Décision

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Jalbert et CSST Soutien à l'imputation

2008 QCCLP 7485

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

23 décembre 2008

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

286668-71-0604-R, 288976-71-0605-R

 

Dossier CSST :

122604838

 

Commissaire :

Alain Vaillancourt, juge administratif

 

Membres :

Michel R. Giroux, associations d’employeurs

 

Jacqueline Dath, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Gisèle Jalbert

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

C.S.S.T. Soutien à l’imputation

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 288976

[1]                Le 23 avril 2007, madame Gisèle Jalbert dépose (dans un délai raisonnable compte tenu des délais postaux) à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 28 février 2007.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de madame Jalbert, confirme la décision rendue le 28 février 2006 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative, déclare que le 4 novembre 2005 la CSST était fondée de reconsidérer trois décisions initialement rendues portant sur des indemnités de décès payables à madame Jalbert et déclare que celle-ci n’était pas « conjointe » au moment du décès de monsieur François Houde (le travailleur) et qu’elle n'a pas droit aux indemnités prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 288976

[3]                Le 23 avril 2007, madame Gisèle Jalbert dépose (dans un délai raisonnable compte tenu des délais postaux) à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 28 février 2007.

[4]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête de madame Jalbert, confirme la décision rendue le 27 avril 2006 par la CSST à la suite d’une révision administrative et déclare que la CSST était bien fondée de lui réclamer la somme de 59 622,96 $ reçue sans droit.

[5]                Madame Jalbert est présente et représentée à l'audience du 11 décembre 2008 à Montréal. Devant la première commissaire elle était représentée par Me Danielle Girard alors qu’elle est représentée par Me Victor Cayer dans le cadre de sa requête en révision. La CSST est également représentée à l’audience.

L’OBJET DES REQUÊTES

Dossiers 286668 et 288976

[6]                Madame Jalbert demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser les décisions rendues le 28 février 2007 pour le motif qu’elles sont entachées d’un vice de fond de nature à les invalider. Elle demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la décision rendue en reconsidération était illégale parce qu’elle excédait le délai de 90 jours prévu par la loi. Elle demande également au tribunal de conclure qu’elle était la conjointe du travailleur et qu'elle avait droit aux indemnités prévues à la loi.

 

 

L’AVIS DES MEMBRES

[7]                Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d'avis que la requête est recevable car elle a été déposée dans un délai raisonnable. Ils sont cependant d’avis de rejeter les requêtes car aucune erreur déterminante justifiant la révision des décisions n'a été démontrée.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[8]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si les décisions rendues le 28 février 2007 doivent être révisées.

[9]                L’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) énonce que les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.

429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[10]           Toutefois, l’article 429.56 de la loi prévoit que la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour les motifs qui y sont énoncés. Cet article se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

[11]           En l’espèce, madame Jalbert invoque l’application du 3e alinéa de cet article soit, un vice de fond de nature à invalider la décision. Depuis les affaires Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve[3] et Franchellini et Sousa[4] la Commission des lésions professionnelles considère que cette expression réfère à une erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation.

[12]           Dans l’affaire Bourassa c. Commission des lésions professionnelles[5], dont la requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême a été rejetée[6], la Cour d’appel du Québec a reconnu que la notion de vice de fond peut englober une pluralité de situations mais l’erreur doit être suffisamment fondamentale et sérieuse pour être de nature à invalider la décision.

[13]           Plus récemment, la Cour d’appel du Québec, plus particulièrement dans l’arrêt CSST c. Fontaine[7], conclut que c’est la gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur qui sont les traits distinctifs susceptibles d’en faire un vice de fond de nature à invalider une décision.

[14]           Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Québec insiste sur la primauté ou l’autorité à accorder à la première décision de sorte que la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de la décision contestée. Elle réaffirme que la révision n’est pas l’occasion pour le tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle déjà faite par la première formation ou encore interpréter différemment le droit. Elle indique aussi qu’une partie ne peut «ajouter de nouveaux arguments» au stade de la révision.  

[15]           Qu’en est-il dans la présente affaire?

[16]           Le 15 juillet 2002, le travailleur décède des suites de sa lésion professionnelle du 1er mai 2002, une maladie professionnelle pulmonaire. La réclamation du travailleur identifie madame Jalbert à titre de conjoint survivant ou ayant droit.

[17]           Suite à ce décès, les 3 mai 2004, 20 mai 2004 et 16 juin 2004 la CSST rend des décisions où elle avise madame Jalbert qu’à titre de conjointe de monsieur Houde, elle a droit à des prestations en vertu des articles 98, 101 et 109 de la loi. 

[18]           Par ailleurs, comme certaines sommes étaient dues au travailleur au moment de son décès, la CSST émet des chèques au nom de la succession. Monsieur Francis Houde est exécuteur testamentaire. 

[19]           À compter du paragraphe [35] la première commissaire rapporte ce qui suit :

[35]      Monsieur Francis Houde apprend l’existence des chèques au nom de la succession et de madame Jalbert alors qu’il rend visite à Me Fauteux[8] en novembre 2004.

 

[36]      Insatisfait des services de Me Fauteux, Francis appelle directement la CSST le 9 décembre 2004.  Le nom de Francis Houde apparaît pour la première fois le 9 décembre 2004 au dossier de la CSST. Monsieur Morin écrit aux notes évolutives qu’il a reçu un appel du fils du travailleur décédé, Francis, qui serait liquidateur testamentaire. 

De plus, Francis informe la CSST que, selon, lui madame Jalbert n’était pas conjointe de fait au moment du décès de son père.  Une copie du testament est envoyée à la CSST.

 

[37]      La CSST confie un mandat d’enquête à monsieur Auray Forcier du Service des enquêtes spéciales à la CSST le 22 juin 2005.

 

[38]      Monsieur Forcier a complété son rapport d’enquête le 12 octobre 2005.

 

[39]      Le 4 novembre 2005, la CSST rend une décision dans laquelle elle reconsidère les décisions des 3 et 20 mai 2004 ainsi que celle du 16 juin 2004 considérant que madame Jalbert n’était pas conjointe de fait au moment du décès de monsieur François Houde.

 

[40]      Le 30 novembre 2005, la CSST réclame la somme de 59 622,96 $ versée en trop.

 

 

[20]           Au paragraphe [53] la première commissaire rapporte l’argumentation de la représentante de madame Jalbert sur la question de l’irrégularité de la reconsidération des décisions des 3 et 20 mai et du 16 juin 2004 :

[53]      En argumentation, la représentante de madame Jalbert soumet que la reconsidération est illégale parce que la CSST n’a pas respecté le délai de 90 jours dont elle disposait pour reconsidérer sa décision à partir du moment où elle prend connaissance d’un nouveau fait.  Le fait étant ici la dénonciation par Francis à la CSST que Gisèle n’était pas « conjointe » au moment du décès de François.  Ce fait était donc connu depuis le mois de décembre 2004 et la CSST a manifestement dépassé le délai de 90 jours dont elle disposait en rendant sa décision un an plus tard.  Elle soumet que, selon la jurisprudence, lorsque la CSST dispose des faits nécessaires pour prendre une décision, elle n’a pas l’obligation de recourir à une enquête.

 

 

 

[21]           La première commissaire a jugé que la reconsidération était légale et qu'elle respectait le délai de 90 jours prévu à l’article 365 de la loi qui prévoit notamment que la CSST peut, de sa propre initiative, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer sa décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait. Elle dispose ainsi de cette question :

[65]      Le délai de 90 jours se compute à partir de la connaissance du fait, tel que dit clairement à l’article 365 de la loi.

 

[66]      En l’espèce, en décembre 2004, monsieur Francis Houde apparaît pour la première fois et se présente comme liquidateur testamentaire en plus de mettre en doute le statut de conjoint de madame Jalbert, alors considérée comme étant conjointe par la CSST.

 

[67]      La CSST a donc entrepris des vérifications et a demandé des documents à monsieur Francis Houde avant de demander une enquête.

 

[68]      Tel que le soumet la représentante de la CSST, la question était aussi litigieuse que lourde de conséquences, étant donné que des indemnités avaient déjà été versées.

 

[69]      Si la CSST avait agi autrement, à savoir reconsidérer sa décision avant de vérifier les informations et de faire une enquête, cela aurait été hautement discutable.  Il était tout à fait approprié dans les circonstances, pour la CSST, d’obtenir toutes les informations pour rendre une décision éclairée. 

 

[70]      La Commission des lésions professionnelles ne partage pas l’argument présenté par la représentante de madame Jalbert voulant qu’une enquête n’était pas ici nécessaire considérant que la CSST avait en main tous les éléments pour rendre une décision.  Or, justement, le problème réside dans le fait que la CSST a appris en 2004 que les informations fournies sur les formulaires ne reflétaient pas la réalité, du moins concernant l’adresse réelle de madame Jalbert au moment de la réclamation du 27 juin 2002.  De plus, la CSST était en droit de douter de la fiabilité des informations qui lui avaient été transmises à partir du moment où monsieur Francis Houde a fait une dénonciation.

 

[71]      Au surplus, la Cour supérieure, dans l’affaire Crawford[9] précitée, a déclaré que l’interprétation qu’avait fait le commissaire du délai de l’article 365 de la loi dans un cas similaire n’était pas déraisonnable et ne donnait pas ouverture à la révision judiciaire.  Dans cette affaire, il y avait eu reconsidération après que la CSST ait fait faire une enquête, dont une filature.  Il a été décidé de computer le délai à partir du moment où la CSST avait en main les informations pour rendre une décision éclairée.

 

[72]      La reconsidération respecte donc le délai de l’article 365 de la loi.

 

 

 

 

 

 

[22]           Dans sa requête en révision, madame Jalbert soumet que la première commissaire commet une erreur lorsqu’elle conclue que c’est en décembre 2004 que monsieur Francis Houde apparaît pour la première fois dans le dossier de la CSST. Le dossier révèle qu’il est entré en contact avec la CSST en octobre et décembre 2003 ainsi qu’en novembre 2004 de sorte qu’elle n’aurait pas dû conclure que ce n’était qu’en 2004 que la CSST avait appris que les informations apparaissant sur les formulaires ne reflétaient pas la réalité.

[23]           Le tribunal note tout d’abord que devant la première commissaire la représentante de madame Jalbert avait argumenté que la reconsidération était illégale car le fait à l’origine de la reconsidération, la dénonciation que madame Jalbert n’était pas la conjointe du travailleur, était connu depuis le mois de décembre 2004.

[24]           Le tribunal constate qu’en révision on prétend que le fait essentiel était connu avant décembre 2004. Le tribunal considère qu’il s’agit d’un argument différent de celui qui avait été soumis or, tel que déjà mentionné, la révision n'est pas l’occasion d’ajouter de nouveaux arguments ou de les bonifier.

[25]           De plus, même si monsieur Francis Houde s’était manifesté avant le mois de décembre 2004, il n'a pas été démontré que la première commissaire avait fait erreur en concluant que ce n’était qu’en décembre 2004 que celui-ci avait mis en doute le statut de conjoint de madame Jalbert auprès de la CSST.

[26]           De toute façon, la première commissaire a considéré que le délai de 90 jours commençait à courir à compter du moment où la CSST avait toutes les informations pour rendre une décision éclairée soit lorsque le rapport d’enquête a été complété, le 12 octobre 2005.  Les décisions en reconsidération ayant été rendues les 4 et 30 novembre 2005, elles se trouvaient donc avoir été rendues dans le délai.

[27]           Or, devant le soussigné, madame Jalbert n’a pas prétendu ni démontré que le raisonnement de la première commissaire, lequel s’appuyait sur la jurisprudence du tribunal, de faire débuter le délai à l'échéance de l’enquête constituait une erreur déterminante justifiant la révision de la décision.

[28]           De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles décide que la première commissaire n'a pas commis d'erreur justifiant de réviser sa décision lorsqu'elle a conclu que la décision en reconsidération avait été rendue dans le délai de l'article 365 de la loi.

 

 

[29]           La première commissaire devait décider si la CSST était justifiée de conclure que madame Jalbert n'était pas la conjointe du travailleur. Elle a bénéficié d’une preuve imposante tant documentaire que testimoniale sur cette question et elle a conclu que madame Jalbert ne répondait plus aux conditions de la définition de conjoint prévue à l'article 2 de la loi au 15 juillet 2002.

[30]           Le terme conjoint est ainsi défini à l'article 2 de la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« conjoint » : la personne qui, à la date du décès du travailleur:

 

1°   est liée par un mariage ou une union civile au travailleur et cohabite avec lui; ou

 

2°   vit maritalement avec le travailleur, qu'elle soit de sexe différent ou de même sexe, et:

 

a)   réside avec lui depuis au moins trois ans ou depuis un an si un enfant est né ou à naître de leur union; et

 

b)   est publiquement représentée comme son conjoint;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

 

[31]           Sur cette question, la représentante de madame Jalbert avait plaidé ce qui suit :

[54]      La représentante de madame Jalbert soumet que la détermination du statut de conjoint doit s’analyser en prenant en considération les habitudes particulières du couple, selon les principes établis dans la décision Tremblay et Donohue inc.[10].  Et, concernant la notion d’« être représenté publiquement comme conjoint », elle réfère à la décision Davrieu et CSST[11] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles énonçait que ce constat ne doit pas émaner que des amis ou de la parenté, mais aussi des institutions telles que des institutions bancaires, des compagnies d’assurance ou autres.

 

[55]      Elle soumet que la preuve testimoniale a établi que Gisèle et François ont continué de faire vie commune et qu’ils vivaient aux deux adresses après le déménagement de Gisèle.  Elle soumet que les dépenses étaient partagées et dépose en preuve des chèques de François à Gisèle entre le déménagement et le décès de François. 

 

 

 

 

[32]           Au paragraphe [74] la première commissaire mentionne ce que madame Jalbert devait démontrer pour qu’elle puisse conclure qu’elle était la conjointe du travailleur;

[74]      Madame Jalbert n’a jamais été mariée au travailleur et ils n’ont pas eu d’enfant.  Pour conclure qu’elle est « conjointe » au sens de la loi, elle doit démontrer les trois conditions suivantes : vivre maritalement avec le travailleur, résider avec lui depuis trois ans et être représentée publiquement comme étant sa conjointe.

 

[75]      Même s’il peut y avoir plusieurs manières d’être conjoints ou d’entretenir une relation d’engagement amoureux avec une personne, il n’en existe pas autant lorsqu’il s’agit d’examiner la définition prévue à la loi.  Dans cette optique, le tribunal tient à préciser qu’il ne lui appartient pas de déterminer la place réelle qu’occupait Gisèle ou François dans leur vie en 2002 et ce qu’il serait advenu de leurs projets communs ou respectifs, n’eût été de la maladie de François.  Ce qu’il importe ici de décider est si les conditions précédemment énumérées étaient réunies lors du décès de François en juillet 2002.

 

 

[33]           À compter du paragraphe [82] la première commissaire se livre à une analyse de la preuve documentaire. Elle énumère les transactions immobilières réalisées par le travailleur et madame Jalbert à compter de 1989, l’année où ils avaient commencé leur cohabitation.

[34]           De plus, elle rapporte le contenu de documents obtenus par l’enquêteur auprès de différents organismes de services publics entre autres, et elle fait état des habitudes particulières du couple en ce qui concerne le partage des dépenses communes au paragraphe [103] :

[103]    Concernant les habitudes particulières du couple, puisqu’il s’agit d’un critère à considérer[12], d’après le témoignage de Gisèle, ils ont toujours eu chacun leurs avoirs, mais partageaient les dépenses communes.  La convention de vie commune qu’ils ont signée le 14 juin 1991 en fait foi.

 

 

[35]           Comme le représentant de madame Jalbert a soumis que cette déclaration de vie commune aurait dû emporter le fond du litige et inciter la première commissaire à conclure que madame Jalbert avait toujours le statut de conjoint, le tribunal juge à propos de rapporter le contenu de ce document avec plus de détails.

[36]           Il s’agit d’un document notarié daté du 14 juin 1991 dans lequel madame Jalbert et le travailleur entendaient régler entre eux certains aspects patrimoniaux de leur vie commune.

 

[37]           Il y est mentionné qu’ils ont choisi de concert leur résidence commune et que tout nouveau domicile sera choisi de concert. il y est aussi mentionné qu’ils contribueront aux charges du ménage en proportion de leurs facultés respectives, qu’ils demeurent propriétaires de tous les effets personnels et de tous les biens meubles qu’ils possèdent et qu’ils sont copropriétaires d’un immeuble sur la rue Joliette à Montréal. Il y a aussi des clauses concernant l’acquisition ultérieure d’immeubles en copropriété, la modification de la convention d’un commun accord et la fin de la convention. Cette dernière clause se lit comme suit :

H-Fin de la convention

 

A) droit de résiliation

 

Chacun des comparants aura le droit de résilier unilatéralement la présente convention en tout temps en donnant un préavis à cet effet à l’autre partie.

 

B) Reprise et partage des biens

 

Advenant le cas où il y aurait rupture de la vie commune, chaque comparant conservera ses biens propres et personnels, mobiliers ou immobiliers.

 

Tous biens sur lesquels chacun des comparants ne pourra justifier de son droit exclusif de propriété seront présumés appartenir aux deux indivisément, à chacun pour moitié.

 

C) advenant le mariage des comparants l’un à l’autre, la présente convention deviendra nulle et de nulle effet.

 

 

[38]           À partir du paragraphe [104] la première commissaire analyse ainsi la preuve documentaire :

[104]    Si l’on examine les différentes actions posées, tant par Gisèle que par François, on peut conclure que sont survenus plusieurs changements significatifs dans leur vie à partir de l’automne 2001 qui orientent vers la fin de la vie commune et la séparation. 

 

[105]    Il ressort très clairement de la preuve que l’adresse de la résidence permanente de Gisèle à partir du mois de décembre 2001 n’est plus le [...] à Pointe-aux-Trembles, mais plutôt le [...] à Montréal.

 

[106]    Même en considérant que les habitudes particulières du couple allaient dans le sens d’une séparation de leurs avoirs, il n’en demeure pas moins qu’il s’est opéré, à compter de l’automne 2001, une séparation très étanche de leurs vies, si on se fie à leurs déclarations écrites et aux actes contractuels qu’ils posent chacun de leur côté.

 

[107]    Ils vendent le seul immeuble qu’ils ont eu en commun et en partage le profit en parts égales sans réinvestir dans d’autres projets communs.  Gisèle achète seule un condominium et déclare être séparée dans les documents destinés à lui procurer un prêt hypothécaire.

 

 

[108]    Le déménagement de Gisèle en décembre 2001 constitue un changement significatif et important dans les habitudes particulières du couple qui a vécu à la même adresse et a fait vie commune durant les dix dernières années.  Ce geste n’apparaît pas s’inscrire dans la continuité de leurs habitudes de vie, mais plutôt en rupture de leur mode de vie antérieur.

 

[109]    Il est intéressant de noter que François agit seul et sans consultation, ni de son fils ni de Gisèle, lorsqu’il signe son testament et son mandat d’inaptitude en octobre 2001. À ce moment, il ne se sait pas encore gravement malade.  Il n’est peut-être pas surprenant que le nom de Gisèle ne figure pas au testament, puisque François voulait léguer ses biens à ses enfants et que Gisèle pouvait avoir d’autres avoirs en cas de décès, tels que des rentes pour conjoint survivant.  Mais que son nom n’apparaisse pas au mandat d’inaptitude, ni même comme une personne à consulter, alors qu’il est question de prendre les meilleures décisions dans l’intérêt de la personne sensée être la plus proche, a de quoi surprendre.  Le conjoint est souvent la personne la mieux placée ou du moins faire partie des personnes significatives à consulter en pareil cas.   Après 10 ans de vie commune, un tel acte est surprenant et sa portée ne peut être banalisée.

 

[110]    Le fait que François signe en avril 2002 un formulaire de Retrait du conjoint à la C.C.Q. parle de lui-même.  S’il ne connaissait pas le diagnostic précis à ce moment, il savait certainement être gravement malade.  Il déclare dans ce document qu’il y a eu séparation et fin de la vie commune le 21 décembre 2001.

 

[111]    La preuve documentaire oriente donc clairement dans une seule direction : la fin de la vie commune et l’introduction de deux résidences respectives pour chacun des conjoint.  De plus, selon certaines déclarations de Gisèle et de François, il y aurait eu séparation du couple.

 

 

[39]           À compter du paragraphe [112] la première commissaire analyse la preuve testimoniale et en vient à la conclusion aux paragraphes [125] et [126] que madame Jalbert et le travailleur ne vivaient plus maritalement ni ne résidaient ensemble lors du décès du travailleur même s’il n’y avait pas eu nécessairement rupture des fréquentations.

[125]    La preuve testimoniale ne permet donc pas d’établir qu’il y avait encore cohabitation depuis la séparation, tel que l’affirme Gisèle, ce qui ne signifie pas qu’il y ait eu nécessairement rupture des fréquentations.  Mais, tel que vu auparavant, les fréquentations ne sont pas suffisantes pour avoir le statut de conjoint au sens de la loi.

 

[126]    La preuve testimoniale tend plutôt à renforcir ce qui ressort déjà clairement de la preuve documentaire, à savoir que François et Gisèle ne résidaient plus ensemble depuis le mois de décembre 2001 et qu’il y a eu à ce moment interruption de la vie maritale, bien qu’ils aient pu continuer de se fréquenter. À cet égard, le dépôt payé pour la réservation d’une maison en Floride pour l’hiver 2002 n’est pas un élément suffisant pour démontrer qu’il y avait vie maritale entre eux.  Tout au plus, cet élément démontre qu’ils continuaient de se fréquenter.

 

 

 

 

[40]           Le représentant de madame Jalbert argumente que la convention faite devant notaire n’ayant pas été répudiée par la Cour Supérieure qu’alors la première commissaire aurait dû conclure qu’il y avait cohabitation et qu’ils étaient conjoints de fait au moment du décès. De plus, il mentionne que la cohabitation du travailleur et de madame Jalbert n’était pas nécessaire pour conclure qu’ils étaient des conjoints de fait.

[41]           Le tribunal note que la convention visait à régler certains aspects de leur vie commune. Bien que la convention n’ait pas été résiliée cela n’empêche qu’il ait pu y avoir eu, dans les faits, rupture de la vie commune et fin de la cohabitation.

[42]           Ce n'est pas parce que la convention non résiliée identifie le domicile du travailleur comme résidence commune et mentionne que tout nouveau domicile sera choisi de concert par le travailleur et madame Jalbert que la première commissaire devait conclure qu’ils résidaient ensemble au moment du décès.

[43]           Conclure ainsi alors que la preuve prépondérante révélait qu’il y avait eu rupture de la vie commune aurait été décider sur la base d’une situation fictive, non-conforme à la réalité et aurait été manifestement déraisonnable dans la mesure où le tribunal administre une loi d’ordre public et qu’il devait décider si madame Jalbert vivait maritalement avec le travailleur lors du décès et résidait depuis au moins trois ans avec lui lors du décès. 

[44]           Quant à l’argument du représentant de madame Jalbert concernant le fait la cohabitation n'est pas nécessaire pour conclure que des personnes sont conjoints de fait, le tribunal l’écartement d’emblée vu que la définition de conjoint prévue à la loi prévoit expressément que les personnes doivent résider ensemble au moment du décès.

[45]           De façon subsidiaire, le représentant de madame Jalbert a fait valoir qu’elle avait eu le comportement d’un conjoint dans les derniers mois de la vie du travailleur. La première commissaire souligne dans la décision que madame Jalbert a accompagné le travailleur dans sa maladie au mieux de ses capacités. Il ne s’agissait toutefois pas d’un élément déterminant qu’elle devait considérer compte tenu de la définition de conjoint prévue à la loi.

[46]           Le tribunal constate que la première commissaire s’est basée sur la définition de conjoint prévue à la loi pour rendre sa décision et que c’est sur la base d’une analyse minutieuse de la preuve reçue qu'elle en est venue à la conclusion que madame Jalbert ne répondait plus à la notion de conjoint lors du décès du travailleur.

 

[47]           Comme il n’appartient pas au tribunal de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par la première commissaire lorsqu’aucune erreur manifeste de droit ou de fait ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation n'a été démontrée, le tribunal conclut que la décision déclarant que madame Jalbert n’était pas conjointe du travailleur au moment du décès de celui-ci et qu'elle n'a pas droit aux indemnités prévues à la loi n'a pas à être révisée.

[48]           Compte tenu de la conclusion à laquelle le soussigné vient d’en arriver et en l’absence d’arguments démontrant que la décision de la première commissaire à l’effet que la CSST était bien fondée de réclamer à madame Jalbert la somme de 59 622,96$ reçue sans droit devait être révisée, le tribunal rejette la requête en révision de madame Jalbert sur cette question également.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de madame Gisèle Jalbert.

 

 

 

__________________________________

 

Alain Vaillancourt

 

 

 

 

Victor Cayer, avocat

Cayer, Lapointe

Représentant de la partie requérante

 

 

Claude Turpin, avocate

Panneton Lessard

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c.A-3.001

[2]           L.R.Q., c.A-3.001

[3]          [1998] C.L.P. 733

[4]          [1998] C.L.P. 783

[5]          [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[6]          04-01-22, (30009)

[7]           [2005] C.L.P. (C.A.)

[8]           Représentant du travailleur au début de l’affaire

[9]           Précité, note 4

[10]         C.A.L.P. 0894-03-8609, 26 mars 1987, C. Groleau

[11]         C.L.P. [1998] 1031

[12]         Précité, note 2

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