JB 3984

 

 

 

Charbonneau Daneau c. Bell Canada

2019 QCCS 825

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre des actions collectives)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-06-000572-111

 

 

DATE :

4 AVRIL 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

HUGUETTE CHARBONNEAU DANEAU

Demanderesse

c.

BELL CANADA

et

BELL EXPRESSVU SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

Défenderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, ès qualité

de représentant légal du BUREAU DE LA CONCURRENCE

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFICATIF

 

______________________________________________________________________

 

[1]           CONSIDÉRANT le jugement du Tribunal du 7 mars 2019;

[2]           CONSIDÉRANT la demande de rectification de ce jugement;

[3]           CONSIDÉRANT que, par suite d’une inadvertance, ce jugement accorde plus qu’il n’était demandé;

[4]           CONSIDÉRANT l’article 338 C.p.c.;

[5]           CONSIDÉRANT que la demande de rectification du jugement est bien fondée;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[6]           ACCUEILLE la demande de rectification;

[7]           RECTIFIE le jugement rendu le 7 mars 2019 en retirant la première conclusion qui apparaît, soit :

REJETTE la demande pour ordonner à un tiers de donner communication de documents et d’éléments de preuve (cote #73);

[8]           SANS FRAIS DE JUSTICE.

 

                                                                                      ________________________

 

 

GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s.

 


Charbonneau Daneau c. Bell Canada

2019 QCCS 825

COUR SUPÉRIEURE

(Chambre des actions collectives)

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

N° :

500-06-000572-111

 

 

DATE :

7 MARS 2019

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

GUYLÈNE BEAUGÉ, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

HUGUETTE CHARBONNEAU DANEAU

Demanderesse

c.

BELL CANADA

et

BELL EXPRESSVU SOCIÉTÉ EN COMMANDITE

Défenderesses

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, ès qualité

de représentant légal du BUREAU DE LA CONCURRENCE

Mis en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

sur des demandes de la demanderesse

en communication de documents et d’éléments de preuve

______________________________________________________________________

 

1.            CONTEXTE

[1]           Le présent dossier oppose les parties depuis près de huit ans, et il est à souhaiter qu’il soit finalement mis en état comme convenu le 30 juin 2019.

[2]           Pour mémoire, le 9 juin 2014[1], le Tribunal autorise l’exercice d’une action collective consistant en une réclamation en dommages-intérêts et dommages exemplaires, et attribue à la demanderesse le statut de représentante. Puis, le 25 novembre 2015[2], la demande en modification et en scission de groupe des défenderesses est accueillie, de sorte que la demande introductive d’instance modifiée, notifiée le 24 mars 2016, vise désormais les deux sous-groupes suivants :

Toute personne physique au Canada qui s’est abonnée aux services de téléphonie filaire, aux services Internet et/ou aux services de télévision (les « Services ») de Bell Canada et/ou de Bell ExpressVu société en commandite à la suite d’une visite porte-à-porte entre le 1er décembre 2007 et le 29 juin 2011 inclusivement, et qui s’est vue facturer à des tarifs supérieurs à ceux qui lui avaient été indiqués pour les Services (visite porte-à-porte) ;

et

Toute personne physique au Canada qui s’est abonnée aux services de téléphonie filaire, aux services Internet et/ou aux services de télévision (les « Services ») de Bell Canada et/ou de Bell ExpressVu société en commandite sur la base d’une publicité entre le 1er décembre 2007 et le 29 juin 2011 inclusivement, et qui s’est vue facturer des frais obligatoires supplémentaires comme des frais Touch-Tone, de location de modem Internet, MSN Premium Service, d’accès au réseau, de service numérique, de location de récepteur HD pour la Télé Fibe RVP et/ou de connexion de réseau interurbain (publicité).

[3]           Rappelons que cette action collective fait suite à une entente intervenue, le 21 juin 2011, entre le Bureau de la concurrence mis en cause (ci-après, le « BUREAU ») et les défenderesses, entente en vertu de laquelle celles-ci consentent au paiement d’une sanction administrative pécuniaire de 10 millions $.

[4]           La demanderesse demande simultanément aux défenderesses[3] et au Bureau[4] la communication de tous les documents et éléments de preuve, pertinents à l’objet de l’action collective, contenus au dossier d’enquête de ce dernier (ci-après, la « DEMANDE DE COMMUNICATION ». Il s’agit de :

1) Tous les documents envoyés et/ou reçus du Commissaire de la concurrence et/ou [des Défenderesses] ou autrement liés au consentement en vertu de l’article 74.12 de la Loi sur la concurrence, et dans le cas d’une enquête commencée en vertu du sous-alinéa 10 (1) b) (ii) de la Loi sur la concurrence concernant certaines pratiques commerciales trompeuses des défenderesses en vertu de l’alinéa 74.01 (1) a) de la Loi sur la concurrence (« l’Enquête ») quant aux services de téléphonie résidentielle, de télévision et d’internet ;

2) Tous les documents envoyés à, reçus ou liés à l’Enquête, y compris, sans s’y limiter, toutes correspondances et/ou documents relatifs à des réunions avec le Bureau de la concurrence concernant des allégations selon lesquelles [les Défenderesses] se sont livrées à des pratiques commerciales trompeuses concernant les prix offerts pour leurs services liés au téléphone résidentiel, à la télévision et à internet.[5]

[5]           La Demande de communication précise que la preuve pertinente recherchée comprend, non limitativement, les éléments suivants :

i) toutes transcriptions écrites ou vidéos de tous interrogatoires effectués par le Bureau de la concurrence du Canada et/ou I'un de vos représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à I’action collective dans le présent dossier judiciaire;

ii) toutes déclarations statutaires et/ou énoncés de fait recueillis par le Bureau de la concurrence du Canada et/ou l’un de ses représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à I'action collective dans le présent dossier judiciaire;

iii) toutes observations de terrains et/ou tous rapports d’enquête effectués par le Bureau de la concurrence du Canada et/ou I'un de ses représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à I'action collective dans le présent dossier judiciaire;

iv) tous documents saisis, incluant les documents informatiques et les documents papier, par le Bureau de la concurrence et/ou I'un de ses représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à I'action collective dans le présent dossier judiciaire;

v) tous précis de la preuve préparés par le Bureau de la concurrence du Canada et/ou I'un de ses mandataires, représentants ou enquêteurs pertinents à I'action collective dans le présent dossier judiciaire;

vi) tous documents publics recueillis par le Bureau de la concurrence et/ou l’un de ses représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à l’action collective dans le présent dossier judiciaire; et

vii) tous autres documents ou éléments de preuve obtenus ou préparés par le Bureau de la concurrence du Canada et/ou I'un de ses représentants, mandataires ou enquêteurs pertinents à I'action collective dans le présent dossier judiciaire (collectivement les « Documents visés »)[6].

2.            QUESTION EN LITIGE

[6]           La Demande de communication est-elle bien fondée ?

3.            POSITION DES PARTIES

[7]           Pour l’essentiel, invoquant les arrêts Jacques[7] de la Cour suprême et Thouin[8] de la Cour d’appel, la demanderesse fait valoir que sa demande favorise une saine administration de la justice en ce qu’elle permet la recherche de la vérité, l’obtention, la révision et le traitement adéquat de la preuve en vue du procès, l’abrégement des interrogatoires des représentants et enquêteurs du Bureau, ainsi que l’accélération du processus judiciaire. Elle ajoute qu’une grande part des informations recherchées lui est inconnue, mais s’avère pertinente et essentielle pour la solution du litige. Enfin, elle soutient qu’un déséquilibre entre elle et les défenderesses résulterait de la privation de cette preuve connue de ces dernières.

[8]           Les défenderesses opposent que le dossier d’enquête est protégé par les privilèges génériques relatifs au règlement, au litige, et avocat-client. De façon subsidiaire, elles plaident que les informations recherchées sont non pertinentes, constituent une partie de pêche, et ne serviront qu’à encombrer le débat sur ses pratiques publicitaires.

[9]           Pour sa part, le Bureau objecte le privilège relatif au règlement.

4.            ANALYSE

[10]         Le Tribunal accepte la proposition voulant que « les parties doivent être sur le même pied devant le tribunal civil [et qu’] empêcher une partie civile d’obtenir une preuve éminemment pertinente, alors que toutes les autres parties l’ont en main, crée un déséquilibre évident »[9]. Il en va de l’équité procédurale[10]. Toutefois en l’espèce, la question ne consiste pas à savoir si les documents recherchés constituent une preuve pertinente, mais plutôt s’il existe des obstacles légaux à leur communication, à savoir les privilèges génériques qu’on leur oppose. 

[11]        Dans l’arrêt Administration de l’aéroport de Vancouver[11], la Cour d’appel fédérale expose la nature des privilèges génériques, leur finalité, ainsi que leur application distincte du privilège d’intérêt public. Ainsi, elle rappelle qu’un privilège générique s’avère plus rigide qu’un privilège d’intérêt public, lequel s’adapte aux circonstances et s’applique au cas par cas[12]. Elle ajoute que jusqu’à présent, seuls quatre privilèges génériques ont été reconnus : le secret professionnel de l’avocat, le privilège relatif au litige, le privilège de l’indicateur de police et le privilège relatif au règlement[13]. Et en présence d’une demande de divulgation de documents produits au Commissaire de la concurrence par des tiers dans le cadre de son enquête, elle rejette l’existence d’un privilège générique pour conclure plutôt à la présence d’un privilège d’intérêt public requérant un examen au cas par cas, ou document par document.

[12]        La demanderesse se réclame de cet arrêt pour justifier sa position. Néanmoins, nuançant son propos, elle assure ne pas demander la divulgation de documents protégés par des privilèges génériques. Elle a raison de concéder ce point, car sauf exception, et à moins de renonciation à un privilège générique, la preuve ne peut être divulguée[14].

4.1  Le privilège relatif au règlement

[13]        Le privilège relatif au règlement est fondamental : il protège les communications échangées par des parties dans le cadre de pourparlers visant la conclusion d’une entente. Applicable en droit québécois, cette protection de common law reconnue unanimement par la jurisprudence et la doctrine, favorise les discussions franches entre les parties, les compromis, ainsi que la résolution extrajudiciaire des litiges.

[14]        La protection du privilège relatif au règlement requiert la satisfaction de trois conditions : la présence d’un litige réel ou éventuel, l’existence d’une communication écrite ou verbale transmise dans le but de trouver une solution à un différend, et l’intention implicite ou expresse des parties que cette communication ne soit pas divulguée à la cour en cas d’échec des négociations. Ce privilège s’applique même après la conclusion d’une entente[15], et est opposable aux tiers[16].

[15]        En l’espèce, la demanderesse souhaite accéder aux documents et éléments de preuve contenus au dossier d’enquête du Bureau et « lié [s] au Consentement » exécuté par les défenderesses le 21 juin 2011. Or, il appert des lettres caviardées des procureurs des défenderesses datées d’avril et mai 2011[17], que celles-ci ont volontairement divulgué des informations dans le cadre de l’enquête du Bureau dans le but de trouver une solution à un différend. L’intention des parties de garder ces communications confidentielles ressort également de ces lettres ainsi que des Bulletins d’information du Bureau sur la communication de renseignements confidentiels[18].

[16]        Dans les circonstances, le privilège relatif au règlement s’applique incontestablement.

4.2  Le privilège relatif au litige

[17]        Le privilège relatif au litige couvre les documents et communications préparés principalement en vue d’un litige[19]. Cette protection subsiste lorsque le litige qui y a donné lieu prend fin, mais qu’un litige connexe demeure en instance ou peut être raisonnablement appréhendé. Il en va également des actes de procédure qui soulèvent des questions communes avec l’action initiale et qui partagent son objet fondamental[20].

[18]        Le Tribunal n’hésite pas à conclure que les conditions d’application du privilège relatif au litige sont réunies. Les documents visés par la demande s’inscrivent dans la préparation du litige qui opposait les défenderesses au Bureau. Or, même si ce litige s’est soldé par une entente, le privilège protège toujours l’échange de communications, car l’action collective présente le même fondement et revendique un lien avec l’enquête du Bureau.  

4.3  Le privilège avocat-client

[19]        Le privilège avocat-client se passe de présentation. Qu’il suffise de rappeler que sa protection couvre les communications confidentielles client-avocat en vue d’obtenir un conseil juridique[21]. Il s’agit d’une règle de droit fondamentale et substantielle[22] qui doit demeurer aussi absolue que possible[23]

[20]        Il appert de la correspondance des avocats d’alors des défenderesses[24] qu’ils ont conseillé leurs clientes et ont été impliqués, en tout temps pertinent, dans les communications avec le Bureau. En l’absence de renonciation des défenderesses, le secret professionnel de l’avocat doit prévaloir.

[21]        Ces motifs justifient le rejet de la Demande de communication, sans nécessité d’analyser les arguments subsidiaires des défenderesses.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[22]        REJETTE la demande pour ordonner à un tiers de donner communication de documents et d’éléments de preuve (cote # 73) ;

[23]        REJETTE l’avis de convocation pour communication de documents préalable à l’instruction (cote # 74) en ce qui a trait à ce qui suit :

1) Tous les documents envoyés et/ou reçus du Commissaire de la concurrence et/ou [des Défenderesses] ou autrement liés au consentement en vertu de l’article 74.12 de la Loi sur la concurrence, et dans le cas d’une enquête commencée en vertu du sous-alinéa 10 (1) b) (ii) de la Loi sur la concurrence concernant certaines pratiques commerciales trompeuses des défenderesses en vertu de l’alinéa 74.01 (1) a) de la Loi sur la concurrence (« l’Enquête ») quant aux services de téléphonie résidentielle, de télévision et d’internet ;

2) Tous les documents envoyés à, reçus ou liés à l’Enquête, y compris, sans s’y limiter, toutes correspondances et/ou documents relatifs à des réunions avec le Bureau de la concurrence concernant des allégations selon lesquelles [les Défenderesses] se sont livrées à des pratiques commerciales trompeuses concernant les prix offerts pour leurs services liés au téléphone résidentiel, à la télévision et à internet.

[24]        FRAIS DE JUSTICE à suivre.

                                                                                      ________________________

 

 

GUYLÈNE BEAUGÉ, j.c.s.

 

Me Guy Paquette

Me Aline Elofer

Paquette Gadler inc. 

Avocats de la demanderesse

 

Me Emmanuelle Poupart

Me Jean-Philippe Mathieu

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats des défenderesses

 

Me Marieve Sirois-Vaillancourt

Me Éloïse Eysseric

Ministère de la Justice du Canada

Avocates du mis en cause

 

 

Date d’audience : 28 janvier 2019

 

 

 

 

 



[1] 2014 QCCS 2667.

[2] 2015 QCCS 5585.

[3] Avis de convocation pour communication de documents préalable à l’instruction (cote # 74).

[4] Demande pour ordonner à un tiers de donner communication de documents et d’éléments de preuve (cote # 73).

[5] Avis de convocation daté du 23 février 2018, précité à la note 3.

[6] Demande datée du 23 février 2018, précitée à la note 4.

[7] Pétrolière Impériale c. Jacques, [2014] 3 R.C.S. 287.

[8] Canada (Procureure générale) c. Thouin, 2015 QCCA 2159.

[9] Jacques c. Pétroles Irving inc., 2012 QCCS 2954, par. 70.

[10] Administration de l’aéroport de Vancouver c. Commissaire de la concurrence, 2018 CAF 24.

[11] Précité à la note 10.

[12] R. c. National Post, [2010] 1 R.C.S. 477.

[13] Sable Offshore Energy inc. c. Ameron International Corp., [2013] 2 R.C.S 623.

[14] Idem, précité à la note 10.

[15] Union Carbide Canada inc. c. Bombardier Inc., [2014] 1 R.C.S 800.

[16] Sable Offshore Energy inc. c. Ameron International Corp., précité à la note 13. Voir également : Middelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board, 1992 CanLII 4039 (B.C.C.A.).

[17] Annexe 1 communiquée au soutien de l’opposition des défenderesses.

[18] Annexes 2 à 4 communiquées au soutien de l’opposition des défenderesses.

[19] Lizotte c. Aviva, Compagnie d’assurance du Canada, [2016] 2 R.C.S. 521.

[20] Blank c. Canada (Ministre de la Justice), [2006] 2 R.C.S. 319.

[21] Descôteaux et al c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860.

[22] R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S 445.

[23] Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336.

[24] Annexe 1 précitée, à la note 18.

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