Wal-Mart Canada (commerce détail) |
2011 QCCLP 5171 |
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[1] Le 24 septembre 2010, la Compagnie Wal-Mart du Canada (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste la décision rendue le 26 août 2010, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 5 mai 2010 et déclare que la totalité du coût des prestations versées à madame Linda Girard (la travailleuse) relativement à la lésion professionnelle du 13 décembre 2008 doit lui être imputée.
[3] Une audience avait été convoquée le 1er mars 2011 à St-Jérôme. L’employeur a plutôt requis du tribunal qu’il rende une décision à partir d’une argumentation écrite qu’il a soumise au tribunal. Le dossier avait été pris en délibéré à l’époque. Cependant, le 11 juillet 2011, le président de la Commission des lésions professionnelles a désigné la soussignée afin de rendre la présente décision en remplacement d’un autre juge. La soussignée a donc été saisie de cette requête à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’accorder un partage du coût des prestations en vertu du second alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[1].
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un partage du coût des prestations en vertu de l’article 326 de la loi.
[6] Cet article se lit comme suit :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
[7] Le tribunal retient les éléments suivants :
[8] Le 13 décembre 2008, la travailleuse, une caissière, subit une lésion professionnelle dans les circonstances suivantes :
Elle a glissé sur un amas de glace, elle est tombée, elle était grafignée au coude droit et elle a mentionné qu’elle avait une douleur au cou.
[9] Cette réclamation est acceptée par la CSST, le 29 janvier 2009 pour un diagnostic d’entorses cervicale et lombaire. Puis, le 20 février 2009, la CSST reconnaît la relation entre un diagnostic de tendinite de l’épaule gauche et l’événement de décembre 2008.
[10] Le 22 décembre 2009, un rapport final consolide la lésion professionnelle et une atteinte permanente de 6,9 % est accordée à la travailleuse. Des limitations fonctionnelles sont également émises.
[11] Le 23 mars 2010, la CSST détermine que la travailleuse est capable d’exercer son emploi à compter de cette date.
[12] La représentante de l’employeur soumet que l’employeur n’est pas responsable de l’entretien des stationnements puisque cette responsabilité appartient à l’entrepreneur à qui il a donné le contrat de déneigement.
[13] Elle soumet qu’en vertu de ce contrat, l’employeur ne peut être tenu responsable des conditions prévalant dans le stationnement. Elle demande donc un transfert d’imputation pour ce motif. Elle a soumis une décision[2] de la Commission des lésions professionnelles au soutien de ses prétentions.
[14] Avec respect pour l’opinion contraire, le tribunal est d’avis de rejeter la requête de l’employeur.
[15] Depuis la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports[3], la Commission des lésions professionnelles a défini les principes devant régir les demandes de transfert en vertu du second alinéa de l’article 326. Cette décision précise en effet les conditions donnant ouverture à une demande de transfert d’imputation en vertu de cet alinéa, dans les cas où un tiers est impliqué dans l’accident. Cette même décision établit les critères devant servir de guide afin de déterminer si l’employeur a droit ou non à un transfert, en vertu de cet alinéa.
[16] La première condition est qu’un « tiers » soit impliqué dans l’accident. Cette décision définit ainsi le mot « tiers ».
[276] Les soussignés estiment qu’est donc un « tiers » au sens de l’article 326 de la loi, toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier201. Par exemple, un élève, un client ou un bénéficiaire est un tiers.
[référence omise]
[17] La seconde condition qui doit être respectée est que l’accident doit être attribuable à ce tiers. Les commissaires, dans l’affaire Ministère des Transports précitée, ont défini ainsi ces mots « attribuable à un tiers » :
[241] D’où la règle voulant que l’accident est attribuable à la personne dont les agissements ou les omissions s’avèrent être, parmi toutes les causes identifiables de l’accident, celles qui ont contribué non seulement de façon significative, mais plutôt de façon « majoritaire »189 à sa survenue, c’est-à-dire dans une proportion supérieure à 50 %190. Les soussignés endossent cette interprétation retenue de longue date par la CALP et la Commission des lésions professionnelles.
[références omises]
[18] La soussignée souscrit à ces règles.
[19] Dans la décision précitée, les commissaires ont répondu à l’argument voulant que l’injustice pour l’employeur de se voir imputer les coûts des prestations découle du seul fait que l’accident soit attribuable à un tiers. Ils n’ont pas retenu cet argument repris par un courant minoritaire du tribunal. Ils sont plutôt d’avis que l’injustice que veut invoquer l’employeur ne peut résulter ou s’appuyer sur des notions de droit civil, puisque ces notions ont justement été mises de côté par le législateur, aux fins de l’admissibilité d’une réclamation, puisqu’il s’agit d’un régime sans égard à la faute.
[20] Dans cette même décision, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que :
[286] Ainsi, la « justice » de toute imputation repose sur la prise en compte du risque assuré pour chaque employeur.
[21] La soussignée partage ce point de vue.
[22] Par ailleurs, cette même décision écarte également l’argument voulant que, comme l’employeur n’avait pas de contrôle sur les circonstances de l’accident, cela devient injuste pour lui d’en supporter les coûts.
[23] La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’il est de l’essence même d’un accident attribuable à un tiers d’échapper au contrôle de l’employeur. Il devient donc impossible d’apprécier la notion d’injustice uniquement à partir de cet argument.
[24] Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles poursuit son raisonnement en précisant qu’il est tout à fait approprié de recourir au concept de « risques inhérents aux activités de l’employeur » pour apprécier le caractère juste ou injuste de l’imputation.
[25] On y précise toutefois que cette notion de risque inhérent doit s’interpréter comme étant un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités. Les commissaires s’exprimaient ainsi au paragraphe 322 de cette décision :
[322] La notion de risque inhérent doit cependant être comprise selon sa définition courante, à savoir un risque lié d’une manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur ou qui appartient essentiellement à pareilles activités, en étant inséparable (essentiel, intrinsèque…)215. On ne doit donc pas comprendre cette notion comme englobant tous les risques susceptibles de se matérialiser au travail, ce qui reviendrait en pratique à stériliser le deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[référence omise]
[26] Par ailleurs, on indique également que selon le type d’activités exercées par l’employeur, les mêmes circonstances n’auront pas toujours le même caractère d’exception. On doit donc s’attarder à examiner ces circonstances en les reliant aux activités mêmes de l’employeur.
[27] La Commission des lésions professionnelles détermine, aux paragraphes 339 et 340 de cette décision précitée (Ministère des Transports), les facteurs qui doivent être pris en considération aux fins de déterminer s’il y a lieu ou non d’accorder un transfert d’imputation.
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[340] Selon l’espèce, un seul ou plusieurs d’entre eux seront applicables. Les faits particuliers à chaque cas détermineront la pertinence ainsi que l’importance relative de chacun.
[28] La Commission des lésions professionnelles précise qu’on ne doit pas appliquer aveuglément ces principes, mais qu’on doit plutôt tenir compte des faits propres au cas sous étude. C’est précisément ce qu’entend faire la soussignée en l’espèce.
[29] Dans la présente affaire, l’employeur soumet que la chute de la travailleuse dans le stationnement est la faute d’un tiers soit l’entreprise de déneigement à qui il a donné le contrat d’entretien des lieux. Il estime que le fait qu’il ait donné un contrat de déneigement à un entrepreneur fait en sorte qu’il ne doit pas être tenu responsable de l’accident survenu à sa travailleuse dans les circonstances décrites précédemment.
[30] Le tribunal n’est pas de cet avis.
[31] Le tribunal est d’avis que le fait pour la travailleuse d’utiliser le stationnement pour ensuite avoir accès au lieu de travail fait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur. L’entrée, ainsi que la sortie des lieux de travail, est associée de manière étroite aux risques professionnels que doit supporter l’employeur.
[32] Le seul fait que la travailleuse ait chuté dans le stationnement n’est pas suffisant pour conclure que le tiers, en l’occurrence, l’entrepreneur en déneigement, est majoritairement responsable de cet accident. Aucune preuve n’a été apportée concernant l’état des lieux.
[33] Le tribunal estime également que cet accident ne correspond pas à des circonstances inhabituelles, inusitées ou exceptionnelles au sens des critères repris dans l’affaire Ministère des Transports précitée. Le tribunal ne croit pas en effet qu’il soit exceptionnel de retrouver de la glace, dans un stationnement en hiver et ce même si par contrat, l’employeur requiert d’un entrepreneur qu’il procède à l’épandage d’abrasif et ou à l’enlèvement de cette glace.
[34] Le tribunal, avec respect, ne partage pas l’opinion exprimée dans l’affaire déposée par la représentante. D’autres décisions[4] du présent tribunal arrivent également à des conclusions différentes de celles retenues dans cette affaire soumise par la représentante.
[35] Le tribunal est donc d’avis de rejeter la requête de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de la Compagnie Wal-Mart du Canada (l’employeur);
CONFIRME la décision rendue le 26 août 2010, par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la totalité du coût des prestations versées à madame Linda Girard, relativement à la lésion professionnelle du 13 décembre 2008 doit lui être imputée.
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Lucie Couture |
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Chantal Labonté |
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DION DURRELL actuaires et conseillers |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Les Résidences Laurendeau, Légaré, Louvain, C.L.P. 351506-63-0806, 5 août 2009, F. Mercure
[3] [2007] C.L.P. 1804 .
[4] Voir notamment : Hôpital Maisonneuve-Rosemont, C.L.P. 362820-62-0811, 15 décembre 2009, J.-F. Clément; Cafétérias Montchateau, C.L.P. 383174-31-0907, 9 février 2010, J. F. Clément; Ambulance St-Amour de Lanaudière enr, 2011 QCCLP 1059 ; Aliments Lesters ltée (Les) et Tremblay, C.L.P. 157950-61-0103, 15 mars 2002, G. Morin.