Société de transport de Montréal |
2012 QCCLP 1076 |
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[1] Le 10 août 2011, Société de transport de Montréal (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 27 juillet 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 3 février 2011 et déclare que le coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par monsieur Jean-Hugues Labrecque (le travailleur) le 19 avril 2010 doit être imputé au dossier de l’employeur.
[3] La Commission des lésions professionnelles a convoqué l’employeur à une audience qui devait se tenir à Montréal le 10 février 2012. L’employeur ne s’est pas présenté à l’audience. Le dossier est mis en délibéré et le tribunal rend une décision sur dossier.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Suivant les informations consignées au dossier, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un transfert du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur, invoquant le deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisque l’accident est survenu par la faute d’un tiers.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert de l’imputation suivant les dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[6] Ces dispositions prévoient ce qui suit en matière d’imputation :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Tel qu’il appert du libellé de l’article 326 de la loi, cette disposition prévoit, à son premier alinéa, la règle générale en matière d’imputation. Ainsi, de façon générale, la CSST impute le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail à l’employeur chez qui œuvre le travailleur au moment de l’accident. Cette disposition prévoit également, à son deuxième alinéa, des exceptions à la règle générale qui permettent d’effectuer une imputation différente lorsque l’employeur doit supporter injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers ou qu’un employeur est obéré injustement. Dans de tels cas, le coût des prestations pourra être imputé aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
[8] L’employeur demande un transfert de l’imputation dans ce dossier en raison de la responsabilité d’un tiers, qu’il décrit comme étant un automobiliste qui a eu une altercation avec le travailleur, et qu’il estime être responsable de la lésion professionnelle du travailleur.
[9] Les faits de la présente affaire nous apprennent que le travailleur exerce les fonctions de chauffeur d’autobus. Le 19 avril 2010, alors qu’il conduit un autobus, il subit un accident du travail entraînant un stress post-traumatique à la suite d’une altercation avec un automobiliste.
[10] L’événement survient alors qu’un automobiliste tente de dépasser l’autobus par la gauche. L’automobiliste immobilise son véhicule à la hauteur de l’autobus à l’arrêt suivant. La fenêtre de l’autobus est ouverte et l’automobiliste crie au travailleur de descendre de l’autobus, en le menaçant d’une altercation physique et crachant vers lui. Suivant les informations consignées au dossier, le travailleur refuse de sortir de l’autobus et demande à son tour à l’automobiliste de sortir de son véhicule. Ce dernier s’exécute et vient frapper avec ses poings dans la porte de l’autobus, qui demeure fermée, en criant et en menaçant le travailleur. L’altercation prend fin lorsque l’automobiliste de même que le travailleur quittent les lieux.
[11] Le travailleur consulte le docteur S. Osman le 20 avril 2010 qui mentionne sur l’attestation médicale que le travailleur a subi une agression et retient un diagnostic de stress post-traumatique. Il prescrit un arrêt de travail.
[12] Le 20 mai 2010, la CSST rend une décision et accepte de reconnaître que le travailleur a subi un accident du travail le 19 avril 2010 entraînant un stress post-traumatique. Cette décision n’est pas contestée.
[13] Le 10 janvier 2011, l’employeur demande à la CSST de lui accorder un transfert de l’imputation dans ce dossier puisque, selon lui, l’accident du travailleur est majoritairement attribuable à un tiers et il est ainsi injuste de lui en imputer le coût des prestations.
[14] La CSST procède à l’analyse de la demande de l’employeur, tel qu’il appert des notes évolutives du 2 février 2011. Elle refuse la demande de l’employeur retenant que malgré la présence d’un tiers, soit l’automobiliste à l’origine de l’altercation, l’employeur n’a pas démontré la faute majoritaire du tiers dans la survenance de l’événement. La CSST conclut en ce sens en raison du fait que le travailleur a invité le tiers à descendre de son véhicule.
[15] L’employeur demande la révision de cette décision rendue le 3 février 2011 par la CSST. L’analyse du dossier en révision administrative amène la réviseure à conclure dans le même sens. Elle retient également que malgré la présence d’un tiers en l’espèce, le travailleur a participé à l’altercation verbale en invitant le tiers à descendre de sa voiture et la CSST ne peut conclure à une responsabilité du tiers contributive à plus de 50 %.
[16] Après analyse des éléments de la preuve consignés au dossier, la Commission des lésions professionnelles conclut dans le même sens que la CSST et rejette la demande de transfert d’imputation de l’employeur.
[17] La notion de l’accident attribuable à un tiers à été analysée par la Commission des lésions professionnelles, qui a rendu une décision de principe par une formation de trois juges administratives dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[2], qui s’intéressait aux dispositions de l’article 326 de la loi lorsqu’un accident était attribuable à un tiers.
[18] Il ressort de cette décision que pour pouvoir conclure qu’un accident est attribuable à un tiers et ainsi transférer le coût des prestations qui est inhérent aux employeurs des autres unités, il faut démontrer les quatre éléments suivants :
- l’existence d’un accident du travail
- la présence d’un tiers
- le fait que l’accident est attribuable à un tiers
- le fait que l’imputation au dossier de l’employeur aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison de cet accident.
[19] En l’espèce, la preuve démontre clairement que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 19 avril 2010 et celle-ci a été reconnue par la CSST dans une décision rendue le 20 mai 2010, décision devenue finale.
[20] L’employeur identifie le tiers comme étant l’automobiliste ayant participé à l’altercation avec le travailleur. La Commission des lésions professionnelles reconnaît, tout comme l’a fait la CSST, qu’il s’agit d’un tiers puisqu’il n’est pas l’employeur ni un autre des travailleurs de celui-ci.
[21] La jurisprudence majoritaire[3] retient que l’expression « attribuable à un tiers », dans le contexte de l’article 326 de la loi, doit être interprétée dans le sens d’une contribution majoritaire du tiers à la survenance de l’accident du travail.
[22] Il faut donc établir que le tiers, par ses agissements ou ses omissions, est l’auteur ou a contribué de façon majoritaire à la survenance de l’accident, c’est-à-dire qu’il a joué un rôle déterminant dans les circonstances qui ont provoqué l’accident dans une proportion supérieure à 50 %.
[23] La Commission des lésions professionnelles estime qu’en l’espèce, cette démonstration n’a pas été faite par l’employeur.
[24] L’employeur n’a soumis à la Commission des lésions professionnelles aucune information supplémentaire à celles consignées au dossier. Or, suivant les éléments de la preuve, il appert que le travailleur a participé d’une certaine façon à l’altercation verbale qui a eu lieu avec l’automobiliste et qui a généré la lésion psychologique du travailleur.
[25] En effet, le travailleur a invité le tiers à poursuivre l’altercation verbale, ce que ce dernier a fait. C’est alors que l’automobiliste est sorti de son véhicule et est venu s’en prendre physiquement à l’autobus que conduisait le travailleur. Si le travailleur ne l’avait pas invité à descendre de son véhicule, l’altercation aurait pu prendre fin sans plus de conséquences.
[26] Considérant ces éléments, la Commission des lésions professionnelles ne peut conclure que la survenance de l’accident du travail est due majoritairement au tiers, soit à l’automobiliste. L’employeur ne peut donc bénéficier du transfert d’imputation qu’il demande.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du 10 août 2011 de Société de transport de Montréal, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue le 27 juillet 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit assumer le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Jean-Hugues Labrecque, le travailleur, le 19 avril 2010.
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Francine Juteau |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P. 288809-03B-0605, 28 mars 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie et J.-F. Martel.
[3] Société immobilière du Québec et Centre Jeunesse de Montréal [2000] C.L.P. 582 ; Natrel et Marché Duchemin et frères enr., C.L.P. 123564-61-9909, 9 mars 2000, G. Morin; Hydro-Québec et CSST, C.L.P. 118465-01A-9906, 14 avril 2000, Y. Vigneault; Société des alcools du Québec et Placements Havrex ltée, C.L.P. 184726-62B-0205, 4 décembre 2002, Alain Vaillancourt; Restaurant chez Trudeau inc, et Foyer Général inc., C.L.P. 192626-62B-0210, 7 avril 2003, M.-D. Lampron (03LP-15); Ministère des Transports et CSST, précitée note 2.
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