Décision

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Modèle de décision CLP - janvier 2010

Thibodeau et Métal Sartigan inc.

2015 QCCLP 5286

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

Lévis

5 octobre 2015

 

 

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

 

 

Dossier :

475589-03B-1206

 

 

 

Dossier CSST :

138798962

 

 

 

Commissaire :

Michel Sansfaçon, juge administratif

 

 

 

Membres :

Michel Piuze, associations d’employeurs

 

 

Pierre De Carufel, associations syndicales

 

 

Assesseure :                       Johanne Gagnon, médecin

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

Donald Thibodeau

 

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

Métal Sartigan inc.

Meubles Beaucerons inc. (Fermé)

Moulures Jacomau inc. (Fermé)

Portes & Fenêtres Abritek inc.

Auvents Beaucerons

Clyvanor ltée

 

 

Parties intéressées

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

 

Partie intervenante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 22 juin 2012, monsieur Donald Thibodeau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 12 juin 2012 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 30 avril 2012 et déclare que le travailleur ne souffre pas d’asthme professionnel.

[3]           Une audience a eu lieu à St-Joseph-de-Beauce le 10 avril 2015. Le travailleur était présent et représenté. Parmi les employeurs, seul Métal Sartigan inc. était présent. La CSST était absente. Un délai a été accordé au travailleur pour lui permettre de produire un complément de preuve. Par la suite, les représentants ont plaidé par écrit. La requête a été prise en délibéré le 14 août 2015.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une maladie professionnelle.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]           Le membre issu des associations d’employeurs considère que la requête du travailleur doit être rejetée. À son avis, la présomption de maladie professionnelle ne s’applique pas puisque le travailleur n’a pas été exposé à un agent sensibilisant spécifique. Bien que sa condition puisse avoir été exacerbée par des irritants au travail, comme le mentionne le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec, cela est insuffisant, selon lui, pour constituer une maladie professionnelle.

[6]           Le membre issu des associations syndicales considère que la requête doit être accueillie. Il s’en remet à l’opinion du docteur Paul Jacquemin, pneumologue, selon lequel le travailleur a présenté un asthme relié à une exposition prolongée à des produits irritants.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]           Le travailleur est né en 1960. À compter de 1976, il occupe plusieurs emplois, comme le démontre son historique de la Régie des rentes du Québec.

[8]           De 1979 à avril 2007, il travaille pour l’entreprise Meubles Beaucerons inc. D’abord machiniste, il devient contremaître vers 1997. Ce travail l’expose à de la poussière de bois (tilleul, chêne, érable, pin, merisier, etc.). Il constate un écoulement nasal fréquent, qui se résorbe à l’extérieur du travail.

[9]           De mai 2007 au 31 décembre 2008, il travaille pour l’entreprise Auvents Beaucerons comme installateur. Il s’agit d’un travail saisonnier, impliquant huit mois de travail par année. Ce travail l’amène à travailler tant à l’intérieur qu’à l’extérieur et l’expose à de la poussière de métal, des vapeurs de soudure et à un galvanisant en aérosol.

[10]        En mai 2009, il travaille durant une semaine pour Clyvanor ltée, un fabricant de structures en bois.

[11]        Du 10 septembre au 16 octobre 2009, il est embauché par Portes & Fenêtres Abritek inc., comme journalier, où il est exposé à de la poussière de bois de pin et de styromousse.

[12]        Le 21 septembre 2009, le travailleur subit des tests de physiologie respiratoire à la demande de son médecin. Une consultation en pneumologie a lieu le 25 novembre 2009. Le médecin consulté précise que le travailleur a présenté des difficultés respiratoires en février 2009 « suite à une grippe ». Les symptômes se sont résolus avec la prise d’antibiotiques (Biaxin), pour récidiver par la suite.

[13]        Des tests sont effectués le 4 décembre 2009 et un diagnostic d’asthme probable est porté.

[14]        Du 15 mars 2010 au 16 juillet 2010, le travailleur est embauché comme journalier pour Moulures Jacomau inc. où il est exposé à de la poussière de bois de pin.

[15]        Une autre consultation a lieu en pneumologie le 1er juin 2010, suivie de tests. C’est alors qu’un diagnostic d’asthme léger est porté.

[16]        Le 2 août 2010, il est embauché par Métal Sartigan inc., au poste de monteur d’acier. Ce travail consiste entre autres à poser de la laine minérale à l’aide d’une colle en aérosol. Il cesse de travailler pour cet employeur le 8 janvier 2011.

[17]        Le 14 juin 2011, le travailleur consulte à l’urgence en raison d’une détérioration de sa condition.

[18]        Une autre consultation en pneumologie a lieu le 5 juillet 2011 et d’autres tests sont effectués. Le médecin consulté mentionne 3 exacerbations depuis un an. Il conclut à un asthme mal maîtrisé.

[19]        Dans un rapport de consultation daté du 13 septembre 2011, le docteur Yves Lacasse, pneumologue, rapporte que l’asthme du travailleur est encore actif. Il le considère inapte au travail. Dans un autre rapport produit le 10 novembre 2011, il mentionne que le travailleur souffre d’asthme allergique sévère. Une recommandation est faite de changer de milieu de travail.

[20]        Le 13 décembre 2011, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour faire reconnaître que son asthme est d’origine professionnelle.

[21]        Dans une attestation médicale datée du 19 janvier 2012, le docteur Jacques Roy, médecin traitant, retient le diagnostic d’asthme très sévère, qu’il associe à l’exposition à la poussière et à divers irritants respiratoires au travail.

[22]        En mars 2012, le travailleur subit des tests qui ne sont pas concluants selon la docteure Isabelle Poulin, pneumologue (rapports des 20 et 21 mars 2012).

[23]        Le 23 mars 2012, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec se réunit pour étudier la réclamation du travailleur. Les membres du comité précisent que le travailleur a commencé à présenter des symptômes de rhinite et par la suite d’asthme vers la fin des années 2000. Il semble être très sensible aux irritants auxquels il a été exposé au travail. À leur avis, il n’y a pas d’évidence d’une relation temporelle convaincante entre l’exposition à un produit sensibilisant et l’apparition des symptômes. Ils concluent à une absence d’asthme professionnel tout en précisant que le travailleur présente une condition personnelle exacerbée par l’exposition à des irritants.

[24]        Dans un avis daté du 19 avril 2012, le Comité spécial des présidents corrobore les conclusions du premier comité :

[…] Ce réclamant a développé un asthme alors qu’il travaillait dans une compagnie d’auvents. À ce moment, il avait à assembler les auvents et ceci se faisait à l’extérieur. Il n’a pas été exposé de façon significative à des sensibilisants à ce moment. Par la suite, il a changé d’emploi et a travaillé comme monteur de structures de métal. Nous n’avons pas non plus retrouvé d’agents sensibilisants dans ce travail. Bien qu’il présente un asthme sévère, les membres du Comité spécial des présidents n’ont pas en main les éléments nécessaires pour reconnaître la nature professionnelle de cet asthme.

 

 

[25]        Dans une décision rendue le 30 avril 2012, la CSST rejette la réclamation du travailleur. Cette décision est confirmée par la révision administrative le 12 juin 2012.

[26]        Le 15 juin 2015, le docteur Paul Jacquemin, pneumologue, produit un rapport à la demande du travailleur. Il sera question du contenu de ce rapport plus loin.

[27]        Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il présente une maladie professionnelle.

[28]        La notion de maladie professionnelle est définie comme suit à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[29]        L’article 29 de la loi prévoit une disposition permettant de présumer de l’existence d’une maladie professionnelle lorsque certaines conditions existent :

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION V

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

________________________________________________________________

 

MALADIES                                                      GENRES DE TRAVAIL

__________________________|_____________________________________

 

[…]

 

8.  Asthme bronchique:                                     un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

 

 

[30]        Selon les membres des deux comités en matière de maladies pulmonaires professionnelles, le travailleur n’a pas été exposé à des agents spécifiques sensibilisants, du moins pas de façon significative. Le docteur Jacquemin, quant à lui, mentionne une exposition à des « éléments sensibilisants » sans préciser si ces termes sont synonymes d’agent spécifique sensibilisant, une notion bien connue des pneumologues. Quoi qu’il en soit, le docteur Jacquemin semble croire à un asthme déclenché par une exposition à des produits irritants plutôt qu’à des agents spécifiques sensibilisants bien identifiés. La présomption de maladie professionnelle ne s’applique donc pas.

[31]        Lorsque la présomption est inapplicable, le caractère professionnel de la maladie doit être établi selon les exigences de l’article 30 de la loi :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[32]        Selon les membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, le travailleur présente une condition personnelle exacerbée par l’exposition à des irritants.

[33]        Selon la jurisprudence, une condition personnelle préexistante ne constitue pas un empêchement à la reconnaissance d’une lésion professionnelle, à la condition que soit survenu un accident du travail ou une aggravation causée par les risques particuliers du travail[2].

[34]        Le travailleur ne prétend pas que sa maladie soit attribuable à un accident du travail. Son argumentation repose plutôt sur l’existence de risques particuliers.

[35]        Selon l’article 30 de la loi, la reconnaissance d’une maladie professionnelle implique la démonstration que la maladie en cause est caractéristique du travail qui a été exercé ou qu’elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

[36]        Dans la décision Rivest et Bombardier inc.[3], la Commission des lésions professionnelles explique qu’« il y a lieu de parler de «risques particuliers» quand la tâche, en raison de sa nature ou de ses conditions habituelles d'exercice, expose le travailleur à la maladie qui est l'objet de sa réclamation. La preuve de risques particuliers repose donc sur des données factuelles et médicales, montrant que le travail présente un risque plus ou moins prévisible de causer la maladie, que son exécution expose le travailleur à un tel risque. Pour conclure qu'il y a un lien causal entre les lésions alléguées et le poste de travail occupé par la travailleuse lorsqu'elles sont survenues, il faut la preuve que le poste de travail et les pratiques de production peuvent causer des lésions aux structures anatomiques lésées chez la travailleuse en l'absence de tout autre facteur personnel, ou encore, en présence de facteurs personnels, la preuve doit amener à conclure que les facteurs reliés au travail sont prépondérants ».

[37]        Dans son rapport, le docteur Jacquemin fait d’abord remarquer que le travailleur n’a pas souffert d’asthme ou d’allergie dans son enfance et qu’il n’y a pas de cas connu d’asthme dans sa famille.

[38]        De 1979 à 2007, pour Meubles Beaucerons inc., le travailleur est exposé à de la poussière de bois et à différents produits tels des vernis et des colles. Durant ces nombreuses années, il constate un écoulement nasal fréquent, mais ne juge pas nécessaire de consulter un médecin pour ce problème, selon son témoignage.

[39]        En 2007 et 2008, pour Auvents Beaucerons, il est exposé à des émanations de soudure et à un galvanisant en aérosol à base de zinc alors qu’il aide un coéquipier. Cette exposition a lieu quelques jours par semaine dans un environnement clos (une pièce de 25 pieds sur 25 pieds), non ventilé et sans que soit utilisée une protection respiratoire.

[40]        En février 2009, le travailleur consulte pour des difficultés respiratoires « suite à une grippe ». Son état nécessite une consultation en pneumologie en septembre 2009 et c’est alors qu’un diagnostic d’asthme probable est porté en décembre 2009. Les symptômes évoluent vers une confirmation d’un asthme léger en juin 2010 et d’un asthme sévère en novembre 2011.

[41]        Dans son rapport, le docteur Jacquemin mentionne cette exposition « à la fumée de soudure, notamment le Flox, à la soudure de l’acier galvanisé et des aérosols de zinc qui sont aussi des éléments sensibilisants ». Il ajoute que, « comme l’exposition était intermittente, les symptômes ont eu le temps de s’enraciner et de s’ancrer sans arriver à déclencher de crise aigüe, mais une manifestation claire d’asthme telle que notée à l’époque par l’évaluation du premier pneumologue, le Dr Leblanc ».

[42]        Bien que le docteur Jacquemin incrimine également l’exposition à d’autres produits irritants, la preuve indique que l’asthme du travailleur a probablement été « déclenché », comme il le dit, alors qu’il était à l’emploi d’Auvents Beaucerons, dans les conditions décrites ci-haut.

[43]        Dans une lettre adressée à la CSST le 6 mars 2012, un représentant de la compagnie Auvents Beaucerons fait valoir que le travailleur effectuait généralement ses tâches à l’extérieur et qu’il n’était pas présent lors des travaux de soudure et l’utilisation d’aérosols. Dans une seconde lettre datée du 24 mars 2012, il précise que le travailleur passait 99 % de son temps à l’extérieur. Cette version, qui contredit manifestement celle du travailleur, ne peut être retenue puisqu’elle n’est pas corroborée par un témoignage, l’entreprise ayant choisi de ne pas se présenter à l’audience.

[44]        Il est vrai que le travailleur a été exposé à de la poussière de bois après avoir travaillé pour Auvents Beaucerons. Chez Portes & Fenêtres Abritek inc. et Moulures Jacomau inc. Les périodes sont toutefois très brèves, un mois dans le premier cas et quatre dans le second. Pour ce qui est de Métal Sartigan inc., la maladie était déjà installée au moment de son embauche en août 2010. Le travailleur avait d’ailleurs demandé à son supérieur de ne pas travailler avec de la laine minérale à cause de son asthme. Ces employeurs ne doivent donc pas assumer les coûts qui résultent de la reconnaissance de la maladie professionnelle.

[45]        L’opinion du docteur Jacquemin voulant que la maladie soit attribuable à une exposition à des produits irritants est retenue. L’histoire médicale et la preuve faite à l’audience démontrent que le travailleur a été exposé à des risques particuliers de subir une maladie professionnelle alors qu’il était à l’emploi d’Auvents Beaucerons en 2007 et 2008.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Donald Thibodeau, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 12 juin 2012 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi un asthme professionnel alors qu’il était à l’emploi de l’entreprise Auvents Beaucerons.

 

 

__________________________________

 

Michel Sansfaçon

 

 

 

 

Me Jehanne Bédard

A.I.T.P.F.S.O. (LOCAL 711)

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Lucie Rondeau

PAQUET THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

[2]          PPG Canada inc. c. CALP, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).

[3]           C.L.P. 154654-63-0102, 9 novembre 2004, R. Brassard.

AVIS :
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