Difco, Tissus de performance inc. et Marcoux |
2012 QCCLP 2674 |
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[1] Le 21 avril 2011, Difco Tissus de performance inc. (l’employeur) dépose, à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 14 avril 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme deux décisions initiales qui font suite à l’avis émis le 30 septembre 2010 par le Comité spécial des présidents (Comité spécial). La CSST confirme celle du 16 novembre 2010 et déclare que monsieur Réal Marcoux (le travailleur) est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire depuis le 13 juillet 2010 (byssinose). La CSST confirme également celle du 19 novembre 2010 et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente à l’intégrité physique de 60,75 %.
[3] Une audience est tenue à Sherbrooke le 6 février 2012. Les parties sont présentes et représentées.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande de déclarer que la réclamation du travailleur a été produite en dehors du délai de six mois prévu à l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Sur le fond de la contestation, il demande de déclarer que le travailleur n’a pas subi une maladie professionnelle pulmonaire.
LES FAITS
[5] Le travailleur est né en 1956. Il a débuté chez l’employeur, en 1980.
[6] Le 23 novembre 2009, il doit consulter à l’urgence en raison de sa condition pulmonaire. Le docteur François Poitras retient un diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique décompensée avec une grippe. Sur un billet médical, il indique « MPOC décompensée » et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 6 décembre 2009.
[7] Durant la période des Fêtes, l’usine est fermée. Au retour, le 4 janvier 2010, le travailleur consulte de nouveau à l’urgence et il est vu par le docteur Luc Larivée. La note clinique indique un travail dans la poussière de coton depuis 29 ans et une dyspnée exacerbée par le retour au travail. Le docteur Larivée prescrit un arrêt de travail pour un mois, retient un diagnostic de maladie professionnelle et dirige le travailleur en pneumologie. Il rédige un billet médical sur lequel il indique une absence du travail pour une raison médicale.
[8] Le travailleur a consulté à l’urgence à deux autres reprises, soit le 10 juin 2010 (détresse respiratoire) et le 28 juin 2010. À cette dernière date, le docteur Bernier signe un billet médical non CSST et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 16 juillet 2010 inclusivement.
[9] Le 13 juillet 2010, le docteur Bernard Coll, pneumologue, remplit une première attestation médicale pour la CSST. Il pose un diagnostic de byssinose et demande que le travailleur soit évalué par le Comité des maladies pulmonaires professionnelles. Dans son rapport de consultation, il note qu’un diagnostic d’asthme a été posé alors que le travailleur était âgé d’environ 20 ans, mais que celui-ci a par la suite fait du sport pendant de nombreuses années, sans limitation. Il a dû cesser de jouer au baseball à l’âge de 50 ans en raison d’une dyspnée à l’effort. Ses symptômes se sont ensuite aggravés et depuis janvier 2010, il a subi une exacerbation et a dû consulter à l’urgence. Le docteur Coll conclut comme suit :
IMPRESSION DIAGNOSTIQUE :
Maladie pulmonaire obstructive chronique sévère aux limites de l’insuffisance respiratoire et tabagisme actif.
Possibilité d’une composante professionnelle de type byssinose.
J’ai surtout pris le temps de bien expliquer la situation sérieuse à Monsieur Marcoux. Je lui ai expliqué que le diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique faisait peu de doute et bien qu’il existe une possibilité de composante professionnelle, je crois surtout que son tabagisme est le principal facteur qui contribue à sa situation actuelle. Je lui ai expliqué que l’avenir était très incertain, compte tenu de sa détérioration rapide des derniers mois et qu’il devrait de façon urgente, cesser complètement de fumer.
Je lui ai donc remis une documentation pour une demande à la CSST pour évaluation pour byssinose à sa demande. Je lui ai suggéré de continuer les mêmes bronchodilatateurs et je prévois le revoir après six semaines d’arrêt du tabac pour faire les fonctions respiratoires de base et vérifier comment nous pouvons optimiser sa fonction et sa capacité fonctionnelle.
Je renforce encore une fois l’idée que s’il ne cesse pas de fumer, les complications majeures surviendront à court-terme et que, ni l’escalade des bronchodilatateurs ou l’inscription au Réseau MPOC, ou d’autres interventions ne peuvent contribuer à l’améliorer s’il ne cesse pas de fumer complètement à court terme.
[10] Le 15 juillet 2010, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour une maladie professionnelle pulmonaire. Il allègue ceci :
Ça fait depuis 30 ans je travaille chez Difco comme nettoyeur, graisseur au tissage, passeur en lame et dernièrement encolleur, donc depuis 3 ans j’ai de plus en plus de problèmes à respirer et depuis décembre 2009 les problèmes ont augmentés et avec détresse pulmonaire le 10 juin donc j’ai été référé au Dr. Bernard Coll qui lui a diagnostiqué byssinose et de le revoir dans 6 semaines pour autres examens si j’arrête de fumer. Donc en arrêt pour l’instant. NB je sais qu’il y a des délais pour les MP pulmonaire auriez-vous l’obligeance de me faire une lettre pour l’AE. [sic]
[11] En annexe à sa réclamation, le travailleur indique qu’il a occupé, chez l’employeur, un poste d’encolleur depuis 1980. Il décrit ses tâches comme suit :
Changer les ensouples des ourdissoirs dans le râtelier, enlever les ensouples de tissage à l’avant, nettoyer l’encolleuse au changement d’alimentation, surveiller et patrouiller pour le bon fonctionnement de l’encolleuse et bonne qualité du produit, rapport et nettoyage.
[12] Quant à son horaire de travail, le travailleur mentionne que de 1980 à 1991, il effectuait des quarts de travail de huit heures par jour, cinq jours par semaine. À partir de 1991 jusqu’au 1er mars 2009, il effectuait des quarts de travail de 12 heures par jour, trois ou quatre jours par semaine. Il précise qu’il est exposé à la poussière d’empois lorsqu’il y a le séchage et aussi à la poussière du coton et qu’il éprouve des problèmes respiratoires lorsqu’il va au filage. Il ajoute que depuis trois ans, la situation est pire lorsqu’il « opère noomex + flocking ». Par ailleurs, il porte un masque lorsqu’il fait du nettoyage.
[13] En juillet 2010, l’employeur commente la réclamation du travailleur :
Monsieur Marcoux est à notre emploi depuis le 11 novembre 1980. Il a toujours travaillé dans le département de tissage. Il a occupé les emplois de nettoyeur-graisseur, passage en lames et encolleur. Il a travaillé environ 10 ans à chacune de ces 3 occupations.
M. Marcoux a été absent du travail pour problèmes pulmonaires du 23 novembre 2009 au 6 décembre 2009, du 4 janvier 2010 au 4 février 2010 puis du 25 juin 2010 au 16 juillet 2010.
Chaque fois les arrêts de travail étaient prescrits par un urgentologue et découlaient d’une condition personnelle. Ce n’est que le 13 juillet 2010 que M. Marcoux nous informe du lien entre sa condition physique et son environnement de travail. Il s’est donc écoulé plus de 6 mois entre l’apparition des symptômes et aujourd’hui.
L’usine ferme ses portes du 17 au 31 juillet 2010 pour les vacances générales et la semaine du 1er au 7 août 2010 est une semaine de fermeture (mise à pied).
M. Marcoux nous a mentionné qu’il serait au travail le 9 août 2010. Sinon, il devra revoir son urgentologue puisque le Dr Coll (pneumologue) ne prescrit pas d’arrêt de travail. [sic]
[14] Le 20 septembre 2010, les docteurs Raymond Bégin, André Cantin et Pierre Larivée, pneumologues et membres d’un Comité des maladies pulmonaires professionnelles, examinent le travailleur. Ils retiennent les éléments suivants :
Histoire occupationnelle
Monsieur Réal Marcoux est un travailleur de la Dominion Textile, présentement Difco Tissus de performance de Magog, depuis 30 ans. Au cours des dernières années, il travaille comme opérateur encolleur, opération dans laquelle les fibres passent dans un bain d’amidon. Il a fait tous les emplois dans l’usine depuis l’âge de 16 ans essentiellement.
Symptômes respiratoires
Monsieur Marcoux est connu asthmatique depuis l’adolescence. Il a été vu à la clinique Lavoisier vers l’âge de 20 ans et sa condition ne nécessitait pas de prise régulière de bronchodilatateur jusqu’à il y a environ 5 ans où il a commencé à avoir des difficultés respiratoires, il a alors été forcé à réduire ses activités physiques. La dyspnée est de grade 3 /5 et s’accompagne de toux et d’expectorations quotidiennes.
Tabagisme
De l’âge de 14 ans jusqu’à présent. Il a cumulé 40 paquets-années.
[…]
Antécédents
Personnels : Asthme depuis l’adolescence, sans inhalateur.
Familiaux : Père décédé à l’âge de 73 ans, en insuffisance respiratoire, sur un fond d’asthme et bronchite chronique.
Mère âgée de 74 ans, en bonne santé.
Deux frères et trois sœurs, en bonne santé.
[…]
Fonctions respiratoires
Bilan de base : Les volumes sont au-delà de la prédite. La distribution est caractérisée par une élévation importante du volume résiduel et de la CRf. La capacité de diffusion est amputée de [façon] significative à 50% de la valeur prédite. Les débits expiratoires sont sévèrement réduits et démontrent une réponse aux bronchodilatateurs qui est significative.
Conclusion : M.P.O.C. [maladie pulmonaire obstructive chronique] sévère avec une réponse partielle aux bronchodilatateurs.
[…]
CONCLUSION
Le comité des maladies pulmonaires professionnelles de Sherbrooke considère que l’exposition aux poussières de coton de monsieur Réal Marcoux a été significative durant les 30 ans de son travail à l’usine Dominion Textile et successeur de Magog et considère que cette exposition a contribué de façon significative au développement de sa M.P.O.C. bronchospastique. Le réclamant avait également des antécédents d’asthme depuis l’enfance et des antécédents tabagiques significatifs.
RECOMMANDATIONS
1) Déficit anatomo-physiologique : est donc établi à 105% avec identification des séquelles de la façon suivante :
Code Description DAP %
223001 Byssinose 5 %
223163 Classe fonctionnelle 5 100 %
Total du DAP : 105 %
2) Limitations fonctionnelles : le réclamant est totalement invalide.
3) Tolérance aux contaminants : aucune exposition à la poussière de coton et aux irritants respiratoires compte tenu de la réactivité bronchique.
4) Réévaluation : dans trois ans.
[15] Le 28 septembre 2010, le docteur Bégin remplit un rapport médical. Il indique le diagnostic de byssinose, mentionne qu’un « bilan de maladie pulmonaire professionnel [est] possible » et que le travailleur « a subi plusieurs tests au laboratoire de fonction respiratoire » le 10 septembre 2010.
[16] Le 30 septembre 2010, le Comité spécial des présidents (Comité spécial), composé des docteurs André Cartier, Francis Laberge et Neil Colman, pneumologues, étudie le dossier du travailleur. Le comité spécial retient que le travailleur a été exposé à la poussière de coton durant 30 ans et qu’il présente des antécédents de tabagisme important. Il retient également que le travailleur a des antécédents d’asthme dans l’enfance qui ne nécessitait pas de médication régulière sous forme de bronchodilatateur jusqu’à il y a environ cinq ans. La conclusion du Comité spécial se lit ainsi :
En conclusion, le Comité spécial des présidents reconnaît que le réclamant est porteur d’une maladie pulmonaire obstructive chronique sévère pour laquelle il y a plusieurs composantes dont une composante de byssinose est établie à 45% avec identification des séquelles de la façon suivante :
SÉQUELLES ACTUELLES
Code Description DAP %
223001 MPP à caractère irréversible (byssinose) 5 %
223145 Classe fonctionnelle 3 40 %
TOTAL DAP 45 %
Le Comité considère que les antécédents d’asthme et de tabagisme de ce réclamant ont également contribué de façon significative à la maladie pulmonaire obstructive chronique du réclamant. C’est la raison qui justifie un déficit anatomo-physiologique moindre.
Le Comité considère que cette maladie pulmonaire obstructive chronique n’est pas entièrement attribuable à la byssinose mais seulement partiellement.
[17] Le 12 octobre 2010, le docteur Coll remplit une attestation médicale complémentaire. Il réitère le diagnostic de byssinose et prescrit un arrêt de travail à compter du 23 septembre 2010, date de la consultation. Il indique que le travailleur est « en attente de décision Comité MPP ».
[18] Le 4 novembre 2010, le Comité spécial précise que le travailleur est totalement invalide. Sur le plan de sa tolérance aux contaminants, il indique : « Aucune exposition à la poussière de coton et aux irritants respiratoires ».
[19] Le 16 novembre 2010, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle pulmonaire (byssinose).
[20] Le 13 décembre 2010, l’employeur demande la révision de cette décision et transmet les commentaires suivants à la révision administrative :
1 - Hygiène industrielle
Depuis plusieurs décennies, Dominion Textile devenue Difco Tissu de performance inc. en 1998, font des tests de poussière dans tous les secteurs de l’usine où il y a présence de fibres de coton. Ceux-ci sont faits à l’aide d’un instrument appelé « élutriateur ». Historiquement, les seuls endroits où on retrouve une concentration de poussière de coton est dans le secteur de l’ouvraison, du cardage et du filage. Après ces procédés, la fibre étant devenue un fil, il n’y a plus de présence de poussière de coton. Pour une meilleure compréhension, vous trouverez en pièces jointe une copie de notre plan d’usine avec les procédés de fabrication et leur emplacement.
Contrairement aux prétentions du comité des MPP et du CSP, M. Marcoux n’a pas été exposé pendant les 30 dernières années à la poussière de coton. En effet, M. Marcoux a toujours travailler dans les secteurs de l’encollage et du tissage. Ces secteurs présentent historiquement des taux de poussière de coton bien en-deçà des valeurs d’exposition établit par le RSST. De plus, M. Marcoux n’a pas occupé toutes les fonctions de l’usine tel qu’il semble en avoir fait mention au comité des pneumologues. Il a travaillé dans les secteurs de l’encollage et du tissage seulement soit les postes de Nettoyeur-graisseur, Passage en lames et Encolleur. Enfin, on peut lire dans le rapport du comité MPP de Sherbrooke que le poste de M. Marcoux, opérateur encolleur, consiste à passer la fibre dans un bain d’amidon. Or, rendu à ce procédé, on ne parle plus de fibres. Il s’agit de fil.
Les secteurs de l’encollage et du tissage sont éloignés physiquement des secteurs à risque. Dans toute l’histoire de la Dominion Textile et successeur, aucun cas de byssinose n’a été répertorié en dehors des procédés préliminaires soit ouvraison, cardage et filage.
Malheureusement, le comité MPP, le CSP ou la CSST ne nous ont pas sollicité pour obtenir des rapports de concentration de poussière de coton dans l’atelier ou M. Marcoux travaillait.
Le travailleur n’a pas non plus été soumis à des tests avant et après une exposition à son environnement de travail afin de constater s’il y a une différence entre son état de santé initial et après l’exposition. [sic]
[21] L’employeur ajoute que le travailleur souffre d’asthme depuis l’âge de 20 ans et qu’à cette époque, il affectait les employés porteurs de cette condition dans des secteurs sans risque. Il souligne que le travailleur a présenté un premier billet médical pour maladie pulmonaire obstructive chronique le 23 novembre 2009 et qu’il a attendu au 23 septembre 2010 pour soumettre un rapport médical « CSST ». Il considère donc que sa réclamation est hors délai.
[22] Le 20 décembre 2010, l’employeur transmet à madame Émilie Chassé, agente à la CSST, un rapport d’analyse environnementale effectuée le 14 décembre 2010, par l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (l’IRSST). Il y est indiqué que l’analyse de fibres montre la présence de moins de 1 % de cellulose dans l’amas particulaire beige 90344276 et 90344277 ainsi que le commentaire suivant :
Pour faire suite à notre conversation, une grande quantité de particules observées par microcopie dans l’échantillon 90344276 présentent une morphologie similaire à des particules de polyvinyle acétate (PVA) après comparaison dans l’atlas McCrone Atlas of Microscopic Particles. Cette information ne permet pas de confirmer la présence du PVA.
[23] Le 28 février 2011[2], madame Chassé mentionne que le dossier a été redirigé vers le Comité des maladies pulmonaires professionnelles compte tenu des faits nouveaux. Elle précise que, cependant, les membres du Comité « ne se reconsidèrent pas malgré fait nouveau » et que la décision reste la même.
[24] Le 14 avril 2011, la CSST, en révision administrative, confirme l’admissibilité de la réclamation ainsi que le pourcentage accordé pour l’atteinte permanente à l’intégrité physique et l’indemnité pour préjudice corporel.
[25] Le travailleur témoigne à l’audience et fait entendre messieurs Jean Cliche et Frédéric Chainey.
[26] Le travailleur confirme qu’il a débuté chez l’employeur il y a 30 ans. Pendant la première période de dix ans, il occupait un poste de nettoyeur-graisseur au département de tissage. Ensuite, pendant une autre période d’une dizaine d’années, il a occupé au poste au « rentrage » automatique. Pour la dernière période, débutée en 1998, il occupait le poste d’encolleur. Il était affecté à l’encolleuse numéro 3 (tissus spécialisés Nomex et Kevlar). Le département de l’encollage est un secteur fermé situé au deuxième étage, alors que celui du tissage est au premier et au deuxième étage. Le travailleur explique que l’espace est fermé afin de ne pas « contaminer » la fibre de coton qui se trouve au tissage ainsi que pour protéger les autres employés de la poussière.
[27] Le travailleur affirme qu’il effectuait très souvent des heures supplémentaires à ce poste. Il explique que les rouleaux de fils sont passés dans un bain de colle et ensuite dans un séchoir, à une cadence de 100 mètres par minute et que ce procédé dégageait énormément de poussière. Il dira : « on ne voyait plus rien ». Le Nomex en dégageait également beaucoup. Le nettoyage de l’encolleuse s’effectuait à l’aide d’un boyau à air. Le travailleur déclare que le système de ventilation prévu pour aspirer la poussière fonctionnait avec de l’essence et que l’employeur a décidé de ne plus s’en servir afin de réduire les coûts. La fréquence du nettoyage de l’encolleuse a été diminuée pour la même raison, ce qui entraînait aussi un surplus de poussière. Auparavant, l’encolleuse et les plafonds étaient nettoyés toutes les trois semaines. Le travailleur soutient que la ventilation était inadéquate et qu’il a été exposé à la fibre de coton.
[28] Le travailleur déclare que son asthme ne lui a jamais causé de problèmes dans le passé, qu’il a joué à la balle pendant de nombreuses années et qu’il pratiquait la marche régulièrement, ainsi que le hockey et le ski alpin. Toutefois, au cours des dernières années, il a dû abandonner toutes ses activités sportives. Il dira qu’il « manquait d’air pour faire son travail ».
[29] Monsieur Jean Cliche a été au service de l’employeur pendant 28 ans. Il a travaillé dans le département de l’empois (amidon). Il a aussi occupé le poste d’encolleur sur la machine numéro 3. Il affirme qu’il y avait beaucoup de poussière, car au cours des dernières années, la machine était nettoyée moins souvent, dans le but, selon lui, de sauver des coûts.
[30] Monsieur Frédéric Chainey, de son côté, a été chez l’employeur pendant 26 ans. Il a également travaillé dans le département de l’empois. Il souligne qu’il y avait un ventilateur destiné à évacuer la chaleur, mais pas la poussière.
[31] L’employeur, pour sa part, fait entendre monsieur Guy Georges, lequel a été à son service à titre d’analyste en génie industriel pendant une quarantaine d’années; il a terminé en septembre 2011, à la fin des opérations de l’usine située à Magog. Au cours de sa carrière, monsieur Georges a été affecté dans plusieurs établissements de l’employeur, où il a occupé différents postes, tels que directeur, chef des standards, directeur qualité et chef de projet. À compter de 1994, il est demeuré à l’usine de Magog comme directeur.
[32] Monsieur Georges explique que c’est lui qui a acheté et fait installer les encolleuses de même que le système de ventilation. Il confirme qu’au poste de nettoyeur-graisseur, situé dans le secteur du tissage et placé sur un autre étage, l’employé manipule les ensouples (rouleaux de fils). Par ailleurs, le secteur de l’ouvraison est placé dans un bâtiment à part, car il s’agit d’un endroit où la pression d’air est négative et où le taux d’humidité doit être contrôlé. Il signale que plusieurs hottes pour évacuer la poussière y sont installées.
[33] Monsieur Georges explique que la poussière de coton est présente uniquement à l’étape préliminaire, qu’il décrit ainsi : à l’ouvraison, on retire la poussière, au cardage, on ramasse cette poussière et les impuretés, à l’étirage, on nettoie les fibres et ensuite, au filage, à l’aide de plusieurs procédés d’étirage, on nettoie de nouveau. Il souligne qu’auparavant, il y avait de nombreux cas de byssinose pour les employés travaillant à l’étape préliminaire, mais que depuis 1975, la ventilation a été « extrêmement améliorée ». Par ailleurs, il soutient qu’à sa connaissance, il n’y a jamais eu de cas de byssinose dans le secteur de l’encollage. À cet endroit, il n’y a pas de poussière de coton, mais de l’empois et du PVA. Il mentionne que le PVA n’est pas une matière en coton. Il affirme également qu’il n’y a pas de fibres ou de poussière de coton dans le secteur de la rentreuse automatique. Il explique qu’au poste du nettoyage-graissage, il y a aussi absence de poussière de coton puisque la fibre est encapsulée.
[34] Monsieur Georges commente un tableau produit par l’employeur (pièce E-2), faisant état de la vérification du niveau de poussière à certaines dates, au cours des années 2002 à 2007, pour différents postes dans l’usine. Le témoin met en relief le fait que dans le secteur de l’encollage, la poussière de coton a été mesurée à un niveau inférieur à la norme retenue par l’IRSST.
[35] L’employeur a déposé un résumé de la fiche signalétique du Nomex et du Kevlar. Il y est mentionné que les fibres de ces tissus sont trop grosses pour se loger dans les bronches, mais que la poussière et les fibres en suspension peuvent causer une irritation de la gorge et du nez. Par ailleurs, il n’y a pas eu de dommages aux poumons selon les tests effectués à long terme sur les animaux. Il est toutefois recommandé d’utiliser de la ventilation et des masques dans les endroits où la concentration de poussières et de fibres est susceptible de dépasser la norme ou lorsqu’il existe un potentiel d’irritation pour les voies respiratoires.
L’AVIS DES MEMBRES
[36] Sur la question du délai de réclamation, la membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que la réclamation du travailleur respecte le délai prévu à la loi, compte tenu de la date à laquelle le diagnostic de byssinose a été posé.
[37] Sur le fond, la membre issue des associations d’employeurs considère que le Comité spécial se fonde sur un postulat qui n’est pas démontré par la preuve puisque celle-ci a plutôt révélé que le travailleur n’a pas été affecté dans le secteur à risque, au cours de sa carrière chez l’employeur. Elle estime que le travailleur n’est pas atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire et elle est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur.
[38] Le membre issu des associations syndicales considère que le Comité spécial s’est fondé sur le fait que l’employeur est une usine de fabrication de tissus en fibres de coton, ce qui permet d’inférer que le travailleur a été exposé à la poussière de coton au cours de sa carrière. Il estime que le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire dont le diagnostic est une byssinose et il est d’avis de rejeter la requête de l’employeur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[39] La Commission des lésions professionnelles doit, dans un premier temps, déterminer si la réclamation du travailleur a été produite dans le délai de six mois prévu à l’article 272 de la loi :
272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.
Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.
La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.
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1985, c. 6, a. 272.
[40] Le tribunal constate que ce n’est que le 13 juillet 2010 que le travailleur est examiné par un pneumologue, à la demande de l’urgentologue et que le diagnostic de byssinose est posé et inscrit pour la première fois, sur une attestation médicale « CSST ».
[41] En effet, lors de la consultation du 23 novembre 2009, seul le diagnostic de maladie pulmonaire obstructive chronique décompensée sur grippe est retenu et le travailleur n’a pas été mis en arrêt de travail à cette date. En janvier 2010, il est uniquement question d’un travail « dans la poussière de coton » ainsi que de la possibilité d’une maladie professionnelle pulmonaire, d’où la référence en pneumologie.
[42] Dans la décision Chacon et Moulage d’aluminium Howmet ltée[3], la Commission des lésions professionnelles analyse la jurisprudence sur la question de la date à retenir dans le cas d’une maladie professionnelle :
[26] Il ressort de l’analyse de la jurisprudence que différentes approches sont adoptées sur cette question. Dans plusieurs cas, la Commission des lésions professionnelles se limite à indiquer, dans le dispositif de la décision, que le travailleur est atteint ou porteur d’une maladie professionnelle sans indiquer la date à laquelle il a subi cette lésion.
[27] Dans d’autres décisions, la Commission des lésions professionnelles précise la date à laquelle le travailleur a subi sa lésion professionnelle en retenant celle de la première consultation médicale qui a amené le travailleur à présenter sa réclamation à la CSST ou celle de l’attestation médicale émise par son médecin ou encore celle de l’arrêt de travail, ces dates pouvant parfois coïncider.
[28] Plusieurs de ces décisions concernent, comme dans le cas de monsieur Chacon, des syndromes du canal carpien qui avaient été diagnostiqués bien avant que les travailleurs aient présenté leur réclamation à la CSST.
[29] Compte tenu de la pluralité des approches suivies par la Commission des lésions professionnelles, la décision de la première commissaire de retenir la date de l’émission de l’attestation médicale sur laquelle était fondée la réclamation de monsieur Chacon ne constitue pas une erreur qui donne ouverture à la révision.
[Références omises]
[43] Le travailleur ayant produit sa réclamation dès le 15 juillet 2010, le tribunal estime que celle-ci respecte le délai de l’article 272 de la loi.
[44] Quoi qu’il en soit, même en retenant, tel que le suggère l’employeur, la date de novembre 2009 ou celle de janvier 2010, comme étant celle où il est porté à la connaissance du travailleur qu’il est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, le tribunal estime que celui-ci a démontré l’existence d’un motif raisonnable au sens de l’article 352 de la loi :
352. La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.
__________
1985, c. 6, a. 352.
[45] Ainsi, au mois de novembre 2009 et au mois de janvier 2010, le travailleur disposait de peu d’informations concernant le diagnostic précis et la cause de sa maladie. Durant cette période, il a continué d’occuper son emploi pendant plusieurs semaines. Dès que le diagnostic de byssinose a été posé, le travailleur a été diligent et a produit sa réclamation.
[46] De plus, la jurisprudence constante en matière de délai indique qu’il faut privilégier une interprétation visant à permettre l’exercice d’un droit plutôt que d’en nier l’exercice[4].
[47] Par conséquent, s’il retenait que le travailleur a produit sa réclamation en dehors du délai de six mois prévu à l’article 272 de la loi, le tribunal conclurait que le travailleur a démontré un motif raisonnable et que sa réclamation produite le 15 juillet 2010 est recevable.
[48] La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider si le travailleur a subi une maladie professionnelle pulmonaire le 13 juillet 2010.
[49] La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
[...]
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[50] Lorsqu’un travailleur allègue être atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, la CSST applique les dispositions particulières prévues à la section II de la procédure d’évaluation médicale :
226. Lorsqu'un travailleur produit une réclamation à la Commission alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission le réfère, dans les 10 jours, à un comité des maladies professionnelles pulmonaires.
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1985, c. 6, a. 226.
230. Le Comité des maladies professionnelles pulmonaires à qui la Commission réfère un travailleur examine celui-ci dans les 20 jours de la demande de la Commission.
Il fait rapport par écrit à la Commission de son diagnostic dans les 20 jours de l'examen et, si son diagnostic est positif, il fait en outre état dans son rapport de ses constatations quant aux limitations fonctionnelles, au pourcentage d'atteinte à l'intégrité physique et à la tolérance du travailleur à un contaminant au sens de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) qui a provoqué sa maladie ou qui risque de l'exposer à une récidive, une rechute ou une aggravation.
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1985, c. 6, a. 230.
231. Sur réception de ce rapport, la Commission soumet le dossier du travailleur à un comité spécial composé de trois personnes qu'elle désigne parmi les présidents des comités des maladies professionnelles pulmonaires, à l'exception du président du comité qui a fait le rapport faisant l'objet de l'examen par le comité spécial.
Le dossier du travailleur comprend le rapport du comité des maladies professionnelles pulmonaires et toutes les pièces qui ont servi à ce comité à établir son diagnostic et ses autres constatations.
Le comité spécial infirme ou confirme le diagnostic et les autres constatations du comité des maladies professionnelles pulmonaires faites en vertu du deuxième alinéa de l'article 230 et y substitue les siens, s'il y a lieu; il motive son avis et le transmet à la Commission dans les 20 jours de la date où la Commission lui a soumis le dossier.
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1985, c. 6, a. 231.
[51] C’est la procédure qui a été suivie dans le présent dossier.
[52] Il ressort de ces articles que les comités qui y sont mentionnés se prononcent sur les points suivants : le diagnostic, les limitations fonctionnelles, le pourcentage d’atteinte à l’intégrité physique et la tolérance aux contaminants.
[53] L’avis du Comité spécial, sur ces points, lie la CSST tant au niveau de sa décision initiale que de celle rendue à la suite d’une révision administrative, et ce, en conformité avec les articles 233 et 358.3 de la loi :
233. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi sur les droits du travailleur qui lui produit une réclamation alléguant qu'il est atteint d'une maladie professionnelle pulmonaire, la Commission est liée par le diagnostic et les autres constatations établis par le comité spécial en vertu du troisième alinéa de l'article 231 .
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1985, c. 6, a. 233.
358.3. Après avoir donné aux parties l'occasion de présenter leurs observations, la Commission décide sur dossier; elle peut confirmer, infirmer ou modifier la décision, l'ordre ou l'ordonnance rendue initialement et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu.
Les articles 224.1 et 233 s'appliquent alors à la Commission et celle-ci rend sa décision en conséquence.
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1997, c. 27, a. 15.
[54] Par contre, c’est à la CSST qu’il appartient de décider du caractère professionnel de la maladie, c’est-à-dire de l’existence d’une relation entre le diagnostic posé par le Comité spécial et le travail.
[55] Pour sa part, la Commission des lésions professionnelles a plein pouvoir pour décider du diagnostic et de la relation en vertu de l’article 377 de la loi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[56] L’article 29 édicte une présomption de maladie professionnelle :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[57] La section V de l’annexe I traite de certaines maladies pulmonaires causées par des poussières organiques et inorganiques. Il y est indiqué qu’un travailleur atteint de byssinose et qui effectue un travail impliquant une exposition à la poussière de coton est présumé atteint d’une maladie professionnelle.
[58] Pour bénéficier de l’application de la présomption de l’article 29 de la loi, le travailleur doit donc démontrer qu’il est atteint de byssinose et qu’il a effectué un travail impliquant une exposition à la poussière de coton.
[59] En l’espèce, le tribunal retient le diagnostic de byssinose. Ce diagnostic apparaît nettement prépondérant dans un contexte où il est posé par les sept pneumologues ayant eu à se prononcer sur ce sujet. En outre, l’employeur n’a pas présenté une preuve médicale permettant d’écarter ce diagnostic.
[60] Le tribunal estime également que la preuve démontre de manière prépondérante que le travailleur a effectué un travail impliquant une exposition à la poussière de coton.
[61] À cet effet, le tribunal retient que le travailleur a été au service de l’employeur pendant une trentaine d’années, dans une usine de textiles de coton.
[62] L’employeur reconnaît que plusieurs cas de byssinoses ont été diagnostiqués chez ses employés occupant un poste à l’étape du procédé préliminaire de fabrication (ouvraison, cardage, étirage, filage).
[63] Par ailleurs, la section V de l’annexe I ne quantifie ni le niveau d’exposition en cause ni la durée.
[64] Le tribunal retient le témoignage crédible du travailleur, qui a bien expliqué ses conditions de travail au cours des dernières années, en particulier en ce qui a trait au manque de ventilation adéquate dans le département de l’encollage. Son témoignage est corroboré par deux collègues de travail.
[65] À ce stade, le tribunal estime que la preuve démontre que les deux conditions d’application de la présomption de maladie professionnelle pulmonaire causée par un travail impliquant une exposition à la poussière de coton sont remplies.
[66] Pour repousser cette présomption, l’employeur allègue que le niveau de poussière de coton dans d’autres secteurs que l’ouvraison, le cardage, l’étirage et le filage, en particulier dans celui de l’encollage, est en deçà de la norme réglementaire. Il plaide que les deux Comités de pneumologues se sont basés sur des informations erronées, soit le fait que le travailleur aurait été exposé à la poussière de coton de façon significative, pendant une période de 30 ans.
[67] L’employeur s’appuie tout d’abord sur le document E-2. Toutefois, les données contenues dans ce document sont très incomplètes. Elles couvrent uniquement les années 2002 et 2003, la période de janvier à juin 2004 et celle de mai 2006 à janvier 2007. L’encolleuse numéro 3 n’y est pas mentionnée. La norme réglementaire invoquée par l’employeur n’est pas explicitée. Par ailleurs, selon ce document, il n’y a aucun endroit dans l’usine où il n’y a aucune poussière de coton.
[68] L’employeur demande de retenir l’opinion de monsieur Guy Georges. Le tribunal considère que ce seul témoignage, basé sur le document E-2, n’est pas probant dans un contexte où le diagnostic de byssinose est établi et que ce diagnostic est spécifique à une exposition à la poussière de coton. Quant au rapport d’analyse provenant de l’IRSST, celle-ci a été effectuée le 14 décembre 2010, soit après l’arrêt de travail du travailleur et elle offre un renseignement qui n’est pas concluant. Soulignons que cet élément a été transmis au Comité des maladies pulmonaires professionnelles et que celui-ci n’a pas pour autant reconsidéré son avis.
[69] L’employeur reproche l’absence de tests de provocation en milieu de travail. Le tribunal estime que cet élément n’est pas essentiel dans la détermination du diagnostic de byssinose, puisque les sept pneumologues, dont les trois membres du Comité spécial, n’ont pas jugé nécessaire de l’obtenir.
[70] En outre, le tribunal ne peut ignorer que l’employeur a fait l’annonce officielle de la fermeture de son usine, en mai 2011, et que celle-ci a été fermée définitivement le 3 novembre 2011. Dans ces circonstances, le tribunal s’interroge à savoir si des tests de provocation en milieu de travail auraient traduit la réalité des tâches exercées par le travailleur, pour la période précédant sa réclamation (juillet 2010) et son arrêt de travail (septembre 2010). Au surplus, soulignons que l’employeur n’a pas proposé ces tests au moment de l’analyse de la réclamation.
[71] Le tribunal constate que l’opinion des sept pneumologues est la seule opinion médicale au dossier portant sur le caractère personnel ou professionnel de la maladie du travailleur. Le tribunal reconnaît une force probante à cette preuve d’experts non contredite.
[72] Il est vrai qu’il ressort de l’analyse effectuée par ces médecins spécialistes que la maladie pulmonaire obstructive chronique dont souffre le travailleur comporte plusieurs composantes, soit l’asthme, le tabagisme et la byssinose. Toutefois, bien que le tabagisme puisse être un facteur aggravant pour une maladie pulmonaire obstructive chronique, aucun de ces médecins spécialistes n’a écarté la composante professionnelle.
[73] Dans la décision CSST et Succesion Tremblay[5], la Commission des lésions professionnelles a rappelé que les travailleurs n’ont pas le fardeau de démontrer que leur tabagisme n’a pas causé la maladie pulmonaire dont ils ont été victimes. Leur fardeau se limite à démontrer, de façon prépondérante, que leur maladie pulmonaire est reliée directement à leur exposition professionnelle. Ainsi, dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles indique qu’il lui revient de déterminer, à la suite de son analyse de la preuve et en tirant les inférences qui découlent des faits mis en preuve au besoin, s’il est établi de façon prépondérante, c’est-à-dire si la preuve va davantage dans ce sens, que la maladie pulmonaire des travailleurs en l’instance est reliée directement à leur exposition professionnelle.
[74] Dans la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Succession Tremblay et Alcan inc.[6], une formation de trois commissaires s’exprime ainsi :
[133] Le fait d’indemniser un travailleur pour une maladie professionnelle partiellement reliée à un risque d’ordre personnel peut paraître trop généreux. Pourtant, il s’agit du choix qu’a fait le législateur en adoptant le régime de réparation des lésions professionnelles. Il a mis en place un système de réparation pour remplacer celui de la responsabilité civile qui admet le principe de la compensation proportionnelle.
[134] La loi établit une indemnisation sans égard à la faute basée sur le principe du « tout ou rien ». On ne peut pas reconnaître qu’une maladie est en partie de nature professionnelle et verser une partie seulement des indemnités. Une réclamation acceptée par la CSST donne droit aux prestations malgré la contribution de facteurs personnels.
[135] Le choix du législateur peut entraîner certaines distorsions puisqu’en principe un employeur est imputé du coût des prestations accordées en raison d’une lésion professionnelle. En pareil cas, les articles 326 et suivants de la loi prévoient des mécanismes qui peuvent être invoqués pour prévenir qu’un employeur supporte des coûts qui ne lui sont pas totalement attribuables.
[75] Dans la décision EPM Multi-services et Succession Morin[7], la Commission des lésions professionnelles rappelle qu’en présence de cofacteurs de risque, il sera possible de reconnaître le caractère professionnel d’une maladie dans la mesure où un risque professionnel est démontré et que ce risque a contribué de façon significative au développement de la maladie. Cette contribution significative doit être démontrée par une preuve prépondérante. Toutefois, on n’a pas à exiger une preuve de nature scientifique et chaque cas doit être apprécié à son mérite. En fait, une partie qui veut réussir dans son recours doit offrir une preuve qui fait pencher la balance des probabilités du côté de la thèse qu’elle veut voir retenue par le tribunal.
[76] En l’espèce, le Comité spécial, qui s’est réuni le 30 septembre 2010, conclut que le travailleur est porteur d’une composante de byssinose qu’il établit à 45 %. Il s’agit donc d’un risque professionnel significatif. Cette conclusion du Comité spécial repose sur l’avis du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, une revue de l’histoire occupationnelle, les données du questionnaire cardiorespiratoire, l’histoire personnelle du travailleur, la revue des radiographies pulmonaires et une analyse des valeurs du bilan fonctionnel respiratoire.
[77] Dans ces circonstances, à la lumière de la preuve soumise, le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur doit bénéficier de la présomption de maladie professionnelle pulmonaire, en regard du diagnostic de byssinose.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de Difco, Tissus de performance inc., l’employeur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 avril 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Réal Marcoux, le travailleur, est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, soit une byssinose;
DÉCLARE que le travailleur conserve une atteinte permanente à son intégrité physique de 60,75 %.
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Johanne Landry |
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Me Sylvain Poirier |
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HEENAN, BLAIKIE |
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Représentant de la partie requérante |
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Madame Françoise Bouffard |
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SYND. CAT. DU TEXTILE DE MAGOG INC. |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Sur le formulaire « Certification de la qualité et de la transmission à la révision administrative ».
[3] C.L.P. 198258-71-0301, 21 décembre 2004, C.-A. Ducharme, requête en révision rejetée.
[4] Viger et C.H.U.Q. (Pavillon Hôtel-Dieu), [2003] C.L.P. 1669 .
[5] C.L.P. 89468-02-9707, 3 mai 2002, N. Tremblay.
[6] C.L.P. 118317-02-9906, 25 juillet 2007, M. Juteau, L. Nadeau, J.-F. Clément.
[7] C.L.P. 285321-04-0603, 18 octobre 2007, D. Lajoie.
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