Hydro-Québec |
2010 QCCLP 7876 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 30 octobre 2009, Hydro-Québec (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 septembre 2009, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 14 juillet 2009 et déclare que les coûts reliés à la lésion professionnelle de monsieur Michel Tanguay (le travailleur) survenue le 18 juillet 2008 doivent être imputés au dossier de l’employeur.
[3]
Une audience devait avoir lieu à Salaberry-de-Valleyfield le 15 octobre
2010. L’employeur y a renoncé et a demandé à la Commission des lésions
professionnelles de procéder sur dossier tel que le prévoit l’article
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande de reconnaître que la lésion professionnelle subie
par le travailleur le 18 juillet 2008 n’a pas rendu ce dernier incapable
d’exercer son emploi au-delà de cette journée. En conséquence, l’employeur
demande d’imputer, en application de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le coût des prestations d’assistance médicale engendrées en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 juillet 2008 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
[6] Le travailleur occupe le poste de contremaître pour l’employeur lorsqu’il subit une lésion professionnelle le 18 juillet 2008. Ce jour-là, il se tord la jambe en marchant sur un enrochement.
[7] Le 22 juillet 2008, le travailleur rencontre le docteur Valère Gauthier qui retient un diagnostic d’entorse au genou gauche, se questionne sur la présence d’une méniscopathie et autorise les travaux légers. Le 30 juillet suivant, le docteur Gauthier réitère le diagnostic d’entorse au genou gauche et maintient les travaux légers.
[8] Le 31 juillet 2008, la CSST reçoit une réclamation du travailleur visant l’événement du 18 juillet 2008. Elle accepte cette réclamation le 8 août suivant.
[9] Le travailleur rencontre le docteur Gauthier à quelques reprises en août et en septembre 2008. Ce dernier maintient toujours le diagnostic d’entorse au genou gauche et suggère toujours les travaux légers.
[10] Cependant, le 4 septembre 2008, le docteur Gauthier prescrit des traitements de physiothérapie et ajoute le diagnostic de méniscopathie à celui d’entorse au genou gauche. Le 2 octobre suivant, il suggère de continuer les traitements de physiothérapie et maintient son opinion quant aux travaux légers.
[11] Selon le dossier constitué par la CSST, le travailleur a effectivement subi des traitements de physiothérapie en septembre et en octobre 2008.
[12] Le 30 octobre 2008, le docteur Gauthier autorise un retour au travail régulier, mais maintient les traitements de physiothérapie. Il y ajoute des traitements d’ergothérapie.
[13] Finalement, le 14 novembre 2008, le docteur Gauthier consolide la lésion du travailleur sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle et cesse les traitements de physiothérapie.
[14]
Le 19 novembre 2008, l’employeur présente à la CSST une demande de reconsidération de l’imputation en vertu du second paragraphe de
l’article
[15] Le 14 juillet 2009, la CSST rend la décision à l’origine du présent litige et refuse de donner suite à la demande de l’employeur pour le motif suivant :
Étant donné qu’il y a eu des travaux légers suite à l’événement du 18 juillet 2008, le travailleur était donc incapable d’exercer son emploi de contremaître.
[16] Par l’argumentation écrite qu’il dépose au tribunal, l’employeur fait valoir que le travailleur n’a pas été dans l’incapacité d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion professionnelle. Selon l’employeur, cet élément à lui seul justifie sa demande de transfert de coûts. En outre, il indique que le travailleur a continué de travailler selon un horaire régulier, à faire ses tâches habituelles, qu’il n’a pas été remplacé par quelqu’un d’autre et qu’il n’a pas été assigné temporairement à d’autres tâches que celles qui lui sont habituellement dévolues. En somme, l’employeur prétend que les tâches du travailleur n’ont pas été modifiées au point où il a effectué un travail différent de son emploi habituel.
[17] Au soutien de ses prétentions, l’employeur dépose une affirmation solennelle assermentée signée par le travailleur. Cet affidavit indique ce qui suit :
Je, soussigné, Michel Tanguay, à l’emploi d’Hydro-Québec à titre de contremaître, exerçant ma profession au 855, rue Ste-Catherine Est, en les cité et district de Montréal, déclare solennellement ce qui suit :
1. Le 18 juillet 2008, j’ai subi une lésion professionnelle pour laquelle un diagnostic d’entorse au genou gauche a été reconnu par la CSST le 8 août 2008;
2. Malgré cet événement, j’ai complété ma journée de travail et je ne me suis pas absenté de mon poste;
3. J’ai de plus, immédiatement repris mon travail habituel de contremaître et j’ai continué d’effectuer mes heures régulières;
4. J’ai également, par la suite, continué de recevoir mon salaire régulier et je n’ai reçu aucune indemnité de remplacement du revenu;
5. J’ai consulté mon médecin traitant le 22 juillet 2008 lequel m’a recommandé d’effectuer des travaux légers du 22 juillet au 1er octobre 2008;
6. Toutefois, malgré ce qui précède, j’ai pu continuer de diriger, surveiller et contrôler normalement le travail de l’équipe affectée sur le chantier afin de réaliser les travaux confiés conformément aux plans et devis et selon la planification et les coûts prévus pendant toute cette période;
7. À cette fin, je recourais occasionnellement l’assistance d’une technicienne, plus spécifiquement en ce qui a trait à l’inspection visuelle;
8. L’inspection visuelle n’est que l’une des parties de la tâches décrite à la Description de fonction pour l’emploi de Contremaître à Hydro-Québec comme étant le fait d’ « Applique[r] les normes de qualité et d’environnement en vigueur lors de l’exécution des travaux. »
9. À cette seule exception près, j’effectuais la totalité des tâches énumérées à la Description de fonction pour l’emploi de Contremaître à Hydro-Québec;
10. De ce fait, mon travail n’était pas dénaturé de quelque façon que ce soit;
11. Par conséquent, j’affirme que tout au long de cette période de travaux légers, j’ai continué à effectuer pour l’essentiel, mes tâches habituelles et régulières;
12. Tous les faits allégués dans la présente argumentation sont vrais.
[18] Une description des tâches du travailleur est en outre jointe à l’argumentation de l’employeur. On peut y lire ce qui suit :
Mission de l’unité administrative
Dirige, surveille et contrôle le travail de l’équipe affectée sur un chantier afin de réaliser les travaux que lui sont confiés conformément aux plans et devis et selon la planification et les coûts prévus.
Produits de l’unité administrative
- Communique à l’occasion avec les organismes gouvernementaux (ex. CSST, CCQ), avec les agents d’affaires des différents syndicats à titre de représentant de l’entreprise, ainsi qu’avec les mandats et autres intervenants internes et externes.
- Étudie les tâches à accomplir et détermine les besoins en ressources humaines, matérielles et financières requises et s’assure de leur disponibilité lorsque nécessaire.
- Applique les politiques relatives à la santé, la sécurité au travail et à la salubrité.
- Applique les normes de qualité et d’environnement en vigueur lors de l’exécution des travaux.
- Participe si requis au processus de règlement des griefs et/ou des réclamations.
- Administre au besoin des contrats complémentaires à la réalisation des mandats.
- Peut participer à l’élaboration des méthodes de travail.
-Gère la réalisation des produits de son unité administrative et les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires. Contribue à la gestion de l’unités administrative à laquelle il appartient.
[19] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu d’imputer aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations d’assistance médicale découlant de la lésion professionnelle subie par le travailleur le 18 juillet 2008.
[20] La disposition législative applicable aux fins de rendre la présente décision se lit comme suit :
327. La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :
1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;
2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.
__________
1985, c. 6, a. 327.
[Notre soulignement]
[21]
Le deuxième alinéa de l’article
[22] Ainsi, la preuve doit démontrer que le travailleur a été capable d’effectuer l’essentiel de ses tâches habituelles pendant la période de consolidation, et ce, malgré la lésion professionnelle. Dans l’affaire Ferteck inc.[3], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :
[42] La finalité de l’article
[23]
Dans l’affaire Centre Hospitalier du Suroît[4],
la Commission des lésions professionnelles précise que l’employeur pourra
bénéficier de l’application du second paragraphe de l’article
[24] Ainsi, lorsqu’une assignation temporaire est autorisée
par le médecin traitant conformément à la procédure prévue à l’article
[25] En deuxième lieu, tel que précisé par la CALP dans l’affaire Vêtements Howick ltée et Blais6 lorsque le
médecin du travailleur indique dans son rapport « travaux légers »,
il ne s’agit pas alors d’une assignation temporaire au sens de l’article
[26] Dans un tel cas, l’employeur pourra dans certains cas
particuliers bénéficier de l’application de l’article
[27] Cette approche pragmatique est aussi celle qui a été privilégiée dans l’affaire Cité de la santé de Laval et CSST8 où la preuve révélait que les tâches proposées en assignation temporaire équivalent essentiellement au travail habituel.
_____________________________
6 CALP 5338-64-9308, 18 avril 1995, L. McCutcheon.
7 Ferteck inc.
C.L.P.
8
[24] Dans l’affaire Centre Jeunesse de Laval[5], la Commission des lésions professionnelles fait droit à la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur au motif que le travailleur a continué à faire son travail régulier et a été payé sur une base régulière sans recevoir d’indemnité, et ce, « bien qu’on ait parlé d’assignation temporaire » et malgré de « très minimes ajustements de prévention ».
[25]
Dans l’affaire Ministère de la Santé et des Services Sociaux[6],
la Commission des lésions professionnelles constate qu’une auxiliaire familiale
est demeurée capable d’effectuer la quasi-totalité de ses tâches habituelles
pendant le traitement de sa lésion professionnelle, à l’exception de deux
tâches ayant fait l’objet de restriction de la part de son médecin qui a
charge. La Commission des lésions professionnelles rappelle dans cette affaire
que sa jurisprudence applique le second paragraphe de l’article
[26]
La Commission des lésions professionnelles en arrive à la même
conclusion dans l’affaire Programme Emploi-Service[7],
alors qu’une préposée aux bénéficiaires et aide à domicile poursuit ses activités
de travail à la suite de la survenance d’une lésion professionnelle. La
Commission des lésions professionnelles estime que ce travail ne semble pas
incompatible avec les légères limitations émises par son médecin qui a charge
puisque la travailleuse est en mesure de l’effectuer sans aide. Par ailleurs,
dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles rappelle ainsi
les conditions d’applications du second paragraphe de l’article
[29] Il ressort des termes de cet article que ce qui donne ouverture à son application n’est pas l’absence d’arrêt du travail ou l’assignation temporaire dès le lendemain de l’événement ou encore la poursuite de la rémunération ou le maintien du titre d’emploi. La seule condition requise est que la travailleuse n’ait pas été rendue incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s’est manifestée sa lésion. Il faut donc analyser les faits particuliers de chaque affaire afin de déterminer si cette condition est respectée.
[27]
À contrario, dans l’affaire Hôpital Ste-Justine[8],
la Commission des lésions professionnelles conclut qu’une travailleuse n’a pas
effectué ses tâches habituelles pendant l’assignation temporaire et a estimé
que les faits propres à ce dossier se distinguent de ceux des décisions
soumises par l’employeur « où l’on a considéré que les travailleurs
effectuaient soit leur tâche normale ou l’essentiel de leurs tâches, et que les
tâches proposées en assignation temporaire équivalaient essentiellement à leur
travail habituel au motif que le léger réaménagement ne dénaturait pas
l’essentiel du travail habituellement exercé par ces travailleurs ». Dans
cette affaire, la Commission des lésions professionnelles n’a pas accueilli la
demande de transfert de l’employeur en vertu de l’article
[28]
Récemment, dans l’affaire Transelect/Common inc.[9],
la Commission des lésions professionnelles rappelle que sa jurisprudence interprète
l’expression « son emploi » incluse au second paragraphe de
l’article
[29] En l’espèce, le tribunal est d’avis que l’employeur a démontré, au moyen d’une déclaration assermentée par le travailleur, que ce dernier a été capable d’effectuer son emploi pendant sa période de consolidation même si son médecin qui a charge lui a recommandé d’effectuer des travaux légers.
[30] En effet, selon la preuve présentée, le travailleur a continué d’accomplir ses tâches régulières et habituelles telles que répertoriées à la Description de fonction pour l’emploi de Contremaître à Hydro-Québec.
[31] Le jour de l’événement, il a complété sa journée de travail et ne s’est jamais absenté de son poste.
[32] Il a en outre immédiatement repris son travail habituel de contremaître.
[33] Il est vrai qu’il affirme avoir été assisté occasionnellement d’une technicienne lors des inspections visuelles effectuées dans le cadre de l’application des normes de qualité et d’environnement, ce qui constitue une partie de l’une des huit fonctions mentionnées à sa description de tâches. Il ne s’agit pas cependant d’une partie importante ou significative de son emploi et cet ajustement ne saurait en l’espèce dénaturer l’essentiel de son emploi.
[34] Par ailleurs, pour le reste, le travailleur a effectué la totalité de ses tâches régulières pendant la période de consolidation de sa lésion professionnelle, même si son médecin a indiqué « travaux légers » sur certains rapports médicaux.
[35]
De l’avis du tribunal, les conditions d’application du second paragraphe
de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Hydro-Québec;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 septembre 2009, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations d’assistance médicale dues en raison de la lésion professionnelle subie le 18 juillet 2008 par monsieur Michel Tanguay, le travailleur, pour la période du 18 juillet 2008 au 14 novembre 2008, doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
|
|
|
Pascale Gauthier |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Julie Ladouceur |
|
HYDRO-QUÉBEC - AFFAIRES JURIDIQUES |
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
|
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Hôtel-Dieu de Lévis et CSST, C.L.P. 117404-3B-9906, 25 mai 2000, R. Jolicoeur.
[3] [2001] C.L.P. 282 à 287.
[4] C.L.P.
[5] C.L.P. 193972-62-0211, 30 avril 2003, M. Duranceau.
[6] C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] C.L.P.
[9] C.L.P.
[10] La Commission des lésions professionnelles réfère ici à la
décision rendue dans l’affaire Lussier Centre du camion ltée., C.L.P.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.