 

[12]        Le 24 août 2010, le neurochirurgien Marcelo Oliveira rencontre le travailleur et juge que sa condition nécessite une intervention chirurgicale.

[13]        Le 30 août 2010, le docteur Oliveira procède à une décompression du canal carpien droit. Une première attestation médicale pour la CSST est alors complétée et un arrêt de travail est recommandé.

[14]        Le même jour, le travailleur complète une réclamation pour la CSST.

[15]        Le 29 septembre 2010, le docteur Leonardo Neto (neurochirurgien), rencontre le travailleur et note une « nette amélioration » de ses symptômes à la main droite. Des traitements de physiothérapie sont cependant recommandés.

[16]        Le 14 octobre 2010, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur n’est pas atteint d’une maladie professionnelle.

[17]        Le 27 octobre 2010, le docteur Neto écrit ce qui suit lors d’une consultation médicale de contrôle :

Il s’agit d’un patient qui a été opéré par le Dr Oliveira d’une décompression d’un tunnel carpien droit le 30 août 2010. Les suites opératoires ont été marquées par une amélioration partielle des paresthésies au niveau de la main droite. Il a développé une douleur au niveau de la plaie liée à une adhérence de celle-ci, pour laquelle on a prescrit une physiothérapie lors de notre dernier rendez-vous, qui date du 29 septembre 2010. M. Fortin a commencé la physiothérapie il y a deux semaines et il a remarqué une nette amélioration de la douleur au niveau de la plaie et aussi des paresthésies résiduelles postopératoires. Cependant, à l’examen physique, on remarque toujours des signes importants d’adhérences de la plaie, motif pour lequel je prolonge son arrêt de travail pour encore un mois. À mon avis, il s’agit d’un syndrome du tunnel carpien lié à son métier de camionneur, qu’il exerce depuis 24 ans.  [sic]

 

[18]        Le 17 novembre 2010, le docteur Neto écrit que le travailleur n’a plus de symptôme à sa main droite et autorise ce dernier à reprendre son travail à compter du 29 novembre 2010.

[19]        À la demande de l’employeur, le travailleur rencontre, le 1er décembre 2010, le docteur Paul-O. Nadeau (orthopédiste). Dans son rapport daté du 2 décembre 2010, le docteur Nadeau écrit que le travailleur mesure 5 pieds 7 pouces et pèse 194 livres. Relativement aux symptômes du travailleur, le docteur Nadeau rapporte ce qui suit :

Monsieur me dit qu’il a commencé à avoir des problèmes au niveau de sa main droite, il y a environ 3 ou 4 ans vers 2006. Monsieur me dit que les douleurs sont venues de façon graduelle et progressive sous forme d’engourdissements qui impliquaient l’annulaire et l’auriculaire avec irradiation vers le coude droit. Monsieur me dit que c’est en conduisant surtout qu’il avait ces engourdissements et lorsqu’il conduisait plusieurs heures en ligne. Il dit que pendant ses vacances, il avait des engourdissements mais moindre.

 

Monsieur me dit qu’il a commencé à avoir des engourdissements par la suite la nuit et le tout l’éveillait. La première consultation remonte à peu près à 2008. Monsieur aurait été vu à la clinique sans rendez-vous à Chicoutimi-Nord avec le docteur Gurs. Un électromyogramme et une conduction nerveuse a été fait au centre hospitalier de Jonquière. Monsieur me dit qu’il avait un tunnel carpien au tout début à cette époque et on a suggéré de temporiser. Monsieur a eu quelques infiltrations qui l’ont aidé. Un an plus tard, monsieur est revenu à Chicoutimi et cette fois-ci, au lieu d’aller au centre hospitalier de Jonquière pour son électromyogramme, le tout a été fait à l’hôpital de Sagami. Le médecin qu’il l’a vu à cette époque lui aurait dit qu’il avait un tunnel carpien qui était sévère du côté droit, il n’a pas fait le côté gauche et il a suggéré une décompression chirurgicale. Monsieur a été référé à un chirurgien qui l’a vu le 25 août et l’a opéré le 30 août. Monsieur me dit qu’il s’agit d’un neurochirurgien qui vient du Brésil et dont il a oublié le nom. La suite des traitements a été fait par le docteur Vieira Neto. Monsieur a été revu en septembre, il a été référé en physiothérapie. Par la suite, il a été vu aux 2 à 3 semaines jusqu’au 17 novembre 2010. Le 17 novembre, le chirurgien lui a suggéré une date de retour au travail le 29  novembre. Monsieur me dit qu’il est retourné au travail le 22 novembre et il est toujours au travail depuis cette date.  [sic]

 

[20]        Par la suite, le docteur Nadeau fait état que le travailleur n’a aucun symptôme à la main gauche et précise qu’après la chirurgie effectuée à la main droite, le travailleur n’a plus ressenti plus d’engourdissement.

[21]        À la suite de l’examen clinique du travailleur, le docteur Nadeau fait l’analyse suivante des fonctions exécutées par celui-ci :

Il s’agit donc d’un patient qui aurait eu un tunnel carpien pour lequel monsieur allègue qu’après avoir conduit le camion pendant 25 ans, il a développé après 21 ans de cette activité, des douleurs au niveau du poignet avec engourdissement. Monsieur dit que  c’est lorsqu’il conduit, qu’il tourne volant, qu’il a la main en position neutre, qu’il fait des mouvements au niveau de son coude et au niveau de son épaule, flexion et extension du coude, flexion et abduction légère au niveau de l’épaule, qu’il aurait développé ces  douleurs. Monsieur allègue ne pas faire de mouvements de flexion forcée prolongée au niveau des poignets, ne pas faire de prise avec force. Monsieur me dit qu’il monte et descend sur le dessus de son camion mais il le fait avec les deux mains et il conduit pendant 99 % de son temps pour 1 % d’activités physiques quelconque au niveau de ses mains. Il ne charge pas et ne décharge pas son camion.  [sic]

 

[22]        Il conclut son rapport en posant le diagnostic de tunnel carpien droit. Relativement à l’étiologie de cette maladie, le docteur Nadeau fait référence à la présence, chez le travailleur, de deux conditions personnelles pouvant entraîner le développement d’un syndrome du canal carpien, à savoir le tabagisme et un indice de masse corporelle au-dessus de 30. Il souligne que si le syndrome du canal carpien du travailleur était en relation avec son travail, cette pathologie se serait développée dès les premières semaines ou les premiers mois de travail. Le docteur Nadeau ajoute par la suite ce qui suit :

NOTE MÉDICO-ADMINISTRATIVE

Relation :

1. il n’y a pas de réalité, pas d’intensité de blessure,

        2. il n’y a pas de mécanisme approprié,

        3. il y a une non concordance site impact blessure,

        4. il y a une histoire naturelle non respectée,

        5. il y a un délai de déclaration,

        6. il y a un délai de consultation,

        7. il y a un délai de survenance de la lésion par rapport à l’activité faite.

 

Nous devons refuser l’accident de travail de même que nous devons refuser la maladie professionnelle.

Le tout est non caractéristique de l’emploi, il n’y a pas de risque particulier de l’emploi.

 

 [sic]

 

[23]        Lors de l’audience, le tribunal a entendu le témoignage du travailleur. Ce dernier confirme qu’il exerce le métier de camionneur depuis 25 ans et précise qu’il est à l’emploi de l’employeur depuis 14 ans. Auparavant, il a œuvré pendant quelques années pour les compagnies Laidlaw Carrier inc. et transport Jules Savard . Il a aussi travaillé pour le compte de son père, Transport Jean-Yves Fortin, pendant 2 ans.

[24]        Le travailleur témoigne que depuis 6 mois, il effectue du transport local avec un camion-citerne. Il précise qu’il conduit ce type de camion depuis 6 ans et qu’il a surtout effectué du transport longue distance. Il était surtout affecté aux territoires de la Côte-Nord, de l’Ontario et également aux États-Unis, à raison de 60 à 65 heures de travail par semaine. Il ajoute qu’avant de conduire ce type de camion, il conduisait un camion avec une benne basculante.

[25]        Relativement à son état de santé, le travailleur affirme ne pas souffrir de diabète, d’hypothyroïdie et n’a pas d’antécédents familiaux de syndrome du canal carpien. Il ajoute avoir fumé environ 1 paquet de cigarettes par jour pendant 25 ans et a cessé de fumer depuis environ 2 mois.

[26]        D’autre part, il déclare que son poids est de 183 livres et qu’il mesure 5 pieds 8 pouces. Le travailleur ajoute que son poids a toujours été stable et qu’il n’a jamais eu un poids de 194 livres comme l’indique le docteur Nadeau.

[27]        Relativement à ses symptômes, il témoigne que ceux-ci sont apparus, au niveau de sa main droite, en 2008. Il confirme avoir eu une première étude électromyographique en 2009 et que son médecin lui a dit que ses symptômes n’étaient pas assez graves pour nécessiter une chirurgie ou pour l’empêcher de travailler. Le travailleur ajoute qu’à cette époque, sa main devenait engourdie durant la journée de travail et que durant la fin de semaine, il allait mieux.

[28]        Le travailleur confirme avoir passé une deuxième étude électromyographique au mois de mai 2010 et a finalement subi une chirurgie au poignet droit le 30 août 2010.  Il précise que c’est seulement à compter de cette chirurgie qu’il a été en arrêt de travail. Il a repris ses fonctions depuis le 22 novembre 2010 et n’a plus de symptômes à sa main droite.

[29]        D’autre part, entre les années 2008 et 2010, le travailleur reconnaît avoir reçu 3 infiltrations à son poignet droit données par le docteur Sylvain Simard. Il ajoute qu’il a payé 45,00 $ pour chacune des infiltrations et n’a pas réclamé ces frais à ses assurances. Il précise que ces traitements n’ont pas véritablement amélioré sa condition.

[30]        Au sujet de ses tâches de camionneur, le travailleur évalue que 70 % de son temps de travail est relié à la conduite de véhicules et que 30 % est consacré à d’autres tâches tels chargement et le déchargement du camion.

[31]        Le travailleur élabore ensuite de façon plus détaillée sur ses tâches pendant les 15 années où il a conduit un camion à benne basculante. Il était surtout affecté au transport de grain et explique que lors d’un déchargement, il devait détacher avec sa main droite, 5 attaches en caoutchouc qui retenaient la toile du camion, puis rouler celle-ci. Le travailleur ajoute que par la suite, il devait visser avec sa main droite, un tuyau de déchargement au camion. Une fois celui-ci complété, le travailleur explique qu’il devait monter dans la benne du camion, afin de pelleter le grain qui pouvait être demeuré pris à l’intérieur de celle-ci et devait également passer un balai à l’intérieur de la benne. Le travailleur souligne qu’un déchargement de grain pouvait prendre jusqu’à 2 heures.

[32]        Relativement à ses tâches lorsqu’il conduit un camion-citerne, le travailleur explique qu’avant un chargement, il doit monter sur la citerne afin d’ouvrir des couverts afin de permettre le chargement du produit. Le travailleur précise qu’il y a de 1 à 3 couverts à ouvrir et que pour chacun, il a 5 « clenches » à ouvrir avec sa main droite. Une fois le chargement complété, le travailleur doit remonter sur le dessus de la citerne pour fermer les couverts. Lors de ces manœuvres, son poignet droit fait alors des mouvements d’extension prononcés avec force. D’autre part, lorsque le travailleur procède au déchargement de produits chez le client, il doit manipuler avec sa main droite, un boyau rigide pesant entre 40 et 50 livres. Ce boyau est alors connecté à son camion et mesure environ 15 pieds de long.

[33]        Au sujet de la conduite de ce type de camion, le travailleur explique qu’il tient le volant avec ses 2 mains, sauf lors de changements de vitesses où il doit manipuler avec sa main droite, le levier de vitesses. Il précise que le levier de vitesses possède un pommeau rond avec « une clenche » en avant pour passer au deuxième plateau de vitesses. Il doit actionner celle-ci avec ses doigts, tout en gardant dans la paume de la main, le levier de vitesses. Son poignet droit est alors en position neutre. Le travailleur précise que selon le type de camion, il y a entre 13 et 15 vitesses.

[34]        D’autre part, le travailleur témoigne qu’il y a des vibrations sur le volant ainsi que sur le levier de vitesses, et ce, en raison principalement du mauvais état des routes. Il ajoute que lorsqu’il travaillait sur la Côte-Nord, il avait beaucoup de changements de vitesses à effectuer en raison des routes sinueuses et la présence de côtes. Le travailleur précise que la conduite de camion en zone urbaine implique aussi beaucoup de changements de vitesses.

[35]        Par ailleurs, le travailleur déclare qu’avant de subir sa chirurgie au poignet droit, il avait des engourdissements à sa main droite après 4 ou 5 heures de route. Il souligne que durant ses jours de congés, ses symptômes diminuaient et que durant ses vacances, il allait bien.

[36]        En contre-interrogatoire, le travailleur déclare qu’à sa connaissance, il n’y a qu’un seul autre conducteur de camions chez l’employeur qui a aussi un problème de syndrome du canal carpien.

[37]        D’autre part, il reconnaît que c’est depuis 2008 qu’il attribue ses symptômes à son travail de camionneur.

[38]        En ce qui concerne les infiltrations qu’il a reçues au poignet droit, le travailleur précise qu’il a reçu la première infiltration au début de l’année 2009, la seconde entre les 2 examens électromyographiques, puis la dernière au mois de juillet 2010.

[39]        Par ailleurs, il déclare que ses premières douleurs à la main droite sont apparues en 2008 alors qu’il conduisait des camions-citerne sur la Côte-Nord et dans la région du Labrador. Il effectuait ce travail du lundi au jeudi. En ce qui concerne la journée du vendredi, il faisait des livraisons en zone urbaine.

[40]        Il précise qu’il porte des gants de travail lorsqu’il manipule les boyaux de déchargement ainsi que lorsqu’il passait le balai à l’intérieur des bennes.

[41]        D’autre part, le travailleur reconnaît qu’il y a 3 niveaux de suspension sur le camion qu’il conduit et que le siège du conducteur a aussi une suspension à air.

[42]        Le travailleur poursuit son témoignage en déclarant avoir fumé pendant 25 ans, environ 1 paquet de cigarettes par jour.

[43]        Questionné par le tribunal, au sujet de l’étiologie de ses symptômes, le travailleur reconnaît que le docteur Guern l’a questionné, en 2008, sur le travail qu’il effectuait. Le travailleur précise que le médecin lui a alors dit que ses symptômes ressemblaient à un syndrome du canal carpien et que son travail pourrait en être la cause. Il ajoute qu’aucune attestation médicale pour la CSST n’a cependant été complétée par le docteur Guern.

[44]        D’autre part, le travailleur reconnaît que son travail n’implique pas de mouvements de déviations radiale ou cubitale des poignets. De plus, lorsqu’il tient sa main droite sur le volant du camion, son poignet demeure en position neutre et ses doigts sont en flexion pour retenir le volant.

[45]        Le travailleur termine son témoignage en déclarant que lorsqu’il effectue du transport local, ce travail implique davantage de tâches physiques reliées au chargement et au déchargement du camion, et moins de temps de conduite.

L’AVIS DES MEMBRES

[46]        Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales sont d’avis unanime que le moyen préalable de l’employeur doit être rejeté.

[47]        À ce sujet, ils estiment que la réclamation du travailleur a été déposée à l’intérieur du délai prévu à l’article 272 de la loi, puisque ce n’est qu’à compter du 26 mai 2010 qu’un syndrome du canal carpien a été documenté par un test spécifique et qu’un tel diagnostic a formellement été posé. Ils ajoutent que c’est seulement en 2010, qu’une attestation médicale pour la CSST a été complétée et qu’un arrêt de travail a été nécessaire.

[48]        Dans ce contexte, ils estiment que la réclamation du travailleur du 30 août 2010 a été produite à l’intérieur du délai prévu à la loi.

[49]        Sur le fond du litige, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

[50]        Il est d’avis que la présomption de l’article 29 de la loi ne peut recevoir application et que la preuve prépondérante ne démontre pas que la pathologie du travailleur est caractéristique de son travail ou reliée aux risques particuliers de celui-ci.

[51]        Il souligne que le travailleur n’a déposé aucune opinion médicale détaillée établissant un lien entre les tâches qu’il exécute à titre de camionneur et le syndrome du canal carpien droit dont il est atteint.

[52]        Pour sa part, le membre issu des associations syndicales est d’avis que la preuve prépondérante est à l’effet que le travail de camionneur exécuté depuis 25 ans par le travailleur, comporte des facteurs de risque significatifs qui ont contribué au développement du syndrome du canal carpien droit dont il est atteint.

[53]        Il est par conséquent d’avis que la notion de risques particuliers prévue à l’article 30 de la loi doit recevoir application dans ce dossier.

LES MOTIFS

[54]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a subi, le 30 août 2010, une lésion professionnelle prenant la forme d’un syndrome du canal carpien droit.

[55]        Avant de se prononcer sur cette question, le tribunal doit déterminer si le travailleur a produit sa réclamation à l’intérieur du délai prévu à la loi et, dans la négative, s’il a démontré un motif raisonnable pour être relevé des conséquences de son retard.

[56]        En l’espèce, le travailleur allègue qu’il est atteint d’une maladie professionnelle.  C’est donc en fonction de l’article 272 de la loi qu’il faut analyser si la réclamation de ce dernier a été produite dans le délai prévu à celle-ci. 

[57]        Cet article 272 de la loi prévoit que :

272.  Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

[58]        Selon les termes de cette disposition, le travailleur doit produire sa réclamation à la CSST dans les 6 mois à partir du moment où il a été porté à sa connaissance qu’il est atteint d’une maladie professionnelle.

[59]        Relativement à l’interprétation des termes « porté à la connaissance du travailleur »  la Commission des lésions professionnelles a déjà établi, dans l’affaire Allard et Stone-Consolidated[2], ce qui suit :

[13] La soussignée souscrit quant à elle à une vision générale selon laquelle une pathologie doit au départ avoir été diagnostiquée par un médecin, bien qu’elle n’ait pas nécessairement à être identifiée de façon très précise. En outre, une possibilité sérieuse de relation entre le travail et une maladie doit généralement avoir été avancée, verbalement ou par écrit5, par un professionnel de la santé. Ainsi, des soupçons du travailleur ou de son entourage ne seraient pas suffisants : il ne s’agit alors pas de connaissance mais de pure spéculation. En résumé, il faut plus qu’un soupçon, mais la certitude n’est pas requise pour que l’on conclut à une connaissance par le travailleur du caractère professionnel de la maladie dont il est atteint. De toute façon, y a-t-il jamais certitude ?

____________________

            5 Guerrera et Les Entreprises Canco inc., 69359-60-9505, 12 juillet 1995, J.-Y Desjardins.  (sic)

 

[60]         Dans une affaire plus récente[3], le tribunal spécifiait également que :

[39]      Effectivement, à l'article 272, le législateur utilise la notion de connaissance et stipule que le délai commence à courir « dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur » qu'il est atteint d'une maladie professionnelle.

 

[40]      Le terme connaissance est défini au dictionnaire Le nouveau petit Robert15  comme la « faculté de connaître propre à un être vivant » alors que le mot « connaître » est défini comme le fait d'« avoir présent à l'esprit (un objet réel ou vrai, concret ou abstrait ; physique ou mental) ; être capable de former l'idée, le concept, l'image de. » 

 

[41]      Le tribunal retient de ces définitions que le concept de connaissance fait référence à la faculté que possède une personne de se former une idée sur quelque chose.  Or, pour être en mesure de se former une idée, il faut se fier à un certain savoir, à un bagage intellectuel, à des compétences acquises. 

 

[42]      Dans l'affaire Grondin et C.J.O.16, la Commission des lésions professionnelles écrit que la connaissance dont il est question à l'article 272 « fait référence à un savoir, à ce que l'on acquiert par l'étude et se distingue d'une simple conviction, d'une croyance même profonde ou d'une hypothèse que l'on avance ».

 

[43]      Le présent tribunal partage cette interprétation.

 

[44]      Puisque l'article 272 fait référence au concept de maladie professionnelle, la connaissance dont il est question doit manifestement avoir trait au savoir médical, d'où l'introduction de la notion selon laquelle la connaissance qu'il est atteint d'une maladie professionnelle doit être portée au travailleur par le biais d'un avis en provenance d'un professionnel de la santé.

 

[45]      En outre, l'utilisation de l'expression « porté à la connaissance » implique que le travailleur doit être informé de la relation par une source extérieure à lui-même17, laquelle dans les circonstances, ne peut émaner que du milieu médical.

 

[46]      Le présent tribunal est également d'avis que cette interprétation doit être privilégiée, car il faut interpréter la loi de manière à protéger les droits des justiciables de façon à ne pas brimer injustement le droit d'un travailleur puisque, à défaut par lui de respecter le délai, il y a déchéance de son droit.  La soussignée estime que cette interprétation se rallie à l'intention véritable du législateur qui est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

­­­­­­­­­­­_______________

                        15          Le nouveau petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouv. éd. remaniée et amplifiée, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1996, 2551 p.

                        6           Précitée, note 9.  

7           Cayer et Northern Télécom Canada ltée, précitée, note 12.  [sic]

 

 

[nos soulignements]

[61]        C’est ainsi que suivant les principes retenus dans ces décisions, le point de départ du délai de 6 mois prévu à l’article 272 de la loi se situe lorsqu’une pathologie a été identifiée et que le travailleur a été informé, généralement par le biais d’un professionnel de la santé, d’une possibilité sérieuse de relation entre celle-ci et son travail.

[62]        En l’espèce, le tribunal estime que ce n’est qu’à compter de l’étude électromyographique réalisée le 26 mai 2010, que l’on peut considérer qu’il a été porté à la connaissance du travailleur qu’il était atteint d’une maladie professionnelle.

[63]        En effet, bien que le travailleur attribue ses symptômes à ses fonctions de camionneur depuis l’année 2008, le tribunal retient néanmoins que la preuve ne démontre pas, qu’à cette époque, un diagnostic de syndrome du canal carpien a été posé par un professionnel de la santé. À ce propos, le tribunal retient qu’en 2008, le docteur Guern a mentionné au travailleur que ses symptômes à la main droite ressemblaient à un syndrome du canal carpien et que ceux-ci pourraient être dus à son travail de camionneur. De cette preuve, le tribunal en conclut donc que la présence d’un syndrome du canal carpien chez le travailleur représentait une hypothèse diagnostique à être validée, de même que l’étiologie de cette lésion.

[64]        Or, la suite des événements révèle que l’étude électromyographique réalisée le 30 mars 2009 n’a pas confirmé la présence d’un syndrome du canal carpien. C’est ainsi qu’en absence des notes de consultation du docteur Guern ou du témoignage de ce dernier, le tribunal ignore si malgré les résultats de cet examen électromyographique, un diagnostic de syndrome du canal carpien droit a néanmoins été posé par ce médecin. Il en est de même des raisons qui ont incité le docteur Guern à référer le travailleur au docteur Simard pour des infiltrations et si ce dernier a posé un diagnostic quelconque relativement aux symptômes présentés par le travailleur.

[65]        Par conséquent, en raison de l’imprécision de la preuve quant à la nature de la pathologie qui a nécessité des consultations médicales à compter de l’année 2008, le tribunal ne peut conclure que le travailleur avait, à cette époque, une connaissance suffisante, provenant d’un professionnel de la santé, à l’effet qu’il pouvait être atteint d’une maladie professionnelle. Le tribunal estime que c’est plutôt à compter du 26 mai 2010, date à laquelle un syndrome du canal carpien a été formellement documenté par un test, que l’on peut considérer que le délai de 6 mois pour produire une réclamation à la CSST débutait.

[66]        Il y a donc lieu de considérer que la réclamation du travailleur datée du 30 août 2010 a été produite à l’intérieur du délai prévu à l’article 272 de la loi. Le moyen préalable soulevé par l’employeur doit par conséquent être rejeté.

[67]        Sur le fond du litige, le tribunal doit déterminer si le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle.

[68]        L’article 2 de la loi définit comme suit la notion de maladie professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

[69]        De plus, les articles 29 et 30 de la loi prévoient que :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

[…]

 

2.  Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite):

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

[…]

 

6.    Maladie causée par les vibrations:

un travail impliquant des vibrations;

[…]

 

__________

1985, c. 6, annexe I.

 

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

[70]        En l’espèce, le tribunal est d’avis que la présomption de l’article 29 de la loi ne peut trouver application, puisque le diagnostic de syndrome du canal carpien n’est pas une maladie spécifiquement énumérée à l’annexe I de la loi et la jurisprudence[4] du tribunal ne reconnaît généralement pas qu’il puisse s’agir d’une maladie causée par des vibrations. D’ailleurs, selon la littérature[5] déposée par le procureur du travailleur lors de l’audience, le syndrome du canal carpien est une maladie multifactorielle et la présence de vibrations est décrite comme étant un cofacteur de risque.

[71]        Dans ce contexte, le travailleur doit donc démontrer, en fonction de l’article 30 de la loi, que sa maladie est caractéristique de son travail de camionneur ou encore, qu’elle est directement reliée aux risques particuliers de celui-ci.

[72]        Relativement à l’application de la notion de maladie caractéristique d’un travail, le procureur du travailleur soumet un article[6] paru dans la revue Prévention au travail faisant état d’une étude réalisée par le docteur Michel Rossignol qui révèle que la profession de chauffeur de camion et d’autobus fait partie des sept professions les plus à risque pour développer un syndrome du canal carpien. Selon cet article, la part des cas de syndrome du canal carpien attribuable au travail de chauffeur de camion et d’autobus serait de 63 %.

[73]        Or, le tribunal ne peut accorder une valeur probante à cette preuve puisqu’elle manque de spécificité. En effet, le tribunal remarque que cette étude vise tant les chauffeurs de camions que les conducteurs d’autobus, sans spécifier si l’une des deux professions est plus à risque que l’autre. De plus, cette étude ne précise pas si le travail de chauffeur de camion impliquait uniquement la conduite du véhicule ou si celui-ci impliquait certaines tâches physiques reliées au déchargement et au chargement du camion, comme c’est le cas en l’espèce.

[74]        D’autre part, le tribunal retient que selon le témoignage du travailleur, seul un autre collègue de travail présenterait un syndrome du canal carpien. Il ne s’agit donc pas d’une maladie fréquente chez les conducteurs de camions à l’emploi de l’employeur.

[75]        La Commission des lésions professionnelles conclut donc que la preuve ne démontre pas, de manière prépondérante, que le syndrome du canal carpien est une maladie caractéristique du travail de conducteur de camions au sens de l’article 30 de la loi.

[76]        Il reste donc à analyser si la notion de risques particuliers prévue à l’article 30 de la loi peut trouver application. Dans l’affaire Fogette et Sérigraphie SSP[7], le tribunal résumait de la façon suivante, la nature de la preuve que doit faire le travailleur en fonction cette notion de risques particuliers :

[42] La preuve qui doit ici être faite quand on invoque cette notion des risques particuliers doit plutôt comprendre une analyse des structures anatomiques atteintes par la maladie, une identification des facteurs de risques biomécaniques, physiques et/ou organisationnels sollicitant ces structures, identifier, s'il y en a, les caractéristiques personnelles, regarder l'importance de l'exposition, que ce soit en terme de durée, d'intensité ou de fréquence et finalement, vérifier la relation temporelle.  (sic)

 

[77]         De façon plus particulière, la jurisprudence a identifié les mouvements ou postures pouvant contribuer au développement d’un syndrome du canal carpien.  Dans l’affaire Desrosiers et Laidlaw Carriers Bulk LP[8], le tribunal les résumait de la façon suivante :

[37] Les mouvements et gestes pouvant comporter un risque de provoquer ou contribuer au développement d’un syndrome du canal carpien sont les suivants : les mouvements répétitifs de la main ou du poignet (poignet en extension ou en flexion, déviation radiale ou cubitale répétée ou continue, mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts) et les mouvements de préhension (préhension répétée avec pinces digitales, préhension avec tractions répétées ou rotation du poignet, préhension pleine main, pression avec la main, geste de cisaillement). La flexion ou l’abduction du membre supérieur, l’utilisation d’outils vibrants ou à percussion, le port de gants ou l’exposition au froid sont des facteurs additionnels de risque. L’exposition à une combinaison de facteurs de risque (répétitivité, force et posture) augmente le risque d’un syndrome du canal carpien11.

______________

                11 Cyr et C.S. Brooks Canada inc., 230631-05-0403, 21 septembre 2004, M. Allard; Lalonde et Groupe Royal
Technologie Québec inc
., 248029-61-0411, 18 avril 2006, L. Nadeau  [

                [sic]

 

[78]        Ces facteurs de risque sont d’ailleurs en bonne partie conformes à ceux retrouvés dans la littérature[9] médicale soumise au tribunal par le procureur du travailleur lors de l’audience.

[79]        En l’espèce, le tribunal constate la présence de quelques mouvements pouvant être considérés à risque dans les tâches de camionneur effectuées par le travailleur. Toutefois, la preuve prépondérante ne démontre pas que ces mouvements sont suffisamment présents, en terme de fréquence ou de force, pour avoir engendré un syndrome du canal carpien chez le travailleur.

[80]        En effet, le tribunal retient que lorsque le travailleur était affecté à la conduite d’un camion à benne basculante, ce type de travail impliquait, outre la conduite du véhicule, l’installation de tuyaux de déchargement, le pelletage des grains pouvant être pris à l’intérieur de la benne ainsi que de passer un balai à l’intérieur de celle-ci. Or, bien que ces tâches impliquent des mouvements de préhension avec les mains, la preuve ne démontre pas que le travailleur exécutait ses tâches plusieurs fois par jour ni sur des périodes de temps significatives. D’ailleurs, ces tâches nécessitent l’utilisation des 2 mains, alors que la pathologie présente chez le travailleur est uniquement du côté droit. Au surplus, le tribunal retient que lorsque le travailleur effectuait des transports à l’extérieur de la région, 70 % de son temps de travail était consacré à la conduite du véhicule, tâche qui n’implique pas de mouvements de préhension avec force.

[81]        D’autre part, le tribunal retient que lorsque le travailleur conduit des camions-citerne, il doit, lors des chargements, monter sur la citerne avec une échelle et ouvrir les 3 couvercles des réservoirs. Pour cette dernière tâche, bien que le travailleur doit exécuter des mouvements d’extension avec force du poignet droit afin d’enlever les 5 « clenches » sur chacun des couvercles, le tribunal constate que la preuve ne démontre pas que le travailleur exécute ce type de mouvements plusieurs fois par jour ni sur des périodes de temps significatives.

[82]        Ces lacunes de la preuve relativement à la fréquence et à la durée de certaines tâches manuelles effectuées par le travailleur lors des opérations de chargement ou de déchargement forcent le tribunal à conclure que le travailleur n’a pas démontré, de manière prépondérante, qu’il a été exposé, dans son milieu de travail, à des facteurs de risque significatifs.

[83]        D’ailleurs, le tribunal remarque que le travailleur n’a déposé aucune opinion médicale détaillée soutenant que l’exposition à ces facteurs de risque est suffisante, en termes de durée, de fréquence ou de force, pour avoir engendrer un syndrome du canal carpien droit. À ce sujet, il y a lieu de souligner que la note de consultation du docteur Neto, datée du 27 octobre 2010 est nettement insuffisante pour établir le caractère professionnel de cette lésion, puisqu’aucunement motivée. Le tribunal rappelle que même si la question de l’existence d’une relation entre une pathologie et un événement ou des facteurs de risque est une question d’ordre essentiellement juridique[10], la présence d’une telle preuve médicale s’avère néanmoins un élément important à considérer, particulièrement lorsque la preuve de la présence de facteurs de risque dans un milieu de travail n’est pas évidente.

[84]        Par ailleurs, bien que l’opinion du docteur Nadeau ne soit pas entièrement conforme à la preuve au dossier, notamment quant au poids du travailleur et à la nature exacte de ses tâches, le tribunal remarque néanmoins que ce médecin souligne que le tabagisme augmente l’incidence du syndrome du canal carpien. Or, cet aspect de l’opinion du docteur Nadeau est conforme à la preuve, puisque selon le témoignage du travailleur, celui-ci a fumé environ 1 paquet de cigarettes pour jour pendant 25 ans.

[85]        Finalement, en ce qui concerne le témoignage du travailleur à l’effet que malgré les différents systèmes de suspension installés sur les véhicules, il ressent quand même des vibrations sur le volant ainsi que sur le levier de vitesses, il y a lieu de constater que la preuve ne permet pas de déterminer si l’intensité de ces vibrations est suffisante afin de pouvoir engendrer un syndrome du canal carpien.

[86]        D’ailleurs, en tenant compte que les premiers symptômes du travailleur sont apparus en 2008, alors qu’il conduit des camions depuis plus de 20 ans, le tribunal est d’avis que cet élément ne milite pas vers une étiologie professionnelle de sa lésion.

[87]        Le tribunal conclut donc que le travailleur n’a pas démontré, de manière prépondérante, que son travail impliquait la présence de facteurs de risque significatifs qui ont pu entraîner le développement du syndrome du canal carpien droit dont il est atteint.

[88]        Par conséquent, le tribunal est d’avis que la requête du travailleur doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Jean Fortin, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 1er février 2011 à la suite d'une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas subi, le 30 août 2010, une lésion professionnelle et qu’il n’a pas droit aux bénéfices de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

__________________________________

 

Jean Grégoire

 

 

 

 

Me Martin Savoie

TEAMSTERS QUÉBEC (C.C. 91)

Représentant de la partie requérante

 

 

M. Gérald Corneau

GCO SANTÉ ET SÉCURITÉ INC.

Représentant d’une des parties intéressées

 



[1]          L.R.Q., c.A-3.001.

[2]           C.L.P. 265869-01C-0507, 29 septembre 2005, L. Desbois.

[3]           Laliberté & Associés inc. et St-Louis, C.L.P. 298396-64-0609, 17 avril 2009, M. Montplaisir.

[4]           Marcel et Asbec ltd, C.L.P. 252874-72-0501, 29 septembre 2005, P. Perron; Gaumont et Concordia rest. de béton ltée, C.L.P. 109083-73-9901, 10 novembre 1999, R. Langlois.

[5]           Louis PATRY, Michel ROSSIGNOL, Marie-Jeanne COSTA et Martine BAILLARGEON, Guide pour le diagnostic des lésions musculosquelettiques attribuables au travail répétitif, vol. 1, « Le syndrome du canal carpien », Sainte-Foy, Éditions Multimondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Québec, Régie régionale de la santé et des services sociaux, 1997, 33 p.

[6]           Bernard LA MOTHE, « Syndrome du canal carpien : sept professions plus touchées », (1996) 9 Prévention au travail,pp. 19-21.

[7]           C.L.P. 122654-62-9909, 15 mai 2000, S. Mathieu.

[8]           C.L.P. 292843-62B-0606, 22 mars 2007, N. Blanchard.

[9]           Précitée, note 5.

 

[10]         CUM c. Blouin [1987] C.A.L.P. 62 .

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