Laliberté & Associés inc. |
2012 QCCLP 3469 |
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[1] Le 28 novembre 2011, Laliberté & Associés inc. (Cafétéria) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 23 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 5 octobre 2011. Elle déclare que le coût des prestations doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] L’audience n’a pas eu lieu le 11 avril 2012, l’employeur a demandé de plaider par écrit. Le dossier a été pris en délibéré à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
reconnaître qu’il a droit en vertu des dispositions de l’article
[5]
L’employeur demande également à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il n’a pas à être imputé du coût de l’indemnité de remplacement
du revenu versée à au conjoint de la travailleuse après le 15 septembre 2010
conformément à l’article
LES FAITS
[6] La travailleuse occupe un emploi de cuisinière chez l’employeur. Le 21 décembre 2009, alors qu’elle soulève un plateau de déjeuner, un côté de celui-ci glisse. Elle donne un coup sur le plateau pour éviter qu’il tombe et elle ressent une douleur dans l’omoplate droite.
[7] Le 2 février 2010, la docteure Geneviève Pinho recommande des travaux légers à demi-temps à la travailleuse.
[8] Le 11 février 2010, la CSST accepte les diagnostics d’entorse cervicale et d’entorse au trapèze droit à titre de lésion professionnelle en lien avec l’événement du 21 décembre 2009.
[9] Le 9 mars 2010, la docteure Pinho prescrit des travaux légers avec restriction de ne pas soulever de charges lourdes, de ne pas exécuter de mouvements répétitifs ou de flexion-extension et de rotations cervicales.
[10] Le 13 avril 2010, le médecin, qui a charge de la travailleuse, prescrit un retour au travail à temps plein avec des restrictions concernant les charges à soulever.
[11] Le 25 mai 2010, la docteure Pinho recommande un retour à temps plein, mais elle estime que la travailleuse ne doit pas soulever plus de 15 kilos à deux mains, ne doit pas soulever 10 kilos à une main et ne doit pas travailler « au-delà de la ligne d’horizon ».
[12] Le 23 juin 2010, la docteure Pinho indique à son rapport médical que la travailleuse devrait continuer ses tâches selon les mêmes conditions.
[13] Le 4 août 2010, la docteure Pinho note que la travailleuse présente une récidive de « raideur » et de spasmes musculaires et elle indique que la travailleuse doit reprendre ses traitements.
[14] Le 17 août 2010, l’agente de la CSST appelle la travailleuse. L’agente indique à ses notes ce qui suit :
Je lui demande comment elle va?
Me dit qu’elle a encore des problèmes surtout des spasmes musculaires.
Elle parvient à faire son travail en respectant les restrictions décrites sur le RM du 10.05.25.
Pas d’examen spécifique de prévu.
[15] Le 26 août 2010, le docteur Vincent L’Écuyer prescrit un arrêt de travail à compter de cette date.
[16] Le 15 septembre 2010, la travailleuse décède d’une condition personnelle non reliée à sa lésion professionnelle.
[17] Le 16 septembre 2010, la CSST avise que le conjoint de la travailleuse, à la suite du décès de cette dernière, aura droit de recevoir trois mois d’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 58.
LES MOTIFS
[18]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
l’employeur a droit à un transfert d’imputation en vertu des dispositions
de l’article
[19]
Les dispositions de l’article
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
__________
1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[20]
Il appartient donc à l’employeur qui invoque l’exception prévue au
deuxième alinéa de l’article
[21] Pour la Commission des lésions professionnelles, la notion « obérer injustement » réfère à la justesse d’imputer ou non à l’employeur la somme en question[3].
[22] Le tribunal partage l’opinion de la Commission des lésions professionnelles selon laquelle il y a injustice dès que l’employeur n’est pas en mesure d’assigner un travailleur en vertu d’une maladie intercurrente[4] :
[93] Le tribunal partage les avis émis lors de nombreuses décisions de la Commission des lésions professionnelles voulant qu’un employeur est obéré injustement par le fait qu’une maladie intercurrente empêche l’employeur d’assigner un travail à un travailleur et qu’il en résulte le versement d’indemnités par la CSST[5].
[94] Dans l’affaire Les Industries Maibec inc.[6], la juge Cusson émet l’opinion voulant que la notion «obérer injustement» fait référence à la justesse d’imputer ou non à l’employeur la somme dont il est question et qu’il faut se demander si l’employeur subit une injustice par le fait de lui imputer cette somme. Pour la juge Cusson, à partir du moment où le travailleur est incapable de fournir une prestation de travail à laquelle l’employeur est en droit de s’attendre, par la mise en place d’une assignation temporaire valide, et que cette incapacité découle d’une condition sans lien avec l’accident du travail, l'employeur subit une véritable injustice et il y a lieu de procéder à l’imputation en application de l’article 326.
[95] De même, dans l’affaire Portes Cascades inc.[7], le juge Vaillancourt a déterminé que le fait qu’un employeur se voit imputer d'une somme quelconque pour l'indemnité de remplacement du revenu versée à un travailleur pendant la cessation de l'assignation temporaire en raison d'une maladie personnelle constitue une injustice dans la mesure où l'employeur n'a aucun contrôle sur la maladie intercurrente du travailleur.
[23] La travailleuse a commencé son assignation temporaire à compter du 25 mai 2010. Toutefois, la travailleuse a dû cesser son travail le 26 août 2010 pour une maladie intercurrente qui a été reconnue par la CSST comme n’étant pas en lien avec sa lésion professionnelle.
[24] L’employeur prétend que la travailleuse exécutait toujours des travaux légers car elle n’effectuait pas ses tâches habituelles, ce qui correspond à une assignation temporaire.
[25]
Toutefois, le 23 novembre 2011, la révision administrative de la CSST a déterminé qu’il n’y avait aucune assignation temporaire remplissant les
conditions de l’article
[26] Or, la Commission des lésions professionnelles en a déjà décidé à plusieurs reprises[8]. Une telle position prise par la CSST ne peut être retenue puisqu’il faut « s’attarder à l’analyse de la réalité du travail effectué par le travailleur, sans faire preuve d’un formalisme désuet et sans distinction du fait que l’on parle d’un travail « allégé », de « travail léger », « d’assignation temporaire » ou de « travail en retour progressif ».[9]
[27] Il appert que le 25 mai 2010, la docteure Pinho a prescrit à la travailleuse, lors de son retour à temps plein, des travaux légers comme de ne pas soulever plus de 15 kilos à deux mains, ne pas soulever 10 kilos à une main et de ne pas travailler « au-delà de la ligne d’horizon ».
[28] Qui plus est, l’agente de la CSST rapporte, le 17 août 2010, soit une semaine avant la maladie intercurrente de la travailleuse, que cette dernière « parvient à faire son travail en respectant les restrictions décrites » sur le rapport médical du 25 mai 2010.
[29] Dans les circonstances, le tribunal considère que l’analyse de la réalité du travail effectué par la travailleuse du 25 mai 2010 au 26 août 2010 a démontré que la travailleuse était en assignation temporaire, car elle effectuait ses tâches selon les restrictions émises par son médecin.
[30] Si la travailleuse n’a pu continuer l’assignation temporaire le 26 août 2010, c’est à cause de sa maladie intercurrente, qui est devenue incapacitante à cette date. Ceci cause une situation d’injustice pour l’employeur qui ne peut plus continuer l’assignation temporaire de la travailleuse à cause de sa condition personnelle.
[31] De plus, le tribunal retient que la totalité des coûts, soit les indemnités de remplacement du revenu que le travailleur a reçues du 26 août 2010 au 15 septembre 2010, est imputable à la situation d’injustice que vit l’employeur de ne pouvoir continuer l’assignation temporaire de la travailleuse.
[32] L’employeur a démontré qu’il y a une situation d’injustice et qu’une proportion des coûts attribuables à cette situation d’injustice est significative par rapport aux coûts découlant de la lésion professionnelle[10].
[33] Conséquemment, le tribunal conclut qu’imputer au dossier de l’employeur l’indemnité de remplacement du revenu versée du 26 août 2010 au 15 septembre 2010 a pour effet de l’obérer injustement.
[34] La requête de l’employeur doit être accueillie et le transfert des coûts à l’ensemble des employeurs est accordé pour la période du 26 août 2010 au 15 septembre 2010.
[35] La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur doit être imputé du coût de l’indemnité de remplacement du revenu versée au conjoint de la travailleuse à compter de son décès, et ce, pour trois mois.
[36] Au moment de son décès, la travailleuse était en arrêt de travail, prescrit par son médecin, à compter du 26 août 2010. Elle avait donc droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[37]
La travailleuse est décédée le 15 septembre 2010. Selon l’article
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
2° au décès du travailleur; ou
3° au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.
__________
1985, c. 6, a. 57.
[38]
En l’espèce, la travailleuse est décédée d’une cause étrangère à sa
lésion professionnelle, de sorte que la CSST a continué de verser au conjoint
de la travailleuse, l’indemnité de remplacement du revenu pour une période de
trois mois, le tout conformément à l’exception prévue à l’article
58. Malgré le paragraphe 2° de l'article 57, lorsqu'un travailleur qui reçoit une indemnité de remplacement du revenu décède d'une cause étrangère à sa lésion professionnelle, cette indemnité continue d'être versée à son conjoint pendant les trois mois qui suivent le décès.
__________
1985, c. 6, a. 58.
[39]
D’ailleurs, l’employeur ne remet pas en question ni la pertinence ni
l’application de l’article
[40] L’employeur estime que le décès de la travailleuse pour une condition personnelle est une situation fortuite pour laquelle il est obéré injustement.
[41] L’indemnité de remplacement du revenu versée au conjoint de la travailleuse est une prestation au sens de la loi telle que définie à l’article 326. La loi définit ainsi cette notion :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« prestation » : une indemnité versée en argent, une assistance financière ou un service fourni en vertu de la présente loi;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[42] Toutefois, cette prestation n’est due qu’à la suite de l’accident du travail subi par la travailleuse.
[43]
Selon l’article
[44]
Par ailleurs, le tribunal estime que même en considérant qu’il puisse y
avoir un lien entre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu au
conjoint et l’accident du travail (puisque ce n’est qu’en raison du fait que le
décès à la suite d’une cause étrangère est survenu alors que la travailleuse
était en arrêt de travail à cause de l’accident du travail que le conjoint a
droit à cette indemnité), l’imputation du coût de cette indemnité à l’employeur
a pour effet de l’obérer injustement au sens du deuxième alinéa de l’article
[45] Or, la cause du décès de la travailleuse est complètement hors du contrôle de l’employeur. Aussi, cet accident est étranger aux activités de l’employeur, de l’avis même de la CSST.
[46] La Commission des lésions professionnelles a déjà déterminé dans l’affaire Ganotec Inc.[11] que le décès d’un travailleur, alors qu’il recevait des prestations, pour une cause étrangère à sa lésion ne peut être imputable à l’employeur notamment en dressant le parallèle suivant :
[47] Enfin, on peut faire un parallèle entre la présente
situation et celle qui prévaut en regard de l’imputation dans les cas où
s’applique l’article
27. Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lésion professionnelle, à moins qu'elle entraîne le décès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.
__________
1985, c. 6, a. 27.
[48] La jurisprudence comporte des exemples où un transfert de coûts a été accordé à un employeur dans le cas de décès survenu à cause d’une négligence grossière et volontaire du travailleur. On a retenu entre autres que le fait que le législateur ait créé une exception à la non-reconnaissance d'une lésion professionnelle en pareille situation vu la gravité des conséquences de la lésion ne doit pas faire en sorte que l'employeur ait à supporter une somme qui, en toute justice et selon le bien-fondé réel du cas, ne devrait pas normalement lui être imputée[12].
[47] Conséquemment, le coût de l’indemnité de remplacement du revenu qui a été versée au conjoint de la travailleuse après le 15 septembre 2010 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Laliberté & Associés inc., l'employeur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 23 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût de l’indemnité de remplacement du revenu versé à madame France Drolet (la travailleuse) entre le 26 août 2010 et le 15 septembre 2010 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités sur la base que l’employeur a été obéré injustement lors de cette période;
DÉCLARE que le coût de l’indemnité de
remplacement du revenu versée au conjoint de la travailleuse après le 15
septembre 2010, en vertu de l’article
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François Aubé |
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Me Pierre Laliberté |
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Laliberté & Associés inc. |
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Représentant de la partie requérante |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] C.S. Brooks Canada inc., C.L.P. 876779-05-9704, 26 mai 1998, M. Cyddihy.
[4] Précitée note 2.
[5] Voir par
exemple : Collège Notre-Dame de
L'Assomption, C.L.P.126608-04B-9911, 24
mai 2000, A. Gauthier; Ballin inc., C.L.P.176607-62B-0201, 11
octobre 2002, Y. Ostiguy; Corporation
d'urgences santé de la région de Montréal métropolitain et CSST,
[6] C.L.P.257704-03B-0503, 6 janvier 2006, M. Cusson.
[7] C.L.P.180560-62B-0203,
20 décembre 2002, A. Vaillancourt; Voir aussi : Le Groupe Canam-Manac
inc. et CSST,
[8] Voir par exemple : Canbec Automobiles
inc., C.L.P.
[9] Garda
(Division Montréal), C.L.P.
[10] CSSS Antoine-Labelle, C.L.P.
[11] 339014-62C-0802, 10 septembre 2008, D. Lajoie.
[12] Construction Arno inc. et CSST,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.