Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2012 QCTAQ 04180
Dossiers : SAS-M-096310-0409 / SAS-M-115164-0603 / SAS-M-117960-0605
DOMINIQUE MARCIL
NATALIE LEJEUNE
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Il s’agit d’un recours formé à l’encontre de trois décisions rendues en révision par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), à la suite de l’accident d’automobile dont a été victime le requérant le 27 mai 2003 :
· une première décision du 21 juillet 2004 : dossier SAS-M-096310-0409;
· une seconde décision du 21 mars 2006 : dossier SAS-M-115164-0603;
· une troisième décision du 11 mai 2006 : dossier SAS-M-117960-0605.
[2] Au début de l’audience tenue à Montréal les 15 et 16 février 2012, les procureurs des deux parties demandent au Tribunal d’entériner une Déclaration de Règlement hors cour partiel , concernant les trois dossiers ci-haut mentionnés, qui est ainsi libellée :
« Le requérant, tant personnellement que par ses procureurs soussignés et l’intimée par ses procureurs soussignés, déclarent réglés les éléments suivant dans la présente cause :
1° La partie intimée reconnaît que le requérant n’était pas en mesure de reprendre son emploi le 20 juillet 2004 et accepte de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement de revenu rétroactivement à partir de cette date;
2° La partie intimée reconnaît qu’en date de la signature de la présente déclaration le requérant continue d’avoir droit au versement de son indemnité de remplacement de revenu;
3° La partie intimée ne déterminera pas d’emploi en vertu de l’article 46 de la Loi sur l’assurance automobile au requérant sous réserve d’un changement de situation;
4° La partie intimée reconnaît que la condition médicale du requérant le rendait éligible au remboursement des frais engagés à titre d’aide personnelle à domicile et ce conformément à la pondération établie par monsieur Claude Bougie, ergothérapeute dans son rapport du 17 juillet 2009 en vertu de la grille d’aide personnelle et ce rétroactivement au 27 novembre 2003 et que celui-ci continue de présenter des besoins d’aide personnelle en date de la présente déclaration en conformité avec la dernière grille complétée par monsieur Claude Bougie dans son rapport du 17 juillet 2009, le versement des sommes demeurant toutefois conditionnel à la présentation des pièces justificatives attestant l’engagement des frais;
5° La partie intimée accepte de rembourser les frais réclamés par le requérant pour un transport ambulancier le 25 novembre 2003;
6° La partie intimée accepte de rembourser entre autres les frais réclamés par le requérant pour l’achat des médicaments Rivotril, Ativan et PMS-Clonazepam, Effexor et Advil;
7° La partie intimée accepte de rembourser les frais de déplacements réclamés par le requérant pour les consultations médicales découlant de sa condition;
8° La partie requérante renonce à contester le refus de remboursement des frais réclamés pour les traitements en hypnothérapie et les frais de déplacement afférents et se désiste de cette réclamation;
9° L’ensemble des montants payables à titre rétroactif portent intérêt au taux légal;
10° Les parties conviennent que la présente déclaration constitue un règlement partiel des dossiers mentionnés en objet et que le litige concernant le montant de l’indemnité pour préjudice non-pécuniaire dans le dossier SAS-M-115164-0603 subsiste entièrement malgré la présente déclaration;
11° Les parties conviennent que la présente déclaration règle toutefois entièrement et de façon finale et définitive tous les litiges actuellement contestés devant le Tribunal administratif du Québec sous réserve du paragraphe 10 de la présente déclaration;
12° La présente déclaration n’empêchera pas le requérant de réclamer à l’intimée les autres frais ou indemnités prévus à la Loi sur l’assurance automobile du Québec qui ne sont pas visés par ladite déclaration ou qui n’ont pas par ailleurs fait l’objet d’une décision finale;
13° Les sommes payables en vertu de la présente déclaration seront expédiées au bureau d’avocats Laporte & Lavallée situé au 896, boulevard Manseau, Joliette, Québec, J6E 3G3;
14° La présente déclaration constitue une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec. Il ne s’agit pas d’une décision au sens de la Loi sur l’assurance automobile qui peut faire l’objet d’une demande de révision ou d’une contestation devant le Tribunal administratif du Québec et elle ne peut en aucune façon être invoquée à titre de précédent autrement qu’en application de la présente transaction;
15° Les parties reconnaissent avoir lu et compris chacun des paragraphes de la présente déclaration et s’en déclarent satisfaites;
16° Les parties reconnaissent avoir reçu toute l’assistance nécessaire afin de s’informer des conséquences de la signature de la présente déclaration et déclarent en bien saisir la portée.
_____________________________ ____________________________
J... V... ME ANDRÉ LAPORTE
Partie requérante LAPORTE & LAVALLÉE
Procureur de la partie requérante
_____________________________
ME JULIEN GAUDET LACHAPELLE
RAICHE PINEAULT, TOUCHETTE
Procureur de la partie intimée
FAIT à MONTRÉAL, ce 7e jour de FÉVRIER 2012 » (sic)
[3] Le Tribunal en prend acte.
[4] Il ne persiste donc en litige que la question du refus de la SAAQ d’accorder au requérant une indemnité pour perte de qualité de vie permanente (décision initiale de la SAAQ du 29 septembre 2004 confirmée en révision le 21 mars 2006).
[5] À cet égard, le procureur du requérant demande au Tribunal d’accorder à son client une indemnité pour perte de qualité de vie correspondant à :
· une classe de gravité 3 pour la Fonction psychique (DAP[1] : 15 %); et à
· une classe de gravité 4 pour l’unité fonctionnelle de l’État de conscience (DAP : 60 %)
pour un total de 75 %[2].
[6] De son côté, le procureur de la SAAQ soumet que seule une indemnité correspondant à une classe de gravité 3 pour la Fonction psychique devrait être accordée au requérant (DAP : 15 %).
[7] Bien que présent au Tribunal les 15 et 16 février 2012, le requérant n’a pas été en mesure, en raison de sa condition de santé, d’assister à l’audience. Le Tribunal a donc procédé en présence de son procureur, selon le souhait du requérant.
[8] De l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal retient ce qui suit.
[9] Le 27 mai 2003, le requérant, qui a alors 43 ans, est victime d’un accident d’automobile.
[10] Au moment de l’accident, le requérant travaille depuis deux ans à temps plein comme concierge dans une église.
[11] Le requérant souffre initialement d’une entorse dorso-lombaire[3] et il présente, au cours de l’été 2003, des symptômes reliés à un trouble de conversion. Ce dernier diagnostic sera plus tard reconnu en relation avec l’accident du 27 mai 2003[4].
[12] À la suite de l’accident, le requérant bénéficie d’un suivi médical régulier. Il est traité au fil du temps en physiothérapie, en ergothérapie, en acupuncture et en massothérapie. Des traitements d’hypnose seront éventuellement tentés.
[13] Le 21 octobre 2003, le docteur Normand Moussette, neurologue, fait mention dans un rapport adressé à la SAAQ de la présence de lombalgie, de même que de mouvements anormaux et de spasmes au membre supérieur droit et aux deux membres inférieurs chez le requérant. Il précise avoir observé à l’examen du requérant des spasmes et des mouvements anormaux, des dystonies et des myoclonies de même qu’une contraction dorso-lombaire. Il dirige le requérant en consultation au service de médecine psychosomatique de l’hôpital A.
[14] Le 25 novembre 2003, le requérant est transporté par ambulance à l’hôpital A, Le technicien ambulancier fait mention de spasmes musculaires involontaires, de crises séquentielles généralisées sans perte de conscience.
[15] Le 5 janvier 2004, le docteur Thi Tuong Nguyen fait mention de spasmes musculaires aux membres et de mouvements anormaux chez le requérant dans un rapport adressé à la SAAQ. Comme signes cliniques, le docteur Nguyen rapporte des spasmes subits et des contractions dorso-lombaires.
[16] Dans ses rapports adressés par la suite à la SAAQ, le docteur Nguyen rapportera les mêmes signes cliniques et répétera les diagnostics de lombalgie et de mouvements dystoniques atypiques[5].
[17] Le 21 janvier 2004, le docteur André Roy, physiatre, évalue le requérant à la demande du docteur Nguyen. Il écrit ce qui suit :
« Examen objectif :
On observe un patient qui collabore bien.
Il présente en position assise des mouvements dystoniques en flexion touchant les deux poignets et coude droit. En cours d’entrevue, les mouvements dystoniques se corrigent au niveau du membre supérieur droit. Spontanément, celui-ci réussit à réduire les positions dystoniques au niveau du membre supérieur gauche.
En position debout, il présente des mouvements de flexion et latéro-flexion accompagnés de bruits respiratoires. Ces épisodes durent de 15 à 20 secondes et se corrigent spontanément.
[…]
Impression diagnostique :
Mouvements dystoniques atypiques. »
[18] Le 22 janvier 2004, le docteur André Lelièvre, psychiatre du service de médecine psychosomatique de l’hôpital A évalue le requérant[6]. Il écrit ce qui suit :
« […] À ces douleurs se sont ajoutés des spasmes musculaires, d’un bras, ou des deux bras, du dos, des jambes. […] Il décrit être tombé à quelques reprises, mais « doucement », sans jamais se faire mal ou se causer de blessures. […]
[…]
À l’examen mental
[…] Lorsque je voudrai l’examiner, il se remettra à présenter subitement ces mouvements des deux bras et à se « crochir » à nouveau. […]
Tout au long de l’entrevue, le patient demeurera souriant, très volubile, ne démontrant pas de souffrance psychique. […]
Je ne note aucun signe psychotique : aucune idée délirante, aucune bizarrerie de la pensée, aucune hallucination. Je ne note aucun déficit cognitif : la concentration est très bonne, la vigilance est bonne, pas de ralentissement psychique, la mémoire est précise, aucun trouble du langage. »
[19] Le 2 février 2004, le requérant décrit ainsi sa condition dans un formulaire (Évaluation des besoins pour une aide personnelle à domicile) adressé à la SAAQ :
« J’habite au 2e étage (donc 2 étages à monter et/ou descendre). Rendu en haut ou en bas (dépendant aussi des douleurs continues au dos, bras et faiblesse(s) aux jambes) je peux commencer à subir un ou des spasmes me faisant plus ou moins crochi-plier en deux, crochir des bras, avant-bras, mains et doigts comme de la dystrophie musculaire. […] » (sic)
[20] Le 5 mars 2004, le docteur Robert Duchesne, orthopédiste, produit un rapport d’évaluation du requérant réalisée à la demande de la SAAQ. Il écrit ce qui suit :
« À l’arrivée à mon cabinet d’examen, il gémissait, accusait des mouvements spastiques d’allure contractures volontaires aux quatre membres, se tenait en position de flexion quasi complète de la colonne dorso-lombaire, se disant incapable de se déplacer et de se relever du fauteuil roulant…
[…]
Séquelles en fonction du barème des années 2000
[…]
[…] nous pouvons néanmoins statuer que ce patient a présenté une entorse dorso-lombaire associée à des phénomènes de discopathie dégénérative à la colonne lombaire, sans évidence de radiculopathie aux membres inférieurs.
Nous jugeons donc le niveau de gravité comme étant de classe sous le seuil minimal en ce qui a trait au déplacement et au maintien du tronc. »
[21] Le 8 avril 2004, le docteur Suzanne Rousseau, neurologue, évalue le requérant à la demande de la SAAQ. Elle écrit ce qui suit :
« Monsieur [le requérant] est âgé de 44 ans et s’est présenté seul à l’entrevue, circulant sans aide technique.
[…]
Malgré ses mouvements anormaux, monsieur [le requérant] n’a jamais fait de chutes.
[…]
Les mouvements anormaux, que monsieur [le requérant] qualifie de spasmes au niveau de ses membres inférieurs et de son tronc, surviennent surtout lors d’épisodes douloureux et peuvent aussi se manifester en position couchée. Lorsque les douleurs sont trop intenses et qu’il se sent trop crispé malgré le passage du temps, il préfère parfois se coucher par terre.
Monsieur [le requérant] conduit un véhicule à traction manuelle mais, pour pouvoir conduire, il aurait installé deux manches à balai au niveau de son dossier pour éviter de s’appuyer sur le coussin. Lorsqu’il sent venir un spasme, il renfonce son dos sur lesdits balais et peut alors éviter ainsi les mouvements anormaux de ses membres inférieurs, ce qui lui permet de continuer à conduire.
À d’autres moments, ces mouvements sont limités en raison des spasmes musculaires. C’est ainsi que parfois il doit se mettre à genoux dans la douche pour pouvoir poursuivre cette activité.
[…]
Sur le plan de ses activités, il dit éprouver de la difficulté à faire la vaisselle en raison de la position d’inclinaison de son tronc qu’il doit alors maintenir. […] Il est capable de prendre sa douche, bien qu’il soit alors souffrant et il le fait avec lenteur. En définitive, toute activité qui nécessite qu’il maintienne une position debout lui occasionne des difficultés. […]
EXAMEN NEUROLOGIQUE
[…]
Tout au long de l’entrevue, monsieur [le requérant] offre une excellente collaboration, paraît même très souriant malgré les accès douloureux qu’il présentera surtout lors de l’examen physique et des gémissements qu’il émet alors.
[…]
À l’examen des membres, et malgré la survenue de spasmes avec torsion du tronc et flexion avant de celui-ci, il n’existe aucun déficit moteur focalisé ou segmentaire au niveau des membres non plus que d’atrophie musculaire.
[…]
Tout au cours de l’examen mais particulièrement à l’évaluation de la démarche, il est observé des mouvements de flexion antérieure et de rotation sinon de torsion du tronc à gauche avec semi-flexion et rotation interne du membre supérieur gauche, les doigts étant maintenus soit en extension ou encore en flexion. […]
[…]
Malgré tout, monsieur [le requérant] arrive à faire quelques pas sur les talons et le bout des pieds, bien que de façon difficile. […]
[…]
Par ailleurs, les mouvements anormaux dont se plaint le requérant et auxquels on assiste durant la présente entrevue ne ressemblent à aucune pathologie neurologique que je puisse connaître. […] »
[22] Le 22 avril 2004, le docteur Pierre J. Blanchet, neurologue, évalue le requérant à la demande du docteur Moussette[7]. Il écrit ce qui suit :
« […] En conduisant sa voiture, les mouvements du tronc sont contrôlés par des manches à balai qu’il place dans son dossier pour se redresser, mais les crises reprennent dès qu’il descend de sa voiture. Il y a 6 semaines alors qu’il faisait des courses à l’épicerie, son tronc est devenu tellement voûté que sa tête est tombée dans le panier.
[…]
Lors de l’entrevue en position assise, monsieur [le requérant] est apparu calme et n’a montré aucun spasme. À la marche, il présente de nombreux spasmes. […] À certains moments, les crises sont interrompues par des pauses où les mouvements sont réalisés de façon normale, et sans qu’aucun déficit neurologique latéralisé ne puisse être identifié. La marche semble particulièrement compromise et est associée à de nombreux spasmes en flexion, qui s’accompagnent d’une contraction de l’abdomen et de la glotte avec émission de bruits.
Monsieur [le requérant] présente donc un trouble du mouvement sous forme de spasmes axiaux et des membres gauches en particulier, variables d’un moment à l’autre, qui paraissent de nature psychogène. […] Je l’ai donc encouragé à poursuivre sa démarche en psychosomatique. […] »
[23] Le 27 avril 2004, le docteur Moussette, dans un rapport adressé à la SAAQ, indique comme diagnostics : spasmes axiaux, dystonie, somatisation, trouble de la personnalité. Il fait état comme signes cliniques de la présence de spasmes et de mouvements anormaux. Il juge le requérant non fonctionnel. Ses rapports subséquents seront au même effet, faisant état par ailleurs de lombalgie à certains moments[8].
[24] Le 20 juillet 2004, le docteur Hélène fortin, neurologue, évalue le requérant à la demande de la SAAQ. Elle écrit ce qui suit :
« Par ailleurs, monsieur ne rapporte pas de problème de sommeil, d’appétit ou d’humeur. Il mentionne à la maison vivre avec un nouveau conjoint, faire la vaisselle, le lavage quoiqu’il a parfois besoin d’aide pour ces travaux. Il mentionne faire d’autres commissions à l’extérieur du domicile mais être parfois incommodé car « Je marche croche. J’ai deux balais à neige dans l’auto pour me tenir debout droit sur la neige si je deviens croche » dit-il en entrevue. […]
[…]
EXAMEN MENTAL :
Homme qui paraît son âge, bien mis, très bonne hygiène, bonne collaboration, beaucoup d’entregent. On note que monsieur élabore abondamment sur toutes les questions, est très sourient et rit parfois même en entrevue, cela à plus d’une reprise, Durant l’entrevue, il ne présente aucun spasme ou mouvement anormal. L’affect n’est ni dépressif ni anxieux durant l’entrevue. […] Le cours de la pensée est dans la normale. […] Le contact avec la réalité est bon, […] Les fonctions cérébrales supérieures sont normales.
[…]
Monsieur décrit que sa symptomatologie actuelle avec les traitements reçus est nettement moindre qu’elle ne l’était en début d’évolution et que sa condition globale demeure en changement constant, cela pour le mieux actuellement. »
[25] Dans une requête adressée au Tribunal en contestation d’une décision rendue en révision par la SAAQ le 21 juillet 2004, le requérant écrit ce qui suit :
« En temps de crise de spasmes musculo-squelettique, je n’ai d’autre solution que de me coucher par terre, et attendre que ça passe. […] Qu’importe le lieu ou le moment, je peux presque qu’accomplir toutes les tâches journalières, mais avec la garanti que des spasmes surgiront sous-peu avec les douleurs qui me sont infligées de ce fait. […] » (sic)
[26] Le 29 septembre 2004, la SAAQ avise le requérant qu’il n’a pas droit à une indemnité pour perte de qualité de vie permanente, sa condition étant jugée sous le seuil minimal d’indemnisation. La SAAQ considère alors les blessures suivantes : douleur lombaire et entorse lombaire/lombo-sacrée avec signes musculo-squelettiques.
[27] Le requérant se pourvoit en révision de cette décision.
[28] Le 20 avril 2005, le requérant fait état de sa condition en ces termes dans une demande de révision adressée à la SAAQ :
« […] pour crises aigues de ma SPASTICITÉ = spasmes musculo-squelettiques et secousses, tout est très douloureux, je deviens rigide et difforme, mobilité de réduite à impossible, sommeil perturbé, cela se produit à tout moment sans raison. […] » (sic)
[29] Le 24 août 2005, le docteur Edouard Beltrami, psychiatre, évalue le requérant à la demande de son procureur précédent. Il écrit ce qui suit :
« […] Il a donc passé une durée active de 4 heures dans nos bureaux. Il est à noter que ce que nous appelons la crise de torsion, nous avons continué à communiquer avec monsieur même si sa position était inconfortable même si il répondait un peu plus lentement ou différemment.
[…]
E.Limitations fonctionnelles
Monsieur dit avoir de la difficulté à voir, entendre, sentir, toucher et goûter à cause de sa problématique. Il a du mal à se lever et à se coucher et il doit prendre du Rivotril, de l’Advil, du Lovacort et du Gaviscon pour pouvoir dormir et manger ainsi que marcher.
Comme nous l’avons dit, il a du mal à se laver. Il a du mal à supporter le froid. Il a du mal à préparer les repas et faire les courses, à s’asseoir, à maintenir une position. Il a du mal à laver son linge, à entretenir ses vêtements, les ranger et les ramasser. Il se considère comme totalement incapable de faire tout ce qui touche un grand ménage. Il dit que dans sa situation, il le fait avec difficulté et c’est non recommandable de monter des escaliers, descendre des escaliers, se promener, marcher dans la rue, marcher dans un parc, se déplacer, monter dans un véhicule.
Par contre il peut conduire un véhicule. Il est non recommandable de prendre le transport en commun et d’être en public. Il oscille entre l’incapacité totale et la capacité avec difficulté de lire, de lire un journal et s’en souvenir, de lire un livre et de s’en souvenir et d’écrire. Il a du mal à contrôler ses émotions. Il se considère que, sil il devait travailler, il serait incapable de maintenir une cadence, incapable de maintenir un rythme de travail, incapable d’exécuter des tâches simples, répétitives et incapable d’exécuter des tâches complexes et variées.
[…]
Actuellement il continue de lire sur les ordinateurs car les lettres sont grosses et il peut y accéder. Il continue à faire du vélo mais par contre il a du mal à jouer de la musique.
[…]
2.Comportement psychomoteur
Il a un comportement totalement immobile quand il cherche une date en particulier et à d’autres moments il a une mobilité normale. En dehors des périodes de crise il nous paraît totalement normal, il a un bon débit verbal et il a des mouvements adéquats. »
[30] Il conclut notamment ainsi :
« Axe 5 Évaluation Globale du Fonctionnement (EGF)
Monsieur peut encore conduire donc il a un EGF au dessus de 50 certainement. Mais il a du mal à s’engager dans une activité soutenue et constante. EGF 65%.
[…]
· existence du pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychiatrique du client;
Quelles que soient les circonstances qui ont entouré l’apparition de ses troubles somatoformes, il n’y a pas de doutes que monsieur en souffre et que cela lui nuit amenant un 5% de DAP soit une gravité 2 SAAQ 2000.
· existence ou évaluation de limitation fonctionnelle du client.
Il faut bien comprendre qu’il y a des moments où monsieur a ses limitations fonctionnelles comme des moments où il peut lire et des moments où il ne peut pas lire. Il y a des moments où il se comporte tout à fait adéquatement et il y a des moments où il ne se comporte pas adéquatement. Donc, cela est très variable d’un moment à l’autre. D’ailleurs on note que pour une activité qui lui donne énormément de bénéfices qui est celui de la voiture, malgré toutes ses difficultés, il peut conduire et il n’a pas fait de crises en conduisant et il n’a pas été nécessaire de lui enlever son permis de conduire à cause du trop grand danger des crises.
Donc, les limitations fonctionnelles sont très liées à des moments très particuliers et elles ne sont pas là pour toute la vie. […] »
[31] Le 26 octobre 2005, le docteur Louis Côté, psychiatre, évalue le requérant à la demande de la SAAQ. Il écrit ce qui suit :
« Actuellement, la vie que décrit monsieur [le requérant] semble surtout consacrée à l’entretien journalier de son logement, de son hygiène et de ses besoins de base. Il est en contact avec une tante, membre d’un ordre religieux, il parle avec elle, celle-ci lui demande à l’occasion des services.
[…]
EXAMEN MENTAL :
[…] Il allègue également que le trajet à pied entre sa voiture et le lieu du rendez-vous a entraîné une augmentation des spasmes.
Dans les faits, lorsque nous allons le chercher à la salle d’attente, il est couché au sol, en position de type fœtale, avec des flexions des membres supérieurs et inférieurs, une flexion en torsion interne du poignet gauche, une torsion latérale du cou et une contracture au niveau de la mâchoire. […] Lorsque nous lui offrons de lui donner la main pour l’aider à se relever, il nous fait signe de la tête qu’il ne veut pas. Il arrive à se relever lui-même. […] »
[32] Le 24 février 2006, le docteur Gilles Bernier, neurologue, fait rapport à la SAAQ et indique comme diagnostic : « mouvements dystoniques diffus ». Au chapitre des signes cliniques, il fait aussi état de mouvements dystoniques diffus. Il juge le requérant incapable de travailler et limité dans toutes les activités.
[33] Le 7 mars 2006 et le 7 juin 2006, dans des rapports adressés à la SAAQ, le docteur Moussette précise que l’examen neurologique du requérant est normal à l’exception des spasmes diffus, mouvements anormaux, dystonie et tremblements qu’il présente.
[34] Le 21 mars 2006, la SAAQ, en révision, confirme sa décision initiale de refuser d’accorder au requérant une indemnité pour perte de qualité de vie permanente.
[35] D’où le présent recours.
[36] Le 18 mars 2009, le docteur Michel Grégoire, psychiatre, évalue le requérant à la demande de son procureur. Il rapporte notamment ce qui suit :
« Monsieur se plaint de faiblesse, de spasmes […] Il doit se déplacer en chaise roulante car il y aurait dérobade de sa jambe gauche qu’il ne peut prévoir. […] Il peut cependant se déplacer sans chaise roulante chez lui pour de courtes distances en s’appuyant sur les meubles ou sur les comptoirs, dit-il
Il se plaint également de douleurs d’intensité variable surtout au niveau du dos.
[…]
En termes de réseau, monsieur rencontre ses cousines, sa mère à l’occasion. Très rarement, il va rencontrer d’anciennes religieuses pour lesquelles il a travaillé. Ses parents demeurent à Ville A. Monsieur communique surtout par Internet avec ces derniers. Il visite une ou deux fois par année une nièce à Ville B.
[…]
Questionné sur ses activités, monsieur allègue s’endormir vers minuit et se lever vers midi. Il lui arrive de s’éveiller 3 ou 4 fois durant la nuit. Il lui arrive également durant la journée de se recoucher. Monsieur essaie de faire un peu de rangement. Il essaie de faire la vaisselle en position assise. Il prépare les lavages mais ne peut soulever le linge lourd, dit-il. Il peut cependant plier le linge une fois séché. Monsieur occasionnellement fait de petites sorties pour aller magasiner. Il regarde la télévision, communique par Internet avec certains membres de sa famille. Monsieur nous dit que les journées sont longues et qu’il s’ennuie.
RÉSUMÉ DE LA CONDITION ACTUELLE
Aux dires de monsieur, se sont essentiellement les spasmes, son incapacité alléguée à marcher, de saisir des objets avec la main gauche, des crises parfois spastiques qui peuvent survenir de façon aiguë lorsqu’exposé à un bruit ou à un stimulus trop intense qui empêchent monsieur de fonctionner même au quotidien. Monsieur nous dit qu’il n’est pas déprimé bien que son moral soit fluctuant. Par périodes, il lui arrive de pleurer, dit-il.
Monsieur se plaint d’une certaine fatigabilité. Il manque parfois un peu d’entrain « je me tanne vite ». L’appétit est variable mais le poids a augmenté. En général, il n’y a pas de problème de sommeil. La libido serait diminuée. Monsieur n’a pas tendance à se culpabiliser, n’a pas d’idées suicidaires. Il ne se déclare pas anxieux ni irritable. Il se plaint de problèmes de mémoire et de concentration.
ENTREVUE ET EXAMEN OBJECTIF
[…] Monsieur a alors devant nous déclenché une crise de spasmes à répétition avec rictus du visage. Nous lui avons offert un peu d’aide mais il a refusé. Il s’est précipité sur son masque à oxygène et les spasmes ont cessé après 5 à 7 minutes sans que nous n’intervenions. Il a retrouvé son sourire par la suite.
[…] Les fonctions mentales supérieures sont dans le registre normal. La mémoire nous apparaît très bonne. […] » (sic)
[37] Il conclut ainsi :
« RECOMMANDATIONS MÉDICO-ADMINISTRATIVES
1. Diagnostic DSM-IV :
Axe V : Niveau de fonctionnement actuel sur échelle AGF en regard des informations fournies code 55. En effet, si nous concluons que les troubles du mouvement que présente monsieur sont d’origine psychogène, il faut donc les intégrer dans l’évaluation de l’échelle EGF. Un fonctionnement entre 51 et 60 se définit de la façon suivante : « Symptômes d’intensité moyenne ou difficulté d’intensité moyenne dans le fonctionnement social, professionnel ou scolaire. »
[…]
Les séquelles permanentes sont consécutives aux manifestations du trouble de conversion qui entraînent sur l’échelle EGF un niveau de fonctionnement de l’ordre de 55, […] Ceci correspond à une classe de gravité 3 selon le barème SAAQ 2000+ et entraîne un DAP de 15%.
Les limitations fonctionnelles sont essentiellement liées au problème de mouvement, à l’incapacité alléguée de se déplacer sans fauteuil roulant et aux crises spastiques qui peuvent survenir lors de l’exposition à des bruits. Le tout découle directement du trouble de conversation. Il n’y a cependant pas d’autres limitations fonctionnelles d’ordre strictement psychiatrique.
[…] ce dernier demeure à notre avis incapable de reprendre un emploi rémunéré tant et aussi longtemps que les manifestations de son trouble de conversion seront présentes. » (sic)
[38] Le 5 mai 2009, le docteur Robert Filiatrault, neurologue, évalue le requérant à la demande de son procureur. Il rapporte ce qui suit :
« […] Nous avons pu entrevoir deux de ces crises lors de notre examen. La première crise a été provoquée suite à l’extension des bras vers le haut, et a consisté en des secousses rotatoires brusques vers la droite, impliquant le membre supérieur gauche et le tronc. Une flexion vers l’avant s’est manifestée, et le patient recherchait l’oxygène qu’il a en sa possession en tout temps qui semble soulager ses crises. Celle-ci a duré 5 minutes, avec des bruits étouffés émis. Il a réussi à bouger son membre supérieur droit pour aller chercher son portefeuille, mais manifestait des flexions forcées, paroxystiques du cou, avec les bruits décrits ci-haut. L’oxygène a été utilisé pendant 5 minutes, avec des hésitations respiratoires sans hyperventilation. Il nous a dit après que cette crise fut terminée, c’est-à-dire environ 5 à 10 minutes, qu’il a eu une crise lors d’un rendez-vous au Centre A hier qui a duré 2 heures de temps.
Il utilise un fauteuil roulant à cause d’un problème rapporté au niveau de son genou gauche qui le supporte mal. […]
À la fin de l’entrevue, lors de son trajet pour sortir du cabinet, le patient a présenté une autre crise où il a manifesté des secousses myocloniques avec opistotonos sur son fauteuil roulant, tombant par terre dans le corridor, avec toujours absence de perte de contact durant la crise mais effort pour essayer de retrouver son oxygène dont il peut manipuler le contrôle avec sa main droite. La crise a été un peu plus longue, environ 10 à 15 minutes, le patient ne se blessant pas physiquement lors de la chute qui a été plutôt un glissement du fauteuil roulant vers le sol. Pendant cette crise, il y a eu des secousses irrégulières, mais pas de déviation du regard.
[…]
Par ailleurs, il est séropositif, et manifeste un syndrome d’immunodéficience […] Il reçoit actuellement une trithérapie […] Lorsqu’il marche, son genou gauche peut lâcher, ce qui entraîne une crise de spasmes […]
[…]
EXAMEN : À l’examen, on note les deux crises décrites ci-haut, et le fait qu’au repos, le patient a des spasmes en extension des membres supérieur et inférieur gauches, s’étendant sur le fauteuil roulant avec extension de l’ensemble de son corps. Il a également des moments où il y a des flexions forcées de son avant-bras gauche sur son bras mais peut parler pendant ses crises qui surviennent subitement et sont majeures dans leur amplitude. Le contact visuel demeure pendant la crise. Il n’y a pas d’apparence de perte de contact. Sa pression artérielle est à 130/80, le rythme cardiaque régulier à 76 par minute.
L’examen neurologique est difficile compte tenu de ses spasmes continuels manifestes à l’examen. […]
[…] les forces segmentaires normales et symétriques. […] L’examen sensitif est normal […] » (sic)
[39] Il conclut ainsi :
« Quant à nous, les épisodes que nous avons observés représentent des pseudo-crises épileptiques, c’est-à-dire de l’activité paroxystique d’allure myoclonique ou dystonique sans qu’une réelle activité épileptique ne soit présente et sous-jacente. Les éléments qui nous font faire ce diagnostic sont la phénoménologie des crises d’une part, l’absence de perte de contact durant les épisodes, leur durée. Nous sommes donc d’accord avec les docteurs Normand Moussette, Gilles Bernier, Pierre Blanchette et Suzanne Rousseau qui ont évalué comme neurologue ce patient et ont retenu le syndrome de conversion comme étiologie du problème.
[…]
Quelle est la classe de gravité ?
Comme il n’y a pas de codification spécifique pour les pseudo-convulsions dont souffre ce patient, nous les placerons sous l’item 2, état de conscience, et attribuons une classe de gravité 4 : 60%
Quelles sont les limitations fonctionnelles ?
Cette personne est inapte pour tout travail actuellement à cause de la prévalence fréquente des crises décrites ci-haut. »
[40] Le 17 juillet 2009, monsieur Claude Bougie, ergothérapeute, produit un rapport d’évaluation des besoins du requérant en aide personnelle à domicile, réalisée à la demande de son procureur. Il écrit ce qui suit :
« Monsieur bénéficie également d’un fauteuil roulant […] Il souligne qu’il a recours au fauteuil roulant pour ses déplacements extérieurs en raison de son manque de tolérance à l’effort ou à la marche. Il précise que c’est son colocataire qui monte ou descend le fauteuil roulant au besoin mais qu’en générale il demeure au niveau de l’entrée de l’immeuble. J’ai effectivement pu observer la présence du fauteuil roulant. Monsieur me mentionne également qu’il lui arrive de devoir prendre des pauses assis dans les marches en montant les escaliers.
Monsieur m’informe qu’il bénéficie du service de transport adapté (TRAM) depuis le 27 novembre 2007. Il n’a plus de véhicule depuis le 25 novembre 2006.
[…]
23. lever et coucher |
Monsieur bénéficie d’une civière d’hôpital qu’il utilise en guise de lit. Cette civière permet le positionnement si requis. Monsieur est autonome pour y compléter les transferts. |
24. utiliser les commodités du logis |
Monsieur est autonome pour utiliser les commodités du domicile. |
25. monter et descendre d’un moyen de transport |
Autonome. Monsieur bénéficie aussi du système TRAM. |
[…]
27. préparation de repas simples |
Monsieur mentionne qu’il est autonome pour la préparation de repas simple ou pour se faire réchauffer un plat préparé. […] |
28. préparation d’un repas complexe |
Monsieur participe à la préparation de repas complexes mais n’a pas la tolérance requise pour conserver une position debout prolongée ou pour déplacer des charges. |
29. entretien quotidien |
Monsieur est capable d’essuyer un comptoir ou de faire la vaisselle en allant à son rythme. […] Il ne peut passer le balai ou l’aspirateur. Je retiens un besoin d’aide partielle. |
30. ménage hebdomadaire |
Monsieur a besoin d’une aide totale […] |
31. entretien du linge et des vêtements |
Monsieur participe à l’activité. Il trie le linge, le met dans la laveuse qui est située dans la cuisine mais il ne peut déplacer le linge mouillé vers la sécheuse qui est située dans sa chambre. Il mentionne qu’il a tenté d’utiliser une chaise d’ordinateur en guise de chariot mais que la charge à soulever est trop lourde. Il participe au pliage du linge. Je retiens un besoin d’aide partielle. |
32. consommation de biens et services |
Monsieur a besoin d’aide pour le soulèvement et le déplacement de charges, notamment dans les escaliers pour atteindre le logement. Il participe à l’activité. Je retiens un besoin d’aide partielle. |
[…] » (sic)
[41] Le 23 novembre 2011, le docteur Jacques Bouchard, psychiatre, et le docteur Jacques Lachapelle, neurologue, procèdent à une évaluation conjointe du requérant à la demande de la SAAQ. Ils écrivent ce qui suit :
« Évaluation neurologique :
[…]
Il vit avec un colocataire qui s’occupe entièrement de la préparation des repas et de l’entretien du domicile puisqu’il en est totalement incapable. Il réussit à s’occuper de lui-même malgré les nombreux spasmes.
À l’intérieur de sa maison, il se déplace péniblement en se tenant aux murs ou au mobilier et il ne sort qu’en chaise roulante qu’il conduit à reculons.
Les spasmes musculaires, de durée, de manifestation et de localisation variables surviennent spontanément d’innombrables fois par jour et peuvent être provoqués par les sons ou la lumière forte, le stress ou le moindre effleurement de l’hémicorps gauche. […]
[…]
Examen neurologique :
Monsieur [le requérant] se présente à mon bureau de consultation en chaise roulante. Il a des bouchons dans les oreilles recouverts d’un masque de bruit, porte deux ceintures de métal accrochées au dos et une balle pour éviter de s’appuyer au dossier, et il avance à reculons.
J’ai pu observer de très fréquents spasmes polymorphes de brève durée et deux crises plus prolongées qui ont duré plusieurs minutes malgré l’inhalation d’oxygène. Durant ces crises, la voix devient dysphonique, lente et peu intelligible, le tronc se plie vers l’avant puis il bascule au sol où il se contorsionne en tordant les membres.
La durée de la plupart des spasmes ne dépasse pas quelques secondes. Ils sont polymorphes. Il peut s’agir de contractions du visage et du cou, de mouvements d’élévation, d’extension, de flexion ou de torsion d’un membre ou d’abduction tonique des deux bras.
À d’autres moments, monsieur [le requérant] s’exprime d’une voix claire et posée, interagit normalement avec ses interlocuteurs et n’a aucun mouvement involontaire du tronc, des membres ou du visage.
Évaluation psychiatrique :
[…]
[…] Il se déplace en fauteuil roulant parce que son genou gauche est porté à lâcher, mais chez lui il ne peut se déplacer en fauteuil car l’appartement est trop étroit, il se tient aux murs. […]
[…]
Questionné sur la notion de dépression, monsieur [le requérant] nous dit être déprimé, qu’il lui arrive de « brailler pour rien », mais ceci est dit sans la moindre émotion. Son sommeil est perturbé par des cauchemars, des sursauts. Il demeure autonome pour les activités de la vie quotidienne, en particulier les soins d’hygiène. Il sort seul avec son fauteuil roulant, qu’il déplace toujours à reculons, en poussant d’un pied. Il se fait véhiculer en transport adapté et se fait conduire à dessein à des endroits éloignés de son domicile, de façon à faire sa crise dans le véhicule plutôt qu’à destination. […]
[…]
Son réseau social actuel est constitué de son colocataire, d’un petit-cousin semi-voyant qu’il fréquente de temps à autre, d’une tante religieuse et d’un ami, monsieur G..., qui l’accompagne au moment de la présente évaluation et qui le soutient financièrement. Il s’entend bien avec les membres de sa famille, mais il les voit peu en raison de la distance. […]
EXAMEN MENTAL :
[…]
Monsieur [le requérant] établit un bon contact avec les examinateurs, paraît très à l’aise dans le contexte de l’entrevue et offre une excellente collaboration à celle-ci. On constate qu’il est capable de donner une histoire précise, citant de nombreuses dates relatives à son histoire. Malgré qu’il soit secoué de nombreux mouvements anormaux, le niveau d’activité psychomotrice est normal.
Pendant la plus grande partie de l’entrevue, il présente des mouvements spasmodiques variables […] À deux reprises, il fera des « crises » très dramatiques […] Lors de ces crises, il devient contracturé en flexion au point de tomber de son fauteuil vers l’avant directement sur la tête, mais très doucement et de façon manifestement contrôlée, sans heurter le plancher et sans se blesser. On peut constater qu’il demeure bien conscient pendant toute la durée de ces épisodes et répond par signes. Il ne veut pas qu’on le touche. Il réclame de l’oxygène et porte le tube à sa bouche. À la fin, il se rassoit prestement dans son fauteuil après avoir replacé son coussin. Il replace ensuite dans son dos la balle qui était tombée par terre. Il refuse l’aide offerte et insiste pour le faire lui-même […] Aussitôt replacé dans son fauteuil, il redevient souriant, détendu et se montre prêt à poursuivre l’entrevue comme si de rien n’était.
[…]
[…] Ses capacités d’attention et de concentration apparaissent tout à fait normales.
Lors des périodes où il entre en crise, la communication devient limitée, mais on peut constater qu’il demeure tout à fait conscient et qu’il peut répondre pas signes, même étendu par terre, contracturé en position fœtale ou en opisthotonos, respirant de l’oxygène par un tube. »
[42] Ils concluent ainsi :
« DIAGNOSTIC MULTI-AXIAL :
[…]
Axe V : G.A.F. à 55.
[…]
Opinion sur l’incapacité :
État fonctionnel :
Les spasmes spectaculaires observés sont totalement et définitivement incompatibles avec un travail quelconque.
D’un point de vue psychique, monsieur [le requérant] apparaît fonctionnel. Les limitations sont considérables, mais les manifestations sont au plan physique. En ce qui nous concerne, il apparaît incapable de subir une situation de stress sans déclencher une crise très dramatique.
[…]
Opinion sur les séquelles :
Barème 2000 et plus :
Les spasmes musculaires ne sont pas de nature organique et n’entraînent, sur le plan neurologique, aucune séquelle permanente.
Il n’y a pas de séquelles permanentes au niveau de l’état de conscience, car les « pseudoconvulsions » sont des manifestations du trouble de conversion et celles-ci ne s’accompagnent pas d’une altération de l’état de conscience. En l’absence de maladie neurologique ou physique, seules des séquelles au niveau de la fonction psychique doivent être reconnues.
Selon le barème 2000 de la SAAQ, nous évaluons les séquelles permanentes à la classe de gravité 3 pour la fonction psychique.
[…]
Le Dr Robert Filiatrault, dans son rapport d’expertise du 8 juin 2009, a attribué une classe de gravité 4 à l’évaluation de l’état de conscience, ce qui correspond à un taux d’invalidité partielle permanente de 60% selon le « Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire » adopté par la SAAQ en 2000. La version annotée du document spécifie que « l’atteinte permanente de l’état de conscience peut se manifester par des troubles à caractère épisodique tels l’épilepsie, la lipothymie et la syncope ou à caractère constant tels la stupeur, le coma et l’état végétatif chronique ». Tous les observateurs sont unanimes à nier de tels troubles épisodiques de l’état de conscience et ont tous expliqué le trouble dystonique généralisé de monsieur [le requérant] par une maladie psychiatrique et non organique. C’est donc strictement sous l’angle psychiatrique que le tableau doit être analysé. »
[43] Le 26 janvier 2012, madame France Verville, ergothérapeute, produit un rapport d’évaluation des besoins en aide personnelle et domestique du requérant, réalisée à la demande de la SAAQ. Elle rapporte ce qui suit :
« Description des conditions d’évaluation :
J’ai rencontré Monsieur alors qu’il était seul à son domicile. La visite a été d’une durée de 3 h 30 au cours de laquelle monsieur [le requérant] a présenté 4 crises. La première et la 3e crise ont été d’une durée d’environ 20 minutes pendant lesquelles, il s’est allongé au sol démontrant douleur et spasmes à l’hémicorps gauche et s’est soulagé en demandant et inhalant de l’oxygène. Une fois la crise terminée, Monsieur s’est levé et s’est assis sans aide et a continué à échanger en présentant bégaiement et dysarthrie occasionnelle en s’exprimant. Au cours des crises, Monsieur me disait qu’il n’avait besoin d’aucune assistance, de ne pas appeler à l’aide et que « ça allait se passer tout seul ».
[…]
Environnement humain :
[…] Monsieur me dit que son colocataire se lève très tôt le matin pour se rendre au travail et qu’il revient vers 14 h 30. Monsieur [le requérant] a organisé son horaire de façon à effectuer ses sorties en fin de journée, en présence de M..., lorsqu’il a besoin d’être accompagné.
[…]
Habitudes de vie :
Monsieur indique que son heure du coucher varie d’une journée à l’autre et qu’il se lève habituellement autour de 14h, 14h30. Monsieur se dit en mesure de voir à ses activités quotidiennes et il demande de l’assistance pour certaines activités domestiques. Le profil de ses journées varie en fonction du nombre de crises par jour et que la fréquence des crises est imprévisible.
Les loisirs principaux de monsieur sont de regarder la télévision et de jouer à des jeux sur ordinateur.
Bilan des incapacités reliées à l’accident
[…]
Monsieur ne présente aucune limitation motrice en force et en amplitude au repos aux membres supérieurs et inférieurs. […]
[…]
Mobilité et déplacements :
Monsieur [le requérant] se déplace à l’intérieur en prenant appui aux meubles et aux murs. Il ne souhaite pas utiliser d’aides techniques à la salle de bain. Ceux-ci représentent un obstacle lors d’une crise en raison des spasmes en extension ou du décollement de la céramique où serait installée une barre d’appui.
À l’extérieur, il utilise le fauteuil roulant manuel qui est monté et descendu dans l’escalier de l’immeuble par le colocataire. […]
II - Évaluation des capacités et incapacités en fonction de l’aide personnelle et domestique
Monsieur est autonome pour prendre soin de lui-même aux activités quotidiennes. Il présente un besoin d’assistance à certaines activités domestiques en raison de la défense tactile et de l’incapacité de voir aux tâches domestiques lors de périodes de crises fréquentes. Monsieur me dit qu’il présente des crises à tous les jours et que la fréquence est de 0 à 1000.
[…]
Activités domestiques
[…]
5. Consommation de biens et services/Approvisionnement
Monsieur est en mesure de se rendre à l’épicerie. Il me dit pousser le panier avec ses pieds. Il est dépendant pour monter et descendre les sacs d’épicerie dans les escaliers. Dépendance partielle.
6. Gestion du budget :
Autonome pour payer ses comptes et voit à la planification de son budget. »
[44] Elle conclut ainsi :
« Je suis en accord avec l’évaluation de l’aide personnelle réalisée par M. Claude Bougie, ergothérapeute à l’exception de l’item 20. Autres soins de santé, attribué par M. Bougie à partir du 1er janvier 2009. Les conclusions de nos évaluations sont comparables et les mêmes en tant que détermination du besoin d’assistance. »
[45] Le Tribunal a entendu à l’audience le témoignage de monsieur Michel Gratton, ancien employeur et ami du requérant.
[46] Le Tribunal a également entendu les témoignages du docteur Filiatrault, du docteur Bouchard et du docteur Lachapelle qui ont tous trois explicité leurs observations et leurs conclusions, référant aux examens d’expertises cités précédemment.
[47] Le Tribunal reviendra sur ces témoignages dans la motivation de sa décision.
[48] Le 21 février 2012, le Tribunal a reçu, tel que convenu lors de l’audience, un affidavit émanant du requérant, dans lequel ce dernier apporte des précisions sur sa condition. Le Tribunal juge opportun de reproduire ce document intégralement :
« AFFIDAVIT
Je, soussigné, [le requérant], résidant et domicilié au […], Montréal, province de Québec, […], déclare solennellement ce qui suit :
1. Je suis le requérant en la présente instance;
2. Contrairement aux allégations contenues dans l’expertise des docteurs Lachapelle et Bouchard à la page 8, j’ai présenté, suite à l’accident d’automobile de 1993, des spasmes qui ont cessé en 1999 et n’étaient plus présents au moment de l’accident du 27 mai 2003;
3. Également, avant l’accident de mai 2003, j’ai rencontré le docteur Maurice Proulx mais je ne le consultais plus au moment de l’accident de 2003, et ce, depuis environ 1999;
4. Suite à l’accident d’automobile du 27 mai 2003, j’ai présenté des spasmes et des crises de torsion musculaire. Ces crises sont d’une durée variable soit, d’une durée de 10 minutes à 5 heures 20 minutes;
5. Mes crises sont déclenchées par la lumière, le bruit, le froid, l’effleurement, le stress mais surtout, à cause de mes douleurs lombaires que je conserve suite à mon accident du 27 mai 2003 et qui sont aggravées au moindre effort;
6. Je dois me déplacer en fauteuil roulant car les crises de spasmes sont soudaines et imprévisibles;
7. Le fauteuil roulant me permet d’éviter de tomber directement au sol lors d’une crise et me permet de transporter, au dos du siège, une bonbonne d’oxygène que je tente d’utiliser lors de certaines crises;
8. Les crises plus légères se présentent pas des mouvements involontaires de l’extension des bras vers le haut et se manifestent par des secousses rotatoires brusques impliquant les membres supérieurs, les membres inférieurs, le tronc et/ou la tête;
9. Par la suite, lors de certaines crises plus intenses, j’ai des mouvements de flexion ou d’extension du tronc en plus de l’ensemble des autres symptômes décrits au paragraphe précédent. Lors de ces crises, j’ai en plus des hésitations respiratoires ainsi que des cris de douleur spontanés mais je suis incapable de communiquer. J’ai des difficultés auditives et visuelles lors de ce type de crise. Je ne suis pas toujours conscient de mon état et de la durée de la crise;
10. Ces crises surviennent plus de dix fois par jour et elles ont une durée de 10 minutes à 2 heures;
11. Lors de crises plus importantes, les secousses sont d’une durée plus longue ainsi que les spasmes et j’ai une absence complète et en impossibilité de communiquer avec l’entourage et je n’ai pas conscience d’une partie de la crise et de sa durée. Ces crises peuvent durée plusieurs heures et sont souvent le cumul de plusieurs crises successives;
12. Cette condition, qui se manifeste quotidiennement, présente pour moi une dysfonction sévère dans mes habitudes de vie et nécessite également l’assistance et l’accompagnement presque constante d’une autre personne;
13. Compte tenu que ces crises peuvent apparaître subitement, cela affecte de façon majeure ma vie personnelle. Je suis incapable d’avoir des relations intimes compte tenu que même l’effleurement est susceptible de déclencher une crise;
14. Je suis incapable d’avoir une vie sociale normale compte tenu que les bruits, la lumière et l’environnement sont susceptibles de faire déclencher des crises;
15. Je suis incapable de travailler ou même de participer à des activités de bénévolat compte tenu de la fréquence, de la durée et de l’impact des crises sur mon état.
16. Tous les faits allégués dans la présente déclaration sont vrais à ma connaissance personnelle.
ET J’AI SIGNÉ :
________________________________________
[LE REQUÉRANT]
Déclaré solennellement devant moi à Joliette
Ce 21 février 2012
________________________________________
Commissaire à l’assermentation pour le Québec » (sic)
[49] Le Tribunal doit donc se prononcer concernant l’indemnité pour perte de qualité de vie permanente qui doit être accordée au requérant.
[50] La décision en révision de la SAAQ à l’origine du présent recours n’accorde aucune indemnité pour perte de qualité de vie permanente au requérant. La seule condition alors considérée par la SAAQ était la condition lombaire du requérant.
[51] Le présent litige, tel que précisé en début d’audience, concerne essentiellement l’indemnité pour perte de qualité de vie permanente qui doit être accordée au requérant pour les séquelles du trouble de conversion qu’il présente, reconnu en lien avec l’accident du 27 mai 2003.
[52] L’indemnité pour perte de qualité de vie permanente doit être évaluée selon les dispositions du Règlement sur l’indemnité forfaitaire pour préjudice non pécuniaire[9].
[53] La SAAQ évalue les séquelles conservées par le requérant à une classe de gravité 3 pour la fonction psychique (DAP 15 %) et le procureur de la SAAQ maintient que l’évaluation des séquelles devrait se limiter exclusivement à cette unité fonctionnelle.
[54] De son côté, le procureur du requérant demande au Tribunal d’accorder à son client une indemnité correspondant à des séquelles de classe de gravité 3 pour la fonction psychique et de classe de gravité 4 pour la fonction État de conscience (DAP 60 %).
[55] Il soumet subsidiairement deux autres avenues possibles pour procéder à l’évaluation des séquelles permanentes dans le présent dossier :
· soit d’accorder au requérant une classe de gravité 5 pour la fonction psychique (DAP 70 %) limitant l’évaluation des séquelles à cette unité fonctionnelle;
· soit de procéder à l’évaluation des séquelles correspondant aux diverses unités fonctionnelles impliquées dans le tableau clinique (crises de spasmes) présenté par le requérant et de les ajouter aux séquelles de classe de gravité 3 retenues pour la fonction psychique.
[56] Le procureur du requérant soulève toutefois que cette dernière alternative lui apparaît complexe et qu’il y aurait lieu de réserver les droits des parties qui devraient procéder aux évaluations requises, non disponibles actuellement.
[57] Au terme de son délibéré, le Tribunal en arrive aux conclusions suivantes.
[58] D’emblée, le Tribunal ne peut convenir de la dernière alternative proposée par le procureur du requérant.
[59] Ainsi, le Tribunal retient essentiellement que le requérant présente des symptômes polymorphes, variables en intensité et en localisation. De plus, il récupère au point de vue fonctionnel entre les crises. Il devient dès lors difficile de parler de séquelles permanentes d’autant plus que les examens neurologiques rapportés au dossier se révèlent à toutes fins pratiques normaux entre les crises. Le docteur Moussette est clair à cet égard et le docteur Filiatrault a, à l’audience, confirmé que le requérant ne conserve pas de handicap moteur entre les épisodes de crises. Il a évoqué une altération de la personnalité qui perdurerait entre les crises, mais force est pour le Tribunal de constater qu’une telle affirmation, absente au surplus dans son rapport d’expertise, n’est nullement corroborée par les autres intervenants au dossier. Au contraire ont-ils plutôt à maintes reprises souligné la bonne collaboration du requérant.
[60] De l’avis du Tribunal, il n’y a en l’espèce aucune atteinte spécifique, individualisée et permanente qui pourrait permettre une évaluation rigoureuse et raisonnable de la condition résiduelle du requérant dans ce contexte.
[61] Dans ce sens, il s’agit d’une situation très différente de celle qui fait l’objet d’une décision du Tribunal déposée à l’audience[10].
[62] Dans cette affaire, les séquelles fonctionnelles d’un trouble de conversion avaient été évaluées en regard d’un tableau clinique bien précisé de paralysie avec déficit fonctionnel de l’hémicorps gauche.
[63] Le Tribunal ne retient donc pas en prépondérance cette proposition.
[64] En fait, le Tribunal retient de l’analyse de l’ensemble de la preuve soumise que le requérant présente essentiellement comme séquelle de son trouble de conversion une désorganisation de son fonctionnement personnel et social d’intensité suffisante pour donner ouverture à une indemnisation.
[65] Les procureurs de deux parties ont d’ailleurs retenu une telle approche à l’audience, le procureur du requérant soumettant qu’il s’agit d’une désorganisation qui doit être qualifiée de majeure.
[66] C’est d’ailleurs là le cœur du litige soumis au Tribunal soit la gravité de la condition résiduelle du requérant.
[67] Le Tribunal ne peut non plus convenir du bien-fondé de la proposition du procureur du requérant de procéder par analogie avec la fonction État de conscience pour évaluer les séquelles conservées par le requérant.
[68] L’évaluation par analogie des atteintes permanentes est prévue à l’article 5 du Règlement qui est ainsi libellé :
« 5. La classe de gravité de l’unité fonctionnelle ou esthétique atteinte est déterminée par la situation ayant l’impact le plus important parmi les situations qui correspondent au résultat de l’évaluation des séquelles permanentes.
Lorsque l’évaluation des séquelles permanentes révèle des situations qui ne sont décrites dans aucune classe de gravité, celles-ci sont alors assimilées à des situations analogues qui y sont décrites et dont la gravité est équivalente, en termes de conséquences dans la vie quotidienne telles la perte de jouissance de la vie, la souffrance psychique, la douleur et les autres inconvénients.
On ne peut déterminer qu’une seule classe de gravité pour chaque unité atteinte et le pourcentage correspondant à cette classe ne peut être accordé qu’une seule fois. »
[69] Ce procédé impliquerait donc que la condition du requérant ne puisse être évaluée dans aucune classe de gravité prévue au Règlement.
[70] Or, le Règlement prévoit expressément que l’évaluation du fonctionnement personnel et social est visée par le chapitre de la fonction psychique. On peut en effet y lire ce qui suit :
« LA FONCTION PSYCHIQUE
La fonction psychique, de par ses différentes dimensions, intervient dans l’ensemble des habitudes de vie d’une personne.
RÈGLES D’ÉVALUATION
1. Se référer aux dispositions de la Section II du présent Règlement.
2. L’évaluation doit tenir compte des éléments suivants pour traduire de façon globale l’impact d’une atteinte de la fonction psychique dans la vie quotidienne :
- le degré d’autonomie et l’efficience sociale appréciés en fonction de la nécessité à recourir à des stratégies compensatoires, à des aides techniques ou à une aide humaine, en termes de surveillance et/ou d’assistance;
- l’importance des répercussions d’une atteinte des fonctions cognitives sur la réalisation des habitudes de vie;
- l’importance des répercussions de troubles affectifs ou mentaux sur la réalisation des habitudes de vie, évaluée selon « L’Échelle d’évaluation globale de fonctionnement », adaptée de l’échelle proposée par l’Association américaine de psychiatrie. »
[71] Il n’y a donc en l’espèce aucune raison de procéder par analogie.
[72] Au-delà de l’application du Règlement, l’analyse de la preuve médicale soumise amène le Tribunal à conclure dans le même sens.
[73] L’analogie avec la fonction État de conscience suggérée par le procureur du requérant repose en effet sur les conclusions du docteur Filiatrault qui, au terme de son évaluation du requérant, a posé un diagnostic de pseudo-crises convulsives reliées au syndrome de conversion.
[74] Le docteur Filiatrault a, dans son témoignage, expliqué le contenu de son expertise. Il a souligné que les spasmes présentés par le requérant, qu’il a été à même d’observer, correspondent, en termes de séméiologie, à des convulsions. Le requérant présente à son avis des crises partielles avec tremblements focaux et mouvements dystoniques d’un ou de deux membres, avec ou sans altération de l’état de conscience.
[75] Le docteur Filiatrault a souligné que l’on n’observe pas toujours une perte de conscience lors de véritables crises épileptiques partielles. Il n’a d’ailleurs observé ni coma ni pseudo-coma chez le requérant lors de son examen de ce dernier. Le requérant est demeuré présent et capable d’agir durant les crises même s’il ne pouvait pas parler. Il soumet toutefois qu’il est difficile de préciser s’il y a ou non altération de l’état de conscience du requérant au moment des crises.
[76] Questionné précisément, il a admis qu’une crise épileptique dramatique telle qu’il a pu observer lors de son examen du requérant s’accompagne normalement d’une perte de conscience.
[77] Le docteur Filiatrault a de plus référé le Tribunal au chapitre des Troubles de conversion du DSM-IV (Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux)[11]. Il a situé le requérant dans le sous-type des troubles de conversion ainsi libellé : « Avec des crises épileptiques ou des convulsions ».
[78] Le docteur Filiatrault a expliqué qu’à son avis, l’absence de perte de conscience de toute façon, ne contrevient pas à l’évaluation des séquelles du requérant par analogie avec la fonction État de conscience. Il a jugé que la condition du requérant correspondait à la classe de gravité 4 de cette unité fonctionnelle (DAP de 60 %). Il motive son évaluation en rappelant le caractère dramatique des crises présentées par le requérant, leur survenance inopinée, le besoin de surveillance qui en résulte, le risque de blessures.
[79] Le docteur Filiatrault indique finalement qu’il jugeait insuffisant le DAP de 15 % alloué pour la fonction psychique. Il a préféré procéder par analogie au lieu de le majorer car il jugeait qu’il y avait lieu de compenser les conséquences neurologiques de la condition du requérant.
[80] Le Tribunal ne peut retenir en prépondérance les conclusions du docteur Filiatrault qui demeure le seul à poser un diagnostic de pseudo-crise épileptique dans le présent dossier.
[81] La preuve soumise, rapportée précédemment, révèle en effet que tous les médecins consultés concluent à la présence d’un désordre du mouvement d’origine psychogène chez le requérant. Aucun d’entre eux n’évoque les diagnostics de convulsion ou de pseudo-convulsion.
[82] Les rapports multiples du docteur Moussette qui suit régulièrement le requérant sont éloquents à cet égard.
[83] Il en est de même des rapports des nombreux évaluateurs qui ont été témoins des crises présentées par le requérant et qui en ont décrit le mode de présentation souvent de façon fort détaillée.
[84] Les dernières évaluations des docteurs Lachapelle et Bouchard de même que celles de monsieur Bougie et de madame Verville sont au même effet.
[85] Le Tribunal retient particulièrement les précisions apportées par le docteur Lachapelle à l’encontre du diagnostic de pseudo-crises épileptiques qui devrait être assimilable à une crise épileptique en termes de séméiologie. Ainsi, il a souligné que les crises présentées par le requérant :
· ne se manifestent pas de façon stéréotypée comme une crise épileptique c’est-à-dire toujours selon le même mode de présentation, ce qui est observé même dans les cas de crises épileptiques de présentation inhabituelle ou rare confirmées à l’électro-encéphalogramme. Les crises du requérant peuvent être ou focales ou segmentaires ou généralisées;
· ont une durée trop longue et sont beaucoup trop fréquentes en comparaison de crises épileptiques;
· ne comportent pas d’altération de l’état de conscience lorsqu’elles sont généralisées ce qui est inhabituel dans le cas de crises épileptiques généralisées.
[86] Il n’y a donc pas lieu de retenir le diagnostic de pseudo-crises épileptiques chez le requérant dans le but de procéder par analogie aux fins du présent litige.
[87] Il n’y a pas lieu de retenir non plus la notion de perte de conscience pour procéder à l’analogie avec la fonction État de conscience.
[88] L’analyse de la preuve soumise démontre clairement qu’aucun médecin ou autre professionnel qui ont rencontré le requérant et ont été témoins des crises qu’il présente n’ont observé ou rapporté des pertes de conscience. Notamment, les dernières évaluations, soit celles du docteur Bouchard et du docteur Lachapelle en novembre 2011 et celle de madame Verville en janvier 2012, environ un mois avant l’audience, font mention d’une préservation de l’état de conscience du requérant lors des crises.
[89] Les propos tenus à l’audience par le docteur Filiatrault concernant une possible altération de l’état de conscience du requérant lors des crises qu’il présente suscitent des réserves. Le docteur Filiatrault avait pourtant été très explicite et à plus d’une reprise quant à l’absence d’altération de l’état de conscience du requérant au moment des crises dans son rapport d’expertise.
[90] Le témoignage de monsieur Gratton qui soumet que le requérant lui a fait part de pertes de conscience lors de ses crises et qui rapporte en avoir fait le constat lui-même le jour de l’audience ne peut être ici retenu. Monsieur Gratton n’est pas médecin et n’est donc pas habilité à poser un tel diagnostic.
[91] Le Tribunal ne peut d’ailleurs tenir compte d’une situation survenue le jour de l’audience en l’absence d’évaluation adéquate.
[92] Le Tribunal ne peut non plus retenir les affirmations du requérant quant aux pertes de conscience dont il fait état dans son affidavit. Il aurait fallu ici aussi une preuve d’une évaluation médicale à cet égard.
[93] Dans les faits, aucun document n’en fait état au dossier et certaines évaluations sont très récentes (2011 et 2012) tel que déjà mentionné.
[94] Au surplus, le Tribunal retient du témoignage du docteur Bouchard qu’un individu qui perd conscience durant un court laps de temps ne peut, par le fait même, en juger lui-même.
[95] Le Tribunal en vient donc à la conclusion qu’il n’y a pas lieu dans le présent dossier de procéder par analogie avec la fonction État de conscience prévue au Règlement en ces termes :
« 2. L’ÉTAT DE CONSCIENCE
La conscience est la faculté qu’a la personne de connaître sa propre réalité et de la juger. L’atteinte permanente de l’état de conscience peut se manifester par des troubles à caractère épisodique, tels l’épilepsie, la lipothymie et la syncope, ou à caractère constant, tels la stupeur, le coma et l’état végétatif chronique.
[…]
Gravité 4 60% |
Perturbations de l’état de conscience affectant de façon sévère la réalisation des habitudes de vie. L’autonomie et l’efficience sociale sont réduites au minimum. »
|
[96] En conséquence, l’indemnité pour perte de qualité de vie qui doit être accordée au requérant sera évaluée uniquement selon les règles prévues au Chapitre de la fonction psychique du Règlement.
[97] À ce titre, le Règlement prévoit ce qui suit :
« CLASSES DE GRAVITÉ
[…]
Gravité 3 15 %
|
Troubles affectifs ou mentaux affectant le fonctionnement personnel et social, lequel se situe entre 51 et 60 selon « l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement »;
ou Atteinte cognitive légère telle des difficultés d’attention, de mémoire et/ou d’apprentissage, parfois associée à de la fatigabilité. L’atteinte est suffisante pour affecter l’organisation et l’exécution de tâches complexes comme la prise de décisions importantes.
Les difficultés vécues requièrent une adaptation substantielle dans l’organisation du fonctionnement pouvant justifier l’intervention d’une autre personne (surveillance ou assistance).
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Gravité 4 35 % |
Troubles affectifs ou mentaux affectant le fonctionnement personnel et social lequel se situe entre 41 et 50 selon « l’Échelle d’évaluation globale du fonctionnement »;
ou Atteinte cognitive modérée telle des difficultés d’attention, de mémoire et/ou d’apprentissage, une diminution du jugement souvent associée à de la fatigabilité. L’atteinte est suffisante pour affecter l’exécution de tâches usuelles comme la planification des activités de la vie domestique (repas, ménage, achats).
Les difficultés vécues requièrent une réorganisation du fonctionnement nécessitant l’intervention d’une autre personne (surveillance ou assistance). |
Gravité 5 70 % |
Troubles affectifs ou mentaux avec une désorganisation majeure du fonctionnement personnel et social, altération du sens de la réalité;
ou Atteinte cognitive sévère au point d’empêcher la réalisation de tâches routinières et simples. La personne ne peut être laissée seule que pour de courtes périodes.
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[…]
ÉCHELLE D’ÉVALUATION GLOBALE DU FONCTIONNEMENT (EGF)
60
51
50
41
40 |
Symptômes d’intensité moyenne (p. ex. émoussement affectif, prolixité circonlocutoire, attaques de panique épisodiques) ou difficultés d’intensité moyenne dans le fonctionnement social, professionnel ou scolaire (p. ex. peu d’amis, conflits avec les camarades de classe ou les collègues de travail.
Symptômes importants (p. ex. idéation suicidaire, rituels obsessionnels sévères, vol répétés dans les grands magasins) ou altération importante du fonctionnement social, professionnel ou scolaire (p. ex. absence d’amis, incapacité à garder un emploi.
Existence d’une certaine altération du sens de la réalité ou de la communication (p. ex. discours par moments illogique, obscur ou inadapté) ou déficience majeure dans plusieurs domaines, p. ex. le travail, l’école, les relations familiales, le jugement, la pensée ou l’humeur […] »
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[98] On retrouve au dossier diverses évaluations des séquelles permanentes au plan de la fonction psychique.
[99] Ainsi, le docteur Beltrami, en août 2005, conclut à un EGF[12] de 65 et à une classe de gravité 2.
[100] De son côté, le docteur Grégoire, en mars 2009, conclut à un EGF de 55 et à une classe de gravité 3.
[101] Enfin, le docteur Bouchard, en novembre 2011, conclut à un EGF de 55 et à une classe de gravité 3, à l’instar du docteur Grégoire.
[102] Tous concluent à l’incapacité du requérant de travailler.
[103] La SAAQ propose une évaluation des séquelles correspondant à une classe de gravité 3 alors que le procureur du requérant soumet qu’une classe de gravité 5 correspond à la condition de son client.
[104] Le Tribunal retient de son analyse de la preuve soumise que le requérant présente des difficultés significatives dans son fonctionnement quotidien; la preuve documentaire le confirme à maintes reprises et l'affidavit du requérant est au même effet.
[105] Toutefois, la preuve démontre également que le requérant demeure en mesure d’effectuer diverses activités. Les évaluations en ergothérapie sont précises à cet égard et le témoignage de monsieur Gratton à l'audience le confirme. Selon son témoignage, le requérant communique par téléphone et par courriel, utilise régulièrement l’ordinateur, demeure seul lorsque son colocataire est au travail, fait des courses, utilise le transport adapté.
[106] Il appert également que le requérant gère lui-même son budget, selon madame Verville et le dossier démontre qu’il est en mesure de faire valoir ses intérêts par écrit lorsque cela s’avère nécessaire. Il conserve également une bonne capacité de communication en dehors des périodes de crises et un bon fonctionnement cognitif.
[107] Il est démontré par ailleurs sans équivoque que les crises qui affectent le requérant sont fréquentes et compromettent complètement son fonctionnement lorsqu’elles surviennent.
[108] La condition du requérant s’est également aggravée. Il ne peut plus conduire sa voiture. Il éprouve des problèmes de locomotion en regard d’une condition personnelle au genou mais il utilise le fauteuil roulant également en prévention des crises vu le risque de blessure et/ou la survenue de crises lors de marches prolongées.
[109] Il s’agit là d’une atteinte du fonctionnement reliée à la survenue des crises et à cet égard le Tribunal retient la conclusion du docteur Grégoire qui englobe les problèmes de locomotion dans l’évaluation de la fonction psychique.
[110] En outre, le Tribunal retient que le docteur Bouchard a admis à l’audience qu’une classe de gravité 4 pourrait être en l’espèce considérée, l’évaluation de l’EGF demeurant une donnée subjective. Ainsi, un EGF légèrement inférieur à celui qu’il retient (55) correspondrait à une classe de gravité 4 (EGF : 41 à 50). Il a par contre expliqué qu’une classe de gravité 5 s’applique à des personnes atteintes de limitations beaucoup plus importantes que celles du requérant, nécessitant une hospitalisation.
[111] Le Tribunal ne dispose d’aucune preuve à l’encontre de cette affirmation du docteur Bouchard qui s’exprime dans son champ d’expertise.
[112] En conséquence, considérant donc d’une part l’impact non négligeable des crises sur le fonctionnement personnel et social du requérant révélé par la preuve soumise et notamment son incapacité de travailler et d’autre part, son niveau de fonctionnement préservé à maints égards, malgré certaines limitations, le Tribunal en vient à la conclusion qu’il conserve des séquelles qui correspondent à une classe de gravité 4 pour la fonction psychique, ce qui correspond à un DAP de 35 %.
[113] De l’avis du Tribunal, la preuve soumise est prépondérante en ce sens.
PAR CES MOTIFS, le Tribunal :
PREND ACTE et ENTÉRINE le Règlement hors cour partiel intervenu entre les parties en date du 7 février 2012 et dans cette mesure, ACCUEILLE le recours;
INFIRME la décision en révision du 21 mars 2006 concernant le seul point en litige, soit l’indemnité pour perte de qualité de vie;
ACCORDE au requérant une indemnité pour perte de qualité de vie correspondant à une classe de gravité 4 pour la Fonction psychique; et,
ORDONNE à la SAAQ d’indemniser le requérant en conséquence et de lui verser les intérêts conformément à la Loi.
Laporte & Lavallée
Me André Laporte
Procureur de la partie requérante
Me Julien Gaudet-Lachapelle
Procureur de la partie intimée
[1] Déficit anatomo-physiologique.
[2] Subsidiairement, le procureur du requérant propose d’évaluer autrement les séquelles conservées par son client. Le Tribunal en discutera plus loin.
[3] Il est aussi question au dossier d’une entorse cervico-dorsale.
[4] Décisions de la Cour supérieure du 18 septembre 2008 (n° : 500-17-040379-078) de L’Honorable Danielle Grenier, J.C.S. et du 27 juin 2011 (n° : 500-17-058902-100) de L’Honorable Paul Mayer, J.C.S.
[5] Rapports du 9 février 2004, du 12 mars 2004 et du 7 avril 2004.
[6] Examen subjectif page 43 du dossier.
[7] Pages 116 et 117 du dossier.
[8] Rapports du 15 juin 2004, du 30 août 2004, du 20 octobre 2004, du 4 janvier 2005, du 1er mars 2005, du 26 avril 2005, du 20 juillet 2005, du 5 octobre 2005, du 4 janvier 2006, du 7 mars 2006, du 7 juin 2006, du 15 août 2006, du 20 septembre 2006 et du 11 décembre 2006.
[9] C. A-25, a. 195, par 120. c.22, a38, par. 10 et a. 44.
[10] Décision SAS-Q-123789-0602.
[11] Pièce R-3.
[12] Évaluation globale du fonctionnement.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.