Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit CFP

Lévesque et Québec (Ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale)

2016 QCCFP 11

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIERS Nos :

1301428

1301484

1301495

 

DATE :

24 mai 2016

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Me Sonia Wagner

______________________________________________________________________

 

 

FRANCINE LÉVESQUE

 

Appelante

 

et

 

MINISTÈRE DU TRAVAIL, DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE

 

Intimé

 

 

______________________________________________________________________

 

                                                                 DÉCISION

(Article 33, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1)

______________________________________________________________________

 

L’APPEL

[1]          Mme Francine Lévesque, cadre, classe 5, au Directeur de l’état civil (ci-après le « DEC »), en appelle auprès de la Commission de la fonction publique (ci-après la « Commission ») de la décision de son employeur, le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (ci-après le « MTESS »), de lui imposer un relevé provisoire, le 26 janvier 2015, et de l’affecter à des fonctions de professionnel, le 2 juillet 2015.

[2]          Quant à l’appel de Mme Lévesque relatif à son affectation, le MTESS soulève une objection préliminaire voulant que la Commission n’ait pas compétence puisqu’il s’agirait d’une mesure administrative.

[3]          Mme Lévesque a également déposé une plainte de harcèlement psychologique à l’encontre du MTESS, le 14 septembre 2015. Bien que les trois dossiers aient été joints à l’audience, Mme Lévesque n’a pas demandé de conclusion à l’égard de sa plainte en matière de harcèlement psychologique. En conséquence, la présente décision n’analyse pas cette plainte ni ne reprend l’argumentation du MTESS à cet égard.

LES FAITS

[4]          La Commission retient des huit témoignages entendus et des pièces déposées au cours de l’audience la trame factuelle suivante.

[5]          Mme Lévesque est gestionnaire depuis 2001. Elle est arrivée au DEC en 2007 et y est directrice du Service de la validation et du contrôle depuis septembre 2008. Ce service fait partie de la Direction de l’inscription et de la publicité du registre du DEC. Cette direction a pour mission d’inscrire les événements (naissance, mariage, décès, etc.) au registre de l’état civil et de délivrer les actes y relatifs.

[6]          M. Reno Bernier est directeur de l’état civil depuis 2011 et le supérieur hiérarchique de Mme Lévesque. À son arrivée, il a pris acte des actions de son prédécesseur et fait preuve d’innovation en proposant une première réorganisation. Quatre ans plus tard, la situation a évolué : depuis l’instauration du guichet Web, les demandes par voie électronique sont passées de 12 % en 2009-2010 à 65 % en 2015-2016; la sécurité des activités devient un enjeu majeur; certains secteurs manquent de travail alors que d’autres sont débordés. M. Bernier réfléchit déjà à un nouvel organigramme pour le DEC lors du retour de Mme Lévesque, en novembre 2014.

[7]          Le 18 novembre 2014, Mme Lévesque est de retour au travail après une absence de près d’une année pour cause de maladie. Au cours de son congé de maladie, Mme Lévesque dépose une première plainte de harcèlement psychologique auprès de la Commission[1]. Mme Donna St-Cœur, sa supérieure immédiate, est la personne mise en cause dans cette plainte.

[8]          Le retour au travail de Mme Lévesque est planifié avec le support de la direction des ressources humaines (ci-après la « DRH ») du MTESS. Ainsi, pour favoriser la réintégration de Mme Lévesque, Mme Chantale Tremblay, coordonnatrice au sein de la direction de la santé des personnes du MTESS, offre un accompagnement personnalisé ainsi qu’un suivi périodique. De plus, dans le but de faciliter les échanges entre Mme Lévesque et Mme St-Cœur, les écrits sont désormais le moyen de communication privilégié entre elles.

[9]          Le jour de son retour au travail, Mme Lévesque participe à une rencontre d’accueil. Mme Tremblay l’y accompagne. Y participent également Mme St-Cœur et M.  Bernier qui agit à titre de facilitateur : la formation et l’expérience de médiateur de M. Bernier sont ainsi mises à contribution.

[10]       Au début de la rencontre, Mme St-Cœur et M. Bernier expliquent à Mme Lévesque les changements intervenus au DEC depuis son départ. Ils conviennent également des modalités du retour progressif de Mme Lévesque. Au cours de la rencontre, Mme Lévesque manifeste une inquiétude : des rumeurs d’abolition de sa direction circulent. Mme St-Cœur lui répond d’atteindre les cibles et de ne pas s’inquiéter des rumeurs.

[11]       À la fin de la rencontre, Mme St-Cœur explique qu’une employée de Mme Lévesque a accepté un poste qui relève directement d’elle : une solution gagnant-gagnant considérant le gel d’embauche en vigueur à ce moment et le fait que le service de Mme Lévesque a vu sa charge de travail diminuer considérablement. Mme Lévesque réplique avoir reçu un courriel de cette employée qui l’informe ne pas vouloir travailler pour Mme St-Cœur mais avoir accepté parce qu’on lui avait dit que sa direction allait fermer et que son poste serait aboli. Surpris, M. Bernier intervient. Mme Lévesque insiste, précise qu’elle a ledit courriel et que, à tout événement, Mme St-Cœur est insensible à ce genre de commentaire. M. Bernier intervient de nouveau : de tels propos sont inappropriés et inacceptables; ils vont à l’encontre des attentes et des valeurs de l’organisation. Il mentionne envisager inscrire un avis disciplinaire au dossier de Mme Lévesque. Cette dernière se rétracte.

[12]       Des rencontres statutaires sont planifiées entre Mme Lévesque et ses supérieurs dans les premières semaines suivant son arrivée, notamment les 25 novembre et 11 décembre 2014. Tout se déroule bien lors de la rencontre du 25 novembre. Durant celle du 11 décembre, Mme Lévesque tient de nouveau des propos qui surprennent en affirmant qu’une employée est anorexique et qu’elle commet plusieurs erreurs dans les dossiers. Mme Lévesque ajoute : « je vais lui serrer la vis ». Elle rapporte également qu’un groupe d’employés recourt aux textos et ne respecte pas l’horaire : « c’est une garderie ». De nouveau, Mme Lévesque annonce qu’elle « va serrer la vis ».  Mme St-Cœur indique qu’elle n’a pas vécu ces difficultés alors qu’elle exerçait par intérim les fonctions de Mme Lévesque. Elle lui suggère de prendre plus d’informations et d’analyser la situation avant d’intervenir.

[13]       Mme Lévesque se voit par ailleurs confier le mandat d’informer une employée de son affectation à un autre secteur. Deux jours plus tard, lorsque cette employée s’absente pour cause de maladie, M. Bernier s’enquiert à Mme Lévesque du déroulement de cette annonce. Après avoir initialement déclaré que l’annonce s’est bien déroulée, Mme Lévesque se rétracte et mentionne que cette employée « pète des plombs » et a des problèmes de santé mentale. M. Bernier répond qu’apprendre son transfert dans un autre secteur ne devrait pas occasionner une absence pour cause de maladie. Il convient avec Mme Lévesque du message à livrer et d’une rétroaction.

[14]       Le 12 décembre 2014, à l’occasion d’un tour de table pendant une réunion du COGEST[2], Mme Lévesque affirme que son retour au travail se déroule bien et elle en remercie ses supérieurs. Elle a également de bons mots pour l’adjointe de Mme St-Cœur pour le travail réalisé pendant son absence. Le dîner de Noël des gestionnaires du DEC qui suit ce COGEST est très agréable.

[15]       Le 14 janvier 2015, une entente hors cour intervient dans le dossier de la plainte de harcèlement psychologique déposée par Mme Lévesque pendant son congé de maladie. M. Bernier est fier de ce dénouement lorsqu’il se présente le lendemain pour la seconde rencontre statutaire entre Mme Lévesque et ses supérieurs.

[16]       À son arrivée à la rencontre statutaire du 15 janvier 2015, Mme Lévesque a l’air fâchée. Elle indique à Mme Tremblay qui l’accompagne que son retour au travail se déroule bien mais sans plus. Lorsque Mme Tremblay la questionne au sujet des rencontres statutaires, Mme Lévesque mentionne que M. Bernier tient des propos blessants à son endroit durant ces rencontres. M. Bernier est fort surpris : il ignore ce à quoi Mme Lévesque fait référence. Mme Lévesque s’oppose au maintien des rencontres statutaires. Il est néanmoins décidé de poursuivre les rencontres entre cette dernière et ses supérieurs.

[17]       Immédiatement après cette rencontre, Mme Lévesque fait irruption dans le bureau de M. Bernier et referme la porte derrière elle : son visage est rouge et crispé. Visiblement fâchée, elle s’avance vers M. Bernier en levant le poing : « vous allez apprendre à me connaître ». Refusant l’invitation de M. Bernier de s’asseoir et de se calmer, Mme Lévesque tient des propos très durs à l’endroit de sa supérieure immédiate et critique irrespectueusement l’organisation en référant à un courriel concernant les cibles de production des employés. M. Bernier est déstabilisé. Devant l’incompréhension avouée de M. Bernier, Mme Lévesque s’exclame « ok, je vois où vous logez. Je vais continuer à être la petite fourmi rouge qu’on écrase du pied » et quitte précipitamment le bureau sans que M. Bernier ne puisse la retenir. Ébranlé, M. Bernier arpente les étages occupés par le DEC pour réfléchir, décanter.

[18]       Le 16 janvier 2015, M. Bernier rapporte l’incident de la veille à la DRH et s’engage à dresser un rapport écrit le décrivant. La possibilité d’imposer une mesure disciplinaire est évoquée. Toutefois, l’évolution de la situation à compter du 20 janvier suivant modifie les priorités de M. Bernier : il se concentre sur les besoins de ses employés.

[19]       En effet, le 20 janvier 2015, l’adjointe de Mme St-Cœur informe cette dernière avoir croisé une employée de Mme Lévesque à la salle de bain. Cette personne lui confie subir de la pression de Mme Lévesque pour atteindre les cibles. Elle dit aussi s’inquiéter pour une collègue qui pleure dans son bureau.

[20]       Le jour même, Mme St-Cœur informe M. Bernier. Elle prend également conseil auprès de la DRH. M. Sylvain Beaulieu, conseiller en relations de travail, lui recommande des rencontres individuelles afin de colliger les informations.

[21]       Ce que fait Mme St-Cœur le 21 janvier 2015 : quatre personnes témoignent subir la pression de leur directrice. Elles se sentent surveillées par Mme Lévesque et par certains employés de sa garde rapprochée. Ces personnes rapportent également des propos troublants qu’aurait tenus Mme Lévesque. Certaines personnes pleurent pendant leur rencontre; une autre semble en détresse. Toutes apparaissent fragiles et ébranlées. Elles demandent à Mme St-Cœur d’intervenir.

[22]       Mme St-Cœur fait état de ses rencontres à MM. Bernier et Beaulieu. Ce dernier lui conseille de communiquer aux employés concernés le numéro de la ligne de soutien en matière de harcèlement psychologique du MTESS et de les référer au PAE[3].

[23]       Rapidement, le téléphone de la ligne de soutien sonne et des signalements sont reçus par courriel. Le 22 janvier 2015, Mme Marie Leclerc, directrice de la santé des personnes au MTESS, informe M. Bernier que plusieurs allégations de harcèlement psychologique à l’endroit de Mme Lévesque ont été reçues en très peu de temps. La première préoccupation de M. Bernier est alors de sécuriser les lieux : il veut protéger tout le monde, incluant Mme Lévesque.

[24]       Le 23 janvier 2015, Mme Leclerc, en collaboration avec la direction des relations de travail, recommande à M. Bernier de relever provisoirement Mme Lévesque. Cette recommandation repose sur plusieurs motifs: les allégations sont nombreuses et graves; cinq employés sur les douze que compte la direction de Mme Lévesque ont fait des signalements; il faut sécuriser le milieu de travail pour permettre la tenue d’une enquête. Après avoir posé quelques questions, M. Bernier s’en remet aux experts et accepte leur recommandation. Il demande conseil pour planifier l’annonce à Mme Lévesque de son relevé provisoire.

[25]       Le 25 janvier 2015, Mme Lévesque se désiste de sa plainte de harcèlement psychologique à l’encontre de Mme St-Cœur. Tout se fait par l’entremise de sa procureure.

[26]       Dans la matinée du 26 janvier 2015, Mme Lévesque reçoit une convocation Outlook pour une rencontre à 16 h le jour même et ayant pour objet « Confidentiel - Relations de travail ». Mme Lévesque ne comprend pas ce qui se trame : elle tente d’obtenir le soutien de la procureure de l’Alliance des cadres de l’État qu’elle n’arrive pas à joindre.

[27]       Mme Lévesque se présente seule à la rencontre. M. Bernier, accompagné de M.  Beaulieu, l’informe que, en raison d’allégations sérieuses qui ont été portées à sa connaissance, il doit immédiatement la retirer de son milieu de travail. Mme Lévesque paniquée questionne : « pourquoi? », « qu’est-ce que j’ai fait?  », « qu’est-ce que j’ai fait de mal? », « quelle est mon erreur? ». M. Bernier répond qu’il ne peut pas parler, qu’il s’agit d’événements récents en lien avec le milieu de travail, qu’il y aura une enquête et qu’il ne peut en dire plus pour ne pas nuire à celle-ci. Il précise toutefois qu’il n’y a pas de lien avec la plainte de harcèlement psychologique qu’elle a déposée en 2014.

[28]       M. Bernier remet une lettre à Mme Lévesque l’informant de son relevé provisoire effectif le jour même. Il lui dit d’aller à son bureau prendre sa bourse et de quitter : un agent de sécurité la raccompagnera. Il lui demande de remettre son BlackBerry du MTESS. Mme Lévesque ne comprend pas ce qui se passe, elle pleure. Elle s’inquiète de l’annonce qui sera faite à ses employés, de l’explication qui leur sera donnée quant aux raisons de son absence. Mme Lévesque ne veut pas être raccompagnée par un agent de sécurité. Elle demande que M. Beaulieu la raccompagne.

[29]       Bien qu’il trouve l’exercice difficile, M. Bernier suit le scénario élaboré jusqu’à ce que Mme Lévesque se mette à pleurer. Il convient, après s’être entretenu avec M. Beaulieu, de certains ajustements au scénario initial : il souhaite que ce soit le moins pénible possible pour Mme Lévesque.

[30]       Ainsi, M. Bernier demande à M. Beaulieu de raccompagner Mme Lévesque et permet à celle-ci de rédiger et de transmettre elle-même un courriel à ses employés les informant de son absence au motif qu’elle écoule une importante réserve de vacances. Il lui permet aussi de garder son BlackBerry mais lui demande de ne pas s’en servir. M. Bernier suggère à Mme Lévesque de consulter le PAE. Finalement, M. Bernier indique à Mme Lévesque qu’il va l’appeler lorsque les premières vérifications et analyses seront complétées.

[31]       M. Beaulieu accompagne Mme Lévesque à son bureau en s’assurant de ne croiser personne. Il entrebâille la porte lorsque des employés circulent dans le corridor. Avec l’aide de M. Beaulieu, Mme Lévesque rédige le courriel destiné à ses employés et prend quelques effets personnels. M. Beaulieu l’escorte ensuite jusqu’à la porte de l’édifice, après s’être assuré que Mme Lévesque peut compter sur quelqu’un pour le retour à la maison.

[32]       Le lendemain, une cellule de crise est mise en place par la direction de la santé des personnes : un local, à l’extérieur des bureaux du DEC, est réquisitionné pour que les employés puissent aller rencontrer, en toute confidentialité, le coordonnateur ministériel en santé et sécurité du travail et responsable de la gestion des conflits et du harcèlement psychologique, M. Yvon Rivard, épaulé par une professionnelle, Mme Josianne Arguin. Des rencontres y sont tenues les 27 et 28 janvier 2015. L’horaire des rencontres assure que les personnes n’aient pas de contact entre elles. Le PAE leur est offert gratuitement.

[33]       Sept ou huit employés sont rencontrés. M. Rivard constate l’ampleur de la situation : des personnes pleurent pendant la rencontre; elles paraissent très ébranlées; les témoignages se corroborent; les faits sont sérieux. De ces témoignages, M. Rivard extrait huit allégations susceptibles de constituer du harcèlement psychologique. Ces huit allégations sont soumises à un comité ad hoc qui procède à l’étude de recevabilité.

[34]       Ce comité ad hoc est formé de trois personnes ayant une bonne connaissance de la problématique du harcèlement psychologique. Par souci d’équité et d’impartialité, l’une d’elles est employée d’un autre ministère. Après analyse, le comité ad hoc retient quatre allégations et conclut à une apparence de harcèlement psychologique. L’information est transmise à M. Bernier qui en informe à son tour son supérieur, M. Patrick Thierry Grenier, sous-ministre adjoint au MTESS, et lui recommande d’autoriser une enquête.

[35]       Le 6 février 2015, MM. Bernier et Beaulieu téléphonent à Mme Lévesque. Ils l’informent que les premières vérifications ont été effectuées et que l’analyse de recevabilité fait état d’une possible situation de harcèlement psychologique nécessitant une enquête. On lui indique que le relevé provisoire se poursuit.

[36]       Le jour même, un mandat d’enquête est confié à Me Jean Marois.

[37]       Me Marois rencontre d’abord individuellement les supérieurs de Mme Lévesque. M. Bernier rapporte notamment l’incident survenu dans son bureau et il répond au meilleur de sa connaissance aux questions en étant très factuel. Ce faisant, M. Bernier ne croit pas être l’auteur d’un signalement à l’endroit de Mme Lévesque. Il ne considère pas non plus avoir été victime de harcèlement psychologique de sa part.

[38]       À la suite de cette rencontre, M. Bernier est écarté du dossier de Mme Lévesque et n’en est plus informé : Me Marois retient du témoignage de M. Bernier un signalement de harcèlement psychologique ascendant à l’endroit de Mme Lévesque. M. Grenier, sous-ministre adjoint au MTESS, devient dès lors le titulaire de l’autorité au regard de Mme Lévesque.

[39]       C’est M. Rivard qui prend le relais du suivi auprès de Mme Lévesque. Le 12 février 2015, en compagnie de Mme Arguin, il informe Mme Lévesque qu’il y a eu des signalements de harcèlement psychologique de la part d’employés et qu’un mandat d’enquête a été confié. On explique à Mme Lévesque le processus d’enquête et on s’enquiert de ses disponibilités pour rencontrer l’enquêteur.

[40]       À la fin du mois de février 2015, M. Rivard demande l’avis de Me Marois quant à la pertinence de maintenir le relevé provisoire de Mme Lévesque : Me Marois en recommande le maintien jusqu’à la remise des rapports d’enquête et de recommandations.

[41]       Le 17 mars 2015, en prévision de sa rencontre prochaine avec Me Marois, Mme Lévesque reçoit les allégations retenues : sept personnes sont identifiées comme ayant produit 71 allégations de harcèlement psychologique la concernant, incluant ses deux supérieurs.

[42]       Mme Lévesque rencontre l’enquêteur les 31 mars et 23 avril 2015 et donne sa version des faits.

[43]       Au printemps 2015, M. Bernier propose au MTESS une restructuration du DEC qui, tout en maintenant l’autofinancement de ses activités, rétablit l’équilibre entre les secteurs en répondant aux enjeux de sécurité. Pour M. Bernier, l’attrition de la charge de travail et l’automatisation justifient l’abolition du Service de la validation et du contrôle ainsi que du poste de Mme Lévesque. Il analyse la possibilité de relocaliser Mme Lévesque dans un autre secteur du DEC mais conclut qu’elle n’a pas le profil pour le poste envisagé. Mme Lévesque n’est pas le seul cadre touché par la réorganisation : M. Denis Bouchard, directeur principal, se verrait offrir un poste de chef de service à la suite de la réorganisation proposée.

[44]       Le 5 juin 2015, Me Marois remet au MTESS un Rapport d’enquête faisant état de ses conclusions : aucune des 71 allégations de harcèlement psychologique n’est retenue. Essentiellement, Mme Lévesque a exercé son droit de gérance.

[45]       Pour MMarois, bien que certains comportements soient individuellement considérés inacceptables en milieu de travail, ils ne remplissent ni le caractère de gravité objective pour répondre au critère de la conduite unique grave, ni celui de répétitivité requise pour conclure à du harcèlement psychologique. L’enquêteur souligne des contradictions dans les témoignages et une possible concertation entre les prétendues victimes. Il conclut néanmoins que le style de gestion de Mme Lévesque constitue un facteur de risque pour le milieu de travail.

[46]       Le 15 juin 2015, Me Marois transmet au MTESS son Rapport à la gestion. Dans ce document, Me Marois formule trois recommandations visant les auteurs de signalement, cinq recommandations visant Mme Lévesque, une recommandation visant l’équipe et, finalement, une recommandation visant l’organisation.

[47]       À l’égard de Mme Lévesque, l’enquêteur recommande d’abord une rencontre pour l’informer que sa conduite n’a pas été considérée comme harcelante mais qu’il s’agissait de maladresses de communication et de pratiques de gestion inadéquates constituant des risques significatifs de détérioration des conditions de travail.

[48]       Il recommande aussi des mesures correctrices, mais il laisse à l’employeur le choix de décider lesquelles. Il indique qu’un suivi disciplinaire serait approprié avant le retour éventuel de Mme Lévesque dans toute fonction impliquant un rôle de gestion de personnel, ce qu’il ne recommande pas par ailleurs, compte tenu des lacunes en communication de Mme Lévesque et de son style de gestion. Quant aux chances de succès de la réintégration de Mme Lévesque dans son équipe au DEC, il les estime minces considérant la perte du lien de confiance entre les parties impliquées dans l’enquête. Enfin, si l’employeur choisit de maintenir Mme Lévesque dans un poste de gestion, l’enquêteur recommande qu’il évalue ses compétences de gestion, qu’il lui signifie des attentes et qu’elles fassent l’objet d’un suivi serré.

[49]       Sans avoir lu ni discuté du Rapport d’enquête, M. Grenier prend acte des recommandations contenues dans le Rapport à la gestion. Il décide, sur la recommandation de Mme Leclerc, directrice de la santé des personnes au MTESS, d’affecter Mme Lévesque à de nouvelles fonctions. Il n’y a alors aucun poste de gestion disponible dans son sous-ministériat. Dans le but de proposer à Mme Lévesque une solution gagnante, il souhaite connaître ses forces. M. Grenier convient avec Mme Leclerc que les recommandations de l’enquêteur seront mises en place. Il lui demande de faire le suivi auprès de M. Bernier.

[50]       Mme Leclerc informe M. Bernier des conclusions du Rapport d’enquête concernant Mme Lévesque et de la décision de la relocaliser au MTESS. Pour comprendre et savoir quoi dire aux employés, M. Bernier pose des questions et demande à voir le Rapport d’enquête. Mme Leclerc lui indique qu’il doit faire une demande d’accès pour l’obtenir. Mme Leclerc précise que l’enquêteur a fait des recommandations et que l’employeur les suit.

[51]       Sauf à l’égard de la liste des compétences de Mme Lévesque, M. Bernier n’est ni consulté ni informé par la suite.

[52]       Le 18 juin 2015, à la demande de Mme Leclerc, Mme St-Cœur transmet à M. Grenier une liste des compétences de Mme Lévesque. Mme St-Cœur ignore à quelle fin cette liste lui est demandée.

[53]       En matinée le 22 juin 2015, à la suite d’une convocation par lettre, Mme Lévesque rencontre M. Rivard et Mme Arguin qui l’informent que l’enquête n’a pas révélé de harcèlement psychologique mais des lacunes communicationnelles. Ils l’informent aussi que l’enquêteur a constaté des contradictions dans les témoignages et que la crédibilité de tous en a été entachée.

[54]       Après quelques minutes de pause, Mme Lévesque rencontre M. Grenier. Déclarant ne pas vouloir revenir sur l’enquête, il l’informe qu’elle ne retournera pas au DEC mais qu’elle sera plutôt relocalisée au sein de Services Québec, qui fait partie du MTESS, dans un poste de professionnel sous l’autorité de M. Larose. Mme Lévesque demande à retourner au DEC : M. Grenier répond que ce n’est pas possible. Mme Lévesque mentionne qu’elle ne veut pas retourner dans une unité centrale, qu’elle vient de Lévis. Elle demande à aller au CLE[4] de Montmagny : M. Grenier répond qu’il n’y a pas de poste disponible à cet endroit. Mme Lévesque demande un poste de gestion : M. Grenier répond qu’il n’y en a pas de disponible.

[55]       Avant de discuter d’une proposition alternative, M. Grenier demande à Mme Lévesque de prendre contact avec son nouveau supérieur pour voir avec lui les mandats qu’elle pourrait se voir confier.

[56]       Plus tard cette même semaine, Mme Lévesque rencontre M. Larose. Ils s’entendent.

[57]       Le relevé provisoire de Mme Lévesque prend fin le 1er juillet 2015. À compter du lendemain, elle exerce un emploi au sein de la direction des orientations et du partenariat de Services Québec. Bien qu’elle soit affectée à des fonctions de professionnel, Mme Lévesque conserve son traitement de cadre, classe 5.

[58]       Mme Lévesque quitte pour des vacances le 5 juillet 2015. Elle l’est jusqu’à la fin octobre 2015. Elle est ensuite en arrêt de travail pour cause d’invalidité.

[59]       Les anciens employés de Mme Lévesque sont informés qu’elle ne reviendra pas au DEC à la suite de la restructuration que les autorités du MTESS approuvent le 20 juillet 2015. À la fin de ce mois, le Service de la validation et du contrôle du DEC est démantelé et les anciens employés de Mme Lévesque sont affectés à d’autres services au sein du DEC. Personne n’informe Mme Lévesque de cette restructuration ni de l’abolition de son poste.

[60]       En sus de la trame factuelle dégagée par les témoignages entendus, la Commission rapporte les aspects particuliers de certains.

Témoignage de Mme Francine Lévesque

[61]       Pour Mme Lévesque, son retour au DEC en novembre 2014 se déroule bien. Elle apprécie l’accompagnement de Mme Tremblay et les rencontres statutaires sont agréables. On lui offre même l’aide de l’adjointe de Mme St-Cœur si elle en ressent le besoin pour reprendre le contrôle.   Mme Lévesque est très positive à l’égard de son retour au travail et de sa réintégration.

[62]       Le 26 janvier 2015, lorsqu’elle reçoit la convocation Outlook pour rencontrer MM. Bernier et Beaulieu, Mme Lévesque ne comprend pas. Elle est nerveuse lorsqu’elle se présente à la rencontre. Quand M. Bernier lui annonce qu’il lui retire ses fonctions, une « bombe nucléaire lui tombe sur la tête » : elle est sous le choc. Elle questionne beaucoup mais n’obtient pas de réponse. Elle pleure. Elle ne lit pas immédiatement la lettre de relevé provisoire : elle n’est pas en état.

[63]       Mme Lévesque reçoit une deuxième bombe sur la tête lorsqu’on lui dit d’aller à son bureau prendre sa bourse et de quitter : elle se sent comme une criminelle, d’autant qu’elle sera escortée par un agent de sécurité. Elle ne veut pas quitter de cette façon ni dans cet état.

[64]       Mme Lévesque vit difficilement son départ. Elle croise deux employés avant sa sortie de l’édifice. Lorsqu’elle se retrouve à l’extérieur, elle est désorientée, dans un état second : elle se trompe de chemin et aboutit dans un sens unique. Un inconnu lui demande si elle a besoin d’aide. Elle se ressaisit.

[65]       Mme Lévesque reçoit un appel de MM. Bernier et Beaulieu au début février qui l’informent qu’elle demeure en relevé provisoire. Lors de l’appel suivant, M. Bernier n’est plus son interlocuteur. Mme Lévesque ne sait pas pourquoi.

[66]       Ce n’est que le 17 mars 2015 qu’elle prend connaissance des allégations formulées contre elle et constate que ses supérieurs en ont aussi formulées.

[67]       Le 22 juin 2015, lors d’une rencontre en deux temps, Mme Lévesque apprend qu’aucune des 71 allégations de harcèlement psychologique n’a été retenue mais que l’enquêteur a identifié des lacunes communicationnelles chez elle. Elle n’obtient pas de précision quant à la nature de ses lacunes et elle ne peut pas consulter le rapport. Elle ne saura rien de plus : M. Rivard n’est pas autorisé à lui en dire davantage.

[68]       Mme Lévesque rencontre ensuite M. Grenier qui l’informe qu’il a pris une décision à la suite des informations reçues : il la transfère sous l’autorité de M. Larose. Elle conserve ses conditions de travail de cadre mais fera des tâches de professionnel. « Vous allez bien vous entendre avec » lui assure M. Grenier. Mme Lévesque est en état de choc. Elle ne veut pas aller travailler pour M. Larose : elle ne le connaît pas. Elle ne comprend pas. Elle s’objecte, demande à retourner au DEC. Malgré ses résistances, M. Grenier maintient sa décision : « allez rencontrer M. Larose en premier » dit-il.

[69]       Mme Lévesque trouve difficile son arrivée dans l’équipe de M. Larose. « Comment pouvait-on la présenter? Une cadre qui fait des tâches de professionnel… »

[70]       À ce jour, Mme Lévesque est toujours affectée à la direction de M. Larose. Elle n’a aucun écrit détaillant ce qui lui est reproché.

[71]       Avant l’audience de la Commission, Mme Lévesque n’a pas vu le rapport d’enquête la concernant.

Témoignage de Me Jean Marois

[72]       Au début de son mandat, Me Marois rencontre M. Bernier et Mme St-Cœur, à titre de supérieurs de Mme Lévesque, pour bien comprendre le milieu de travail. À la suite de ces rencontres, Me Marois les identifie comme des auteurs de signalements. Il en fait rapport au MTESS, son mandant.

[73]       Me Marois n’a pas précisé à Mme Lévesque qu’il y avait une nuance à faire entre les employés et les supérieurs à titre d’auteurs de signalements, ces derniers, contrairement aux employés, n’ayant pas porté plainte contre elle : Me Marois les qualifie d’auteurs de signalements parce qu’il a détecté dans leurs témoignages les cinq critères du harcèlement psychologique. Il reconnaît qu’il aurait été délicat d’apporter cette précision à Mme Lévesque.

[74]       Selon Me Marois, l’enquête a révélé que les supérieurs de Mme Lévesque ont pratiqué l’évitement comme mode de gestion des conflits au lieu de la confronter au sujet des débordements dans l’exercice de son droit de gérance. Ce faisant, les supérieurs de Mme  Lévesque ont laissé le climat de travail et les conflits s’envenimer.

[75]       Me Marois souligne que toute enquête en matière de harcèlement psychologique crée une commotion dans le milieu de travail et stigmatise la personne mise en cause ainsi que les auteurs de signalements non retenus. Les bonnes pratiques commandent de prendre soin de toutes les personnes impliquées, incluant la mise en cause, à toutes les étapes du processus d’enquête, jusqu’à la mise en œuvre des recommandations par l’employeur.

[76]       Pour Me Marois, la transparence du processus d’enquête est importante. C’est pourquoi il faut faire une rétroaction post-enquête, tant auprès des auteurs de signalements que de la personne mise en cause. À cette dernière, il recommande de dire que les signalements se sont avérés non fondés, que sa conduite ne constituait pas du harcèlement psychologique mais que l’enquête a fait ressortir que son style de gestion autoritaire et directif constituait un facteur de risque. Mme Lévesque devrait se voir signifier des attentes qui feront l’objet d’un suivi. On devrait aussi faire une évaluation de ses compétences.

[77]       Selon Me Marois, le fait d’être mis en cause dans une enquête en matière de harcèlement psychologique ne constitue pas un empêchement à gérer. Par contre, l’équipe ayant besoin d’un temps d’arrêt pour qu’il y ait rétablissement du lien de confiance, Me Marois est d’avis que placer Mme Lévesque dans des fonctions de professionnel pour une période transitoire est une option envisageable, si la durée de l’affectation est déterminée au départ et claire. Me Marois ne peut se prononcer quant à cette durée.

L’ARGUMENTATION

de Mme Lévesque

quant à son relevé provisoire

[78]       Dans son argumentation à l’égard de son relevé provisoire, Mme Lévesque rappelle d’abord les faits révélés par la preuve, notamment que, depuis son arrivée au DEC en 2007, ses évaluations de rendement témoignent de ses compétences et de son expérience avant les événements.

[79]       Elle souligne aussi à la Commission que du « jour 1 » de son retour au travail, le 18 novembre 2014, jusqu’à son relevé provisoire, le 26 janvier 2015, rien ne laisse présager ce qui l’attend. Or, dès le 20 janvier 2015, l’employeur sait que certains de ses employés se plaignent de ses attentes en matière de performance mais il n’en dit mot à Mme Lévesque jusqu’à la rencontre du 26 janvier 2015.

[80]       Mme Lévesque appuie principalement son argumentation sur le fait que l’employeur a sollicité a posteriori la validation, par Me Marois, de l’à-propos de son relevé provisoire. Or, selon elle, l’avis de Me Marois à cet égard ne peut être pris en compte parce qu’il a été rendu à partir d’informations erronées et parce que MMarois ignore, lorsqu’il produit l’avis demandé, que le Comité d’experts a rejeté la moitié des allégations de harcèlement psychologique qui lui ont été présentées.

[81]       Pour ces motifs, Mme Lévesque conteste la légalité de son relevé provisoire et demande à la Commission de le déclarer abusif.

quant à son affectation

[82]       En débutant son argumentation à l’égard de son affectation, Mme Lévesque revient sur les faits révélés par la preuve. Elle souligne qu’à l’égard du premier jour de son retour au travail, Mme St-Cœur rapporte trois événements justifiant des allégations de harcèlement psychologique à son endroit. Or, l’enquêteur conclut à cet égard que, à titre de supérieure immédiate, Mme St-Cœur était investie du droit de gestion lui permettant d’intervenir auprès de Mme Lévesque pour qu’elle cesse ses comportements. Pour Mme Lévesque, l’inaction de Mme St-Cœur illustre ce que l’enquêteur appelle une « gestion par l’évitement ». Mme Lévesque rappelle également que la preuve a démontré, toujours au premier jour de son retour au travail, qu’elle s’inquiète des rumeurs voulant que l’on ferme sa direction. Mme St-Cœur répond à ses inquiétudes en lui conseillant d’atteindre les cibles.

[83]       Mme Lévesque précise qu’il est important de parler du premier jour de son retour au travail parce que les faits démontrent que Mme St-Cœur est sensible à ce qui arrive ce jour-là et qu’elle lui énonce clairement une attente quant à l’atteinte des cibles.

[84]       Or, Mme Lévesque souligne que toutes les récriminations des employés à son égard sont liées à l’atteinte des cibles et à la pression qui en découle. D’ailleurs, toutes les allégations rapportées dans l’étude de recevabilité sont liées à des obligations de performance. Pour Mme Lévesque, l’employeur devait tenir compte de ce contexte dans ses décisions la concernant.

[85]       Mme Lévesque rappelle ensuite à la Commission qu’elle s’est défendue de 71 allégations de harcèlement psychologique. Or, faire l’objet d’une seule allégation crée une commotion, une charge émotive importante, et marginalise : c’est l’un des reproches les plus graves en matière de relations de travail. Avec 71 allégations déposées contre elle, dont certaines provenant de ses supérieurs, sa commotion était totale.

[86]       Selon Mme Lévesque, lorsqu’une enquête conclut que des allégations de harcèlement psychologique sont non fondées, deux options s’offrent à l’employeur :  soit il retourne le mis en cause à son poste et l’enquête est réputée n’avoir jamais existé, soit il prend la mesure ou la sanction qui s’impose à l’égard du problème soulevé par l’enquête. Si l’employeur décide d’agir, il doit le faire en respectant les règles applicables en matière administrative ou disciplinaire et il ne doit pas agir de manière abusive ou en marge de ce qui est raisonnable.

[87]       À cet égard, Mme Lévesque rappelle ce que l’enquêteur a indiqué à l’employeur de faire en suivi de l’enquête : informer Mme Lévesque des conclusions de l’enquête et lui dire ce qui lui est reproché; informer Mme Lévesque du plan de travail de l’employeur et des suites qu’il entend donner à l’enquête. En d’autres mots, pour Mme Lévesque, l’employeur avait l’obligation d’être transparent.

[88]       Mme Lévesque prétend que dans la présente affaire, la preuve démontre plutôt une gestion par l’évitement de la part du MTESS. Lorsque M. Grenier rencontre Mme Lévesque, il l’avertit d’abord qu’il n’est pas là pour parler de l’enquête. Sans lui en donner les raisons, M. Grenier l’informe ensuite de sa décision de l’affecter à Services Québec dans des fonctions de professionnel. M. Grenier n’aborde pas la durée de cette affectation. Il ne l’informe pas non plus des lacunes en communication rapportées par l’enquêteur. Il ne lui dit pas que son poste au DEC a été aboli. En fait, M. Grenier ne donne aucune information à Mme Lévesque pour qu’elle comprenne ce qui lui arrive. Il en sera de même dans la lettre qui l’informe de la fin de son relevé provisoire et qui confirme son affectation à Services Québec.

[89]       Mme Lévesque allègue que pour décider de cette affectation, l’employeur n’a pas tenu compte de son dossier antérieur, ni des circonstances de son retour au travail. De plus, aucune alternative à l’affectation, comme du coaching ou du mentorat, n’est envisagée par l’employeur. Incidemment, la preuve démontre qu’il n’y avait plus de poste pour elle au DEC depuis le mois d’avril 2015. Enfin, Mme Lévesque souligne à la Commission que c’est à Mme St-Cœur, auteure de signalements de harcèlement psychologique à son endroit, que l’employeur a demandé d’identifier ses compétences aux fins de décider de sa nouvelle affectation.

[90]       Mme Lévesque soutient que tous ces faits permettent d’affirmer que la décision de l’employeur de l’affecter à des fonctions de professionnel constitue une mesure disciplinaire déguisée. En effet, la façon de faire de l’employeur dans son dossier est tellement en marge des bonnes pratiques, tellement abusive et en violation de ses droits qu’il en a résulté une sanction pour Mme Lévesque.

[91]       Mme Lévesque souligne à la Commission que, à ce jour et à l’exclusion de ce que l’audience de la Commission lui a permis d’apprendre, elle n’a jamais été informée de ce qui lui est reproché. Elle ne sait pas non plus ce qui l’attend, ni quand prendra fin son affectation.

[92]       Pour Mme Lévesque, ce qu’elle a bâti au cours de ses six années au DEC et le rejet de toutes les allégations de harcèlement psychologique qui pesaient contre elle n’ont pas fait le poids contre les lacunes de communication révélées par l’enquête. À cet égard, Mme Lévesque prétend que les constats de Me Marois quant à ses lacunes, qu’ils soient fondés ou non, ne pouvaient autoriser l’employeur à agir en dehors de la procédure qui s’imposait : si elle a commis une faute, l’employeur devait appliquer les règles en matière de sanction.

[93]       Dans son cahier d’autorités, Mme Lévesque souligne d’abord les pouvoirs presque illimités de la Commission[5] et le fait qu’elle puisse prendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable en considérant toutes les circonstances[6]. À cet égard, elle rapporte les propos de la Cour supérieure dans Paquette et Commission de la fonction publique : « Or la CFP a le pouvoir de qualifier une mesure administrative de "disciplinaire" lorsque la mesure en a toutes les apparences.[7]»

[94]       Mme Lévesque renvoie aussi la Commission à l’arrêt Langlois[8] ainsi qu’à deux textes de doctrine[9] qui discutent de la notion de mesure disciplinaire déguisée.

[95]       Mme Lévesque réfère ensuite à ce qui constitue un processus normal après enquête[10] et mentionne que, dans la présente affaire, l’employeur a fait indirectement ce qu’il ne pouvait faire directement : il a imposé une mesure abusive et disproportionnée, qualifiée de non disciplinaire.

[96]       À ce sujet, Mme Lévesque cite l’arrêt Cabiakman[11] dans lequel la Cour suprême a reconnu qu’il existe une condition implicite de rétablissement de la situation juridique antérieure après la cessation de la cause de la suspension d’un salarié. À défaut de rétablir la situation antérieure du salarié, « il se peut que la suspension initiale se transforme en congédiement déguisé ou soit considérée comme telle en raison de sa durée même ou d’une prolongation indéterminée ou excessive ». Mme Lévesque plaide que c’est le cas dans la présente affaire.

[97]       Mme Lévesque renvoie aussi la Commission aux exemples d’abus de droit ou de traitement abusif en matière disciplinaire recensés par la Cour d’appel dans la décision Standard Broadcasting Corporation Ltd.[12]. Elle s’appuie également sur la décision Paquette[13] de la Cour supérieure à cet égard.

[98]       Mme Lévesque prétend que, même en matière administrative, l’employeur a des obligations. Pour appuyer cette prétention, elle revoit la Commission à la décision Costco Wholesale Canada Ltd.[14] et souligne que, dans la présente affaire, le MTESS n’a pas respecté les exigences mentionnées dans cette décision.

[99]       Mme Lévesque rappelle à la Commission la gravité objective d’une accusation de harcèlement psychologique[15]. Or, selon elle, si l’employeur avait agi à temps, dès les premiers signes avant-coureurs d’un problème, elle n’aurait pas eu à vivre ce qu’elle a vécu ni à se défendre d’allégations de harcèlement psychologique : de simples interventions ponctuelles auraient probablement mis fin à la problématique.

[100]    Mme Lévesque souligne que sa nouvelle affectation la prive d’un emploi qu’elle aimait, qui participait à la valorisation de sa personne.

[101]    Pour tous ces motifs, Mme Lévesque demande à la Commission de déclarer que son affectation à des fonctions de professionnel constitue une mesure disciplinaire déguisée ou, s’il s’agit effectivement d’une mesure administrative, de déclarer que celle-ci a été administrée en marge des règles qui s’appliquent en semblable matière.

[102]    Mme Lévesque demande également à la Commission d’ordonner au MTESS de la réintégrer dans un poste de gestion au DEC.

du MTESS

[103]    Le MTESS rappelle à la Commission qu’elle ne possède qu’une compétence d’attribution et que, de façon générale, les mesures administratives ne sont pas énoncées dans les dispositions législatives attributives de sa compétence. En conséquence, pour le MTESS, la Commission n’a pas compétence pour décider de l’affectation de Mme Lévesque, à moins de considérer celle-ci comme une mesure disciplinaire déguisée.

[104]    Le MTESS soutient que le fardeau de la preuve en matière de mesure disciplinaire déguisée, lequel incombe à Mme Lévesque selon la balance des probabilités, est double : il faut prouver que l’employeur voulait sanctionner un comportement fautif et qu’il avait une intention punitive. Selon le MTESS, aucun des deux volets de la mesure disciplinaire déguisée n’a été prouvé par Mme Lévesque.

[105]    Le MTESS explique ce qui constitue une mesure administrative : il s’agit d’une mesure qui vise l’efficience du service, le bien de l’organisation. Quant à la mesure disciplinaire, le MTESS rappelle que le Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique[16] énonce les trois seules mesures disciplinaires qui s’offrent à l’employeur dans la fonction publique : la réprimande, la suspension et le congédiement. Conséquemment, toute autre mesure appliquée par l’employeur dans un but disciplinaire serait illégale.

[106]    Le MTESS rappelle les faits et reprend la chronologie des événements : dès la première journée de son retour au travail, Mme Lévesque tient des propos que l’enquêteur retient comme des allégations de harcèlement psychologique. Le MTESS souligne que, à cette occasion, M. Bernier est intervenu pour dénoncer les propos tenus par Mme Lévesque : il s’agit là d’un bémol à la prétendue gestion par l’évitement dénoncée par Mme Lévesque.

[107]    Le MTESS poursuit en rappelant l’incident dans le bureau de M. Bernier au cours duquel Mme Lévesque a été fort critique envers l’organisation et Mme St-Cœur. D’ailleurs, à la suite de cette rencontre, une mesure disciplinaire est envisagée mais la précipitation des événements dans la semaine suivante a changé les priorités : l’employeur a préféré préserver le climat de travail.

[108]    Le MTESS souligne avoir assigné un coach à Mme Lévesque pour la soutenir dans sa réintégration lors de son retour au travail. Malgré tout, deux mois plus tard, la moitié de ses employés se plaignent de la façon dont elle s’adresse à eux. Plus tard, l’enquêteur dira de ces employés qu’ils sont en détresse et recommandera, en raison de l’importance de l’atteinte, de les traiter comme des victimes malgré les conclusions de l’enquête.

[109]    Le MTESS prétend qu’il était en conséquence justifié de relever provisoirement Mme Lévesque, le 26 janvier 2015, afin de respecter l’obligation de l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail[17], soit de prendre les moyens pour prévenir le harcèlement psychologique.  À cette date, le MTESS ne savait pas quelles seraient les conclusions de l’enquête.

[110]    C’est après avoir consulté la direction de la santé des personnes, la direction des relations de travail et l’équipe de la dotation que la décision de relever provisoirement Mme Lévesque a été prise. L’avis de l’enquêteur a ultérieurement été demandé pour valider la pertinence de maintenir Mme Lévesque en relevé provisoire. À cet égard, le MTESS précise que, au moment de formuler cet avis, Me Marois a déjà identifié M. Bernier à titre d’auteur d’allégations de harcèlement psychologique et il en a informé le MTESS.

[111]    En ce qui concerne l’annonce à Mme Lévesque de son relevé provisoire, le MTESS rappelle à la Commission les précautions prises par l’employeur pour en minimiser les impacts : on lui donne du temps pour se remettre; M. Beaulieu l’accompagne et s’assure que personne ne la voit; on lui permet d’envoyer un courriel pour informer ses employés d’une absence pour écouler des jours de vacances; M. Beaulieu l’aide dans la rédaction de ce courriel; on lui permet de conserver son BlackBerry; on la réfère au PAE et M. Beaulieu s’assure qu’elle ne sera pas seule à son retour à la maison. Pour le MTESS, il est clair que rien n’indique qu’il ait voulu punir Mme Lévesque à l’occasion de son relevé provisoire.

[112]    Le MTESS rappelle que, par la suite, il a donné le mandat à un enquêteur de faire la lumière sur le climat de travail dans la direction de Mme Lévesque. Après avoir rencontré les gestionnaires, selon sa méthodologie habituelle, cet enquêteur suspecte du harcèlement psychologique ascendant. C’est la raison pour laquelle M. Bernier a été écarté du dossier de Mme Lévesque. Toutefois, M. Bernier continue de faire son travail de directeur de l’état civil et, en avril 2015, il propose au MTESS une réorganisation du DEC qui abolit le service de Mme Lévesque, essentiellement parce qu’il est de moins en moins sollicité. Cette décision de M. Bernier n’a donc rien à voir avec Mme Lévesque.

[113]    Le MTESS souligne qu’il a tenu Mme Lévesque informée pendant la durée de l’enquête. MM. Rivard et Beaulieu lui ont tous deux téléphoné. Le MTESS a donc pris soin de Mme Lévesque à toutes les étapes du processus.

[114]    En juin 2015, le MTESS a reçu le Rapport d’enquête et le Rapport à la gestion. Malgré la conclusion voulant qu’il n’y avait pas de harcèlement psychologique, le Rapport d’enquête indique que le comportement de Mme Lévesque constitue un facteur de risque pour son milieu de travail. En outre, dans le Rapport à la gestion, l’enquêteur recommande de traiter les auteurs d’allégations comme des victimes. Pour l’employeur, ces deux informations l’interpellent au regard de son obligation de prévention en vertu de l’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail.

[115]    Le MTESS allègue qu’il a suivi la recommandation de l’enquêteur quant à ce qui devait être dit à Mme Lévesque. À cet égard, il soutient l’avoir informée qu’elle avait commis des maladresses de gestion qui entraînent un risque pour le milieu de travail. Pour le MTESS, il n’avait pas à lui remettre le Rapport d’enquête ni à lui donner des exemples.

[116]    Le MTESS prétend que le fondement de sa décision d’affecter Mme Lévesque à des fonctions de professionnel se retrouve dans le Rapport à la gestion : l’enquêteur indique que la réintégration de Mme Lévesque dans des fonctions de gestion constituerait un facteur de risque important et que les chances de succès d’une telle réintégration sont très minces. Pour le MTESS, sa décision d’affecter Mme Lévesque à Services Québec était la plus respectueuse des recommandations de l’enquêteur et celle qui s’imposait.

[117]    Le MTESS souligne que l’enquêteur a aussi recommandé une évaluation des compétences de gestion de Mme Lévesque. Le MTESS a pris acte de cette recommandation et il entend y donner suite. D’ailleurs, le MTESS prétend que l’affectation de Mme Lévesque est temporaire : il entend outiller Mme Lévesque pour l’aider dans son style de gestion. Les bonnes évaluations de rendement antérieures de Mme Lévesque ne sont pas garantes de ses capacités de gestion actuelles. Déjà, dans l’évaluation de rendement de 2013, on soulignait qu’elle devait améliorer la gestion du changement auprès de ses employés.

[118]    Le MTESS rappelle que la décision d’affecter Mme Lévesque à des fonctions de professionnel a été prise par M. Grenier, sur recommandation des experts de la DRH du MTESS dont Mme Leclerc et le supérieur de M. Beaulieu. Tous ont témoigné de leur souci de respecter les obligations de l’employeur en matière de harcèlement psychologique, en vertu de la Loi sur les normes du travail et de préserver le climat de travail au sein de l’équipe de Mme Lévesque.

[119]    Le MTESS soutient qu’il n’avait pas l’intention de punir Mme Lévesque : si cette intention avait existé, il n’aurait pas demandé l’avis de l’enquêteur quant à la pertinence de maintenir le relevé provisoire. De plus, si l’employeur avait voulu « tabletter » Mme Lévesque, il ne se serait pas enquis de ses forces auprès du DEC. D’ailleurs le poste offert et occupé par Mme Lévesque à Services Québec est un poste central pour le MTESS, à proximité physique de M. Grenier.

[120]    Le MTESS mentionne qu’il n’est pas exact de dire qu’il n’y avait pas de « plan B » prévu pour Mme Lévesque : M. Grenier a demandé à Mme Lévesque de prendre contact avec M. Larose et de voir ce qu’il avait à lui offrir avant de discuter avec elle d’une autre possibilité d’affectation.

[121]    Le MTESS souligne que l’affectation de Mme Lévesque a été annoncée à ses employés lors de la réorganisation administrative du DEC et qu’elle a été justifiée par celle-ci. Pour le MTESS, cela signifie que l’employeur n’a pas voulu faire un exemple de Mme Lévesque. D’ailleurs, Mme Lévesque n’a pas été le seul cadre touché par la réorganisation : M. Denis Bouchard est désormais chef de service alors qu’il était antérieurement directeur principal. Comme Mme Lévesque, M. Bouchard a été fortement impacté par la réorganisation du DEC.

[122]    De l’avis du MTESS, Mme Lévesque ne s’est pas déchargée de son fardeau de prouver, selon la balance des probabilités, l’intention de punir de l’employeur.

[123]    Le MTESS allègue par ailleurs qu’il n’y a pas de comportement fautif volontaire de la part de Mme Lévesque : elle n’était pas consciente que quelque chose n’allait pas dans son équipe alors que certains de ses employés étaient en détresse. Le MTESS conclut donc à un comportement involontaire de sa part, lequel ne peut donner ouverture à une mesure disciplinaire. Pour le MTESS, il était donc justifié d’agir comme il l’a fait dans la présente affaire.

[124]    Dans son cahier d’autorités, le MTESS renvoie d’abord la Commission à la décision Chevrier[18] pour rappeler que ce n’est pas parce que l’employeur s’éloigne des bonnes pratiques de gestion que cela devient une mesure disciplinaire déguisée lorsque l’employeur n’a pas l’intention de punir.

[125]    Le MTESS rappelle également la décision Bérubé[19] dans laquelle la Commission indique que l’affectation n’est pas visée par la Directive concernant l’ensemble des conditions de travail des cadres[20]. En conséquence, le MTESS est d’avis que la Commission n’a pas compétence à cet égard puisque la décision a été prise de bonne foi par l’employeur.

[126]    Le MTESS souligne l’importance pour la Commission de rechercher la volonté de punir : le fait que l’employé soit pénalisé ne signifie pas qu’il s’agit d’une mesure disciplinaire déguisée. Pour le MTESS, la Commission doit être convaincue, selon la balance des probabilités, qu’elle est en présence d’une mesure disciplinaire déguisée. À cet égard, le MTESS renvoie la Commission à la décision Giguère[21] en raison de ses similitudes avec la présente affaire.

[127]    Le MTESS prétend que l’exercice du droit de gestion comporte une fourchette de possibilités. Pour déterminer la raisonnabilité d’une décision, il faut évaluer si un tiers pouvait arriver à la même décision. Dans l’affirmative, il s’agit d’une décision raisonnable parce que comprise à l’intérieur de la fourchette de décisions qui s’offraient à l’employeur. Le MTESS reconnaît qu’il aurait pu faire autrement. Toutefois, cela ne signifie pas que la décision d’affecter Mme Lévesque est une décision déraisonnable et la Commission ne peut pas se substituer à l’employeur en matière de mesure administrative.

[128]    Le MTESS demande donc à la Commission de retenir son objection préliminaire, voulant que la Commission n’ait pas compétence à l’égard de l’affectation de Mme Lévesque, et de rejeter ses trois recours.

RÉPLIQUE

[129]    En réplique, Mme Lévesque mentionne que la Commission est confrontée à un exercice difficile : elle doit déceler l’intention de punir de l’employeur dans sa façon de faire, drastique et irrespectueuse. Pour Mme Lévesque, dès que l’employeur agit en marge des normes prescrites, on peut y déceler une intention de punir.

[130]    Selon Mme Lévesque, les autorités rapportées par le MTESS sont antérieures à la décision Paquette[22] dans laquelle la Commission conclut qu’une mesure administrative peut constituer une mesure disciplinaire par la façon dont elle est annoncée.

[131]    Mme Lévesque soutient que la Commission a entière compétence pour intervenir parce qu’on lui a administré une mesure administrative abusive : elle n’a pas eu droit à l’erreur; elle a été évincée de son poste de gestionnaire; le MTESS lui a imposé une peine capitale; elle n’a pas eu le droit d’être entendue; on ne lui a pas offert la possibilité de se corriger.

SUPPLIQUE

[132]    En supplique, le MTESS allègue que l’état du droit n’a pas changé depuis l’arrêt Langlois[23] : la Commission doit déterminer si la manière dont les événements se sont déroulés cache une intention de punir de la part du MTESS.

ANALYSE ET MOTIFS

[133]    Le cadre juridique qui s’applique à la présente affaire est le suivant.

[134]    L’article 33 de la LFP énonce la compétence de la Commission en matière de mesures administratives et disciplinaires imposées à des fonctionnaires qui ne sont pas régis par une convention collective :

33. À moins qu'une convention collective de travail n'attribue en ces matières une compétence à une autre instance, un fonctionnaire peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique de la décision l'informant : [...]

4° d'une mesure disciplinaire;

5° qu'il est relevé provisoirement de ses fonctions. [...]

[135]    L’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique prévoit les mesures disciplinaires auxquelles peut recourir l’employeur :

18. Une mesure disciplinaire peut constituer en une réprimande, une suspension ou un congédiement, selon la nature et la gravité de la faute qu’elle vise à réprimer.

[136]    L’article 22 de la LFP prévoit que l’employeur peut, dans les seules situations qui y sont prévues, relever provisoirement un fonctionnaire :

22. Tout fonctionnaire peut, conformément aux exigences prescrites par règlement, être relevé provisoirement de ses fonctions afin de permettre à l'autorité compétente de prendre une décision appropriée dans le cas d'une situation urgente nécessitant une intervention rapide ou dans un cas présumé de faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à une norme d'éthique ou de discipline, ou d'une infraction criminelle ou pénale.

[137]    Les articles 15 et 16 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique énoncent la procédure applicable lors du relevé provisoire d’un fonctionnaire.

[138]    Mme Lévesque a été relevée provisoirement de ses fonctions et a ensuite été affectée à des fonctions de professionnel. Elle conteste ce relevé provisoire et son affectation. À ce dernier égard, la Commission doit décider de l’objection préliminaire du MTESS quant à sa compétence pour entendre l’appel de Mme Lévesque.

[139]    La Commission se prononce d’abord sur le relevé provisoire.


 

Quant au relevé provisoire

[140]    À l’égard du relevé provisoire, la Commission doit déterminer si, au moment de décider de relever provisoirement Mme Lévesque de ses fonctions, le DEC respectait les conditions de l’article 22 de la LFP. Cet article permet à l’autorité compétente de relever provisoirement un fonctionnaire, le temps de compléter son enquête, dans le cas d'une situation urgente nécessitant une intervention rapide ou dans un cas présumé de faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à une norme d'éthique ou de discipline, ou d'une infraction criminelle ou pénale.

[141]    Dans une décision récente[24], la Commission résume ainsi les conditions d’application de l’article 22 de la LFP extraites de ses décisions:

[160] Cette revue de la jurisprudence de la Commission fait ressortir l’importance, dans l’évaluation du bien-fondé du relevé provisoire, de la nature de la faute et de la nécessité de protéger les personnes, de sécuriser le milieu de travail ou de l’assainir pendant l’enquête. En fait, les décisions rapportées font état de fautes présumées de nature telle qu’un maintien au travail n’est presque pas envisageable : il en va de l’intégrité et de la sécurité du milieu. C’était aussi le cas dans la décision Ouellette[[25]], où il était question d’allégations d’abus de pouvoir et d’attouchements d’un gestionnaire à l’égard de deux subalternes.

[142]    En l’espèce, il ressort des témoignages que le DEC et le MTESS se sont vu signifier, dans un très court laps de temps, plusieurs allégations de harcèlement psychologique provenant d’employés visiblement ébranlés par la situation qu’ils dénonçaient non sans crainte. Tous identifiaient Mme Lévesque à titre de mise en cause.

[143]    Dès lors, le DEC faisait face à une situation très inquiétante impliquant une de ses gestionnaires et plusieurs employés de son équipe. La Commission est d’avis que l’employeur devait agir pour sécuriser le milieu de travail le temps de faire la lumière sur ces allégations.

[144]    Aussi, dans un contexte où l’employeur collige les informations en vue de décider des suites appropriées, son silence à l’endroit de Mme Lévesque durant les cinq jours ouvrables requis pour effectuer une analyse préliminaire de la situation et prendre une décision ne peut lui être reproché. Il témoigne plutôt de son souci de protéger le milieu et d’éviter tout geste de nature à provoquer une aggravation de la situation.

[145]    Conséquemment, la Commission est d’avis que le relevé provisoire de fonctions de Mme Lévesque était justifié.


 

Quant à l’affectation

[146]    La doctrine et la jurisprudence ont maintes fois énoncé qu’un tribunal administratif ne détient pas une compétence générale : il ne peut exercer que la compétence qui lui est attribuée par sa loi constitutive ou par une autre loi[26]:

À la différence du tribunal judiciaire de droit commun, un tribunal administratif n’exerce la fonction juridictionnelle que dans un champ de compétence nettement circonscrit. Il est en effet borné, par la loi qui le constitue et les autres lois qui lui attribuent compétence, à juger des contestations relatives à une loi en particulier ou à un ensemble de lois. Sa compétence ne s’étend donc pas à l’intégralité de la situation juridique des individus.

[147]    Aussi, bien qu’on lui ait reconnu des pouvoirs presque illimités à titre de tribunal, la Commission ne possède qu’une compétence d’attribution qu’énoncent les articles 33, 35, 123 et 127 de la LFP, l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail ainsi que l’article 16 de la Loi sur le processus de détermination de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales et sur leur régime de négociation collective[27].

[148]    Le paragraphe 4° de l’article 33 de la LFP prévoit que la Commission peut entendre l’appel d’un fonctionnaire à l’égard d’une décision l’informant d’une mesure disciplinaire.

[149]    Dans l’arrêt Langlois, la Cour suprême établit que la notion de sanction disciplinaire doit « s’entendre de toute mesure qui constitue une véritable sanction disciplinaire, quelle qu’elle soit[28] ». Aussi, la Cour suprême indique que ce n’est pas le nom que l’employeur donne à une mesure qui la qualifie mais c’est plutôt l’ensemble des faits qui permet au décideur de la qualifier adéquatement.

[150]    L’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique prévoyant que les seules mesures disciplinaires auxquelles peut recourir l’employeur sont la réprimande, la suspension et le congédiement, il s’ensuit que toute autre mesure imposée par l’employeur à titre de sanction disciplinaire est illégale et doit être annulée.

[151]    De façon générale, une affectation constitue une mesure administrative qui relève de la bonne gestion de l’organisation par l’employeur. Dans la décision Genest[29], la Commission distingue ainsi la mesure disciplinaire de la mesure administrative :

Suivant les auteurs Blouin et Morin, « […] la notion de mesure disciplinaire couvre essentiellement les actes de gestion pris à l’encontre d’un salarié qui a un comportement prétendument fautif ». […] Les auteurs D’Aoust, Leclerc et Trudeau énoncent, pour leur part, ce qui suit :

« La sanction disciplinaire est avant tout répressive et vise à punir un individu pour son comportement répréhensible au sein de l’organisation. Accessoirement, elle doit inciter le contrevenant à amender sa conduite pour la rendre compatible avec la poursuite des activités de l’organisation à laquelle il appartient. Enfin, la sanction disciplinaire revêt un caractère d’exemplarité à l’intérieur de la communauté. » […]

La Cour d’appel, dans l’affaire Syndicat des employé(e)s de Molson c. Brasserie Molson-O’Keefe Ltée […], distingue la mesure disciplinaire de la mesure non disciplinaire ou administrative de la façon suivante :

« Généralement on peut dire que l’acte administratif correspond à un manquement involontaire du salarié qui pourrait être qualifié aussi de mesure non disciplinaire; si d’autre part, la mesure peut être qualifiée de disciplinaire c’est qu’elle met en cause le caractère volontaire du manquement reproché au salarié qui vise principalement à punir et à corriger. Ainsi, l’absentéisme chronique peut, si la cause de l’absence est hors du contrôle du salarié, être qualifié de mesure administrative. Si cependant la cause de l’absence ressort de la volonté du salarié, c’est plutôt une mesure disciplinaire. C’est généralement par l’étude du contexte et non pas nécessairement par la terminologie utilisée, par exemple dans un avis de congédiement qu’un décideur pourra qualifier la mesure. »

Les auteurs Dussault et Borgeat précisent, quant à eux, ce qui suit :

« Cette dernière [la mesure disciplinaire] implique en effet qu’il y a eu de la part du fonctionnaire faute de service ou manquement à une obligation professionnelle; la mesure administrative de son côté vise purement et simplement l’intérêt du service public et, dans certains cas, celui même de l’employé. »

Pour être qualifiée de disciplinaire une mesure doit donc répondre à deux critères, le premier étant le caractère volontaire du manquement reproché à l’employé et le deuxième étant la présence d’un élément de répression ou de punition lors de l’imposition de la mesure. La jurisprudence et la doctrine s’accordent sur le fait que chaque mesure doit être qualifiée en tenant compte des faits et des circonstances propres à chaque affaire.

La Commission rappelle que le fardeau de prouver de façon prépondérante que la décision de l’employeur constitue une mesure disciplinaire déguisée repose sur la partie qui l’allègue, soit sur l’appelante […].

[La Commission souligne]

[152]    Dans la présente affaire, qu’en est-il de l’affectation de Mme Lévesque à des fonctions de professionnel?

[153]    La Commission retient de la preuve que les faits dans leur ensemble ne sont pas contestés. C’est plutôt leur interprétation par les parties qui les mène à une divergence au niveau de la qualification de la mesure.

[154]    Les faits ayant conduit à la décision d’affecter Mme Lévesque à des fonctions de professionnel se résument ainsi. Mme Lévesque est mise en cause dans une enquête en matière de harcèlement psychologique. Les allégations sont sérieuses et impliquent même ses deux supérieurs. Mme Lévesque est relevée de ses fonctions pour permettre la tenue de l’enquête. Elle collabore au processus et, ultimement, aucune des 71 allégations analysées n’est retenue comme constituant un comportement harcelant de sa part. L’enquête fait toutefois ressortir ses lacunes en communication et le fait que son style de gestion constitue un facteur de risque pour le climat de travail. L’enquêteur ne recommande pas la réintégration de Mme Lévesque dans ses fonctions ou dans toute autre fonction impliquant un rôle de gestion. Il recommande par ailleurs l’imposition d’une sanction disciplinaire : à l’employeur de choisir laquelle.

[155]    En réponse à ces recommandations, l’employeur décide d’affecter Mme Lévesque à des fonctions de professionnel dans une autre direction. Et il ne lui expliquera jamais pourquoi.

[156]    Or, la Commission est d’avis qu’en privant Mme Lévesque d’informations essentielles à la compréhension de la situation et des enjeux pour l’employeur, le MTESS laisse entrevoir sa véritable intention derrière la nouvelle affectation. C’est donc d’abord dans le silence du MTESS que la Commission décèle une volonté de punir Mme Lévesque.

[157]    En effet, du Rapport d’enquête de plus de 200 pages et comportant dix recommandations, dont cinq la concernant directement, la preuve a révélé que l’employeur ne rapportera que ceci à Mme Lévesque : l’enquête n’a pas conclu à du harcèlement psychologique mais plutôt à des lacunes en communication. On ajoutera que la crédibilité de toutes les parties a été entachée, incluant la sienne, en raison de contradictions dans les témoignages.

[158]    Jamais l’employeur n’explique à Mme Lévesque quelles sont ses lacunes communicationnelles mises en lumière par l’enquête. Il ne lui dit pas non plus que l’enquêteur considère qu’elle constitue un facteur de risque pour son milieu de travail, qu’il suggère de laisser du temps à tous pour laisser retomber la poussière avant qu’elle ne retourne au DEC ou dans un poste de gestion. Il ne mentionne pas que pour ce faire il faudra qu’elle s’amende, qu’elle corrige son comportement. De même, alors que son poste n’existe tout simplement plus en raison d’une restructuration administrative complète dans laquelle elle n’est pour rien, jamais l’employeur n’informe Mme Lévesque qu’il n’y a pas de retour possible au DEC.

[159]    En tenant ainsi Mme Lévesque dans l’ignorance et en l’absence d’explications adéquates quant à l’abolition de son poste au DEC, l’employeur n’était pas sans savoir que le désarroi causé par la décision de l’affecter à d’autres fonctions au sein de Services Québec serait total. Conséquemment, la Commission est d’avis que sans explication ni contexte, l’opportunité présentée à Mme Lévesque de joindre les rangs de Services Québec se voulait en fait une punition.

[160]    À cet égard, M. Grenier témoignera qu’il se serait attendu à une plus grande ouverture de la part de Mme Lévesque envers sa nouvelle affectation. La Commission voit difficilement comment une gestionnaire qui ignore les raisons motivant son affectation à des fonctions de professionnel peut avoir une quelconque ouverture. D’autant qu’elle vient d’apprendre qu’une enquête l’a blanchie de toutes les allégations de harcèlement psychologique qui pesaient contre elle.

[161]    Par ailleurs, alors que les auteurs de signalements sont traités comme des victimes, rien n’est fait ni même proposé pour aider Mme Lévesque à se relever des allégations de harcèlement psychologique dont elle s’est défendue. Au contraire, le MTESS ajoute à la stigmatisation découlant de l’enquête en affectant Mme Lévesque à une autre direction, sans même consulter son supérieur hiérarchique au DEC. Encore une fois, la Commission voit dans la façon du MTESS de laisser Mme Lévesque face à elle-même une volonté de sanctionner Mme Lévesque pour les faits dénoncés par les auteurs de signalements.

[162]    Des témoins diront à l’audience que l’affectation de Mme Lévesque n’est que temporaire. Or, à défaut d’en avoir informé Mme Lévesque en temps opportun, la Commission ne croit pas au caractère transitoire de cette affectation. D’ailleurs, ni M. Grenier, lors de la rencontre du 22 juin 2015, ni la lettre du 2 juillet 2015 mettant fin au relevé provisoire et confirmant les nouvelles fonctions de Mme Lévesque, ne traitent de la durée de la nouvelle affectation. Clairement, la preuve contredit les prétentions de l’employeur à cet égard. En conséquence, la Commission est d’avis que l’affectation de Mme Lévesque à des fonctions de professionnel se voulait permanente et que, ce faisant, le MTESS a voulu la punir des fautes commises dans l’exercice de ses fonctions de gestionnaire.

[163]    Des témoins rapporteront également que l’on entend faire évaluer les compétences de Mme Lévesque et qu’on pourra ensuite élaborer un plan de travail vers un éventuel retour en situation de gestion. Toutefois, il aura fallu l’audience de la Commission pour que Mme Lévesque apprenne les intentions de l’employeur à son égard. À ce jour, l’employeur n’a toujours pas fait évaluer les compétences de Mme Lévesque ni proposé de plan de travail, de formation, de mentorat ou du coaching. Il tentera de se justifier par la longue période d’absence de Mme Lévesque : la Commission retient plutôt un laxisme certain de l’employeur dans la mise en œuvre des recommandations de l’enquêteur concernant Mme Lévesque.

[164]    La Commission note que le MTESS n’a jamais offert à Mme Lévesque la possibilité de corriger son comportement inadéquat. D’ailleurs, le MTESS prétend qu’il s’agissait d’un comportement involontaire de sa part, lequel ne peut donner ouverture à une mesure disciplinaire. La Commission n’est pas d’accord avec la qualification du comportement en cause par le MTESS. La preuve a révélé que Mme Lévesque a principalement tenu des propos agressants, blessants ou menaçants. Or, le fait d’avoir de tels écarts de langage en milieu de travail constitue un comportement volontaire qui, s’il est sanctionné, doit faire l’objet d’une mesure disciplinaire[30].

[165]    Dans ce contexte, la Commission est d’avis que la décision d’affecter Mme Lévesque à des fonctions de professionnel n’est pas une mesure administrative prise purement et simplement dans l’intérêt de l’organisation ou dans l’intérêt même de Mme Lévesque : la preuve révèle plutôt que cette décision était fortement teintée des manquements professionnels de Mme Lévesque révélés par l’enquête.

[166]    Aussi, malgré les lacunes communicationnelles et autres maladresses de gestion révélées par l’enquête, la Commission ne croit pas qu’il est question, dans la présente affaire, d’incompétence ou d’incapacité à exercer des fonctions de gestion : Mme Lévesque est gestionnaire depuis 15 ans et ses évaluations de rendement font état de compétences certaines et d’habilités en situation de gestion. Pour la Commission, il s’agit plutôt d’une situation conflictuelle ponctuelle qui dégénère dans un contexte d’attentes en matière de performance et de rumeurs de suppression de postes. À cet égard, la Commission note l’attitude contributive du DEC qui, bien qu’animé de bonnes intentions, a favorisé une escalade du conflit en pratiquant une gestion par l’évitement.

[167]    Soulignons que le fait d’avoir laissé à Mme Lévesque son salaire de cadre, classe 5, ne diminue en rien le caractère punitif de son affectation. La Commission y voit d’ailleurs un autre indice de la nature disciplinaire de la mesure : en cas de véritable mesure administrative imposée pour le bien de l’organisation et en raison de l’incapacité ou de l’incompétence démontrée de Mme Lévesque à exercer ses fonctions, le MTESS aurait pu rétrograder Mme Lévesque et réduire conséquemment son salaire.

[168]    Dans la présente affaire, le comportement de Mme Lévesque révélé par l’enquête n’est pas sans faute et, à l’instar de l’enquêteur, la Commission y voit certainement matière à sanction disciplinaire. Le MTESS était donc justifié de vouloir punir sa gestionnaire. Toutefois, l’employeur ne pouvait simplement pas recourir à l’affectation pour ce faire, celle-ci n’étant pas une des mesures disciplinaires prévues à l’article 18 du Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique. L’affectation de Mme Lévesque est donc illégale.

[169]    La présente affaire se distingue de la décision Giguère[31]. Dans cette affaire, l’employeur avait d’abord imposé une suspension de deux mois à son gestionnaire après qu’une enquête interne eût conclu à de l’ingérence et à du favoritisme de sa part. À la suite de cette longue suspension, l’employeur avait affecté son gestionnaire dans des fonctions de professionnel. S’il est vrai que la Commission a confirmé la nature administrative de l’affectation, il est facile de comprendre pourquoi : l’employeur avait préalablement imposé une suspension de deux mois à son gestionnaire pour ce qu’il avait considéré une faute de sa part. Indépendamment de la conclusion du commissaire Roberge quant au bien-fondé de la sanction, les faits mis en preuve révélaient donc une sévère mesure disciplinaire préalable à l’affectation pour des motifs d’ordre administratif.

[170]    En l’espèce et tel qu’établi précédemment, la Commission est d’avis que l’affectation de Mme Lévesque a fait office d’unique mesure disciplinaire.

[171]    En conséquence de la reconnaissance de la mesure disciplinaire déguisée dont elle a été l’objet, Mme Lévesque demande à la Commission d’ordonner sa réintégration dans un poste de gestion au DEC. La Commission ne peut faire droit à cette demande puisqu’elle doit, dans sa décision, tenir compte des changements organisationnels survenus au DEC.

[172]    Quant à la plainte de harcèlement psychologique de Mme Lévesque à l’égard du MTESS, la Commission rappelle que Mme Lévesque avait le fardeau d’en prouver le bien-fondé et qu’elle n’a pas présenté d’argumentation à cette fin.

[173]    POUR CES MOTIFS, la Commission :

·      REJETTE le moyen préliminaire du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale;

·      REJETTE la plainte de harcèlement psychologique de Mme Francine Lévesque;

·      REJETTE l’appel de Mme Francine Lévesque à l’égard de son relevé provisoire de fonctions;

·      DÉCLARE que Mme Francine Lévesque a été l’objet d’une mesure disciplinaire déguisée en étant affectée à des fonctions de professionnel par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale;

·      ANNULE l’affectation de Mme Francine Lévesque à la direction des orientations et du partenariat du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale;

·      RÉSERVE sa compétence pour déterminer les mesures de réparation appropriées.

ORIGINAL SIGNÉ PAR :

 

__________________________________

Sonia Wagner, avocate

Commissaire

 

Me Pascale Racicot

Procureure pour Mme Francine Lévesque

Appelante

 

Me Karl Lefebvre

Procureur pour le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale

lntimé

 

Lieu de l’audience :  Québec

 

Dates d’audience :

 4 et 5 novembre 2015, 22 janvier, 10 février et 24 mars 2016

 



[1]     La Commission est saisie de cette plainte le 24 janvier 2014.

[2]     Comité regroupant les gestionnaires du DEC.

[3]     Programme d’aide aux employés.

[4]     Centre local d’emploi.

[5]     Barcelo et Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), 1997 CanLII 10709 (QC CA); Flamand et Roberge, 2009 QCCS 933.

[6]     Société de l’assurance automobile du Québec et Commission de la fonction publique, D.T.E 99T-919 (C.S.).

[7]     Paquette et Commission de la fonction publique, 2015 QCCS 6227, paragraphe 55.

[8]     Langlois et Ministère de la Justice, [1984] 1 R.C.S. 472.

[9]     CANTIN, Christiane et GOSSELIN, Anne, La Commission de la fonction publique du Québec : un interlocuteur incontournable en matière de gestion des ressources humaines et de droit du travail, Développements récents en droit du travail, Cowansville, Éd. Yvon Blais, vol. 348, 2012, pages 91 et 92; MORIN, Fernand et BLOUIN, Rodrigue, Droit de l’arbitrage de griefs, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2012, pages 573 et 574.

[10]    BERNIER, Linda, BLANCHET, Guy, GRANOSICK, Lukasz et SÉGUIN, Éric, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, 2e édition, vol. I, mise à jour 2015-1, Cowansville, Éd. Yvon Blais, page I/2-159; Syndicat des travailleuses et travailleurs de Recall-Québec et VytalbaseRecall (division de Brambles Canada inc.), Ginette Gosselin, arbitre, 2005-01-12, D.T.E. 2005T-208.

[11]    Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, [2004] 3 R.C.S. 195, paragraphe 71.

[12]    Standard Broadcasting Corporation Ltd. c. Stewart, 1994 CanLII 5837 (QC CA).

[13]    Précitée, note 7, paragraphes 44 et 45.

[14]    Costco Wholesale Canada Ltd. c. Laplante, 2005 QCCA 788.

[15]    Syndicat de l’enseignement de l’Estrie et Commission scolaire de la région de Sherbrooke, 2015 CanLII 6526; Syndicat du personnel de soutien de Dawson et Collège Dawson, 2009 CanLII 27604; CPE Luminou et Syndicat des travailleuses et travailleurs des centres de la petite enfance de Montréal et de Laval (Tania Biggio), Noël Malette, arbitre, 2006-05-16, D.T.E. 2006T-582.

[16]    RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.

[17]    RLRQ, c. N-1.1.

[18]    Chevrier et Commission de la santé et de la sécurité du travail, 2014 QCCFP 9.

[19]    Bérubé et Ministère de la Sécurité publique, 2012 QCCFP 36.

[20]    C.T. 208914 du 20 avril 2010 et ses modifications.

[21]    Giguère et Société de l’assurance automobile du Québec, [1991] 8 n1 R.D.C.F.P. 71.

[22]    Paquette et Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2014 CanLII 74362 (QC CFP).

[23]    Précité, note 8.

[24]    Houle et Ministère des Transports du Québec, 2016 QCCFP 4.

[25]    Ouellette et Ministère du Revenu, 2009 CanLII 44306 (QC CFP).

[26]    Issalys, Pierre et Lemieux, Denis, L’action gouvernementale - Précis de droit des institutions administratives, 3e édition, Cowansville, Éd. Yvon Blais inc., 2009, page 421.

[27]    RLRQ, c. P-27.1.

[28]    Précité, note 8, page 476.

[29]    Genest et Ministère de la Justice, [2003] 20 nº 1 R.D.C.F.P. 1.

[30]    Précitée, note 10, pages II/7-1 à II/7-428.

[31]    Précitée, note 21.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.