Beaupré-Gâteau c. Commission des relations du travail |
2015 QCCS 1430 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
QUÉBEC |
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N° : |
200-17-019465-137 200-17-020899-142 |
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DATE : |
17 mars 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : L’HONORABLE BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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FLORENCE BEAUPRÉ-GÂTEAU […] Québec (Québec) […]
FRANÇOIS LECLERC […] Québec (Québec) […]
SIMON RONDEAU-CANTIN […] Québec (Québec) […]
Requérants
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et |
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COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL 900, boulevard René-Lévesque Est 5e étage Québec (Québec) G1R 6C9
Intimée
et
GÎTE JEUNESSE INC. 2706, avenue Pierre-Roy Québec (Québec) G1E 4G3
Mis en cause |
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JUGEMENT SUR REQUÊTES EN RÉVISION JUDICIAIRE |
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[1] Les requérants, Mme Florence Beaupré-Gâteau, M. François Leclerc et M. Simon Rondeau-Cantin présentent deux requêtes en révision judiciaire, réunies par décision de la Cour le 22 octobre 2014, pour être instruites en même temps et jugées sur la même preuve.
[2] La première de ces deux requêtes demande l’annulation de la décision de la Commission des relations du travail (« CRT ») prononcée le 26 novembre 2013 par le commissaire, M. Bernard Marceau, qui rejette les plaintes que les requérants ont formulées en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (RLRQ, c. N-1.1), alléguant avoir été congédiés sans cause juste et suffisante le 30 novembre 2011, date de l’avis de leur licenciement.
[3] La seconde requête demande l’annulation de la décision du 20 août 2014 de la CRT, siégeant en révision administrative, décision prononcée par trois de ses commissaires qui rejettent la demande de révision.
[4] Essentiellement, les requérants allèguent que la décision du commissaire qu’ils qualifient de succincte :
- n’explique pas, eu égard aux faits mis en preuve, comment il arrive à la conclusion que l’on n’a démontré « aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction » (paragr. 34 de la requête en révision judiciaire);
- omet d’analyser un fait déterminant mis en preuve, soit que l’employeur ne leur a pas offert les postes d’« intervenants de groupe » disponibles et pour lesquels ils étaient pleinement qualifiés (paragr. 35 de la requête en révision judiciaire).
[5] Plus généralement, les requérants soutiennent que le droit d’être entendus implique, pour le décideur, l’obligation de motiver sa décision.
[6] Le commissaire n’ayant pas analysé la preuve que les requérants lui ont présentée, base de leur théorie de cause, fait ainsi en sorte que sa décision souffre d’une absence de motivation et contrevient à la règle d’équité procédurale en matière de décision administrative.
[7] Quant à la décision de la CRT siégeant en révision administrative, les requérants reprochent essentiellement aux commissaires de s’être référés aux interventions du commissaire lors des journées d’audition pour conclure qu’il avait analysé l’ensemble de la preuve.
[8] Selon les requérants, la révision administrative d’une décision écrite doit nécessairement se faire par l’analyse de la décision elle-même, à l’exclusion des propos, commentaires ou remarques formulés par le décideur lors de l’audience.
[9] La mise en cause, Gîte Jeunesse inc., qui soutient que la fin de l’emploi des requérants est un licenciement dû à l’abolition des postes d’« intervenant clinique » causée par une diminution majeure de son financement, plaide que la décision du commissaire de rejeter les griefs est directement reliée aux motifs qu’il énonce et que cette conclusion est certes une issue possible qui résulte de cette analyse.
[10] Par ailleurs, elle ajoute qu’étant donné que les arguments des requérants reposent essentiellement sur des éléments de la preuve, le tribunal doit prendre garde de ne pas s’immiscer dans l’analyse de cette preuve, ce qui est du ressort exclusif du décideur.
[11] Les requêtes en révision judiciaire soulèvent essentiellement les questions suivantes dont les deux premières concernent la décision du 26 novembre 2013 :
- Cette décision est-elle suffisamment motivée?
- L’absence apparente d’analyse de l’un des aspects de la preuve présentée par les requérants fait-elle en sorte que le commissaire aurait ainsi omis de considérer un fait déterminant équivalant à une erreur de droit?
[12] Et la troisième se rapport à la décision du 20 août 2014 :
- Les commissaires peuvent-ils se référer aux interventions du commissaires lors des journées d’audition?
Les décisions
La décision du commissaire prononcée le 26 novembre 2013
[13] Après avoir résumé les faits qu’il retient aux fins de son analyse, le commissaire réfère spécifiquement à une décision de la CRT, Drolet c. ABB inc. 2009 QCCRT 209 dans laquelle on traite précisément du fardeau de la preuve dans le contexte d’un congédiement, écrit :
[19] Dans le cas présent, les plaignants plaident qu’ils sont l’objet d’un congédiement déguisé. Ils prétendent que leur licenciement cache un prétexte pour se débarrasser d’eux, qu’ils étaient dérangeants. Le fardeau de la preuve leur revient.
[20] C'est aux plaignants de démontrer que leur cessation d’emploi est fondée sur des critères partiaux, illicites ou discriminatoires. Leur témoignage ne comporte aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction.
[21] Il n’y a aucune trace d’abus ou d’arbitraire. Le choix d’abolir le service clinique est du ressort de l’employeur. Il n’appartient pas à la Commission de s’immiscer dans le choix de l’organisme.
[22] La preuve démontre aussi que le travail des salariés au sein de l’organisation était apprécié, qu’ils avaient un dossier disciplinaire vierge et qu’ils entretenaient de bonnes relations avec leurs collègues et la direction. En fait, tout laisse croire qu’ils auraient conservé leur emploi si n’eût été la perte de financement.
[23] La nécessité de réduire les coûts en personnel est, dans les circonstances, un motif économique suffisant pour justifier leur licenciement. L’abolition du service clinique, qui cadre moins avec la mission d’hébergement temporaire d’urgence, ne s’éloigne pas du bon sens. Rien n’indique un congédiement déguisé.
[14] Par ailleurs, il est vrai que le commissaire ne traite aucunement de la question des postes disponibles qui, selon les requérants licenciés, auraient dû leur être offerts.
La décision de la CRT en révision administrative prononcée le 20 août 2014
[15] Les commissaires de la CRT prennent soin d’exposer le contexte, de résumer la décision contestée et de présenter la position de l’une et l’autre des parties.
[16] Dans leur exposé du contexte, on peut lire ce qui suit :
[6] Les requérants sont donc informés, le 30 novembre 2011, de la décision de l’employeur d’abolir leur poste. La fin de leur emploi est prévue pour le 31 mars 2012, date de fin de l’année financière. Dans les faits, ils cesseront d’offrir leur prestation de travail à compter du 16 février 2012 à la demande de l’employeur, mais leur rémunération est versée jusqu’à la date convenue.
[7] À la même époque, l’employeur embauche de nouveaux intervenants de groupe à la suite des démissions. Il procède par affichages de postes dont certains sont faits en septembre et octobre 2011, soit avant l’annonce aux requérants de leur fin d’emploi le 30 novembre, alors que d’autres sont publiés plus tard, en décembre 2011 et en janvier 2012.
[8] Alors que l’employeur soutient que les requérants ont été invités à soumettre leur candidature pour des postes d’autres catégories d’emploi que la leur, les requérants affirment qu’aucune offre d’emploi à titre d’intervenant de groupe ne leur a été faite. Ils connaissaient l’existence de ces affichages, mais n’ont pas soumis leur candidature, quoiqu’ils aient les qualifications requises pour exercer ces fonctions.
[17] Après avoir résumé la décision contestée, les commissaires présentent ainsi la position des parties en révision :
[12] Selon les requérants, le principal argument présenté au soutien des plaintes de congédiement sans cause juste et suffisante repose sur le défaut de l’employeur de leur offrir les postes vacants d’intervenants de groupe. L’employeur devait, en pareilles circonstances, faire des « démarches significatives démontrant son désir de maintenir le salarié à son emploi » à défaut de quoi la fin d’emploi équivaut à un congédiement déguisé.
[13] Pour les requérants, ces faits sont pertinents, déterminants et auraient « nécessairement modifié l’issue du litige, s’ils avaient été retenus après avoir été exposés, discutés et analysés ». Or, la décision contestée ne fait état ni de cet argument, ni de la preuve produite au soutien de celui-ci. Elle ne mentionne pas non plus pourquoi il est écarté par la Commission ni « comment elle arrive à la conclusion que les témoignages des requérants ne comportent ‘‘aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction’’ ».
[14] L’employeur considère pour sa part que la décision contestée est concise, intelligible et cohérente. Il allègue qu’en présence de réels motifs de licenciement et de critères de sélection des salariés à licencier, objectifs et raisonnables, la compétence de la Commission est épuisée.
[15] À défaut d’indice que le licenciement est un prétexte, l’employeur estime qu’il n’y a pas lieu, pour la Commission, d’empiéter sur son droit de gérance. La décision d’offrir ou pas aux salariés d’autres postes vacants est postérieure au processus d’identification des salariés à licencier, et donc, sans pertinence. Enfin, l’employeur soutient avoir néanmoins offert aux requérants de soumettre leur candidature pour les postes vacants, ce qu’ils ont choisi de ne pas faire.
[18] Dans son analyse, la CRT rappelle les principes de droit qu’elle doit appliquer dans les circonstances et résume ainsi son intervention :
[23] La Commission doit donc déterminer si la décision contestée est entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider. L’insuffisance des motifs ne peut, à elle seule, invalider la décision. Il faut plutôt considérer la décision dans son ensemble et déterminer si elle contient « une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. Il faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux. » (Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 4479 c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des Centres jeunesse de Montréal (STTCJM-CSN), précitée).
[19] Appliquant ces principes, la CRT conclut :
[24] En l’espèce, il n’y a pas absence de motivation de la décision contestée. Les requérants mettent plutôt en lumière une insuffisance de cette motivation, puisque la décision ne fait pas mention de la preuve et de leurs prétentions relativement aux postes vacants disponibles chez l’employeur, au moment et dans les mois suivant leur fin d’emploi.
[25] La décision contestée pourrait certes être davantage motivée. Elle ne mentionne en effet ni l’existence de ces postes vacants, ni les prétentions des requérants à cet égard. Pourtant, il apparaît clairement des extraits de notes sténographiques produits par les requérants que la pertinence de cette preuve a soulevé plusieurs questions en cours d’audience et de nombreuses interventions de la part du commissaire. En présence de réels motifs économiques et du lien évident entre ces motifs et le choix des salariés licenciés, le commissaire a communiqué verbalement son scepticisme quant à l’impact de ces emplois vacants, pour lesquels, au final, aucun des requérants n’a soumis sa candidature.
[26] On comprend que cet argument des requérants n’a pas été jugé pertinent. Le commissaire a analysé la preuve afin de s’assurer que le licenciement n’a pas été utilisé comme prétexte pour se débarrasser des requérants. Il conclut négativement en affirmant : « Leur témoignage ne comporte aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction. » et « Il n’y a aucune trace d’abus ou d’arbitraire. »
[…]
[28] Le fait de ne pas avoir spécifiquement mentionné les postes vacants dans ses motifs de décision ne remet pas en question la conclusion ultime à laquelle la Commission est parvenue au regard de l’absence de congédiement déguisé. Cette conclusion n’est entachée d’aucun vice sérieux à corriger.
[29] Par ailleurs, les requérants invoquent que la décision à l’étude fait référence à l’affaire Drolet c. ABB inc., précitée, dans laquelle la Commission soutient que l’employeur a l’obligation de faire des efforts pour maintenir un lien d’emploi. Ils estiment qu’on ne pouvait s’éloigner de cette décision sans s’expliquer.
[30] À cet égard, il y a lieu de rappeler que chaque cas est un cas d’espèce et que la Commission a déjà fait une analyse opposée dans d’autres affaires, dont l’affaire Dubreuil c. BCBG Max Azria Canada inc., 2013 QCCRT 0156, dans laquelle elle a conclu, au paragraphe 78, que « À moins d’une stipulation dans une convention collective ou une entente ou bien que cela relève d’une pratique dans l’entreprise, cette obligation [d’octroyer un autre poste] n’existe pas. »
[31] Il est en outre bien établi que les conflits jurisprudentiels ne sont pas, en soi, un motif de révision, à moins que l’erreur soit telle qu’elle constitue un vice de fond qui soit de nature à l’invalider (Alliance internationale des employés de scène de théâtre et de cinéma des États-Unis et du Canada, section locale 56 (IATSE) c. Drolet, 2009 QCCRT 0194). La Commission ne voit pas dans la décision contestée une telle erreur, au regard de l’ensemble des faits.
Analyse
[20] Reprenant dans l’ordre la démarche qui devait être effectuée :
1. Le fardeau de prouver que la réorganisation est réelle et que la fin de l’emploi est véritablement causée par cette réorganisation repose sur l’employeur;
2. il appartient toutefois au salarié de démontrer la mauvaise foi, la discrimination où l’arbitraire de la décision faisant ainsi la preuve d’un prétexte ou d’un subterfuge pour le congédier injustement;
3. enfin, même si l’on considère que l’employeur doit favoriser le lien d’emploi par la recherche d’un nouvel emploi pour l’employé licencié au sein de son entreprise, qu’en est-il dans le présent cas?
[21] Dans l’arrêt Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [2011] 3 R.C.S. 708, Mme la juge Abella, après avoir cité « les passages clés de l’arrêt Dunsmuir qui établissent le cadre de (…) l’analyse » du caractère raisonnable d’une décision, écrit :
[14] Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada. Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).
[15] […] Elle (la Cour de justice) ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[16] […] En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[22] Et, faisant référence à l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817], Mme la juge Abella écrit :
[20] […] L’arrêt Baker établit que, « dans certaines circonstances », l’obligation d’équité procédurale requiert « une forme quelconque de motifs écrits » à l’appui d’une décision (par. 43). Il n’y est pas affirmé que des motifs s’imposent dans tous les cas, ni que leur qualité relève de l’équité procédurale. En fait, après avoir jugé que des motifs s’imposaient dans la situation qui l’occupait, la Cour a conclu dans Baker que les simples notes d’un agent d’immigration suffisaient pour remplir l’obligation d’équité procédurale (par. 44).
[…]
[22] Le manquement à une obligation d’équité procédurale constitue certes une erreur de droit. Or, en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il n’y a rien à contrôler. Cependant, dans les cas où, comme en l’espèce, il y en a, on ne saurait conclure à un tel manquement. Le raisonnement qui sous - tend la décision/le résultat ne peut donc être remis en question que dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de celle-ci.
[23] Dans l’arrêt Commission scolaire de la Riveraine c. Dupuis 2012, QCCA 626 (CanLII), M. le juge Dalphond résume ainsi l’état du droit :
[21] De plus, il faut se rappeler que la qualité des motifs ne relève pas de l’équité procédurale, mais bien du caractère raisonnable de la décision. Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat. En d’autres mots, les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) [2011] 3 R.C.S. 708, 2011 CSC 62). Tel est le cas en l'espèce.
[24] Par ailleurs, l’argument des requérants selon lequel l’employeur aurait dû leur offrir les nouveaux postes disponibles, a fait l’objet de commentaires dans la décision Drolet c. ABB inc. (précitée) à laquelle le commissaire réfère :
[45] Or, l’employeur n’a pas d’obligation, ni le salarié de droit, à l’égard d’une règle de supplantation. Ce devoir d’offrir un autre poste a été analysé lorsqu’il existe un autre poste. Lors du licenciement d’un salarié, si un tel autre poste existe et qu’il n’est pas offert au salarié licencié, on peut y voir un indice d’un subterfuge pour se départir des services d’un salarié que l’employeur désire congédier.
[25] Il est vrai que dans la décision St-Laurent c. Couche Tard inc., 2013 QCCRT 0071, prononcée le 12 février 2013 à laquelle réfèrent également les requérants, le commissaire Alain Turcotte, après avoir cité le paragraphe [45], écrit :
[87] Il faut donc examiner les autres postes disponibles dans l’offre alimentaire afin de vérifier si Couche-Tard a utilisé des motifs objectifs et impartiaux en ne les offrant pas à la plaignante.
[26] Toutefois, le 23 mars 2013, dans la décision Dubreuil c. BCBG Max Azria Canada inc. 2013 QCCRT 156, le commissaire Guy Roy est plutôt d’avis que :
[78] La Commission ne partage pas l’opinion de la plaignante voulant que l’intimée se devait de lui offrir un poste, même s’il était inférieur à ses capacités. À moins d’une stipulation dans une convention collective ou une entente ou bien que cela relève d’une pratique dans l’entreprise, cette obligation n’existe pas. […]
[27] C’est probablement pour cette raison que les commissaires de la CRT en révision administrative écrivent :
[31] Il est en outre bien établi que les conflits jurisprudentiels ne sont pas, en soi, un motif de révision, à moins que l’erreur soit telle qu’elle constitue un vice de fond qui soit de nature à l’invalider […]
[28] Il apparaît à la lecture de ces extraits des arrêts de la Cour suprême et de la Cour d’appel que l’absence de motivation d’une décision d’un tribunal administratif est considérée comme un manquement à une règle d’équité procédurale.
[29] L’insuffisance de motivation est toutefois une question différente qui doit être analysée dans le contexte du caractère raisonnable de la décision.
[30] C’est d’ailleurs la norme de contrôle que les requérants et le mis en cause suggèrent pour l’analyse du présent litige.
[31] Dans le présent cas, c’est précisément la notion d’insuffisance de motivation qui doit être considérée dans le cadre de l’analyse du caractère raisonnable de la décision du commissaire prononcée le 26 novembre 2013.
[32] En effet, les requérants soutiennent, d’une part, que le commissaire n’explique pas, eu égard aux faits mis en preuve, comment il arrive à la conclusion « qu’aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction » n’a été démontré et, d’autre part, qu’il omet d’analyser un fait déterminant mis en preuve, soit que l’employeur ne leur a pas offert les postes d’« intervenant de groupe » disponibles et pour lesquels ils étaient qualifiés.
[33] Selon les requérants, ce fait aurait dû inciter le commissaire « à y voir un indice d’un subterfuge pour se départir (de leur) service », équivalant ainsi à un congédiement déguisé injustifié.
[34] Dans le contexte de l’analyse d’un licenciement, cette preuve, si elle est disponible, est certes un moyen parmi d’autres qu’a l’employé pour démontrer la mauvaise foi, la discrimination ou l’arbitraire de la décision qui peut équivaloir à un congédiement.
[35] C’est d’ailleurs l’enseignement qu’il faut retenir des décisions de la CRT lorsqu’elle précise :
« À moins d’une stipulation dans une convention collective ou une entente ou bien que cela relève d’une pratique dans l’entreprise, cette obligation n’existe pas. » [Dubreuil]
[36] Toutefois :
« Lors du licenciement d’un salarié, si un tel autre poste existe et qu’il n’est pas offert au salarié licencié, on peut y voir un indice d’un subterfuge pour se départir des services du salarié que l’employeur désire congédier. » [Drolet]
[37] En conséquence :
« Il faut donc examiner les autres postes disponibles […] afin de vérifier si (on) a utilisé des motifs objectifs et impartiaux en ne les offrant pas à la plaignante. » [St-Laurent]
[38] Cette démarche, on le constate, ne crée donc pas un droit en faveur de l’employé ou une obligation à l’égard de l’employeur à moins, bien entendu, qu’une convention collective ou une entente ne le prévoit expressément.
[39] Toutefois, une telle preuve peut être un indice de la démonstration qu’un licenciement cache en réalité un congédiement déguisé ou injustifié.
[40] Dans le présent cas, bien que le commissaire ne commente pas cette preuve, il est clair qu’il ne l’a pas retenue dans l’analyse du fardeau de preuve qu’il devait considérer, soit :
- Pour l’employeur, démontrer que le licenciement des requérants s’inscrivait dans le contexte d’une démarche administrative de réorganisation de son entreprise;
- pour les requérants, que le comportement de l’employeur était empreint de mauvaise foi, de discrimination ou d’arbitraire à leur égard, notamment dû au fait qu’il ne leur avait pas offert les postes d’« intervenant de groupe » disponibles.
[41] Concernant toutefois ce dernier aspect, les commissaires en révision notent que les requérants « connaissaient l’existence de ces affichages, mais n’ont pas soumis leur candidature, quoiqu’ils aient les qualifications requises pour exercer ces fonctions.».
[42] Malgré que la décision du commissaire soit effectivement succincte, elle précise les conclusions qu’il tire de la preuve, à savoir, qu’elle « ne comporte aucun indice de mauvaise foi de la part de la direction », qu’il « n’y a aucune trace d’abus ou d’arbitraire » et que « la nécessité de réduire les coûts en personnel est, dans les circonstances, un motif économique suffisant pour justifier leur licenciement ».
[43] Aussi, le commissaire conclut que « rien n’indique un congédiement déguisé. »
[44] La conclusion du commissaire de rejeter les griefs est fondée sur ces motifs qui résultent de son analyse de la preuve.
[45] Cette décision est donc raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir.
[46] Malgré cette conclusion, les requérants ont raison, dans une certaine mesure, d’affirmer que cette décision est succincte. Plus particulièrement, parce qu’elle ne leur permet pas de comprendre précisément pourquoi le commissaire n’a pas retenu les arguments qu’ils ont présentés.
[47] En ce sens, la qualité des motifs d’une décision est beaucoup plus qu’une question qui s’apparente ou relève de l’évaluation de son caractère raisonnable. Elle peut aussi être considérée comme une question d’accès à la justice.
[48] En effet, une décision bien motivée permettra au justiciable de comprendre les raisons qui sous-tendent les conclusions. Cela pourra, dans bien des cas, éviter une révision administrative ou judiciaire, limitant ainsi les coûts inhérents à ces démarches, ce qui, à n’en pas douter, favorise l’accès à la justice qui est souvent une question d’argent.
[49] Enfin, la décision de la CRT siégeant en révision administrative est également raisonnable.
[50] Le seul reproche qui demeure à l’égard de cette décision est que les commissaires auraient consulté des extraits de notes sténographiques de l’audition devant le commissaire, extraits d’ailleurs produits par les requérants.
[51] Dans l’arrêt précité Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador, Mme la juge Abella, parlant du rôle de la Cour de justice, écrit :
[15] […] Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.
[52] Si une Cour de justice peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résutat » la CRT, siégeant en révision administrative, peut certes se permettre un tel examen d’autant plus que son rôle est de déterminer si la décision contestée est entachée ou non « d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider. ».
[53] Comme la CRT le précise elle-même au paragraphe [23] de sa décision, elle doit déterminer si la décision contestée contient « une erreur grossière, un accroc sérieux et grave à la procédure, une décision ultra vires, c’est-à-dire rendue sans que la Commission ait eu la compétence pour le faire, une décision rendue en l’absence de preuve ou en ignorant une preuve évidente. Il faut aussi que soit démontrée la nécessité d’une correction à cause de ce vice sérieux. »
[54] Un tel exercice peut effectivement rendre nécessaire la consultation du dossier et de la transcription des notes sténographiques de l’audition.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[55] REJETTE les deux requêtes en révision judiciaire avec les dépens d’une seule requête.
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__________________________________ BERNARD GODBOUT, j.c.s. |
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Me Normand Dumais |
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Direction générale des affaires juridiques Casier 90 Pour les requérants |
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Me Nathalie Vaillant |
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Joli-Cœur, Lacasse Casier 6 |
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Pour la mise en cause |
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Date d’audience : |
10 février 2015 |
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