Décision

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COUR SUPÉRIEURE

JM1796

 
COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTREAL

«Chambre commerciale»

Nos° :

500-05-074434-026

 

500-11-019389-028

 

DATE :

 LE 31 OCTOBRE 2003

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

DANIÈLE MAYRAND J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

500-05-074434-026

 

GERARD PARIS

           Demandeur -- Requérant

c.

 

KOM INTERNATIONAL INC.

JIM MACRAE

ALLAN KOHL

ALAN M. TALIAFERRO

           Défendeurs -- Intimés

et

 

KAUFMAN LARAMÉE

           Procureurs -- Intimés

 

500-11-019389-028

 

GERARD PARIS, SOCIÉTÉ FINANCIÈRE INVESPAR INC.

           Demandeurs -- Requérants

c.

 

JIM MACRAE

ALAN KOHL

ALAN M. TALIAFERRO

           Défendeurs -- Intimés

 

et

 

KOM INTERNATIONAL INC.

ERNST & YOUNG

L’INSPECTEUR GÉNÉRAL DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES

           Mis en cause

et

 

KAUFMAN LARAMÉE

           Procureurs -- Intimés

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT PRONONCÉ SÉANCE TENANTE

LE 17 OCTOBRE 2003

______________________________________________________________________

 

[1]                Le Tribunal est saisi, dans deux dossiers différents, de deux requêtes en déclaration d’inhabileté du cabinet Kaufman Laramée qui représente tous les défendeurs. Ces requêtes sont formulées par les demandeurs Gérard Paris (Paris) et Société financière Invespar Inc. (Invespar). Ces deux requêtes, bien que les dossiers n’aient pas été réunis, ont fait l’objet d’une preuve commune et seront traitées ensemble dans le présent jugement.

[2]                Kom International Inc. (Kom) a été incorporée en 1976. Ses actionnaires sont les compagnies de gestion 2759-6089 Québec, Alias Holdings Ltd et Invespar qui appartiennent respectivement à Jim MacRae, Allan Kohl et Paris. Invespar détient 331/3 % des actions émises de Kom. Les défendeurs Macrae, Kohl et Taliaferro sont tous trois administrateurs de Kom.

[3]                Le 5 octobre 1999, Paris, qui a été un cadre chez Kom pendant 34 ans, a été avisé par les défendeurs que son emploi se terminait le 26 mars 2000.

[4]                Me Barry Mintz, maintenant avocat chez Kaufman Laramée, a agi comme avocat corporatif de Kom, de Invespar et des sociétés de gestion des défendeurs, faisant la tenue de livres pour leur compte.

[5]                En 1990, Me Mintz a préparé une convention pour les actionnaires et les administrateurs et officiers de Kom prévoyant les modalités applicables en cas du départ de l’un d’entre eux. Cette convention a été amendée en 1995 (la Convention) pour refléter les changements requis par la venue de nouvelles personnes chez Kom.

[6]                C’est Me Mintz qui a conseillé les défendeurs et qui a préparé la lettre de congédiement de Paris.

[7]                Après son départ effectif au mois de mars 2000, Paris a retenu les services de Phillips, Friedman et Kotler (PFK) qui ont immédiatement demandé à Me Mintz de cesser de représenter les défendeurs. Des négociations entre PFK pour le compte des demandeurs et Me Mintz pour les défendeurs auront lieu pendant presque un an et demie pour tenter de régler le différend entre les parties; sans succès manifestement en raison des nombreuses procédures qui suivent.

[8]                À l’automne 2001, Kom, représentée par Kaufman Laramée intente une action en passation de titres pour les actions détenues par Invespar. Celle-ci, représentée par PFK, obtient le renvoi de cette procédure à l’arbitrage en application de la Convention. Le dossier d’arbitrage a été suspendu, suite aux procédures intentées en Cour Supérieure.

[9]                Le 4 octobre 2002, les demandeurs, représentés par leurs nouveaux procureurs Paquette Gadler, intentent simultanément des procédures d’arbitrage et l’action en dommages-intérêts pour congédiement illégal et abusif (le recours civil). Le 28 octobre 2002, ils signifient en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LSCA)[1] (le recours commercial).

[10]            Dans le recours commercial, Paris et Invespar demandent que des ordonnances provisoires, de sauvegarde, interlocutoire et définitive soient rendues en vertu des articles 167, 241 et ss. de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA).

[11]            Suite à un consentement intervenu entre les parties et à l’émission d’une ordonnance de sauvegarde, Invespar a été ré-instaurée à titre d’actionnaire de Kom et inscrite dans les registres auprès de l’Inspecteur général des institutions financières.

[12]            Ne reste en litige qu’une seule question : la vérification des états financiers de Kom, à laquelle s’opposent les défendeurs, et le choix des vérificateurs, le cas échéant.

[13]            Dans le recours civil, Paris poursuit suite à son congédiement illégal et abusif. Il réclame des dommages et intérêts de plus de 1 100 000 $ de Kom et des défendeurs.

[14]            Kaufman Laramée a comparu dans les deux recours pour tous les défendeurs.

[15]            Le 17 décembre 2002, dans les deux dossiers, Kaufman Laramée demandaient le renvoi des deux dossiers à l’arbitrage, invoquant la Convention pour ce faire.


PRÉTENTIONS DES PARTIES

[16]            Selon Paris et Invespar, Kaufman Laramée sont inhabiles à agir pour les défendeurs parce que cette étude ne peut agir contre ses anciens clients relativement à un mandat connexe aux présents litiges.

[17]            Dans le cadre de l’exécution de la Convention, toutes les parties étaient représentées par Kaufman Laramée et aucune n’avait retenu les services d’un procureur indépendant, s’estimant adéquatement représentées par Kaufman Laramée.

[18]            Ils soulèvent également les conflits d’intérêts potentiels de Kaufman Laramée dans le recours commercial, s’ils représentent à la fois Kom et les administrateurs qui s’opposent à la vérification de ses états financiers.

[19]            Kaufman Laramée invoquent le droit à la représentation par l’avocat au choix du client et ils soutiennent que Kaufman Laramée n’a reçu aucune information confidentielle des demandeurs qui n’auraient pas été de toute façon communiquée et connue des défendeurs.

[20]            Ils ajoutent que les demandeurs ont renoncé, par leur comportement et le laps de temps écoulé, à soulever l’inhabileté de Kaufman Laramée pour représenter les défendeurs. Subsidiairement, ils demandent de pouvoir continuer à représenter les administrateurs et que Kom soit représentée par un autre procureur.

LES NORMES DE DÉONTOLOGIE[2] ET LE C.C.Q.

3.06.06 L’avocat doit éviter toute situation où il serait en conflit d’intérêts. Dans l’appréciation de toute situation pouvant donner naissance à un conflit d’intérêts, l’avocat peut consulter un conseil nommé à cette fin par le Barreau.

3.06.07 L’avocat est en conflit d’intérêts lorsque, notamment :

1.      il représente des intérêts opposés ;

2.      il représente des intérêts de nature telle qu’il peut être porté à préférer certains d’entre eux ou que son jugement et sa loyauté peuvent en être défavorablement affectés ;

3.      il agit à titre d’avocat d’un syndic ou d’un liquidateur, sauf à titre d’avocat du liquidateur nommé en vertu de la Loi sur la liquidation des compagnies (L.R.Q., c. L-4), et représente le débiteur, la compagnie ou la société en liquidation, un créancier garanti ou un créancier dont la réclamation est contestée ou a représenté une de ces personnes dans les deux années précédentes, à moins qu’il ne dénonce par écrit aux créanciers ou aux inspecteurs tout mandat antérieur reçu du débiteur, de la compagnie ou de la société ou de leurs créanciers pendant cette période.

3.06.08décider de toute question relative à un conflit d’intérêts, il faut considérer l’intérêt supérieur de la justice, le consentement exprès ou implicite des parties, l’étendue du préjudice pour chacune des parties, le laps de temps écoulé depuis la naissance de la situation pouvant constituer ce conflit, ainsi que la bonne foi des parties.

L’article 2143 C.c.q. : Un mandataire qui accepte de représenter, pour un même acte, des parties dont les intérêts sont en conflit ou susceptibles de l’être, doit en informer chacun des mandants, à moins que l’usage ou leur connaissance respective du double mandat ne l’en dispense, et il doit agir envers chacun d’eux avec impartialité. Le mandant qui n’était pas en mesure de connaître le double mandat peut, s’il en subit un préjudice, demander la nullité de l’acte du mandataire.

ANALYSE

le délai

Kaufman Laramée plaide que les demandeurs ont renoncé à soulever leur inhabileté pour agir pour les défendeurs puisqu’ils ont représenté les défendeurs lors des négociations qui ont duré pendant plus d’un an et demie sans qu’ils ne s’en plaignent et alors qu’ils étaient eux-mêmes représentés par une autre étude. Enfin, leurs requêtes n’ont été signifiées qu’en janvier 2003.

[21]            Pendant cette période, tant dans les procédures que dans les échanges, Paris et Invespar ont toujours fait valoir qu’ils réservaient leurs droits de soulever l’inhabileté de Kaufman Laramée. Les négociations, qui se sont poursuivies de bonne foi entre les parties, ne constituent pas pour les demandeurs une renonciation à leurs droits de soulever l’inhabileté de Kaufman Laramée dans le cadre de procédures judiciaires.

[22]            Les procédures introductives d’instances ont été signifiées en octobre 2002 alors que les requêtes en inhabileté l’ont été en janvier 2003, suite à l’interrogatoire de l’un des administrateurs de Kom, MacRae, qui a précisé la portée et l’étendue du mandat de Me Mintz lors de l’exécution de la Convention de 1995. McRae était le principal interlocuteur des associés, des actionnaires et des administrateurs de Kom auprès de Me Mintz.

[23]            L’inhabileté de Kaufman Laramée ne pouvait être soulevée avant qu’un débat judiciaire ne survienne, ce qui a été fait trois mois et demie après l’institution des procédures. Pendant toute cette période, les demandeurs ont toujours réservé leurs droits de soulever l’inhabileté de Kaufman Laramée. Les demandeurs n’ont pas, ni par leur comportement ni par le laps de temps écoulé, renoncé à invoquer l’inhabileté de Kaufman Laramée.


le conflit d’intérêts et l’obligation de loyauté

[24]            Quant au recours civil, Me Mintz a agi comme conseiller juridique de l’ensemble des parties impliquées alors qu’il agissait comme l’avocat corporatif de Kom. Paris et Invespar sont d’anciens clients de Me Mintz qu’ils ont cotoyé pendant treize ans via Kom. Même si l’interlocuteur principal de Mintz était McRae, il n’en demeure pas moins que Me Mintz représentait tous les actionnaires et les administrateurs de Kom sur une base égale.

[25]            Son étude légale représente maintenant les défendeurs dans les circonstances exposées dans les procédures.

[26]            En ce cas-ci, peu importe que des renseignements de nature confidentielle aient ou non été transmis par les demandeurs à Me Mintz; l’obligation de loyauté de l’avocat l’empêche d’agir contre ses anciens clients pour le compte des défendeurs. La Convention qu’il a préparée sera débattue et interprétée dans les différents litiges qui opposent les parties notamment sur la demande de renvoi à l’arbitrage formulée par les défendeurs. La jurisprudence est constante dans de telles circonstances : l’avocat qui a conseillé les parties, sur une convention visée par le litige, ne peut par la suite agir pour l’intérêt d’une partie contre l’autre[3]. Cette interdiction vaut également pour les associés de cet avocat.

[27]            Dans le recours commercial, il existe un conflit d’intérêt potentiel pour Kaufman Laramée de représenter à la fois les actionnaires, les administrateurs et Kom[4].

[28]            L’avocat de Kom ne peut représenter les administrateurs qui sont les personnes qui contrôlent les actionnaires majoritaires de Kom, puisque les intérêts de la société sont susceptibles d’être divergents de ceux-ci. Les intérêts de Kom d’obtenir une vérification de ses états financiers ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des administrateurs qui la représentent.

[29]            Le devoir de loyauté de l’avocat subsiste et perdure dans le temps parce qu’il est essentiel à l’intégrité de l’administration de la justice et qu’il est primordial pour préserver la confiance du public dans cette intégrité.

[30]            Les principes supérieurs de justice auxquels font référence le Code de déontologie et la jurisprudence exigent que le cabinet Kaufman Laramée ne participe aucunement aux litiges qui opposent les parties. Un citoyen convenablement informé y verrait sans aucun doute une situation inexplicable.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie les deux requêtes ;

DÉCLARE le cabinet Kaufman Laramée inhabiles à agir pour les défendeurs Allan Kohl, Jim McRae, Alan M. Taliaferro et Kom International Inc. ;

ORDONNE que les défendeurs Allan Kohl, Jim McRae et Alan M. Taliaferro soient représentés par un procureur différent de ceux de Kom International Inc.;

ORDONNE que les procureurs devant agir pour Kom International Inc. soient choisis par entente entre les défendeurs et les demandeurs dans les dix jours du jugement à intervenir ;

AUTORISE à défaut d’entente toute partie à s’adresser à la Cour pour qu’un tel procureur puisse être nommé ;

 

 

 

__________________________________

Danièle Mayrand, J.C.S.

 

 

 

Date d’audience :

Le 17 octobre 2003

 

Domaine du droit :  Commercial

 

Me Chantal Perreault et Me Guy Paquette

paquette gadler

Procureurs du demandeur

 

Me Robert Crépin

kaufman laramée

Procureur des intimés

 



[1] L.R.C. (1985) CH.C.-44

[2] Code de déontologie des avocats, R.R.Q., 1981, c. B-1, r.1

[3] 118017 Canada Inc. c. Développement la Bourgade Lac Supérieur Inc. A2-00026302 (26/04/2000). (CS) Latour c. Lombardi et Antonio DiMichele, 1994, R.L., p. 459 ; Toronto Dominion Bank c. Glazer 96-833.

[4]  Investissement Jaffel Inc. c. 3069362 Canada Inc. et al. J.E. 96-1536 (C,S.) ;

Leb c. Weiner J.E. 91-617 .

AVIS :
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