Décision

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Sahlaoui c. 2330-2029 Québec inc. (Médicus)

2021 QCCA 1310

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-028667-194

(500-17-096903-169)

 

DATE :

 1er septembre 2021

 

 

FORMATION :

LES HONORABLES

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

PATRICK HEALY, J.C.A.

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

 

LOTFI SAHLAOUI

EVO ORTHOPÉDIE TECHNIQUE INC.

APPELANTS - défendeurs

c.

 

2330-2029 QUÉBEC INC. f.a.s.r.s. MÉDICUS

INTIMÉE - demanderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement rectifié de la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Karen Kear-Jodoin), qui, en date du 4 octobre 2019, les condamnent à verser des dommages-intérêts de 135 238 $ à l’intimée, avec l’intérêt et l’indemnité additionnelle[1].

[2]           Pour les motifs de la juge Bich, auxquels souscrivent les juges Healy et Sansfaçon, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME le jugement de première instance;

[5]           REJETTE l’action instituée par l’intimée à l’encontre des appelants;

[6]           LE TOUT, avec frais de justice en faveur des appelants, tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

 

 

PATRICK HEALY, J.C.A.

 

 

 

 

 

STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.A.

 

Me Martin Bergeron

Lex Commercialis Avocats

Pour les appelants

 

Me Geneviève Beaudin

BCF

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

5 mai 2021



 

 

 

MOTIFS DE LA JUGE BICH

 

 

[7]           L’interprétation et l’application de l’art. 2088 C.c.Q. sont au cœur du pourvoi. La juge de première instance a conclu que l’appelant Sahlaoui, salarié démissionnaire de l’intimée, avait, tant avant qu’après son départ, manqué au devoir de loyauté que prescrit cette disposition, et ce, avec la complicité de l’appelante Evo Orthopédie Technique inc., société dont il est actionnaire et qui œuvre dans le même champ d’activité que son ex-employeur. En conséquence, elle a condamné les appelants à verser 135 238 $ à l’intimée en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de ce manquement, c’est-à-dire l’équivalent d’une année de profits perdus.

[8]           Pour les raisons que j’expliquerai maintenant, il y a lieu d’infirmer le jugement et de rejeter l’action de l’intimée contre les appelants.

I.          Contexte

[9]           L’appelant Sahlaoui, orthésiste-prothésiste à temps plein chez l’intimée 2330-2029 Québec inc. (« Médicus ») depuis 10 ans environ, quitte son poste le 21 novembre 2015[2], après avoir donné, une dizaine de jours auparavant, un préavis de sa démission (préavis dont personne ne conteste la suffisance). Dans le cadre de ses fonctions chez Médicus, M. Sahlaoui travaillait, trois jours par semaine environ, sur les lieux de l’hôpital Notre-Dame de Montréal, où il occupait (avec un ou deux collègues) un local mis gratuitement et depuis des années à la disposition de son employeur. Il rencontrait là les patients que lui adressaient les chirurgiens orthopédistes de l’établissement, avec lesquels il avait noué une certaine relation de confiance, grâce à la qualité de ses services. Le fait de bénéficier d’un local sur place et d’y avoir assigné un orthésiste compétent et apprécié des médecins s’est bien sûr révélé profitable à Médicus, en termes de clientèle.

[10]        On peut décrire ainsi, brièvement, le cadre dans lequel s’inscrit la fourniture des services qu’offrent Médicus et ses orthésistes[3] : ce ne sont pas les médecins (orthopédistes ou autres) qui sont eux-mêmes, à proprement parler, les clients de l’orthésiste, mais ce sont eux qui, souvent, dirigent leurs patients vers celui-ci. Ce n’est qu’une suggestion et le patient est libre de faire remplir sa prescription par l’orthésiste de son choix, mais la recommandation du médecin-prescripteur sera souvent déterminante, en pratique, surtout si l’orthésiste est physiquement à proximité. Les bonnes relations entre orthésistes et orthopédistes peuvent donc être une source non négligeable de clientèle pour l’employeur, en l’occurrence Médicus[4].

[11]        De façon générale, Médicus entretenait à l’époque avec les orthopédistes des trois hôpitaux regroupés au sein du CHUM (Notre-Dame, Hôtel-Dieu, St-Luc) des liens assez étroits, et ce, depuis des décennies. Ces orthopédistes, au cours des ans, aiguillaient nombre de leurs patients chez elle. La présence de M. Sahlaoui, dont la compétence et l’entregent ne sont pas contestés, a donc permis que soit maintenu ce lien, tout particulièrement avec les orthopédistes de l’hôpital Notre-Dame, ainsi qu’avec le personnel du département de chirurgie de celui-ci. Il était d’ailleurs connu dans l’établissement comme « Monsieur Médicus ».

[12]        Mais tout prisé qu’il ait été par la clientèle ou les médecins, M. Sahlaoui, en 2015, songeait sérieusement à quitter son emploi chez Médicus, pour diverses raisons dont une mésentente avec son supérieur immédiat, qui lui avait valu une réprimande disciplinaire qu’il jugeait imméritée. Il estimait aussi ne pas progresser dans l’entreprise, ne pas être traité comme ses collègues, etc. Il s’en ouvre à une amie. Celle-ci en parle à l’une de ses connaissances, M. Daniel Larouche, orthésiste qui exploite à Sherbrooke l’entreprise Laboratoire Evo inc. Il se trouve en effet que M. Larouche envisage justement d’étendre son entreprise à Montréal et qu’il est à la recherche d’une personne avec laquelle s’associer à cette fin. L’amie de M. Sahlaoui voit là une occasion intéressante. Au printemps 2015, fort de sa recommandation, M. Larouche contacte donc M. Sahlaoui.

[13]        À la suite de ses rencontres avec celui-ci, qui débouche sur une entente, M. Larouche procède, en date du 25 juin 2015, à la création d’une société, l’appelante Evo Orthopédie Technique inc. (« Evo »), dont M. Sahlaoui est décrit comme l’actionnaire majoritaire[5]. Une convention unanime d’actionnaires a d’ailleurs été signée le 23 juin par MM. Sahlaoui et Larouche, indiquant que le premier détient 60 % des actions d’Evo et le second 40 %[6]. La juge décidera que ce partage des actions s’explique par l’expertise et les relations que M. Sahlaoui apporte à l’entreprise, tandis que M. Larouche y apporte son expérience en gestion, ses capacités d’organisation et le capital qu’il peut verser dans l’aventure grâce à son autre société, Laboratoire Evo inc.

[14]        Enfin, MM. Sahlaoui et Larouche, au nom d’Evo, signent un bail le 18 septembre 2015, bail qu’ils cautionneront par ailleurs personnellement, le même jour[7]. Aux termes de la clause 6 de ce bail, Evo pourra commencer à occuper les lieux le 1er octobre 2015, le contrat devant se terminer le 31 décembre 2018.

[15]        Notons que, lors de leurs témoignages respectifs, MM. Sahlaoui et Larouche soutiendront que M. Sahlaoui n’aurait en réalité pas participé à la constitution d’Evo, n’aurait pas signé la convention unanime des actionnaires au mois de juin 2015, mais plutôt en octobre, tout comme le bail du reste, dont il ne se serait pas mêlé. Ce ne serait que vers la fin de l’automne que l’entente entre les deux intéressés se serait véritablement concrétisée. La juge ne les croira pas et conclura plutôt que M. Sahlaoui a concouru aux démarches de M. Larouche, ayant dès le printemps 2015 décidé de s’associer avec lui et de quitter Médicus. La lecture de la preuve étaye cette détermination, et d’autant que la date inscrite sur ces actes sous seing privé fait foi à l’encontre de leurs signataires (art. 2828 al. 2 et 2830 al. 1 a contrario C.c.Q.), Médicus s’étant dûment opposée à ce qu’on tente d’établir, par témoignage, une date autre[8].

[16]        Cependant, si Evo a été constituée en juin 2015, la convention unanime des actionnaires signée concomitamment et le bail conclu en septembre 2015, les choses en sont restées là. Evo n’a pas commencé ses activités avant que la démission de M. Sahlaoui ne devienne effective. D’une part, M. Larouche était sous le coup d’une clause de non-concurrence envers son ancien employeur, ce qui l’empêchait d’activer Evo avant le 31 octobre 2015[9]. D’autre part, M. Sahlaoui n’a pas démissionné de son emploi avant novembre 2015, ceci expliquant cela et faisant partie de la planification entre les associés[10]. MM. Sahlaoui et Larouche ont donc mis en place tout ce qui leur permettrait de démarrer leur entreprise dès que M. Larouche serait libéré de sa clause de non-concurrence. Dans l’intervalle, M. Sahlaoui restait en poste chez Médicus. Cela dit, dans les faits, Evo est bel et bien demeurée inactive jusqu’à la démission de M. Sahlaoui.

[17]        Il est vrai que, selon la preuve, Evo, par l’intermédiaire de M. Larouche, a emménagé dans ses locaux (non loin de l’hôpital Notre-Dame) en octobre 2015. Il appert aussi que, au cours de ce même mois, M. Larouche a donné suite à la demande d’une médecin qu’il connaît et qui pratique dans l’immeuble : ce médecin lui aurait envoyé un client pour une prothèse particulière, fabriquée par une imprimante 3D. Il faut expliquer ici que, avec un autre partenaire, M. Larouche s’est lancé dans une troisième entreprise, à savoir la production d’orthèses et de prothèses par ce nouveau moyen technologique : il a mis à cette fin sur pied une société nommée O3D. C’est elle qui aurait confectionné la prothèse en question, quoique la facture envoyée au client l’ait été sur du papier à entête d’Evo. Disons tout de suite que, sur la base de ce seul incident, il n’est pas raisonnablement possible de conclure que M. Sahlaoui, alors qu’il était encore à l’emploi de Médicus, aurait ainsi travaillé pour un concurrent (par le truchement d’Evo) et manqué ainsi à son devoir de loyauté envers l’intimée. J’y reviendrai.

[18]        Si l’on exclut cette vente, donc, ni Evo ni M. Sahlaoui (et pas davantage M. Larouche) n’ont agi avant que ce dernier ne donne sa démission à Médicus. La preuve ne révèle par ailleurs pas que, pendant la période précédant son départ, M. Sahlaoui se soit mal comporté dans le cadre de son emploi ou n’ait pas accompli ses tâches avec sa compétence et sa diligence habituelles. Médicus ne lui en a du reste jamais fait grief (quoiqu’elle lui reproche d’avoir continué à cultiver sa relation avec les orthopédistes de l’hôpital Notre-Dame après avoir pris la décision de démissionner et avant de passer aux actes, quelques mois plus tard). La preuve ne démontre pas davantage que M. Sahlaoui ait usé de son temps de travail chez Médicus pour faire les démarches destinées à préparer son départ. Elle ne démontre pas non plus qu’il ait à cette fin utilisé l’information confidentielle de son employeur ou se la soit appropriée ou encore qu’il ait tenté pendant ces quelques mois de détourner à son bénéfice ou celui d’autrui les clients de son employeur.

[19]        Par contre, dès le lundi suivant la démission de M. Sahlaoui, les choses démarrent. La preuve révèle ainsi qu’au cours des jours et semaines subséquentes, il rencontre plusieurs des orthopédistes avec qui il traitait précédemment pour le compte de Médicus, de même que d’autres membres du personnel de l’hôpital Notre-Dame. Il leur explique la situation et les invite à faire affaire avec lui.

[20]        Sur les entrefaites, les orthopédistes de Notre-Dame décident de lancer un concours visant à choisir un fournisseur privilégié d’orthèses/prothèses[11]. Evo (représentée par MM. Sahlaoui et Larouche), Médicus (représentée par sa présidente et un autre cadre) et Équilibre (le troisième joueur) feront une présentation en décembre 2015. Le choix des médecins s’arrête sur Evo, et l’on ne peut exclure que cela ait, en partie du moins, été le fruit des bons rapports existant entre eux et M. Sahlaoui.

[21]        Par la suite, l’intimée sera expulsée du local qu’elle occupe depuis plusieurs années à l’hôpital Notre-Dame. Apparemment, ce local est désormais mis à la disposition des résidants en médecine. Il est certain en tout cas que ce n’est pas Evo qui s’y installera. Elle ne l’a d’ailleurs jamais occupé, pas plus que M. Sahlaoui après sa démission.

[22]        Parce qu’elle a été ainsi choisie comme fournisseur privilégié, Evo obtiendra un important bassin de clientèle, en proportion de sa taille, alors que, concomitamment, les ventes de Médicus aux patients des chirurgiens orthopédistes de l’hôpital Notre-Dame (et du CHUM en général) diminueront pour leur part assez significativement.

[23]        Notons en passant que Médicus est une entreprise d’envergure : elle compte plus de 15 succursales[12] et, au moment du procès, en 2019, plus de 350 employés à temps plein et une cinquantaine à temps partiel[13]. Evo, de son côté, a quatre employés en 2017 (à savoir MM. Sahlaoui et Larouche, une secrétaire, embauchée en avril 2016, et un orthésiste, embauché en septembre ou en octobre 2016, à temps partiel)[14].

* *

[24]        Médicus poursuit en justice M. Sahlaoui et la société de celui-ci, Evo, réclamant des dommages compensatoires de 150 238 $, sous deux chefs : le premier, de 135 238 $ représente l’équivalent d’une année de profits perdus à la suite de la démission de M. Sahlaoui; le second, de 15 000 $, se rapporte aux ennuis, troubles et inconvénients découlant de la concurrence déloyale que leur auraient livrée les appelants. Plus précisément, Médicus reproche à M. Sahlaoui d’avoir manqué à son devoir de loyauté contractuelle (art. 2088 al. 1 C.c.Q.) et postcontractuelle (art. 2088 al. 2 C.c.Q.). Elle reproche à Evo, instrument de ce manquement, de s’y être associée en toute connaissance de cause.

* *

[25]        La juge de première instance donne raison à Médicus et condamne les appelants, solidairement, à lui verser des dommages de 135 238 $, avec l’intérêt au taux légal et l’indemnité additionnelle à compter du 18 février 2016, date de la mise en demeure. Elle n’accorde toutefois pas les 15 000 $ réclamés de surcroît.

* *

[26]        Les appelants se pourvoient et font valoir que la juge a erré en concluant à la violation de devoir de loyauté contractuelle et extracontractuelle de M. Sahlaoui, et à la responsabilité conséquente d’Evo. Subsidiairement, lors de l’audience d’appel, les appelants réclament la réduction du montant de leur condamnation, montant qui serait excessif et n’aurait pas dû excéder le quart de la somme octroyée à l’intimée, soit l’équivalent de trois mois des pertes de Médicus. L’intimée estime pour sa part que le jugement est bien fondé, qu’il n’est entaché d’aucune erreur de droit et que les appelants (auxquels la juge n’a accordé aucune crédibilité) n’ont pas fait la démonstration d’une erreur de fait manifeste et déterminante.

[27]        Qu’en est-il?

II.         Analyse

[28]        Dans un premier temps, je rappellerai l’état du droit sur le devoir de loyauté que l’art. 2088 C.c.Q. impose au salarié pendant la durée du contrat de travail, mais aussi après la fin de celui-ci. Dans un second temps, je m’intéresserai à l’application de ces règles à l’espèce.

A.       Art. 2088 C.c.Q. : loyauté contractuelle et postcontractuelle du salarié envers l’employeur

[29]        En l’absence de stipulations particulières à ce sujet dans le contrat de travail et, notamment, en l’absence d’une clause de non-concurrence (art. 2089 et 2095 C.c.Q.), la loyauté contractuelle ou postcontractuelle du salarié envers l’employeur est régie par l’art. 2088 C.c.Q. :

2088.   Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et honnêteté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.

2088.   The employee is bound not only to perform his work with prudence and diligence, but also to act faithfully and honestly and not use any confidential information he obtains in the performance or in the course of his work.

            Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui.

            These obligations continue for a reasonable time after the contract terminates and permanently where the information concerns the reputation and privacy of others.

[30]        Le devoir de loyauté du salarié (dans lequel on inclut souvent le devoir d’honnêteté que précise l’art. 2088 C.c.Q., tout comme l’obligation de confidentialité), comporte donc un volet contractuel, régi par le premier alinéa ci-dessus, et un volet postcontractuel, régi par le second. L’arrêt Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc.[15], qui fait le point sur chacun d’eux, explique ce qui suit quant au volet contractuel :

[39]      En cours de contrat de travail, le premier alinéa de cette disposition impose au salarié une obligation assez lourde, particulièrement dans le cas d'un salarié-clef ou dans le cas d'un salarié jouissant d'une grande latitude professionnelle, la loyauté étant à la mesure de la confiance de l'employeur. On pourrait résumer comme suit les grandes lignes de ce devoir de loyauté [note 6 : Voir par exemple : Banque de Montréal c. Ng, [1989] 2 R.C.S. 429; Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., [2001] R.J.Q. 2820, [2001] R.J.D.T. 1743 (c.a.); Abbas-Turqui c. L.N.S. Systems Inc., J.E. 2004-898 (C.A.); Pro-quai inc. c. Tanguay, 2005 QCCA 1217, J.E. 2006-138] : puisqu'il ne travaille pas à son compte mais pour celui de l'employeur, qui seul dispose des fruits du travail, le salarié ne doit pas nuire à l'entreprise à laquelle il participe ou l'entraver; il doit faire primer (dans le cadre du travail) les intérêts de l'employeur sur les siens propres; il ne doit pas se placer en situation de conflit d'intérêts (ce qui pourrait l'amener à privilégier l'intérêt de tiers ou le sien propre plutôt que celui de l'employeur); il doit se conduire à tout moment avec la plus grande honnêteté envers l'employeur, ne peut s'approprier les biens matériels ou intellectuels de celui-ci ou les utiliser indûment à son avantage. Il ne peut évidemment pas détourner à son profit ou à celui de tiers la clientèle de l'employeur ni usurper les occasions d'affaires qui se présentent à ce dernier, etc. Dans certains contextes, même en l'absence d'une clause à cet effet, l'obligation de loyauté peut obliger le salarié à une exclusivité de services, quoique ce ne soit généralement pas le cas.

[40]      L'employeur peut bien sûr permettre au salarié des gestes ou comportements qui, autrement, lui seraient interdits [note 7 : On imagine évidemment mal un employeur autoriser le salarié à se conduire de façon malhonnête, mais la chose est différente en matière de conflit d'intérêts, l'employeur pouvant autoriser ce qui serait normalement considéré comme un manquement à cet égard].

[…]

[44]      Cela dit, la violation grave ou répétée du devoir de loyauté en cours d'emploi constitue un motif sérieux de congédiement au sens de l'article 2094 C.c.Q., que ce manquement ait ou non causé un préjudice à l'employeur. S'il y a préjudice, l'employeur pourra en outre exiger réparation. […]

[31]        Le salarié, pendant la durée de son contrat de travail, ne doit donc pas délibérément nuire aux intérêts légitimes de l’employeur, par exemple en s’appropriant des biens ou des occasions d’affaires, en détournant des clients vers des concurrents (incluant son futur employeur)[16], en se plaçant en conflit d’intérêts[17], en mobilisant indûment[18] ses collègues de travail contre l’employeur[19], etc.

[32]        Ce devoir de loyauté contractuelle empêche-t-il cependant le salarié qui souhaite quitter son emploi de préparer son départ tout en demeurant en poste?

[33]        À mon avis, de tels préparatifs ne dénotent pas, en eux-mêmes, un manque de loyauté. Tout comme l’employeur, le salarié, dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée, jouit en effet de la faculté unilatérale de résilier le contrat de travail, sa seule obligation étant d’en donner un préavis raisonnable (art. 2091 C.c.Q.). Dans le cas du salarié, cette faculté de résiliation est le nécessaire corollaire de la liberté de travail qui est sienne et qui est l’un des piliers du droit du travail. C’est là, en quelque sorte, le revers de la subordination du salarié, qui, certes, travaille pour et au profit d’un employeur, mais doit être libre de quitter celui-ci[20]. Le salarié peut sans doute limiter lui-même cette liberté en concluant un contrat à durée déterminée, mais pour une période qui soit conforme aux exigences de l’ordre public et ne constitue pas une servitude implicite, ce qui ne l’empêche par ailleurs pas de mettre fin prématurément à son emploi, sous réserve de sa responsabilité civile, si ce départ anticipé cause préjudice à l’employeur et n’est pas justifié par un motif sérieux au sens de l’art 2094 C.c.Q..

[34]        Dans un contexte comme celui de l’espèce, s’agissant d’un contrat à durée indéterminée, le salarié est donc libre de changer d’emploi ou d’activité professionnelle, et ce, à son gré, peu importe la raison qui le motive. En conséquence, il est libre aussi de faire les démarches et les préparatifs nécessaires à ce changement alors même qu’il est encore à l’emploi de celui ou celle qu’il entend quitter[21]. Il pourrait faire de même avant l’expiration de son contrat de travail à durée déterminée, en vue de se replacer au terme de celui-ci.

[35]        Le fait d’agir ainsi ou de ne pas dévoiler son intention ou ses démarches à l’employeur ne peut par ailleurs pas être tenu pour un manquement à l’art. 2088 al. 1 : il y a des limites légitimes, certainement, à la franchise et à la transparence requise par le contrat de travail et j’estime que le salarié (qui, d’ailleurs, peut changer d’idée en cours de route) a le droit de garder pour lui son intention de changer d’emploi ou les démarches qu’il entreprend à cette fin (y compris lorsqu’il s’agit de se lancer en affaires). Il y a des limites également à la notion de « conflit d’intérêts », qu’on invoque parfois : on ne peut pas considérer comme une manifestation de déloyauté le fait qu’un salarié se prépare à démissionner en planifiant pour ainsi dire sa sortie (y compris en projetant de travailler pour un concurrent ou en se préparant à concurrencer lui-même son employeur, sous réserve de ce que je dirai plus loin, infra, paragr. [38]).

[36]        À mon avis, il serait en pratique impensable - et injuste - de considérer que le salarié enfreint son devoir de loyauté dès lors qu’il exerce son droit de regarder ailleurs et de chercher un nouvel emploi ou une autre activité rémunératrice, y compris une activité concurrentielle à celle de son employeur. Il n’est pas impossible qu’un employeur, apprenant l’intention de son salarié, le remercie de ses services plutôt que de tenter de le retenir, mais l’ire ou la perte de confiance de celui qui se sentirait trahi, trompé ou peiné n’est pas la mesure du droit du salarié en la matière. Le principe de la liberté de travail fait obstacle à ce que l’on conclue à conflit d’intérêts et, partant, à déloyauté, de ce seul fait (et donc à motif sérieux de résiliation du contrat au sens de l’art. 2094 C.c.Q.)[22]. Et si même on acceptait qu’il y ait un conflit d’intérêts, au moins potentiel, en pareilles circonstances, c’est un conflit qu’on devrait considérer comme inhérent à la nature du contrat de travail et de la liberté de travail et, conséquemment, exclu du champ d’application du devoir de loyauté.

[37]        La Cour a du reste déjà statué en ce sens. Ainsi, dans Bélanger c. Sirius Services conseils en technologie de l'information inc.[23], elle écrit que :

[14]      C’est à tort que le juge conclut ainsi. D’abord, en principe, le fait pour un salarié de chercher un nouveau travail, à l’insu de son employeur, ne constitue pas, en soi, une violation de l’obligation de loyauté à laquelle il est assujetti en cours d’emploi (art. 2088 C.c.Q.). Aucune circonstance particulière ne justifie en l’espèce de déroger à cette règle.[24]

[38]        Bien sûr, le salarié qui procède à ces préparatifs de départ ne peut en principe pas le faire sur son temps de travail ou en usant copieusement des outils que l’employeur met à sa disposition dans le cadre de son emploi. Il ne peut pas profiter de la situation pour piller ou pirater l’information confidentielle de l’employeur ou les dossiers sur lesquels il travaille, cacher ou détourner des occasions d’affaires, s’approprier les listes de clients ou les biens de son employeur, recruter déjà les clients de celui-ci à son bénéfice[25] ou celui d’autrui[26], dénigrer véritablement et activement l’employeur auprès de ses collègues ou de la clientèle, ou autres comportements du genre[27]. Faire cela serait, bien sûr, déloyal et c’est là un comportement que sanctionnent les tribunaux[28].

[39]        Bref, le salarié est certes subordonné à l’employeur pendant la durée de son contrat de travail et il doit assurément exécuter ses tâches avec diligence, compétence et loyauté pendant toute la durée de celui-ci, tout en favorisant les intérêts de l’employeur, mais, je le répète, il demeure néanmoins libre de quitter son emploi à tout moment, ce qui inclut forcément la liberté de s’y préparer (même à l’insu de l’employeur), et ce, en planifiant son avenir, sans qu’on puisse voir en cela un manquement au devoir de loyauté. Tant que le salarié, pendant cette période de préparatifs (et même s’il se prépare à concurrencer éventuellement celui qui sera son ex-employeur), respecte ses obligations (c’est-à-dire qu’il exécute ses tâches avec diligence, compétence et honnêteté, tout en faisant primer les intérêts de son employeur), on ne peut pas lui reprocher de déloyauté[29].

[40]        Là-dessus, je souscris donc entièrement à l’opinion qu’exprimait la juge Abella (dissidente en partie) dans RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc.[30], opinion fondée notamment sur le principe (reconnu par les juges majoritaires dans cette affaire) que « l’employé est libre de faire concurrence à son ancien employeur »[31], sujet dont je reparlerai plus loin :

[57]      […] Le droit incontesté de l’employé de concurrencer son employeur une fois la relation d’emploi terminée me semble avoir pour corollaire nécessaire le droit d’établir, pendant qu’il est encore employé, des plans en vue de possibilités d’emploi futur, sous réserve, bien sûr, de son obligation de ne pas porter atteinte à la confidentialité des renseignements de l’employeur. Mais ne constitue pas, à mon avis, un manquement à l’obligation implicite d’agir de bonne foi le fait d’être à l’affût de nouvelles possibilités d’emploi, de négocier avec un concurrent ou de faire part de ses intentions à ses collègues de travail (Voir Stacey R. Ball, Canadian Employment Law (feuilles mobiles), vol. 1, p. 15-2, note 9). Je suis d’accord avec le juge Macklin qui fait remarquer ce qui suit dans Westcan Bulk Transport Ltd. c. Stewart (2005), 373 A.R. 236, [2005] ABQB 97 :

[traduction] Toute personne a le droit fondamental de gagner sa vie. [...] Les restrictions raisonnables [à ce droit] ne comprennent pas les mesures raisonnables que l’employé doit prendre pour se préparer à gagner sa vie le plus rapidement possible après la fin de son lien d’emploi avec l’employeur. [par. 83]

(Voir aussi Leith c. Rosen Fuels Ltd. (1984), 5 C.C.E.L. 184 (H.C.J. Ont.), p. 195.)[32]

[Je souligne]

[41]        Ce propos, transposable au droit québécois, est conforme aux grands principes - et notamment celui de la liberté de travail - qui sous-tendent le droit du travail en général et, en particulier, les dispositions du Code civil du Québec sur contrat de travail. Notre Cour a du reste déjà retenu ce point de vue dans Pharmacie Jean-Sébastien Blais inc. c. Pharmacie Éric Bergeron et André Vincent inc.[33].

[42]        Il n’est pas impossible, je le concède, que la situation puisse être différente, jusqu’à un certain point, dans le cas des hauts dirigeants d’une entreprise, qui jouissent certainement eux aussi de la liberté de travail, mais qui, étant plus près du cœur de la société dont ils tiennent les rênes et formant un noyau dont dépendent tous les autres, doivent sans doute une loyauté plus grande, notamment en termes de transparence, à leur employeur. Mais je ne fais qu’évoquer ici cette possibilité qui n’est pas pertinente à la présente affaire, M. Sahlaoui ne faisant pas partie de la haute direction de Médicus.

[43]        Qu’en est-il maintenant du second volet du devoir de loyauté du salarié, c’est-à-dire du volet postcontractuel régi par l’art. 2088 al. 2 C.c.Q.?

[44]        L’arrêt Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc.[34] décrit ainsi le contenu de l’obligation qui incombe à ce chapitre au salarié :

[42]      Par ailleurs, le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q. fait perdurer le devoir de loyauté au-delà de la rupture du contrat de travail. Le cadre et le contenu obligationnel de ce devoir de loyauté postcontractuel font l'objet d'une jurisprudence abondante, dont on peut résumer comme suit les enseignements :

-           Le second alinéa de l'article 2088 C.c.Q. et le devoir de loyauté qu'il énonce doivent être interprétés de façon restrictive, la survie d'une obligation contractuelle au-delà de la terminaison du contrat qui y a donné naissance étant exorbitante du droit commun. Cette interprétation restrictive se justifie également par le fait que, dans l'organisation de notre société, la concurrence, en affaires, est la règle.

-           Le devoir de loyauté postcontractuel est un devoir atténué, qui n'a ni l'ampleur ni la rigueur de l'obligation telle qu'elle existe pendant la durée du contrat. Ce devoir de loyauté postcontractuel ne saurait par ailleurs imposer au salarié des restrictions équivalentes à celles d'une clause de non-concurrence.

-           En l'absence d'une clause de non-concurrence, l'ex-salarié peut en principe concurrencer son ex-employeur (soit en trouvant un nouvel emploi chez un concurrent, soit en fondant sa propre entreprise concurrente, soit en investissant dans une entreprise concurrente, etc.). Il peut même se livrer à une concurrence vigoureuse, à condition toutefois que cette concurrence demeure loyale et respecte le principe de bonne foi.

-           Le contenu obligationnel précis du devoir de loyauté postcontractuel variera selon les circonstances (par exemple : nature du contrat et de l'entreprise, nature, conditions et niveau hiérarchique du poste occupé par l'ex-salarié, motifs de la terminaison du contrat de travail, état de la concurrence dans le secteur d'activités de l'employeur, etc.).

-           En elle-même, la sollicitation de clientèle n'est pas interdite, en principe, puisqu'il s'agit d'un acte de concurrence ordinaire, la recherche de la clientèle étant l'élément définitionnel de la concurrence.

-           La jurisprudence tend à interdire des comportements tels : utiliser, aux fins de sollicitation de clientèle, des documents ou renseignements confidentiels de l'ex-employeur ou utiliser de tactiques de dénigrement ou se livrer à des tromperies ou à de fausses représentations; profiter indûment de certaines relations privilégiées avec la clientèle; solliciter de façon insistante et systématique ses ex-collègues de travail et tenter de les convaincre de quitter l'employeur; conserver des biens ou des documents de l'ex-employeur [note 8 : Le refus de remettre ces biens, d'ailleurs, constitue dans certains cas un vol pur et simple, sans égard à la notion de loyauté], etc.

-                      Enfin, le devoir de loyauté postcontractuel ne dure qu'un temps, celui d'un « délai raisonnable », comme le dit l'article 2088 C.c.Q. Là encore, la jurisprudence est assez réservée : la durée de l'obligation de loyauté postcontractuelle dépend des circonstances de chaque espèce [note 9 : Les facteurs mentionnés plus haut seront à nouveau considérés (par exemple : nature du contrat et de l'entreprise, nature, conditions et niveau hiérarchique du poste occupé par l'ex-salarié, durée du service de l'ex-salarié au sein de l'entreprise de l'employeur, motifs de la terminaison du contrat de travail, état de la concurrence dans le secteur d'activités de l'employeur, etc.). On s'intéressera en outre aux motifs et aux circonstances de la rupture du contrat de travail, de même qu'à la durée du service antérieur de l'ex-salarié. Ainsi, le caractère injustifié d'un congédiement peut avoir un effet à la baisse sur la durée du délai raisonnable. La bonne ou la mauvaise foi de l'ex-salarié peut être un élément à considérer dans l'évaluation de la durée de ce délai raisonnable.], mais elle dépasse rarement quelques mois. Il peut y avoir des cas exceptionnels, mais ils sont, justement, exceptionnels et doivent le rester si l'on ne veut pas indûment limiter le principe de concurrence qui régit notre société et avantager les employeurs au détriment des salariés. Après l'expiration de ce délai raisonnable, l'ex-salarié n'est plus assujetti qu'aux règles ordinaires applicables à la concurrence (en vertu de l'article 1457 C.c.Q.). [Note 10 : Sur le tout, voir par exemple : Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.); Dufresne c. Groupe Christie Ltée, [1992] R.D.J. 546 (C.A.); Positron c. Desroches, [1988] R.J.Q. 1636 (règlement hors cour, C.A., 1991-09-16, 500-09-000620-880); Improthèque inc. c. St-Gelais, [1995] R.J.Q. 2469 (C.S.); Groupe Financier Assbec c. Dion, [1995] R.D.J. 172 (C.A.); Frank White Enterprises Inc. c. 130541 Canada inc., J.E. 95-1233 (C.A.); Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc., précité, note 6; Étiquette nationale inc. c. Sarrazin, J.E. 2002-508; Industries Flexart ltée c. Baril, [2003] R.J.Q. 665, [2003] R.J.D.T. 39 (C.A.); Gestion Marie-Lou (St-Marc) inc. c. Lapierre, J.E. 2003-1698 (C.A.); Corporation scientifique Claisse inc. c. Instruments Katanax inc., 2006 QCCA 1425, J.E. 2006-2266.]

[43]      On notera qu'il semble parfois y avoir une certaine duplication entre l'interdiction des comportements déloyaux résultant de l'article 1457 C.c.Q. et l'interdiction découlant du second alinéa de l'article 2088 C.c.Q., alors que ces deux dispositions devraient avoir leur champ d'application propre, le second ajoutant au premier.

[44]      […] De même, l'ex-salarié qui viole son devoir de loyauté postcontractuel s'expose à être poursuivi par l'ex-employeur : demande d'injonction, s'il s'agit d'empêcher la violation ou de la prévenir, demande de dommages-intérêts, si la violation a engendré un préjudice, combinaison de ces remèdes, le cas échéant.

[45]        Dans Gutin c. Cenfood International Inc.[35], la Cour précise par ailleurs ce qu’on entend par « délai raisonnable » aux fins de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. :

 [42]     It must be noted that art. 2088 does not impose upon the employee the equivalent of a non-competition clause and that the obligations of loyalty and confidentiality only “continue for a reasonable time” after the termination of the contract. The duration of this “reasonable time” may not exceed a few months (seldom more than three or four), to be determined on a case-by-case basis. [Fn. 19: See for instance: Concentrés scientifiques Bélisle inc. v. Lyrco Nutrition inc., supra, fn. 10, para. 42; 9129-3845 Québec inc. v. Dion, supra, fn. 10, paras. 13 (p. 8) and 16-17; Tremblay v. Simple Concept inc., 2010 QCCA 802, para. 4] In this instance, the trial judge considered that a six-month period was reasonable. In view of the case law, this appears to be at the upper limit of the acceptable range, but was warranted by the circumstances. In any event, the appellant did not challenge, as such, the judge’s determination in that respect.

[46]        Dans cette affaire, le salarié avait gravement manqué à son obligation de loyauté tant contractuelle que postcontractuelle : alors qu’il était toujours à l’emploi de l’intimée, tout en préparant son départ, il s’était approprié la banque des données confidentielles de son employeur, plusieurs documents destinés à lui servir ultérieurement de modèles (formulaires, factures, contrats); après son départ, il s’était servi des informations confidentielles en question pour mener une vigoureuse campagne de sollicitation auprès des clients de son ancien employeur, profitant de l’occasion pour dénigrer celui-ci, tout en plagiant les formulaires, contrats et factures qu’il avait emportés avec lui. Selon la Cour, ces gestes, pour déloyaux qu’ils soient, ne justifiaient toutefois pas que l’obligation de loyauté postcontractuelle incombant au salarié excède six mois, terme se situant à la limite supérieure de la « durée raisonnable » prévue par l’art. 2088 C.c.Q.

[47]        C’est là, il faut le dire, un plafond que la Cour a déjà brisé, dans Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc.[36]. Dans cette affaire, toutefois, les salariés (dont trois cadres, l’un d’entre eux supérieur) avaient dans l’année précédant leur démission (sans préavis) posé des gestes gravissimes à l’encontre de celui qui était encore leur employeur, se comportant en véritables vandales : ils avaient ainsi organisé la diminution du volume des ventes de l’entreprise, donné de faux renseignements aux clients, pris copie de toutes les données informatiques de l’employeur pour ensuite les effacer des ordinateurs de celui-ci, et ainsi de suite, orchestrant la débâcle de l’entreprise. Après leur démission, grâce à tout cela, ils avaient donc réussi à s’emparer de la clientèle de leur ex-employeur, qu’ils ont desservie en toute impunité après avoir paralysé ses activités et s’être livrés à un dénigrement constant. On comprend que, vu le manquement (c’est un euphémisme) des salariés à leur obligation de loyauté contractuelle, la Cour se soit montrée particulièrement sévère à leur endroit en confirmant la durée (une année) de l’ordonnance d’injonction postcontractuelle prononcée contre eux par la Cour supérieure[37].

[48]        Hormis les cas les plus graves, donc, le « délai raisonnable » de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. ne saurait ordinairement excéder trois ou quatre mois, plus rarement six mois, et sera souvent moindre, le tout selon une fourchette dépendant de la nature et du niveau hiérarchique de l’emploi, de celle du manquement, de l’état de la concurrence dans le domaine d’activités de l’ex-employeur et autres facteurs mentionnés dans Concentrés Bélisle[38].

[49]        La loyauté postcontractuelle, comme on le constate, est donc un concept qui doit être appliqué avec modération et mesure et qui n’impose à l’ex-salarié qu’une obligation temporaire, qui ne peut être l’équivalent des clauses de non-concurrence régies par l’art. 2095 C.c.Q. La jurisprudence récente ne dit pas autrement[39] et la doctrine va généralement dans le même sens, quoique certains auteurs semblent à l’occasion déplorer la légèreté de l’obligation ainsi faite au salarié[40].

[50]        Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici les raisons pour lesquelles les tribunaux appliquent l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. avec réserve, une réserve dont le juge LeBel expose bien les fondements dans Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie[41], arrêt de 1992 qui n’a rien perdu de sa pertinence ni de sa justesse. Parlant de la loyauté postcontractuelle de l’ex-salarié, obligation jusqu’alors prétorienne et à laquelle, note-t-il, l’art. 2088 C.c.Q. (qui n’était pas encore en vigueur) accorde une reconnaissance législative, le juge LeBel, dans un long passage qui mérite d’être reproduit presqu’intégralement, écrit que :

            Le problème de la nature et de la portée de cette obligation de loyauté se rattache à celui de la protection de la clientèle. Le régime économique dans lequel nous vivons se fonde, à tout le moins en théorie et, assez souvent, en pratique, sur la liberté de concurrence. La clientèle constitue habituellement l'actif le plus précieux, mais aussi le plus fragile de l'entreprise. La nature même d'un système économique concurrentiel la rend mobile. Elle peut se déplacer ou être sollicitée. Le départ d'employés en contact avec la clientèle, connaissant les méthodes administratives, parfois des procédés de fabrication ou des techniques jalousement préservées, menace directement cette base de l'entreprise. Cette menace potentielle accentue parfois la volonté de rechercher une protection contractuelle contre cette situation. Cependant, la jurisprudence apprécie sévèrement les clauses limitatives de concurrence, particulièrement dans le contexte d'un contrat de travail ou d'un rapport juridique assimilable à celui-ci. Elles demeurent soumises à des restrictions importantes quant à leur durée et à leur application territoriale, aussi bien en droit civil qu'en common law (voir notamment Cameron c. Canadian Factors Corporation Limited, (1971) R.C.S. 148; Betz Laboratories Ltd. c. Massicotte, (1980) R.P. 355 (C.A.); Office Overload Québec Inc. c. Trencaroff, (1973) C.A. 960; N.F.B.C. National Financial Brokerage Center Inc. c. Investors Syndicate Limited, (1986) R.D.J. 164 (C.A.); F. Charette, « Les clauses restrictives de la liberté du travail », (1990) 50 R. du B. 531).

            On assiste cependant, en parallèle, dans la jurisprudence, à la montée de l'obligation de loyauté ou de fiduciaire. L'article 2088 du nouveau Code civil du Québec lui accorde d'ailleurs une reconnaissance législative (voir G. Audet, R. Bonhomme, C. Gascon et L. Lesage, « Le contrat individuel de travail en vertu du nouveau Code civil du Québec: deux pas en avant, un pas en arrière », (1992) 52 R. du B., 455, pp. 460 à 462). Il apparaît plus exact juridiquement de parler d'une obligation de loyauté que d'une obligation de fiduciaire, au sens strict du terme, cette expression renvoyant à une notion juridique qui n'est pas intégrée dans toutes ses modalités et conséquences dans le droit civil québécois. […]

            […]

            Le contrat terminé, cependant, la survie de l'obligation de loyauté soulève des problèmes de conciliation avec la liberté de travail et de concurrence (sur cette question, en common law, à l'égard du fiduciary duty, voir : B. Welling, « Former Corporate Managers Fiduciary obligations and the Public Policy in favor of competition », (1990), C. de D. 1095). Un jugement remarquablement intéressant de la Cour supérieure (Positron Inc. c. Desroches, (1988) R.J.Q. 1636, règlement hors cour en appel, C.A.M. 500-09-000620-880) posait bien cette problématique. Il rappelait une première règle : il faut éviter de donner à l'obligation de loyauté une portée plus grande qu'une clause de non-concurrence elle-même :

Un employé qui n'a pas signé de clause de non-concurrence ne saurait avoir les mêmes obligations que s'il l'avait fait; sa liberté ne saurait être plus restreinte que s'il l'avait fait, et elle l'est généralement moins. (monsieur le juge Biron, p. 1652)

            En principe, aucune clause de non-concurrence et, en règle générale, aucun devoir implicite découlant d'un contrat d'emploi ne sauraient empêcher un individu de gagner sa vie en utilisant ses connaissances et ses aptitudes professionnelles chez un concurrent. Ces dernières se rattachent à sa personne et à son patrimoine : […]

            […] Quelle que soit sa source, il demeure que le concept d'obligation de loyauté doit être manié avec discernement. Mis en œuvre sans prudence, il gênerait ou paralyserait la liberté de travail et de concurrence plus sûrement encore, par son indétermination même, que les clauses contractuelles de non-concurrence à l'égard desquelles la jurisprudence s'est montrée sévère, comme on le sait.

            La difficulté de fixer l'étendue et les effets de l'obligation de loyauté se remarque dans les applications jurisprudentielles qui ont été faites. Essentiellement, celles-ci ont visé non pas de simples exécutants, mais des administrateurs, des cadres supérieurs de compagnies ou des personnes exécutant des fonctions impliquant un niveau de responsabilité supérieur ou l'accès à des informations commerciales, techniques ou scientifiques particulièrement importantes. Cette obligation semble reposer soit sur la possession d'informations confidentielles d'importance critique, soit sur la détention d'une responsabilité réelle dans la gestion d'une entreprise. L'obligation de loyauté paraît viser des employés qui disposent d'un pouvoir d'initiative ou assument des responsabilités éloignées du rôle d'obéissance dévolu à de simples préposés (Canaero, voir p. 606). On a parlé souvent de "personnes qualifiées", de « cheville ouvrière » d'une entreprise ou « d'employés-clé » (voir ainsi : Resfab Manufacturier de Ressort Inc., p. 43, j. Vallerand). Dans N.F.B.C. National Financial Brokerage Center Inc., il s'agissait du gérant régional d'une institution financière importante et de plusieurs chefs de division. Dans d'autres cas, lorsqu'on utilisait le terme employés-clé, les personnes visées détenaient des informations techniques particulièrement importantes (voir Another Tech Corp. c. Gagnon, J.E. 92-343 (C.S.); Soquelec Télécommunications Ltée c. Microvolt Électroniques Inc., J.E. 91-1442 (C.S.)).

            L'existence et l'étendue du devoir de loyauté, ainsi que sa survie, dépendent du contenu réel de la fonction exercée ([…]). On ne retrouve guère de précédent dans le cas de contrats d'emploi, qu'un ancien employé, qui ne détenait pas d'informations commerciales ou techniques, confidentielles, d'importance critique pour l'entreprise, et qui ne remplissait pas un rôle de gestion, soit soumis à une obligation de loyauté telle qu'elle lui interdise toute opération de concurrence à l'égard de son ancien employeur.

[…]

            Que l'obligation de loyauté provienne d'un mandat, comme cela paraît être le cas ici, ou du contrat d'emploi, on ne saurait encore une fois lui donner une interprétation et un contenu plus inconciliables avec les fondements de l'ordre public économique que les clauses de non-concurrence elles-mêmes. Elle ne permet pas de consolider un droit de propriété de la clientèle, qui demeure l'objet de la lutte pour le marché, lutte à laquelle l'ancien employé ou mandataire a droit de participer, pourvu qu'il le fasse correctement. […]

            Dans notre système économique, la clientèle demeure libre de ses choix. Elle décide où elle se portera. Toute entreprise assume les risques de ses mouvements. Demeurent toujours pertinents ces commentaires du juge en chef Lafontaine dans l'affaire La Moderne, compagnie d'assurance c. Vanchestein [renvoi omis], selon qui la clientèle appartient, en définitive, à elle-même :

Le client n'appartient qu'à lui-même. Il est susceptible de compétition de la part de qui que ce soit.

[…]

            La liberté de concurrence représente le principe fondamental d'organisation des activités économiques, dans le secteur des assurances comme ailleurs, sous réserve de son encadrement législatif ou réglementaire. Bien que dommageable, la concurrence, en elle-même, ne saurait être fautive et source de responsabilité civile. Même lourdement préjudiciable pour une entreprise d'assurance, la seule conquête d'une part de marché par un nouveau concurrent ne lui donne pas droit à une indemnité. La concurrence fait partie de ces activités reconnues comme licites, bien que dommageables. On a le droit de conduire le restaurateur ou l'épicier voisin à la faillite, pourvu que, ce faisant, on emploie des moyens licites et corrects. […]

            À moins d'adopter une conception aussi absolutiste de l'obligation de loyauté que celle que défendait la Mutuelle, et que l'on a discutée et écartée précédemment, la responsabilité civile ne saurait se fonder ici sur le fait même de la concurrence. Elle dépendrait plutôt des modalités de celle-ci, à l'égard de l'activité visée, soit la substitution systématique de polices d'assurance existantes.

[…][42]

[51]        On soulignera que les mêmes règles s’appliquent dans le reste du Canada, la common law et le droit civil québécois convergeant sur ce point. Ainsi, comme l’écrit la juge Abella dans RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc.[43] :

[39]      Le contrat de travail constitue un marché de services personnels, ce qui signifie que, sous réserve de l’analyse qui suit au sujet des clauses de non-concurrence et des obligations fiduciaires, les employés sont généralement libres de quitter leur emploi et, en partant, de faire concurrence à leur ancien employeur. S’il s’agit là, il va sans dire, d’une situation difficilement acceptable pour un employeur, elle reste néanmoins légitime (Canadian Aero Service Ltd. c. O’Malley, [1974] R.C.S. 592, p. 606, où l’on fait une distinction pour les employés ayant une obligation fiduciaire; CRC-Evans Canada Ltd. c. Pettifer (1997), 26 C.C.E.L. (2d) 294 (B.R. Alb.), par. 54; Alnor Services Ltd. c. Sawyer (1990), 31 C.C.E.L. 34 (C.S.C.-B.); Faccenda Chicken Ltd. c. Fowler, [1986] 1 All E.R. 617 (C.A.); Geoffrey England, Employment Law in Canada (4e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, § 11-141).

[40]      Comme l’a indiqué le juge Hall dans Barton Insurance Brokers Ltd. c. Irwin (1999), 170 D.L.R. (4th) 69 (C.A.C.-B.), par. 39 :

[traduction] …l’intérêt général du public pour la libre concurrence et le fait qu’en général les citoyens devraient être libres d’exploiter de nouvelles possibilités, à mon avis, obligent les tribunaux à faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’imposer des obligations restrictives aux anciens employés dans des circonstances qui sont loin d’être claires. En général, [...] le droit préconise la liberté des personnes de chercher à obtenir un avantage économique grâce à la mobilité en matière d’emploi.

Et dans Imperial Sheet Metal Ltd. c. Landry (2007), 315 R.N.-B. (2e) 328, 2007 NBCA 51, le juge Robertson a aussi fait remarquer ce qui suit au par. 37 :

... s’il y a un conflit entre l’intérêt qu’a un ancien employeur à protéger ses intérêts commerciaux et l’intérêt qu’a un ancien employé à gagner sa vie, ajouté à l’intérêt du public pour la libre concurrence en matière de biens et services, ce sont les intérêts de l’ancien employé qui l’emportent habituellement.

En d’autres mots, un employé est généralement libre de faire concurrence à un ancien employeur dès que l’emploi prend fin.

[Soulignements ajoutés]

[52]        La juge en chef McLachlin, dans le même arrêt, n’écrit pas autre chose dans ses motifs majoritaires, lorsqu’elle reconnaît elle aussi que le salarié peut concurrencer son ex-employeur dès qu’il cesse de travailler pour lui (sauf en ce qui concerne l’usage abusif de renseignements confidentiels, la violation d’une obligation fiduciaire ou une clause restrictive dans le contrat de travail)[44]. Ces commentaires (sauf ceux qui concernent l’obligation fiduciaire, qui n’existe pas dans notre droit civil, le concept qu’elle traduit y étant appréhendé autrement) ne sont pas moins vrais dans le cadre juridique québécois et reflètent l’esprit des dispositions que le Code civil du Québec consacre au contrat de travail.

[53]        Bref, après la terminaison de son contrat de travail, le salarié qui n’est pas assujetti à une clause de non-concurrence (ou seulement de non-sollicitation ou de confidentialité prolongée) peut disposer à sa guise de l’expertise, des connaissances et des qualités qu’il a acquises ou développées au sein de l’entreprise de son ex-employeur, y compris en faisant concurrence à celui-ci et en cherchant à s’en approprier la clientèle, et ce, même vigoureusement. Qu’un salarié ait acquis ou perfectionné ses connaissances et ses habiletés en travaillant chez l’employeur et qu’il ait eu l’occasion d’y forger des relations utiles pour l’avenir ou de rencontrer des personnes qu’il n’aurait pas connues n’eût été son emploi est parfaitement normal et fait partie de ce qu’on pourrait qualifier de « patrimoine professionnel personnel » : ces connaissances et cette expérience lui appartiennent et il peut les transporter ailleurs, sans pour autant commettre une faute[45].

[54]        Dans les quelques semaines ou mois suivant son départ, toutefois, l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. lui impose une certaine retenue : ainsi, il ne doit pas user des renseignements confidentiels de son ancien employeur[46], solliciter agressivement les clients avec lesquels il entretenait une relation privilégiée lorsqu’il était encore chez l’employeur (et l’on parle ici d’une sollicitation « active, directe, pressante, persistante et récurrente »[47]) ou se livrer à du dénigrement systématique (même si celui-ci ne franchit pas le seuil de la diffamation). Autrement dit, la loyauté de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. n’exige pas l’absence de concurrence; plutôt, elle s’en accommode, mais requiert qu’elle soit, pour un temps, menée avec modération. Il ne s’agit en effet pas d’empêcher l’ex-salarié de travailler pour un concurrent ou de fonder une entreprise faisant concurrence à celle de l’employeur et de gagner ainsi sa vie.

[55]        On soulignera tout de même que l’intensité de ce devoir postcontractuel (tout comme celle du devoir contractuel) peut varier selon divers facteurs, dont la nature des tâches et le niveau hiérarchique du salarié. Ce dernier point est d’un intérêt particulier : on exigera en effet davantage du cadre supérieur de l’entreprise ou de l’employé-clef (c.-à-d. celui qui détient une expertise unique et indispensable à l’entreprise) que du simple salarié (même si l’art. 2088 al. 2 ne les distingue pas explicitement et s’applique à tous). Comme l’observait déjà le juge LeBel dans Excelsior, il est rare qu’un « ancien employé, qui ne détenait pas d'informations commerciales ou techniques, confidentielles, d'importance critique pour l'entreprise, et qui ne remplissait pas un rôle de gestion »[48] fasse l’objet d’une poursuite fondée sur un manquement à la loyauté postcontractuelle. Ce n’est pas dire qu’un tel salarié n’est pas assujetti à ce devoir, dont le contenu obligationnel, cependant, sera plus mince que celui de la personne qui dirige l’entreprise, par exemple[49].

[56]        Par ailleurs, les circonstances du départ du salarié seront également examinées afin de mesurer la portée de son obligation postcontractuelle. C’est ainsi que le salarié congédié sans cause juste et suffisante pourrait être dégagé de cette obligation de loyauté postcontractuelle (sauf en ce qui concerne la protection des renseignements confidentiels)[50].

[57]        Enfin, comme on l’a vu, la durée de cette réserve, évaluée en fonction de facteurs similaires, n’excède habituellement pas trois ou quatre mois (et elle peut être bien moindre dans le cas d’un salarié sans autorité ou responsabilité de gestion particulière et qui n’est pas un employé-clef).

[58]        Dans un autre ordre d’idées, il faut préciser que l’ex-salarié ne peut bien sûr user de tactiques malhonnêtes qui constitueraient, en dehors du cadre de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q., de la concurrence déloyale au sens de l’art. 1457 C.c.Q., allant ainsi à l’encontre des exigences de bonne foi qui incombent à tous : les fausses représentations, la diffamation, les tromperies et les actes de désorganisation ou de parasitisme demeurent contraires au droit commun, indépendamment de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q.

[59]        En somme, sous ces réserves, la loyauté postcontractuelle prescrite par l’art. 2088 al. 2 C.c.Q., comme on le voit, constitue une obligation plutôt minimaliste, qui ne peut enfreindre, sinon de manière transitoire, les principes fondamentaux de la liberté de travail et de la libre concurrence.

[60]        Tout cela étant dit, comment sanctionne-t-on la violation du double devoir de loyauté qu’impose l’art. 2088 C.c.Q.?

[61]        La sanction du manquement de cette obligation, dans son volet contractuel, réside ordinairement dans une sanction disciplinaire, laquelle peut aller de la réprimande au congédiement, en cas d’infraction grave ou répétée (art. 2094 C.c.Q.).

[62]        La sanction du manquement à l’obligation de loyauté postcontractuelle peut se faire par le moyen de l’injonction[51], qui empêchera l’ex-salarié de s’adonner aux activités contraventionnelles.

[63]        Dans l’un et l’autre cas, si le manquement cause préjudice à l’employeur (et ce lien de causalité est évidemment essentiel[52]), celui-ci peut réclamer des dommages-intérêts au salarié. Rappelons tout de même que, s’agissant de sanctionner par des dommages un manquement à l’obligation de loyauté postcontractuelle, il faut s’assurer d’arrimer la condamnation à la durée de l’obligation. L’employeur, en effet, ne peut être indemnisé de la perte que lui cause la concurrence de l’ex-salarié après l’écoulement du délai raisonnable prescrit par l’art. 2088 al. 2 C.c.Q.

B.        Application du droit aux faits de l’espèce

[64]        En l’espèce, et je le dis avec tous les égards possibles, je ne peux partager le point de vue de la juge, en droit comme en fait, et ce, même si, comme elle, je dois constater que M. Sahlaoui n’a pas témoigné avec la franchise à laquelle on est en droit de s’attendre dans un forum judiciaire. Malgré cela, il demeure que certains des constats factuels de la juge ne sont pas étayés par la preuve et que, par ailleurs, certains aspects du droit applicable ont été ignorés.

[65]        Je suis toutefois d’accord avec la première détermination factuelle de la juge : M. Sahlaoui, contrairement à ses prétentions et à celles du témoin Larouche, entretenait dès le printemps 2015 l’idée de démissionner d’un emploi qui ne le satisfaisait plus et il a décidé de s’associer à M. Larouche afin de fonder avec lui une société, Evo, destinée à œuvrer dans le même domaine que Médicus et à faire éventuellement concurrence à celle-ci. La preuve prépondérante va dans ce sens et montre bien que MM. Sahlaoui et Larouche ont, du printemps à l’automne 2015, fait tous les préparatifs nécessaires au démarrage d’Evo dès que le premier aurait démissionné (ce qu’il fera en novembre) et que le second serait libéré de sa propre clause de non-concurrence (laquelle arrivait à échéance le 31 octobre 2015).

[66]        Je ne peux cependant voir là un manquement au devoir de loyauté de M. Sahlaoui envers Médicus, manquement que la juge décrit comme « un exemple […] flagrant de déloyauté et de mauvaise foi »[53], conclusion qui me paraît erronée tant en fait qu’en droit.

[67]        Tout d’abord, contrairement à ce qu’écrit la juge, la preuve prépondérante ne démontre aucunement que M. Sahlaoui a « sollicité les médecins du CHUM avant même son départ de Médicus »[54]. Rien dans la preuve ne l’établit et ce n’est pas la croyance de la présidente de Médicus, qui le soupçonne sans le savoir, qui suffit à le démontrer. Ce n’est là que spéculation et la preuve ne contient pas suffisamment d’éléments pour qu’on puisse l’inférer avec le degré de certitude requis par l’art. 2804 C.c.Q.

[68]        Pour le reste, la preuve ne révèle pas que M. Sahlaoui a enfreint les obligations qu’énumère l’art. 2088 al. 1 C.c.Q. pendant la période allant du printemps 2015 au 21 novembre de cette année-là, son dernier jour de travail auprès de Médicus. Il a pendant ce temps continué d’exécuter ses fonctions normalement, avec la compétence et la diligence qu’on lui connaissait. Il n’a pas détourné de clients (patients ou médecins-prescripteurs) chez Evo ou ailleurs (et l’incident mineur de l’orthèse 3D, en octobre 2015, qui est bien expliqué, voir supra, paragr. [17], n’est pas de nature à permettre une autre conclusion, et d’autant moins qu’il est attribuable à M. Larouche seulement). Il ne s’est approprié ni informations confidentielles, ni listes de clients, ni biens de quelque sorte, etc. Il travaillait déjà depuis 10 ans chez l’intimée et connaissait forcément l’entreprise; ses derniers mois chez elle ne lui ont pas apporté d’informations ou d’avantages particuliers.

[69]        M. Larouche et lui n’ont par ailleurs mis Evo en marche qu’après son départ de chez Médicus (et rappelons que M. Larouche n’avait pas intérêt à devancer l’activation d’Evo, puisqu’il était lui-même sous le coup d’une clause de non-concurrence jusqu’à la fin du mois d’octobre 2015). Certes, MM. Sahlaoui et Larouche étaient alors fin prêts, mais cela n’est pas une faute : l’ex-salarié peut concurrencer son ancien employeur dès le lendemain de son départ, ce qui implique nécessairement qu’il s’y soit préparé. Pour paraphraser la juge Abella dans RBC Dominion Valeurs mobilières inc.[55], le comportement de M. Sahlaoui n’est peut-être pas acceptable pour l’employeur, mais il demeure néanmoins légitime.

[70]        Tous les gestes que la juge reproche à M. Sahlaoui (constitution d’Evo, signature de la convention d’actionnaires, signature du bail, emménagement d’Evo dans ses locaux, impression des cartes professionnelles et blocs-notes de prescription) sont des gestes de préparation qui, dans l’état actuel du droit et pour les raisons que l’on a vues dans la section précédente, ne peuvent être considérés comme un manquement au devoir de loyauté contractuelle qu’énonce l’art. 2088 al. 1 C.c.Q. M. Sahlaoui était entièrement libre de démissionner et de s’y préparer, et ce, alors même qu’il était encore à l’emploi de Médicus, et il pouvait agir comme il l’a fait.

[71]        Qu’il ait menti au moment où il a donné son préavis de démission, en déclarant qu’il allait travailler à l’étranger alors qu’il démarrait en réalité sa propre entreprise concurrente, est sans doute peu gracieux, mais peut s’expliquer par la crainte de la réaction de l’employeur à l’annonce de pareille nouvelle (crainte d’ailleurs assez réaliste si l’on en juge par la suite des événements). Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de spéculer là-dessus, car ce manque de franchise, dans les circonstances, ne saurait, en lui-même, être considéré comme un manquement au devoir de loyauté que prescrit l’art. 2088 al. 1 C.c.Q. Au pire, c’est une faute insignifiante.

[72]        On comprend du témoignage de la présidente de Médicus que celle-ci s’étonne de ce que M. Sahlaoui, avec qui elle entretenait de bonnes relations, ne se soit pas ouvert à elle du mécontentement ou de la frustration qu’il éprouvait à l’époque. Sans doute M. Sahlaoui aurait-il pu discuter de son insatisfaction avec elle. Mais qu’il s’en soit abstenu n’est pas un manquement à l’obligation juridique que lui fait l’art. 2088 al. 1 C.c.Q. au chapitre de la loyauté. Le salarié mécontent n’est pas tenu de chercher à résoudre les difficultés qu’il affronte en abordant celles-ci avec son employeur; il peut choisir de démissionner et il en est libre (sous les réserves que nous avons déjà vues, notamment dans le cas d’un contrat à durée déterminée).

[73]        Pourrait-on penser pour autant que M. Sahlaoui, en s’associant à M. Larouche et en créant Evo pendant qu’il était encore chez Médicus s’est placé dans une situation de conflit d’intérêts potentiel contraire à l’art. 2088 al. 1 C.c.Q.? A-t-il été aussi attentif aux besoins de Médicus, alors qu’il s’apprête à la quitter? A-t-il mis autant de rigueur et de vigueur à l’accomplissement de ses fonctions? N’aurait-il pas été porté à favoriser les médecins de l’hôpital Notre-Dame (ou du CHUM) plus que les autres ou à soigner davantage ses relations avec eux, au détriment peut-être d’autres institutions qu’il desservait?

[74]        La preuve, je l’ai mentionné plus haut, ne révèle rien de cela : elle n’indique pas que son rendement ait baissé entre le printemps 2015 et novembre 2015, lorsqu’il quitte l’intimée, ou que son comportement au travail ait changé de quelque façon dans l’intervalle ou ait causé le moindre préjudice à Médicus. Mais, surtout, sur le plan juridique, comme on l’a vu précédemment, on ne peut faire grief au salarié d’un conflit d’intérêts alors qu’il est par ailleurs libre de faire les préparatifs destinés à lui assurer un autre avenir professionnel, même en concurrence avec l’employeur : conclure au conflit d’intérêts (et donc à l’existence d’un motif sérieux de congédiement au sens de l’art. 2094 C.c.Q.) contredirait cette liberté. L’art. 2088 al. 1 C.c.Q. ne permet pas d’aller jusque là[56].

[75]        Mais si M. Sahlaoui n’a pas enfreint l’art. 2088 al. 1 C.c.Q., aurait-il contrevenu aux termes exprès du contrat de travail à durée indéterminée l’unissant à Médicus? Ce contrat (qui n’est pas couché par écrit) ne comporte aucune clause de non-concurrence ou de non-sollicitation ou autre clause visant à régir la conduite post-emploi du salarié. Au moment de son embauche, M, Sahlaoui a toutefois signé un « engagement de loyauté, de confidentialité et de non-concurrence », dont les termes sont les suivants :

Obligation de loyauté, de confidentialité et de non-concurrence (ref. Code civil du Québec)

Je, soussigné(e) Lotfi Sahlaoui reconnais que, dans le cas où ma candidature était retenue et que je sois embauché(e), je serai tenu(e), durant ma période d’emploi ou de stage, et après mon départ, par cette obligation de loyauté et de confidentialité, surtout en ce qui a trait à la clientèle de « Médicus », aux technologies propres à « Médicus », ainsi qu’à toutes les informations auxquelles j’aurai eu accès dans le cadre de mon travail. Il va de soi que, tant que je suis au service de « Médicus », je ne pourrai travailler pour un compétiteur ni faire la concurrence à « Médicus ». Une infraction à ce principe pourrait m’exposer à un congédiement immédiat et à des poursuites légales. [57]

[Le soulignement de la dernière phrase figure dans l’original; l’autre est un ajout]

[76]        Comme on le voit, cet engagement n’est en réalité qu’une réitération de l’art. 2088 C.c.Q. et n’y ajoute rien : M. Sahlaoui s’y engage à respecter le devoir de loyauté qu’impose cette disposition, tant pendant l’emploi qu’après et, notamment, il s’engage à ne pas concurrencer Médicus pendant qu’il est au service de celle-ci, ce à quoi il s’est conformé.

[77]        Mais s’il n’a pas enfreint le volet contractuel de son obligation de loyauté, en aurait-il enfreint le volet extracontractuel (ce dont Evo, bénéficiaire et complice, serait elle aussi responsable envers l’intimée)? Voici comment la juge de première instance répond à cette question :

[36]      L’encre de sa lettre de démission était à peine sèche quand Sahlaoui a approché les médecins. Sahlaoui admet que le 23 novembre 2015, 48 heures après son départ, il se trouvait à l’hôpital Notre-Dame. Il a commencé par notifier la secrétaire en chef du département du Dr. Dehnade « Écoute, je suis parti sur mon compte […] je voulais rencontrer docteur Dehnade » [renvoi omis]. Il admet avoir sollicité les médecins du CHUM la semaine suivant son départ. Le 26 novembre 2015, il a informé le Dr. Dehnade « je ne suis pas loin de l’hôpital, puis si vous avez besoin de mes services » [renvoi omis].

[37]      Le 2 décembre 2015, EVO a fait une présentation auprès des médecins du CHUM pour leur offrir leurs services [renvoi omis]. Ils ont distribué des brochures, des cartes d’affaires et des blocs-notes de prescription indiquant le nom de l’entreprise et leur adresse. Il est évident que Sahlaoui était bien préparé avant son départ pour livrer une concurrence déloyale à Médicus. Le fait que Sahlaoui ait utilisé la relation privilégiée qu’il avait avec les médecins du CHUM de façon déloyale, pour préparer son départ et se mettre dans une position favorable, entache son projet [renvoi omis].

[38]      Est-ce que ce délai est raisonnable dans les circonstances ? La réponse est clairement non.

[78]        Là encore, je ne peux souscrire à ce point de vue.

[79]        D’abord, manifestement, la prémisse de cette conclusion est erronée : M. Sahlaoui ne s’est pas comporté de manière déloyale pendant les derniers mois de son emploi chez Médicus. Ensuite, cette conclusion ignore le droit du salarié qui n’est pas lié par une clause de non-concurrence de faire concurrence à son employeur aussitôt le lien d’emploi rompu.

[80]        Je n’affirme pas que le fait de concurrencer immédiatement son ex-employeur (même en l’absence d’une clause de non-concurrence) ne puisse jamais être considéré comme un acte déloyal au sens de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q., mais ce ne peut certainement pas être le cas ici : on a affaire à un salarié « ordinaire », qui n’est pas un cadre et qui n’est pas non plus un employé-clef au sens où l’on doit entendre ce terme, s’agissant plutôt d’un individu œuvrant au sein d’une entreprise florissante comptant plus de 350 employés. Selon l’intimée, il aurait pourtant occupé « une position d’influence en ce qui concerne les médecins du CHUM »[58] et le jugement retient l’idée d’une relation privilégiée de M. Sahlaoui avec les médecins de cet établissement. Or, cette double qualification relève de l’exagération et ne peut s’appuyer sur la preuve. Que M. Sahlaoui, en raison de ses qualités professionnelles, ait été apprécié des médecins du CHUM (et en particulier de ceux de l’hôpital Notre-Dame) est une chose, qu’il ait été dans une position d’influence - marqueur habituel du lien privilégié - en est une autre, qui ne s’avère pas en l’espèce.

[81]        Le seul fait qu’un salarié soit particulièrement compétent et apprécié ne saurait en effet alourdir son obligation de loyauté postcontractuelle et limiter sa capacité de concurrencer son ex-employeur. Pour revenir aux propos du juge Lebel dans Excelsior, si un employeur perd un employé aimé de la clientèle, il est bien possible que cette clientèle le suive, ce qui n’est pas une raison de restreindre sa liberté de travail et de concurrence : c’est là, simplement, la loi du marché. La loyauté postcontractuelle n’implique pas que le salarié ne puisse faire concurrence à son employeur, et ce, dès, le jour suivant sa démission, elle circonscrit simplement (et provisoirement) la manière de le faire.

[82]        La preuve ne permet par ailleurs pas de conclure que M. Sahlaoui (ou Evo) s’est conduit d’une manière déloyale après sa démission. Certes, il a contacté les médecins de l’hôpital Notre-Dame dans les jours qui ont suivi son départ, mais rien ne montre qu’il soit allé au delà de la sollicitation acceptable consistant à annoncer son changement d’état et à inviter ces médecins à faire affaire avec lui. À supposer même qu’il eut existé un lien privilégié entre M. Sahlaoui et eux, il n’était pas privé de les informer de son changement d’état. De plus, il n’a pas occupé le local de Médicus à l’hôpital Notre-Dame, ne s’est pas fait passer pour un employé de son ancien employeur (et le fait que certains aient continué à l’appeler « M. Médicus » n’établit rien de tel) et n’a pas usé de renseignements confidentiels.

[83]        Il faut souligner aussi que M. Sahlaoui n’était pas le seul employé de Médicus affecté à l’hôpital Notre-Dame : qu’il se soit distingué et ait obtenu la confiance des médecins est un acquis personnel sur lequel il pouvait légitimement tabler par la suite.

[84]        Il y a bien sûr ce que la juge reproche à M. Sahlaoui dans les paragraphes suivants de son jugement :

[42]      Nonobstant le Code de déontologie des Médecins et le Règlement sur les normes relatives aux ordonnances, dans les faits, les médecins du CHUM ont procédé à un concours de sélection, choisi EVO comme laboratoire d’orthopédie en lui donnant clairement un avantage et éliminé Médicus, et ce, même après 25 années de service. Par la suite, les médecins ont dirigé leurs patients vers l’entreprise EVO. Larouche reconnaît que, jusqu’en 2018, les médecins ont eu accès à des blocs-notes de prescription quand bien même cela était contraire au Règlement sur les normes relatives aux ordonnances faites par un médecin. De plus il allègue que ces blocs-notes de prescription sont possiblement toujours en circulation.

[43]      Le Tribunal ne retient pas l’argument à l’effet que les médecins ne sont pas des « clients » de Médicus. Cet argument n’est pas déterminant dans cette affaire. La prépondérance de la preuve démontre que Sahlaoui et EVO se sont immiscés dans la relation d’affaires privilégiée que Médicus avait soigneusement entretenue avec le CHUM depuis au moins 25 années. Or, Sahlaoui a eu l’opportunité de développer un lien avec les médecins grâce à son emploi avec Médicus et il a utilisé cette relation pour les influencer. Sahlaoui et EVO n’avaient pas le droit de s’immiscer dans cette relation privilégiée ni même dans le référencement de patients que cette relation a généré tout au moins pour une durée raisonnable.

[85]        Or, on peut difficilement blâmer M. Sahlaoui et Evo pour avoir remporté le concours lancé par les médecins de l’hôpital Notre-Dame (à supposer même que ce concours ait été contraire aux normes déontologiques régissant les médecins, ce qui n’a pas empêché Médicus d’y participer). Quant à voir dans l’organisation de ce concours une manigance de M. Sahlaoui, rien dans la preuve n’étaye une telle supposition. C’est du reste le problème principal de la preuve présentée dans ce dossier, qui permet d’observer quelques coïncidences desquelles on ne peut cependant tirer aucune inférence respectant à la fois les exigences de l’art. 2849 C.c.Q. (les présomptions graves, précises et concordantes) et celles de l’art. 2804 (la prépondérance).

[86]        Cela dit, la loyauté postcontractuelle imposait-elle à M. Sahlaloui et à son entreprise de s’abstenir de participer au concours, dans la mesure où celui-ci se tenait peu de temps après qu’il eut quitté Médicus, ou de refuser le choix des médecins? Je ne le crois pas. Comme je le rappelais plus haut, l’ex-salarié a le droit de desservir les clients qui viennent à lui de leur propre chef et l’on ne peut blâmer les appelants d’avoir accepté l’invitation de participer à ce concours auquel Médicus ainsi qu’une troisième entreprise ont également participé. La présidente de Médicus dit s’être aperçu, lors de sa présentation à ce concours, que « les dés étaient pipés »[59], mais ce n’est là qu’une impression. On ne peut évidemment pas exclure que les médecins aient choisi Evo notamment parce qu’ils avaient confiance en la personne de M. Sahlaoui. Pour autant, la loyauté due à son ancien employeur ne pouvait faire obstacle à ce que ce dernier présente la candidature d’Evo et rien ne le forçait pas à refuser le choix des médecins.

[87]        Comme le rappelle le juge LeBel dans Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie[60], la concurrence est le principe de base de l’organisation des activités commerciales et professionnelles de notre société, principe d’ordre public[61]. Exiger d’un salarié tel M. Sahlaoui de ne pas faire acte de candidature à un tel concours va au delà des limites du devoir de loyauté postcontractuelle.

[88]        On ne peut pas non plus reprocher à M. Sahlaoui et à Evo de s’être « immiscés dans la relation d’affaires privilégiée que Médicus avait soigneusement entretenue avec le CHUM depuis au moins 25 années » : c’est là l’essence même de la concurrence. Quant au constat que M. Sahlaoui « a eu l’opportunité de développer un lien avec les médecins grâce à son emploi avec Médicus », il est exact, mais la même « opportunité » a été offerte aux collègues de travail qui œuvraient avec lui à l’hôpital Notre-Dame (ou ailleurs au CHUM). Cela ne saurait empêcher M. Sahlaoui de faire concurrence à son ex-employeur en cherchant à continuer de faire affaire avec les médecins qu’il a connus à cet endroit. Qu’il ait « influencé » les médecins, par ailleurs, comme l’écrit la juge[62], est une affirmation qui ne trouve pas d’assise dans la preuve : tout ce qu’on peut y constater, c’est que les médecins ont préféré suivre M. Sahlaoui, dont ils appréciaient la compétence. M. Sahlaoui n’avait pas à refuser leur clientèle (ou plus exactement celle de leurs patients) et qu’il les ait desservis n’est pas en soi le signe d’une concurrence déloyale envers Médicus.

[89]        Au final, et pour l’ensemble de ces raisons, il y aurait lieu à mon avis d’accueillir l’appel. Le jugement de première instance, même s’il renvoie à l’art. 2088 C.c.Q. et cite quelques décisions sur le devoir de loyauté du salarié, dont l’arrêt Concentrés Bélisle, ignore largement l’état du droit en la matière et conclut au caractère déloyal de comportements que la jurisprudence autorise généralement, tout en donnant une portée excessive à certains éléments de preuve qui ne soutiennent pas ses constats. Les pertes encourues par Médicus à la suite du départ de M. Sahlaoui et du démarrage d’Evo sont la conséquence d’une concurrence légitime et non d’une concurrence déloyale.

* *

[90]        Parlant de pertes, d’ailleurs, je me permets un dernier commentaire.

[91]        La juge a accordé ici à Médicus l’équivalent d’une année de pertes de profits. Cela seul justifierait une intervention de la Cour.

[92]        En effet, comme je l’ai mentionné précédemment, dans la mesure où l’obligation de loyauté postcontractuelle est d’une durée limitée, on doit indemniser l’ex-employeur en proportion. Or, ce délai, que la juge ne fixe pas expressément, mais dont on comprend qu’elle l’estime implicitement à une année, est déraisonnable. Au mieux, ce délai était ici de quelques semaines, et pas plus d’un mois ou deux. M. Sahlaoui, je le rappelle, était un salarié parmi 350 et plus, qui n’était ni un cadre ni un employé-clef, qui n’avait pas d’accès aux renseignements confidentiels de l’employeur, qui n’a pas dévalisé celui-ci avant sa démission (comme l’avaient fait l’appelant Gutin dans l’arrêt du même nom[63] ou les salariés de l’arrêt Armanious c. Datex Bar Code Systems Inc./Systèmes de code à barres Datex inc.[64]) ni n’a détourné de clientèle avant cette date (comme ce fut le cas, par ex., dans Ménard c. Parts-Expert inc.[65] ou Beaumier c. XIT Télécom inc.[66]).

[93]        Par conséquent, si faute il y avait eu (ce qui n’est pas le cas), les dommages accordés à l’ex-employeur auraient dû l’être en fonction de ce délai raisonnable. Lors de l’audience d’appel, l’avocat de M. Sahlaoui et d’Evo a indiqué que l’équivalent de trois mois de pertes lui aurait semblé acceptable. On peut être d’accord ou penser au contraire qu’un somme moindre aurait été de mise, comme l’indique le paragraphe précédent, mais, de toute façon, il est clair qu’il ne convenait pas d’octroyer à Médicus l’équivalent des pertes d’une année.

III.        Conclusion

[94]        Pour ces motifs, je recommanderais donc d’accueillir l’appel, d’infirmer le jugement de première instance et de rejeter l’action, avec frais de justice tant en première instance qu’en appel.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 



[1]     2330-2029 Québec inc. (Médicus) c. EVO Orthopédie technique inc. (C.S., 2019-10-02 (jugement rectifié le 2019-10-04)), 2019 QCCS 4124.

[2]     Il est au travail toute cette journée-là, pour la dernière fois.

[3]     Afin d’alléger le texte, je ne parlerai dorénavant que d’orthésistes, plutôt que d’orthésistes-prothésistes.

[4]     Le développement des liens avec les médecins-prescripteurs et le déplacement des gens de Médicus dans les hôpitaux, en plus de l’offre de service en succursale, fait partie du modèle d’affaires de l’entreprise. Voir à ce propos le témoignage de Mme Jacinte Bleau, présidente de Médicus, notes sténographiques du 20 février 2019, p. 21-25.

[5]     Extrait du Registre des entreprises, pièce P-2.

[6]     Convention unanime des actionnaires, pièce P-7.

[7]     Bail entre Evo Orthopédie Technique inc. (locataire) et Groupe Accueil International inc. (bailleur), pièce P-8.

[8]     L’objection de Médicus a été maintenue par la juge. Voir jugement de première instance, paragr. 32-4.

[9]     Témoignage de M. Daniel Larouche, notes sténographiques du 20 février 2019, p. 225, et notes sténographiques du 21 février 2019, p. 34.

[10]    Ibid.

[11]    Le dossier semble indiquer que cette démarche des médecins serait, en ce qui les concerne, déontologiquement douteuse, ce qui n’est pas pertinent à notre affaire.

[12]    Dix-huit si l’on s’en remet à la pièce P-1 (extrait du Registre des entreprises). Lors de son témoignage, Mme Bleau, présidente de Médicus, parlera plutôt de 19 succursales au Québec (témoignage de Mme Jacinte Bleau, notes sténographiques du 20 février 2019, p. 17.

[13]    Témoignage de Mme Jacinte Bleau, notes sténographiques du 20 février 2019, p. 26.

[14]    Interrogatoire préalable de M. Sahlaoui, notes sténographiques du 18 mai 2017, p. 65.

[15]    2007 QCCA 676.

[16]    Voir par ex. : Traffic Tech International inc. c. Milgram et Compagnie ltée, 2015 QCCA 2164. Dans cette affaire, le salarié, alors à l’emploi de l’intimée, « a intéressé un client de cette dernière à faire affaire avec l’appelante [son futur employeur], en violation flagrante de ses obligations légales et contractuelles de loyauté et de non-sollicitation de clients » (paragr. 4). Notons tout de même que la Cour n’en fera pas de cas et jugera que cette violation ne justifiait pas l’ancien employeur d’empêcher son ex-salarié de travailler pour le nouvel employeur en question (alors que la Cour supérieure lui avait ordonné de cesser de travailler pour lui, dans le cadre d’une ordonnance de sauvegarde réclamée par l’ancien employeur). Voir aussi : Groupe financier Assbec ltée c. Dion, [1995] R.D.J. 172 (C.A.), alors que la salariée, avant de quitter son emploi auprès de l’appelante, avait dirigé un client de celle-ci vers son nouvel employeur, ce qui fut considéré comme une contravention de son devoir de loyauté.

[17]    Situation envisagée dans Concentrés scientifiques Bélisle inc. c. Lyrco Nutrition inc., préc., note 15, paragr. 122-123, alors que les salariés en cause se livraient à des activités hors emploi qui privaient leur employeur de certaines ventes, ce qui aurait été une contravention au devoir de loyauté prescrit par l’art. 2088 al. 1 C.c.Q., n’eût été que ces activités avaient été autorisées par ledit employeur.

[18]    Je précise « indûment », car certaines actions légitimes peuvent froisser l’employeur ou nuire à la conception qu’il se fait de ses intérêts. Ainsi, le salarié qui cherche à convaincre ses collègues de former une association de salariés au sens du Code du travail ou d’adhérer à une telle association exerce un droit et ne peut être considéré comme déloyal envers son employeur.

[19]    L’affaire Simard c. Claisse, 2007 QCCA 701, en est un exemple peu commun, alors que le salarié (un cadre de l’entreprise) a monté une véritable cabale contre l’employeur et enrôlé bon nombre d’employés dans sa lutte.

[20]    Sur la liberté de travail du salarié, voir notamment : Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie, [1992] R.J.Q. 2666 (C.A.).

[21]    À ce propos, voir : Frédéric Desmarais, Le contrat de travail, 2e éd., coll. Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2021, p. 206 et 209-210; Marianne St-Pierre Plamondon et Alex O’Reilly, « L’obligation de loyauté s’effrite : quelles protections reste-t-il à l’employeur ? », (2014) 383 Développements récents en droit du travail 97, p. 109-119; Robert P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins, Le droit du travail du Québec, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, paragr. 115, p. 110.

[22]    Contra : M. St-Pierre Plamondon et A. O’Reilly, préc., note 21, p. 119-130. Voir aussi : F. Desmarais, préc., note 21, p. 210, référant à l’article des auteurs St-Pierre Plamondon et O’Reilly. Le point de vue de ces auteurs n’est cependant pas retenu par la jurisprudence majoritaire.

[23]    2017 QCCA 1993.

[24]    La règle n’est pas nouvelle. Voir ainsi : Improthèque inc. c. St-Gelais, [1995] R.J.Q. 2469 (C.S.), p. 2478-2479 (dans cette affaire, le défendeur avait par ailleurs, dans un premier temps, fait preuve d’une très grande transparence en informant son employeur de l’offre reçue d’un tiers, sans doute dans l’espoir d’améliorer son sort. Cet espoir ne s’étant pas réalisé, il a entrepris, cette fois discrètement, des négociations avec le même tiers, entretemps revenu à la charge, négociations qui se sont soldées par une entente et par une démission).

[25]    Voir par ex. : Ménard c. Parts-Expert inc., 2008 QCCA 1827, paragr. 3 (l’intimé a concurrencé son employeur avant la fin du contrat de travail).

[26]    Voir par ex. : Beaumier c. XIT Télécom inc., 2019 QCCA 1000, paragr. 7 in fine (sollicitation active de la clientèle de l’employeur pendant la durée du contrat de travail, en prévision d’un départ et d’une concurrence éventuels). On peut renvoyer aussi à l’arrêt 9129-3845 Québec inc. c. Dion, 2012 QCCA 1276 (affaire d’injonction). La Cour y a conclu à une violation du devoir de loyauté de l’individu qui, pendant la durée de son contrat de travail, ne s’était pas contenté de mettre sur pied une société destinée à concurrencer éventuellement son employeur, mais avait déjà pris contact avec un important client de celui-ci afin de lui annoncer son départ et de le consulter quant à la faisabilité de son projet, semant ainsi le « germe d’une relation d’affaires future avec ce client » (paragr. 15 du jugement de première instance, cité au paragr. 9 de l’arrêt de la Cour).

[27]    Sur tout ce paragraphe, en ce sens, voir : F. Desmarais, préc., note 21, p. 207. L’affaire Gutin c. Cenfood International Inc., 2018 QCCA 317, est l’exemple frappant d’un ex-salarié qui a commis la quasi-totalité des actes répréhensibles mentionnés dans ce paragraphe.

[28]    Voir notamment la revue jurisprudentielle des auteurs M. St-Pierre Plamondon et A. O’Reilly, préc., note 21, p. 113 et s.

[29]    Sur ce point, voir : Jean-Yves Brière, Fernand Morin, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2010, paragr. II-101.

[30]    [2008] 3 R.C.S. 79.

[31]    RBC Dominion Valeurs mobilières Inc. c. Merrill Lynch Canada Inc., préc., note 30, paragr. 19 (motifs majoritaires de la j. en chef McLachlin).

[32]    Dans cette affaire, si l’on s’en remet à l’opinion des juges majoritaires, l’employé avait dépassé les bornes décrites ici par la juge Abella : il ne s’était pas contenté d’être à l’affût d’occasions, de négocier un nouvel emploi avec un concurrent, de discuter de ses intentions avec ses collègues et, plus généralement, de planifier son départ; il avait plutôt orchestré en outre le départ de la quasi-totalité des courtiers qui travaillaient sous sa direction, de mauvaise foi et en contravention d’une obligation implicite de son contrat de travail, qui lui imposait de faire les efforts nécessaires pour retenir au service de l’appelante les courtiers qu’il supervisait.

[33]    2018 QCCA 1895, paragr. 47.

[34]    Préc., note 15.

[35]    Préc., note 27.

[36]    [2001] R.J.Q. 2820 (C.A.).

[37]    En l’occurrence, une ordonnance d’injonction interlocutoire d’une durée de 12 mois, prononcée 15,5 mois après la démission des salariés. Les termes de l’injonction, confirmés par la Cour, étaient les suivants :

1.-   de ne pas solliciter et de cesser de solliciter directement ou indirectement tous les clients mentionnés à la liste produite sous la cote P-9 ;

2.-   de ne pas faire affaire et de cesser de faire affaire avec tous les clients des requérantes mentionnés à la liste produite sous la cote P-9 ;

3.-   de cesser d'utiliser la propriété et les renseignements confidentiels des requérantes incluant les programmes d'ordinateur, logiciels et leur application utilisée par les clients des requérantes, les configurations de l'équipement des clients des requérantes, les informations sur les clients, fournisseurs des requérantes, y compris leurs listes de contacts, de prix de vente, de coûts des marchandises, leur marge de bénéfice, listes des équipements des clients, leurs historiques ;

4.-   de cesser d'agir ou de faire des déclarations verbales ou écrites de nature déloyale envers les requérantes, leurs employés ou représentants ou qui les dénigrent ou attaquent leur capacité de faire affaire ou de continuer à servir leurs clients, leur réputation, leur marchandise ou leurs services ;

[38]    Préc., note 15, paragr. 42 et note infrap. 18.

[39]    Voir par ex. : Pharmacie Jean-Sébastien Blais inc. c. Pharmacie Éric Bergeron et André Vincent inc., préc., note 33; 9129-3845 Québec inc. c. Dion, préc., note 26.

[40]    Voir par ex. : Alexandre W. Buswell et Justine B. Laurier, « Obligation de loyauté : source de protection viable ou peau de chagrin? », (2019) 459 Développements récents en droit de la non-concurrence 69; M. St-Pierre Plamondon et A. O’Reilly, préc., note 21.

[41]    Préc., note 20. Cet arrêt a été fréquemment repris par la jurisprudence et il est cité dans Concentrés Bélisle et dans Gutin, ci-dessus, notamment.

[42]    Id., p. 2861-2686 (extraits).

[43]    Préc., note 30.

[44]    Id., paragr. 18-20.

[45]    Sur ce point, on pourra relire Lange Co. c. Platt, [1973] C.A. 1068, p. 1073 (cité notamment dans Improthèque inc. c. St-Gelais, préc, note 24, p. 2475; Positron Inc. c. Desroches, [1988] R.J.Q. 1636 (C.S.), p. 1652 (citant notamment l’arrêt Maguire c. Northland Drug Company, (1935) S.C.R. 41, p. 417-418).

[46]    Cette obligation de confidentialité perdure lorsqu’il s’agit de renseignements relatifs à la réputation ou à la vie d’autrui, comme le précise l’art. 2088 al 2 C.c.Q.

[47]    Lemieux c. Aon Parizeau inc., 2018 QCCA 1346, paragr. 60 (motifs majoritaires du j. Levesque).

[48]    Excelsior (L'), compagnie d'assurance-vie c. Mutuelle du Canada (La), compagnie d'assurance-vie, préc., note 20, p. 2684.

[49]    Et même là, la loyauté postcontractuelle impose une obligation mesurée. Voir par ex. : Gravino c. Enerchem Transport inc., 2008 QCCA 1820 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 26 mars 2009, n° 32901).

[50]    Je n’en dis pas plus, puisque ce n’est pas ce dont il s’agit ici. On notera tout de même que l’art. 2095 C.c.Q. dispense pareillement le salarié congédié sans motif sérieux de l’obligation de respecter la clause de non-concurrence qui le lierait autrement.

[51]    L’affaire sera généralement réglée, de facto, au stade de la sauvegarde ou de l’injonction interlocutoire, le « délai raisonnable » de l’art. 2088 al. 2 C.c.Q. étant généralement échu par la suite.

[52]    Sur cette causalité ou cette absence de causalité, voir par ex. : Lemieux c. Aon Parizeau inc., préc., note 47, paragr. 73 (motifs majoritaires du j. Levesque).

[53]    Jugement de première instance, paragr. 33.

[54]    Jugement de première instance, paragr. 32-7.

[55]    Préc., note 30.

[56]    Voir supra, paragr. [35] et [36].

[57]    Pièce P-3, Engagement de loyauté, de confidentialité et de non-concurrence, signée par M. Sahlaoui le 13 juillet 2005, au moment de son embauche chez l’intimée.

 

[58]    Jugement de première instance, paragr. 9, résumant les propos de la présidente de Médicus.

[59]    Témoignage de Jacinte Bleau, présidente de l’intimée, notes sténographiques du 20 février 2019, p. 73.

[60]    Préc., note 41.

[61]    Principe qui explique notamment pourquoi le droit des clauses de non-concurrence, même en matière commerciale, est un droit restrictif, et plus encore en droit du travail. Voir, en général : Payette c. Guay inc., [2013] 3 R.C.S. 95 (bien que cette décision ait élargi quelque peu les contours des clauses de non-concurrence et de non-sollicitation en matière de vente d’entreprise ou d’actions).

[62]    Jugement de première instance, paragr. 43.

[63]    Gutin c. Cenfood International Inc., préc., note 27.

[64]    Préc., note 36.

[65]    Préc., note 25.

[66]    Préc., note 26.

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