Décision

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Gabarit EDJ

Macduff c. Vacances Sunwing inc.

2018 QCCS 1510

JG 2551

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Actions collectives)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-06-000845-178

 

 

DATE :

 16 avril 2018

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

 

______________________________________________________________________

 

DANIEL MACDUFF

Demandeur

c.

 

VACANCES SUNWING INC.

-et-

LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC.

Défenderesses

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

(autorisation d’action collective)

______________________________________________________________________

 

[1]         En novembre 2016, le demandeur achète auprès des défenderesses (collectivement Sunwing) un forfait vacances d’une semaine à Cayo Coco. Il décrit les circonstances de l’achat dans sa Demande remodifiée pour autorisation d’exercer une action collective :

11.        Pour ce faire, le Requérant à cette date s’est rendu sur le site de www.voyagesbergeron.com, a choisi la destination ainsi que les dates de vols qu’il souhaitait, a vu les vols offerts, leur prix ainsi que la mention « service au champagne », une fois sa sélection effectuée, il a alors confirmé les vols qu’il désirait, a entré ses informations de carte de crédit, la transaction a été autorisée et le Requérant a reçu quelques jours plus tard ses documents électroniques de voyage;

[2]         Le demandeur ne s’étant pas fait servir de champagne dans l’avion, mais uniquement du vin mousseux et uniquement sur le vol aller, il dépose en février 2017 une demande visant à exercer une action collective contre Sunwing.

[3]           Par sa Demande remodifiée, il recherche une diminution de sa prestation et des dommages-intérêts moraux et punitifs au motif que Sunwing aurait commis des pratiques commerciales trompeuses et fait des fausses représentations en vendant des vols et forfaits vacances incluant un « service au champagne », sans toutefois servir un vin mousseux provenant de la région de Champagne, en France. Il sollicite l’autorisation d’intenter une action collective pour le compte du groupe suivant[1] :

Tous les consommateurs, au sens de la LPC, résidant dans la province de Québec qui, après le 10 février 2014 et jusqu’à la date d’autorisation de la présente action :

ont acheté et/ou obtenu des billets et/ou ont voyagé avec VACANCES SUNWING INC. et/ou LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC. pour un vol et/ou un forfait présenté, publicisé ou décrit en utilisant le mot « champagne » (ci-après le « Service »); et [sic]

ou tout autre membre tel que déterminé par la Cour; 

[4]         Le 11 octobre 2017, le soussigné accueille partiellement une demande de Sunwing pour présenter une preuve appropriée suivant l’article 574 C.p.c., soit une déclaration sous serment de la Directrice Marketing et Technologies de Vacances Sunwing Inc., de même que les pièces à son soutien, et pour interroger hors cour le demandeur. Les conclusions de ce jugement[2] indiquent notamment :

ADMET en preuve à l’étape de l’autorisation les paragraphes 1 à 10 de la déclaration sous serment d’Eva Janine Massey et les pièces sous-jacentes;

AUTORISE  la tenue d’un interrogatoire préalable hors cour de Daniel MacDuff pour une durée d’au plus d’une heure portant sur les sujet suivants :

-       Les circonstances entourant l’achat du forfait vacances, notamment :

Les représentations spécifiques de Sunwing que Daniel MacDuff a vues et considérées, et sur lesquelles il s’est fié à l’occasion de l’achat;

-       La connaissance de Daniel MacDuff quant au groupe qu’il veut représenter, incluant les efforts déployés pour acquérir une connaissance suffisante des membres du groupe et s’assurer qu’il n’est pas en conflit avec eux;

[5]         Le 21 mars 2018, le demandeur remodifie la demande afin d’abandonner ses prétentions visant des dommages compensatoires et dorénavant ne recherche que la diminution corrélative de l’obligation, les dommages moraux et les dommages punitifs.

[6]         En dépit des arrêts récents, tant de la Cour suprême du Canada que de la Cour d’appel[3], qui démontrent que les autorisations d’exercer une action collective ne sont qu’un exercice, en pratique, d’analyse sommaire, sinon, superficielle (sans aucune connotation péjorative de ce mot), Sunwing conteste vaillamment la demande.

[7]         Quant à l’insignifiance potentielle de la réclamation individuelle du demandeur, le Tribunal rappelle les commentaires du juge Gagnon, prononcés récemment dans l’arrêt Copibec et qui font autorité[4] :

[85]        La faible quotité rattachée à chacune des réclamations des auteurs constitue à elle seule une raison valable d’admettre l’action collective. Si chacun des auteurs et autres ayants droit devaient saisir séparément les tribunaux de leurs dommages invoqués contre l’Université, il ne saurait faire de doute que cette partie serait alors entraînée dans une multitude de procès ayant tous le même fondement juridique, ce qui risquerait de conduire à une demande de jonction de toutes ces instances (article 210 C.p.c.). Le projet d’action collective évite cette difficulté appréhendée.

[86]        Au demeurant, l’action collective vise ici à faciliter aux auteurs l’accès à la justice tout en préservant les ressources judiciaires et, le cas échéant, à sanctionner de façon efficace des agissements qui autrement demeuraient à l’abri de l’intervention judiciaire en raison de la modicité du préjudice lorsque appréciée sur un plan individuel.(…)

(Référence omise)

ANALYSE

Droit applicable

[8]         L’article 575 du Code de procédure civile (C.p.c.)  énonce les conditions d’autorisation d’une action collective :

575. Le tribunal autorise l’exercice de l’action collective et attribue le statut de représentant au membre qu’il désigne s’il est d’avis que:

1°  les demandes des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

2°  les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

3°  la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l’application des règles sur le mandat d’ester en justice pour le compte d’autrui ou sur la jonction d’instance;

4°  le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres.

[9]         L'entrée en vigueur de cet article n'a pas changé les critères d'autorisation d'une action collective, connus sous l’ancien Code de procédure civile[5]. Quant à la portée de l’article 575(2) C.p.c., la Cour d’appel souligne les principes applicables dans J.J. c. Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal[6] :

[42]        La norme juridique entourant la deuxième condition de l’article 575 C.p.c. n’est guère plus exigeante. Seule la démonstration d’une cause « défendable » au stade de l’autorisation est nécessaire, ce seuil de preuve se voulant des plus accessibles. Il suffit au juge saisi de la demande de s’assurer que l’intimé ne sera pas entraîné dans un procès dans lequel le demandeur recherche des conclusions tout simplement « insoutenables ». La charge de preuve en est une de simple démonstration prima facie et doit reposer non seulement sur les allégations de la demande tenues pour avérées, mais aussi sur l’ensemble de la preuve constituée dont notamment les pièces déposées au dossier ainsi que les interrogatoires hors cour du demandeur, s’il en est.

(Références omises)

[10]                    Enfin, dans le même arrêt, la Cour d’appel indique les principes applicables à l’étape de l’autorisation[7] :

[39]        Au départ, il me semble important de signaler que la jurisprudence antérieure aux arrêts Vivendi et Infineon doit être lue avec une attention prudente et respectueuse du seuil d’application peu élevé des conditions de l’article 575 C.c.Q comme l’enseignent ces arrêts. Le demandeur n’est tenu de présenter au juge saisi de la demande d’autorisation qu’une simple « cause défendable » eu égard aux faits et au droit applicable.

[11]        Le demandeur n’est pas tenu de prouver que sa demande sera probablement accueillie. Il suffit qu’il présente une cause défendable, et même si, ultimement, la demande risque d’être rejetée au fond, le recours devrait être autorisé à suivre son cours[8] :

[65]          Comme nous pouvons le constater, la terminologie peut varier d’une décision à l’autre.  Mais certains principes bien établis d’interprétation et d’application de l’art. 1003 C.p.c. se dégagent de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel.  D’abord, comme nous l’avons déjà dit, la procédure d’autorisation ne constitue pas un procès sur le fond, mais plutôt un mécanisme de filtrage.  Le requérant n’est pas tenu de démontrer que sa demande sera probablement accueillie.  De plus, son obligation de démontrer une « apparence sérieuse de droit », « a good colour of right » ou « a prima facie case » signifie que même si la demande peut, en fait, être ultimement rejetée, le recours devrait être autorisé à suivre son cours si le requérant présente une cause défendable eu égard aux faits et au droit applicable.

[12]        En conclusion, le demandeur doit se décharger du fardeau de montrer prima facie que les allégations mentionnées dans la demande permettent d'arriver aux conclusions recherchées. La Cour d'appel résume l'état du droit dans l'arrêt Delorme en qualifiant l'étape de l'autorisation d'un filtre[9]:

[10] (…) L’opération de filtrage vise à écarter les demandes frivoles ou mal fondées. Ainsi, le fardeau en est un de démonstration et non de preuve, et s’avère peu lourd à satisfaire. Si l’interprétation de la disposition applicable de la loi eu égard aux faits allégués dans la requête, lesquels sont tenus pour avérés, laisse entrevoir une cause défendable, l’appel doit réussir. 

                                                                                      (Référence omise)

Discussion

[13]        Sunwing n’admet pas que le demandeur satisfait aux conditions prévues aux paragraphes 1, 3 et 4 de l’article 575 C.p.c., mais n’offre pas d’arguments à ce sujet. En revanche, Sunwing conteste vigoureusement les prétentions du demandeur concernant les prétendues infractions à la Loi sur la protection du consommateur[10] (LPC). Subsidiairement, si l’action collective devait être autorisée, elle propose que le groupe soit limité aux personnes majeures.

[14]        Le débat engagé s’articule autour des pratiques de commerce de Sunwing, lesquelles seraient contraires aux articles 40, 41 et 42 ainsi qu’à certains paragraphes des articles 219, 220, 221 et 228 de la LPC en décrivant, en promouvant et en offrant un forfait de vacances en utilisant le mot “champagne” sans toutefois servir de champagne sur les vols. Le demandeur reproche essentiellement à Sunwing la description du voyage acheté qui ne correspond pas au service réellement reçu.

[15]        Bien entendu, le Tribunal doit tenir les allégations de la demande pour avérés, ce qui en l’instance veut dire que Sunwing utilise le mot « champagne » dans ses publicités[11], et Sunwing ne conteste pas davantage que le demandeur est un consommateur, qu’elle est un commerçant, qu’un contrat de consommation est intervenu entre eux et qu’elle ne sert pas de champagne sur ses vols. Le Tribunal doit  par ailleurs conclure qu’aucun de ces faits n’apparait invraisemblable ou manifestement inexact[12].

[16]        Les véritables questions en litige concernent la qualification de ces éléments en regard d’une cause défendable portant sur les infractions à l’une ou l’autre des dispositions suivantes de la LPC : 40, 41, 42, 219, 220(a), 221(a), 222(f) et 228 :

40. Un bien ou un service fourni doit être conforme à la description qui en est faite dans le contrat.

41. Un bien ou un service fourni doit être conforme à une déclaration ou à un message publicitaire faits à son sujet par le commerçant ou le fabricant. Une déclaration ou un message publicitaire lie ce commerçant ou ce fabricant.

42. Une déclaration écrite ou verbale faite par le représentant d’un commerçant ou d’un fabricant à propos d’un bien ou d’un service lie ce commerçant ou ce fabricant.

219. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, par quelque moyen que ce soit, faire une représentation fausse ou trompeuse à un consommateur.

220. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit:

a)  attribuer à un bien ou à un service un avantage particulier;(…)

221. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit:

a)  prétendre qu’un bien ou un service comporte une pièce, une composante ou un ingrédient particulier;(…)

222. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut faussement, par quelque moyen que ce soit : (…)

f)  prétendre qu’un bien ou un service est d’une origine géographique déterminée;

228. Aucun commerçant, fabricant ou publicitaire ne peut, dans une représentation qu’il fait à un consommateur, passer sous silence un fait important.

[17]        Le demandeur invoque aussi les présomptions des articles 253 et 272 LPC à ce propos. Enfin, il plaide qu’il a droit aux dommages compensatoires (à titre de réduction de l’obligation), moraux et punitifs :

253. Lorsqu’un commerçant, un fabricant ou un publicitaire se livre en cas de vente, de location ou de construction d’un immeuble à une pratique interdite ou, dans les autres cas, à une pratique interdite visée aux paragraphes a et b de l’article 220, a, b, c, d, e et g de l’article 221, d, e et f de l’article 222, c de l’article 224, a et b de l’article 225 et aux articles 227, 228, 229, 237 et 239, il y a présomption que, si le consommateur avait eu connaissance de cette pratique, il n’aurait pas contracté ou n’aurait pas donné un prix si élevé.

272. Si le commerçant ou le fabricant manque à une obligation que lui impose la présente loi, un règlement ou un engagement volontaire souscrit en vertu de l’article 314 ou dont l’application a été étendue par un décret pris en vertu de l’article 315.1, le consommateur, sous réserve des autres recours prévus par la présente loi, peut demander, selon le cas:

a)  l’exécution de l’obligation;

b)  l’autorisation de la faire exécuter aux frais du commerçant ou du fabricant;

c)  la réduction de son obligation;

d)  la résiliation du contrat;

e)  la résolution du contrat; ou

f)  la nullité du contrat,

sans préjudice de sa demande en dommages-intérêts dans tous les cas. Il peut également demander des dommages-intérêts punitifs.

[18]        En ce qui concerne les articles 40, 41, 42 LPC, ces articles fournissent au consommateur une garantie légale de conformité en égard aux publicités d’un commerçant. De plus, ces publicités feraient partie du contrat de consommation en litige, selon les articles 41 et 42 LPC[13].

[19]        Évidemment, si Sunwing était tenue de servir du champagne et non un produit différent ou si ses représentations ainsi que ses publicités[14] ne correspondaient pas à la réalité, il y a certes une cause défendable à présenter au fond. De surcroit, la Cour suprême du Canada envisage l’application de l’article 272 LPC à des cas d’infraction aux articles 40 et suivants de la LPC, car ils font partie du titre I de cette loi[15] :

[113]                      La nature des obligations dont la violation peut être sanctionnée par le biais de l’art. 272 L.p.c. est essentiellement de deux ordres. La L.p.c. impose d’abord aux commerçants et aux fabricants un éventail d’obligations contractuelles de source légale. Ces obligations se retrouvent principalement au titre I de la loi. La preuve de la violation de l’une de ces règles de fond permet donc, sans exigence additionnelle, au consommateur d’obtenir l’une des mesures de réparation contractuelles prévues à l’art. 272 L.p.c. Comme la juge Rousseau-Houle l’a affirmé dans l’arrêt Beauchamp, « [l]e législateur présume de façon absolue que le consommateur subit un préjudice par suite d’un manquement par le commerçant ou le fabricant à l’une ou l’autre de ces obligations et donne au consommateur la gamme des recours prévue à l’article 272 » (p. 744). Le choix de la mesure de réparation appartient au consommateur, mais le tribunal conserve la discrétion de lui en accorder une autre plus appropriée aux circonstances (L’Heureux et Lacoursière, p. 621). Contrairement à l’art. 271 L.p.c., l’art. 272 ne permet pas au commerçant de soulever l’absence de préjudice en défense pour ce qui est des contraventions aux dispositions du titre I (L’Heureux et Lacoursière, p. 620; Service aux marchands détaillants ltée (Household Finance) c. Option Consommateurs, 2006 QCCA 1319 (CanLII)).

[20]        Ainsi, il faut conclure que ce débat peut être soumis au fond, tant en ce qui concerne les infractions potentielles aux articles 40 et suivants de la LPC, qu’en ce qui  a trait aux conséquences envisageables à de telles infractions, selon l’article 272 LPC.

[21]        Passant à l’étude de la cause d’action visant les articles 219, 220(a), 221(a), 222(f) et 228 LPC, il faut aborder les notions de caractère faux ou trompeur des représentations, ce qui se traduit concrètement par l’« impression générale » d’une représentation, ainsi que par le « sens littéral » des termes qui y sont employés[16]. Une telle impression générale est même qualifiée par la Cour suprême du Canada de « première impression »[17]. Enfin, le critère d’analyse applicable est celui d’un consommateur « crédule et inexpérimenté »[18].

[22]        Qu’y a-t-il de frivole ou de non défendable d’avancer (et non pas de conclure) qu’un consommateur qui n’est pas nécessairement averti, prudent ou diligent, voyant le mot « champagne » dans une publicité, où apparaissent de surcroît des flûtes (type de verre associé au champagne) contenant un liquide jaune effervescent (représentation visuelle du champagne), acquiert une « première impression » que ce type d’alcool sera servi à bord lors de son voyage avec Sunwing? Puisque le fardeau du demandeur en est un de logique et non de preuve[19], une telle assertion est justifiée. Ce constat est d’ailleurs conforme aux enseignements de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Richard alors qu’elle insiste sur la prise en considération du contexte[20] :

[55]                         À notre avis, les intimées ont tort de négliger l’importance de la facture visuelle d’une publicité. Il faut retenir d’abord que le législateur a adopté le critère de l’impression générale pour tenir compte des techniques et méthodes utilisées dans la publicité commerciale afin d’influencer de manière importante le comportement du consommateur. Cette réalité commande que l’on attache une importance considérable non seulement au texte, mais à tout son contexte, notamment à la manière dont il est présenté au consommateur.

[23]        Sunwing a raison de plaider qu’il faut tenir compte de l’ensemble de la publicité, des liens électroniques et des notes de bas de page[21] mais, encore une fois, cet exercice devra faire l’objet d’une instruction au fond. Il est prématuré à cette étape-ci de conclure que l’action, telle que proposée, est indéfendable pour ce motif. Comment préjuger à cette étape-ci, avant l’instruction permettant de démonter justement le contexte, que ce même contexte rend le syllogisme du demandeur frivole et qu’en conséquence la poursuite de ce litige ne permettra pas la reconnaissance possible du droit revendiqué?

[24]        Bref, le demandeur présente une cause défendable voulant que la première impression d’un consommateur crédule et inexpérimenté voyant les publicités en question puisse constituer des représentations fausses ou trompeuses, suivant les paragraphes 219, 220(a), 221(a) et 222(f) LPC.

[25]        En particulier, si le champagne devait être servi ou était annoncé comme devant l’être, alors que cette boisson est particulière, voire unique, et indéniablement rattachée à une région géographique spécifique et délimitée, les articles 221(a) et 222(f) LPC sont d’emblée mis à contribution.

[26]        La même conclusion s’impose en ce qui concerne l’article 228 LPC, car elle est tributaire du constat qui précède, mais a contrario. Si le champagne occupe une place centrale des publicités et représentations de Sunwing alors que cette dernière l’utilise dans le titre, dans la description et dans les références du forfait en vente, il n’est pas frivole ou déraisonnable de soutenir qu’il aurait fallu mentionner que cette boisson n’est pas en réalité servie aux consommateurs et qu’il ne s’agit que d’une appellation de prestige et, à la limite, d’une image de marque, plutôt que de la fourniture du produit en question[22].

[27]        Cette étape étant franchie, il s’agit d’analyser maintenant les conséquences potentielles des gestes reprochés si la demande avait gain de cause. Il est question de réduction de l’obligation des dommages moraux et des dommages punitifs.

[28]        L’article 272 LPC répond à cette triple préoccupation. Il ne s’agit pas du tout d’un cas similaire à celui analysé dans le dossier Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada[23], où il n’y avait pas de preuve de proximité entre la représentation et l’achat. Ici, il est allégué que le test en quatre étapes énoncé dans l’arrêt Time est satisfait[24] :

-       la violation par le commerçant d’une des obligations imposées par le Titre II de la Loi,

-       la prise de connaissance de la représentation constituant une pratique interdite par le consommateur,

-       la formation, la modification ou l’exécution d’un contrat de consommation subséquente à cette prise de connaissance, et

-       une proximité suffisante entre le contenu de la représentation et le bien ou le service visé par le contrat.

[29]        Le Tribunal estime qu’il est possible que ces quatre critères soient remplis en l’instance, d’autant plus que l’achat du forfait suit de façon instantanée la représentation. Partant, les demandes au niveau de redressements au niveau de trois types de dommages sont envisageables.

[30]        Sunwing s’oppose de façon vigoureuse à la possibilité de condamnation aux dommages punitifs. Encore une fois, le Tribunal note qu’elle présente ses arguments de façon prématurée. À l’étape de l’autorisation, le seuil à ce sujet est bas, tel que la Cour d’appel vient de le rappeler dans l’arrêt Télévision communautaire et indépendante de Montréal (TVCI-MTL) c. Vidéotron[25] :

[35]        La juge de première instance conclut que les faits allégués ne peuvent donner ouverture à une réclamation en dommages punitifs. Bien que minimalistes, les allégations de la demande et la preuve sont suffisantes pour permettre d’inclure cette réclamation dans les questions et conclusions à être décidées. Notre Cour a récemment analysé cette question dans Union des consommateurs c. Bell Mobilité inc.. Il paraît prématuré de rejeter cette partie de la demande au stade de l’autorisation.

(Référence omise)

[31]        Dans les circonstances de l’espèce, à l’instar de l’arrêt Bell Mobilité de la Cour d’appel, il y a lieu de conclure qu’il s’agit d’une question qui relève plutôt du fond[26] :

[42]        S’il est vrai que le juge autorisateur doit s’assurer que la demande d’autorisation énonce les faits qui justifient les conclusions recherchées, il demeure qu’il doit le faire en gardant à l’esprit le critère établi par la Cour suprême dans Vivendi, c’est-à-dire le fardeau peu onéreux de démontrer l’existence d’une cause défendable. Il doit donc être satisfait que la procédure comporte suffisamment d’allégations de faits pour donner ouverture aux conclusions recherchées en dommages punitifs. Dans les circonstances, les reproches de manquement à la L.P.C. qui sont détaillés à la requête apparaissent susceptibles de donner ouverture à une réclamation en dommages-punitifs et il n’appartenait pas au juge d’autorisation de les rejeter à ce stade. Ce n’est qu’après avoir entendu la preuve qu’il sera en mesure d’apprécier le comportement de l’intimée (avant et après la violation alléguée), tel que le soulignait la Cour suprême dans Richard c. Time inc. :

«   [178]    […] Ainsi, le tribunal appelé à décider s’il y a lieu d’octroyer des dommages-intérêts punitifs devrait apprécier non seulement le comportement du commerçant avant la violation, mais également le changement (s’il en est) de son attitude envers le consommateur, et les consommateurs en général, après cette violation. Seule cette analyse globale du comportement du commerçant permettra au tribunal de déterminer si les impératifs de prévention justifient une condamnation à des dommages-intérêts punitifs dans une affaire donnée. »

(…)

[45]        Sur le fond, le juge du procès pourra en arriver à la même conclusion après analyse des faits, mais encore faut-il qu’il puisse avoir eu l’occasion d’entendre la preuve et d’apprécier le comportement du commerçant, ce qu’il ne peut faire au stade de l’autorisation.

[32]        Enfin, les dommages punitifs peuvent être accordés à eux seuls, même en l’absence d’octroi de dommages compensatoires[27].

[33]        Au niveau des questions autres que celles portant sur les syllogismes juridiques énoncés, le Tribunal est convaincu que les conditions subsistant de l’article 575 C.p.c., soit les questions proposées, la composition du groupe et enfin la validation du représentant sont, satisfaites de façon adéquate.

[34]        La taille du groupe peut être considérable. La preuve, embryonnaire à cette étape-ci, démontre que la publicité visée par la présente action a été en vigueur pendant au moins quelques années. Multipliant le nombre de vols par le nombre de voyageurs et par le nombre de jours, on arrive facilement à une quantité de membres pouvant osciller entre quelques milliers et des centaines de milliers de consommateurs susceptibles d’en faire partie[28]. D’ailleurs, la liste d’intérêt[29] suggère qu’il y a un minimum de 1700 individus membres potentiels du groupe qui proviennent de partout au Québec. Ils sont tous des consommateurs qui ont acheté le même forfait ou un forfait similaire auprès de Sunwing durant la période pertinente.

[35]        Les questions telles que proposées sont communes[30]. De plus, au Québec, elles n'ont pas à être prédominantes ou prépondérantes et la conception de la notion de l'intérêt commun doit être analysée de façon souple, tel que déterminé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Vivendi Canada[31]. Ici, les questions visent la détermination si Sunwing a contrevenu à la LPC et quelles doivent en être les conséquences. Le Tribunal est d’avis qu’elles sont appropriées car, à défaut, il y a certainement un risque de répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique à de multiples reprises.

[36]        Enfin, le représentant est adéquat. Le Tribunal rappelle que la Cour suprême du Canada a énoncé le principe voulant qu’«aucun représentant proposé ne devrait être exclu, à moins que ses intérêts ou sa compétence ne soient tels qu’il serait impossible que l’affaire survive équitablement »[32]. La Cour d’appel ne cesse de qualifier cette question de critère minimaliste[33].

[37]        Ici, la preuve démontre que le demandeur a acheté le forfait en question et donc possède un intérêt certain dans le recours. De plus, son interrogatoire préalable prouve de façon passablement limpide qu’il est compétent et qu’il ne présente aucun conflit d’intérêts avec les membres du groupe. Il participe activement à l’élaboration de la stratégie et des procédures, comprend et suit avec intérêt l’action entreprise. Enfin, il continue d’être à la recherche de membres potentiels du groupe.

[38]        D’ailleurs, Sunwing a pu interroger le représentant proposé quant au groupe qu’il veut représenter, incluant les efforts déployés pour acquérir une connaissance suffisante des membres du groupe et s’assurer qu’il n’est pas en conflit avec eux. Pourtant, elle ne présente aucun argument à ce sujet.

[39]        Enfin, il n’y a pas lieu d’exclure les mineurs de la définition du groupe proposé. D’une part, il est possible que des consommateurs mineurs aient acheté des forfaits vacances visés par cette action et, d’autre part, il est défendable d’avancer qu’en cas de vol qui quitte l’espace aérien canadien (et québécois), la restriction d’âge s’appliquant à la consommation de l’alcool n’est plus valable.

[40]        Certes, Sunwing présente certaines preuves[34] et des arguments intéressants pour attaquer la justesse des conclusions recherchées et des dommages éventuels. Cependant, le rôle actuel du Tribunal n'est que de vérifier si le recours est défendable et non pas anticiper sur ses chances de succès. C'est à ce niveau que le caractère de filtre, évoqué au paragraphe 12 de ce jugement, prend tout son sens. Le Tribunal ne doit pas trancher à cette étape-ci le mérite des éléments constitutifs des infractions à la LPC et des dommages potentiels en découlant[35].

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[41]        ACCUEILLE la Demande remodifiée en autorisation d’exercer une action collective;

[42]        AUTORISE l'exercice de l'action collective sous la forme d'une action en dommages;

[43]        ATTRIBUE à DANIEL MACDUFF le statut de représentant aux fins d’exercer une action collective pour le compte du groupe ci-après décrit :

Tous les consommateurs, au sens de la LPC, résidant dans la province de Québec, qui après le 10 février 2014 et jusqu’à la date d’autorisation de la présente action:

 

a)    ont acheté et/ou obtenu des billets et/ou ont voyagé avec VACANCES SUNWING INC. et/ou LIGNES AÉRIENNES SUNWING INC., pour un vol et/ou un forfait présenté, publicisé ou décrit en utilisant le mot « champagne » (ci-après le « Service »); et

 

ou tout autre membre tel que déterminé par la Cour;

[44]        IDENTIFIE comme suit les principales questions de faits et de droit à être traitées  collectivement :

a.    Les Défenderesses ont-elles contrevenu au Titre II de la Loi sur la protection du consommateur, à savoir :

                                          i.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre des articles 219, 220(a) et/ou 221(a) en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot « champagne » sans toutefois servir de champagne?

                                        ii.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre de l’article 222(f) en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot « champagne » et en servant plutôt des boissons alcooliques provenant d’une région autre que de la région géographique de Champagne?

                                       iii.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre de l’article 228 en ne mentionnant pas aux Membres du groupe que leur service ne comprenait pas de champagne?

 

b.    Les Défenderesses ont-elles contrevenu au Titre I de la Loi sur la protection du consommateur, à savoir :

                                          i.    Les Défenderesses sont-elles allées à l’encontre des articles 40, 41, 42, et/ou 43 en décrivant et en promouvant leur service en utilisant le mot « champagne » sans toutefois servir de champagne?

c.    Les Membres du groupe ont-ils droit à une compensation des Défenderesses, consistant à :

                                        ii.    une réduction de leur obligation;

                                       iii.    des dommages moraux;

                                       iv.    un montant en dommages punitifs par Membre du groupe; et/ou

                                         v.    l’intérêt et indemnité additionnelle prévue par le Code civil du Québec sur ces montants, à compter de la date d’achat des forfaits ou des billets d’avion?

 

d.    Les Membres du groupe peuvent-ils bénéficier de la présomption absolue de préjudice de l’article 272 Loi sur la protection du consommateur ainsi que de la présomption de dol de l’article 253 Loi sur la protection du consommateur ?

[45]        IDENTIFIE comme suit les conclusions recherchées qui s'y rattachent :

ACCUEILLIR l’action collective intentée par le Requérant pour le compte des Membres du groupe contre les Défenderesses;

DÉCLARER que les Défenderesses sont responsables des dommages subis par le Requérant et chacun des Membres du groupe;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de réduction de l’obligation des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de dommages moraux à chacun des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

CONDAMNER les Défenderesses à payer une somme à titre de dommages punitifs à chacun des Membres du groupe, le quantum à être déterminé, le tout avec intérêt et indemnité additionnelle de l’article 1619 du Code civil du Québec depuis la date d’achat des billets;

ORDONNER le recouvrement collectif des sommes prévues aux trois paragraphes précédents;      

[46]        DÉCLARE qu'à moins d'exclusion, les membres du groupe seront liés par tout jugement à intervenir sur le recours collectif de la manière prévue par la loi;

[47]        FIXE le délai d'exclusion à 30 jours après la date de publication de l'Avis aux membres, délai à l'expiration duquel les membres du groupe qui ne se seront pas prévalus des moyens d'exclusion seront liés par tout jugement à intervenir;

[48]        ORDONNE aux parties de soumettre au Tribunal leurs observations sur les questions de l’Avis aux membres, de l’Avis abrégé aux membres du groupe, de la publication et des termes de ces avis, et des preuves de publication, dans un délai de 45 jours de la date de ce jugement;

[49]        RÉFÈRE le dossier au Juge en chef pour détermination du district dans lequel le recours collectif devra être exercé;

[50]        AVEC FRAIS de justice, incluant les frais de publication de l’avis aux membres.

 

 

__________________________________

LUKASZ GRANOSIK, j.c.s.

 

Me Sébastien A. Paquette -et- Me Jérémie Martin

CHAMPLAIN AVOCATS

Procureurs du demandeur

 

Me Me Jessica Harding -et- Éric Préfontaine

OSLER, HOSKIN & HARCOURT

Procureurs des défenderesses

 

Date d’audition:                                                                                                    15 mars 2018

Dernières representations:                                                                             3 avril 2018

 

 

 



[1] Paragraphe 4 de la Demande remodifiée pour autorisation d’exercer une action collective.

[2] 2017 QCCS 4540.

[3] Cf. Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., 2017 QCCA 1673, par. 31.

[4] Société québécoise de gestion collective des droits de reproduction (Copibec) c. Université Laval, 2017 QCCA 199.

[5] Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée, 2016 QCCA 659, par. 54.

[6] 2017 QCCA 1460, en appel à la Cour suprême du Canada, no 37855.

[7] Idem.

[8] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59.

[9] Delorme c. Concession A25, s.e.c.,  2015 QCCA 2017.

[10] RLRQ, c. P-40.1.

[11] Certes, il y a une foule de nuances et d’expressions diverses où le mot « champagne » apparait et les publicités varient notamment dans le temps et en fonction du lieu de départ du forfait, mais le fait brut à la base de l’action, demeure.

[12] Lambert (Gestion Peggy) c. Écolait ltée, précité, note 5, par. 38.

[13] Cf. Nicole L'HEUREUX et Marc LACOURSIÈRE, Droit de la consommation, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, 911 p., paragraphes 25 et 78.

[14] Notamment les pièces P-5 et P-9.

[15] Richard c. Time Inc., 2012 CSC 8.

[16] Idem, par. 46.

[17] Idem, par. 57.

[18] Idem, par. 72.

[19] Union des consommateurs c. Bell Canada, 2012 QCCA 1287; Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc., précité, note 3.

[20] Richard c. Time Inc, 2012 CSC 8, par. 55.

[21] Richard c. Time Inc, 2012 CSC 8, par. 56, Dion c. Compagnie de services de financement automobile Primus Canada, 2015 QCCA 333, par. 54-59, Vidéotron, s.e.n.c. c. Bell Canada, 2015 QCCS 1663, par. 48 et 50-54.

[22] Contrairement à la situation où, si on publicisait un bien ou un service « aux diamants » ou « en or », il serait plus évident de plaider la frivolité d’un recours basé sur la compréhension que les consommateurs recevraient des pierres ou métaux précieux, en achetant ce produit ou ce service.

[23] 2013 QCCS 3654, confirmé à 2015 QCCA 333.

[24] Richard c. Time Inc, 2012 CSC 8, par. 124.

[25] 2018 QCCA 527.

[26] Union des consommateurs c. Bell Mobilité inc., 2017 QCCA 504.

[27] de Montigny c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, cité avec approbation dans Richard c. Time Inc, 2012 CSC 8, par. 146.

[28] Même s’il n’y avait qu’un vol avec 200 personnes à bord par semaine en 4 ans, on arrive facilement à plus de 40 000 (200 x 4 x 52) membres.

[29] Pièce P-8.

[30] Cf. Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, Martel c. Kia, 2015 QCCA 1033.

[31] Vivendi Canada Inc. c. Dell'Aniello, 2014 CSC 1, par. 54-60.

[32] Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, précité, note 7, par. 149.

[33] Télévision communautaire et indépendante de Montréal (TVCI-MTL) c. Vidéotron, 2018 QCCA 527, Lévesque c. Vidéotron, s.e.n.c., 2015 QCCA 205, paragr. 23.

[34] Notamment les pièces EJM-1 et EJM-2.

[35] Masella c. TD. Bank Financial Group, 2016 QCCA 24, par. 9, 10 et 18.

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