Décision

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Desjardins Sécurité financière, compagnie d'assurance-vie c. Émond

2016 QCCA 161

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-024401-143

(760-22-007775-128)

 

DATE :

2 février 2016

 

 

CORAM : LES HONORABLES

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

 

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, COMPAGNIE D’ASSURANCE VIE

APPELANTE – Défenderesse

c.

 

MARIETTE ÉMOND

VICTOR FOISY

SABRINA FOISY

INTIMÉS – Demandeurs

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelante se pourvoit contre un jugement rendu le 28 mars 2014 par la Cour du Québec du district de Beauharnois (l’honorable Céline Gervais), dont les conclusions sont ainsi rédigées :

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

ACCUEILLE l’action de la partie demanderesse;

CONDAMNE la partie défenderesse, DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE, à payer à la partie demanderesse, Mariette ÉMOND, Victor et Sabrina FOISY, solidairement, la somme de 56 000 $, en plus des intérêts au taux légal à compter du 8 novembre 2010, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q.;

LE TOUT avec dépens.

[2]           Pour les motifs de la juge St-Pierre, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Mainville, LA COUR :

[3]           Rejette l’appel, avec frais de justice contre l’appelante.

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

ROBERT M. MAINVILLE, J.C.A.

 

Me Katia Lussier

CHOLETTE HOULE (DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE)

Pour l’appelante

 

Me Gérald Lamarche

Pour les intimés

 

Date d’audience :

16 juin 2015



 

 

MOTIFS DE LA JUGE ST-PIERRE

 

 

[4]           La clause d’exclusion, qui prévoit que le contrat d’assurance terrestre ne donne droit à aucune prestation si l’accident survient lors de la participation de l’assuré à tout acte criminel ou à tout acte qui y est lié, s’applique-t-elle dans les circonstances de l’espèce et alors que les infractions dont l’assuré aurait pu être trouvé coupable sont des actes criminels qui peuvent, au choix du ministère public, devenir des infractions sommaires et que l’on désigne de façon courante comme des infractions mixtes ou hybrides?

[5]           Par jugement rendu le 28 mars 2014, la Cour du Québec, district de Beauharnois (l’honorable Céline Gervais — « la juge ») a conclu qu’elle ne s’appliquait pas, qu’elle était sans effet, de sorte que les intimés avaient droit à la prestation d’assurance vie réclamée à la suite du décès de l’assuré[1].

[6]           L’assureur Desjardins (« l’appelante ») soutient que la juge a erré en refusant de reconnaître qu’un assureur peut prouver l’acte criminel par prépondérance de preuve, en présence d’une infraction hybride, et en omettant d’analyser, cela étant, les circonstances de l’accident.

[7]           Pour ma part, j’estime que la juge n’a pas commis d’erreur et que l’appel doit être rejeté.

[8]           Voici pourquoi.

Contexte

[9]           Le 7 juillet 2009, Desjardins émet une police d’assurance, en faveur de l’assuré, laquelle comprend un volet assurance vie en cas de décès imputable à un accident.

[10]        La garantie d’assurance prévoit :

1.   OBJET ET DESCRIPTION

1)   Accirance prévoit le paiement d’une prestation si l’assuré subit un accident. Cette prestation est versée si, en raison de l’accident, l’assuré :

a)   décède;

[…]

2.   DÉFINITIONS

[…]

Accident : une atteinte corporelle constatée par un médecin et qui résulte directement de l’action soudaine et imprévue d’une cause extérieure, et ce, indépendamment de toute maladie ou autre cause.

[…]

20. PROTECTION EN CAS DE DÉCÈS, DE MUTILATION, DE FRACTURE OU DE PERTE D’USAGE

Si, en raison d’un accident, l’assuré subit l’une des pertes énumérées au TABLEAU DES PERTES ci-après, l’assureur verse une prestation. Cette prestation est égale au montant d’assurance prévu pour  la perte subie.

[…]

Décès d’un assuré, âgé de 25 ans ou plus lors de l’accident

[…]

·         décès accidentel, autrement que lors de l’utilisation d’un véhicule de transport public : […] 56 000$

[Caractères gras, italique et soulignement dans l’original]

[11]        Sous la rubrique « 14. Exclusions et limites », le contrat stipule cependant :

14. EXCLUSIONS ET LIMITES

1)   Le contrat ne donne droit à aucune prestation dans les cas suivants :

[…]

f)    si l’accident suivent lors de la participation de l’assuré à tout acte criminel ou à tout acte qui y est lié;

[Caractères gras, italique et soulignement dans l’original]

[12]        Le 8 juillet 2009, ce contrat d’assurance est en vigueur et il prévoit une prestation au profit des héritiers de l’assuré, en l’espèce les intimés, si ce dernier décède en raison d’un accident.

[13]        Le 8 juillet 2009, un agent de la Sûreté du Québec procède à une opération de radar stationnaire aux abords de la route 201, dans une zone résidentielle où la vitesse est limitée à 50 km/h.

[14]        Vers 11 h, il entend le bruit d’une motocyclette qu’il aperçoit tout à coup, passant devant lui, à une vitesse de 123 km/h.

[15]        Voulant procéder à l’interception de son conducteur (l’assuré), l’agent se lance à sa poursuite.

[16]        Cette poursuite policière se déroule sur une vingtaine de kilomètres dans des zones résidentielles et rurales, à une vitesse excédant par moments 200 km/h, et se solde ultimement par la mort de l’assuré, fils ou frère des intimés, selon le cas.

[17]        Résumées à leur plus simple expression, voici les circonstances entourant l’accident : l’agent de police perd le contrôle de son véhicule à l’intersection du chemin de l’Artifice et de la route 209, là où l’assuré a lui-même préalablement perdu le contrôle de sa motocyclette; l’assuré et sa motocyclette se trouvent dans le fossé; la voiture de police quitte la route pour s’y diriger et happe l’assuré qui, après avoir été projeté dans les airs au moment de l’impact, retombe face contre terre sur la chaussée quelque dix mètres plus loin.

[18]        Un témoin de l’impact porte secours à l’assuré, toujours en vie à ce moment-là quoique inconscient.

[19]        À 11 h 37, l’assuré est pris en charge par des ambulanciers qui le conduisent à l’hôpital où ils arrivent à 11 h 59. Polytraumatisé, à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire, l’assuré y décède : son décès est constaté à 12 h 14.

[20]        Dans son rapport, le coroner écrit ne pas être en mesure de déterminer si la mort a été causée à la suite du dérapage initial de la motocyclette, au moment où l’assuré a été frappé par la voiture de police ou en raison de la force de l’impact qu’a subi son corps, après avoir été projeté dans les airs, lorsqu’il est retombé sur la chaussée.

[21]        La preuve ne révèle toutefois que de légers dommages à la motocyclette (le coût des réparations s’élevant à moins de 650 $ incluant main d’œuvre, pièces et taxes).

Le jugement dont appel

[22]        Pour décider de la réclamation dont elle est saisie, la juge estime qu’il est suffisant de répondre à la question suivante : dans le contexte des faits que révèle la preuve administrée, faut-il appliquer l’exclusion prévue à la police d’assurance et relative à la participation de l’assuré à un acte criminel?

[23]        Desjardins l’invite à le faire, car, à son avis, le décès de l’assuré résulte de sa participation à un acte criminel.

[24]        Les intimés lui proposent la réponse contraire. D’abord, ils soutiennent que le décès n’est pas relié à la commission d’un acte criminel puisque la poursuite policière était terminée au moment de l’impact fatal. Ensuite, et quoi qu’il en soit, ils plaident que les gestes reprochés à l’assuré ne constituent pas un acte criminel au sens qu’il y a lieu de donner à cette expression aux fins de l’article 2402 C.c.Q.

[25]        La question posée et les positions des parties énoncées, la juge examine les principes de droit applicables à l’interprétation d’une police d’assurance et de ses exclusions.

[26]        Elle retient l’opinion des professeurs Bergeron et Lanctôt qui proposent que l’article 2402 C.c.Q. n’autorise l’exclusion générale que pour les actes punissables par mise en accusation exclusivement.

[27]        Comme les deux infractions pour lesquelles l’assuré aurait pu être poursuivi[2], n’eût été son décès, font partie de la catégorie des infractions hybrides (constituent des infractions punissables par mise en accusation ou par procédure sommaire, au choix du ministère public), la juge écarte l’exclusion et elle condamne Desjardins à verser aux intimés la somme assurée de 56 000 $.

[28]        Dans ces circonstances, elle ne procède pas à l’analyse poussée de la preuve quant aux circonstances de l’événement ou quant à la cause ou aux causes de décès.

Position de l’appelante

[29]        Puisque l’assuré a subi un accident en raison duquel il est décédé, Desjardins ne conteste pas que les intimés aient droit à la prestation de décès si la clause 14 « exclusions et limites » ne s’applique pas.

[30]        En effet, Desjardins ne prend appui que sur la clause d’exclusion générale contenue à la police (reproduite au paragraphe [11] des présents motifs) : elle argue de son applicabilité en l’espèce, aux termes du premier alinéa de l’article 2402 C.c.Q. (comme c’était aussi le cas selon l’article 2481 C.c.B.-C.), puisque les violations de la loi imputées à l’assuré constituent, selon elle, un acte criminel (« an indictable offence ») au sens de ces dispositions législatives ainsi rédigées :

2402. En matière d’assurance terrestre, est réputée non écrite la clause générale par laquelle l’assureur est libéré de ses obligations en cas de violation de la loi, à moins que cette violation ne constitue un acte criminel.

 

[…]

 

2402. In non-marine insurance, any general clause whereby the insurer is released from his obligations if the law is violated is deemed not written, unless the violation is an indictable offence.

 

 

[…]

2481. Est sans effet toute clause générale libérant l’assureur en cas de violation des lois ou des règlements, à moins que cette violation ne constitue un acte criminel.

 

[Soulignement ajouté]

 

2481. Every general clause releasing the insurer if any act or regulation is violated is without effect, unless such violation constitutes an indictable offence.

 

[Underlining added]

[31]        Elle plaide que la conduite dangereuse adoptée par l’assuré et sa fuite au moment où les policiers tentent de l’intercepter constituent des actes criminels en raison du paragraphe a) du premier alinéa de l’article 34 de la Loi d’interprétation fédérale[3] et des articles 249 et 249.1 du Code criminel, ainsi rédigés :

Mise en accusation ou procédure sommaire

 

34. (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :

 

a) l’infraction est réputée un acte criminel si le texte prévoit que le contrevenant peut être poursuivi par mise en accusation;

 

 

b) en l’absence d’indication sur la nature de l’infraction, celle-ci est réputée punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire;

 

 

 

 

c) s’il est prévu que l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire, la personne déclarée coupable de l’infraction par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel.

 

 

[…]

 

Application aux documents

 

(3) Dans tout document, notamment commission, proclamation ou mandat, relatif au droit pénal ou à la procédure pénale :

 

a) la mention d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation équivaut à celle d’un acte criminel;

 

b) la mention de toute autre infraction équivaut à celle d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

Indictable and summary conviction offences

 

34. (1)  Where an enactment creates an offence,

 

 

(a) the offence is deemed to be an indictable offence if the enactment provides that the offender may be prosecuted for the offence by indictment;

 

(b) the offence is deemed to be one for which the offender is punishable on summary conviction if there is nothing in the context to indicate that the offence is an indictable offence; and

 

 

(c) if the offence is one for which the offender may be prosecuted by indictment or for which the offender is punishable on summary conviction, no person shall be considered to have been convicted of an indictable offence by reason only of having been convicted of the offence on summary conviction.

 

[…]

 

Documents similarly construed

 

(3) In a commission, proclamation, warrant or other document relating to criminal law or procedure in criminal matters,

 

(a) a reference to an offence for which the offender may be prosecuted by indictment shall be construed as a reference to an indictable offence; and

 

(b) a reference to any other offence shall be construed as a reference to an offence for which the offender is punishable on summary conviction.

Conduite dangereuse

 

 

249. (1) Commet une infraction qui­conque conduit, selon le cas :

 

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

 

 

[…]

 

Peine

 

(2) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) est coupable :

 

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

[…]

 

Fuite

 

249.1 (1) Commet une infraction qui­conque conduisant un véhicule à moteur alors qu’il est poursuivi par un agent de la paix conduisant un véhicule à moteur, sans excuse raisonnable et dans le but de fuir, omet d’arrêter son véhicule dès que les circonstances le permettent.

 

 

Peine

 

(2) Quiconque commet une infraction visée au paragraphe (1) est coupa­ble :

 

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

 

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

[…]

 

[Soulignement ajouté]

Dangerous operation of motor vehicles, vessels and aircraft

 

249. (1) Every one commits an offence who operates

 

(a) a motor vehicle in a manner that is dangerous to the public, having regard to all the circumstances, including the nature, condition and use of the place at which the motor vehicle is being operated and the amount of traffic that at the time is or might reasonably be expected to be at that place;

 

[…]

 

Punishment

 

(2) Every one who commits an offence under subsection (1)

 

 

(a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

 

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

 

 

[…]

 

Flight

 

249.1 (1) Every one commits an offence who, operating a motor vehicle while being pursued by a peace officer operating a motor vehicle, fails, without reasonable excuse and in order to evade the peace officer, to stop the vehicle as soon as is reasonable in the circumstances.

 

Punishment

 

(2) Every one who commits an offence under subsection (1)

 

 

(a) is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

 

 

(b) is guilty of an offence punishable on summary conviction.

 

 

[…]

 

[Underlining added]

[32]        Elle propose que la Cour a déjà tranché ce débat dans l’affaire Promutuel Bagot c. Lévesque[4] en raison du contenu des paragraphes suivants des motifs du juge Beauregard, auxquels a souscrit le juge Morin :

[28]      À mon humble avis, la possession de marihuana aux fins de trafic, sans parler du trafic lui-même, constituait une activité criminelle au sens de l'exclusion citée plus haut et la maison de l'intimée était en partie utilisée aux fins de cette activité.

[…]

[32]      Notons aussi que, en la matière, un assureur peut prouver l'activité criminelle par prépondérance de preuve et que l'exclusion trouve application même si l'assuré n'a pas été condamné par un tribunal pénal ou a fait l'objet d'une poursuite sommaire plutôt que d'une poursuite par acte d'accusation.

[35]      On peut penser que l'appelante se montre plutôt stricte, mais il ne nous appartient pas de lui nier ses droits au motif que les conséquences de la conduite criminelle de l'intimée lui sont très préjudiciables.

[36]      Je n'arrive pas à me convaincre de rejeter le moyen de l'appelante au motif d'une disproportion trop grande entre la gravité relative du crime en cause et le préjudice énorme résultant de l'absence de garantie.

[33]        De plus, elle plaide que la preuve administrée mène incontestablement à la conclusion voulant que l’accident (le décès) soit survenu « lors de la participation de l’assuré à un acte criminel ». Conséquemment, elle conclut que la juge de première instance a erré et qu’il y a lieu d’intervenir.

Position des intimés

[34]        En raison de la nature des dispositions législatives applicables en matière de contrat d’assurance et des principes d’interprétation y relatifs de même que de l’interprétation restrictive applicable à toute clause d’exclusion, les intimés soutiennent que la juge n’a commis aucune erreur et que l’appel doit être rejeté.

[35]        Ils partagent l’avis de la juge voulant qu’il y ait lieu de limiter la portée de l’expression « acte criminel » utilisée à l’article 2402 C.c.Q. aux actes criminels purs (soit les infractions qui sont nécessairement et exclusivement poursuivies par voie de mise en accusation), et d’en exclure les infractions dites hybrides.

[36]        Quoi qu’il en soit, s’il fallait conclure autrement, ils plaident que Desjardins ne s’est pas déchargée du fardeau de preuve qui était le sien puisque la preuve prépondérante n’établit pas que le décès est survenu lors de la fuite ou de la conduite dangereuse, mais après que le tout a pris fin, alors que l’assuré se trouve dans le fossé et que la voiture de police le heurte et le projette dans les airs, de sorte qu’il retombe violemment, face contre terre, plus de dix mètres plus loin.

Analyse

[37]        À n’en pas douter, la clause 14 est une clause générale d’exclusion aux termes de laquelle Desjardins cherche à se libérer de ses obligations. Ainsi, pour que Desjardins obtienne gain de cause, il faut non seulement retenir que l’expression « acte criminel », telle qu’utilisée par le législateur québécois à l’article 2402 C.c.Q., englobe tous les actes hybrides, mais aussi que le décès est survenu lors de la participation de l’assuré à un acte criminel.

[38]        J’estime ne pas devoir conclure de la sorte.

[39]        Voici pourquoi.

L’expression « acte criminel » à l’article 2402 C.c.Q.

[40]        Il importe de ne jamais perdre de vue l’intention du législateur québécois en contexte de contrat d’assurance lorsque vient le moment d’examiner ce qu’il a voulu permettre aux assureurs d’exclure généralement, les libérant conséquemment de l’obligation d’être précis et spécifique, en adoptant l’article 2402 C.c.Q. (ou son prédécesseur l’article 2481 C.c.B.-C.).

[41]        Cela étant, limiter la violation de la loi qui peut être exclue par une clause générale, selon l’article 2402 C.c.Q, aux infractions criminelles qui sont nécessairement et exclusivement punissables par mise en accusation (actes criminels purs) me paraît l’interprétation à retenir et la plus respectueuse du contexte au sein duquel cet article se trouve.

[42]        Mais avant d’élaborer à ce propos, et puisque Desjardins soutient que cette question aurait été réglée autrement dans l’arrêt Promutuel Bagot c. Lévesque[5] de la Cour, je tranche d’abord cet argument que j’écarte puisque mal fondé.

L’arrêt Promutuel

[43]        L’article 2402 C.c.Q. n’a été ni mentionné ni discuté dans l’arrêt Promutuel Bagot c. Lévesque[6].

[44]        Si le juge Beauregard note que le juge de première instance s’est interrogé quant à la qualification de l’infraction hybride, il précise que ce dernier n’a pas procédé à l’analyse de la notion :

[24]      Puis le juge s'est demandé si une infraction hybride est une activité criminelle au sens de l'exclusion; il n'a cependant pas répondu à la question.

[45]        Selon les faits retenus par le juge Beauregard, à la source de l’intervention qu’il propose en raison d’erreurs manifestes du juge de première instance à cet égard, l’assurée a commis une infraction punissable exclusivement par mise en accusation (possession de marijuana à des fins de trafic : articles 5(2) et 5(3) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances[7]), peu importe les accusations effectivement portées contre elle par le ministère public (possession simple de marijuana[8]). En effet, le contenu des paragraphes suivants de ses motifs ne laisse place à aucun doute :

[11]      Donc, lorsque l'intimée a fait entrer les plants de marihuana dans sa maison, elle commettait l'acte criminel qui consiste à posséder de la marihuana aux fins de trafic.

[…]     

[16]      Elle aurait consacré plusieurs heures à faire ces « cocottes » et, durant tout ce temps, elle possédait la drogue aux fins de trafic.

[17]      Bien plus, elle a effectivement tenté de vendre la drogue à quatre ou cinq personnes, amis ou proches. Elle ne voulait pas traiter avec les milieux criminalisés puisqu'elle avait volé les dix plants et que, s'il avait fallu qu'elle s'adresse au propriétaire de ces plants …

[18]      On peut donc dire que non seulement l'intimée a possédé de la marihuana aux fins de trafic, mais qu'elle a fait le trafic de cette drogue.

[19]      À la fin du contre-interrogatoire de l'intimée par l'avocat de l'appelante, l'avocat de l'intimée a concédé que sa cliente avait possédé de la marihuana aux fins de trafic; il a cependant fait dire à sa cliente qu'elle n'avait pas l'intention d'utiliser sa maison pour vendre la drogue au détail.

[…]     

[21]      Au paragraphe 73 de son jugement, le juge écrit : 

La preuve par prépondérance à l'effet qu'elle avait l'intention ou qu'elle a fait le trafic n'apparaît pas convaincante pour le présent tribunal.

[22]      Il s'agit d'une erreur manifeste puisque, comme je viens de le dire, non seulement l'intimée possédait de la marihuana avec l'intention de la vendre, mais elle l'a même offerte en vente à différentes personnes, ce qui constituait du trafic.

[…]

[27]      Il s'agit ici d'une erreur de droit puisque, si nous ne pouvons savoir ce qui ce serait produit, n'eût été l'incendie, nous savons que durant approximativement quinze jours l'intimée a possédé de la marihuana aux fins de trafic et qu'elle a même offert la drogue en vente, ce qui constitue du trafic. Ce que l'intimée aurait éventuellement fait avec la marihuana n'a pas d'importance. Ce qui est pertinent c'est la nature de l'occupation ou de l'utilisation de la maison lors de l'incendie.

[28]      À mon humble avis, la possession de marihuana aux fins de trafic, sans parler du trafic lui-même, constituait une activité criminelle au sens de l'exclusion citée plus haut et la maison de l'intimée était en partie utilisée aux fins de cette activité.

[Soulignement ajouté]

[46]        Il est donc inexact de soutenir que la question qui se pose en l’espèce a déjà été décidée par la Cour dans cet arrêt.

Survol de la jurisprudence et de la doctrine

[47]        La portée de l’expression « acte criminel » de l’article 2481 C.c.B.-C. ou de l’article 2402 C.c.Q. a donné lieu, au fil des ans et jusqu’à ce jour, à une controverse jurisprudentielle et doctrinale. Je crois donc utile d’en faire le survol.

La jurisprudence

[48]        En 1988, dans Mayer c. Mutuelle du Canada (La), Cie d’assurance[9], appliquant l’article 2481 C.c.B.-C., le juge Orville Frenette de la Cour supérieure a écrit :

L'infraction criminelle de conduite dangereuse dans la conduite d'un véhicule automobile est prévue à l'article 233 (1) et (4) du Code criminel, qui se lit comme suit :

233 (1) a) :

(1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

a) un véhicule à moteur dans une rue, sur un chemin, une grande route ou dans un autre endroit public d'une façon dangereuse pour le public, compte tenu de toutes les circonstances y compris la nature et l'état de cet endroit, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible à cet endroit.

(4) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi la mort d'une autre personne est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans.

[…]

L'exception à la règle établie à l’article 2481 C.C. se réfère à une violation qui constitue un acte criminel au sens du Code criminel, en opposition à une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

L'infraction prévue à l'article 233 (1) et (4) du Code criminel est une infraction mixte poursuivable au choix de la Couronne, soit par acte d'accusation (acte criminel) ou sur déclaration sommaire de culpabilité (infraction sommaire).

L'article 27 (1) de la Loi d'interprétation du Canada stipule que les infractions mixtes prévues au Code criminel sont réputées des actes criminels tant et aussi longtemps que la poursuite n'a pas exercé son option.

Dans les circonstances, l'évaluation de la conduite d'Alain Mayer, par rapport au standard de conduite de l'homme raisonnable, est celle qui mène inéluctablement à la commission de l'infraction de conduite dangereuse au sens de l'article 233 du Code criminel.

[Références omises, soulignement ajouté]

[49]        À mon avis, ce jugement présente une valeur persuasive limitée alors que la violation de la loi dont il est question, une conduite dangereuse ayant causé la mort, donne nécessairement lieu à une mise en accusation aux termes de l’article 249(4) du Code criminel, tel qu’il était alors rédigé[10], et non à un choix du poursuivant comme le juge le laisse entendre.

[50]        En 1991, dans Lavoie-Duquette c. Compagnie d’assurance-vie Transamerica du Canada, le juge Georges Savoie de la Cour supérieure a écrit :

Par contre, dans une récente affaire impliquant l'interprétation d'une clause d'exclusion, notre Cour d'appel, par un jugement unanime, a repris avec approbation les propos des auteurs Picard et Besson sur la limitation que doit comporter l'exclusion de risque en assurance:

" Picard et Besson, parlant de la "délimitation du risque couvert", expriment l'avis suivant:

70.        L'exclusion de risque doit être limitée. Il ne suffit pas que l'exclusion, pour être valable, soit formelle: il faut en outre qu'elle soit délimitée.

Le but de cette deuxième condition est toujours d'attirer l'attention des assurés de façon spéciale sur les clauses qui déterminent et restreignent la garantie. Mais ce nouveau qualificatif a un sens particulier. La loi veut que les clauses d'exclusion soient précises, que leur portée soit nettement délimitée, étant donné surtout qu'il s'agit de déroger à la règle du principe posée par l'article 1.113-1; il faut que les assurés puissent se rendre compte très exactement des risques dont la couverture leur est, par rapport à cette règle, retirée et, par là même, de l'étendue de la garantie dont ils bénéficient. En somme, il s'agit ici d'une question de fond, et non plus de forme; il s'agit d'un problème de "frontières"; il faut que le risque non couvert soit bien circonscrit.

(…)

On ne peut même pas prévoir des classes visant toute une catégorie d'infractions (par exemple, dans l'assurance automobile, toutes les infractions au Code de la route). L'exclusion doit être précise, porter sur un point particulier bien délimité, pour que l'assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n'est pas garanti. Il faut qu'elle soit nettement circonscrite, en termes clairs et précis, à l'abri de toute équivoque et de toute ambigüité. "

Le professeur Bergeron commente cette exigence de précision pour y voir la nécessité d'une identification de l'infraction concernée. Il commente aussi les différentes catégories de crimes ou d'infractions du nouveau Code criminel et particulièrement l'article 253 qui crée l'offense reprochée ici à l'assuré.

L'interpréter comme le veut la défense, c'est donner à la clause une portée que ne permet pas l'article 2481 du Code civil. Cet article édicte:

[…]

Notons d'abord la différence qu'il y a entre crime et acte criminel. Est un crime, par exemple, le fait de conduire un véhicule avec un taux d'alcoolémie qui dépasse 80 milligrammes. Par contre, seule la Couronne qui portera plainte décidera s'il s'agit là d'une infraction sommaire, poursuivable par déclaration sommaire de culpabilité, ou bien d'un acte criminel, qui peut être entendu par un juge et un jury.

Cette distinction peut avoir son importance quand il s'agit d'interpréter une clause d'exclusion, […][11]

[Références omises, soulignement ajouté]

[51]        De cette affaire, je retiens les enseignements des auteurs Picard et Besson portant sur les clauses d’exclusion en matière d’assurance, notamment dans le contexte de l’article 2481 C.c.B.-C., ainsi que le fait que notre Cour les a repris et approuvés dans ce contexte, en 1988, dans l’arrêt Madill c. Lacoste (Succession de)[12]. Délimiter précisément les contours de toute exclusion au moment où le contrat d’assurance est conclu doit être possible : le preneur ou l’assuré, selon le cas, doit pouvoir identifier précisément dans quels cas il est prévu que l’assureur sera libéré de son obligation de payer la prestation à laquelle il s’est engagé. Retenir que l’expression « acte criminel » utilisée à l’article 2402 C.c.Q. (ou à son prédécesseur l’article 2481 C.c.B.-C.) ne s’applique qu’aux actes criminels purs permet d’atteindre cet objectif. Ce ne serait pas le cas cependant, à mon avis et comme je l’expliquerai sous peu (depuis le paragraphe [74] des présents motifs), si la thèse soutenue par Desjardins (cette expression s’applique aussi aux infractions hybrides) était retenue.

[52]        En 1995, dans Fontaine-Lavigne c. Assurance-vie Desjardins inc.[13], après avoir énoncé l’argument de la partie requérante voulant qu’une infraction hybride ne soit pas un acte criminel aux fins de l’article 2481 C.c.B.-C., la position du professeur Bergeron  en ce sens et le contenu de l’article 34 de la Loi d’interprétation fédérale, le juge Robert Legris de la Cour supérieure indique devoir « s’en remettre au droit criminel pour savoir ce qui constitue un acte criminel ». Cela fait, il conclut :

En droit anglais, il est oiseux de chercher dans des hautes sphères nébuleuses de l'esprit la réponse à des questions qui peuvent être abordées simplement: il s'agit de savoir si celui qui conduit en état d'ébriété peut être poursuivi par voie de mise en accusation. La réponse à cette question m'apparaît simple, inéluctable et affirmative.

Cette réponse, comme on le voit, ne dépend aucunement de la discrétion du poursuivant. Elle résulte de la loi seule. En matière d'assurance-vie, par ailleurs, il n'est pas habituel de se demander si l'assuré sera poursuivi par voie de mise en accusation ou par déclaration sommaire.

[53]        Je conviens qu’il y a lieu de s’en remettre à la législation fédérale, notamment au Code criminel, pour identifier ce qui peut être un acte criminel, car au Canada les législatures provinciales ne possèdent aucune compétence en matière criminelle. Cela ne met pas fin cependant, à mon avis et avec égards pour l’opinion contraire, à l’exercice d’interprétation de l’article pertinent du Code civil au chapitre du contrat d’assurance (2481 C.c.B.-C. ou 2402 C.c.Q., selon l’époque).

[54]        La même année, dans Frappier c. Bélair, compagnie d’assurances, le juge F.-Michel Gagnon de la Cour du Québec retient la thèse limitant l’expression aux actes criminels purs :

Il y a plus: en eux-mêmes, les termes «acte criminel» et «indictable offence» désignent les infractions criminelles les plus graves, celles qui commandent la procédure solennelle de l'acte d'accusation au lieu du régime ordinaire de la déclaration sommaire de culpabilité́. Cela exclut forcément les infractions mixtes, pour lesquelles le ministère public peut choisir l'un ou l'autre régime. Or, justement, les incriminations créées par l'article 253 a) et b) C.Cr. tombent dans cette catégorie (art. 255 (1) C.Cr.).[14]

[Références omises]

[55]        En 1999, dans Rivard (Succession de) c. Banque Nationale du Canada, alors que la succession d’un motocycliste décédé réclame le produit d’une assurance-vie, la Cour écrit :

[…] [l]e mot «infraction» [utilisé dans la police] est utilisé dans son sens générique et, compte tenu de l'article 2481 C.c.B.-C., doit être interprété comme signifiant une infraction autre que celles qui peuvent seulement être punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire (art. 34 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I- 21);[15]

[56]        Cet arrêt de la Cour favorise, à première vue, la position mise de l’avant par Desjardins qui ne l’a pas cité, cependant, au soutien de sa position. Cet état de fait n’est sans doute pas étranger au constat voulant que cet arrêt s’attarde avant tout  et essentiellement à la question du lien de causalité entre le geste posé et le décès, question soulevée en première instance. Le débat semble avoir porté surtout sur l’interprétation du contrat d’assurance plutôt que sur la portée, en tant que telle, de l’article 2481 C.c.B.-C.

[57]        En 2003, dans Axa Assurances inc. c. Martin, la juge Lise Matteau de la Cour supérieure écrivait :

[88]      Comme le soulignaient nos Tribunaux, de concert avec l'auteur, il est raisonnable de conclure que le législateur ne visait que les infractions criminelles les plus graves, soit celles qui commandent exclusivement la procédure solennelle de l'acte d'accusation, excluant ainsi les infractions poursuivables par procédure sommaire, mais aussi celles à caractère hybride, dont le choix de poursuite est laissé à l'entière discrétion du poursuivant.

[89]      Le Tribunal souscrit à cette analyse, d'autant plus qu'elle s'inscrit dans le cadre d'une interprétation stricte des exclusions.[16]

[Références omises, soulignement ajouté]

[58]        En 2010, dans Place Biermans inc. c. C.D.[17], et bien qu’elle ne soit pas requise de trancher la question puisqu’en présence d’un acte criminel pur (incendiat), la juge Danielle Richer cite ces propos de la juge Matteau avec approbation : son jugement est confirmé par cette Cour en 2013, mais sans que ce passage soit commenté[18].

[59]        Finalement, en 2012, reprenant l’arrêt Promutuel, le juge Patrick Théroux de la Cour du Québec écrit :

[19]      La loi autorise un assureur à stipuler qu'il sera libéré de ses obligations contractuelles en cas de violation de la loi constituant un acte criminel. L'article 2402 alinéa 1 du Code civil du Québec (C.c.Q.) édicte ceci :

2402.

« En matière d'assurance terrestre, est réputée non écrite la clause générale par laquelle l'assureur est libéré de ses obligations en cas de violation de la loi, à moins que cette violation ne constitue un acte criminel.

[…] »

[20]      La clause en litige est libellée comme suit :

« Article 14. Exclusions et limites :

1)   Le contrat d'assurance ne donne droit à aucune prestation dans les cas suivants:

[…]

f)    si l'accident survient lors de la participation de l'assuré à tout acte criminel ou à tout acte qui y est lié;

[…] »

[21]      Comme il s'agit d'une exclusion, l'assureur a le fardeau d'établir la preuve de son application à la réclamation exercée par le bénéficiaire.

[22]      Bien qu'il soit question de la participation de l'assuré à un acte criminel, il s'agit d'une preuve civile obéissant à la règle de la prépondérance.

[23]      Il peut s'agir d'une preuve indirecte, par présomption des faits. Il n'est pas nécessaire que l'assuré ait été trouvé coupable de l'acte criminel reproché. Il importe peu, s'il y a eu poursuite criminelle, qu'elle ait été intentée par voie sommaire ou par acte d'accusation.[19]

[Référence omise, soulignement dans l’original]

[60]        Ce dernier jugement n’apporte pas d’éclairage additionnel aux fins d’interpréter la portée de l’article 2402 C.c.Q., car la preuve ne laisse place à aucun doute quant à la commission d’une infraction donnant nécessairement lieu à une mise en accusation. En effet, il est question de possession de drogue en vue d’en faire le trafic, comme le relate le juge aux paragraphes 13, 31 et 42 de son jugement :

[13]      Il ressort de la preuve qu'au moment de l'incendie, il y avait, dans la résidence de Sonia Lambert et Étienne Lessard, une quantité importante de cannabis, de même que divers accessoires et aménagements pour la culture et la transformation en vue d'en faire le trafic […]

[31]      La preuve démontre à l'évidence que la résidence de Sonia Lambert et son conjoint Étienne Lessard était utilisée depuis un bon moment pour effectuer de la production, de l'entreposage et de la transformation de cannabis à grande échelle, en vue d'en faire le trafic.

[42]      Vu les dispositions des articles 2, 3, 4, 5 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, de même que ses annexes II et VII; vu les dispositions de l'article 21(1) du Code criminel, il faut conclure que les activités auxquelles Sonia Lambert se livrait ou participait au moment de son décès sont des actes criminels.

[Référence omise]

[61]        Cela dit, je souscris aux principes de droit que le juge y énonce voulant que le fardeau de preuve de l’acte criminel repose sur l’assureur selon les règles applicables en matière civile, par prépondérance de preuve.

La doctrine

[62]        Peu d’auteurs ont écrit au sujet de l’article 2481 C.c.B.-C. ou de son successeur l’article 2402 C.c.Q et de l’interprétation des mots ou expressions « violation de la loi », « constitue » et « acte criminel » qui s’y trouvent.

[63]        Les professeurs Jean-Guy Bergeron et Didier Lluelles ainsi que Me Odette Jobin-Laberge et Me Louis P. Brien l’ont fait, exprimant au fil des ans les avis que voici :

Extrait de 1989 (Bergeron)

En vertu de l’article 2481 C.c., est sans effet toute clause générale libérant l’assureur en cas de violation des lois ou des règlements, à moins que cette violation ne constitue un acte criminel.

Les clauses d’exclusion ou la déchéance en raison d’une violation des lois ou des règlements doivent être spécifiques, précises, délimitées. Ainsi, n’est pas assez circonscrite la clause visant toutes les infractions au Code de la route. Le professeur Besson nous dit ceci :

L’exclusion doit être précise, porter sur un point particulier bien délimité, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti.

Ce degré de précision revient à exiger une identification de l’infraction concernée.

La clause pourra avoir une formulation générale si elle concerne les actes criminels. Ce sont les actes criminels au plan de la procédure qui sont ici visés, c’est-à-dire les actes criminels punissables par mise en accusation (indictable offence). Les infractions punissables par procédure sommaire doivent faire l’objet d’une clause spécifique comme tout autre acte délictueux. Qu’en est-il des infractions à caractère hybride punissables d’une manière ou d’une autre?

Nous serions portés à penser que le législateur contemple les actes punissables exclusivement par mise en accusation. Nous pensons que pour les fins de cette disposition, les actes à caractère hybride sont une troisième catégorie d’infractions soustraite à la possibilité de formulation générale d’une clause d’exclusion. Il nous semble que le législateur n’a pu permettre cette formulation générale que pour les actes criminels qui sont tels sans discussion et non pas pour ceux qui le deviennent suite à l’exercice d’une discrétion du poursuivant : il ne faut pas oublier que ces deux qualités d’actes, dans ces actes à caractère hybride, sont disjonctives et non cumulatives.[20]

Extrait de 1996 (Bergeron)

La clause générale est insuffisante pour un acte poursuivable exclusivement par procédure sommaire; elle est suffisante pour un acte poursuivable uniquement par mise en accusation.

Personnellement, nous continuons à suggérer que l’acte hybride, c’est-à-dire pouvant être poursuivi à la fois par procédure sommaire et par mise en accusation, ne peut être l’objet d’une clause générale d’exclusion. L’affirmation contraire se fonde sur l’article 34(1) de la Loi d’interprétation du Canada :

[…]

Il serait surprenant que le législateur ait voulu inclure dans la notion d’acte criminel (indictable offense) des actes simplement réputés criminels, assujettissant ainsi les droits contractuels d’un assuré à la discrétion du substitut du procureur général. Voulant permettre la clause générale pour les infractions criminelles les plus graves, il est raisonnable de penser qu’il avait en vue celles qui commandent exclusivement la procédure solennelle de l’acte d’accusation. Cette opinion est tout à fait en harmonie avec le principe d’interprétation stricte des exclusions. Il n’y a aucun fondement à des exigences formelles moindres pour l’exclusion des infractions à caractère hybride que pour celle des infractions pouvant être poursuivies uniquement par procédure sommaire. Rien ne peut autoriser à penser que l’assuré ne mérite pas la même qualité d’information dans l’un et l’autre cas.[21]

[Soulignement ajouté]

Extrait de Lluelles (2005 et 2009)

La clause générale libérant l’assureur en cas de non-respect des lois ou des règlements n’a d’application que si la violation constitue un acte criminel (C.c.Q., art. 2402 al. 1). En cas de violation d’une norme ordinaire, la clause générale est « réputée non écrite ».

[…]

Enfin, la notion d’acte criminel ne saurait être étendue à la simple infraction pénale. La question se pose, toutefois, de savoir si elle devrait s’appliquer à l’acte susceptible d’être poursuivi soit par voie de déclaration sommaire de culpabilité, soit pas voie d’acte d’accusation.

Précisons qu’advenant même la perpétration d’un acte criminel à proprement parler, l’assureur devra honorer la garantie s’il n’y a pas une clause au contrat prévoyant l’exclusion en cas de non-respect des lois, à moins évidemment que cet acte ne constitue une faute intentionnelle, en assurances de dommages, ou que le preneur n’ait désiré son propre préjudice, en assurance de personnes.[22]

[Soulignement ajouté, références omises et caractère italique à l’original]

Extrait de Me Odette Jobin-Laberge (1993)

61.   Quant au Second aspect de cet article, savoir la validité d’une clause générale libérant l’assureur dans le cas d’un acte criminel, le législateur aurait pu saisir l’occasion pour préciser sa pensée et mettre fin à une controverse soulevée par le professeur Bergeron en matière d’actes hybrides. En effet, le professeur Bergeron soutient que l’acte hybride est une catégorie distincte et que, n’étant pas visé par l’exception prévue à l’article 2481 C.c.B.C., l’assureur ne peut invoquer la commission d’une telle infraction pour se dégager de ses obligations.

62.   En assurance-vie, sauf pour une affaire, où on a fait une interprétation restrictive d’une clause d’exclusion en regard de l’article 2481 C.c.B.C., les tribunaux retiennent généralement que l’assuré commet un crime s’il commet l’infraction de possession d’un véhicule alors que son taux d’alcoolisme dépasse la limite permise au Code criminel malgré le fait que, en raison de son décès, il ne soit jamais poursuivi et que la Couronne n’a pu opter entre la poursuite par voie sommaire ou par mise en accusation. Nous croyons que l’article 34(1) de la Loi d’interprétation permet de dire que l’infraction hybride est un acte criminel au sens de l’article 2481 C.c.B.C. et que le problème soulevé par le professeur Bergeron est un faux problème.[23]

[Références omises, soulignement ajouté]

Extrait de 2011 (Brien)

Dautre part, si la clause générale d'exclusion en matière de violation de la loi doit viser un acte criminel pour être valide, il est clairement acquis que tous les crimes ne peuvent être visés par pareille exclusion. En effet, il est nécessaire que le crime en question en soit un qui ne puisse être poursuivable que par la procédure formelle de la mise en accusation excluant ainsi les actes criminels poursuivables par voie sommaire ainsi que les infractions à caractère hybride.[24]

[Références omises, italique dans l’original]

[64]        De ce qui précède, force m’est de constater que la controverse relative à la portée ou à l’interprétation de l’article 2481 C.c.B.C. ou de son successeur l’article 2402 C.c.Q. existait bien avant 1994 et qu’elle persiste. Comme l’a écrit Me Jobin-Laberge, lors de l’entrée en vigueur du nouveau Code civil en 1994, le législateur a eu l’occasion de préciser sa pensée, mais il ne l’a pas fait, laissant ainsi aux tribunaux la tâche de résoudre les conflits auxquels elle donne naissance, le cas échéant.

Dans ce contexte, que retenir?

[65]        Comme l’écrivent François-Xavier Simard Jr. et Gabrielle De K. Marceau dans leur ouvrage Le droit des assurances terrestres depuis 1976 (articles 2468 à 2605 C.c.B.-C.), « le contrat d’assurance, avant la réforme de 1976, n’était rien de moins qu’un contrat d’adhésion, sur lequel l’assuré n’avait que peu de contrôle, et en regard duquel, le Législateur ne s’était pas montré très interventionniste »[25].

[66]        Mais les choses n’en sont pas restées là, car par cette réforme « le Législateur a voulu effectuer un changement majeur dans les rapports de force qui existaient alors »[26], le changement recherché et opéré étant ainsi décrit par le professeur Didier Lluelles :

3.   Un effort de rééquilibrage des forces en présence

Dans ce contrat d’adhésion par excellence qu’était – et qu’est encore – le contrat d’assurance, les preneurs étaient, avant la réforme de 1974, liés par des contrats dont les termes étaient unilatéralement dictés par les assureurs, dans un sens qui leur était généralement défavorable, et ce en toute légalité, les dispositions législatives étant alors purement supplétives de volonté.

Si cette situation pouvait – et peut encore – se comprendre en assurance maritime où l’assuré armateur est généralement aussi expérimenté que l’assureur, il ne pouvait en être ainsi en assurance terrestre où la plupart des preneurs sont en position d’infériorité technique et financière face aux assureurs.

C’est pourquoi le législateur de 1974 avait jugé opportun de prévoir des règles plus conformes à une certaine justice contractuelle : […]

De plus, pour empêcher les assureurs d’écarter ces règles protectrices, on avait jugé bon de leur conférer un caractère impératif (C.c.B.C., art. 2500). Cette décision créait une véritable « révolution » dans le secteur de l’assurance : en effet, à compter du 20 octobre 1976, le monde de l’assurance devait désormais accorder la primauté à la loi sur le contrat, contrairement à ce qui prévalait auparavant. Le Code de 1991 maintient, sous une forme plus simple, cette donnée nouvelle.[27]

[Références omises, italique dans l’original]

[67]        Au même effet, je crois utile de citer les deux extraits d’ouvrage de doctrine suivants :

 

Premier extrait

Dans un souci de plus grande protection du consommateur d’assurances, le Législateur a donc jugé opportun d’intervenir et d’établir un ensemble de règles qu’il a décrétées d’ordre public.  Ainsi, pour certaines, il a interdit à l’assureur et à l’assuré d’y déroger, pour d’autres, une dérogation n’est devenue possible que dans la mesure où elle était plus favorable au preneur ou au bénéficiaire.

Ce faisant, il a pris partie définitivement en faveur de l’assuré, le consommateur moyen, dans un désir de rééquilibre des rapports de force.[28]

Second extrait

Il est manifeste que la toile de fond de cette vaste réforme est un souci légitime de protection des assurés[29].

[68]        L’article 2481 C.c.B.-C. est l’un des articles adoptés à l’occasion de cette réforme en profondeur et auquel il a été interdit de déroger aux termes de l’article 2500 C.c.B.-C.

[69]        Ainsi, l’article 2481 C.c.B.-C. loge à l’enseigne de l’objectif général de correction d’un déséquilibre important dans le rapport de forces entre assureur et assuré alors qu’il ne fait pas de doute que cet article et que son successeur (2402 C.c.Q.) s’inspirent du désir du législateur d’accentuer la protection des intérêts de l’assuré en matière d’exclusion de protection :

L’intention de l’article est évidente. Elle tend à protéger l’assuré : ce qui est excellent, mais ce qui va représenter à la fois des avantages et des inconvénients graves pour l’assureur, sauf si la preuve de l’acte criminel peut être faite.[30]

[70]        Lors de l’adoption du code civil entré en vigueur en 1994, et en raison de la réforme relativement récente effectuée, peu de changements ont été apportés au chapitre du Code civil portant sur le contrat d’assurance. Dans ses commentaires portant sur l’article 2402 C.c.Q., le ministre de la Justice écrit :

Le premier alinéa reprend, en d’autres termes, l’article 2481 C.C.B.C.; il interdit l’insertion de clauses générales de déchéance de l’assurance dans la police, à moins que la violation ne crée un acte criminel. La disposition n’empêche pas l’exclusion d’assurance portant sur une violation précise et délimitée.

[…][31]

[Soulignement ajouté]

[71]        Comme je l’ai déjà souligné, le législateur ne pouvait ignorer les interprétations variables que donnaient la jurisprudence et la doctrine à l’expression « acte criminel » utilisée à l’article 2481 C.c.B.-C.[32] , mais il n’est pas intervenu pour y mettre fin, malgré la reformulation du principe, utilisant la même expression (acte criminel) à l’article 2402 C.c.Q.

[72]        Puisque le législateur fédéral est le seul à pouvoir légiférer en matière criminelle au Canada, il va sans dire que l’article 2402 C.c.Q. (ou son prédécesseur) renvoie nécessairement à des dispositions législatives fédérales et que seul un comportement qualifié d’« acte criminel » par une disposition législative fédérale spécifique à cet effet peut être visé. Le renvoi demeure général, en ce sens qu’il ne réfère pas à une définition précise et plus particulièrement à la Loi d’interprétation. Ceci indique la volonté que l’exercice d’interprétation auquel sont conviés les tribunaux doit tenir compte que ce concept de droit fédéral s’inscrit généralement dans un contexte de droit civil et spécifiquement dans celui du droit des assurances.

[73]        Quand le Code criminel ou une autre loi fédérale énonce, sans qu’aucune autre possibilité ne puisse être envisagée, qu’une personne qui adopte un certain comportement commet un acte criminel (acte criminel pur), l’application de l’article 2402 C.c.Q. ne présente pas de difficulté, car la violation de la loi dont il est question, si prouvée, constitue manifestement un acte criminel. De tels cas sont nombreux : un recensement non exhaustif, limité à l’examen des dispositions législatives contenues au Code criminel et à une seule autre loi fédérale (Loi sur les aliments et drogues), me conduit à en identifier au moins deux cents[33].

[74]        Mais il en va autrement à mon avis, et malgré le paragraphe a) du premier alinéa de l’article 34 de la Loi d’interprétation, quand le comportement dont il est question est décrit comme une infraction poursuivable par mise en accusation ou par déclaration sommaire de culpabilité (actes hybrides).

[75]        Aux termes du paragraphe a) du premier alinéa de l’article 34 de la Loi d’interprétation, une telle infraction (acte hybride) est réputée un acte criminel, j’en conviens. Ainsi, la violation de la loi commise par un assuré décrite comme un acte criminel peut ne pas en « constituer » un. En effet, c’est une conclusion inéluctable à laquelle j’en arrive à la lecture du paragraphe c) du premier alinéa de l’article 34 de cette même loi, ainsi rédigé :

34. (1) Les règles suivantes s’appliquent à l’interprétation d’un texte créant une infraction :

 

[…]

 

c) s’il est prévu que l’infraction est punissable sur déclaration de culpabilité soit par mise en accusation soit par procédure sommaire, la personne déclarée coupable de l’infraction par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel.

 

 

[…]

 

[Soulignement ajouté]

34. (1) Where an enactment creates an offence,

 

 

[…]

 

(c) if the offence is one for which the offender may be prosecuted by indictment or for which the offender is punishable on summary conviction, no person shall be considered to have been convicted of an indictable offence by reason only of having been convicted of the offence on summary conviction.

 

[…]

 

[Underlining added]

[76]        Dans R. c. Dudley, alors qu’il examine la nature de semblables infractions (infractions hybrides) « qui n’existent nulle part – mais qu’on trouve partout – dans le paysage de la procédure criminelle canadienne »[34], le juge Fish remarque d’ailleurs ce qui suit au sujet des infractions dites hybrides (ou infractions mixtes) :

[14]      Elles n’existent nulle part en ce sens que, suivant le Code criminel, les infractions sont soit des actes criminels, punissables par mise en accusation, soit des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et que nulle part n’est reconnue une troisième catégorie distincte d’infractions mixtes. Pourtant, on trouve des infractions mixtes partout dans le Code criminel – et il en existe des douzaines, voire des centaines, dans d’autres lois fédérales.[35]

[Italique dans l’original, soulignement ajouté]

[77]        Cela fait, il précise que « la nature sous-jacente » de l’infraction commise dans le cas d’une infraction mixte (voire de la violation de la loi, aux fins de l’article 2402 C.c.Q) peut varier dans le temps et passer de l’acte criminel à l’infraction punissable par déclaration sommaire de culpabilité :

[21]      Comme je l’ai mentionné précédemment, les infractions mixtes sont réputées être des actes criminels à moins que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire, et jusqu’à ce qu’il fasse ce choix. Ainsi, le juge Cromwell (maintenant juge de notre Cour), s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. c. Paul-Marr, 2005 NSCA 73, 199 C.C.C. (3d) 424, au par. 20, a expliqué que [TRADUCTION] « lorsqu’une infraction peut être poursuivie par acte d’accusation ou par procédure sommaire au choix du ministère public, l’infraction est réputée être un acte criminel jusqu’à ce que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire ». De même, dans R. c. C. (D.J.) (1985), 21 C.C.C. (3d) 246, à la p. 252, le juge MacDonald a affirmé, au nom de la division d’appel de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, que [TRADUCTION] « dans le cas d’une infraction mixte, une fois que le ministère public choisit le recours par procédure sommaire, l’infraction n’est plus considérée être un acte criminel ». Et dans Canada (Attorney General) c. Trueman, P.C.J. (1996), 83 B.C.A.C. 227, au par. 13, une fois de plus dans une décision unanime, le juge en chef McEachern a conclu que les infractions mixtes [TRADUCTION] « sont réputées, aux termes de l’art. 34 de la Loi d’interprétation [. . .], être des actes criminels [et] le restent à moins que le ministère public choisisse le recours à la procédure sommaire ». (Tous les soulignements sont de moi.)

[22]      D’autres cours d’appel partout au pays sont arrivées à la même conclusion : Trinidad and Tobago c. Davis, 2008 ABCA 275, 233 C.C.C. (3d) 435, par. 14; R. c. Huff (1979), 50 C.C.C. (2d) 324 (C.A. Alb.), p. 328; Mitchell, par. 4; R. c. Gougeon (1980), 55 C.C.C. (2d) 218 (C.A. Ont.), p. 234; R. c. Tontarelli, 2009 NBCA 52, 348 R.N.-B. (2e) 41, par. 55; R. c. D. (S.) (1997), 119 C.C.C. (3d) 65 (C.A.T.-N.), par. 34; R. c. O’Leary (1991), 64 C.C.C. (3d) 573 (C.A.T.-N.), p. 575; R. c. Shiplack (1993), 109 Sask. R. 311 (C.A.), par. 9. Voir également Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 672, [2009] A.C.F. no 843 (QL), par. 40.

[23]      La juge Charron cite l’arrêt R. c. Connors (1998), 121 C.C.C. (3d) 358 (C.A.C.-B.), à l’appui de la thèse selon laquelle « les infractions mixtes conservent leur qualification d’actes criminels dans le contexte de la Loi sur l’identification des criminels » (par. 73). Comme le signale ma collègue, la Loi sur l’identification des criminels n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Pour notre propos, il suffit par conséquent de souligner que l’arrêt Connors est le seul à conclure en ce sens. Les autres cours sont parvenues à une conclusion contraire. Voir, par exemple, Re Abarca and The Queen (1980), 57 C.C.C. (2d) 410 (C.A. Ont.), p. 413.

[…]

[39]      Selon l’art. 34 de la Loi d’interprétation, les infractions mixtes sont réputées punissables sur déclaration de culpabilité par mise en accusation à moins que le ministère public ait choisi la procédure sommaire et jusqu’à ce qu’il fasse ce choix. […]

[…]

[48]      La première concerne le fondement conceptuel du cadre analytique intégral de ma collègue. Selon la juge Charron, le choix du ministère public de poursuivre une infraction mixte par voie de procédure sommaire, « même s’il dicte la façon dont l’accusation sera traitée lorsqu’elle sera portée, ne change aucunement la nature sous-jacente de l’infraction, qui reste un acte criminel » (par. 74).

[49]      Avec égards, il m’est impossible de saisir dans quel sens la « nature sous-jacente » d’une infraction mixte fait qu’elle reste un acte criminel une fois que le ministère public a choisi une poursuite par procédure sommaire. Le procès a lieu devant un tribunal différent et suit une procédure différente. Si le défendeur est reconnu coupable, il se verra infliger une peine différente. Un appel de la décision du juge du procès est porté devant une cour d’appel différente. Aux termes de diverses lois fédérales et provinciales, la déclaration de culpabilité d’une infraction mixte poursuivie par procédure sommaire entraîne, non seulement à l’égard de la peine mais à d’autres égards également, des conséquences différentes de celles qu’entraîne la déclaration de culpabilité par voie de mise en accusation. Voir, par exemple, la Loi sur le casier judiciaire, L.R.C. 1985, ch. C-47, art. 4; la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, art. 22; et la Loi sur les jurys de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. J.3, art. 4. Enfin, le législateur a prévu expressément, à l’al. 34(1)c) de la Loi d’interprétation, que « la personne déclarée coupable de l’infraction [mixte] par procédure sommaire n’est pas censée avoir été condamnée pour un acte criminel ».

[50]      Dans quel sens peut-on dire, alors, qu’une infraction mixte conserve la « nature sous-jacente » d’un acte criminel dès lors que le ministère public a choisi une poursuite par procédure sommaire? Je ne puis en discerner aucun. Au contraire, l’infraction mixte prend la « nature sous-jacente » d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et elle est à tous égards régie par les dispositions de la partie XXVII du Code criminel. Je suis d’avis qu’aucune raison logique ne permet de faire du par. 786(2) une exception à cette règle.

[Italique dans l’original, soulignement ajouté]

[78]        S’il est exact que dans un contexte législatif fédéral une infraction mixte peut conserver la nature sous-jacente d’un acte criminel à moins que le ministère public autorise une poursuite par procédure sommaire, ce n’est pas nécessairement le cas dans le contexte d’une législation provinciale portant sur les assurances. La législation provinciale qui réfère à une infraction criminelle dans un contexte d’assurance poursuit des impératifs législatifs autres qui permettent de conclure que les infractions mixtes n’y sont pas visées.

[79]        Or, la question d’interprétation du présent dossier porte justement sur « la nature sous-jacente » d’une violation de la loi qui autorise exceptionnellement un assureur à se libérer de ses obligations en prenant appui sur le texte d’une clause générale d’exclusion insérée dans la police d’assurance émise plutôt que sur une clause d’exclusion spécifique (précise et transparente) selon les enseignements de Picard et Besson avalisés par la Cour dans l’arrêt Madill[36].

[80]        A mon avis, la portée qu’il me faut donner à l’expression « acte criminel » utilisée à l’article 2402 C.c.Q. doit promouvoir la précision et la certitude des motifs d’exclusions des prestations d’assurance, fondés sur la nature sous-jacente d’un acte au moment où il est commis.

[81]        Cela est respectueux de l’intention du législateur québécois dans le contexte précis de l’environnement législatif dans lequel cet article se trouve (le contrat d’assurance où il a voulu rééquilibrer le rapport de force), en tenant compte des circonstances qui ont amené à son énonciation (protection de l’assuré à l’égard des exclusions inscrites au contrat d’assurance), de l’objet qu’il cherche à accomplir et des valeurs auxquelles il correspond (encadrer l’usage de la clause d’exclusion générale, en limiter la portée aux violations de la loi les plus graves, mais tout en reconnaissant à l’assureur le droit d’exclure spécifiquement et permettre au preneur ou à l’assuré, selon le cas, de connaître avec précision, dès le jour où il contracte avec l’assureur, dans quels cas il y aura perte du droit à la prestation à laquelle l’assureur s’engage).

[82]        Voilà donc ce qui me conduit à retenir que la violation de la loi dont il est question à l’article 2402 C.c.Q. et qui permet à un assureur de se libérer de son obligation d’indemniser par clause d’exclusion générale ne vise que les actes  nécessairement et exclusivement poursuivis par voie de mise en accusation, car seule cette interprétation fait en sorte que la violation résulte d’un comportement dont la nature sous-jacente peut être qualifiée comme un « acte criminel » et qui en constitue un nécessairement au moment où il est commis.

[83]        Je partage donc le point de vue exprimé par le professeur Bergeron et par Me Brien (reproduits au paragraphe [63] des présents motifs), tout en concédant que l’argument fondé sur la gravité des infractions présente effectivement une certaine faiblesse vu le constat du juge Antonio Lamer pour la Cour suprême voulant que :

[…] Contrairement à la séparation qui existait en common law entre les infractions majeures et les infractions mineures, la division qui existe actuellement dans notre droit entre les actes criminels et les autres catégories d'infractions ne reflète que très imparfaitement la gravité des infractions. […][37]

[84]        Bref, en retenant que la clause d’exclusion générale ne s’applique pas aux infractions hybrides, mais uniquement aux actes criminels purs, la juge de première instance n’a commis aucune erreur.

[85]        Cette conclusion scelle le sort de l’appel sans qu’il soit nécessaire d’élaborer quant à la preuve administrée.

[86]        Avant de conclure, je me permets toutefois de brefs commentaires au sujet du contrat d’assurance et du droit d’un assureur d’y prévoir diverses exclusions spécifiques.

[87]        En l’espèce, l’exclusion générale énoncée à la clause 14(1)f) de la police ne s’applique pas et le contrat d’assurance ne comporte pas de clause d’exclusion spécifique relative à une conduite dangereuse (art. 249 C.cr.) ou à une fuite des autorités (art. 249.1 C.cr.).

[88]        Conclure que l’exclusion générale ne s’applique pas ne veut pas dire que Desjardins ne peut écarter le paiement de toute prestation en cas de conduite dangereuse ou de fuite de l’autorité policière, mais simplement qu’elle doit le faire par exclusion explicite et comme elle l’a d’ailleurs fait pour la conduite alors que les facultés du conducteur sont affaiblies en prévoyant à l’article 14(1)i) ce qui suit :

14. EXCLUSIONS ET LIMITES

1)   Le contrat ne donne droit à aucune prestation dans les cas suivants :

[…]

i)    si l’accident survient lorsque l’assuré a fait une consommation abusive de médicaments ou d’alcool ou a consommé des stupéfiants. La consommation abusive de médicaments est celle qui dépasse la posologie recommandée par un spécialiste de la santé. La consommation abusive d’alcool est celle qui entraine un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 80 mg d’alcool par 100 ml de sang.

[Caractères gras et italique dans l’original]

[89]        Comme l’écrit le juge Binnie, au nom de la Cour suprême, dans Co-operators Compagnie d’assurance-vie c. Gibbens :

[20]      Les tribunaux ont élaboré des principes généraux d’interprétation procédant du souci de protéger les consommateurs du déséquilibre des pouvoirs que présentent souvent les rapports assureur-assuré tout en faisant en sorte qu’ils n’obtiennent pas de garanties supérieures à celles dont ils sont disposés à payer le prix. […][38]

[90]        En matière d’interprétation de contrat d’assurance, les clauses qui décrivent l’étendue de la garantie offerte sont interprétées largement, alors que les clauses d’exclusion ou de limitation, qui relèvent de l’exception, le sont strictement[39], mais cela n’empêche pas un assureur de circonscrire la protection d’assurance offerte, en toute transparence, par l’insertion de clauses d’exclusion claires, précises et explicites au contrat proposé et selon les enseignements de la juge en chef McLachlin dans Martin c. American International Assurance Life Co. :

[29]      […] l’application de la garantie prévue par une police d’assurance en cas de décès accidentel dépend non seulement des circonstances, mais encore de ce que prévoit le contrat d’assurance. Comme c’est lui qui rédige le contrat d’assurance, l’assureur peut toujours restreindre l’application de la garantie au moyen de clauses d’exclusion explicites. S’il ne veut pas que la garantie s’applique au décès qui survient dans certaines circonstances — ou, du reste, au décès qui résulte d’un acte délibéré ou volontaire —, il lui suffit d’inclure dans le contrat une clause explicite en ce sens. L’assureur est libre de limiter, comme bon lui semble, la garantie applicable en cas de décès accidentel, pourvu qu’il le fasse clairement, explicitement et sans laisser injustement l’assuré dans l’incertitude ou l’ignorance quant à la portée de la garantie.[40]

[Soulignement ajouté]

[91]        En l’absence de toute exclusion applicable, Desjardins doit payer aux intimés la prestation prévue au contrat à la suite du décès de l’assuré.

[92]        Je propose donc le rejet de l’appel.

 

 

 

 

MARIE ST-PIERRE, J.C.A.

 



[1]     Émond c. Desjardins Sécurité financière, J.E. 2014-786 (C.Q.), 2014 QCCQ 2565.

[2]     Conduite dangereuse (art. 249 (1) C.cr.) et délit de fuite (art. 249.1 C.cr.).

[3]     Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21.

[4]     J.E. 2011-181 (C.A.), [2011] R.J.Q. 49 (C.A.), 2011 QCCA 80.

[5]     J.E. 2011-181 (C.A.), [2011] R.J.Q. 49 (C.A.), 2011 QCCA 80.

[6]     J.E. 2011-181 (C.A.), [2011] R.J.Q. 49 (C.A.), 2011 QCCA 80.

[7]     L.C. 1996, c. 19.

[8]     Ce que constate la juge Nicole Duval Hesler, dissidente, au paragraphe 57 de l’arrêt.

[9]     SOQUIJ AZ-88025038, 1988-04-05 (C.S.), [1988] R.R.A. 391, p. 394-395 (C.S.).

[10]    Il s’agissait de l’article 233 (4) C.cr. à ce moment-là.

[11]    Lavoie-Duquette c. Compagnie d’assurance-vie Transamerica du Canada, J.E. 91-145, p. 7-9 (C.S.), [1991] R.R.A. 123, (C.S.).

[12]    SOQUIJ AZ-88011362, 1988-02-17 (C.A,), 1988 R.R.A. 421 (C.A.).

[13]    J.E. 95-1889 (C.S.), [1995] R.R.A. 946, p. 4-5 (C.S.).

[14]    Frappier c. Bélair, compagnie d’assurances, J.E. 95-1238 (C.Q.), [1995] R.J.Q. 1930, 1936 (C.Q.).

[15]    Rivard (Succession de) c. Banque Nationale du Canada, J.E. 99-1962 p. 2 (C.A.), [1999] R.R.A. 838 (rés.).

[16]    Axa Assurances inc. c. Martin, J.E. 2003-1546 (C.S.), [2003] R.R.A. 974 (C.S.).

[17]    J.E. 2010-1730 (C.S.), 2010 QCCS 4170, paragr. 99-100, conf. par J.E. 2013-177 (C.A.), 2013 QCCA 64, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 23 mai 2013, 35275.

[18]    Place Biermans inc. c. C.D., J.E. 2013-177 (C.A), 2013 QCCA 64. Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée (C.S. Can., 2013-05-23) 35275.

[19]    Boucher c. Desjardins Sécurité financière, compagnie d’assurance-vie, J.E. 2012-641 (C.Q), 2012 QCCQ 1500.

[20]    Jean-Guy Bergeron, Les contrats d’assurance, t. 1, Sherbrooke, Éditions SEM Inc., 1989, aux pages 247 à 249.

[21]    Jean-Guy Bergeron, Précis de droit des assurances, Les éditions Revue de droit Université de Sherbrooke, 1996, aux pages 42 à 45.

[22]    Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, Les éditions Thémis, 4e édition, 2005, p. 202-203 et Précis des assurances terrestres, Les éditions Thémis, 5e édition, 2009, p. 219-220.

[23]    Odette Jobin-Laberge et Luc Plamondon, La réforme du Code civil, Obligations, contrats nommés, Les assurances et les rentes, Textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, Tome 2, Les Presses de l’Université Laval, 1993, p. 1113.

[24]    Louis P. Brien, « Les clauses d’exclusion en matière d’acte criminel en assurance de dommages : tendances et perspectives », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, vol. 337, Développements récents en droit des assurances (2011), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 1, à la page 10; La Référence, EYB2011DEV1778.

[25]    François-Xavier Simard Jr. et Gabrielle De K. Marceau, Le droit des assurances terrestres depuis 1976 (articles 2468 à 2605 C.C.B.-C.), Wilson et Lafleur, 1988, p. 42

[26]    François-Xavier Simard Jr. et Gabrielle De K. Marceau, Le droit des assurances terrestres depuis 1976 (articles 2468 à 2605 C.C.B.-C.), Wilson et Lafleur, 1988, p. 91.

[27]    Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, Les éditions Thémis, 4e édition, 2005, p. 14 et 15 et Précis des assurances terrestres, Les éditions Thémis, 5e édition, 2009, p. 15-16.

[28]    François-Xavier Simard Jr. et Gabrielle De K. Marceau, Le droit des assurances terrestres depuis 1976 (articles 2468 à 2605 C.C.B.-C.), Wilson et Lafleur, 1988, p. 91.

[29]    Rémi Moreau, « Le projet de réforme du Code civil et l’assurance : critique de certaines dispositions », (1991-92) 59 Assurances 211.

[30]    Jean Dalpe, « La pratique de la nouvelle loi des assurances : quelques difficultés d’interprétation », (1977) 45 Assurances 136, 139.

[31]    Québec, Ministère de la Justice, Commentaires du ministre de la Justice : le Code civil du Québec, tome II, Québec, Publications du Québec, 1993, p. 1510.

[32]    Paul-André Côté avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Les Éditions Thémis, 2009, nos 1959, 1960 et 1961, p. 627-628.

[33]    À ce propos, voir notamment : Guy Cournoyer, Table des infractions en vertu du Code criminel et en matière de drogues, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2015.

[34]    R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570, paragr. 13.

[35]    R. c. Dudley, 2009 CSC 58, [2009] 3 R.C.S. 570.

[36]    Madill c. Lacoste (Sucession de), SOQUIJ AZ-88011362, 1988-02-17 (C.A.),1988 R.R.A. 421 (C.A.).

[37]    R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802, 819.

[38]    2009 CSC 59, [2009] 3 R.C.S. 605.

[39]    Progressive Homes Ltd. c. Cie canadienne d’assurances générales Lombard, 2010 CSC 33, [2010] 2 R.C.S. 245, paragr. 24; Derksen c. 539938 Ontario Ltd., 2001 CSC 72, [2001] 3 R.C.S. 398, paragr. 49; Desjardins Assurances générales inc. c. Promutuel Lac Saint-Pierre — Les Forges, société mutuelle d'assurances générales, J.E. 2014-1844 (C.A.), 2014 QCCA 1878, paragr. 10; Souscripteurs du Lloyd’s c. Alimentation Denis & Mario Guillemette inc., J.E. 2012-1560 (C.A.), 2012 QCCA 1376, paragr. 38, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 4 avril 2013, 35011; Meale c. Zurich, compagnie d'assurances, J.E. 98-892 (C.A.), [1998] R.R.A. 375.

[40]    2003 CSC 16, [2003] 1 R.C.S. 158.

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