Décision

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Fournier c. Air Canada

2016 QCCQ 1924

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-143437-145

 

 

 

DATE :

17 mars 2016

______________________________________________________________________

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE DAVID L. CAMERON, J.C.Q.

 

 

______________________________________________________________________

 

 

FRANCIS FOURNIER

[…]Montréal, Qc  […]

 

Demandeur

 

c.

 

AIR CANADA

7000, succursale Aéroport ZIP 1276

St-Laurent, Qc  H4Y 1J2

 

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]           Le demandeur, Francis Fournier, qui a voyagé avec Air Canada aller-retour en Guadeloupe à compter du 16 janvier 2014, poursuit Air Canada pour le remboursement du montant qu’il a payé pour les billets d’avion, 2 306.20 $.  Il allègue qu’il a dû payer deux fois pour les billets ayant payé lors de la réservation faite le 3 août 2013 au moyen de deux cartes-cadeaux Air Canada.

[2]           Le matin du vol, il a été avisé par les préposés d’Air Canada que le paiement des billets n’était pas valide et qu’il devait repayer.

[3]           Afin de conserver sa place et celles de sa famille sur le vol, il a dû payer la somme de 2 306,20 $ avec sa carte de crédit.  Il réclame donc le remboursement de ce montant.

[4]           Air Canada conteste le recours alléguant que le demandeur a acheté les cartes-cadeaux de façon non autorisée d’un tiers ayant proposé la vente sur des petites annonces sur internet.  Air Canada soutient que les conditions générales concernant les cartes-cadeaux dont le texte est accessible sur internet, prohibent la revente des cartes-cadeaux et prévoient dans le cas de revente illicite, la saisie et l’annulation sans dédommagement.

[5]           De plus, Air Canada allègue que les cartes-cadeaux ont été obtenues par fraude, nommément l’usage frauduleux d’une carte de crédit et qu’Air Canada a dû retourner le paiement à l’institution financière intermédiaire au crédit des détenteurs des cartes de crédit utilisées.  Les billets seront donc invalides, puisqu’Air Canada a déterminé que les billets ont été achetés dans le but de contourner les règles tarifaires applicables qui prévoient le respect par le passager de l’obligation de payer les tarifs applicables et des accords de crédit établis.

[6]           Monsieur Fournier répond qu’il a effectivement acheté les cartes-cadeaux d’un tiers, mais qu’en les utilisant, il a reçu la confirmation d’Air Canada que les cartes-cadeaux étaient valides et qu’en préparation pour son départ, il a obtenu des confirmations que les sièges étaient effectivement réservés et confirmés.

[7]           Sur la base de ces confirmations, il juge qu’Air Canada ne peut maintenant invoquer un défaut de paiement.

[8]           Il reste un solde de 1 700 $ sur l’une des cartes-cadeaux, mais il ne réclame que le montant qu’il a dû payer la deuxième fois à l’aéroport, renonçant à ce solde.

QUESTIONS EN LITIGE

[9]           Pour résoudre ce conflit, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

Air Canada était-elle en droit de considérer comme nul le paiement des billets d’avion acquis par le demandeur :

a)    en raison d’un usage frauduleux de la carte de crédit utilisée pour acheter les cartes-cadeaux;

b)    parce que monsieur Fournier a obtenu les cartes-cadeaux en les achetant dans une revente illicite.

LES FAITS

[10]        Le 3 août 2013, monsieur Fournier envisage de faire un voyage en compagnie de sa femme et leurs deux enfants.  Il voit une annonce sur un site web au nom de KIJIJI.  Des particuliers offrent deux cartes-cadeaux, une d’une valeur de 3 000 $ et l’autre pour une valeur de 1 000 $.  Ces cartes-cadeaux Air Canada sont offertes pour la moitié de leur valeur, c’est-à-dire un total de 2 000 $.

[11]        Monsieur Fournier prend rendez-vous avec les vendeurs et se rend chez eux dans le quartier de Saint-Michel à proximité de sa résidence à Rosemont.  Les gens lui disent qu’ils ont gagné ces cartes-cadeaux dans un tournoi et qu’ils veulent s’en départir pour utiliser l’argent pour autre chose. 

[12]        Monsieur Fournier achète les deux cartes-cadeaux en argent comptant vérifiant avant sur le site web d’Air Canada que les cartes sont en vigueur.  Il utilise un « nip » pour les valider et confirme que les montants sont crédités sur les deux cartes.

[13]        Une des cartes-cadeaux est en plastique et l’autre n’est que virtuelle, mais il y a une version papier imprimée.  On remarque sur l’endos de la carte qu’il y a un numéro de série et un numéro « nip » de quatre chiffres.

[14]        La face de la carte indique des logos d’Air Canada et le texte « gift Card carte- cadeau ».

[15]        À l’endos, il y a un texte juridique en anglais et en français écrit en caractères minuscules. 

[16]        Ayant payé 2 000 $ en argent comptant pour les cartes-cadeaux, il se rend chez lui et téléphone Air Canada afin de réserver les quatre billets sur Air Canada pour un vol en Guadeloupe avec un départ le 16 janvier 2014.  Il dit avoir parlé à un agent afin de confirmer qu’il voulait payer avec une carte-cadeau qu’il venait d’acheter. La transaction se fait sans aucun problème et, en payant le prix, il lui reste un solde d’environ 1 700 $ sur l’une des cartes.

[17]        Vers le mois de novembre, il consulte le site web d’Air Canada afin de vérifier le solde sur ces deux cartes-cadeaux, mais il ne peut le voir, car un message apparaît : « inaccessible ».

[18]        Il téléphone Air Canada pour voir s’il y a un problème et se fait confirmer qu’il n’y a aucun problème, et que la réservation est bel et bien confirmée et se fait également confirmer le montant du solde sur la carte dont la valeur initiale était de 3 000 .

[19]        Le 15 janvier 2014, il reçoit une confirmation par courriel voulant qu’il peut faire l’enregistrement préalable au vol.  Il procède donc à réserver les sièges.

[20]        Le 16 janvier 2014, il se rend très tôt à l’aéroport en compagnie de sa famille, vers 5h00 du matin, pour se faire dire au comptoir qu’il y a un problème avec ses billets.  Il est dirigé vers un autre comptoir d’Air Canada.

[21]        L’agent qui le reçoit l’informe qu’il doit payer les billets; il avise l’agent qu’il a déjà payé avec les cartes-cadeaux et qu’il a appelé à plus d’une reprise afin de vérifier la validité de ses billets.

[22]        Les agents ne lui disent pas le motif, mais confirment, après vérifications, qu’il doit payer à nouveau les billets s’il veut prendre le vol.  Heureusement, il est possible pour les agents de récupérer les réservations en faisant des entrées manuelles sur le système informatique. Il effectue le paiement sur deux cartes de crédit détenues par le demandeur.

[23]        Le prix qu’il doit payer est le même qui était en vigueur lorsqu’il a fait les réservations en août 2013.

[24]        De retour le 13 février 2014, monsieur Fournier commence à entreprendre des démarches auprès d’Air Canada dans le but d’obtenir le remboursement des 2 306,20 $ payés à l’aéroport le 16 janvier 2014 pour pouvoir prendre le vol.  En mars 2014, il y a un dossier nommé « Ticket Refund Application for Past Travel » (P-4) ouvert chez Air Canada et il y a des échanges courriel par la suite.

[25]        Le 17 avril 2014, il reçoit une confirmation d’Air Canada que le remboursement de 2 306,20 $ CAD a été traité le jour-même et ce détail a été envoyé à la compagnie de carte de crédit.

[26]        Les remboursements doivent être traités vers le même mode de paiement que celui avec lequel il a payé pour les billets :

Le crédit pourrait n’apparaître sur votre compte qu’après 1 ou 2 relevés; consultez aussi votre relevé bancaire en ligne.

[27]        Le 14 mai 2014, monsieur Fournier envoie un courriel dans le même dossier, avisant la représentante d’Air Canada avec qui il est en contact, qu’il n’a toujours pas reçu le remboursement sur ces deux cartes de crédit.  Le 16 mai 2014, il reçoit pourtant une confirmation de la même représentante que le remboursement a été effectué le 18 avril 2014.  Il est dirigé vers sa compagnie de carte de crédit.

[28]        Monsieur Fournier renvoie un message à la même représentante le 16 mai 2014 et l’informe qu’Air Canada n’a remboursé le montant ni sur ses cartes de crédit, ni sur les cartes-cadeaux.  Il explique les faits, l’achat de la carte-cadeau sur les petites annonces sur internet, sa réservation, le fait qu’il a dû acheter à nouveau les billets.

[29]        Il l’informe également que lorsqu’il regarde les deux cartes-cadeaux en ligne, il obtient un message (P-4) :

« Card balance unavailable. The card number who entered may be incorrect, has no available history, or is a promotional card for which balance information is not available or has expired ».

[30]        Entre-temps, depuis le mois de mars, monsieur Fournier avait entrepris des démarches auprès de la police de Montréal les informant des détails sur l’achat des cartes-cadeaux, mais il apprend que la police n’irait pas plus loin avec le dossier.

[31]        Le 19 mai, il écrit à nouveau à la représentante d’Air Canada joignant ses relevés de cartes de crédit afin de démontrer qu’il n’a pas eu de remboursement et il propose que le remboursement a dû être fait à la mauvaise personne.

[32]        Le 21 mai, il reçoit un courriel de la représentante :

Après avoir révisé votre dossier en profondeur, nous avons constaté que les cartes-cadeaux utilisées pour acheter vos billets ont été frauduleuses.

[33]        Le reste du message est un texte type concernant le problème des activités frauduleuses, un texte significatif est inclus dans ce formulaire :

Une carte-cadeau achetée auprès d’une entreprise autre qu’Air Canada ou qu’un de nos détaillants participants peut être invalide ou avoir une valeur inférieure à celle promise par le vendeur non autorisé.  Air Canada n’est pas tenue d’honorer les cartes-cadeaux invalides ou n’ayant aucune valeur.

Veuillez communiquer avec la société émettrice de la carte de crédit utilisée pour acheter votre carte-cadeau afin de déterminer le problème, puisque nous ne sommes pas en mesure d’autoriser son utilisation pour le moment.

[34]        Monsieur Fournier renvoie un message à la représentante le jour même.  Il écrit :

Effectivement, tout comme Air-Canada [sic], j’ai été victime de fraude avec la carte cadeau Air-Canada [sic] (perte du solde sur carte cadeau [sic]) et c’est pourquoi un rapport de police a été rempli [sic] afin de déclarer cet acte criminel aux autorités policières.

[35]        Il déplore le fait qu’en aucun moment depuis la réservation du mois d’août 2013, un agent d’Air Canada n’a été en mesure de l’informer que la carte-cadeau était frauduleuse et soutient qu’Air Canada avait accepté son paiement avec les cartes-cadeaux et qu’Air Canada est donc liée contractuellement.  Il argumente qu’Air Canada ne peut pas se dégager de ses obligations du fait qu’elle a été elle-même victime de fraude et qu’elle ne peut pas réclamer deux paiements du client.  Il réitère donc sa demande de remboursement du montant de 2 306,20 $.

[36]        Le 29 mai 2014, il reçoit une demande de la représentante; elle demande des informations requises par le Service Carte-cadeau sur le site web où il a acheté les cartes, l’identité de l’individu qui les a vendues, le mode de paiement, le montant payé, la valeur, etc.

[37]        Monsieur Fournier répond ponctuellement aux questions le jour même en donnant tous les détails de façon exacte.

[38]        Il est informé le 30 mai 2014 que son dossier est sous étude.

[39]        Le 2 juin 2014, la représentante demande à nouveau de l’information, notamment les détails sur l’annonce internet, le mode de paiement, l’existence d’un reçu et un relevé l’appel téléphonique.

[40]        Monsieur Fournier fournit loyalement les informations requises le 2 juin.

[41]        Le 9 juin 2014, il reçoit une confirmation de la représentante que le dossier a été transmis à l’équipe de fraude pour être évalué et réglé dans les plus brefs délais.

[42]        Le 13 juin 2014, monsieur Fournier envoie une mise en demeure à Air Canada, réclamant formellement le remboursement des 2 306,20 $.

[43]        Le 20 juin 2014, il reçoit un courriel confirmant réception de la mise en demeure et le remerciant de sa patience.

[44]        Le 1er juillet 2014, il reçoit un courriel par lequel Air Canada demande les numéros de ces cartes-cadeaux ainsi que les numéros des codes de sécurité des cartes, informations que monsieur Fournier fournit aussitôt.

[45]        Le 4 juillet 2014, il reçoit un message basé sur un texte type concernant les activités frauduleuses, le texte significatif du message se lit comme suit :

Une carte-cadeau achetée auprès d’une entreprise autre qu’Air Canada ou qu’un de nos détaillants participants peut être invalide ou avoir une valeur inférieure à celle promise par le vendeur non autorisé.  Air Canada n’est pas tenue d’honorer les cartes-cadeaux invalides ou n’ayant aucune valeur.

Le détenteur de la carte de crédit utilisé pour le paiement des cartes-cadeaux n’avait pas autorisé ce paiement et le mode de paiement a dû être annulé.

[46]        Monsieur Fournier se retrouve donc dans la même situation où il se trouvait le 16 janvier 2014, avec la différence que maintenant, il connaît les moyens de refus d’Air Canada d’honorer les cartes-cadeaux.

[47]        La représentante d’Air Canada à l’audition, madame Marie-Hélène Desgroseillers informe le Tribunal qu’elle a fait des vérifications dans le système d’Air Canada et auprès de différents services, pour apprendre que la carte-cadeau de 3 000 $ a été achetée en ligne au moyen d’une carte de crédit American Express, le 31 juillet 2013.  La carte a été activée par Air Canada le 1er août 2013 et que la demande de rétro-facturation a été déposée par American Express auprès d’Air Canada, le 27 septembre 2013.

[48]        Pour la carte-cadeau de 1 000 $, l’achat a également été effectué en ligne, mais avec une autre carte de crédit American Express, le 31 juillet 2013.  La carte a été activée par Air Canada le 3 août 2013 et le 23 août 2013, American Express a fait la demande de rétro facturation auprès d’Air Canada.

[49]        Dans les deux cas, Air Canada n’était pas en mesure de justifier l’utilisation des cartes American Express en fournissant une signature, car les achats ont été effectués en ligne.  Air Canada n’a donc pas contesté la demande d’American Express, qui, apparemment, était basée sur la prétention des détenteurs de ces deux cartes de crédit que l’usage des cartes de crédit pour acheter les cartes-cadeaux était frauduleux.

[50]        Air Canada n’est pas en mesure d’informer le Tribunal si la fraude était alléguée au niveau de l’utilisation de la carte de crédit au moyen d’un vol, par exemple, ou si la fraude consistait pour le détenteur de la carte de crédit qui l’a réellement utilisée, à prétendre qu’il n’avait pas autorisé les transactions.

[51]        De toute manière, Air Canada, en acceptant les rétros-cessions, s’est retrouvée sans paiement des cartes-cadeaux, peu de temps après que celles-ci ont été utilisées par le demandeur pour acheter ses quatre billets.

[52]        Les cartes sont cependant demeurées validées pour un certain temps et le demandeur, à chaque étape qu’il a communiquée avec Air Canada, a reçu des confirmations que ses billets étaient valides.  Même lors de la demande d’un deuxième paiement des billets, monsieur Fournier n’est pas informé du motif et ce n’est qu’après une longue période qu’il reçoit finalement des informations laconiques d’Air Canada sur la situation.

ANALYSE

[53]        Le préjudice que monsieur Fournier a subi peut être considéré de différentes façons.  On peut considérer qu’il a perdu 4 000 $ car il avait en mains des cartes-cadeaux ayant une valeur apparente de 4 000 $ et, en réalité, ces cartes n’ont aucune valeur réelle.

[54]        Une autre façon serait de dire qu’il a perdu 2 000 $ comptant, les montants qu’il dit avoir déboursés pour les cartes-cadeaux lorsqu’il les a achetées des individus qui les avaient mises en vente sur internet.

[55]        Monsieur Fournier allègue que sa perte est de l’ordre de 2 306,20 $, montant qu’il essaie de récupérer d’Air Canada.

[56]        Monsieur Fournier a eu le bénéfice de quatre billets d’avion ayant une valeur au détail égale au prix qu’il a déboursé et nous pouvons donc considérer que sa réelle perte est d’avoir déboursé 2 000 $ comptant à des inconnus pour des cartes-cadeaux de secondes mains qui n’ont pas fourni un mode de paiement efficace.

[57]        Son préjudice aurait pu être nettement plus élevé si Air Canada n’avait pas honoré, six mois plus tard, un prix avantageux qui était affiché le jour de la réservation.

[58]        En acceptant sous pression de payer les billets, monsieur Fournier a effectivement mitigé son préjudice, car il n’a pas manqué ce voyage familial planifié depuis longue date. On peut imaginer les dommages moraux qui auraient été occasionnés s’il n’avait pu prendre le vol.

[59]        Air Canada présente deux justifications pour avoir exigé le paiement.  La première se base sur les prétentions qu’il y a eu fraude lors de l’achat des cartes-cadeaux. 

Fraude

[60]        Air Canada ne suggère pas que monsieur Fournier est parti de cette fraude.  Tout comme le Tribunal, Air Canada perçoit monsieur Fournier comme étant lui-même de bonne foi.

[61]        Tout ce que le dossier d’Air Canada indique, c’est qu’elle n’a pas contesté une demande, faite par l’institution bancaire qui avait émis les cartes American Express, de rétro-facturer les montants portés sur les carte de crédit. Cette demande était apparemment basée sur la prétention des détenteurs des cartes de crédit que les cartes avaient été utilisées sans leur permission.

[62]        Certes, il y a eu une fraude, mais nous ne savons pas si la fraude consistait, pour le détenteur de la carte de crédit, de prétendre faussement qu’il n’avait pas autorisé la transaction ou si la fraude consistait, pour un tiers, d’avoir trouvé un moyen dolosif pour utiliser la carte de crédit sans la permission du détenteur.

[63]        Il se peut fort bien que l’institution bancaire émettrice des cartes American Express ait été en droit de refuser de rembourser son client.  Si cette institution avait maintenu le paiement, Air Canada n’aurait pas invalidé les cartes-cadeaux.

Transfert illicite

[64]        L’autre motif invoqué par Air Canada se situe au niveau de la nature même de la carte-cadeau et de la possibilité pour celui qui est en possession d’une carte-cadeau, d’en transférer la valeur à quelqu’un d’autre.

[65]        Air Canada invoque des textes légaux, notamment l’article 3 des Conditions générales relatives aux cartes-cadeaux (D-4) :

3.    Fraude

Les cartes et les eCartes-cadeaux ne peuvent être revendues; la tentative de revente ou la revente illicite de ces cartes sont des motifs de saisie et d’annulation sans dédommagement.

Air Canada n’est pas responsable des cartes et des eCartes-cadeaux qui ne peuvent être acheminées ou qui ne sont pas livrées en raison de renseignements erronés concernant la livraison, notamment une adresse municipale ou une adresse électronique inexacte ou inexistante.  Pour assurer l’exactitude des renseignements sur la livraison qui ont été entrés, nous recommandons aux clients de vérifier tous les détails avant de conclure leur achat.

Air Canada se réserve le droit de refuser, de suspendre, de retenir pour examen ou d’annuler toute commande de carte ou d’eCarte-cadeau où une fraude est présumée, si la coupure des cartes émises est incorrecte, ou en cas de violation des conditions générales d’Air Canada.

Air Canada se réserve le droit de désactiver ou de refuser toute carte ou eCarte-cadeau émise ou obtenue en relation directe ou indirecte avec une action frauduleuse.

[66]        Air Canada invoque également son tarif :

Tarif international - règle ac : 0025 

TITRE / APPLICATION - 70

A)             GÉNÉRALITÉS

1)     Un billet n’est pas émis, et le transporteur n’est tenu en aucun cas d’effectuer le transport avant que le passager ait payé le tarif applicable ou ait respecté les accords de crédit établis par le transporteur. À moins de dispositions contraires, le paiement d’un avis de passage payé (PTA) équivaut à l’émission d’un billet.  Le traitement des PTA envoyés à une autre société aérienne pour l’émission d’un billet exige un préavis de 48 heures.

2)     Nul n’est autorisé à être transporté, sauf sur présentation d’un billet valide.  Ce billet autorise le passager à être transporté uniquement entre le point d’origine et le point de destination, et selon l’itinéraire qui y est spécifié.

[67]        Finalement, le même tarif stipule :

F)         Billet invalidé

                         A)         Un billet est invalide :

[…]

IV)        Si Air Canada détermine que le billet a été acheté ou utilisé dans le but de contourner les règles tarifaires applicables.

[68]        De l’avis du Tribunal, les défenses invoquées par Air Canada basées sur le Tarif ne sont pas adéquates dans la situation actuelle.

[69]        Air Canada n’a pas démontré que le passager n’a pas payé le tarif applicable, sauf si Air Canada peut démontrer que les cartes-cadeaux n’étaient pas valides.  Or, si la carte-cadeau était valide, Air Canada aurait reçu paiement et le billet serait valide. Le sous-paragraphe IV du Tarif qui permet à Air Canada de déterminer qu’un billet a été acheté dans le but de contourner les règles tarifaires ne s’applique pas, car Air Canada admet elle-même que monsieur Fournier n’a pas eu comme objectif de contourner les règles tarifaires; il a voulu s’y conformer et il a fait des démarches afin de vérifier que les cartes-cadeaux étaient valides avant de les utiliser pour acheter les billets.

[70]        Le résultat de ce litige est donc déterminé par la validité ou non du transfert à monsieur Fournier de la valeur monétaire associée aux cartes-cadeaux. 

[71]        Sur ce point, Air Canada a raison, car les cartes-cadeaux ne représentent pas une valeur monétaire, sauf selon l’entente qui lie Air Canada à la personne qui a acheté les cartes-cadeaux.  Si nous mettons de côté le détail des textes juridiques entourant les cartes-cadeaux, qui ne sont pas nécessairement très accessibles pour un lecteur ordinaire, ce qui est clair c’est qu’Air Canada stipule que la carte-cadeau ne peut pas être revendue, sauf par des commerçants autorisés.

[72]        Une carte-cadeau est censée être quelque chose qui est offert à titre gratuit par celui qui l’acquiert d’une manière légitime.  La carte-cadeau n’est pas un bien physique, elle représente une valeur créée par un acte juridique entre celui qui l’acquiert la carte et Air Canada.  Selon cette relation juridique, le détenteur peut utiliser lui-même la valeur ou céder ses droits à titre gratuit, mais il ne peut pas le faire à titre onéreux.

[73]        Le fait qu’une carte-cadeau est manifestée par un objet physique, dans ce cas-ci par une carte plastifiée pour une des cartes, ne fait pas de la carte-cadeau un bien négociable. 

[74]        En d’autres mots, la détention de la carte par un tiers ne peut pas générer des droits pour ce tiers qui soient plus étendus que ceux qui sont créés dans la transaction initiale entre Air Canada et le détenteur de la carte.

[75]        En termes de concepts entourant les lettres de change, Air Canada n’était pas tenue de reconnaître une valeur négociée à un tiers par un détenteur de cartes dont les titres étaient viciés.  Le concept de détenteur régulier n’existe pas par ces cartes-cadeaux qui ne sont pas des lettres de change.  Les valeurs représentées par ces cartes ne sont pas transférables par le détenteur pour valeur.

[76]        Air Canada ne représente pas au public que les cartes sont négociables; elle les présente comme étant des objets de donation.  Il n’y a rien d’autre qui permet au public de penser que ces cartes peuvent être l’objet de vente dans un marché secondaire, que ce soit un marché ouvert, un marché clandestin ou un marché gris.

[77]        Dans le cas actuel, la situation est mixte, car monsieur Fournier agissait en toute transparence, répondant à une annonce publique et se rendant chez les vendeurs et en enregistrant les cartes-cadeaux à son nom auprès d’un site web.

[78]        Cependant, il y a un aspect de l’affaire qui est clandestine, car les vendeurs des cartes-cadeaux n’ont donné que des explications générales et laconiques sur la provenance des cartes; ils disaient les avoir obtenues dans un tournoi, ils les vendaient pour la moitié de leur valeur apparente et ils acceptaient le paiement comptant sans émettre un reçu.

[79]        Donc, du point de vue des vendeurs, il y a un aspect clandestin à l’opération.

[80]        Certes, en arrière de la transaction, il y a un système ou un réseau frauduleux dont les détails ne sont pas connus par Air Canada, ni peut-être même par l’institution financière qui a renversé le paiement.

[81]        Les vendeurs de ces cartes sont peut-être eux-mêmes dupes; la bonne foi est présumée jusqu’à la preuve du contraire.  Quoi qu'il en soit, le vendeur des cartes-cadeaux ne pouvait pas donner à monsieur Fournier une valeur monétaire en lui cédant les cartes, la nature même de l’objet et les termes et conditions contractuels l’entourant, visibles sur le site web sur lequel les cartes ont été achetées, le confirment.

[82]        Certes, Air Canada aurait pu, dès le 23 août 2013 pour la carte de 1 000 $ et dès le 27 septembre 2013 pour la carte de 3 000 $, aviser monsieur Fournier qu’il est considéré que l’usage par lui, des crédits apparaissant sur les cartes-cadeaux, n’étaient pas valides, car il a obtenu les cartes dans une vente non autorisée.  Le fait pour Air Canada, que ce soit volontairement ou par la complexité de leur administration, d’avoir averti monsieur Fournier seulement le jour du vol, a créé le risque qu’il manque son voyage, alors que le fait de l’aviser dans un meilleur délai lui aurait permis de s’arranger autrement.

[83]        Cette façon de procéder aurait pu donc causer un préjudice à monsieur Fournier, outre la perte du prix des billets, mais heureusement, pour les parties, ce n’est pas le cas.

[84]        La perte de monsieur Fournier est effectivement la perte de l’expectative de pouvoir faire un voyage à la Guadeloupe en utilisant des crédits achetés à 50 cents dans le dollar, alors qu’il devait payer le plein prix.  Il a perdu les 2 000 $ comptant au profit d’un système de fraude.

[85]        Le comportement d’Air Canada ne lui a pas fait perdre plus que ce qu’il aurait perdu si Air Canada l’avait avisé immédiatement du problème.  Donc, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin pour considérer si ce comportement, de la part d’Air Canada, était fautif.

[86]        Somme toute, monsieur Fournier a perdu l’argent comptant qu’il a payé dans une transaction d’un marché gris, pour des cartes-cadeaux obtenues par leur détendeur sans paiement efficace.

[87]        Malheureusement, monsieur Fournier doit subir cette perte associée à un risque qu’il a pris lorsqu’il a acheté des cartes-cadeaux pour la moitié de leur valeur apparente et qui, par leur nature-même et par les ententes entourant leur émission, ne sont pas des objets de revente.

[88]        Considérant la bonne foi de monsieur Fournier, le Tribunal n’imposera pas de frais.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

REJETTE la demande;

 

LE TOUT sans frais.

 

 

 

 

__________________________________

DAVID L. CAMERON, J.C.Q.

 

Date d’audience:

11 janvier 2016

 

AVIS :
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